La mort de Stacy et Nathalie a fait ressurgir des questions. Quel sort réserver aux pédophiles? Et surtout, comment protéger les enfants? Les réponses de Jean-Yves Hayez, psychiatre pour enfants.
D'où vient la pédophilie? Peut-on en «guérir»?
Jean-Yves Hayez. On ne peut pas mettre tous les pédophiles dans le même sac. Une bonne partie d'entre eux sont des immatures ou des gens mal dans leur peau, qui ont des complications ou des dépendances par rapport au plaisir sentimental et sexuel. On pourrait comparer avec l'alcool. Ce type de pédophile a l'illusion que l'enfant va l'aimer, ou ne va pas le rejeter, ou a le «même âge» que lui. L'enfant devient alors comme une bouteille d'alcool, c'est-à-dire que le plaisir éprouvé avec lui va créer une espèce de dépendance. Ces cas de pédophilie sont les plus nombreux et sont les plus susceptibles d'évoluer positivement, si, en prison, on augmente l'intensité de l'offre de traitements et si, à la sortie, on organise une surveillance sans concession, un accompagnement social non stigmatisant et la possibilité de traitement. Ça fait beaucoup de «si».
D'autres pédophiles, moins nombreux, sont des gens qui présentent des troubles de la personnalité. Cela n'a rien à voir avec les remous de la vie ou l'immaturité. Ces personnes sont un danger potentiel permanent. Le psychopathe, par exemple, est obsédé par son besoin de narguer et de défier la loi, de montrer qu'il est au-dessus. Cela peut donc l'entraîner à massacrer quelqu'un. Le pervers sexuel est un obsédé du sexe, qui ne cherche aucun véritable échange dans la relation. Ceux-là, on ne peut jamais dire, même si on pratique une thérapie intensive, qu'ils sont guéris. Le risque de récidive est beaucoup trop grand. Même s'ils pensent avoir changé, ils restent comme des bombes à retardement: on ne sait jamais si elles vont exploser, et quand. C'est un vrai problème de société.
Quelles sont les conditions nécessaires pour diminuer la probabilité de récidive?
Jean-Yves Hayez. La plupart des pays ne mettent pas assez de moyens pour faire face à ce problème. Car ça coûte cher et le résultat n'est pas garanti. C'est au Canada qu'ils sont apparemment le plus loin. Pour les grands délinquants sexuels, il existe une grande offre de thérapies psychologiques, pratiquées en prison. Le thérapeute n'est pas complètement sous secret professionnel: il peut dévoiler certains éléments qui influencent la décision de libération ou pas. Chez nous, la Région wallonne a pris quelques initiatives, mais c'est largement insuffisant, et pas du tout coordonné. On va probablement encore faire quelques nouvelles règles ou propositions de loi et débloquer un peu d'argent, mais il n'y aura pas de vrai choix de société.
Quel devrait être ce choix de société?
Jean-Yves Hayez. En tant que citoyen, je trouve qu'un type qui a tué un enfant, dans un cadre sexuel, mérite la prison à vie. Des cas comme ça, il n'y en a pas beaucoup. C'est un raisonnement à l'américaine, je sais bien, mais c'est la seule façon de vraiment empêcher la récidive.
Pour ceux qui ont commis un viol d'enfant sans aller jusqu'au meurtre, il faut de lourdes peines de prison, dont trois quarts ou quatre cinquièmes devraient être incompressibles. Durant leur séjour en prison, il faut leur donner un traitement de qualité. Si on l'avait fait, on aurait peut-être pu éviter les récidives de gars comme Dutroux ou Derochette. Et quand ils sortent, il faut combiner trois choses: continuer le traitement psycho-thérapeutique, exiger une certaine insertion sociale par le travail ou le séjour en maison communautaire (pour éviter l'isolement), et organiser une forte surveillance policière active, y compris avec des filatures et des visites à l'improviste.
Que peuvent faire les parents? Comment apprendre aux enfants à réagir face à un pédophile?
Jean-Yves Hayez. Il est possible de prévenir beaucoup de risques. Les parents peuvent tout d'abord ouvrir leur enfant à la socialisation, aux contacts avec la société dans son ensemble. Ce n'est jamais sans épines, et l'enfant doit le savoir. L'objectif est qu'il se sente à l'aise, lucide. Tout cela reste un pari, car le risque zéro n'existe pas. Certains risques (très rares) sont imprévisibles. Quand Fourniret a enlevé Elisabeth Brichet, il était en voiture avec une femme et un bébé, et ils ont demandé à la petite si elle pouvait les guider jusque chez un médecin. N'importe quel enfant serait probablement tombé dans le piège.
On peut aussi augmenter les capacités de l'enfant à éviter le risque. Le mieux est de partir de ses idées spontanées. Lors d'une émission «Bla-bla» sur la RTBF, j'ai demandé à cinq enfants ce qu'ils feraient si quelqu'un les attaquait. Ils avaient tous des idées. Il faut alors les encourager, par des jeux de rôle par exemple, leur apprendre à jouer en groupe, à ne pas fréquenter les endroits isolés. Leur lucidité augmente alors beaucoup.
L'enfant peut également augmenter son pouvoir de dire non, ses capacités de défense. Combien de fois par semaine un enfant peut-il dire non à la maison? Sans qu'il devienne pour autant ce qu'on appelle un «enfant-roi», dans mille petites circonstances de la vie, l'enfant peut se préparer à se faire respecter.
Et, pourquoi pas, on peut lui apprendre certaines techniques de self-défense élémentaire.
Cela pourrait-il se faire à l'école?
Jean-Yves Hayez. On demande déjà beaucoup à l'école. Je verrais plutôt des ateliers le mercredi après-midi, organisés par des maisons de jeunes, par exemple. Ce sont à mon avis les parents et la société qui doivent prendre cela en charge. La vigilance des parents est primordiale. A chacun de prendre ses responsabilités, de réfléchir chaque fois qu'on laisse les enfants sortir seuls.
De plus en plus de familles connaissent une situation socio-économique difficile. Cela joue-t-il un rôle?
Jean-Yves Hayez. Nous vivons dans une société où la disponibilité des parents, leur présence envers leurs enfants, tant en quantité qu'en qualité, diminue. Une société consumériste, qui favorise l'individualisme. Il y a moins de sollicitude de la part des adultes envers les gens en difficultés. Il faudrait réapprendre cette sollicitude envers les plus fragiles de la société, entre autres les enfants.
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