Beaucoup d'adolescents mettent à profit ce passage de leur vie pour « travailler » leur identité : celle qu'ils construisent et se reconnaissent ; celle qu'ils aimeraient avoir ; celles qu'ils montrent, qu'ils exhibent parfois, qu'ils partagent avec leurs cops et qui leur sert souvent de ticket d'entrée dans les groupes ; celle qu'ils opposent à leurs parents aussi ... .

Ces remaniements peuvent être profonds ou superficiels, tumultueux ou discrets. Ils ne sont pas nécessairement immuables : Jacques Brel nous le disait déjà dans sa belle chanson « Les bourgeois ».

Par quels mécanismes mentaux y procèdent-ils ? Pas si simple à énumérer ! Ils réfléchissent beaucoup sur ce qu'ils sont, et essaient de modifier tous seuls, spontanément, certaines parties de leur manière de penser et de se comporter. Ils observent les autres de leur âge, s'écoutent réciproquement, et se transforment aussi à partir des idées et des valeurs de leurs pairs. Autant pour des « modèles » qu'ils se sont choisis, même dans le monde adulte. Ils s'affrontent intellectuellement à leurs parents et mettent à distance certains de leurs conseils et de leurs valeurs ... .

Internet, et d'autres moyens de communication contemporains ( portables, etc.) constituent de puissants instruments qui facilitent et amplifient ce travail de « labourage » et de reconstruction de l'identité. En voici trois illustrations :
 

---- - Internet est « super utilisé » par les jeunes comme moyen de communication. Sur les réseaux sociaux,sur les forums, sur les blogs et dans les chatts, ils peuvent rencontrer une foule d'autres de leur âge, connus ou inconnus, avec qui ils partagent librement des opinions, même intimes. L'ambiance de base est à la tolérance et au respect de l'autre. Les milliers de stimuli intellectuelles et affectifs échangés les aident beaucoup à repenser ce qu'ils sont. Ils peuvent même avoir des conversations intergénérationnelles, avec des adultes non pervers qui leur disent leurs idées intimes et n'y jouent pas de rôle et cela les interpelle également. Évidement, la liberté de dire n'importe quoi n'est pas totale, il existe des modes, il existe de véritables « tribus » qui partagent la même culture ( les dix copains et copines avec qui on se retrouve sur les mêmes blogs, sur MSN, par portable ... et dans la cour du lycée ). Mais bon, on a quand même le droit de penser, même si tout groupe pousse à un certain conformisme.

---- - Internet permet d'exposer publiquement des parties intimes et profondes de soi, celles qu'avant, on confiait au journal intime et qui sont maintenant racontées et montrées en images, par ex. sur les blogs. On parle à présent « d'ex-timité » - pour désigner ce processus paradoxal où l'on prend le risque que l'intime soit diffusé à tous les vents, éventuellement sous le couvert d'anonymat. La réaction des autres - les com ( commentaires ) - est attendue avec avidité, et incite aussi à réfléchir et à réélaborer ce que l'on est. Il faut remarquer le rôle de plus en plus grand que prennent l'œil et l'image dans cette « démonstration de soi ». On se raconte toujours avec des mots, oui, mais on montre au moins autant ce que l'on est par des images, photos de soi de soi, images retravaillées par les techniques numériques, images poétiques, images d'événements qui ont frappé ... .

---- - Enfin, Internet permet de faire de franches expérimentations autour de l'identité : dans le patchwork des dimensions de soi qui le constitue, lui comme tout être humain, l'adolescent peut aller et venir, extraire tel « morceau choisi » pour le sentir vivre et l'exposer aux autres : le voici donc qui ouvre, avec des pseudo différents et le plus souvent évocateurs, trois blogs différents. Il se balade aussi dans les chatts, ou dans ses jeux vidéos multiplayers, sous le couvert d'identités variables : jeune ou vieux, révolté ou poète, mage ou guerrier, porteurs d'intérêts opposés, parfois même fille ou garçon : ce n'est pas qu'il veuille « tromper les autres », mais il aime jouer avec des parties différentes de son soi, les palper et les délimiter, les goûter, rêver un peu ... et aussi, observer comment les autres y réagissent. Petit à petit, il fera ses synthèses, privilégiera telle ou telle de ses manières d'être, et abandonnera les autres au portemanteaux de la vie, comme des habits dépassés.

... Il y aurait encore tant de choses à dire, mais le rédac chef m'impose la limite cruelle d'une page .