Première partie :les signes

         §I. Définitions 

  • A. « Deuil » désigne l’état nouveau et mouvant des affects, des représentations mentales et des comportements, provoqué par la mort d’un être aimé et par son contexte, avant et après.  

     « Faire son deuil normalement » désigne le travail mental effectué, ici par l’enfant[2], pour se représenter de façon acceptable la mort, et soi-même sans celui qui est mort, réduire et intégrer la souffrance de l’absence et se donner le droit, finalement, de réinvestir la vie sans renier le défunt.


Quand il y a deuil compliqué, la réaction intérieure et comportementale est plus intensément ou/et plus longuement pénible que dans le deuil normal, pourtant déjà marqué par une étape de souffrance.      
Quand une telle désorganisation existe de façon durable et parfois définitive, on dit que le deuil est pathologique. Beaucoup plus rarement le deuil pathologique peut être bref, dans le décours proche du décès, et aboutir à un geste extrême (suicide, meurtre…).

Déclarer qu’un deuil est compliqué ou pathologique repose en partie sur la subjectivité de l’observateur. Ces états s’étayent probablement sur des fragilités préexistantes de la personnalité. Il existe également assez souvent des influences réciproques entre ce que vit l’enfant et ce que vivent ses proches toujours en vie ;les vécus de l’enfant sont alors soit similaires à ceux de l’adulte ( par exemple, dépression familiale) , soit répondant à l’attente plus ou moins consciente de l’adulte (par exemple,  culpabilité de l’enfant et culpabilisation par l’adulte) , soit en réaction si pas en opposition (agressivité de l’enfant et deuil vite fait chez l’adulte).            

 B. Ces états de deuil sont-ils exclusivement provoqués par la mort physique d’un être investi ? 

Non ! On peut les retrouver, identiques dans leur structure et leur expression, chaque fois que l’être humain vit une séparation- voire d’autres modifications du lien- comme une mort, c’est-à-dire comme une perte irréversible. C’est le cas lors de certains déménagements, ou lors de séparation parentales, surtout lorsque l’enfant sent inexplicablement abandonné par un parent jusqu’alors (très) positif qui décide de refaire sa vie loin du foyer familial initial.

Ce peut encore être le cas en référence, non pas à un départ matériel, mais à la certitude chez l’enfant qu’ il a définitivement perdu son statut de petit prince ou petite princesse choyé(e), parce qu’un autre a pris sa place.


ILL :Philippe, douze ans, est devenu dysthymique depuis l’âge de deux ans et demi, avec des épisodes de dépression majeure surajoutée et nécessitant son hospitalisation. Enfant très sensible, il est soumis dans le quotidien à la préférence discrète de sa mère pour ses deux sœurs cadettes. Il avait environ deux ans à la naissance de la première, et était confié jusqu’alors à la garde de ses grands-parents pendant la journée : la petite sœur l’y a remplacé et lui, on l’a mis précocement à l’école maternelle ...  un de ses symptômes les plus tenaces est une immense tristesse à l’école. Le père essaie bien de s’occuper beaucoup de lui, mais ça ne fait pas le poids : l’enfant est en manque de sa mère.   

§ II. Principaux pôles du deuil pathologique. 

J’emploierai le terme « vécu » pour désigner les composantes du deuil pathologique : vécu dépressif, vécu anxieux, etc. Par « vécu », il faut entendre l’ensemble logiquement structuré des émotions, représentations mentales, idées et comportements exprimant un état du moment de la personnalité comme la dépression, l’angoisse...A noter que:      
- Ces différents vécus ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Ils sont susceptibles de coexister et de se compléter, à l’instar des taches d’un tableau impressionniste.
- Tous ces vécus peuvent faire partie du processus de deuil normal, mais alors transitoirement et avec une intensité modérée. C’est seulement leur longue durée et leur exacerbation qui fait penser -avec prudence- que le deuil pourrait être compliqué ou pathologique. 

I. Le vécu d’apparente impassibilité

Certains enfants sont capables d’un refoulement - voire d’un déni – puissant et durable de ce qu’a été le lien avec le défunt, comme si celui-ci n’avait jamais existé :plus de représentations mentales ni de questionnements pénibles autour de sa disparition : dans le champ des émotions, ils se montrent froids et impassibles.; ils n’évoquent jamais ou quasi jamais le nom du disparu, les circonstances de sa mort, et ce qu’était la relation avec lui. Autour d’eux, on ne l’évoque jamais non plus, l’attitude de ces enfants étant largement en miroir avec celle de l’entourage.

Sur le plan comportemental, ils vivent un quotidien sans joie . On assiste à une certain dessèchement de leurs projets, de leurs relations aux autres et de leur expressivité émotionnelle. Ils deviennent de plus en plus des enfants solitaires et opératoires - au sens de la pensée opératoire[3] -.

 
Pourquoi être préoccupés par cette manière de réagir à la mort ? Parce  que, pour maintenir le refoulement, le système défensif de l’enfant déborde dans d’autres domaines    : par exemple, l’enfant inhibe sa curiosité intellectuelle, la créativité vagabonde de sa pensée ... il ne prend plus le risque de communiquer, ni celui de vivre ses émotions dans la relation à autrui, puisque, une première fois, ça l’a conduit à la souffrance de la perte, et que, pour survivre, il a dû tout évacuer de son champ de représentations.

II.A l’inverse, beaucoup parmi les enfants dont le deuil est pathologique restent trop longuement envahis par des pensées et des affects pénibles.         

Sans que ces thèmes soient exclusifs les uns des autres, ces émotions et représentations mentales difficiles portent en proportions variables sur : la perte, l’absence, le manque ... la possible agression de soi ... les fautes que l’on a peut-être commises ... l’indignité qui pèse sur la famille. Ces enfants sont donc inondés, en proportions variables, par la dépression, l’angoisse, la culpabilité, la colère ou/et la honte.

A. Il y a d’abord le vécu de manque, d’abandon ; la grande tristesse, la dépression 

  • -Certains, surtout les grands enfants et les adolescents, restent longuement fixés à cette toute première phase du travail du deuil qu’est la souffrance de la perte, la douleur morale ressassée autour de l’absence de l’être aimé, incompréhensible pour le cœur. Etat dépressif parfois bruyamment manifesté, plus souvent vécu dans l’isolement farouche, avec mise à distance agressive de ceux qui essaient de s’approcher, comme s’ils pouvaient voler ce trésor douloureux de la souffrance entretenue pour l’absent. 
  • -Cet état dépressif comporte souvent des signes cliniques peu spécifiques : troubles de l’alimentation et du sommeil ; douleurs migrantes ; perte d'intérêt pour les projets de vie ; incapacité de trouver du plaisir autour de soi ; manque de tonus, laisser-aller et chutes de toutes les performances, etc. D'autres régressent plus ou moins intensément vers une manière « bébé plaintif » de se comporter. De la sorte, ils demandent encore amour et pitié, en abandonnant les dimensions les plus mûres et les plus autonomes de leur développement. 
  • -Une minorité de ces enfants dépressifs génèrent franchement, à l’avant-plan, une ambiance de « protestation agressive douloureuse » : celle-ci s’adresse au(x) parent(s) survivant(s), aux personnes de substitution, en lieu et place du mort, à l’éventuel partenaire qui a remplacé le conjoint disparu, etc. J’y reviendrai quand je décrirai le vécu agressif. 
  • -il arrive même que l’enfant continue à parler avec le mort, non pas transitoirement - ce qui peut constituer un processus de santé, préparant des incorporations positives - mais interminablement, souvent secrètement comme à un voyageur qui pourrait bien revenir : la dernière étape du déni de la réalité externe de la mort n’est pas tout à fait franchie, du moins chez les plus grands, mais on n’en est pas très loin !  

Chez les plus petits, par contre, le pas peut être franchi et l’enfant attend, avec une obstination farouche, le retour d’une maman qui ne peut être partie qu’en voyage, au village voisin. L’âge aidant - mais cela peut prendre deux ou trois ans - l’enfant comprend, dans la solitude, qu’elle ne reviendra jamais ... on le voit alors refouler tout ce qu’il se représente, comme les enfants de la catégorie précédente, ou commencer seulement, avec beaucoup de retard, ce qu’on appelle un deuil différé.

  • -Pour d’autres de ces enfants dépressifs, grande sera la tentation de s’anéantir ... ou de rejoindre le mort là où il est et de s’identifier, non pas à des traits positifs de la personnalité du mort, mais à la défaillance même qui a conduit à sa disparition : on les verra donc moins se protéger, et collectionner maladies, chutes et autres accidents.

 Ces jeunes très tristes peuvent-ils franchir le pas supplémentaire de la tentative de suicide, voire du suicide réussi ? Oui, probablement, pour quelques-uns qui n’ont pas laissé de lettre d’explication, mais cette éventualité reste rare. 

 Pour ce que j’en connais, le comportement suicidaire est davantage lié à la séparation parentale ressentie comme un abandon, ou à la souffrance de la passion amoureuse. Relisez à ce propos le beau livre de Jean-Denis Bredin « Un enfant sage » (1990). Ce pré adolescent finit par marcher dans l’océan pour mourir noyé - bien beau symbole pour dire qu’il va enfin retrouver sa mère dans le liquide premier-.      
Dans mon expérience professionnelle, deux suicides d’adolescents de plus de 15ans, très probablement liés à leur sentiment d’ abandon. Et une histoire extraordinaire de passion amoureuse : deux adolescents de 14 ans se pendent à 8 jours d’intervalle, parce que leur amant adulte avait été récemment arrêté (un pacte?). N’oublions pas non plus  ces grands enfants d’Amérique latine qui se pendent dans les mois qui suivent le départ brutal et sans explication de leurs parents pour l’immigration.Plus près de nous, dans nos collèges, quelques jeunes adolescents (e)s finissent par se pendre au terme de cruels harcèlements scolaires et sur les réseaux sociaux, vécus dans la solitude : au moins autant que l’humiliation publique c’est  la perte qui les  pousse au désespoir : perte du statut social d’ado « normalement » respecté et surtout perte de vrais ami(e)s qui ont trahi pour passer dans le camp des agresseurs !

B. Le vécu de culpabilité

Il est assez fréquent, et souvent intriqué avec de la dépression et de l’agressivité. La dépression a ici une nouvelle nuance :ce n’est pas tant « Tu me manques atrocement » que « Je suis tellement triste de t’avoir fait du tort ». Pour plus de détails concrets, Je vous invite à lire, sur mon site web l’article             Deuil difficile chez Caroline et Gautier   Il raconte l’histoire de deux enfants, difficiles au moment du grave cancer de leur mère, qu’ils n’avaient pas enregistré, et ce qui s’en est suivi après sa mort.

  1. Les principaux facteurs qui déclenchent la culpabilité 
  2. La culpabilité est fréquemment liée à l’analyse que l’enfant fait de son mauvais comportement, dont il redoute qu’il n’ait altéré la santé du futur défunt. …il peut aussi penser, plus simplement, que le défunt l’aime moins au-delà de la mort, parce qu’il a été un enfant difficile. 

Ou alors, l’enfant se reproche d’avoir demandé- ou été à l’origine d’- un dernier geste qui a été à l’origine du drame fatal : enfants qui se chamaillent à l’arrière d’une voiture, conducteur qui se retourne et perd le contrôle de son véhicule ; ou-encore plus délicat- : le comportement difficile d'un jeune adolescent exaspère tellement son père que, faute de vigilance, celui-ci tombe d'une échelle ... ou  un infarctus mortel suit de près une altercation.

 Souvent, ce vécu de culpabilité est non fondé, en tout cas pas avec l’intensité qu’il revêt, faute de projet stable et profond de nuire gravement et à fortiori de tuer. On pourrait prévenir la cruauté de sa survenance en étant attentif à la manière dont on stigmatise les responsabilités de l’enfant dans la vie quotidienne ( pas de « Tu me tues ...  tu m’épuises ...  tu me rends malade »).

Dans un registre analogue, mais devenu rare au XXIème siècle, il y a l’enfant dont la naissance a provoqué la mort de sa mère parturiente. Le secret à ce propos est le plus souvent éventé, et l’enfant doit en outre faire face aux sentiments le plus souvent ambivalents de ses proches à son égard.

  • -Plus rarement, l’on peut ne pas douter de la responsabilité contributive d’un grand enfant ou d’un adolescent, particulièrement dur ou haineux, dans l’aggravation d’une situation qui a prédisposé à la mort (maladie, découragement et diminution de l’autoprotection) ; de telles implications doivent être repérées et les jeunes concernés aidés à retrouver l’estime de soi sans pour autant dénier leur part de responsabilité.

En voici une illustration qui concerne un tout-petit et qui va probablement jusqu’au meurtre volontaire…ou à l’acte manqué mortifère :            
 ILL. Noémie ( quatre ans et demi ) déteste depuis toujours Mathieu ( quinze mois ) Un après-midi où les deux petits sont laissés seuls dans une grande chambre qui sert aussi de salle de jeux, la maman retrouve Mathieu étouffé sous son berceau et ses couvertures renversées, et Noémie prostrée dans un coin, qui se balance en répétant plaintivement « pas bobo ... pas bobo » Surtout chez des enfants d'âge préscolaire, lorsque la jalousie est forte, le désir de mort peut parfois donner lieu à des actes agressifs, jusqu’à être intentionnellement éliminatoires du bébé haï. Le plus souvent, le hasard sauve l'enfant agressé de la mort, car les forces et l'habilité de l'agresseur ne sont pas bien grandes. Mais de loin en loin, le drame arrive.

Difficile à accepter par l'adulte, parent et professionnel. Celui-ci se représentera plutôt que l’auteur du drame ne savait pas ... ou n'avait pas compris l'irréversibilité de la mort ... ou a été complètement débordé par ses impulsions. Il en va parfois ainsi, et parfois pas : il se peut qu'il y ait bel et bien eu une programmation, de durée brève certes, mais programmation quand même !
Ici aussi, il est essentiel d'aider avec délicatesse l'enfant agresseur à exprimer tout ce qu'il ressentait. On peut manifester de l'empathie pour son vécu, mais aussi lui parler du tabou du meurtre, de la faute qu'il a commise quand c'est le cas et de l'interdiction de récidive. On peut enfin lui donner l'occasion de réparer d’une manière ou d’une autre.

  • - Cette culpabilité est encore générée par la croyance qu’a l’enfant, ici souvent bien jeune, dans la toute-puissance de sa pensée magique  ; au nom de celle-ci, il attribue un pouvoir réel au fait qu’il a pu désirer la mort d’un frère , par exemple déjà un grand malade, ou d’un parent rival. Il ne fait pourtant rien d’actif pour…il le pense seulement…mais si cette mort survient, la culpabilité peut être très forte, ici couplée à de l’angoisse aigue (loi du talion). 
  • - Une culpabilisation tout aussi cruelle peut porter sur le fait d’être le survivant d’un drame ; c’est le thème magnifiquement mis en scène, dans le film toujours d’actualité « Ordinary people» 

 

Mary Tyler Moore et Timothy Hutton,       la mère et le fils, dans le superbe film Ordinary People (1980, Robert Redford.) Conrad ( dix-sept ans ) sent bien que sa mère lui en veut d'avoir survécu à Bud, son aîné, mort noyé lors d'une sortie en mer des deux garçons. Il s'en suit une mauvaise image de soi et une longue dépression jusqu'à la tentative de suicide. 

  • L’enfant peut enfin se sentir coupable d’être en partie soulagé du décès d’un frère ou d’un parent qui ne l’aimait pas ou qui prenait toute la place. IL peut se sentir coupable de recommencer à vivre, de reprendre pleinement sa place dans la société, alors que son parent, lui, n’a pas encore fait son deuil et voudrait le voir, lui, en compagnon triste et en enfant-consolateur[4]. 
  1. Les signes cliniques de la culpabilité 
  • -Quand la culpabilité n’est pas refoulée vaille que vaille, elle ronge le monde intérieur de l’enfant sous forme de « mauvais souvenirs » et de pensées et de questions pénibles : elles le convainquent de ses fautes, de son indignité, de sa non-valeur ; elles lui font redouter le jugement négatif et l’agression en retour par autrui(angoisse liée). Il peut exprimer par bribes et morceaux qu’il est moche, incapable, méchant…en se centrant sur des événements contemporains, voire en évoquant ses souvenirs (p. ex., avec un psychothérapeute). 
  • -Une dépression est souvent liée à la culpabilité. Même si, comme dit plus haut, sa raison d’être est différente de la dépression des enfants souffrant centralement du manque, les signes cliniques peu spécifiques sont les mêmes et ont été décrits au pôle précédent. 
  • -Autoagression et autopunition : Parfois, l'enfant se sent tellement mauvais, définitivement peu digne d’amour, qu'il désire se punir activement et répétitivement : il y œuvre via des comportements dont il n'est pas toujours facile de déterminer s'ils sont volontairement programmés ou non. En tout cas, leur répétition devrait finir pas inquiéter : blessures accidentelles ou automutilations, démolition de biens personnels, ruptures de liens, échecs de projets, etc. Chez les plus âgés, Il y a aussi les comportements d'anesthésie et d'autodestruction via de bruyants « étourdissements » répétés et via la consommation d’alcool ou de drogues ... il y a enfin, beaucoup plus rarement, des tentatives de suicides ou des suicides.

 

  • -Comportement négativiste. Il est souvent intriqué à l’autopunition…ce sont approximativement les mêmes symptômes, qui peuvent donc avoir les deux significations: de mauvais humeur, irritable, en conflit dur avec l’autorité, il se coupe des autres, s'ingénie à les blesser et à les agresser ; il désinvestit aussi tout projet positif ( entre autres, l’école), cherche à décevoir et même à détruire. Il reçoit en retour rejet, insultes et punitions, face auxquelles il joue l'ind[5]ifférence. Jeu dangereux car en fait, on entre dans un cercle vicieux infernal, où l'enfant se sent encore plus coupable de se montrer si méchant et de perturber la vie des autres. 
            
    C. Le vécu agressif 

Je ne reviendrai plus sur ce que j’ai déjà décrit de la protestation agressive douloureuse de certains enfants déprimés, ni du négativisme et de l’auto-agression liés à la culpabilité.

 

  • -L’agressivité de l’enfant peut s’adresser au défunt, pourtant décédé d’une mort ordinaire, mais c’est souvent transitoire et chargé de culpabilité. On le voit surtout chez des petits enfants qui pensent tout un temps que leur maman décédée est partie et a voulu les abandonner. Mais il n’est pas difficile de leur remettre délicatement les idées en place.
    On trouve parfois aussi le même vécu transitoire chez de jeunes adolescents, avec toute l’émotivité et l’irrationalité dont ils sont capables face à un défunt auquel ils étaient très attachés[6] (ami, frère, parent...) ( « Pourquoi m’as-tu fait ça? »)  .
    Ce qui est beaucoup plus fréquent, ce sont les comportements de colère froide durable qui font suite à la séparation conjugale et au départ du foyer d’un parent qui comptait beaucoup pour l’enfant ou l’adolescent. Celui-ci se sent abandonné, éventuellement au profit d’autres, et son refus de contact peut être très profond et durable.    

 

  • -L’agressivité de l’enfant, et encore plus de l’adolescent, peut encore se diriger vers le parent survivant, surtout si c’est le parent le plus aimé qui est décédé ou s’il a l’impression que le survivant a manqué à ses devoirs (affection, soins) envers le disparu.
    Si on lui propose un parent de substitution , nouveau partenaire du parent survivant ou non, ce « remplaçant » peut longuement récolter le refus si pas la haine de l’enfant et doit déployer des trésors de délicatesse pour peut-être l’apprivoiser. Ces phénomènes sont au moins aussi fréquents lors des simples séparations parentales. Je vous invite à revoir à ce sujet le magnifique film de C. Saura, Cria Cuervos,(1976) avec la tentative avortée d’assassinat de la tante, qui avait recueilli les fillettes après la mort de leur mère.

 

  • - Il existe enfin quelques cas d’une gravité exceptionnelle, où s’est mise en place chez l’enfant une haine tous azimuts.

 Je pense à Salim (10 ans) : il était le préféré de sa maman, qui a été tuée lors des attentats de Bruxelles (mars 2016). Depuis lors cet enfant, déjà une peu dominant auparavant, mais retenu par sa mère, entame une carrière psychopathique qui fait froid dans le dos :  en rupture de tous ses liens sociaux, c’est un loup solitaire qui multiplie les conduites dangereuses, dont les coups de poing facile ne sont encore qu’une expression bénigne. Il ignore son père, tout comme les consignes des éducateurs de l’institution où il a été placé.

Dans le film Un bon fils, de Joseph Ruben (1993), on voit un pré adolescent chez qui a grandi lentement une perversité haineuse, sans limites, intelligente et bien dissimulée. Il n’avait jamais accepté la naissance de son puîné, qui lui avait fait perdre       
son statut d’enfant unique prince choyé. Le petit avait même reçu en cadeau le doudou préféré du grand. Celui-ci avait commencé sa carrière en tuant le petit, sans attirer l’attention sur lui. 

  • -Et lorsqu’un parent s’est suicidé ? Les secousses qui s’ensuivent dans le vécu des enfants mis au courant sont nombreuses et multiformes :
    - Une dimension d’agressivité s’exprime assez fréquemment, mais elle est souvent teintée d’ambivalence ( il reste aussi de l’amour pour le suicidé), et encore plus , de culpabilité et de dépression («  Je n’ai pas su le retenir en vie ! »)[7]

-Cette dépression                culpabilisée                            est parfois telle que l’adolescent se fait payer son incompétence en      « endossant le costume » du disparu : sur cette base, un de mes jeunes clients est devenu gravement alcoolique dans les deux ans qui ont suivi le suicide de son père marginal

D.  Le vécu anxieux 

Sauf les fois où il est associé à la culpabilité (peur de la retaliation), le vécu d’anxiété lié à une mort est plus inconstant à l’état isolé, et encore plus s’il s’avère durable, signe d’un deuil pathologique. En voici quelques exemples : 

  • - Là où les circonstances du décès ont été répertoriées comme traumatismes psychiques, il peut s’agir, dans un premier temps, des réminiscences incoercibles typiques du syndrome de stress post-traumatique, qui se prolongent par la suite en phobies liées à certains lieux et circonstances précis. Pensons, par exemple, aux enfants témoins ou associés d’une manière ou d’une autre à un assassinat ou à un accident violent , à une agonie particulièrement spectaculaire , à la découverte inattendue de leur père pendu, etc. 
  • - Plus fréquemment, il y a l’angoisse de l’avenir : voir mourir l’autre parent, être abandonné par lui ; se trouver seul, sans protection, sans moyen de subsistance, parce que la mort d’un premier parent prouve que ceux-ci ne sont ni tout puissants, ni immortels.  

ILL La maman de Clara (2 ans) meurt inopinément en rue ; la petite fille en est informée avec délicatesse, mais clairement. Quasi-immédiatement, sans faire référence à sa maman, elle se colle à son papa, qui ne peut pas s’éloigner d’elle sans crise de larmes ou d’angoisse. Elle ne fait cependant pas d’histoires pour aller dans sa classe maternelle, dont elle aime beaucoup l’institutrice.4 ans, quand je suis consulté, elle commence à poser beaucoup de questions sur l’absence de sa maman, est convaincue qu’elle va revenir, et accepte très mal la nouvelle compagne du papa. 

  • - Il y a encore la peur souvent secrète d’être malade puis de mourir comme celui qui est mort. Les déterminants de cette peur « analogique » tiennent parfois - au moins partiellement - à des malentendus cognitifs, à des restes de pensée magique apparemment ténus : tel enfant ne sait pas exactement de quoi est mort l’être cher qui l’a quitté, et il a peur que ce soit contagieux : ex., la mort subite  ou le cancer d’un petit frère, « qui pourrait s’attraper »….on a dit à l’enfant que sa grand-mère s’était endormie pour toujours, et l’enfant a peur de s’abandonner au sommeil. Un autre exemple, c’est celui des enfants - grands enfants ou adolescents - de malades mentaux qui se sont suicidés , et à qui on dit, à la moindre frasque, qu’ils sont aussi fous ou aussi mauvais que le disparu. 
  •  E. Le vécu de honte.

Ce vécu se rencontre lorsque l’enfant croit comprendre que la mort d’un proche a été infamante et/ou que sa famille en reste stigmatisée. C’est parfois pur fantasme imaginaire de sa part mais pas toujours, particulièrement dans les petites communautés de vie où tout se sait et où l’on ne manquera pas de « faire savoir que l’on sait » ; pas facile, alors, d’affronter le regard des autres au collège quand on est fils ou la fille d’un malade mental suicidé, d’un alcoolique emporté par sa cirrhose, voire d’un parent tué par l’autre… 

 

Deuxième partie : prévention et prise en charge ;processus général

 

  • I. Prévention primaire, préalable au décès

     


Je vous épargne les considérations les plus générales, qui reviennent à dire que l’enfant gagne vivre dans un milieu aimant , protecteur, qui facilite un dialogue respectueux de chacun, etc.

De façon plus ciblée sur ce qui va nous occuper dans ce texte, sa famille et son entourage peuvent veiller à :        

  - Stimuler l’enfant à acquérir de l’autonomie. L’autonomie, c’est autre chose que la débrouillardise, qui n’en n’est jamais qu’un des signes, au niveau exécutif. L’autonomie c’est avoir appris à penser personnellement, à faire des plans personnels en ayant confiance dans leur valeur, à résoudre personnellement un problème et à exécuter des tâches choisies par soi. L’autonomie de la pensée n’exclut pas que, dans bien des circonstances , l’enfant demande un peu ou beaucoup d’aide à l’entourage, mais il le fait au terme d’une analyse personnelle de la situation. On voit bien, sur le terrain, que certains parents encouragent et accueillent l’autonomie de leur enfant, alors que d’autres entretiennent sa dépendance.


  - Promouvoir une éducation morale où l’on amène progressivement l’enfant à distinguer clairement ce qu’est le Bien et le Mal ; lui inculquer un sens vrai et nuancé de la faute, que l'on ne devrait évoquer que lorsqu’ existe une intention destructive égoïste.       

  - Accepter une. confrontation « naturelle » de l’enfant à la mort, celle des végétaux, des animaux et des humains, au hasard de l’existence…construire avec lui un « savoir sensible commun » autour de la vie et de la mort. 


   - Annoncer la mort (quasi-) certaine et à court terme d’un proche ?

 La question s’avère parfois délicate.(p.ex., enfants très jeunes, ou réputés hypersensibles et très attachés au mourant…).


En règle générale, il vaut mieux que la confrontation à une mauvaise nouvelle inéluctable mais prévisible, soit « préparée » un peu à l’avance pour atténuer le choc traumatique au moment de l’ultime confrontation.
Mais pas trop longtemps non plus ! On gagne à protéger comme on peut la sérénité des enfants, surtout les plus jeunes et les plus sensibles !Si l’on pense - toujours un peu aléatoirement - que l’on atteint la dernière semaine de vie d’un proche en phase terminale, le moment est sans doute venu de partager avec le tout-petit l’idée que l’on est très préoccupé par la santé du grand malade. Si le tout-petit pose lui-même la question de la mort, on ne peut pas l’éluder. Et s’il ne le fait pas, il faudra quand même en prendre l’initiative vers la fin. Plus l’enfant grandit, plus les délais peuvent être allongés.


Faut -il amener l’enfant faire l’une ou l’autre visite d’adieu ? Réponse au cas par cas, en se laissant guider d’abord et avant tout par le souhait du mourant et par celui de l’enfant. A noter qu’une visite supposée être d’adieu ne doit pas nécessairement être nommée comme telle, mais qu’on ne peut pas l’exclure non plus, notamment avec de grands enfants et bien sûr, si le mourant est lucide et consentant. Enfin, s’il s’agit de tout-petits enfants, on peut prendre des dispositions pour que leur visite soit positive, mais brève.

 

      

  • II. Reconnaître à l’enfant le droit de faire son chemin de deuil personnel.

A. Chemin en concordance avec son histoire de vie, sa personnalité, la nature de ses relations avec la personne décédée, la culture de sa famille…

En nous méfiant des idées standard à ce sujet ! C’est bien désespérant pour l’enfant s’il pressent que sa manière de souffrir aujourd’hui n’est pas celle qui est attendue, et qu’il s’en culpabilise.

C’est dans cette ambiance de respect que l’adulte[8] se poser et poser à l’enfant la question de sa participation aux rites funéraires, aux visites au cimetière, etc., participation qui n’est pas un tout ou rien : « Qu’est-ce que tu crois qui te ferait le plus de bien, accompagner, ou rester à la maison ? »

 Les standards contemporains affirment que la participation de l’enfant est souvent bénéfique ; c’est probablement vrai pour beaucoup d’enfants, mais pas pour tous….il reste des très anxieux, des très émotifs, des très fâchés pour le moment qui ont besoin de  rester (tout un temps) à distance…Qu’on leur reconnaisse ce droit, en précisant qu’ils ne sont pas de mauvais enfants pour autant et qu’ils n’offensent pas ni le mort, ni la famille : il y a mille façons personnelles de rester fidèles….ou d’épuiser lentement sa colère.

 Le mieux, c’est donc d’être là, près de lui, indéfectiblement présent, dans l’accueil et la discrétion, et, s’il l’accepte en partageant avec lui idées et émotions, comme nous le détaillerons tout de suite.  

     



B. Mais comment réagir lorsque l’on est préoccupé par certains signes qu’il présente, comme le silence, l’irritabilité ou une tristesse bien visible permanentes, voire une régression spectaculaire ?       

Prendre patience ; ne pas le critiquer ; avoir en soi l’espérance que la vie refera lentement son chemin chez lui et lui en faire part.

Il est souvent bénéfique que l’adulte se révélé soi-même dans son ressentit, mais discrètement, sana vouloir faire la leçon,  face à l’enfant qui ne parle plus 

Eventuellement, tout en acceptant son chemin deuil à lui, on peut se différencier de ses idées les plus inobjectives et les plus cruelles pour lui  ; en visant à dépasser un peu sa stagnation présente, on peut lui proposer délicatement des alternatives à ses idées (« Tiens, moi je ne vois pas ça comme toi… »), voire à certains comportements (« Et si tu réinvitais ton copain Noah ? »), mais sans lui faire violence s’il ne les adopte pas tout de suite.


  • III. le partage des idées et des émotions vécues autour de la mort

 Schématiquement, j’en distingue trois aspects : l’adulte s’exprime personnellement, il écoute l’enfant et, en résonance aux questions et préoccupations de celui-ci, il donne son opinion subjective ou l’informe à bonne dose (souvent modérée) ; il se construit ainsi un « savoir partagé ».

A. l’adulte s’exprime sur son deuil et le fait évoluer

  - Une expression verbale sensible peut prendre place en maintes occasions, et c’est souvent tout bénéfice émotionnel pour lui ! Pensons plus spécifiquement ici à toutes les fois où il le fait en présence de l’enfant ou/et en le prenant comme interlocuteur :

- A travers le chagrin, la colère et le cheminement des pensées de l’adulte, l’enfant peut comprendre combien le deuil est une réalité « naturelle », que chacun gère avec ses ressources propres.

- L’adulte peut aussi spontanément exprimer des idées pour lui, mais qui aident l’enfant à se refaire une idée un peu différente de l’existence, où la mort a sa place.

-Enfin, la parole de l’adulte peut apparaître à l’enfant comme une invitation à s’ouvrir, à se libérer, à exprimer son propre chagrin, à le partager, à recevoir et à donner du soutien.        

Cet apport positif suppose bien évidemment que l’adulte fasse un travail de deuil normal !S’il est lui-même prisonnier d’une tristesse interminable, si toute la maisonnée est amenée à vivre définitivement et intensément sous le régime du deuil, le disparu idéalisé devient un fantôme étouffant, qui empêche de s’ouvrir à la vie.

  - Concomitamment à l’expression verbale, il y a les actes. Dans le deuil normal, spontanément ou en se forçant un peu, l’adulte redonne place à la vie dans la maison. On peut de nouveau rire, écouter de la musique, avoir des projets positifs. Le mort ne passe pas pour autant aux oubliettes, il reste présent dans les cœurs, mais il n’est plus évoqué explicitement qu’occasionnellement : la vie reprend ses droits !

B. On écoute l’enfant et on décide avec lui 

  - Ecouter ce qui se crie ou se balbutie spontanément, et aussi provoquer délicatement l’expression d’une question, d’un affect, d’une idée ; et encore, faire des hypothèses prudentes, à partir d’indices dans le comportement, et saisir un moment opportun pour en évoquer une possible signification…

 Parfois, un échange verbal direct s’ensuit ; d’autres fois, parce que l’inhibition est plus forte ou que l’intelligence du Réel se fait encore par le travail de l’imagination, c’est dans des dessins, des jeux, des histoires qu’on lui raconte ou que l’on construit ensemble, que l’enfant comprendra et livrera par petits personnages interposés ses sentiments, ses questions et conflits les plus difficiles ! 

 ILL. Johan ( cinq ans ), se montrait très irritable depuis la mort accidentelle de sa petite sœur, au sujet de laquelle il se faisait probablement des reproches en secret. Il a été spectaculairement libéré de ses tensions après avoir regardé avec sa maman le dessin animé « Roi- Lion » et avoir entendu celle-ci manifester son empathie à Simba, le fils-lion, cause bien involontaire de la mort de son père, s’exilant alors pour vivre des années de dépression et de dénégation.    
La maman de Johan avait su se montrer tendre pour le petit Simba, dire le droit qu’il avait à toujours être aimé, et l’erreur qu’il faisait à se sentir coupable ... Johan en avait tiré tout seul la leçon.

Ce qu’on gagne à « atteindre » avec subtilité et délicatesse et à écouter , c’est souvent ce que l’enfant a le plus de mal à exprimer : pas seulement la tristesse du manque ... pas seulement les thèmes anxieux variés ... mais aussi l’agressivité qu’il ressent, par exemple pour le mort qui l’a lâché ... ou encore la faute qu’il s’attribue et qui a été à l’origine du décès ... ou son angoisse de trop ressembler à celui qui est mort, etc.

  - Dans le décours de l’écoute, il y a les actes. Certaines des verbalisations de l’enfant sont des demandes, explicites ou voilées, pour changer ceci ou cela dans sa vie quotidienne, dans son style de relation aux adultes, dans le type de souvenir qu’il entretient avec le mort…Nous savons bien qu’il est impossible et même non-souhaitable d’accéder à toutes les demandes de l’enfant…De là à les ignorer toutes…  

C. La dimension d’information

 Cette dimension est souvent mal gérée, soit que les adultes se sentent inhibés ou trop prudes, soit qu’ils n’imaginent pas que l’enfant en ait besoin, soit au contraire, qu’ils réduisent le soi-disant partage avec l’enfant à cette dimension d’information, alors trop abondante et, en même temps, trop peu adaptée à la réalité de ce que celui-ci pense et attend.

 En effet, seules quelques informations importantes sont indispensables, parce que l’enfant, spontanément, fait une erreur qui affecte son monde intérieur…: à l’adulte ici à soutenir tranquillement ce qu’il sait ou ce qu’il croit, comme des vérités pour lui, sans faire violence à l’enfant. Après, cette information proposée devrait faire l’objet de vérifications : L’enfant en saisit-il la nature et le sens ? ? Comment y réagit-il ?  

 Voici quelques thèmes qui gagnent à être évoqués :

1. Mettre des mots sur l’existence de la mort et son irréversibilité : le corps tombe sur la terre et cesse de fonctionner pour toujours : il ne bouge plus, ne parle plus, ne sait plus faire de câlins, etc. Et ceci, dès le plus jeune âge : même partiellement incompréhensible, ce message est préférable à l’angoisse de la disparition non-commentée.
Je préfère qu’on ne parle pas d’un voyage mystérieux vers quelque endroit lointain, qui induit chez le tout -petit l’idée du retour. Idem pour la métaphore du long sommeil.
Avant 5ans, 6ans, je n’aborde pas l’idée de l’universalité de la mort, sauf si l’enfant pose spontanément des questions à ce sujet: les tout-petits pourraient se focaliser indûment sur l’idée angoissante de leur propre mort, ou celle d’autres êtres proches. Je reviendrai plus bas sur l’idée d’information simplifiée.     


  

  1. Beaucoup d’enfants se posent et font part de questions « scientifico-philosophiques » qui expriment leur désir de connaissance de l’être humain et du monde, et du sens de la vie au-delà du biologique : Pourquoi meurt-on ? Que sent-on et à quoi pense-t-on quand on meurt ? Souffre-t-on ? Etc. .C’est ici aussi que prennent place des questions d’ordre religieux[9] :

Quand on laisse les enfants exprimer tout ce qu’ils se représentent à propos du sens, on est parfois stupéfait des idées qu’ils construisent pour humaniser et apprivoiser la mort.     

ILL. Ainsi, en Belgique, après les kidnappings, viols et assassinats d’enfants qui ont marqué le mois d’août 1996, j’ai fait une psychothérapie de groupe télévisée avec quelques enfants de huit à dix ans. En évoquant Julie et Mélissa, les fillettes assassinées, ces enfants ont trouvé, tout seuls, que, tout au long de leur interminable agonie, dans la cave où elles étaient séquestrées, Julie et Mélissa se racontaient peut-être des histoires, jouaient aux cartes ou se chantaient des comptines. Ils ont trouvé aussi que, quand on venait les agresser, peut-être seul leur corps était prisonnier, tandis que leur esprit s’envolait comme un petit oiseau, pour venir les réhabiter après coup.

 

 

Julie et Mélissa, violées, séquestrées et laissées mourir de faim par Marc Dutroux et Michèle Martin

3. Les enfants s’enquièrent aussi de la nature de la maladie ou du processus qui a conduit à la mort… Certains s’inquiètent même de mourir rapidement, eux aussi, ou de ne pas se réveiller, par exemple quand on a expliqué la mort comme un très long sommeil…

Il nous faut écouter la composition précise de ces angoisses de mort, et entre autres, affirmer que la mort n’est pas un abandon, une solitude glacée définitive…même s’il devait mourir, par exemple suite à un accident, l’enfant resterait très présent dans le cœur de ses parents et même : «  (pour les petits) Tous les soirs, même sans se voir, on te raconterait encore une belle histoire… »

Plus concrètement encore, dans la toute grande majorité des situations, la vie de l’enfant n’est pas spécialement menacée : la mort n’est pas contagieuse, même si l’enfant le pense parfois, soit par pure angoisse et pensée magique, soit aussi et surtout quand il éprouve une certaine culpabilité.
 Pas plus que la sienne, la vie de son entourage n’est souvent   spécifiquement menacée…Il faudra donc parfois aider l’enfant à distinguer des maladies banales, sans conséquences, et des maladies graves et préoccupantes…les adultes proches toujours en vie sont souvent en bonne santé, forts, et leur mort arrivera dans très longtemps quand ils seront vieux…avant, ils auront tout le temps de s’occuper des enfants présents et de bien les protéger.

En pensant notamment aux tout-petits, avant l’école primaire, je m’assume ici comme tranquillement affirmatif, sans chercher à détailler les probabilités -celles de l’occurrence possible de la mort à tout âge-. Même si ma position peut faire débat et soulever une question éthique, à mon sens, ce savoir construit ensemble, adulte et enfant, doit être un savoir simplifié... Authentique dans son contenu, mais n’incluant pas des détails compliqués, trop abstraits, sans fin, qui dépassent la capacité de compréhension du tout- petit. N’exposant pas non plus les détails les plus angoissants, dont la probabilité d’occurrence est faible, ou qui ne concerneront (très probablement) en rien la vie de l’enfant[10]. C’est exactement comme quand on lui épargne la vision des scènes les plus horribles aux informations télévisées, ou dans les films de fiction. On sait bien que, emporté par son imagination, le tout-petit se focalise souvent sur le plus angoissant de ce qu’il a entendu, transformant une très faible probabilité en disparition certaine de ses parents ou en monstre caché derrière le rideau.

4. Le cas échéant, il faut essayer de deviner et discuter la responsabilité qu’il s’attribuerait dans la survenue de la mort.

  - Dans la majorité des cas,  il n’y est pour rien du tout : nous incluons ici les situations où sa rivalité avec le mort (un frère, par ex.,) voire un désir de mort le plus souvent occasionnel ont pu exister : et donc, parler de l’universalité de l’ambivalence et des désirs de mort, et de leur non toute-puissance. 

  - Il peut arriver qu’il ait été la cause involontaire de la mort, par exemple en provoquant un accident: et donc, l’aider à ne pas confondre causalité et intentionnalité.

  - Pénétrons maintenant dans des zones grises : Le comportement quotidiennement difficile d’un enfant peut-il accélérer la mort d’un grand malade ? Probablement que oui, au moins un peu. L’enfant avait-il pour autant souhaité cette mort dans sa nature profonde et définitive ?Probablement que non…et pourtant, est-ce toujours si absolument certain ???

On peut raisonner avec la même incertitude dans ces quelques situations où une forte rivalité et jalousie entre enfants a été à l’origine d’un acte manqué dramatique ... voire un peu plus qu’un acte manqué (par exemple défaut de vigilance d’un aîné envers un cadet dont il avait la garde )

Après, la culpabilité est souvent énorme et l’enfant devrait bénéficier d’ une aide spécialisée…l’idée générale reste d’écouter, de ne pas chercher à tout prix à nier une dimension de vraie faute…ni non plus à l’affirmer à coup sûr. Le plus important est de rappeler que la capacité de faire une faute fait partie de notre humanité à tous, et que, après coup, le plus important est de se pardonner, de réparer, et de croire à cette capacité que nous avons également tous d’être meilleurs dans notre avenir. Ne dit-on pas que la pire erreur de Judas, c’est d’avoir pensé qu’il ne pourrait jamais, ni se pardonner, ni être pardonné, et de s’être pendu par désespoir ?


5..  On gagne également à évoquer la « normalité » de l’expérience du deuil chez les petits comme chez les grands, deuil que chacun vit avec ses particularités propres     

Le concept peut sembler difficile à expliquer et à faire intégrer par l’enfant ; mais quand on part de sa créativité, il est souvent à même tout seul de raconter ce que peut être le deuil, avec ses mots à lui : « On y pense toujours ... mais moins souvent ... et sans être triste » trouve spontanément Martin ( dix ans ), dans sa psychothérapie de groupe . Simplement suffit- il de reconnaître la valeur de ce qu’il pense !

  • IV. Qui prend en charge l’enfant en deuil ?

L’aide que l’entourage peut prodiguer à l’enfant en deuil est largement fonction de sa disponibilité émotionnelle.

 Comme cet entourage est lui-même en souffrance, il y a intérêt à favoriser son travail de deuil normal. Y contribuent notamment des soutiens sociaux de qualité, émanant d’amis ou de proches moins affectés, des réunions de personnes endeuillées de statut analogue (‘p.ex., parents en deuil) , voire des psychothérapies.

Comme on ne peut pas demander l’impossible à cet entourage au moment où sa souffrance est le plus forte, une sollicitude plus active pourrait s’adresser à l’enfant, émanant de la communauté élargie .

Des séances de psychothérapie conjointe (« entretiens familiaux ») réunissant l’enfant et les adultes survivants de la famille, où l’on s’adresse au moins autant à celui-là qu’à ceux-ci, peuvent avoir une grande valeur de pacification pour tous, par la mise en commun des idées et des émotions.

Une psychothérapie pourrait également être directement proposée à l’enfant, précédant parfois un peu la parole des proches moins disponibles. Mais il est loin d’en être toujours preneur d’un travail individuel, pour des raisons variées (ne pas se sentir mis à nu, ne pas se sentir anormal, vouloir oublier, ne pas vivre honte et stigmatisation, comme le sentent nombre d’ados, par ex., après le suicide d’un parent). Petite astuce : même si l’on s’adresse plus précisément à l’enfant, il n’est pas nécessaire d’exiger tout de suite qu’il y vienne seul : certains ont besoin, temporairement, de la présence d’un familier à leur côté       


Redisons que les professionnels ne devraient jamais se résigner à ce que l’ambiance de la vie quotidienne reste faite de silence inhibé et douloureux. En rencontrant les adultes endeuillés, en les écoutant et en les encourageant, ils devraient travailler à ce que ce soient ceux-ci qui parlent aux enfants dont ils ont la charge, au moins pour une part importante de ce qu’il y a à dire.

Si seuls les psychothérapeutes s’occupaient des paroles importantes, ils n’échapperaient que difficilement au double message : la mort, il faut en parler, mais c’est non représentable et non dicible avec naturel ...

Conclusions

Même si nous devons être sensibles à la détresse de l’enfant, gardons-nous d’étiqueter celui-ci de façon trop stricte comme le poussin blessé, pitoyable et nécessitant un support perpétuel : il pourrait d’ailleurs en remettre pour maintenir le surcroît d’attention qu’il gagnerait de la sorte. A nous de savoir être parfois un peu absents de sa vie, voire un peu durs et exigeants !  
Plus fondamentalement, nous sommes invités à faire confiance à la résilience de nos enfants. Elle est démontrée chaque jour dans le monde par tant d’enfants qui passent par l’horreur, en réchappent puis se remettent à croire dans la vie : résilience des petits Ruandais et de tant d’autres enfants de la guerre, résilience des enfants rescapés des maisons de passe d’Asie et d’ailleurs, résilience de tous ces anonymes, proches de nous, dont l’insouciance s’est soudain brisée contre le malheur, et qui ont dû prendre en main leur destin et parfois celui de leurs jeunes frères et sœurs, voire du parent survivant.    

Tous ces enfants courageux nous crient que l’espérance n’est pas une illusion et nous invitent à donner le meilleur de nous-mêmes à leurs côtés.

 Naissance d'une nation, sculpture de Mario Vos

 

 Notes 

 

[1] Jean-Yves Hayez, psychiatre infanto-juvénile, docteur en psychologie, professeur émérite à la faculté de médecine de l’Université catholique de Louvain. Son site web www.jeanyveshayez.net comporte de nombreux articles sur l’enfance et l’adolescence, à l’usage des parents et des professionnels.

[2] Dans le cadre de ce texte, sans autres précisions, le terme « enfant » est générique et renvoie à tous les mineurs d’âge

[3]

[4]  Application plus moderne, on pourrait évoquer aussi ces enfants qui savent ou devinent avoir été conçus pour donner un jour leur moelle à un frère cancéreux, qui n’en est pas moins mort.        

[5] Bien que les circonstances soient ici exceptionnelles, je vous invite à lire, sur mon site web, la 3e étude de cas de l’article Quand le monde agresse l’enfant : Robin, 7 ans, y a perdu tous ses repères, se montre anxieux et agressif, y compris contre son papa qui vient d’être assassiné et dont il se sent abandonné.

[6] Bien que les circonstances soient ici exceptionnelles, je vous invite à lire, sur mon site web, la 3e étude de cas de l’article Quand le monde agresse l’enfant : Robin, 7 ans, y a perdu tous ses repères, se montre anxieux et agressif, y compris contre son papa qui vient d’être assassiné et dont il se sent abandonné.

 

[7] Pour plus de détails, je vous invite à lire sur mon site web l’article Maladie mentale grave d'un parent

[8] Dans la suite de ce texte, le terme adulte (survivant) désigne d’abord et avant tout la famille proche qui a souffert elle aussi du décès et doit continuer à prendre l’enfant en charge :p.ex., si la maman est décédée, c’est le papa, mais aussi des membres déjà investis de la famille élargie ou chez les amis : grands-parents, parrain, etc. Si c’est un frère, les deux parents sont en principe toujours là…Par extension, toute la communauté où vit l’enfant devrait avoir de la sollicitude pour lui et participer quelque peu aux attitudes décrites ici.

[9] Ce n’est pas mon propos de critiquer les croyances religieuses de certains, leur bien-fondé et les consolations qu’elles sont censées apporter. Toutefois, si les adultes s’y réfèrent , ce ne devrait pas être pour éviter la confrontation de l’enfant - et de soi - à l’inéluctabilité et à la douleur d’une absence, celle du disparu dans sa corporéité. Maintenir une relation spirituelle avec le souvenir d’un mort, ou avec l’être spirituel du mort vivant dans quelque au-delà mystérieux en présence de Dieu, n’empêche pas d’avoir à assumer cette coupure. Attention aussi aux confusions que l’on peut créer chez les tout-petits : « maman est près de Jésus » ou « maman est au ciel », cela ne veut pas dire qu’elle va revenir d’un grand voyage !

[10]  Ce choix de ne pas parler de tout, ne justifie en rien certaines positions phobiques des adultes. Ici, ils cachent à l’enfant des choses qu’il devrait pourtant connaître - par exemple, la grave maladie de sa maman qu’il faut ménager-. Et ils le font pour se protéger, eux, là où ils devraient permettre à l’enfant de se préparer et de s’adapter.