La confrontation des enfants et des adolescents à la pornographie.
Cet article est paru dans Arch. Pédiatr. 2002 ; 9 : 1183-1188. Il a été complètement révisé en mars 2022.
Il est complété par:
-un lien vers un interview publié par l'hebdomadaire Marie-France en 2015: Mon ado, le porno et moi
-et à la fin, le texte d'un autre interview, en 2014, par l'hebdomadaire Dossier familial: « Mon ado consulte des sites porno ».
INTRODUCTION
Les enfants, parfois très jeunes, et les adolescents sont confrontés occasionnellement ou régulièrement à la pornographie, principalement sous forme d'images et de vidéos obscènes commercialisées. " Ils tombent dessus " à l'improviste, par hasard- c’est assez peu fréquent et c’est surtout chez les plus jeunes-ou parce qu'ils les ont cherchées.
J’ en prendrai comme paradigme les images et vidéos qui circulent sur les écrans du web, captées par les ordinateurs, tablettes et autres téléphones portables. Productions émanant d’acteurs professionnels, mais parfois aussi « d’amateurs »- ce pourrait être leurs parents !- et parfois d’un mélange des deux.
D'autres confrontations à la pornographie existent et risquent d'être encore plus déstabilisantes, parce que l'implication du jeune y est plus active : par exemple, interpellations et invites sexuelles faites au mineur sur l'écran d'un chat ou, en vidéo, sur celui d’un chat roulette : le jeune est attrapé par surprise, ou savait pertinemment qu’il allait sur du glauque et de l’ unmoderated….intrusion de l’ image nude d’un inconnu ou d’une fille de la classe sur le portable du jeune, avec invitation implicite à la diffuser, etc.
Il ne faut pourtant pas diaboliser ipso facto tous les comportements sexuels des mineurs sur les écrans! J’en parle en détails dans l’article Sexualité des adolescents sur les écrans.
Beaucoup de ceux-ci sont des actes tâtonnants d'affirmation de soi, et d'un soi qu'ils aiment montrer et vivre comme sexué et sexuel! Ce sont aussi des expressions de la curiosité ou d'une capacité et d’une envie de défier les règles des adultes[1], ou une recherche de satisfaction érotique récréative ( récréative dans les deux sens du terme : moment de plaisir ;moment de pause dans une vie majoritairement remplie par des activités " sérieuses ", l'école, la gestion de la vie familiale )
On peut trouver tout ceci précoce, posé sans beaucoup de pudeur ni de retenue, mais, avec le type de société que nous avons créé, il était inévitable qu'on en arrive bien plus tôt dans la vie à déclarer plus ouvertement et plus crûment un intérêt pour la sexualité . L'adolescent de 15 ans qui envoie la photo de son sexe ou plutôt de " sa queue " - si tant est que c'est bien la sienne ... - en guise de signature électronique se sentira " con " de l'avoir fait à 18 ans et deviendra peut-être notaire à 50 ans, comme le chantait déjà Jacques Brel ; et il épargne au moins aux murs de nos cités le même type de signature, mode tag. Ne bradons donc pas trop vite les affirmations pseudo-scientifiques en avançant que cet ado est nécessairement atteint « d'un processus de déstructuration et de morcellement du corps » ni les affirmations spectaculairement pessimistes sur le dévergondage et la violence de plus en plus précoce de plus en plus de jeunes !! ...
Faute de temps, je me limiterai au paradigme des images et vidéos obscènes sur le web.
EFFETS SUR LES ENFANTS AVANT LA PUBERTE
Pour une petite minorité, l'effet est franchement traumatique.
Sont surtout concernés les enfants les plus jeunes, les plus sensibles ou/et les plus ignorants dans le domaine sexuel. Lorsqu'ils sont confrontés par hasard à des images hard, parce qu’ils ont entré « Pipi » ou « Seins » sur Google, ou parce qu'un grand les y a entraînés, ils peuvent en ressentir une angoisse soudaine, intense et durable : peur d'une possible agression contre eux, peur de ces masses de corps qui partouzent, de leurs transformations et de ce qui en sort, et ce jusqu'à la peur que leurs propres parents et leur entourage deviennent monstrueux eux aussi : en même temps que l'effroi, il peut s'installer un doute profond sur les intentions, les capacités protectrices et les valeurs véhiculées par ces adultes, tellement à même de devenir des sauvages quand ils sont tout nus ...
On voit alors s'installer un syndrome de stress post-traumatique caractérisé par la persistance d'angoisses variées, notamment dans des somatisations, (p.ex. énurésie secondaire) des cauchemars et autres irruptions d’images intrusives, et par des conduites d'évitement. Les effets sur la sexualité et sur le corps sexué de l'enfant peuvent être marqués par la peur d’une agression (p.ex., pudeur nouvelle ; dégoût pour les allusions sexuelles, parfois spectaculaire); il peut aussi y avoir des vérifications anxieuses de son intégrité sexuelle à lui (p.ex., masturbations compulsives et mal dissimulées).
Episode de non-retenue sexuelle
Cet épisode est susceptible de se produire chez un enfant qui, habituellement, ne se fait pas remarquer dans le champ de la sexualité. Ici, de l’angoisse existe aussi, mais an quantité moindre que lors du stress post-traumatique…l’enfant cherche à l’exorciser par des vérifications plus ou moins compulsives. Il est également excité, porteur d’un trop plein de stimuli sexuels qu’il a besoin de décharger dans l’action.
On voit alors une sexualité peu contrôlée, en partie compulsive, qui se donne en spectacle : conversations sexuelles, dessins obscènes, masturbation à ciel ouvert…Cette non-retenue s'accompagne souvent de prosélytisme : l’enfant en entraîne d'autres dans l'aventure de " l'éclate sexuelle ", qui prend parfois des formes adultes (il ne s'agit plus seulement de se toucher, ni de jouer au docteur, mais de réexpérimenter ce qu'on a vu à l'écran). S'il trouve souvent des partenaires consentants et de sa tranche d'âge, il peut néanmoins arriver qu’il abuse d’un autre, et même d’un plus petit, surtout si l'ensemble de son éducation ne l’ imprègne pas beaucoup de la valeur " sociabilité ".
Un épisode imprévu de non-retenue sexuelle doit toujours faire penser, soit à un abus que l’enfant ne parvient pas à garder pour lui, soit à de l’exposition avec une certaine répétition à de la pornographie, le plus souvent sous l’instigation d’un tiers (pas nécessairement l’abuseur, peut-être un enfant aîné en quête d’initiation).
Plus rare : début d’addiction, voire fixation perverse
Pour une autre petite minorité d'enfants, souvent plus âgés et déjà plus basalement intéressés par les plaisirs de la consommation, les pratiques vues sur image constituent des invitations à ce que leur propre quête d'expériences et de sensations érotiques s'amplifie secrètement…Ils retournent subrepticement en voir, avec une poussée intérieure plus ou moins contraignante, même après avoir été pris « la main dans le sac » par les parents. La non-retenue sexuelle tout juste évoquée s’y mêle irrégulièrement.
L'une ou l'autre fois, c'est même une pratique carrément perverse qui se précipite et se fixe à partir de ce qui a été vu d'identique ou d'analogue sur l'écran. Tel ce jeune adulte tellement malheureux de me raconter en thérapie ses pratiques secrètes de masturbation anale avec des objets divers, initiées depuis l'âge de neuf ans, parce qu'il avait été fasciné par l'image d'une femme nue occupée à en faire autant.
Effet apparemment fugace et peu conséquent pour une majorité.
Néanmoins pour la majorité des enfants, l'effet traumatisant, addictogène ou pervertissant est plus léger ou/et plus fugace, si pas nul; ceux-ci ne s'attachent pas vraiment à ce qu'ils ont vu ou n'y reviennent que très occasionnellement. C'est parfois le hasard qui les a confrontés à la pornographie, c'est plus souvent la curiosité, le désir de pénétrer dans le monde des grands et de défier leurs règles, seul ou entre amis. Une fois " l'exploit " réalisé, une fois que l'enfant a constaté qu'il a la capacité de " faire ça ", il passe à d'autres conquêtes ... il range dans un coin de sa mémoire les sales images qu'il a vues, parmi les tonnes d'autres images violentes dont il est abreuvé ... maintenant qu'il sait, cela ne l'intéresse plus trop, d’autant plus que les sensations physiques érotiques éprouvées sont discrètes chez une grande majorité…
Alors n'y a-t-il vraiment aucun effet néfaste sur lui ? J’y reviendrai à propos des adolescents
EFFETS SUR LES ADOLESCENTS