EN GUISE D'INTRODUCTION. 

 

Nous n'aimons pas trop le terme " recomposé " qui nous évoque " bricolage ... vase recollé après la casse " et donc vulnérabilité particulière et esthétique douteuse. Nous préférons parler d'une organisation, d'un lieu et d'un moment de structuration nouveaux dans la trajectoire de vie de parents et d'enfants.

Nouveauté qui, alors, n'est pas simple à cerner, surtout quand on pense à toutes les complications d'itinéraire et de composition possibles et imaginables. Nous nous limiterons donc à étudier ce qui est proposé à des enfants identifiables, issus d'un couple parental marié ou en compagnonnage (2). Ce couple n'existe plus comme tel. Nous appellerons "famille restructurée" l'instance où se ressourcent les enfants de ce couple, pour leur intendance quotidienne, leur éducation, leur approvisionnement en affection et en valeurs, etc. ...

Cette famille restructurée constitue une réalité complexe et aux frontières plus insaisissables que la famille traditionnelle : 

famille recomposée


 - Les fois, nombreuses, où les deux parents du couple d'origine restent dans la course, où est le lieu de la famille restructurée de l'enfant, alors qu'existent toujours ses deux sources de sa vie à qui la loi belge reconnaît une égalité de droits éducatifs et de responsabilités ? Il est plus exact de dire qu’existent deux pôles principaux, deux constellations de personnes entre lesquelles va se répartir sa vie!

 - Et chacune de ces constellations est susceptible d'avoir des compositions variables et des frontières floues. Par exemple, jusqu'à quel point les parents du nouveau compagnon de la maman font-ils partie intégrante d'un de ces pôles ?
La réponse dépend davantage de l'engagement des personnes et de leur investissement réciproque que de statuts officiels ou de degrés administratifs de parenté; elle est donc variable ! Inversement, on devrait pouvoir admettre que tel (grand) adolescent profite d'une restructuration familiale... pour ne pas y entrer et prendre son autonomie plus précocement qu'attendu.

 - Il y a aussi la mouvance possible dans le temps : si certaines restructurations se pérennisent, dans d'autres cas, l'itinéraire d'un, voire des deux parents, reste très mouvant, avec les recompositions de groupe de vie quotidienne qu'il entraîne dans sa course. Est-ce possible pour l'enfant, alors, de vivre chacune de ces étapes comme des moments et des lieux de famille successifs, ou se sent-il plutôt en famille monoparentale, le lien avec son parent faisant foi, avec papa ou maman qui amènent leurs invités du moment ?

Ici aussi la réponse est variable et dépend plus de l'engagement des personnes que de la matérialité des faits : on peut se sentir orphelin du départ d'un adulte avec qui on a habité moins d'un an, mais avec qui un lien fort et réciproque s'est créé.

Nous sommes donc invités à prendre en considération une grande variété de restructurations familiales. On peut les différencier en référence à des critères comme :

 - L'étape familiale qui a précédé et ce qui est à l'origine de la restructuration : séparation des parents (voire des adultes) en charge de l'étape précédente ; veuvage ; étape de parentalité célibataire, etc ...

 - Le nombre de restructurations qui ont précédé ; le temps qui a séparé chaque étape.

 - La simplicité ou la complexité des éléments constitutifs.

 - Des attributs relatifs au nouvel adulte entré dans la famille : homo ou hétérosexué ? vivant en permanence ou épisodiquement dans la famille ? se voulant proche ou loin de l'enfant ?

 - Etc. 

sarkosy-famille-recomposée


Les besoins de l'enfant. 



Exposer ce que sont les besoins de l'enfant constitue également une tâche complexe. Nous nous centrerons sur ses besoins psychiques, que nous définirons comme " Ce qui manque à l'enfant pour maintenir son équilibre et sa croissance psychiques, c'est-à-dire cognitive, émotionnelle et spirituelle ( valeurs ) ".

Prétendre que nous connaissons avec certitude ces besoins psychiques serait une déclaration imprudente et orgueilleuse ! Bien que nous nous soyons efforcé d'en faire un repérage scientifique, à travers l'observation du devenir des enfants, nos propositions ne peuvent pas ne pas être imprégnées par notre subjectivité, personnelle et culturelle. Nous assumerons cette limite irréductible.

Il est également impossible de recenser ces besoins et de les présenter en un système catégoriel qui s'imposerait absolument. Nous n'aurons donc pas une volonté d'exhaustivité ni d'argumentation académique à ce propos. Nous nous contenterons d'exposer quelques besoins importants auxquels nous sommes sensible, à la lumière de notre expérience de terrain et de nos lectures.

 


BESOINS DES ENFANTS ET FAMILLES RESTRUCTUREES



Restera alors à examiner dans quelle mesure et sous quelles modalités une famille restructurée est susceptible de les satisfaire ou non. La réponse n'est pas de type "tout ou rien", car les applications liées à la famille restructurée sont parfois délicates et nécessitent une créativité particulière.
Nous raisonnerons essentiellement en référence à une vignette paradigmatique, en invitant le lecteur à trouver lui-même ce qui s'adapterait mieux à des situations différentes :

Après une étape dite de "famille - ou foyer - monoparental(e)" - elle-même consécutive à une séparation conjugale, la maman d'un ou plusieurs enfants (3). qui vivent en semaine chez elle, ouvre la porte de sa maison à un nouveau compagnon, avec qui elle veut stabiliser une vie de couple déjà débutée.

Ce " nouveau " a lui-même - ou n'a pas - d'enfants, en garde quotidienne ou en visite. Il branche également les enfants de sa compagne sur un nouveau réseau humain : sa propre famille d'origine, ses amis, connaissances et réseaux sociaux. La plupart du temps, sa venue ne supprime pas les liens qui existent entre les enfants et leur branche paternelle ... de là à prétendre qu'elle n'y provoque aucun remous, c'est une autre histoire.

Enfin, indépendamment de ce qui se passe dans la branche maternelle, le père peut lui-même garder le statu quo ou procéder aux restructurations les plus diverses de sa vie relationnelle.

 

LE BESOIN D'ÊTRE RECONNU COMME INDIVIDU, UNIQUE EN SON GENRE. 

 

garçon au téléphone


I - Que peut y faire la famille ?

 

On dit de la famille contemporaine qu'elle est individualiste et relationnelle. Le droit à la quête de soi y est reconnu et sa réalisation encouragée, comme étant une valeur. Marquet (2001) estime fondamental le rôle de la famille dans la construction des identités personnelles, par le travail quotidien qui s'y opère de reconnaissance, de révélation et de consolidation des identités de ses membres : elle aide chacun à se réaliser, dans une voie de plus en plus autonome, et ce, entre autres, grâce à l'apport des autres : le travail du réseau relationnel familial soutient significativement la quête de soi.

Mais la vie relationnelle est, elle aussi, encouragée par et dans la famille : celle-ci est fortement définie par l'intensité, la proximité et la stabilité (ou plus précisément, l'indétermination temporelle) des liens affectifs qui s'y nouent ; elle l'est par l'entente, la connivence, la complicité entre ses partenaires. Elle l'est davantage ainsi que via l'institutionnalisation, les règles, les statuts... et que via la transmission de normes et de valeurs, c'est-à-dire le patriarcat.



II - Et la famille restructurée ? 



Cette promotion de l'individualité de chacun est-elle toujours possible dans une famille restructurée, et notamment dans le contexte d'insécurité, voire de crise et d'urgences à organiser qui marque souvent ses premiers moments d'existence ?

A - Ce n'est pas toujours facile, mais mieux vaudrait néanmoins qu'elle (re)prenne en compte, le plus rapidement et le mieux possible, cet objectif majeur qu'est la reconnaissance individuelle de chacun ; elle ne devrait pas permettre que les enfants, notamment les plus petits "qui ont l'air de se laisser faire", se retrouvent fondus dans la masse.

B - L'adulte devrait donc s'y donner le temps d'aller vers chaque enfant, de s'enquérir de ce qu'il vit, comprend et pense, et de bien l'écouter ; et ceci, sans a priori, sans projeter sur lui des représentations toute faites (4).

  

divorcer de son frère


Si l'on accepte l'incertitude de la réponse de chaque enfant, on constatera alors que ce qu’il vit est souvent évolutif.

Pour beaucoup d'entre eux, les premiers moments de la restructuration connotent plus d'insécurité que d'optimisme, parce qu'ils se sentent menacés de pertes variées : pensons, par exemple, à la relation spéciale, de confidence et de protection, que les enfants aînés avaient élaborée avec leur mère... ou à l'espace qu'il faut partager autrement, etc.

Mais ce n'est pas vrai pour tous : pour certains, ce sera la joie quasi-immédiate de voir leur mère moins déprimée et moins irritable, de se sentir mieux protégés, de pouvoir s'identifier à un nouvel adulte " enthousiasmant ", etc ...

Remarquons en outre que ces " vécus " ne sont pas très spécifiques ! Ne sont-ils pas provoqués par tout nouvel arrivant, voire tout nouvel événement qui dérange l'homéostasie d'un groupe, comme par exemple, la naissance d'un puîné dans une famille nucléaire ?
Et puis, au fil du temps, le sentiment de menace s'atténue souvent, et les richesses potentielles du nouveau système de vie apparaissent mieux.

C - Si l'on écoute les enfants, il ne faut donc pas faire la politique de l'autruche par rapport à l'inconfort, transitoire ou non, que certains éprouvent ; qu'on ne les oblige pas à dire que tout est idyllique, parce que les adultes, eux, voudraient tant réussir cette nouvelle étape et dénient donc, plus ou moins bruyamment, plus ou moins anxieusement, les problèmes qu'elle est susceptible d'amener.

Pensons, par exemple, à la coexistence souvent fluctuante d'enfants et d'adolescents issus de lits différents et à quel mélange mouvant de représentations mentales, de sentiments et de comportements elle peut conduire : ici, ce sera la menace et l'hostilité ... là, la joie, la complicité, la libération de pouvoir parler de ses problèmes ... une copine de son âge ... il y aura des renforcements momentanés de l'alliance contre les adultes, et pourtant, à d'autres moments, une partie des soi-disant alliés aura besoin de vérifier qu'elle a toujours un lien privilégié avec son parent contre le clan des autres, etc. 

Nous reviendrons par la suite sur le maniement pédagogique de ces situations. Le pire de tout, c'est d'ignorer des apparents "petits" problèmes relationnels, parce qu'ils émaneraient de petits enfants. Le mieux, c'est de donner à chacun le droit de s'exprimer, de dire ce qu'il ressent des autres, et d'accorder une réelle importance à cette verbalisation. Après quoi l'on peut rassurer et restructurer les territoires s'il le faut.

D - Une attitude sage, alors, est de ne pas forcer le temps et de faire confiance à la capacité d'apprivoisement issue des adultes, s'ils se sentent patients et bienveillants... et à celle de l'enfant de se laisser apprivoiser.

Par exemple, mieux vaut ne pas imposer de gestes affectifs, ni de mots qui désigneraient statutairement le nouvel arrivant ; mieux vaut prévenir l'enfant qu'il n'est pas obligé de devenir le copain des enfants de l'autre : qu'il fasse avec eux comme il le sent, sans toutefois leur nuire ni les insulter. Mieux vaut accepter que, au début, souvent, par conviction ou par protestation, son sentiment d'appartenance à la nouvelle famille ne soit pas très important. Et surtout, que l'on ne touche pas aux liens affectifs qu'il avait avec l'autre branche familiale, et aux modalités concrètes avec lesquelles il les gérait. 

 

LE BESOIN D'ÊTRE RECONNU COMME ÊTRE RELATIONNEL.


I - Le besoin de vivre en relation. 



On dit de l'être humain qu'il est biopsychosocial ; il faut entendre cette expression dans son sens le plus radical : "Nous sommes aussi nos relations" ; le contenu et les limites de notre être dépassent celles de notre Moi-Individuel.

Notre vie relationnelle est réglée par des lois (5), dont voici quelques-unes :

A - Les vraies relations, vivantes et consistantes, sont celles qui sont librement choisies de part et d'autres ; ce choix, réciproque, pas nécessairement de même intensité ni guidé par les mêmes attentes, garde, in fine, un ultime déterminant plutôt imprévisible qui est l'exercice de la liberté intérieure de chacun.
Certes, ce dernier mouvement de la liberté peut se préparer, se faciliter, via l'opération de facteurs de prédisposition raisonnablement repérables : ainsi est-il plus probable que l'enfant s'attachera à la personne qui, de son côté, a de l'attention positive pour lui, qui l'aime, qui a du temps concret à lui consacrer, etc. Néanmoins, le dernier pas fait par l'enfant transcende le jeu de ces prédispositions raisonnables : qu'on lui reconnaisse donc non seulement le pouvoir de fait, mais aussi le droit à cette ultime décision. 


B - On ne crée donc pas une relation sur injonction ; inversement, on ne peut pas imposer non plus à l'enfant qu'il y mette fin dans ce qu'elle a de plus insaisissable et de plus essentiel : c'est-à-dire sa dimension spirituelle ! Même lorsqu'un parent s'oppose légalement ou de facto aux contacts avec l'autre, même lorsqu'il suggestionne subtilement l'enfant pour que ce soit celui-ci qui ait l'air d'y renoncer, jamais personne n'aura emprise sur ce que l'enfant pense le plus personnellement ni sur ce qu'il vit. On peut obtenir de l'enfant de l'obéissance, on peut même obtenir qu'il disqualifie verbalement lui aussi celui dont on veut le couper ... mais ce qu'il pense dans le secret de son coeur, c'est hors d'atteinte !

 

amitiés de petits

C - Quand on coupe la matérialité d'une relation importante pour l'enfant, on court un grand risque de traumatiser celui-ci ; on ne devrait donc le faire que pour des raisons graves - la destructivité attribuée à cette relation - et confirmées par des observateurs sereins et indépendants.

Même si l'enfant continue à faire vivre, comme il l'entend, la dimension spirituelle d'une relation, on ne peut pas en déduire que la matérialité, elle, n'avait aucune importance. Un enfant a besoin de rencontres concrètes, qui lui prouvent qu'il est aimé, qu'il est important... il a besoin de recevoir des petits plaisirs... d'enrichir ses identifications au contact de la manière d'être de l'autre, d'enrichir ses informations au fil de petits dialogues vécus avec celui-ci, etc. ...
Si on le prive de ces aspects concrets qu'il estimait positifs, on crée tristesse, sentiment de vide, colère !
Si en plus on le suggestionne pour qu'il dise qu'il est d'accord, il a une mauvaise image de lui, il se sent traître et lâche, vécus qu'il refoule et dénie parfois en se montrant le plus accusateur de tous... mais à quel prix intérieur !

D - Il est important que l'une ou l'autre relation, les plus fondamentales, soient stables, surtout lorsque l'enfant est petit, et qu'il puisse se ressourcer en elles, sans risques aucuns, pour construire son identité, sa sécurité, son sentiment d'être aimé et important...
Mais il a droit, en outre, à vivre des relations diversifiées ; personne, - pas même un parent - n'a le droit de se poser en " Grand Tout " qui aurait emprise totale sur lui. Sa liberté d'aimer au pluriel, de s'intéresser aux gens, de se socialiser, doit être reconnue pour qu'il se sente libre de vivre et de choisir, et pour les bienfaits multiples qu'il peut tirer de ces contacts diversifiés.

Dans cette perspective, C. Van Cutsem ( 1998, p. 160 ) propose que le " nouveau venu " non seulement veille délicatement à ce que s'installe une " bonne " distance entre l'enfant et sa mère, mais aussi qu'il s'ingénie lui, personnellement, à se rapprocher de l'enfant.

 


II - La famille restructurée est-elle susceptible de promouvoir l'être relationnel de l'enfant ?

 

A - Nous n'y voyons pas d'obstacle de principe ! A chaque adulte, au moins lui, d'y être attentif et d'y oeuvrer. En récompense de son travail, il verra souvent sa nouvelle famille se constituer plus ou moins vite en un " ensemble relationnel ", un espace de vie suffisamment bien délimité, à l'intérieur duquel une " intimité ensemble " peut se développer, et où la dimension affective des relations prend de plus en plus d'importance (Marquet, 2001). Cet espace délimité n'en sera pas pour autant barricadé : il sera pourvu de portes de sortie identifiables, qui encouragent également l'existence de relations au-dehors.

B - Il existe néanmoins quelques risques spécifiques :

 -   Bousculer le système relationnel déjà à l'oeuvre chez l'enfant sans y faire attention, parfois tout simplement parce qu'il y a beaucoup de problèmes " importants " à résoudre.

Par exemple, considérer comme insignifiantes les " amitiés d'école ou de rue " que le déménagement peut casser sans même qu'on en parle.

 -   Disqualifier " l'ex- " ou sa famille, sans faire attention à l'enfant qui écoute ; imposer à celui-ci des ruptures qu'il ne demande pas, en assimilant son vécu expérientiel à celui de l'adulte accusateur qui, lui, a bel et bien des raisons de se plaindre.

 -   Imposer trop vite que se mettent en place des liens positifs ; ne pas signifier à l'enfant " Tu l'aimeras si tu le veux un jour " ; ne pas respecter un temps d'apprivoisement ...

C'est le cas, par exemple, quand on fait pression pour qu'existent des liens positifs rapides entre les enfants, ceux de la mère et ceux du " nouveau ". Or un esprit fraternel ne se recrée que petit-à-petit, s'il y a accord implicite mais pas pressant des adultes à ce sujet, et s'il existe suffisamment de temps de cohabitation concrète ( C. Van Cutsem, 1998, p. 131 ).

 -   Ne pas tenir compte du besoin d'un repérage stable, présent surtout chez l'enfant jeune, et le laisser baigner dans trop de chaos mouvant, sans expliquer, rassurer, prendre le temps de lui montrer que beaucoup de ses références sont toujours là.

 -   Confondre " droit à nouer des liens affectifs " et " droit à la toute-puissance ". Certains enfants, intuitionnant la liberté excessive qu'on leur laisse ou/et le peu d'assertivité des parents, abusent de leur droit pour aller et venir de l'un à l'autre comme et quand ils le veulent, en prenant le plus facile chez chacun. Ce n'est guère acceptable dans la perspective de l'éducation de leur socialisation. Les enfants gardent au minimum des devoirs de politesse et, plus fondamentalement, de reconnaissance filiale face à ceux qui les ont installés dans la vie et déjà éduqués (6). 

C - Finalement, la patience est souvent payante. Au fil du temps, soit de nouveaux apprivoisements réciproques se font à la satisfaction de tous, soit les tensions deviennent moins vives et, sans s'aimer beaucoup, des sous-systèmes apprennent au moins à se respecter. 

 

spapa et son petit garçon


Ce n'est malheureusement pas toujours le cas ; quand rien ne va plus, il faudrait avoir le courage de l'évaluer et ne pas s'obstiner à vouloir que chacun coexiste à tout prix avec tous les autres. Certes, la constatation de cet impossible n'est pas facile pour les adultes du couple, entre lesquels l'enjeu narcissique et affectif de la réussite est énorme. Mais ils devraient pourtant pouvoir faire ce bilan, de loin en loin, avec et pour un ou plusieurs enfants, et les autoriser à vivre ailleurs, chez l'autre parent par exemple ou chez des grands-parents ou en internat, définitivement ou l'espace d'un temps.
C'est seulement au prix de ce courage que les personnes concernées retrouvent parfois, paradoxalement, l'impression d'être libres, de compter et de réussir leur vie.

 DEUX BESOINS DÉRIVÉS DES DEUX PREMIERS, LES PLUS FONDAMENTAUX.

 

I - L'enfant demande à être reconnu comme porté par une histoire personnelle.

 

A - Son histoire de vie propre, telle qu'elle s'est déroulée jusqu'aujourd'hui, avec l'originalité des expériences, des souffrances et des joies qui la constituent ... avec le déploiement progressif de son équipement ... il s'agit de la reconnaître, c'est-à-dire :

 -   d'en connaître quelque chose et de considérer que c'est significatif ; d'écouter ce qu'il en dit et de respecter ce dont elle est tissée ; de l'aider à la connaître, parce qu'elle imprègne tout ce qu'il pense et fait ;

 -   mais il s'agit aussi d'en tirer des conséquences pratiques, c'est-à-dire d'interagir avec lui en fonction, notamment, de cette histoire qui contribue tant à forger ses désirs, valeurs et projets.

B - En voici quelques exemples plus spécifiquement appliqués à la famille restructurée :

 -   Aider l'enfant, surtout jeune, à se retrouver dans la complexité et parfois l'embrouillamini des personnes qui l'entourent.

 -   Accepter l'existence de liens issus du passé, et externes à la réalité contemporaine de la famille restructurée (ou au moins d'un de ses pôles) : en parler avec l'enfant, en reconnaître l'importance pour lui, permettre, voire encourager que quelque chose de matériel s'en perpétue si l'enfant l'estime positif : reconstruire une famille, ce n'est pas demander à chacun de ses membres de faire table rase du passé !C. Van Cutsem ( 1998 ) propose de choisir des photos concrètes significatives du passé, de décider à qui elles vont désormais appartenir, d'en décrire et discuter le contenu ...

 

garde alternée papa maman


 -   Même si la famille restructurée met beaucoup d'énergie pour se constituer comme un ensemble vivant et se donner une identité cohérente, avec des liens et des projets investis par chacun, elle gagne aussi à accepter de se " défusionner " à l'occasion ; elle gagne à reconnaître et à concrétiser l'existence de sous-systèmes issus du passé.

 

Par exemple, on peut autoriser chaque enfant qui le souhaiterait à garder des moments de contact privilégiés avec son parent ; ceci peut même se marquer, à l'occasion, par un signe matériel, comme une sortie au cinéma, une excursion pour " rien qu'eux deux " ...

 -   Il n'est pas rare que, avant l'étape actuelle de la restructuration familiale, tel enfant avait reçu un statut particulier, naturellement ou suite à des négociations interactionnelles réussies.

Par exemple : il était l'aîné, ou le plus brillant par telle ou telle aptitude ... il avait conquis beaucoup d'autonomie pendant l'étape monoparentale de la famille, au point que la relation avec le parent présent était devenue comme symétrique ( Lazartigues, 2001 ) ... ou encore, il avait beaucoup aidé son parent seul et s'était montré très efficace ; parfois même, il s'était parentifié, parce que son parent présent était dépressif ..

 -   Le réaménagement de la famille ne permet pas toujours qu'il conserve ce statut. Au moins, est-on suffisamment sensible à ce que celui-ci a représenté pour lui ? S'efforce-t-on d'en parler avec lui ? D'atténuer les effets de la perte ? De chercher des formules compensatoires, aptes à le consoler et à lui donner de nouveau le signe qu'il a toujours de la valeur ?

 -   Au nom de son passé, et notamment de la souffrance qui a souvent marqué les derniers moments de vie de sa famille d'origine, on devrait admettre que plus d'un enfant se montrera très vigilant pour observer la solidité du lien entre les nouveaux partenaires ; parfois même, il mettra ce lien à l'épreuve, tout comme il testera le lien de chacun avec lui ; les petites disputes du couple l'angoisseront ou le mettront en colère avec une intensité anormale, etc ...



II - Le besoin d'un territoire propre et d'une intimité. 



A - Voici un besoin fondamental qui se manifeste précocement dans la vie et auquel, en temps ordinaire, les adultes prêtent une attention variable. Surtout quand l'enfant est petit, il est fréquent qu’ils n’en tiennent guère compte : on dispose de ses choses, on exige qu'il partage avec ses frères, on raconte à tous vents ses confidences et ses bons mots, etc. ... Petit-à-petit, dans de nombreuses familles, on est néanmoins de plus en plus sensible à cette question de l'intimité, jusqu'à reconnaître le droit à un jardin secret de pensées et d'opinions. Parfois même, cette reconnaissance est poussée jusqu'à l'absurde : p.ex., on ne se donne plus le droit d'entrer dans la chambre de l'adolescent qui s'enferme...
Pourtant, concrétisée de façon raisonnable, elle contribue puissamment à donner à l'enfant un sentiment de sécurité, de paix, une confiance basale dans la bienveillance des autres; à travers la reconnaissance de son territoire, il vit une sérénité intérieure pour penser et programmer sa vie, pour développer des opinions personnelles et une créativité...

B - A certaines étapes des reconstructions familiales, où tout bouge autour de l'enfant, il peut être particulièrement malaisé de respecter son besoin d'intimité.


Néanmoins, au fur et à mesure que les crises s'apaisent, on devrait songer à :

1) Protéger, pour chaque enfant, l'existence et la persistance d'un territoire matériel propre, un espace personnel à l'intérieur duquel ses biens et son intimité soient garanties.

Même quand une famille n'est pas très riche et habite un espace restreint, même si alors, il faut bien faire quelques concessions importantes, par exemple au niveau du partage des chambres (7), les adultes doivent montrer qu'ils restent les garants d'un droit de l'enfant à la propriété : qu'ils protègent donc à l'occasion, contre l'invasion des autres, le fait que l'enfant conserve "sa" place à table ( ou devant la T.V. ), l'endroit où il range ses souliers, sans qu'on puisse lui faire de blagues à leur sujet ou, plus simplement encore, qu'il est parfois bon qu'on lui " fiche la paix ".

2) Accepter que l'enfant garde " pour lui " s'il le désire les expériences qu'il fait et ce qu'il vit quand il est en séjour dans l'autre pôle et, plus fondamentalement, ce qu'il pense de cet " autre pôle ".

Ce n'est pas toujours facile : il arrive assez souvent que des intrusions dans le psychisme de l'enfant soient provoquées par l'hostilité réciproque ou unilatérale des adultes des deux pôles : tel père, jaloux, se fait raconter les comportements éducatifs du " nouveau " et le critique à tour de bras aux oreilles de l'enfant, jusqu'à téléphoner des injures à son ex-épouse.
L'inverse se produit également : il n'est pas rare que la nouvelle compagne d'un père gardien veuille détourner les enfants de l'affection qu'ils ont pour leur mère.
Les conséquences de ces tensions ne sont que trop souvent la dilution des visites et de l'intensité de la participation éducative de " l'autre branche ", dans un contexte d'agressivité, de disqualification réciproque et de dépression.

3) Voici une autre application, plus originale et pourtant souvent de mise : il s'agit de ne pas troubler l'enfant par les signes de passion du nouveau couple.

Les enfants sont les témoins du fonctionnement de ce nouveau couple, avec ses dimensions sentimentales, en partie publiques, et ses dimensions sexuelles plus discrètes, il faut l'espérer, mais connues ou/et objet de fantasmes.
Ce n'est pas toujours facile à assumer par eux : les plus grands peuvent être troublés par ce vécu de nouvelle jeunesse, qui les renvoie directement à la leur, et à leurs propres tâtonnements et parfois déboires sentimentaux. Les plus petits peuvent avoir besoin de vérifier qu'ils comptent toujours, par exemple en se créant des problèmes ... 


Ce n'est pas toujours facile non plus pour le nouveau couple qui, au moins pour un de ses partenaires, ne se crée pas de rien ; non seulement il doit évoluer sous le regard de témoins attentifs que sont les enfants déjà-là, et qui perturbent son intimité, mais il y a aussi, dans l'imaginaire des adultes, les souvenirs du passé, et notamment ceux du premier couple raté, source de nostalgie et de comparaisons. C'est-à-dire que souvent le nouveau couple se sent particulièrement obligé de réussir et de se démontrer la passion de l'un pour l'autre. 

 

LE BESOIN D'ÊTRE ÉDUQUÉ.

 

famille recomposée


Dans la famille contemporaine, l'enfant se trouve vite en position de " prestataire affectif ", partenaire d'un réseau d'échange où il a à donner et à recevoir. Mais ce statut est plus partiel que celui des adultes : l'enfant, dont les forces vives sont en croissance, déjà à l'oeuvre et au devenir encore fragile, a fondamentalement besoin d'adultes qui s'engagent à ses côtés pour l'éduquer.
L'éduquer ! Que d'applications et de nuances possibles pour ce verbe ; Eduquer : aimer, avoir de l'amitié pour ... être présent ... parler, partager son expérience, informer, dire ce qui est vrai, écouter ... valoriser ... contenir, poser des règles, sanctionner ... aider ... etc. ...
Parmi tous ces possibles, je n'en retiendrai que l'un ou l'autre, particulièrement intéressants dans le contexte de la famille qui se restructure.



I - Commençons par situer le statut paradoxal de l'adulte nouvel arrivant : 



A – Comme n’importe quel adulte qui passerait un temps significatif ou permanent dans la maison de l'enfant, le nouveau compagnon de la mère doit offrir à ce dernier de l’affection positive - au moins une camaraderie courtoise - et contribuer à son éducation. Pour ce faire, il doit parfois conquérir sa place, pendant que l'autre parent, lui, doit se battre avec soi-même pour la lui ouvrir, surtout quand il y a eu une longue phase de monoparentalité.

B - Néanmoins, le même adulte gagne à faire preuve d'humilité et de discrétion ; il doit admettre les sentiments naturels, spontanés, momentanément plus forts de l'enfant (8) pour sa mère, et souvent aussi pour son père, même lorsque les visites à ce dernier sont épisodiques.



II - La famille gagne à se constituer petit-à-petit une identité propre et cohérente, qui soit un repère pour l'enfant.

 

Qu'elle sorte donc le plus vite possible du chaos de la crise pour élaborer une organisation, des rites, une culture, pour se rassembler autour de quelques valeurs propres ... pour que les relations ne soient pas balkanisées, sans rôles ni statuts,

Nous avons souligné tantôt l'importance que fonctionnent occasionnellement des sous-systèmes ; ils signifient la reconnaissance du passé et des différences spécifiques actuelles dans le corps moral de la nouvelle famille. Mais ce corps moral existe lui aussi, et il s'agit d'en consacrer l'existence en lui définissant des rites et des aspirations propres.
Les enfants peuvent participer à cette nouvelle création : si toutes les familles ne peuvent pas déménager et se réinventer un nouveau lieu de vie, on peut cependant procéder à des recompositions plus partielles de l'espace de la maison, de l'organisation du temps et de certaines habitudes de fonctionnement, qui marquent positivement l'existence d'une réalité nouvelle.

La construction de cette nouvelle cohérence n'est pas toujours simple. Nous avons déjà dit que l'on ne pouvait pas faire table rase du passé. En outre, il existe deux grands pôles différenciés dans la restructuration familiale, qui gravitent autour de chaque parent d'origine.
Enfin, tant qu'il n'y a pas remariage, on ne peut guère s'appuyer sur des solutions légales instituées (9), ni pour régler les petits problèmes du quotidien, ni pour indiquer les grands rites et valeurs nouveaux.

Pensons à ce " petit " problème qui est la manière de désigner par un statut et un nom simple les enfants nouveaux arrivants. Plus fondamentalement, les enfants de la première union peuvent résister longuement aux nouvelles lignes directrices instituées dans la famille, et on a constaté que c'était un motif fréquent des " nouvelles séparations " d'adultes.

 

III - La fonction d'information est une autre composante importante de l'éducation. 



Trop d'enfants se sentent trop dans l'inconnu face à l'état actuel de leur famille : Où sont passés ceux qui ne sont plus là ? Pourquoi sont-ils partis ? Quel est le statut exact de ce gentil monsieur qui vient si souvent visiter maman ? Quel va être leur avenir à eux, les enfants ? Etc.

Le défi de l'information devrait donc être relevé : informations sobres, claires, adaptées au langage de l'enfant, sans tabous. Ce qui ne signifie pas que l'adulte n'a pas droit à une vie privée. Mais au moins faut-il signifier : " Au-delà de cette zone, c'est mon intimité ".
Informations s'insérant dans un dialogue, où l'on donne à l'enfant l'occasion de réagir, de poser ses questions, d'exprimer ses opinions.

L'état d'esprit de l'information étant ainsi esquissé, son contenu devrait porter sur la matérialité des choses et des êtres, avec leurs éventuelles mouvances, par exemple à propos des allées et venues des enfants ; mais il devrait inclure aussi des réalités plus spirituelles et affectives. 


En voici, par exemple, deux énoncés-résumés parmi bien d'autres :
La nouvelle entité familiale qui se crée ne va pas nier l'histoire qui a existé, ni l'existence de sous-systèmes différenciés : il s'agit de reconstituer un noyau d'identité commun, mais qui coexistera avec d'autres dimensions présentes et passées, elles-mêmes hétérogènes ".

" La reconstruction occupée à s'opérer crée quasi inévitablement des moments d'insécurité et de frustration, mais elle peut générer aussi de grandes joies.
Chacun des enfants y occupe toujours une place importante ; il aura aussi l'occasion d'y faire des expériences nouvelles et d'y exprimer sa créativité, dans un monde qui retrouvera petit-à-petit ses repères ... 
".

 

IV - L'éducation connote un exercice tranquille  et raisonnable de l'autorité parentale. 



" Parentale " doit être pris dans une acceptation large :
émanant des parents, certes, mais aussi des adultes qui partagent le quotidien de la vie de l'enfant, et ont à l'égard des "petits de l'espèce" qu'ils sont les responsabilités générales de guidage et de protection que l'on attend de la communauté des adultes.

A - La présence vivante, efficace d'une autorité stable, qui a mis en place des repères clairs garantissant la convivialité, permet souvent une qualité de vie supérieure au flou et à l'improvisation.
Si du moins cette autorité, une fois définie, transcende les personnes et leurs fantasmes du moment, et porte de façon juste sur chacun.

A.Lazartigues (2001), par exemple, considère cette autorité opérante comme supérieure au fonctionnement contemporain fondé sur un soi-disant consensus pour régler les conflits, où le risque de rapport de forces subtiles et arbitraires est plus grand. 

 

autorité et exemple


B - L'exercice de cette autorité gagne à être cohérent; et c'est un défi difficile dans des familles restructurées souvent bipolaires et parfois mouvantes dans leur composition. Entendons par là que les adultes qui y sont engagés devraient se parler et coopérer pour que :

 -   grâce à leur présence, leur force, leurs convictions, l'enfant respecte les Lois humaines les plus fondamentales ;

 -   quant aux rites et règlements plus mineurs, il est fréquent qu'existent à leur propos des divergences d'idées entre adultes ; il est même probable que, si un couple s'est séparé, ces divergences sont parfois de franches oppositions.

Face à quoi, pour que l'enfant s'y retrouve et se structure, il est souhaitable que les adultes puissent parler de ces différences, qu'ils ne se disqualifient pas mutuellement, mais qu'ils indiquent plutôt à l'enfant comment il lui est possible de s'y adapter. C'est relativement simple quand les adultes n'habitent plus ensemble : l'enfant devrait être invité à suivre les règles de là où il est, ni plus, ni moins, parce qu'elles ont du sens pour le propriétaire des lieux. C'est plus complexe quand co-habitent deux adultes qui pensent les règles différemment ! Mais à eux d'avoir le courage d'en parler ensemble, et de proposer à l'enfant des compromis clairs, sans prendre celui-ci en otage.

C - Le partage de l'autorité n'est pas toujours chose aisée, pas plus que la définition du contenu et des limites de la compétence de chacun.

Pensons, par exemple, à une famille dont le couple parental se sépare ; s'en suit une phase monoparentale de deux, trois ans où la mère est souvent seule au quotidien pour élever les enfants. Arrive ensuite un nouveau compagnon qu'elle aime et à qui elle finit par ouvrir la porte de la maison. Dans le domaine éducatif néanmoins, pas évident, pour cette maman de permettre que le " nouveau " prenne progressivement une place de co-éducateur complémentaire à la sienne, et qui ne se substitue pourtant ni à elle, ni au père des enfants. De son côté, le nouveau compagnon doit pouvoir demander - ou prendre - cette place, ni plus, ni moins, en faisant fi parfois de l'ambivalence de sa compagne : ni " toute la place ", ni " aucune place ", deux positions inverses qui s'avéreraient tout aussi angoissantes et inacceptables pour l'enfant.

Quant aux enfants, soit par provocation, soit en référence à un mouvement naturel, ils peuvent garder tendance un certain temps à légitimer davantage leur parent, à lui obéir préférentiellement.

Aux adultes alors à faire preuve de souplesse : qu'ils aillent de plus en plus vers l'idée de partager l'autorité quotidienne à deux si leur relation est stable ; au minimum, qu'ils ne se disqualifient pas mutuellement. Néanmoins, tout un temps, on peut admettre que le parent constitue préférentiellement le porte-parole " naturel " de cette autorité.

En plus, cette autorité partagée porte surtout sur le quotidien de l'enfant et les rites de la nouvelle famille ; par contre, quand il y a une décision spéciale à prendre pour l'avenir de l'enfant, le " nouveau " pourrait, à la fois, et donner son avis, et savoir s'effacer face à l'autorité ultime du couple parental originaire (10)



Nous terminerons en évoquant quelques questions relatives à la sexualité.

 

A - Et d'abord, quelques mots sur les activités sexuelles possibles entre les mineurs d'âge vivant dans la famille, en permanence ou à temps partiel.

Ces activités sont susceptibles d'exister. Pas d'angélisme à ce propos : elles existent déjà entre frères et soeurs dans les familles traditionnelles et ici, l'on met en contact rapide des enfants qui n'ont pas beaucoup " d'empreintes " l'un par rapport à l'autre. Aux adultes donc d'être lucides ! (C. Van Cutsem, 1998, p.142).

On peut réagir à leur propos à l'instar de ce qui se fait dans une famille traditionnelle, c'est-à-dire :

 -   N'encourager aucune sexualité dans ce groupe qui vit ensemble au quotidien, mais ne pas dramatiser non plus la signification d'une partie des activités sexuelles, comme par exemple les jeux sexuels entre petits qui sont " normaux - développementaux ".

 -   Interdire clairement la récidive de ce qui s'avérerait un abus ( violence ou tromperie intellectuelle ) ; sanctionner celui-ci ; chercher à comprendre pourquoi il a eu lieu et remédier à ses causes profondes.

 -   Que faire si, sans être pour autant amoureux, des mineurs, souvent préadolescents ou adolescents, s'avèrent s'être choisis librement comme partenaires de masturbations ou d'autres "éclates sexuelles" qui s'approchent de plus en plus des activités sexuelles adultes et peuvent être de longue durée ? La réponse est double :

.     Il s'agit d'abord, en tant que parents et qu'adultes éducateurs, de se situer face à ces jeunes par rapport à leur sexualité précoce.

.     Même si on l'autorise ou la tolère, il s'agit ensuite de leur demander de se trouver dorénavant des partenaires extra-familiaux, parce qu'un groupe de type familial européen est fondé, entre autres, sur la non-pratique sexuelle entre membres cadets du groupe.

A noter que nous n'emploierons pas trop vite le mot d'inceste ici, certainement pas si les jeunes n'étaient pas du même lit, et même probablement pas s'il s'agissait de fratrie ou de demi-fratrie. En effet, nous préférons réserver le terme quand il y a lien de sang proche, qu'il y a activités sexuelles, et surtout - essentiellement - qu'il y a amour possessif-exclusif entre les partenaires. 


-   Et si deux jeunes tombent profondément amoureux et ont ou cherchent à avoir des relations sexuelles ? S'ils sont frères et soeurs, ou demi-frères et demi-soeurs (11), on doit parler d'inceste et prendre des mesures efficaces pour l'interdire, gentiment mais fermement (il faudra souvent passer par des séparations matérielles). S'il n'y a pas de lien de sang entre ces jeunes, on ne doit pas brader le mot "inceste", et apprécier au cas par cas la conduite à tenir en tenant compte à la fois du projet des amoureux et de la paix des sens des autres...

 

terah qu'il est bon d'être près de toi

B - Malheureusement, de loin en loin, il se produit également des activités sexuelles trans-générationnelles.

1) L'adulte nouveau venu, sans doute moins retenu de l'intérieur par la barrière de l'inceste, peut se laisser progressivement séduire (12) par un des mineurs de la famille, quelque soit le degré d'intentionnalité que ce dernier y met au début. Et le processus débouche soit sur de pures activités sexuelles, soit sur un vécu amoureux uni ou bilatéral, soit sur les deux. Quant à l'acceptation de la sollicitation sexuelle par le mineur, elle se situe entre le pôle "Violence faite sur lui" et le pôle "Adhésion totale" (13); 

2) Ici aussi, il s'agit d'appeler les choses par leur nom et d'avoir des réactions claires et justes, sans recourir à des terminologies vengeresses.

 - Et donc, fondamentalement, nous ne parlerons pas d'inceste s'il n'y a pas de lien de sang ; l'inceste doit toujours être prohibé.

 - Inceste ou non, on se trouve parfois face à de vrais abus, en ce inclus toutes les propositions sexuelles faites à des enfants avant l'adolescence, trop jeunes pour vraiment y adhérer, et il faut les sanctionner et interdire leur récidive.

 - Si le jeune, non lié par le sang, est plus âgé et consentant (à partir de 14-15 ans), mais pas encore en âge de quitter la maison, c'est l'adulte qu'il faudrait pouvoir mettre dehors énergiquement ; les promesses de repentir et de conduite plus chaste, avec les deux partenaires restant à la maison, sont rarement suivies d'effets, et entretiennent la suspicion. Aux parents du jeune alors à décider jusqu'à quel point ils interdisent ou tolèrent la poursuite des relations en-dehors de la maison.

 - Si le jeune, non lié par le sang, est en âge de quitter la maison et consentant, nous pensons que, ici aussi, il faudrait demander à l'adulte concerné de partir... Le jeune le suivra ou non, selon les cas.
Nous trouvons regrettables qu'existent de telles aventures sexuelles, non prévues au programme ; nous savons bien qu'elles provoquent beaucoup de chagrin et de colère chez le parent qui se sent trompé, et beaucoup de tensions chez tout le monde.
Mais ce sont de tristes "choses de la vie", à régler par des séparations claires, sans recours au vocable de l'inceste là où les critères de celui-ci ne se trouvent pas réunis, ni sans recourir non plus systématiquement au terme "abus".


NOTES



(2). Ce point de départ ne convient déjà pas à toutes les situations. 
P. ex., la famille d'origine pouvait être monoparentale, par choix de la mère, avec père géniteur non identifiable ou exclus.

(3). Nous supposerons qu'il s'agit d'enfants biologiques ou/et adoptés du couple parental séparé. De loin en loin, il y a aussi des enfants en simple accueil familial, ou d'autres issus en partie d'autres unions (déjà demi-frères ou soeurs entre eux).

(4). Les inverses sont d'ailleurs possibles : "Leur sort est terrible, dans ces chaos, ou... c'est une aventure tellement stimulante pour leur créativité".

(5). Loi, dans l'acceptation d'un énoncé général qui établit les rapports constants et nécessaires entre des phénomènes.

(6). On ne peut néanmoins pas pousser à l'extrême cette logique de la reconnaissance filiale. De loin en loin, sans que l'enfant ne soit capricieux, ni n'obéisse à des suggestions grossières, on voit s'installer des aversions très farouches et persistantes à l'égard du parent parti : l'enfant, en son nom, ne parvient pas à lui pardonner quelque chose. Ici, il faudrait parfois pouvoir s'incliner et se résigner à suspendre la matérialité des visites.

(7). Dans une maison de taille modeste, où plusieurs enfants débarquent en visite le week-end, il peut être inévitable que l'enfant plus permanent doive partager sa chambre... mais, s'il s'agit de visites, même régulières, on pourrait officialiser qu'il s'agit toujours de sa chambre, et que les autres en sont des invités : de marque, sans doute, mais invités... en leur donnant d'autres privilèges à d'autres moments.

(8). C'est souvent la règle, du moins au début... Il y a néanmoins des exceptions et des provocations.
P.ex., telle adolescente de 15 ans prendra plaisir à discuter contraception avec l'amie du père, puis à y faire une allusion subtile face à sa mère... Idéalement, que devrait lui répondre l'amie du père quand elle est interpellée ??

(9). Il y a une importante exception à cette non-institutionnalisation : l'obligation parentale, elle, continue bel et bien à exister légalement.

(10). Du moins si père et mère ont pu faire taire leurs dissensions quand il s'agit d'éduquer.

(11). On peut raisonner de même pour les amours homosexuels.

(12). De très loin en très loin, on voit même que cet adulte avait un projet pédophilique dès le début, et qu'il n'utilisait le soi-disant lien avec la mère que pour s'emparer des enfants.

(13). A ceci prés que, avant l'adolescence, légalement, on ne pense pas qu'un mineur soit capable de donner une adhésion authentique aux propositions sexuelles d'un adulte. 

 

BIBLIOGRAPHIE

LAZARTIGUES A. , 
La famille contemporaine "fait"-elle de nouveaux enfants ? Neuropsychiatr. Enfance Adolesc. , 2001, 49, 264-276.

MARQUET J. , 
Evolution et déterminants des modèles familiaux, (inédit), 2001.

VAN CUTSEM C. , 
La famille recomposée, entre défi et incertitude, Coll. Relations, Eres, 1998.