Les Instances à l'oeuvre
A - L'adolescent prend distance de ses parents, ses premiers objets d'amour, parfois sans qu'il lui en coûte beaucoup, et parfois en se faisant fortement violence. De la sorte, il fuit comme il peut ses désirs incestueux ou ceux de rester un bébé dépendant
. En même temps, une autre catégorie de pulsions et de désirs en lui, son agressivité, sa toute-puissance, le pousse à s'opposer plus que jamais à eux ... et s'en écarter peut également constituer, paradoxalement, et une manière de s'opposer, et une manière de soulager la culpabilité que fait monter en lui l'exercice de sa violence.
On devine sans peine l'ambivalence qui sous-tend cette distanciation, et les allers et retours qui la concrétisent ...
Par ailleurs, s'il s'active bien à partir du nid familial, il ne trouve pas tout de suite des objets de remplacement satisfaisants, ni dans le monde de ses pairs, ni dans la société où il tente d'abord de dénicher d'autres figures parentales, mais cette fois choisies par lui.
Donc, moments de « vide » d'objets, amenant dépression et angoisse... et culpabilité aussi, car il n'est pas toujours fier de ses pulsions ni de ses actes et on lui fait bien sentir qu'il est mauvais pour un oui pour un non en confondant ses défis et de vrais actes antisociaux.
B - Son corps change ... sa mentalité aussi ... il est traversé par des sentiments nouveaux, des idées qu'il reconnaît à peine, des émois sexuels ... parfois, il peut diriger vers ce « Soi-changeant » un amour et une estime positifs et même, par moments, intenses ( moments d'exaltation narcissique ) ... mais parfois, il s'évalue lui-même comme un minable, un con ou un monstre ( de laideur ou/et de malignité ) ; cette mauvaise image de soi est à l'origine d'angoisse, de dépression ou/et d'auto-agression. Cette dernière prend parfois la forme détournée de provocations négativistes spectaculaires.
C - Son intelligence devient plus introspective, mais cette introspection doit travailler sur un « Soi nouveau et inconnu ... », en même temps aussi qu'il se méfie d'autres sources de référence, ou qu'il ne les déniche pas tout de suite : donc crise plus ou moins profonde du sentiment d'identité ; vide ou bouleversements mouvants dans l'Idéal du Moi : tout un temps, il a de la peine à repérer et nommer qui il est, et ce qui est important, idéal pour lui.
D - Peut-être aussi l'adolescence est-elle traversée par des phénomènes cérébraux qui constituent des complications autonomes supplémentaires.
On pense tout de suite, à ce propos, aux mécanismes diencéphaliquo-hypophysaires à l'origine de la production des hormones sexuelles. Celles-ci ont un effet, non seulement sur les changements sexués du corps et sur l'activation sexuelle, mais aussi sur les comportements en général.
Mais il existe peut-être d'autres phénomènes cérébraux. Par exemple, régulation diencéphalique fluctuante de l'humeur, même, chez l'adolescent normal, cycliquement prédisposé à la dépression ou à l'excitation hypomaniaque dérégulation dopaminergique qui explique en partie les alternances activation excessive - passivité.
.Expression clinique de la crise d'adolescence
A - Chez beaucoup
en réponse à ces remaniements somatiques et intrapsychiques, on devine bien quels seront les signes de la crise, mouvants et polymorphes : se chercher par rapport à ses parents, à d'autres substituts parentaux de référence, à ses pairs et à soi-même, avec beaucoup d'aller-retour, de tumulte et de versatilité ... fluctuer dans ce que l'on aime ou que l'on hait, ce que l'on trouve important ou dérisoire et dans les signes qu'on donne pour l'exprimer ... passer par des cycles de dépression ou de surestimation de soi, d'angoisse, d'hyperactivité ou de passivité, d'agressivité ou de débordements affectueux, etc.
Chez certains, cette crise d'adolescence peut prendre des allures encore plus spectaculaires.
En voici quelques exemples :
- Déprime d'installation brutale, souvent très démonstrative, en même temps qu'il claque les portes et ne se laisse pas approcher.
- Accès de mauvaise humeur bruyante, tous azimuts (contestation impertinente ou haineuse gratuite... emportements envers la fratrie... crises de nerfs : néanmoins, franchit rarement le seuil de la violence physique dangereuse)
- Bouffées d'angoisse (jusqu’à la crise de panique ..., la nosophobie intense)
- Dysmorphophobie obsédante (DSM-: peur d'une dysmorphie corporelle)
- Adhésion à des croyances qui changent une partie de son identité et s'expriment très ostensiblement (par exemple envahit sa chambre, et parfois même la maison, avec ses références et insignes liés à telle mouvance culturelle adolescente ... voire à l'extrême- droite, au satanisme ou au mysticisme religieux ; n'admet aucune discussion à ce Sujet …)
- En outre, rarement, l'adolescent peut faire part d'expériences vécues qui évoquent encore plus directement la folie, sous forme d'une dépersonnalisation mineure. Par exemple, il raconte que parfois, il ne se reconnaît plus ... ou qu'il sent ses pensées s'échapper, ou qu'il voit ses mots se matérialiser et s'écraser contre un mur ... ou alors, que- dans sa tête, sa pensée se complique et s'enchevêtre ..., ou encore qu'il a des impressions de télépathie, de télé portage, etc. ...
C - Le plus souvent, ces phénomènes excessifs et inquiétants rentrent dans l'ordre au fur et à mesure que le sentiment d'identité s'affermit et que la mouvance des investissements de personnes se stabilise à nouveau.
Évolution et pronostic
En règle générale, la « crise d'adolescence » se résout en quelques mois à deux, trois ans : l'adolescent reconquiert un « sentiment d'identité » et des investissements objectaux plus stables ; il se redonne un projet de vie qui le satisfait personnellement (cfr. l'adage : « un temps pour comprendre ... un temps pour expérimenter ... un temps pour conclure ») Il en va souvent ainsi, même si l'expression de la crise avait été bruyante et inquiétante.
Souvent mais pas toujours.
Il est déjà arrivé que ce que l'on voulait considérer comme une crise d'adolescence « appuyée » ait constitué les prémisses d'une vraie psychose que l'on ne voulait pas regarder en face. Face aux crises les plus dérangeantes, les plus inquiétantes, voici quelques indicateurs de bon pronostic :
- Activités sociales non compromises : à certains moments, il est comme fou mais, plus souvent il fréquente ses amis, continue son sport favori... Pour la fréquentation de l'école, c'est un peu moins certain mais quand il dit ne pas pouvoir y aller, on a une impression de manipulation.
- Les « messages » de son comportement restent logiquement décodables pour l'entourage.
- Sa fonction autocritique reste présente comme toile de fond même si elle est débordée dans de rares occasions. La majorité du temps, il sait bien qu'il ne devient pas fou, et il peut l'affirmer tranquillement.
Accompagnement de la crise d'adolescence
A- La « présence à l'adolescence » à laquelle sont invités les parents d'abord, d'autres adultes ensuite (enseignants ...) comporte beaucoup de composantes non-spécifiques.
Nous nous limiterons à insister sur la fonction structurante de :
- La patience, la tolérance face aux tâtonnements et manières de s'exprimer d'un être qui se cherche.
Tolérance n'est cependant pas démission : on ne peut pas lui reconnaître le droit, ni de « pomper l'air » des autres exagérément, ni de se mettre vraiment en danger, ni de se livrer à des actes vraiment antisociaux.
- Le respect : rien de plus humiliant que de sourire de lui, de lui dire qu'il « faut qu'il fasse sa crise »
- L'encouragement : lui parler positivement de son avenir, réinstaller discrètement la confiance dans ce qu'il vaut et l'espérance qu'il pourra se réaliser.
- La disponibilité au dialogue, sans imposer jamais celui-ci : être prêt à parler avec lui de la vie, de ses et de nos questions existentielles, de nos valeurs et de nos incertitudes ...
Dans ce cadre, la vie continue, les tempêtes finissent par se stabiliser, et un projet par se redéfinir ... tout seul.
B - S'il est invité à donner son avis, à arbitrer, ou à rendre à nouveau sage l'adolescent déchaîné, le psy consulté peut dialoguer avec les parents pour qu'ils oeuvrent comme l'indique A. ; si l'adolescent est demandeur de rencontres avec lui, il peut y appliquer directement les grands principes que nous venons d'esquisser.
Les rares fois où il doute (c’est-à-dire là où il pense que la crise d'adolescence pourrait se transformer en pathologie plus grave), il lui revient d'être vigilant dans la « solitude », par exemple en intensifiant les rencontres, mais sans tout de suite alarmer les parents ou/et le jeune sur ses doutes.