Résumé : L’auteur distingue et décrit quatre catégories d’activités sexuelles « partagées » pouvant exister dans les fratries de sang ou adoptives : les activités mutuellement consenties et normo-développementales, les activités mutuellement consenties et préoccupantes ; les abus et les entre-deux et les activités incestueuses quant à leur signification psychique. Il aborde aussi la question de jeunes vivant ensemble sur de longues durées, mais sans liens de sang. Il en tire enfin quelques implications pour la gestion par les adultes, notamment en incluant parfois l’idée de la reconnaissance et de la gestion du doute.

Summary: The author distinguishes and describes four categories of "shared" sexual activities that can occur in blood or adoptive siblings: mutually consensual and healthy activities, mutually consensual and worrying activities, abuse and in-between activities, and incestuous activities in their psychic meaning. It also addresses the question of young people living together over long periods of time, but without blood ties. Finally, it draws some implications for the management by adults, notably by sometimes including the idea of recognition and the management of doubt.

  • I. Fratries et demi-fratries officielles, par le sang ou l’adoption

  • Contrairement à nombre de fratries qui sont chastes ou quasi, chez d’autres, le fait d’être frères et sœurs officiels n’arrête pas ipso facto les pratiques sexuelles en commun[1] : ici, avant 15-16 ans, ils peuvent ne voir dans leur frère ou leur sœur qu’un partenaire facilement accessible, avec ou sans son consentement, un cadet relevant d’un « devoir d’initiation » qu’ils s’attribuent, et beaucoup moins fréquemment, l’objet spécifique de leur amour (vrai inceste). Après 15-16 ans, les pratiques deviennent rares et à part quelques actes d’initiation tardifs (le grand frère qui laisse voir sa masturbation à son jeune frère-voire à sa sœur- de 12 ans) ; elles sont alors souvent préoccupantes (abus ou vrais inceste)

    Dans la fratrie, on peut distinguer quatre catégories d’activités sexuelles en commun :

  • Les activités mutuellement consenties et normo- développementales 

      Ce sont des jeux sexuels comme on les voit entre enfants « étrangers », surtout présents chez les plus jeunes. Qu’en est-il lorsque les désirs évoluent ? A partir de la préadolescence, chez des jeunes sans liens de sang, l’on a progressivement à faire à une quête plus centralement érotique, et, pour les plus précoces, à une envie de « faire du sexe » comme les adultes le font, avec pénétration des orifices. Cette évolution, avec sollicitation d’un partenaire consentant, se vit-elle aussi dans les fratries et, si oui, peut-on toujours la considérer comme « normo-développementale ?

    De loin en loin, quelques prémisses peuvent encore sembler « innocents » et acceptables :par ex ; deus frères, jeunes ados, regardent de la pornographie ensemble, éventuellement en se masturbant……un aîné de 13 ans initie sur pièces son jeune frère de 11 ans, on les surprend et souvent alors le petit prétend qu’il ne voulait pas !

     Mais au-delà, dès 10-11 ans, un grand enfant connaît habituellement, au moins intuitivement, et respecte la prohibition de l’inceste. Et donc, s’il y avait transgression et que l’on surprenait deux teenagers à une activité très probablement à finalité érotique, il faudrait la ranger dans une des cases suivantes de cette catégorisation.

     Il faut donc parfois une enquête délicate des parents pour y voir plus clair. J’y reviendrai à la fin du texte. Le fait que telle activité en commun apparait tout de suite ou finalement comme normo-développementales signifie que les parents ne devraient pas se tracasser quant à sa signification ou à son pronostic anti-social ou/et pathologique. Cela ne signifie pas ipso facto qu’ils doivent rester passifs ; chaque famille a ses règles pour encadrer la sexualité des plus jeunes.

  • Les activités sexuelles mutuellement consenties, non-incestueuses sur le plan psychique, mais toutefois préoccupantes

  • Tout comme il existe une sexualité susceptible d’être préoccupante entre mineurs « étrangers », elle peut aussi prendre place dans une fratrie.

    Exemples :Deux sœurs de 7 et 9ans sont surprises nues au lit, faisant un cunnilingus ;un petit, apparemment joyeux et consentant est « sucé » plus d’une fois par un(e) aîné(e) ;il a existé une pénétration, ou une tentative appuyée de pénétration anale ou vaginale précoce chez des moins de 10 ans ;un gamin de 6ans court tout nu en dansant autour de sa petite sœur qu’il a ligotée et qui rit aux éclats. Comment diable ont-ils appris ces pratiques ??

    Et puis, je viens juste de le décrire, des teenagers d’une fratrie en quête érotique partagée, sans respect du tabou de l’inceste, sortent le plus souvent eux aussi du normo-développemental, en zappant leur statut.

    Enfin, une grande disparité des âges est également préoccupante, en particulier lorsque des moins de 6 ans sont sollicités par des plus de 10, 11 ans :Même si l’aîné invoque un processus d’initiation, celle-ci n’est plus saine, normo-développementale, lorsqu’elle s’adresse à un trop petit : on n’initie en tout bien tout honneur que celui ou celle qui est presque prêt à faire quelque chose, mais qui n’en connaît pas encore la technique.

    Un paramètre intéressant à évaluer-autant que possible, c’est celui de l’adhésion intime stable des mineurs concernés à leur projet sexuel, qu’il ne se réalise qu’une fois, l’une ou l’autre fois, ou qu’il soit répétitif, versus la réalité d’un dérapage dans lequel ils se sont trouvés empêtrés.

     

    Un dérapage ? De quoi s’agit-il ? J’ ai traité ce thème de façon détaillée dans l’article  Dérapages sexuels d'adolescents. Dans ce texte, je me focalise sur les adolescents qui abusent, mais le dérapage peut également concerner des abus commis par des enfants ou des adultes, tout comme il peut concerner des partenaires de tous âges qui consentent un court moment à quelque chose d’ inapproprié et donc y perdent leur lucidité, leur self-control et s’égarent.

     Mais s’ils dérapent, ils sont néanmoins fondamentalement en bonne santé mentale et sexuelle. Déjà pendant leur dévoiement, ils ne vont que très rarement au bout du possible (acte pervers patent ou pénétration achevée...). Et leur conscience morale reprend vite le dessus et les dissuade de persévérer.

     Ainsi décrits, les auteurs de dérapage ne se dénoncent pas pour autant ipso facto et ne sont pas toujours « attrapés » 

     

    Les abus sexuels, l’entre-deux et les situations de doute quant à l’abus

     De réels abus sexuels, transitoires ou de longue durée, peuvent avoir lieu eux aussi dans une fratrie.

    Dans les cas les plus clairs, un frère ou une sœur plus fort en intelligence ou en musculature séduit, désinforme ou terrorise un cadet pour extorquer un pseudo consentement, voire le violer en s’en passant carrément. C’est à traiter comme tout abus, avec la circonstance aggravante que l’auteur a vraiment été au plus facile, vers une proie qui ne pouvait pas lui échapper.

  •  I. De qui émanent-ils?

    Pour décrire ces abus, je m’inspirerai de la catégorisation à laquelle j’ai recouru dans l’article Ados auteurs d'abus ou de pseudo-abus» , avec un bémol : les auteurs sont souvent des adolescents, mais pas toujours : j’ai reçu par courriel plus d’un témoignage tardif de jeunes femmes, abusées parfois durant des années par un frère entre ses 10 et ses 14, 15 ans….

    C’est quasi-systématiquement le fait d’aînés vis-à-vis de cadets.

    1.Abus commis par un jeune dont le développement ultérieur de la personnalité s’avère non- préoccupant

    1.1.Dérapages. 

     Cft ce qui en a été dit plus haut.

    ILL. Lors d’une séance de psychothérapie, Juan (huit ans) me dessine une fille nue avec quelques poils et un gros clitoris surchargé au crayon noir. Avec beaucoup de gêne, il m’explique que, il y a à peu près un mois, sa grande sœur ( quatorze ans ) lui a montré et expliqué son sexe en détail, puis a exigé qu’il le touche et le lèche … Après, elle lui a demandé pardon et lui a fait jurer de se taire …  leurs relations sont redevenues plutôt positives, mais ils n’en parlent jamais.

    A mon sens, il n’y avait pas de raison pour se précipiter à informer les parents, puisqu’il n’ y avait plus de danger. J’ai donc maintenu ma perspective psychothérapeutique et commencé par dialoguer avec Juan sur son vécu, ses éventuelles questions, sont droit à se protéger d’agressions et par quels moyens.

    1.2.Mauvaises passes transitoirement assumées comme      « normales », sans culpabilité.

    Il peut exister un projet complètement assumé d’entraîner le cadet, pour une certaine durée, dans des activités sexuelles en commun, pour le plaisir, pour exercer du pouvoir, pour le salir par jalousie[2], avec ou sans affection positive conjointe.

    Mais ce projet reste transitoire, quelques mois tout au plus,  lié à l’efflorescence des pulsions du moment, au sentiment de toute-puissance adolescent aire qui affaiblit les impératifs de la conscience morale, et qui va progressivement se renormaliser, ou encore, à un état intérieur défavorable qui cherche des compensations. L’adolescent ici concerné va rarement à l’extrême (pénétration vaginale) ;autant pour l’extrême de la terreur !

    ILL. Depuis 3 mois, Ethan (13 ans) importune sexuellement sa sœur Lisa (9ans 1/2).   
    Environ une dizaine de fois, il y a eu attouchements, masturbations et même fellations. Ethan, costaud pour son âge, dominant et peu nuancé dans ses propos, use de la force physique qui émane potentiellement de lui pour que Lisa ait suffisamment peur, se soumette et n’ose pas en parler.

    Un beau jour, dans un bungalow de vacances à l’étranger, les parents les surprennent. Colère ! Scandale ! Dès la fin des vacances , Ethan est envoyé vivre chez ses grands-parents et je suis contacté. Je proposerai très vite que les parents et Lisa se fassent aider par une psychothérapeute en qui j’ai confiance, mais avec qui je n’aurai aucun contact. Moi-même, je me réserve l’accompagnement des parents et de l’auteur, avec beaucoup de pain sur la planche : se mettre d’accord et énoncer des paroles justes à propos de ce qui s’est passé ; énoncer la Loi et définir une sanction appropriée ; aider psychologiquement si nécessaire les uns et les autres : aider Ethan à se faire une représentation juste de la sexualité en général et de la sienne, avec la sociabilité qu’elle doit connoter.  
    Il a donc existé un panaché de rencontres avec Ethan seul, avec les parents seuls, avec les parents et Ethan; (et parfois en plus Louis, le frère de 15 ans d’Ethan) . Ethan a spontanément et très vite souhaité écrire une lettre d’excuses à sa sœur, et celle-ci, libre de l’accepter ou pas, a bien voulu la lire. Au fil du temps, lentement, ils ont reconstruit à deux une relation courtoise, mais distante Ce qu’il y avait à dire et à commenter sur la sexualité et l’inacceptable de l’abus a été dit. La sanction programmée par les parents a été dure, tout comme leur réorganisation de la famille (un an d’internat scolaire et séjour dans sa chambre les w-e, sauf au moment des repas ; non-participation aux vacances familiales l’année d’après)... et j’ai aidé Ethan à l’accepter. J’ai parlé avec lui de mille choses relatives à l’adolescence et aux relations familiales et sociales.  Un des points les plus difficiles a été de réconcilier Ethan et sa maman, de faire se reconstruire une relation au moins raisonnablement positive, car la maman était vraiment choquée par ce qui s’était passé et avait une véritable répulsion pour Ethan

    Par ailleurs, j’ai encouragé Ethan à s’introspecter sur le sens de son passage à l’acte sexuel ( entre autres, il se sentait jaloux de la place privilégiée qu’il ressentait pour Lisa dans sa famille). Je l’ai aidé à évaluer la souffrance qu’il avait provoquée. J’ai essayé de surveiller (veiller-sur…), tant que faire se peut, l’évolution de sa sexualité ( e.a. ; la nature de ses fantasmes masturbatoires, sans entrer dans les derniers détails érotiques ; les objets de ses désirs sexuels; son éventuelle attirance pour les enfants). Ce travail a pris deux bonnes années…

    Epilogue : Vers ses vingt ans Ethan me recontacte d’initiative…il se sent déprimé, principalement parce que sa copine du moment l’a laissé tomber. Une psychothérapie individuelle se met en place et dure quelques mois ; vers la fin, il va beaucoup mieux, il a une autre copine et il me dira un jour, sans que je le lui demande, qu’il lui arrive de passer avec elle une après-midi entière au lit et qu’il peut l’honorer quatre fois. Comme quoi, le thème de sa capacité virile, hyper ploitically correcte cette fois-et sans doute de l’intérêt dont il se représente que je lui attribue- n’a jamais été très loin. Et quelques semaines avant, il m’avait confié : » Vous savez, je pense encore parfois à ce que j’ai fait à ma sœur. Comment ai-je pu lui faire ça ? Je me sens si coupable ! » De quoi travailler la question de la faute et du pardon, à se donner soi-même… 

    2.Abus commis par des personnalités préoccupantes ( plus rares) 

    Dans l’article de référence,   Ados auteurs d'abus ou de pseudo-abus,»  j’en distinguais plusieurs types. Dans les fratries,  nous avons le plus souvent à faire au plus fréquent : « les dominants-agressifs, peu sociables ni empathiques, et amateurs de plaisirs sexuels » 

    ILL. Une jeune dame de 24 ans m’envoie un courriel : « …J'ai été violée pendant 4 ans (de 8 à 12 ans environs, peut-être même plus mais j'ai fait le maximum pour effacer tout cela de ma mémoire) par mon frère âgé d'un an et demi de plus que moi. Cela a arrêté lorsqu'il a rencontré une première petite amie avec qui il est resté quelques mois.

    En ce qui concerne mon frère et la manière dont il obtenait quelque chose de sexuel, il me disait "viens, on va en haut" et je le suivais, tout en sachant ce qui m'attendait. Parfois, si j'étais dans ma chambre, il m'y rejoignait. Je n'ai jamais réussi à dire "non", ce qui a perduré bien des années plus tard. Il procédait à des attouchements, et à d'autres "préliminaires" (peut-on nommer cela comme ça dans cette situation?) avant d'entamer l'acte sexuel en lui-même.     
    Je sais que je n'aimais pas ça; Je ne sais pas si mon frère était conscient de ses actes. Mais je sais qu'il avait 14 ans dans la dernière année et, qu'à cet âge, j'étais totalement consciente de ce dont il s'agissait… ».
     

    Un des pires que j’ai connus a duré plus de deux ans, avec deux frères adolescents auteurs, psychopathiques, et une fille préadolescente, dans le secret des chambres du deuxième étage. Parents riches et indifférents. Il a fallu un très mauvais état somatique de la jeune fille pour que la révélation se fasse péniblement.

    • Certains protestent efficacement et se font respecter, ou vont vite se plaindre en haut lieu. Et la tentative d’abus avorte.
    • I. Néanmoins, tout est loin d’être aussi simple

       Aussi simple que cette dévoration du petit Chaperon rouge par le loup ! Bien des nuances sont susceptibles d’exister, voire d’aller et venir dans les motivations, les vécus et les comportements des uns et des autres.  En voici quelques applications, émanant de la victime potentielle :

     

    • Certains ne se protestent mollement qu’une petite fois initiale, ou de loin en loin ; l’auteur insiste, joue de son ascendant ;alors ils se soumettent silencieusement et donnent même parfois l’apparence d’être d’accord. Jusqu’à quel point l’aîné est-il dupe ? Sait-il encore qu’il abuse ou se persuade-t-il que l’on a glissé dans le cadre d’un jeu ? Il le prétendra probablement, et il est souvent impossible de savoir ce qu’il pense au fond de lui-même.

     

    • Dans les pires cas, la velléité de protestation n’a même pas lieu : le cadet a d’emblée secrètement peur de l’autre, ou respecte inconditionnellement l’ascendant de l’aînesse, ou est habituellement très passif, et il ne laisse entrevoir en rien qu’il n‘est pas d‘accord.

     

    • Il y a aussi les passages du Oui au Non, clairement exprimés mais que l’auteur n’entend pas. Ce peut être très précoce, le cadet étant tout de suite effrayé par ce à quoi il a pourtant consenti :p.ex., une fille de 12 ans refuse la fellation demandée par son frère de 14. Néanmoins, il n’est pas facile du tout - sinon pratiquement impossible - pour l’ aîné en pleine excitation sexuelle de s’arrêter net ! ici, il pourrait donc terminer de se masturber rapidement devant sa sœur! Abus quand-même, soit, mais ce qui est fondamentalement important, c’est qu’il ne récidive pas.

     

    • Il en va autrement si une personne change d’avis au fil du temps, et dit « Non » à un moment donné, parfois bien éloigné du début 

    Ainsi, j’ai connu une sœur qui a dénoncé vers 15 ans son frère de 14, avec qui elle avait des activités incestueuse régulières depuis trois ans (en ce inclus les précautions contraceptives). Ils étaient bien d’accord au début, puis, il y a quelques mois, effrayée et honteuse de ce qu’ils faisaient, elle avait voulu y mettre un terme Mais le frère n’avait pas pu renoncer et avait insisté suffisamment subtilement pour qu’elle se soumette…jusqu’à ce qu’une séance sur la prévention des abus faite au collège lui donne le courage de dénoncer.

     

    • Et l’entre-deux est loin d’être rare !!!

    Pour un certain nombre d’activités sexuelles, il est malaisé, sinon impossible, de déterminer s’il s’agissait d’activités consenties ou contraintes. C’est le cas par exemple lorsque le cadet sollicité est ambivalent et donc que sa réponse manque de clarté : une dimension de lui a envie, et une autre en rejette l’idée (par angoisse, par culpabilité, en référence à des valeurs, etc.).

    Face à la sollicitation, ce cadet se montre hésitant, ambigu, incapable de se prononcer de façon stable dans un sens ou l‘autre. Celui qui invite en profite pour insister : s’ils sont attrapés, ce dernier soulignera avec plus ou moins de bonne foi le fait que l’invité ambivalent était d’accord et celui-ci prétendra qu’il ne l’était pas.

  • Les activités incestueuses quant à leur signification psychique

    Ici, l’inceste est connu par les protagonistes. Pas toujours l’appellation, mais le fait qu’ils se livrent à une activité fondamentalement interdite par la nature de leur statut fraternel. Cela ne signifie néanmoins pas qu’ils s’en trouvent culpabilisés ipso facto!

     Anxieux à cause du risque,  éventuellement, mais parfois exaltés par la sensation enivrante de l’exceptionnel, voire d’être dignes de la malédiction de la société…et parfois même pas !

    J’en distingue deux sous-groupes, pas exclusifs l’un de l’autre :

    -Les incestes vraiment amoureux Ce sont de loin les plus rares, car ils doivent combiner sexe et amour possessif, exclusif, unilatéral ou bilatéral. Ils essaient même parfois de survivre à la sanction, à la séparation et à se perpétuer. Relisez à ce propos les très beaux livres d’Augustin Gomez Arcos, L’agneau carnivore (Paris :Stock, 1975) ou Les météores de Michel Tournier( Paris : Gallimard, 1975).

    Il a même pu se produire que seul un des deux était « fou » de l’autre et abusait donc de son pouvoir pour le soumettre.

    -Autre combinaison incestueuse, un peu moins rare, c’est ce que j‘appelle l’inceste des vieux habitués : ici, se combinent sexe, partenariat exclusif de longue durée, avec au moins une bonne connivence affective, l’un suffisant à l’autre, la situation vécue empêchant de facto d’aller conquérir un(e) partenaire extérieur. Au fond, à l’instar de l’ouvrier parisien, ils font régulièrement l’amour, le soir après le turbin…

    J’ en donne une illustration détaillée dans le chapitre de mon livre Psychothérapies d’enfants et d’ adolescents ( Paris : PUF 2014): Jérémie et l'inceste dans la fratrie ; traitement en ligne 

     

    • II. Mineurs présentés à tort comme frères et sœurs

    Ce sont les mineurs, nés de lits différents, qui vivent habituellement à temps complet ou partiel dans une famille recomposée, une famille d’accueil ou une institution résidentielle. Des activités sexuelles sont susceptibles d'exister entre eux.

    On dit parfois qu’une des raisons de les interdire, c’est qu’ils sont « comme des frères et sœurs » et donc qu’ils sont soumis à l’interdiction de l’inceste. Cette déclaration m’a toujours semblé inadéquate, source de confusions et de culpabilté chez les mineurs concernés.

    Il est compréhensible que les adultes responsables de leur éducation cherchent à ce que règne la paix sexuelle intra-muros et donc qu’ils interdisent les activités sexuelles en commun comme le fait l’école et, dans une large mesure, n’importe quelle famille européenne. Du point de vue de l’organisation sociale, c’est dans l’ordre des choses, même lorsque les adultes reconnaissent positivement l’existence de la sexualité infanto-juvénile. Le message social à l’égard des jeunes reste bel et bien :  « Il faut attendre d’être plus grands » et, à un moment donné, « Il faut se trouver des partenaires hors du groupe de vie quotidienne »

     Peut- être que, dans le champ émotionnel, les adultes  fantasment que de jeunes mâles pubères ou presque, vivant sous le même toit, pourraient déclencher entre eux des combats, comme chez les mammifères, pour la possession (illusoire, soit !) des filles du groupe…ou alors qu’une sexualité librement vécue par les uns pourrait mettre sous tension les autres (comme dans les familles d’ailleurs, où les jeunes de 14 ans viennent parfois se plaindre parce que la sœur aînée et son copain (ou sa copine…) font trop de bruits vers 23 heures….) Soit, si c’est ce qu’ils pensent, qu’ils installent les mêmes règles que dans les familles,  mais sans brader le mot inceste. Et sans crier tout de suite à l’abus s’il se passe quand-même quelque chose ni sans procéder à d’intempestives expulsions[3].

    Heureusement les mentalités évoluent.

    Ainsi, dans quelques institutions pour grands adolescents et jeunes adultes, on reconnaît l’existence du lien amoureux, couplé à du désir sexuel , chez des jeunes de l’institution qui sont vraiment falled in love. On leur demande de la discrétion quand ils sont dans le groupe de vie quotidienne, comme à nous tous…ils peuvent se retirer dans un square, sur un banc public, pour se bécoter à la Brassens. Et l’on met à leur disposition un studio ou une chambre ave un grand lit une partie du temps, par exemple en fin de semaine.

    De même, dans quelques familles recomposées, on a dû faire face positivement à l’amour qui se déclarait entre jeunes de lits différents. Peut-être au demeurant en hâtant un peu leur sortie du nid familial pour aller vivre leur couple au-dehors, avec les aides matérielles que nécessitaient leur statut.

    • III. En guise de conclusion : Implications pour la prise en charge

    Face à tous ces types d’ activités, les adultes en charge d’éducation, de soins ou de réaction sociale, à commencer par les parents, sont invités à reconnaître et à maitriser leurs propres émotions, et à bien comprendre ce qui est en jeu avant de réagir. Ce n’est hélas pas toujours ce qui se passe, car des paroles intempestives et des actions précipitées se produisent bien trop souvent.

    Il faut se souvenir que les vécus et les intentions sont souvent ambivalents et fluctuant dans la durée. De plus, les mineurs concernés , soi-disant auteurs ou soi-disant victimes, ne s’introspectent pas toujours facilement ou ils ont peur et se ferment. Et encore, ils ont souvent intérêt à mentir pour se protéger et ne s’en privent pas !

    D’où l’importance de l’enquête bienveillante des parents. Ils peuvent se faire aider par un professionnel connaissant bien la psychologie et la sexualité des enfants et des adolescents.

    Cela étant il est parfois simple, pas trop hasardeux, de statuer sur la nature d’une activité sexuelle en commun et sur le rôle de chacun.

    Et parfois, ce ne l’est pas, même après une investigation soignée :

    Normo développemental ou non ? Abus, ou non, ou entre-deux ? Aîné naïf ou roublard ? Transgression du tabou de l’inceste ou non ? Alors, plutôt que de tordre la signification des éléments de discours et d’observation obtenus, on ferait souvent mieux d’admettre et d’énoncer qu’il y a doute, et que celui-ci restera probablement irréductible… Et le doute ne paralyse en rien l’action structurante de l’adulte. Nous avons discuté de la gestion du doute en matière sexuelle dans le dernier paragraphe de l’article  Ados auteurs d'abus ou de pseudo-abus, texte que je vous invite à relier soigneusement.

    Que les parents soient franchement préoccupés ou dans le doute, il leur revient de prendre des mesures spécifiques d’éducation et de soins et d’ interdire la récidive des abus et des transgressions de la prohibition de l’inceste en instaurant ce que j’appelle des règles puissantes. 

    Notes

    [1] J’emploierai le terme « en commun » pour désigner toutes les pratiques sexuelles non-solitaires, qu’il y ait ou non consentement mutuel. Elles se déroulent alors souvent à deux, quoique…

    [2] Cette motivation, à peine inconsciente, est assez fréquente dans les famille recomposées : ici, un préado ou un jeune ado d’un premier lit s’en prend à sa demi-sœur, toute jeune, fruit du nouvel amour des adultes de la famille ;il se sent sur la touche alors qu’elle est la petite chouchoute, et il va salir l’image rayonnante d’innocence qu’elle véhicule.

    [3] L’expulsion d’une institution pour cause de sexualité partagée, trop vite redéfinie comma abus, reste malheureusement une pratique trop fréquente . Cf l’article :

    Exclusion d'un jeune hors d'une institution