Article paru dans Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence 53 (2005) 245-25 

 

 Définition et enjeux

 

La loi belge du 13 avril 1995 énonce que l'autorité paren­tale doit être exercée conjointement par chacun des deux parents « légaux » de l'enfant, qu'ils soient mariés ou non, qu'ils vivent ensemble ou non. Ce principe reste d'applica­tion même si leur couple a été en crise et s'est séparé ou a divorcé. Néanmoins, les autorités judiciaires peuvent décider de confier l'autorité à un seul parent si la conduite de l'autre est source de préoccupations suffisamment importantes (1) ; ce pourrait être le cas notamment si l'un des parents refusait de façon persistante d'appliquer ce principe de l'autorité paren­tale conjointe.

Concrètement, le principe porte sur les grandes décisions qui concernent la vie de l'enfant : il faut, soit que les parents puissent en discuter et les prennent vraiment ensemble, soit que l'un entérine telle option proposée par l'autre. Les conte­nus de ces décisions importantes sont énoncés de façon non exhaustive dans la loi : fréquentation de telle école, options philosophiques ou religieuses, lieu de résidence de l'enfant ... : si des désaccords persistent à leur propos, le tribunal peut être saisi et trancher le litige. De facto, ce sera surtout le cas s'il y a eu « tentative de fait accompli », c'est-à-dire si un parent a voulu mettre en route sa décision dans un domaine jugé important contre l'avis de l'autre parent.

Les petites décisions du quotidien, elles, restent sous la responsabilité individuelle de chaque parent chez qui l'enfant réside au moment où il faut les prendre. 

Ce principe et cette loi sur l'APC constituent « un énorme défi lancé à notre époque ... Quoi de plus légitime que, dans un contexte de fragilité - de déliquescence, diront cer­tains - du lien conjugal, soit posé avec force le principe de la coresponsabilité parentale comme une référence essen­tielle pour les enfants ballottés au gré des recompositions familiales ? » [6]. Ils confirment toute l'importance que revêt pour l'enfant sa double référence à son père et sa mère ou plus précisément aux détenteurs officiels de l'appellation « père » et « mère » : ceux-ci ne sont pas ipso facto ses parents géniteurs, mais la loi suppose que s'ils ont désiré être dési­gnés socialement comme « père » et « mère », c'est qu'ils étaient prêts à inscrire l'enfant dans leur lignée généalogique et à exercer à son égard une forte responsabilité de type paren­tal. S'il en est ainsi, il n'est plus question de faire une hiérar­chie entre eux : l'un et l'autre sont également importants : il est souhaitable qu'ils soient deux, chacun porteur de son iden­tité, mais aussi de son incomplétude (2), qui rend la présence de l'autre tellement enrichissante : l'enfant peut donc se sentir appartenir à deux lignées : il peut puiser chez chacun des éléments d'identification, des valeurs et des repères différen­ciés. La double référence lui permet aussi « d'avoir du jeu » à l'occasion, c'est-à-dire de ne pas être ou se sentir prisonnier d'une toute-puissance, davantage susceptible d'émaner d'un parent exerçant seul ses fonctions [4,13]. 

Tant mieux donc si enfants et adolescents sont bien infor­més de la valeur que revêt ce principe ! Tant mieux égale­ment si des parents séparés,  non excessivement envahis par d'interminables conflits, s'y réfèrent raisonnablement 

 Des problèmes persistent 

Cela dit, la loi de 1995 n'a pas réglé tous les problèmes de terrain, loin s'en faut : 

 

  • Quoi qu'elle veuille imposer quelques parents - séparés ou non ! - sont partiellement ou totalement incapables de faire une place à leur partenaire-parent. Dans les cas les plus graves, ils méritent l'appellation de parent aliénant (3), mais des situations moins extrêmes peuvent déjà s'avérer bien préoccupantes : ici, l'un des parents - souvent celui qui n'a pas la garde quotidienne principale - est subtile­ment mis à distance et disqualifié. La tentation d'une démission progressive dans le chef de ce parent contesté n'est pas rare [13,15] ; pourtant, mieux vaudrait qu'il essaie de rester debout face à l'enfant, pour lui montrer la valeur de ce qu'il apporte de différent, sans pour autant insécuri­ser l'enfant par des contre-attaques systématiques contre le parent premier harcelant ! Pas simple, reconnaissons-le!
  • Ailleurs, c'est de part et d'autre, en référence à une dyna­mique systémique, que les conflits restent vifs, tant avant qu'après la séparation. De féroces affrontements socioju­ridiques existaient déjà avant la mise en place de la loi et persistent par-devers celle-ci : toute décision quelque peu importante n'est prise qu'à l'arraché, avec sabotages à la clé, et à grand renfort d'énergie et de coûts sociaux et judiciaires : du pain bénit pour certains avocats, médiateurs et psy en mal d'emploi et de sérieux dilemmes pour les magis­trats avant qu'ils se décident à appliquer l'ultime recours offert par la loi : confier à nouveau l'autorité exclusive­ment à un parent. Mais auquel ? Vraiment pas simple, face à ces parents déchaînés, d'évaluer s'il y en a vraiment un qui soit un peu meilleur et l'autre un rien plus incompé­tent [7] !
  • À côté de ces freins mis à l'efficacité de la loi, il existe un autre effet négatif que l'on peut, lui, qualifier de pervers. 

On y assiste lorsque de facto, un parent - souvent la mère - porte à lui seul la plus grande partie de la charge quotidienne de l'enfant : elle l'a accepté ou voulu ainsi, certes, mais cela arrange bien l'autre parent - souvent le père - qui a repris une vie plus libre de son côté. Néanmoins, ce second parent se sert du principe d'autorité parentale conjointe pour surgir à l'occasion et mettre des bâtons dans les roues du parent principal gardien, jusqu'à parfois lui pourrir la vie. Les motivations de ce second parent sont variées : dans les pires des cas, il s'agit d'une lutte de pouvoir homme-femme, c'est-à-dire de soumet­tre à nouveau la femme à l'autorité masculine ; la femme garde la charge effective des enfants, mais les pères ont repris le pouvoir de contrôler leur vie (entre autres, restric­tion sur la mobilité, imprévisibilité dans la programma­tion des temps consacrés à l'enfant, exigence d'un héber­gement alterné (4) qui ne sera pas appliqué ...). Ces motivations narcissiques et de pouvoir doivent nous faire nous souvenir que, s'il existe des féministes parfois exces­sives dans leurs revendications, il existe des masculinistes tout aussi outranciers (5). 

Nous avons donc là un principe important - reconnaître une égale valeur et donc une égale autorité au père et à la mère -, et voici que l'être humain se montre tout de suite capable de le faire dysfonctionner.  Il va donc falloir faire preuve de réalisme, examiner chaque situation au cas par cas, et surtout ne pas prendre l'enfant comme otage pour nous venger de nos impuissances d'adultes professionnels face à des parents récalcitrants ou retors [18]. 

Les dispositions de procédure actuelles permettent-elles d'appliquer l'idée de l'APC et d'en surveiller l'application? Y a-t-il moyen de contrecarrer le parent qui refuserait, par principe, l'implication de l'autre ? Et cela, sans violences administratives ou pénales qui se retournent quasi inévitable­ment et gravement contre la paix intérieure de l'enfant ? Et surtout sans nouveaux déracinements intempestifs de celui-ci ? Inversement, y a-t-il moyen de calmer le parent qui ferait une interprétation abusive de son droit à l'autorité pour le seul plaisir d'ennuyer l'autre, mais sans engagement vérita­ble pour le bien de l'enfant ? C'est à ces questions que doi­vent s'atteler ensemble les professionnels du terrain (magis­trats. avocats, médiateurs, travailleurs sociaux, psy ...) pour trouver des règles souples et des solutions à réinventer chaque fois.

 L'hébergement alterné et les conditions positives de son application 

Après séparation des parents, pour que se concrétise dans leur quotidien le principe de leur autorité parentale conjointe, on peut recourir à une pratique d'hébergement alterné : l'enfant séjourne approximativement la moitié de son temps de vie chez l'un de ses parents et l'autre moitié chez l'autre. Les petites décisions du quotidien relèvent de la responsabi­lité de son gardien du moment et les grandes, elles, doivent rester conjointes, comme nous l'avons exposé précédem­ment.

Les répartitions de durée qui sont choisies sont très variées, mais rarement de moins d'une semaine. Il existe par ailleurs des formules proches d'une garde alternée stricto sensu, qui peuvent être incluses dans la réflexion qui va suivre. Ainsi parle-t-on parfois de droit de visite élargi ou de week-end prolongé pour désigner, par exemple, une organisation de l'hébergement où l'enfant séjourne chez un de ses parents une semaine sur deux du jeudi soir au mardi suivant le matin et la moitié des vacances scolaires. 

S'il arrive que l'on présente l'hébergement alterné comme la vitrine de l'autorité parentale conjointe, elle n'en cons­titue cependant qu'une des expressions possibles. Il ne faut pas confondre quantité égale et égalité dans ce qui est vécu. Or, dans le domaine des relations humaines la qualité est plus essentielle que la quantité

Par ailleurs, dans une majorité des cas, les solutions négo­ciées et acceptées par les parents sont préférables aux solu­tions imposées. Si trouver un compromis s'avère trop diffi­cile à eux tous seuls, il existe des intervenants professionnels pour les aider, par exemple des médiateurs (6) [6]. Nous som­mes donc hostiles à ce qu'une formule unique d'héberge­ment, quelle qu'elle soit, apparaisse un jour dans un texte de loi comme la règle de base par rapport à toutes les autres. Cela nous semblerait une ingérence excessive de l'État dans le privé des familles, fondée sur un doute et une méfiance quant à la capacité des parents à veiller sainement sur leurs enfants. Il existerait alors un paradoxe énorme entre le droit reconnu aux deux parents d'exercer la fonction parentale après la séparation et le fait que ce soit ici l'État qui l'exercerait à leur place, quand ça touche à une décision aussi fondamen­tale que l'organisation de la vie parents-enfant. 

 

Parents et intervenants ne devraient mettre en oeuvre un projet d'hébe

rgement alterné que si un certain nombre de conditions positives sont remplies, et ne le maintenir que si elles le demeurent ! Les voici énumérées, selon ce que nous pensons être un ordre d'importance décroissante:

. Un vécu positif chez l'enfant

 

L'enfant concerné doit être positivement intéressé par la perspective de l'hébergement alterné et le demeurer si celui-ci est mis en place. 

 

  • Un enfant positivement intéressé : discussion du concept

     

Quitte à paraître désuets, nous pensons qu'il faut privilé­gier la prise en compte du bien-être de l'enfant après la sépa­ration de ses parents. Via cet acte, ceux-ci ont pris la décision de faire ce qu'ils croyaient bon, en pensant d'abord à leur intérêt affectif d'adultes (7). Même si leur démarche s'avère sou­vent bénéfique pour tous à moyen et long terme, il est rare qu'elle n'entraîne pas d'abord quelques souffrances psychiques pour l'enfant : tristesse, révolte, insécurité, culpabilité sont fréquemment vécus et se traduisent en comportements difficiles à assumer par les adultes, même si cette capacité de s'exprimer signe souvent la bonne santé mentale de l'enfant.

C'est donc justice que par la suite, on (8) essaie d'abord de penser au bien-être de celui-ci, entre autres quand il s'agit de déterminer comment vont se répartir ses séjours entre ses parents.

Néanmoins, prétendre être le porte-parole de l'intérêt de l'enfant constitue un projet à risque, régulièrement perverti par des adultes qui s'abritent derrière celui-ci pour défendre leurs idées à eux.

Pour réduire le risque d'erreur, la communauté sociale devrait proposer à l'enfant concerné de s'exprimer et s'effor­cer de l'écouter dans une ambiance bienveillante et neutre.

La communauté sociale ? Elle délègue à cet effet des inter­locuteurs professionnels dont il est important qu'ils soient choisis à l'amiable par les deux parents (9) ou désignés par les autorités judiciaires. Leur mission est d'aider à prendre des décisions-clés (ici, par exemple, l'organisation de l’héberge­ment) et ils doivent donc avoir une bonne expérience de l'écoute des enfants et du dialogue avec eux [18]. Actuelle­ment, beaucoup de médiateurs hésitent encore à impliquer l'enfant dans le processus de médiation et c'est dommage, au vu de toute la richesse qu'un enfant peut apporter quand il décide de s'exprimer ! Alors, il y a les experts civils - qui invitent quasi systématiquement l'enfant, et les psycholo­gues ou les psychiatres infantojuvéniles dans leurs consulta­tions ... [10,12].

 

 

A cet évaluateur, l'enfant souhaite-t-il faire part de son idée concernant ses séjours futurs chez son père et chez sa mère ? Qu'est-ce qui le motive ? Dans quelle mesure est-ce une idée personnelle ou une idée qu'on lui a soufflée à l'oreille ? Les enjeux de tels entretiens devraient être clairs pour chacun : il s'agit de réfléchir, et de s'exprimer et de dis­cuter si on le souhaite. Après, ce sont les parents qui décident (ou le Juge). Pour peu que l'enfant désire s'exprimer, son interlocuteur devrait d'abord l'écouter sans a priori et l'aider à bien exposer ce qu'il a à dire. Après, l'adulte peut entamer une discussion, faire des propositions alternatives, mais en laissant bien à l'enfant la possibilité d'évaluer le pour et le contre des différentes options. Plus l'enfant est prudent et peu bavard, plus I'adulte doit veiller à l'informer sur ce qui est possible, mais toujours avec respect et ouverture face aux pré­férences que l'enfant finirait quand même par exprimer. Enfin, l'enfant définitivement mutique doit être respecté, lui aussi !

Plus tard, lorsqu'une décision sera prise, il faudra veiller à ne pas la justifier en se référant à la demande ou au refus manifestés par l'enfant. Même si l'on a été influencé par ceux-ci, ce n'est pas lui qui porte la réalité et la responsabilité de la décision. 

 

  • Comment en tenir compte ?

  •  

Au terme de ces dialogues, on ne devrait pas imposer un hébergement alterné à l'enfant qui en éprouve la perspective négativement et de façon stable. Inversement, s'il le souhaite, et d'autant plus qu'il le souhaite ardemment et for­tement, c'est un indicateur fort pour le mettre en place, surtout si les conditions suivantes sont réunies, elles aussi. S'il se dit indifférent, il fau­dra avancer prudemment : se référer aux autres conditions et prendre des décisions suscepti­bles de révision, par exemple de six mois en six mois, ou annuellement. 

Notre pratique d'expertise civile nous a montrés que l'hébergement alterné était souvent positivement souhaité par des enfants ( et même quelques adolescents ) forts, équilibrés psychiquement, capables de penser à leur intérêt, même dans cette partie des situations conflictuelles (10) qui n'ont pas dégé­néré jusqu'à vouloir les entraîner de façon importante dans le conflit de chaque adulte contre l'autre. Pour ces enfants, la demande de résidence alternée signe aussi l'espoir d'un apai­sement de la tension entre leurs parents. 

 

  • Applications en référence à l'âge

--- Candidats à la résidence alternée. On admet géné­ralement que les bébés et les tout petits enfants, jusqu'à trois ans révolus, ne sont pas de bons candidats à la résidence alter­née. C'est vrai en moyenne, mais il faut bien comprendre pourquoi !

  - Beaucoup de tout petits supportent bien d'aller à la crèche ou chez une gardienne d'enfants et ceci pendant des durées de temps longues et dont le retour est largement prévisible et ritualisé : ils vivent donc positivement des séjours en alternance. Mais ce qui est fondamental, pour que ça se passe bien, c'est le passage du témoin entre gardiens suc­cessifs, où l'enfant peut s'imprégner d'une permanence de la confiance entre les personnes : lorsque le tout petit pressent que ses gardiens les plus familiers ( ses parents ) sourient au suivant et le remettent dans les bras de celui-ci avec plaisir alors, si du moins il n'est pas d'un naturel trop anxieux, il se sent en sécurité et ne fait pas beaucoup - ou pas du tout - d'histoire pour changer d'environne­ment à répétition ;

- Il souffre déjà davantage d'insécurité lorsque, malgré que les adultes s'apprécient les uns les autres, les change­ments sont plus inorganisés, imprévisibles, ou portant sur des lieux multiples et inconnus ;

- Mais justement, il ne faut plus rêver : dans la (grande) majo­rité de cas de séparations parentales presque par définition toutes fraîches puisque, ici, des enfants très jeunes sont en jeu, ce contexte de confiance réciproque entre les conjoints séparés est loin d'être retrouvé !

 

 

 

La mère a peur de voir partir son enfant chez son « ex », qui représente essentiel­lement des expériences et souvenirs négatifs. Et le papa, de son côté, les fois où il « a » l'enfant chez lui, se crispe pour montrer qu'il sait réussir tout seul et donc qu'il ne fera surtout pas de référence à la maman. Si la situation se présente ainsi - et c'est le plus fréquent ! - alors l'enfant a fort peur d'être séparé de sa mère : peur de ce qui pour­rait arriver quand elle n'est pas là et qu'elle n'aime pas trop qu'il soit là où il est ; peur aussi de ne plus jamais la revoir et quand il revient chez elle, il ne « décompresse » que lentement, il lui montre toute son insécurité et aussi qu'il est fâché. Et bien sûr, ce comportement difficile du tout petit chez chacun des adultes ne fait que « légitimer » leur position de disqualification de l'autre : la mère accuse le père d'incompétence voire de traitements louches : le père accuse la mère de lui mettre des bâtons dans les roues : et le cercle vicieux de méfiance et de reproches récipro­ques s'intensifie. C'est à cause de ces tensions entre adul­tes, et non parce que, par principe, les tout petits suppor­teraient mal les alternances de séjour que ces derniers éprouvent des difficultés à s'adapter à ces conditions rela­tionnelles.

Vivant dans ces conditions, pratiquement, les jeunes enfants, jusqu'à trois ans révolus, gagnent à avoir une réfé­rence principale stable, matérielle et spirituelle, pour se cons­truire une confiance de base forte et pour se laisser aller tran­quillement à développer leur potentiel créatif. Ils gagnent donc à avoir un parent gardien principal de leur vie quotidienne (11).

L'autre parent peut venir faire à l'enfant des petites visites répétées, ou l'emmener pour de brefs séjours à son domicile. La durée de ces séjours peut augmenter progressivement : nous nous référons ici au principe de fractionnement évolutif décrit par Berger [2] (12) : d'abord deux, trois heures deux fois par semaine jusqu'à une demi-journée, deux ou trois fois par semaine : on peut y ajouter progressivement un jour, deux jours avec une nuitée, deux trois jours de vacances. L'enfant reste donc principalement en séjour chez la personne (ou plus exactement le petit gropersonnes) qui le materne, mais ni lui ni l'autre parent ne sont privés du plaisir de se voir, de se parler, de jouer ensemble, de donner et de recevoir des soins [1]. 

--- Début de l'adolescence. A l'autre extrême d'âge, à partir de douze ans révolus, on peut estimer que l'adolescence commence (13). Il arrive que ces adolescents n'aiment plus trop qu'on mette en place ou que persiste une résidence alternée, parce qu'ils ont souvent besoin d'une tanière personnelle de référence où se poser, marquer leur territoire et reconstruire leur identité.

 

En outre, ils n'aiment pas trop apparaître aux yeux de leurs pairs comme de perpétuels voyageurs toujours soumis aux règles posées par leurs parents. Enfin, de facto, ils sont souvent davantage contrôlés dans un système d'héber­gement alterné et ils n'aiment pas tellement cela non plus ici : deux shérifs se relaient et se sentent chacun très respon­sables du quotidien et du respect de leurs règles [19] ; dans I'autre formule, les adolescents finissent davantage par prendre leurs habitudes et par mieux contourner le parent princi­pal gardien ... et c'est très bien ainsi !

Mais d'autres ados continuent à préférer le système d'alter­nance, ou demandent de sortir d'un hébergement à parent trop unique et mettent eux-mêmes en route un nomadisme plus ou moins ritualisé entre leurs parents. L'idée essentielle est donc que, plus que jamais, on écoute le point de vue de l'adolescent et qu'on en tienne compte toutes les fois où l'on pense que, ce qu'il veut, ce n'est pas surtout échapper à la loi. 

--- Application de l'hébergement alterné. C'est donc dire que c'est entre quatre-cinq et douze-treize ans que l'application de l'hébergement alterné devrait être la plus fréquente : beau­coup moins souvent avant, en le décidant en lieu et place du tout petit surtout si l'ambiance est conflictuelle, et moins souvent après, sauf si l'adolescent y consent. Pendant cet âge de la scolarité primaire, la durée de chaque période de séjour devrait être bien pensée, au cas par cas, dans toute la mesure du possible en se concertant avec l'enfant. Plus il est jeune, mieux il vaut que les alternances soient courtes, sans pour autant faire de lui un perpétuel nomade : on pourrait démar­rer par des alternances d'une semaine commençant le lundi (14) et soit en rester là, soit augmenter progressivement les durées (quinze jours, quatre semaines, avec l'un ou l'autre contact intercalé de l'autre parent). Les cadences trop rapides multi­plient les tensions intrapsychiques lors des transitions, et bien d'autres petites frustrations (ré-abandonner des objets, lais­ser des travaux inachevés, ne pas pouvoir bien se préparer à recevoir des amis ...). Au fond, les durées optimales pour­raient être convenues de commun accord avec l'enfant.

 

 

2.2.    L'état d'esprit des parents

 

  • Des parents demandeurs

     

La situation apparemment la plus simple est celle où les deux parents ont l'air d'être activement intéressés par la pers­pective d'un hébergement alterné. Cela vaut néanmoins la peine d'examiner plus précisément leurs motivations et leurs idées concrètes sur le projet.

 

 

 

  • Vécu positif. Dans nombre des cas, on pourra confir­mer que ce vécu positif se veut au service du bien-être de tous. Ici, les parents ont fait le deuil de leur relation de cou­ple ; ils sont redevenus suffisamment sereins pour être capa­bles de respect mutuel et de coopération dans l'éducation de l'enfant ; chacun autorise moralement ce dernier à aimer l'autre et à s'y référer positivement. Ils ne pensent pas néces­sairement que l'hébergement alterné puisse être la solution miracle pour l'enfant, mais ils y arrivent à titre de compromis raisonnable, éventuellement avec l'aide de médiateurs [14]. 
  • Forte rivalité. Dans d'autres cas, minoritaires, on a plutôt l'impression que c'est une forte rivalité qui fonde la motivation des parents : la résidence alternée, alors, c'est le compromis intelligent auquel ils se résignent intuitivement pour ne pas céder une miette de supplément de pouvoir à l'autre ni prendre le risque que, peut-être, l'enfant pourrait s'attacher davantage à celui chez qui il vivrait un peu plus longtemps.

Cette rivalité est rarement reconnue comme telle par les adultes, qui s'affichent plutôt branchés du fait même de leurs revendications égalitaristes ; il n'est pas fréquent que l'enfant ose se différencier de cette attente de ses parents : il dira donc souvent que lui aussi préfère un hébergement alterné et alors, il faudra y souscrire sans commentaire inutilement blessant, surtout si les autres conditions sont remplies, elles aussi.

Plus rarement, l'enfant essaie quand même de montrer qu'il a une préférence pour un lieu d'hébergement principal, mais il est peu fréquent qu'il ose le faire ouvertement. Par exemple, il le confie à un interlocuteur neutre, tel un expert ou un magistrat. Et c'est alors le point de départ de douloureux malentendus, car il n'ose pas confirmer sa préférence quand il se trouve avec l'autre parent, surtout si celui-ci l'interroge avec toute l'inquiétude et la capacité de pression dont un adulte est capable. Pourtant, pour peu que l'enfant se montre clair et stable quand il exprime sa préférence, ne faudrait-il pas tenir compte de celle-ci ? En s'expliquant patiemment avec le deuxième parent, en évoquant sans détour ce que peu­vent être l'inhibition à parler chez un enfant, sa crainte de blesser ou d'être grondé ... 

  • Matérialisme des deux;  Dans d'autres cas encore, on aura l'impression que si les deux parents sont d'accord, c'est surtout parce qu'aucun des deux ne voudrait faire plus de corvées que l'autre et supporter excessivement les charges liées à la gestion d'un enfant. Cela ne veut pas dire ipso facto que celui-ci est rejeté, mais tout de même, il ne doit pas trop encombrer ! Parfois même, ce n'est pas lui, l'enfant, qui est visé, mais il est impensable aux yeux du pre­mier parent que le second retrouve trop de liberté (pour se distraire, se choisir un nouveau partenaire ...), pendant que lui serait bloqué avec l'enfant. Plus souvent encore que du parent, ce souhait de ne pas en faire trop peut émaner du nouveau partenaire que le parent s'est choisi.

Que faire, dans ce type de situation, sinon se résigner devant les limites de la générosité parentale ? A-t-on d'ailleurs le choix ? Est-il nécessaire de prendre les devants et de com­menter cet état de fait à l'enfant, si celui-ci n'en est pas cons­cient ou ne prend pas l'initiative d'en parler ? 

 

  • Des parents quérulents

     

Le cas d'espèce inverse est tout aussi simple : ici, après leur séparation, les parents restent en conflit pour tout et rien et ne sont pas davantage d'accord sur l'idée de l'héberge­ment alterné que sur n'importe quoi : il suffit que l'un la réclame - très souvent celui qui n'avait pas le principal de la garde quotidienne de l'enfant - pour que l'autre la refuse farouchement ! Cet état de fait pour peu qu'il persiste, est un puissant indicateur pour ne pas opter pour l'héberge­ment alterné. Il est illusoire de croire qu'il va fonctionner comme une espèce de baume miracle obligeant les parents à s'entendre ; au contraire, les conflits acharnés vont continuer : on a déjà vu des enfants forcés de se changer, dans le hall d'un immeuble à appartements, pour ne pas porter chez l'un les vêtements mis chez l'autre. Ici, l'alternance instituée amènerait l'enfant à vivre à haute intensité des moments de passage très orageux et puisque l'un a autant de pouvoir et de temps à partager que l'autre, l'hébergement alterné amè­nerait l'enfant à recevoir incessamment des récriminations sur le bien-fondé des valeurs, règles et décisions du parent absent (15).

Ici, une mesure moins mauvaise pour garantir un peu plus de paix intérieure à l'enfant est de s'en tenir à ce que l'on appelait jusqu'il y a peu un « droit de visite classique », voire à des contacts quantitatifs encore plus limités.

  • Situations intermédiaires

     

Il existe entre les deux pôles opposés que nous venons de présenter des situations intermédiaires, où l'appréciation est difficile (16) :

 

 

 

 

  • c'est le cas par exemple lorsque l'un des parents est trop anxieux à l'idée de se séparer de l'enfant, ou un peu trop possessif en n'allant cependant pas jusqu'à diaboliser l'autre et à vouloir le faire disparaître de la vie de l'enfant : ce premier parent met alors assez souvent et plutôt invo­lontairement quelques obstacles, pour compliquer le contact avec l'autre ; quand il parle de ce dernier, il se centre surtout sur ses manques, son insouciance, ses défauts de vigilance, son indifférence pour l'école ... Néanmoins, il ne se dresse pas sur la route de cet autre avec la convic­tion folle des rares parents vraiment aliénants [8,9] ;
  • C’est encore le cas lorsque la situation est tendue entre les parents, l'un ne passant pas à l'autre ses incartades réelles, mais sans pour autant que tout soit prétexte à des bagarres sans fins : ici, les adultes ne s'aiment plus, mais restent objectifs dans leurs revendications ; ils n'empêchent pas l'enfant de circuler de l'un à l'autre, à condition que le cadre légal soit strict et qu'on ne se fasse pas de cadeaux ... 
  • Décoder les motivations

     

Il importe enfin d'apprécier la sincérité des motivations de chaque parent et la faisabilité de son projet. Dans le doute, des entretiens avec un médiateur, un psy, un expert ... sont souvent nécessaires. Parfois, une visite au domicile de cha­que parent, effectuée par un travailleur social, s'indique-t-­elle aussi pour se faire une idée plus précise. En effet, il arrive plus d'une fois que, dans le chef d'un des parents, la demande d'hébergement alterné : 

  • N’est qu'une intention - feu de paille, qui ne résistera pas aux exigences du terrain ; or, cette immaturité du projet est souvent largement prévisible !
  • N’est qu'une manière d'ennuyer l'autre conjoint : une fois mise en route, elle ne se déroule que très irrégulièrement, mais le parent de mauvaise volonté a réussi à récupérer du pouvoir officiel sur l'autre !
  • N’est que la porte ouverte pour confier l'enfant à des grands-parents, l'un des deux parents - le plus souvent le père - se trouvant dans l'incapacité d'assurer la gestion matérielle ou affective du projet (pour des raisons professionnelles, par manque de compétences dans la gestion du quotidien ou par désir de liberté ...). 

NB : Il y a une vingtaine d'années, N. Dopchie, pédopsy­chiatre belge qui travaillait beaucoup ces questions de sépa­rations parentales, avait proposé que l'on applique à l'essai une formule d'hébergement alterné provisoire, le plus rapi­dement possible après la séparation parentale [5]. L'idée sous-jacente était que les parents puissent s'exercer à la formule et que l'enfant puisse apprécier les qualités éducatives de cha­que parent, et s'exprimer alors en meilleure connaissance de cause ; c'était aussi que ce dernier ne s'habitue pas au gar­diennage par un seul parent, se mettant du même coup à dis­tance psychologique de l'autre. Enfin, il s'agissait de com­battre par là une application excessive du principe de précaution, en ayant constaté qu'un magistrat qui a pris une première décision à durée indéterminée n'aime pas trop la remettre en question dans un second temps. Raison offi­cielle : ne pas déstabiliser l'enfant !

Cependant, quand on voit ce que peut être une crise de séparation entre adultes, force est de reconnaître que cette proposition est loin de pouvoir s'appliquer dans tous les cas. De là à dire qu'elle ne mérite pas de retenir l'attention et qu'il ne faut pas y recourir quand c'est possible, c'est une autre histoire …

 

2.3.    Conditions matérielles 

  • La distance géographique

     

Il est impératif que la distance géographique qui sépare le domicile des deux parents soit courte (quelques kilomètres, tout au plus). De la sorte, l'enfant conserve intacts son implan­tation scolaire, son réseau d'amis, ses activités parascolai­res ... En dehors de ses deux maisons, ses repères spatiaux et matériels restent largement stables, ce qui est d'autant plus important que l'enfant est petit. Et les parents ne s'épuisent pas en navettes insensées.

Il faut en outre que chaque parent n'introduise pas de cou­pure dans la vie sociale de l'enfant, par principe et pour le plaisir de contrecarrer son ex-partenaire ou tout simplement pour privilégier son propre confort. C'est parfois moins facile à régler qu'il n'y paraît. Par exemple, comment faire place au camp scout de l'enfant ou à une invitation à passer quelques jours chez un ami, sans empiéter un tant soit peu sur le droit de chaque parent à ses propres vacances ou sur son désir de passer du temps avec l'enfant en ce moment de récréation (17) ? 

  • Les valises 

Lorsque l'enfant passe d'un lieu de séjour à l'autre, ses valises doivent être aussi légères que possible. Il y a donc beaucoup de « choses » à posséder en double exemplaire (vêtements, jouets ...). Inversement, pour ce que l'enfant ne veut pas dédoubler, il ne faut pas rechigner à faire circuler avec lui les « accessoires » qu'il désire (son vélo ou ses rol­lers, ses nounours, d'autres « objets symboliques » d'une grande valeur affective pour lui, etc.).

 

 

Ces conditions matérielles sont onéreuses, voire difficile­ment réalisables à l'occasion (si, par exemple, elles impli­quent le déménagement d'un des parents loin de son lieu de travail). Pour cette raison, on dit parfois que l'hébergement alterné est une mesure de « classe », principalement accessible aux familles aisées. S'il convient de nuancer cette déclaration, il faut reconnaître qu'elle n'est pas dénuée de tout fondement. Cette inégalité d'accès ren­force notre conviction que la garde alternée ne doit pas être prévue comme une norme dans un texte de loi !

 

2.4. Une souplesse raisonnable

 

A l'instar des autres mesures fixant l'hébergement, la rési­dence alternée ne devrait jamais être considérée ni comme une broutille que l'on pourrait changer du jour au lendemain ni comme un choix irrévocable.

C'est une décision que les adultes concernés sont censés prendre avec maturité, au terme d'une réflexion approfondie qui en a pesé le pour et le contre. Une fois choisie, on peut donc procéder de l'idée qu'elle est mise en place pour une durée indéterminée : il ne faudrait donc pas que des événe­ments mineurs ou des changements d'humeur chez les parents viennent la modifier ! Pas plus que de simples caprices ou des tentatives de chantage émanant de l'enfant !

Inversement, les besoins et les désirs de celui-ci peuvent évoluer lentement au fil du temps, et il faut pouvoir l'enten­dre : ainsi, avons-nous déjà évoqué la question des adoles­cents ; de même, quelques enfants sensibles ne s'adaptent pas du tout à la formule et, sur une durée de quelques mois, on devrait pouvoir acter qu'ils persistent à se vivre malheu­reux et en revenir à un parent gardien principal de son quoti­dien ou encore, il faut pouvoir tirer les conséquences du fait que la nouvelle compagne ( le nouveau compagnon ) d'un des parents a surestimé ses capacités concrètes d'accueil de son « bel-enfant » ... 

  1. Les résultats

     

3.1. Les résultats positifs de l'hébergement alterné 

On peut d'autant plus escompter des résultats positifs à l'hébergement alterné que les conditions positives de son application sont bien rencontrées. Tant mieux en outre, si : 

  • Les parents ne font pas du calendrier concret des alternan­ces un carcan rigide et peuvent se montrer souples : telle semaine, il y aura un écart à ce qui est officiellement prévu ; par exemple, pour répondre aux nécessités de la vie sociale de l'enfant ... ou même parfois, pour se faciliter un peu la vie l'un à l'autre;
  • Les parents ne font pas des séjours respectifs deux blocs spatio-temporels clivés, parfaitement étanches l'un à l'autre. Certes, chacun reste maître des petites décisions du quoti­dien quand l'enfant est chez lui : mais il est quand même préférable qu'il existe une certaine cohérence éducative, suffisamment d'harmonie dans les règles posées, de l'infor­mation réciproque sur les états d'âme de l'enfant, ses sou­cis ou ses ruses manipulatrices, un seul médecin traitant, etc. 

Dans un tel contexte positif l'enfant continue à ressentir l'importance qu'il a aux yeux de ses parents, ce qui est excel­lent pour conforter l'estime qu'il a de lui-même et sa confiance en lui. Il ressent la permanence de la sollicitude de chaque parent pour lui, et aussi celle d'une autorité cohérente qui l'aide à se socialiser. Il connaît la paix, entre autres parce qu'il reçoit de chacun l'autorisation morale de pouvoir aimer « l'autre » et de s'y référer positivement ! L'enfant bénéficie aussi pendant des durées significativement importantes du témoignage de vie de son père et de sa mère : il peut donc s'imprégner de leurs deux cultures, de leurs deux images du monde, et en faire la synthèse en lui(18). Il est également mieux préparé à reconnaître une place égale et complémentaire à l'homme et à la femme, à la fonction paternelle et à la fonc­tion maternelle, dans sa vie affective future d'adolescent et d'adulte.

 

 

 

3.2. Les risques et les résultats négatifs

  • Trop miser sur la matérialité des mesures prises 

L'enfant est bien plus influencé par ce qui se vit dans la relation parents-enfants et par la manière dont les adultes gèrent avec ou sans respect mutuel la faillite de leur couple que par la quantité de temps passé chez chacun. D'où l'impor­tance, pour chacun des parents, d'une mise en question de soi. En réfléchissant seuls ou avec l'aide d'amis, de proches ou de professionnels, il est bon qu'ils fassent évoluer leurs idées et mettent en place des actes pour : 

  • Continuer à accorder une égale importance à la fonction paternelle et à la fonction maternelle, habituellement dis­tribuées principalement sur les « têtes » de leurs agents les plus naturels, le père et la mère de l'enfant. Par père, nous entendons ici celui qui était investi du nom du père et de la paternité effective avant la séparation du couple ;
  • Reconnaître concrètement cette égale importance à l'autre, l'ex-conjoint, toutes les fois, majoritaires, où cet autre n'a pas gravement démérité face à l'enfant ;
  • Se reconnaître également cette importance, cette valeur ... et cette responsabilité à soi-même. Cela signifie ne pas désinvestir l'enfant, notamment les fois où on le voit moins souvent que le premier parent ; continuer à croire que l'on est important pour le devenir de cet enfant, même quand le conflit perdure et que l'autre parent y met des obstacles ; ne pas se laisser effacer spirituellement ( ce qui ne veut pas dire non plus qu'il faut tout le temps faire un dur bras de fer pour avoir accès à l'enfant, qui serait alors comme l’otage convoité en permanence par deux tribus enne­mies ).

L’existence de cette ambiance affective sereine, où cha­que adulte est reconnu et où est reconnu à l'enfant son droit d'aimer c'est La condition incontournable pour qu'il s'épa­nouisse bien quel que soit le système d'hébergement adopté. 

Pour être positive, la résidence alternée doit donc pouvoir s'inscrire sur un terreau de ce type : alors, on peut la compa­rer à deux maisons mitoyennes, disposant chacune de bonnes fondations : on passe facilement de l'une à l'autre ; les portes sont fermées, mais il suffit de sonner pour entrer. En revan­che, si c’est la guerre et la négation de l'autre par chaque parent, l’hébergement alterné peut être comparé à deux mai­sons bâties sans fondations, sur de la rocaille, avec des vents de tempête qui soufflent. Les portes de chacune sont barrica­dées et l'enfant doit en attendre l'ouverture dans le froid ... Ce qui le « tue », ce n'est pas le nomadisme de sa vie, auquel les enfants s’adaptent, mais la crise affective entre les parents, qui lui interdit de se sentir en sécurité où qu'il soit [10]. Cette métaphore permet aussi de comprendre qu'il est inutile de prendre les choses à l'envers, c'est-à-dire de miser sur l'héber­gement alterné comme remède pour obliger les parents à s'entendre. Il faut d'abord prendre du temps à remanier le terreau des fondations et, si l'on n'y parvient pas raisonna­blement, renoncer à ce type d'organisation de l'héberge­ment. 

  • N'accorder aucune importance à la matérialité des mesures 

L’attitude inverse, qui consiste à n'accorder aucune impor­tance à la matérialité des mesures est également dommageable. L’enfant a besoin de signes concrets qui lui montrent qu’on s’intéresse toujours à lui, qu'on veille sur lui, qu'on ne lui laissera pas faire n'importe quoi ... Et il est évidemment des plus souhaitables que ce soit d'abord son père et sa mère qui lui envoient ces signes. 

  1. Conclusions

     

Donc, quand toutes les conditions positives de l'héberge­ment alterné sont réunies, celui-ci peut constituer une excel­lente mesure [16].  Dans les autres cas, et pour peu que la personnalité d'un parent ne soit pas lourdement négative pour l’enfant, on doit veiller de toutes ses forces à ce que ce parent ne désinvestisse pas progressivement son lien avec l'enfant, avec comme signe tangible, l'effritement, si pas la dispari­tion des contacts avec ce dernier [15]. Corollairement, on doit mettre également beaucoup d'énergie à ce que le parent principal gardien du quotidien continue à laisser une place à son ex-conjoint dans le processus éducatif, et qu'il ne culpa­bilise pas les enfants d'encore aimer ce dernier.

 

 

 

On ne réussit pas toujours très bien à remplir ces deux objectifs complémentaires. En outre, il y a aussi la liberté intérieure de l'enfant et celle de ses sentiments, qui contre­carre parfois les projets des adultes.

Quoi qu'il en soit, si ce n'est pas l'hébergement alterné qui est retenu, répétons que ce qu'on appelait jusqu'il y a peu le « droit de visite classique » garde toute sa valeur. Dans l'article intitulé « l'aliénation parentale, un concept à haut risque » [9], nous avons ajouté que, même en cas de réticen­ces unilatérales disproportionnées ou de bagarres perpétuelles, cela valait la peine de mettre de l'énergie à ce que des contacts parents-enfants soient maintenus. On peut recourir à cet effet à des centres de médiation des contacts parents-enfants (« Espace-rencontre » en Belgique).

Notes

1)   En outre. le tribunal de la jeunesse a conservé le pouvoir de prendre une mesure de déchéance de l'autorité paternelle ou maternelle, dans le cas où la conduite du parent est franchement négative pour l'enfant. Cette mesure est néanmoins rarement prononcée, trop rarement à notre sens ( mais cela est un autre débat ...). 

2  En 2005. la loi est toujours en vigueur et reconnaît donc implicitement l'inégalable valeur de la complémentarité sexuée, homme et femme s'enga­geant pour l'enfant.

 3  ­Nous discutons spécifiquement de cette difficile question dans l'article intitulé « L'aliénation parentale, un concept à haut risque » [9].

 4   Hébergement alterné, résidence alternée ou séjour alterné ces termes visent à remplacer l'ancienne dénomination garde alternée qui reste cepen­dant d’un usage courant.

 5   Les lobbys masculinistes sont puissants et, à la différence des féministes, ils ne se présentent pas ouvertement comme tels. Les hommes qui les com­posent ne sont pas représentatifs du point de vue de la majorité des hommes, mais ce sont souvent des personnages puissants, intellectuellement, par leur statut social et aussi par leur détermination : pour eux, les femmes-mères sont des monstres de toute puissance à abattre, et ils s'activent à le faire par leur lobbying efficace à la base de nombreuses propositions de loi ou de transformation des idées ( par exemple, une promotion du concept d'aliéna­tion parentale abusive dans ses applications ).

 6   Des médiateurs bien formés ont largement développé leurs activités ces dernières années, heureusement à notre avis.

 7   Même si certains adultes affirment qu'ils ont pris en compte l'intérêt de tout le monde en se séparant, et donc aussi celui de leurs enfants. C'est par­fois vrai, indirectement. Mais ce n'est quand même pas d'abord pour ceux-ci qu'ils se séparent. Pire encore, les fois où l'on met les enfants à l'avant-plan pour expliquer ou légitimer la séparation, cette déclaration, vraie, fausse ou exagérée, est rarement bénéfique à l'hygiène mentale de ces derniers.

 8   « On », ici, désigne d'abord et avant tout ses parents, aidés ou suppléés éventuellement par des tiers, surtout s'ils sont encore pris dans des conflits d'adultes ou s'ils ne repèrent pas momentanément quels sont les besoins de l'enfant !

 9 Surtout lorsque l'on travaille hors mandat judiciaire, il est essentiel d'impliquer les deux parents et d'obtenir leur accord sur la réflexion qui va avoir lieu [10,11].

 10   Il existe probablement un biais dans notre constatation d'experts, puis­que, par définition, on procède essentiellement à des expertises civiles quand persistent d'importants conflits.

 11   Parent gardien, et aussi environnement affectif proche : frères et sœurs ... jusqu'à éventuellement l'animal familier avec qui il aurait construit une rela­tion amicale et ludique. Trois ans révolus ? C'est une moyenne. Certains enfants restent plus longtemps immatures affectivement et d'autres s'auto­nomisent plus vite. Raison de plus pour procéder à un examen psychologi­que approfondi de ces petits enfants, de leur degré d'évolution affective, de leurs besoins et de leurs capacités.

 12   Maurice Berger (2004) [3] vient d'écrire avec quelques collègues un arti­cle beaucoup plus « noir » sur les effets négatifs de la résidence alternée chez les enfants de moins de six ans.

 13   L'entrée du jeune dans l'adolescence peut donc constituer un bon moment pour revoir l'organisation de l'hébergement existant jusqu'alors. Entre autres, on peut réfléchir à la mise en place d'une formule où le séjour principal est homosexué par exemple, dans la mesure où le père s'investit concrètement dans l'éducation, on peut imaginer de lui confier la garde quotidienne prin­cipale d'un garçon, soit qui le demanderait, soit qui résisterait exagérément à l'autorité de sa mère, soit qui s'affronterait perpétuellement à celle-ci.

 14   Pour un jeune enfant de moins de six ans, surtout s'il est sensible et anxieux, on pourrait néanmoins commencer par des alternances plus brèves, d'une demi-semaine, pendant un mois ou deux, afin de bien l'habituer au système et de ne pas laisser monter en lui l'angoisse d'abandon par le parent absent.

 15   A noter que, entre l'hébergement alterné et le « droit de visite classique » ce n'est pas le nombre de « passages » ni d'alternances qui diffère, mais ­probablement ( un peu) l'intensité des contrôles et récriminations lors de cha­que séjour.

 16   Comme en outre, il n'est même pas toujours possible de s'appuyer clai­rement sur les autres conditions, la décision prise constitue parfois une sorte de pari, dépendant des habitudes, de la culture et des connaissances du décideur et de ceux qui le conseillent. Au moins devrait-ce être un pari prudent, dont le devenir sera observé de près et qui est susceptible de révisions.

 17 Le problème n'est cependant pas spécifique à l'hébergement alterné.

 18   A l'inverse, lorsqu'il y a un parent gardien principal, il n'est pas rare que les contacts avec l'autre s'effritent, surtout si la dissymétrie est liée aux dif­ficultés relationnelles persistantes des adultes. Cela n'est évidemment pas sans effet sur la construction de la personnalité de l'enfant : par exemple, certaines études montrent une corrélation entre le manque d'intérêt paternel et une estime de soi peu élevée chez l'enfant et l'adolescent et inversement, une meilleure image de soi dans des situations d'hébergement alterné où l'enfant est bien investi par chacun [15,17].

 

 Bibliographie

 

[1]      Batchy E, Kinoo PH. « Organisation de l'hébergement d'enfants de parents séparés ou divorcés ». Thérapie familiale 2004 ; 1 :75-91.

[2]     Berger M. « Le bébé et la garde alternée. Le droit d'hébergement du        père concernant un bébé ». Dialogue Can Philos Assoc 1998 ;  155.

[3]     Berger M, Ciconne A, Guedeney A, Rottman H. La Résidence alternée chez les enfants de moins de six ans. Une situation à hauts risques psychiques. Inédit ; 2004.

 

[4]     Dandoy N, Kinoo PH, Vandermeersch D. Allégations d'abus sexuels et séparations parentales. De Boeck; 2003.

[5]     Dopchie N. « Considérations sur l'adéquation psychologique de l'octroi d'un droit de garde alternée en cas de séparation ou de divorce ». Revue trimestrielle de Droit familial 1981;363-7.

[6]     d'Ursel D. « Replacer la médiation familiale dans un contexte his­torique et culturel ». Journal du Droit des Jeunes 2004 ; 234:25-34.

[7]     Fineman M. « Dominant discourse, professional language and legal change in child custody decision making ». Harv Law Rev 1998; 101-41.

[8]     Gardner R. « Family therapy of the moderate type of PAS ». Am J Fam Ther 1999 ;27(3):195-212.

[9]     Hayez J.-Y., Kinoo PH. « L'aliénation parentale, un concept à haut risque ». Neuropsychiatrie de l'enfant et de l'adolescence 2005 ;4:157-65.

[10]    Kinoo PH. « L'hébergement des enfants de parents séparés ». Revue trimestrielle de Droit familial 1997 ; 271-8.

[11]    Kinoo PH. « La prise en charge des enfants de parents séparés : éthique et technique ». Enfances-Adolescences 2001 :1.

[12]    Kinoo PH. « Un psy-expert : est-ce pire?». Enfances-Adolescences 2001 :2.

[13]    Miollan C. Divorce. Les enjeux psychologiques du droit de visite. Presses universitaires de Grenoble ; 2000.

[14]    Pearson J, Thoennes N. « Custody after divorce : demographic and attitudinal patterns ». Am J Orthopsychiatry 1985 ;51:403-14.

[15]    Poussin G. « Un conflit destructeur ». Enfances et Psy 1998 ;4:9-16.

[16]    Steinman G. « The experience of children in a joint custody arrangement : a report of study ». Am J Orthopsychiatry 1985 ;51:403-14.

[17]    Van Pevenage C. « Post-adolescence, mode de garde et de divorce ». Revue trimestrielle de Droit familial 1998 ;2:21-29.

[18]    Viaux J.-L. L'enfant et le couple en crise. Dunod, Jeunesse et Droit. 1997.

[19]    Wallerstein J., Johnston F. « Children of divorce : recent findings regarding long-term effects and recent studies of joint role or sole custody ». Pediatr Rev 1990 ;11(7):197-204.

 

 

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