La communication adulte-enfant, en éducation et en psychothérapie

Et tout d'abord, Rosalie âgée de juste deux mois, nous donne une magisrtale leçon sur ce qu'est la communication.....elle y engage la parole, le sourire, et toute sa gestuelle...

Rosalie communique

I.L'acte de communication entre l'adulte et l'enfant engage deux sujets,

Ils sont porteurs chacun de sa singularité, et de plusieurs caractéristiques fondatrices de leur rencontre verbale :
- Une capacité et une liberté de penser, de construire leur monde intérieur, leurs questions, leurs valeurs. Y figure une « représentation » mi-originale, mi-héritée de ce que sont les autres, soi-même, la réalité extérieure.
- Une capacité à s'exprimer, à comprendre l'autre et à se faire comprendre, variable selon l'âge, le degré de développement, l'état cognitif et psycho-affectif du moment.
 - Tout être humain dispose également de droits de l'homme, qui lui sont reconnus par la communauté humaine en général : en ce inclus une liberté de principe de penser son « projet de vie » et d'en mettre en œuvre les composantes non-antisociales ; en ce inclus le droit de s'exprimer de façon non-destructrice, ou de se taire.
 - Et puis, réciproquement, chacun est porteur des devoirs de l'homme ; il se doit donc de respecter les lois naturelles, ainsi que celles de la cité et les règles des groupes où il évolue si et seulement si celles-ci appliquent elles- mêmes celles là. En ce qui concerne les règles, dans des groupes démocratiques, chacun a le droit de participer à leur élaboration lorsqu'il est devenu majeur. Enfant, le mineur d'âge est plutôt tenu par un devoir d'obéissance, qui ne devrait néanmoins pas s'assimiler à la soumission à un ordre tyrannique : la génération des adultes devrait pouvoir prendre en compte les commentaires et les propositions constructives des plus jeunes avec qui ils vivent et qui ont la connaissance intuitive de nombre de leurs besoins, voire ce de qui est bon pour l'avenir de l'humanité.



II. Même si chacun est porteur de cette qualité essentielle de sujet, l'adulte et l'enfant qui communiquent vivent dans des « mondes » différents

 ; pour l'un il s'agit d'un monde bien organisé et structuré, et pour l'autre, c'est le monde du « petit », fait en partie d'imagination et de fantaisie, d'ignorance et d'angoisse.
Explorons davantage ces différences et les conséquences qu'elles entraînent, d'autant plus marquées que l'enfant est jeune.

 - Celui-ci ne perçoit que trop bien la dualité entre le monde de l'ordre dominant et le sien, vulnérable et précaire. La perception et l'image intérieure qu'il se construit des adultes peut être impressionnante ; la façon de se présenter, la manière d'être, le statut et la stature des plus âgés impriment au moins un trouble dans le chef de l'enfant, même si, aujourd'hui, un certain nombre d'enfant-roi font beaucoup de bruit pour le dénier et l'affronter.
 - De par son expérience de vie, ses souvenirs et ses apprentissages, l'adulte possède souvent une bonne capacité de s'adapter et donc d'entrer dans le monde de l'enfant. Ainsi, il peut simplifier son vocabulaire, ralentir son pas pressé, se montrer empathique à l'idée anxieuse qu'un voleur se tapit peut- être derrière la porte, ou participer aux centres d'intérêts de l'enfant, par exemple en jouant avec lui sans bêtifier.

 - Aller vers le monde de l'enfant c'est se rendre intelligible, un peu moins impressionnant, un peu plus accessible ; en d'autres termes, c'est se transformer en « interlocuteur possible » sans néanmoins mythifier le résultat : même si nous nous mettons davantage à la portée de l'enfant, nous conservons un statut réel et imaginaire construit autour du pouvoir et de l'autorité. Assumons-le : même un apprivoisement délicat et patient à ses limites : la confiance du plus grand nombre ne sera jamais totale ; en outre, nous avons déjà parlé de l'importance pour chacun de conserver son jardin secret dès son plus jeune âge : c'est dans l'intimité de sa chambre que le petit Emilien donnait le sein à son nounours, et il a été très mortifié d'avoir été surpris ...

rejoindre le monde de l'enfant


 - En outre, si l'adulte parvient à « placer un pied dans le monde de l'enfant », il gagne à ne pas se laisser complètement absorber par celui-ci. La communication intergénérationnelle structurante implique que persiste une différence. Nous avons évoqué dans les chapitres précédents quelques dysfonctionnements ou même désastres qui se produisent lorsque l'enfant est poussé à fonctionner comme le parent de son parent, ou comme le partenaire sexuel de celui-ci. Parmi les composantes importantes de cette différence, rappelons que l'adulte en sait plus sur la vie que l'enfant et a le devoir de le transmettre ; il a le devoir de guider sans éteindre, de contenir, de contribuer à la socialisation, de protéger, de créer la confiance de base par la qualité de son affection chaste ...

Dans le chef de l'adulte, la rencontre verbale avec l'enfant se décompose en grandes intentions qui ne sont pas toujours à l'œuvre dans leur ensemble, en tout cas pas au même moment. Voici les principales que nous détaillerons tout de suite :

 - écouter et se laisser parfois déstabiliser par ce qu'il entend ;
 - demander à être pris en considération ;
 - informer et s'informer ;  - partager un vécu expérientiel ;
 - décider et donc sanctionner, positivement ou négativement, quand l'adulte est en charge d'éduquer ou de représenter la loi. 

Ecouter et se laisser déstabiliser


L'intention d'écouter convenablement l'enfant qui s'adresse à nous ou que nous avons interpellé peut paraître toute simple, et pourtant !

I. L'approche délicate de ce que connaît ou vit l'enfant

 

Déjà tout petit, l'enfant perçoit, intègre et mémorise, réfléchit et « pense » sa situation de vie ... mais il n'est pas toujours capable ou n'a pas envie d'exprimer tout ce qu'il pense, même s'il se veut authentique et fiable.

N'est-ce pas parfois une source d'anxiété ou de honte trop vives que l'idée d'énoncer : « Pourquoi papa ne dort-il plus dans le même lit que maman ? ... Je suis sûre que maman m'aime moins que ma sœur ! ... Pourquoi suis-je placé ? ... Je n'arrive pas à me faire des copains en classe, et tous les autres, oui ! ... Il va m'envoyer en prison pour toujours, après ce que j'ai fait. Qu'est-ce que ça veut dire au juste : juge, tribunal pour mineurs ; disposer de mon procès-verbal ? C'est qui, tous ces gens qui s'agitent pour m'aider ? Est-ce que je peux devenir homo, après ce que ce type m'a fait ? Pourquoi est-ce mal ce qu'il m'a fait ? Pourquoi on me demande toujours de recommencer à raconter la même chose ? C'est quoi, une mauvaise mère ? ... ».

idées sombres

 


L'enfant connaît un certain nombre d'informations, d'autant plus qu'il grandit ; mais il ne fait pas part de tout, ni spontanément, ni sur commande, que ce soit pour le principe d'éprouver sa liberté, par prudence et par peur d'être puni, afin de ne pas passer pour incompétent, incapable ou encore par crainte de trahir un ami ou un parent ... Ainsi, il ne lui est guère aisé de reconnaître : « Je sais que mon père n'est pas en voyage mais en prison ... Je sais bien qui a volé l'argent de la caisse de la classe mais si je le dis ... Je sais ce que ça veut dire alcoolisme, folie, placement, niquer ... Comment dire à maman que ce que je vois sur le Net est bien plus hard qu'au cours d'éducation sexuelle et que ça me trouble fort ... ».

A ce propos, dans le dernier livre de N. Huston (2006), le récit de vie d'un garçon de six ans constitue une riche illustration de ce décalage entre la rudesse de la réalité perçue de façon solitaire via Internet et les illusions que les parents se font encore sur le fait que leurs enfants seraient épargnés : le choc des images n'est pas assez accompagné du poids des mots des parents !

Il n'est donc pas rare que l'enfant commence une phrase, aborde un thème puis s'arrête, le visage fermé, les yeux baissés. A l'adulte d'en tenir compte dans la mesure du possible ; il s'agit d'essayer, sans violence, de faire exprimer à l'enfant ce qu'il sait et de s'appuyer sur ce qui est déjà bien intégré dans son savoir.

Quand bien même les mentalités évoluent, la plupart des enfants, surtout les plus jeunes, sont étonnés quand les adultes s'intéressent à eux. D'habitude, l'enfant s'attend à ce qu'on l'ignore. Il apprécie donc en général qu'on s'intéresse à lui, qu'on lui manifeste de la considération, du respect ... même si ça lui fait un peu peur de « hasarder » ses idées. Et si l'adulte parvient à l'apprivoiser, alors l'enfant se détend, sourit et se met à exprimer une partie de ses idées personnelles.

Même l'enfant qui est auteur d'une transgression, parfois bien destructrice, apprécie lui aussi un respect qui prend en compte l'ensemble de son contexte de vie, sans le déresponsabiliser ni le réduire à son acte, c'est-à-dire sans paranoïa, ni naïveté.

ILL : Juan (treize ans) avait mis sur la toile du Net un blog très injurieux pour l'un ou l'autre élève de sa classe, peu confiants en eux, introvertis et pas très beaux à ses yeux. Il ne se sentait pas bien de cet « exploit » et ne retrouva vraiment son sourire qu'après un long échange d'idées sur la capacité du Mal qui nous habite tous – bien plus qu'après une évocation plus « psy » de ce que ces condisciples faisaient résonner plus personnellement en lui ! Il participa des plus activement à la mise au point d'une sanction réparatrice, qu'il effectua à l'intention de « Handicap international ».

ILL : Michel, huit ans, ne retrouva lui aussi son sourire qu'après que l'on ait reconnu la part très active qu'il avait prise pour solliciter sexuellement Arnold, un adolescent de quinze ans porteur d'un handicap mental léger : à la fin, devenus dépendants des plaisirs du sexe, ils se cherchaient beaucoup l'un l'autre, pour des petites gâteries ... Et Michel apprécia qu'on lui parle de son goût pour le sexe, et d'une place qu'on lui proposait pour les activités et le plaisir sexuel dans sa jeune vie, avec, émanant de ses parents, davantage de vigilance et d'encouragements à s'occuper autrement la majeure partie de son temps.

 

II.Offrir une écoute bienveillante et active

 

 Prenons l'exemple d'une consultation à visée psychothérapeutique, la première mettant face à face un enfant et un adulte qui se connaissent peu et une situation où l'enfant est timide, réservé, éventuellement peu à l'aise avec le langage oral.

Il est important de commencer en clarifiant le contexte de la rencontre, en évoquant « l'offre et la demande ». Dans le cadre particulier choisi comme exemple, le clinicien pourrait inviter ainsi : « Si nous nous disions d'abord qui nous sommes, pourquoi nous nous rencontrons aujourd'hui ...  ». Dans la rencontre thérapeutique avec l'enfant, l'important est de se présenter soi, ainsi que les objectifs et les enjeux présents. Néanmoins, il n'est pas rare ensuite, d'autant plus que l'enfant est jeune, qu'il acquiesce en opinant de la tête ... pour être quitte de ce qu'il ressent comme un assaut verbal ; il est donc intéressant de vérifier ce qu'il a compris du discours de l'adulte, avec bienveillance, sans que cela ait l'air d'une inquisition.

Avant d'arriver au fait central, l'apprivoisement réciproque invite à progresser dans la rencontre en faisant plus amplement connaissance et en s'adaptant dans une large mesure au rythme, au caractère et à la manière de gérer la relation présents chez l'enfant : « Ton monde m'intéresse, qui es-tu, qu'est-ce qui est important dans ta vie, dans tes journées ? As-tu éventuellement une question à me poser pour savoir qui je suis ? ... ».

Quelques éléments de procédure peuvent également être évoqués : « On va essayer de parler de ce qui va bien et mal chez toi ou dans ta famille, voici ce que je te propose : tu peux ne pas comprendre ce que je dis et me le faire savoir, ... tu peux ne pas connaître la réponse à ma question et également à me le faire savoir, ... enfin tu peux ne pas avoir envie de répondre et également me le faire savoir. Ce sont trois réactions que j'accepterai ».

Progressivement alors, on évolue vers le centre, l'objet même de la rencontre : « Peux-tu me raconter une chose qui va bien et puis une chose difficile pour laquelle tu viens me voir ... ?  ». Un élément difficile de sa vie scolaire, quotidienne ou de ses pensées ? Le clinicien devra pouvoir insister un peu pour en obtenir une évocation personnelle : faire comprendre à l'enfant qu'il ne sera pas blâmé pour ce qu'il dit et plus fondamentalement, qu'il peut en tirer du bénéfice et par ailleurs, bien protéger son espace de parole pour que ce soit lui qui s'exprime et non pas son parent ni encore son avocat !

Inutile pourtant de jouer au plus fin : si l'enfant a trop honte ou trop peur, l'adulte peut dédramatiser la situation en amorçant soit même la dialogue ... et surtout, en montrant par sa sérénité qu'il n'a pas peur des mots ni des faits qu'ils recouvrent. En montrant aussi qu'il ne va pas exploser de colère ni même désapprouver sans avoir cherché à comprendre : « Si nous parlions tous les deux de la fois où tu as volé dans le magasin ..., de cette bagarre où tu as boxé très fort une fille ..., ou de la fois où cet homme que tu as décrit a abusé de toi, de ton corps ... Je sais déjà une partie des choses mais c'est important que tu m'aides, que tu me fasses bien comprendre ce qui s'est passé, avec tes mots à toi ... ».

Quoiqu'il en soit, le clinicien se doit de respecter le style d'évocation choisi par l'enfant ainsi que les mots qu'il emploie ; savoir prendre le temps d'aller à son rythme, se taire sans être menaçant ou tout juste l'encourager, par un murmure de sympathie, ou en s'étonnant gentiment, en compatissant ou encore en posant une petite question de détail : « Explique-moi davantage encore comment cela s'est passé ... C'est important pour moi de bien te comprendre, tu sais ... Et puis ? ... Et alors ? ... Quoi exactement ? ... ».

C'est ainsi que, petit à petit, le clinicien invite l'enfant à se déployer, à développer sa narration, ses images, ses représentations, ses pensées, ses questions, ses hypothèses ; il le fait par la qualité accueillante de son écoute, par quelques stimulations judicieusement placées et par quelques encouragements et même valorisations, s'il le ressent authentiquement : « Tu racontes clairement, c'est intéressant ce que tu dis ; cela m'aide à bien comprendre ; donc, c'est comme ça que tu le penses maintenant, toi ... » ; « Oui, continue, c'est bien, je comprends maintenant », ou encore : « Je te remercie de me faire comprendre ce qui s'est passé ... ».

Il s'agit de soutenir le discours de l'enfant en évitant soigneusement de l'étouffer, et, au moins dans un premier temps, d'en critiquer négativement tant la forme que le fond ; par exemple, on peut y procéder en reprenant un bout de phrase que l'enfant vient de prononcer : « Donc, ton papa était très fâché sur toi hier et tu as eu peur, alors ... » ou encore : « Ton copain t'a poussé à le faire aussi et toi tu me dis que tu n'as pas osé lui dire non ... », ... « Donc, si je résume bien ce que tu me dis, tu as vu le sac de ta maman, tu étais seule dans la pièce et tu étais très attirée par regarder ce qu'il y avait dedans ... ».

On peut également redire, comme en écho, un sentiment que l'enfant vient d'exprimer ; ou même, un vécu pas explicitement verbalisé par lui, mais dont il est manifeste qu'il est sous-jacent à la narration du moment. C'est tout le champ de l'empathie : « Tu étais vraiment très inquiet... Je ressens que tu en avais tout à fait marre qu'on se moque de toi ... J'ai bien compris que tu avais envie de montrer par là que tu étais une grande ... ».

Quand le thérapeute perçoit que la confiance entre l'enfant et lui s'est installée, il peut oser poser une question qui lève un secret ou crève un abcès : « Après ce que tu viens de me dire, as-tu parfois peur que ta maman parte de la maison ? ... As-tu fait une grosse bêtise dont tu n'aimes pas parler ? ... Est-ce que cela touche le sexe ? », etc.

ILL : Durant des semaines, Robin ( sept ans ) se trouve en très grande crise parce que son papa vient d'être assassiné lors d'un règlement de comptes entre truands
Au moment des crises de désespoir les plus fortes de Robin, quand il s'agite comme un petit fauve pris au piège tellement il est triste, anxieux et furieux d'avoir perdu son papa, qu'il vient quand même parfois sangloter ou crier sur les genoux de sa mère ou sur les miens, je suis là tout près de lui, je me sens vibrer avec lui de tristesse, de sentiment d'écroulement de ma vie et de rage ... et pourtant, j'émerge de cette implication émotionnelle pour attraper au vol une phrase qu'il m'a dite ... Il entend des voix de vilains diables dans sa tête, prétend-il, et une de ces voix persécutrices lui a crié « Papa est un sale con » ; je lui propose donc sur le champ une histoire qu'il écoute en pleurant sur les genoux de sa mère, celle d'un papa Ours champion automobiliste, mort pour une seconde d'inattention sur le circuit, et dont le fils, un petit nounours pourtant gentil, va pleurer sur sa tombe mais aussi crier parfois ; « c'est con ; tu es con ; tu m'as abandonné ». C'est parce qu'il aime beaucoup son papa qu'il crie cela, ajouté-je à l'attention de Robin ... et de sa maman qui captent mon histoire sans dire un mot !
Aussi, comme j'ai été content quand la maman de Robin qui allait pourtant mieux, m'a dit « aujourd'hui, il n'avait pas fort envie de venir ». Non, Robin n'avait pas envie de venir même si un « reminder » cruel lui avait fait repenser très fort à son papa assassiné et qu'il repiquait du nez dans l'angoisse et la tristesse. Il a pu me dire « Je suis fatigué. Tu habites loin ; je voulais mon papa ». Et j'ai pu lui répondre « Bien sûr, quel petit garçon fidèle tu es, ton papa et moi, ce n'est pas la même chose ! ».


Il est toujours intéressant que l'adulte incite l'enfant à « donner des exemples », à parler de petits événements interactionnels de son quotidien, mais qui soient néanmoins significatifs de sa problématique ou de sa manière de vivre, plutôt qu'à exposer des idées générales. Ainsi, il peut demander : « Peux-tu me raconter une fois où tu as été battu ... ? ». De la sorte, l'enfant est invité à faire part d'événements de sa vie, de « clips vidéos » qui illustrent son existence concrète. La place de chaque protagoniste de sa vie gagne à y être « incarnée » pendant la séquence dont il parle.

Juste après, on peut l'inviter à être un peu plus introspectif, à parler de ses sentiments, de ses affects, de ses idées et questions à propos de ce qu'il vient de mettre en scène : « A ce moment là, quels sentiments as-tu eus ? Etais-tu triste, content, ou autre chose ? ... Et toi, tu penses quoi de ce que tu viens de me raconter ? As-tu des questions à me poser, des choses que tu n'as pas compris dans ce qui s'est passé ? Comprends-tu bien pourquoi ton papa se met si fort en colère quand ... ? »;.

Parfois, hélas, c'est le contraire qui se passe : par exemple, l'adulte dit tout, trop vite, à la place de l'enfant, que ce soit par angoisse, par besoin de domination intellectuelle ou simplement parce qu'il est convaincu que l'enfant ne sait pas. Dans d'autres types de rencontres ratées, l'adulte critique trop vite la valeur, la structure du discours de l'enfant et les faits que celui-ci rapporte ou l'interprétation qu'il en donne. Pourtant, comme nous l'avons dit à propos de l'idéalisation, il faut savoir se montrer patients, et simplement renvoyer l'enfant à sa subjectivité : « C'est comme cela que toi, tu sens les choses pour le moment ». Nous verrons par la suite que l'on peut se différencier sans disqualifier, et désapprouver un acte sans massacrer une personne. Tout aussi « ratée » peut être l'attitude de l'adulte qui veut trop vite consoler, déculpabiliser, rassurer, être perçu comme un « bon parent » : il empêche ainsi involontairement l'enfant de dire ce qu'il pense ... ou de se sentir reconnu dans ses vécus les plus difficiles du moment !

Quelle que soit l'ambiance d'accueil et de soutien, il faudra parfois aussi accepter le mutisme qui se prolonge sans en vouloir à l'enfant, mais sans démissionner non plus pour autant. On peut revenir sur un thème délicat une prochaine fois, plus tard ... sans que l'action ni les décisions des adultes ne soient paralysées pour autant. On commentera alors à l'enfant : « Tu te tais, c'est ta décision. C'est ta responsabilité. Tu te trouves sans doute d'excellentes raisons pour le faire. Alors, provisoirement, tes parents doivent décider tout seuls, et moi, les conseiller comme je peux ... »;.

Dans la rencontre thérapeutique comme dans tout échange avec l'enfant, on doit lui proposer une écoute qui serve à améliorer sa vie et jusqu'à un certain point, celle du groupe. Ecouter, ce n'est pas faire semblant. C'est d'abord poser un acte qui reconnaît l'enfant, avec autant d'authenticité dans le chef de l'adulte (A+) que nous l'avons décrit tantôt chez l'enfant en parlant des communicateurs autonomes ou des conformistes.

enfants de Tanzanie 2


C'est accepter de s'imprégner au point de vue de celui qui parle et d'y réfléchir. C'est donc parfois se laisser déstabiliser jusqu'à un certain point, dans ses émotions et dans ses idées, l'exprimer et éventuellement modifier un projet ou un comportement ... C'est la définition même de l'échange et de la réciprocité.

ILL : Jean, douze ans, fait beaucoup d'histoires pour fréquenter sa classe de sixième primaire, jusqu'à plusieurs jours d'absence consécutifs. C'est un préadolescent très sensible. Il y a un an, il avait souffd'une vraie dépression – au sens du DSM  – qui l'avait invalidé trois mois. Cette année, c'est un peu différent. Il dit avoir peur d'un séjour d'une semaine en classe de forêt, programmée dans quatre mois, et il raconte combien, les années précédentes, il s'est senti abandonné par ses parents et malmené par d'autres, plus brutaux, lors de tels séjours. Sur l'insistance de ses parents, présents en séance avec lui – il ne veut pas du contraire ! – il dit combien il est peiné que la condisciple dont il est amoureux depuis des mois « ne regarde pas sur lui ». Très bien doué, il se plaint encore de ne plus avoir de contact privilégié avec son instituteur, plus occupé à préparer mille activités avec les « battants » qu'à se pencher sur les introvertis. Il est saturé par la quantité excessive de tâches scolaires : assez perfectionniste, elles l'occupent trois, quatre heures par jour. Il sent bien qu'il a le soutien de ses parents sur ce coup-là et il commente « Si c'est ça vivre, encore travailler trois heures après sept heures de classe, je ne veux plus vivre ». Ce n'est pas la première fois que lui traversent l'esprit des idées sur l'absurdité de la vie, sur le fait qu'il encombre inutilement les autres et qu'il ferait mieux de mourir.

Question. Qu'est-ce que c'est, pour chaque adulte, la possibilité de se laisser déstabiliser par la souffrance de Jean ? Jusqu'à quel point va-t-on s'efforcer de mieux aménager sa vie scolaire. Parler avec son instituteur, si Jean le permet ? Et pour lui dire quoi ? Attirer son attention sur le « besoin en relations » du préadolescent ultrasensible, certainement ? Parler de la quantité de tâches scolaires qu'il donne ? Bah, l'instituteur aura beau jeu de rétorquer que nombre de parents le soutiennent « parce qu'il faut les préparer à leur vie future, n'est-ce pas ? ». Alors ? Aider davantage Jean à la maison pour que les devoirs aillent plus vite ? Lui interdire de travailler plus d'une heure et tant pis pour les mauvais points ? Le dispenser de classe de forêt ? Le changer d'école ?. L'instruire à domicile ? Rien de tout cela n'est impossible.

Au-delà de considérations rationnelles, beaucoup procèdent d'une « déstabilisation idéo-émotionnelle » que l'adulte va accepter ou refuser de laisser monter en lui, en écoutant la souffrance de cet enfant qu'il a été lui- même peu ou prou ... Certes, nous n'avons pas à obéir à toutes les demandes de l'enfant. Par exemple, quelques-uns, auteurs de transgressions pour lesquelles on leur demande des comptes, peuvent chercher à minimiser, à tromper ou à séduire ; notre écoute doit être lucide et prudente. D'autres rêvent, mélangent fantasme et réalité, vivent dans l'immédiateté ou encore font des promesses qu'ils ne sauront pas tenir, ... tout comme leur famille aussi d'ailleurs !

Notre ligne de conduite est de rester réalistes, gardiens du temps et d'un ensemble d'intérêts. Il ne s'agit donc pas de « nous laisser avoir » par les émotions, par des promesses faites sans réfléchir ou par des tromperies. Mais de là à ne jamais changer de projet après que nous ayons bien écouté ! Tant mieux, si, de temps en temps, ce que l'enfant a dit nous amène à réfléchir autrement, à refaire le point, en nous-mêmes ou avec d'autres, et à intégrer de nouvelles données dans notre cheminement décisionnel.

Demander à être pris en considération

Ce qui vient d'être évoqué autour de l'écoute nécessite une condition essentielle valable pour toute communication : le respect de soi et de l'autre. L'adulte qui veut communiquer doit parfois « demander à exister » face à un enfant fuyant, rêveur, méfiant, distrait ... Que faut-il faire alors ? Insister ? Mettre ou imposer un cadre convenable ? Signaler l'importance du moment de communication ? Se poser comme sujet qui aura du plaisir ou de la peine selon que cette communication réussit ou échoue ? La décision se prend au cas par cas ! Certaines fois c'est simple, car l'enfant est poli et réceptif. 


D'autres fois, il faut faire preuve d'autorité pour qu'un cadre suffisamment cohérent et convivial existe. Mais cela en vaut la peine. Pas plus que l'enfant, nous ne méritons d'être traités comme des paillassons ou de mendier un peu d'écoute. Des dizaines de fois dans notre vie professionnelle, il nous est arrivé de nous interrompre dans une phrase, de demander à un enfant d'arrêter de jouer ou de faire du bruit, ou encore, qu'il s'installe convenablement sur sa chaise.

Il n'est jamais obligé d'être d'accord avec ce que nous disons, mais toujours, de nous prendre en considération comme être parlant, qui posons à son égard le geste de dire des paroles importantes à nos yeux. Nous ne le ridiculisons jamais ; qu'il ne nous ridiculise pas non plus !

Informer et s'informer

petit savant



I. Comment assurer une transmission efficace de l'information ? 



 - Soyons brefs, en allant à l'essentiel ; plus l'enfant est jeune et plus il y a lieu de laisser tomber les détails qui surchargent sa capacité de réception et d'intégration et ne présentent guère d'intérêt à ses yeux. Notre perfectionnisme peut être un très mauvais conseiller : par exemple dans une consultation thérapeutique, l'on se présente simplement : « Je suis le docteur X ; c'est moi qui vais m'occuper de toi régulièrement ». Cette affirmation ne prend pas en compte les relais au moment des vacances, des maladies, etc., mais elle dit l'essentiel du contexte relationnel. Ou encore : « Ton cerveau est nerveux. C'est en partie à cause de cela que tu contrôles mal tes poings ! ». Le propos n'explique pas tous les détails de la composante cérébrale de l'impulsivité, mais elle introduit néanmoins la restriction « en partie », qui est essentielle et laisse la porte ouverte à un débat sur la liberté et le choix qui restent à l'enfant.

Par ailleurs, beaucoup d'éléments d'information peuvent être communiqués progressivement. 

 - Soyons clairs et précis, c'est-à-dire ne tournons pas autour du pot. Il s'agit d'employer les mots qui ont une signification exacte, de préférence en utilisant le même vocabulaire ou un vocabulaire connu par l'enfant.

Ne fuyons pas non plus les mots difficiles comme par exemple séparation, punition, mal, bien : les informations authentiques et fiables ne sont ni réductrices ni doloristes ; si on sépare un enfant de sa famille, c'est souvent parce que, pour le moment, ses parents ne sont pas capables de bien l'élever, mais c'est aussi pour lui donner la chance de vivre dans une collectivité estimée positive.

 - Situons aussi en toute vérité les statuts et les parts de responsabilité et d'engagement personnel de chacun. Par exemple, en s'adressant à l'enfant : « Ton juge a décidé que ... Et moi, voici ce que je lui ai conseillé ... Voici ce que j'en pense, ... C'est aussi ce que je pense de toi ... ».

 - Parfois, il y a lieu d'aménager l'information en n'évoquant pas des facteurs inutilement anxiogènes, dont l'occurrence est très peu probables, mais sur lesquelles les enfants les plus sensibles risquent néanmoins très fort de se « fixer » : il n'y a donc plus de loups en Europe et les fantômes n'existent pas, même si des écolos ont réimplanté quelques-uns de ceux-là dans les Alpes italiennes et si, pour ce qui est du surnaturel, on ne peut pas être absolument certains de rien ... Et en 1996, au moment où tous les enfants belges tremblaient, persuadés que d'abominables pédophiles en réseau allaient les enlever comme Julie et Mélissa, l'un de nous a proposé au J.T. de la télévision nationale, que l'on rassure les plus petits qu'il ne leur arriverait rien parce que leurs parents (ou tenant lieu), eux, veillaient bien sur eux pour les protéger.

enfant et serpent

 

quant aux serpents, quand ils ne sont pas venimeux, ils peuvent être amusants à manipuler ... et ça impressionnera tes potes, et les filles de l'excursion ... 

 


 - Aménager l'information, ce peut être aussi la faire passer sous forme originale, ludique, en ayant même l'air de ne pas s'adresser directement à l'enfant pourtant concerné : les histoires racontées le soir ou les jeux de rôles peuvent parfois aider à faire passer des pilules un peu indigestes ...

ILL : Avec Michaël, huit ans, anormalement agité et agressif depuis un abus sexuel répété, avec sodomie, commis par un marginal proche de la famille, il faudra que je recoure à des jeux de rôle pour l'aider à exprimer ses angoisses les plus secrètes ... Dans les jeux de rôles, je suis un petit garçon en visite chez le docteur et je lui demande, en n'osant pas trop poser ma question, si ça peut arriver que des petits garçons attendent un bébé quand ils ont été sodomisés. Malgré qu'il m'assura que ça n'arrivait presque jamais, le « docteur » eut l'air très soulagé que je lui pose la question, et nous pûmes en discuter entre hommes.

 - L'adulte est également invité à ne pas critiquer et vouloir éradiquer à tout prix toutes les fausses croyances que l'enfant se construit pour le moment ; c'est le cas notamment quand il est petit et recourt à de la pensée magique pour se rassurer, ou quand il idéalise un adulte proche, un grand frère, etc. ; il a transitoirement besoin de ces rêves pour se sentir plus apaisé, plus heureux, plus fort lui-même ... Inutile de vouloir les lui casser trop prématurément, en argumentant à l'infini… On peut se taire avec humilité, en attenant que ça passe, ou se limiter à commenter avec un clin d'œil bienveillant : « Tu vois, ça, c'est ce que tu crois pour le moment ... ».

 

mort de Saint Nicolas

 Est-ce vraiment notre rôle de casser le rêve de saint Nicolas ?


 - Il est important de vérifier ce que l'enfant a compris de l'information proposée par l'adulte : a-t-il des questions à poser, des réactions à donner, sur cet échange qui vient d'avoir lieu ? Des mots trop compliqués ont-ils été employés, qu'il n'a pas bien compris ? Pourrai-il résumer ce qu'il retient de l'échange ? Toutes questions posées avec patience et bienveillance, pas pour le disqualifier ni pour traquer son manque d'attention !

II. Evoquons maintenant quelques contenus possibles du message informatif, particulièrement délicats ou inattendus : 

 - Tout contexte non familier demande que l'on se présente et que l'on explique bien la situation de rencontre : son cadre et ses enjeux. Ainsi en va-t-il, par exemple, du statut respectif des professionnels que l'enfant est amené à fréquenter ; c'est le cas notamment pour les juges, policiers, travailleurs sociaux, experts, avocats, ...

 - Dans le cadre d'une consultation psychothérapeutique, il est souhaitable que le clinicien ne joue pas indéfiniment au Sphinx, et propose à l'enfant son opinion à propos de lui, de sa famille, de son environnement, de ce qu'il pense être leurs ressources positives et leurs points plus vulnérables.

 - Lorsque l'enfant échange à propos des actes qu'il a posé, il est structurant de l'aider à se retrouver entre le bien et le mal, en référence aux lois naturelles. On peut également l'amener à différencier et à distinguer le permis et le défendu, selon les lois de la cité, celles de l'école, celles de sa famille ... Et il existe en plus les superpositions, les confusions et enchevêtrements de ces deux grands domaines des interdits fondamentaux et des règles ; rappelons la manière dont nombre d'adultes sèment la confusion à leur propos, en désignant bien trop comme « mal » les seules transgressions de règles (Hayez, 2007).

 - Dans des cas particuliers, il n'est pas inutile non plus d'aborder les réactions ou les idées qui peuvent être sources de confusion ; c'est le cas par exemple lorsque l'enfant ressent du plaisir sexuel, ce qui ne veut pas dire ipso facto qu'il est co-responsable de l'abus qu'il subit.

ILL : Samuel, cinq ans, s'est laissé entraîner dans une cabane par Quentin, huit ans ; ils se déculottent, se comparent et se touchent, mais Samuel refuse l'invitation très contemporaine que lui fait Quentin : « Tu me suces ? », et ce dernier n'insiste pas. Un petit cousin de Samuel a espionné et tout entendu et rapporte l'horrible chose aux adultes. La mère de Samuel est furieuse sur Quentin, l'exprime au garçon et, le traînant par le bras, va dire toute sa colère à ses parents, des voisins ... Elle se reprend quand même pour dire au petit : « C'est lui ; toi tu n'es pas responsable ». Dans les jours qui suivent, Samuel se montre difficile et dit à plusieurs reprises : « Je suis un méchant garçon ». Invité à s'expliquer, il fait part d'autres types de pulsions vécues et exprimées par lui ( par exemple avoir frappé un camarade à la récréation ). Le mère revient l'une ou l'autre fois sur l'incident sexuel, avec la double idée de rassurer Samuel et de quand même savoir si, après tout, il n'a pas mis en bouche le zizi de Quentin. L'enfant lui assurant que non, parce qu'il y a des microbes, elle lui proposera même, quelques heures après, un bain de bouche pour être sûre qu'il n'y a pas de microbes dans la bouche. Heureusement, les choses se tassent, le temps passe ... mais Samuel a rencontré ce que l'un de nous appelle une épine sexuelle (Hayez, 2004, p. 160 et suivantes), et une fameuse, parce que sa curiosité à lui, voire son érotisme naissant n'ont pas été reconnus, parce qu'a été désigné comme abus ce qui était probablement un jeu sexuel, parce que l'adulte ne s'est pas repris pour comprendre et expliquer la sexualité qui existe entre enfants et que nous, parents, devons accepter : « Voici ce que nous admettons et voici ce que nous ne voulons pas (cfr. Le concept de « règles puissantes » ; ibid., p. 234 et suivantes) ».

- Dans un autre champ, se taire et garder un secret est bien plus une réaction d'angoisse voire de solidarité avec un groupe qu'un acte mauvais. Il est bon de préciser aussi à l'enfant que transgresser est le lot commun de tout être humain, même si l'acte n'est pas apprécié des adultes qui le « contrent ». Et il existe des transgressions plus ou moins destructrices : certaines ne sont que des défis, d'autres sont « mauvaises » parce qu'elles détruisent vraiment (Hayez, 2007).


  • Le partage expérientiel

  • grands-parents ... le partage expérientiel

Au delà de l'information, il existe une dimension de l'échange verbal que nous appelons le partage expérientiel.

Ce partage n'est pas toujours possible, ni a fortiori permanent dans le processus de communication. Ce sont plutôt des moments isolés, des « temps forts », qui dépendent du cadre, des objectifs et de l'ambiance. Il n'est jamais obligatoire et ne consiste certainement pas en un rôle joué, sorte d'artifice conseillé par tel livre de recettes en communication pour obtenir tel résultat. Pas de paternalisme copain-copain à visée didactique, donc ! (« Je-suis-passé-par-là, les p'tits gars ; écoutez ce qui m'est arrivé et comment je m'en suis sorti »).

Il s'agit donc d'une libre décision, la plus souvent improvisée dans le chef de l'adulte qui désire faire un geste de partage et donner à l'enfant quelque chose de son humanité. Le partage ne peut avoir lieu que quand la confiance réciproque est « suffisamment bonne » : c'est seulement alors que chacun accepte de l'intérieur et même se réjouit de livrer à son interlocuteur du « précieux » en soi. Dans l'éducation quotidienne, ce don fait authentiquement, joue un rôle fondamental pour les identifications de l'enfant et la structuration de sa personnalité.
Lors des communications enfant-professionnel, il peut aussi jouer un rôle positif. Sans jamais se transformer en confessions envahissantes, étalages réalisés dans une perspective de réassurance narcissique de l'adulte, ou de pression inacceptable sur le projet de vie de l'enfant.

Au fond, il existe tant d'idées, de questions et d'émotions qui ne demandent qu'à être partagées. Ainsi, l'adulte peut parler de ses sentiments personnels vécus, en réaction ou non à ce que dit ou vit l'enfant :« Moi aussi tu sais, ça me peine, je trouve aussi que c'est injuste ! ».

L'adulte peut également évoquer une expérience de sa propre vie, réussie, incertaine ou ratée, ou confier une incertitude, une incompétence ... ou une valeur de ci de là, ce sera un morceau de son histoire d'enfant ou d'adolescent qu'il pourra partager en l'association avec ce que l'enfant vient de raconter ou avec des événements de vie qu'il traverse. D'une façon plus générale, l'adulte peut encore donner son opinion personnelle sur ce qui se passe dans le monde, dans la société.

ILL : Jérémie ( dix-sept ans ), honteux d'avoir vécu avec sa soeur un inceste de longue durée, réfléchit avec moi à l'une de ses questions les plus angoissantes : « Est-ce que vous, vous m'estimez toujours ? » ; au-delà de moi, c'est bien l'estime de la communauté dont Jérémie doute, et il me l'exprime même sous une forme très directe : « Si vous aviez une fille, accepteriez-vous qu'elle sorte avec moi ? ». Je sourirai plutôt que de répondre à sa question, puis je le ferai encore parler de sa honte et de sa culpabilité. Ensuite, seulement, comme Jérémie est de culture chrétienne, je lui citerai l'Evangile dit de la femme adultère où, en réponse à l'interpellation de Jésus ( que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre ), on nous dit qu'ils s'en allèrent un à un, à commencer par les plus vieux. Ce qui me vaut, à moi qui ai passé la soixantaine, de lui commenter que la possibilité et la réalité de la faute est présente chez tous les humains, moi inclus.

Plus loin, lorsqu'il explique que c'est tout seul, par hasard, qu'il a fini par découvrir les gestes « techniques » de la masturbation, je lui commenterai brièvement qu'il en a été comme cela pour moi aussi, comme pour beaucoup de garçons. J'aurais parfaitement pu me passer de cette affirmation, mais j'ai profité de l'occasion pour lui signifier que moi aussi, j'étais sexuel et que j'avais donc eu et que j'ai toujours à mettre en place une sexualité « suffisamment bien » sociable, comme tout un chacun.


Aspects directifs de la communication avec l'enfant


Décider, exiger, sanctionner, ... Ces actes constituent une composante importante de la communication « éducative », du ressort des parents et des « parents sociaux » ( juges, éducateurs ... . On ne sort pas pour autant du registre de la rencontre verbale. Les décisions importantes signifiées à l'enfant gagnent à être précédées d'un dialogue, d'une tentative d'explication et de réflexion pour associer celui-ci à leur bien fondé. Le premier temps de l'échange consiste toujours bien à écouter les connaissances ou le point de vue de l'enfant. Il peut s'ensuivre la construction d'un raisonnement dans lequel l'aîné explique au plus jeune les éléments du principe de réalité.

Ill : Prenons l'exemple de l'enfant qui demande avec force de poursuivre un jeu alors qu'un parent vient de lui signifier qu'il est l'heure de rejoindre sa chambre. Mis à part transiger ou démissionner, deux options s'offrent à ce dernier pour se faire obéir ; soit, en s'appuyant sur son statut et sa force, il enjoint fermement, parfois physiquement, de monter très rapidement, n'hésitant pas à menacer l'enfant : «  Si tu n'y vas pas immédiatement, tu vas voir ce que tu vas voir ... » ; soit il prend un petit temps pour écouter l'enfant : « Ainsi, tu me dis que tu as encore envie de jouer. Je comprends, je me réjouis que tu t'amuses de la sorte. Maintenant, il est temps de te reposer, ... et aussi de nous laisser entre adultes. Demain, tu auras l'occasion de poursuivre ton jeu ... ».Evidemment, l'enfant n'obtempère pas toujours le petit doigt sur la couture du pantalon !

 

titeuf puni

 

L'enfant, et encore plus l'adolescent, peut chercher à s'éterniser en contre-arguments ; il peut chercher à jouer sur les cordes affectives de l'adulte et à le culpabiliser. Mais la coloration de cette modalité relationnelle est radicalement différente de celle de la première option. Dans la seconde, l'enfant éprouve le sentiment d'exister par le fait d'être entendu, quand bien même il perçoit que le parent ne cèdera pas à son désir. En répétant inlassablement cette manière d'être à l'enfant, l'adulte gagne en autorité légitime, ... et recourt nettement moins aux « bras de fer » épuisants de part et d'autre. 
Les décisions gagnent à être énoncées sans ambiguïté, le plus clairement possible et sans palabres interminables : ce serait pervertir l'idée du petit bout de dialogue que nous venons de suggérer. L'ambiguïté porte régulièrement sur les raisons d'être de la décision, où l'on raconte bien des « salades » à l'enfant : pourquoi doit-on être calme, au lit, à 20 h 30 ? Est-ce surtout pour le bien des enfants, leur santé, ou est-ce pour le confort des adultes ? Pourquoi doit-on être entre 9 et 16 heures dans cette école où l'on n'apprend rien et où l'on est stigmatisé comme « enfant de home » ? Pour s'instruire ou parce que le home n'a pas de personnel pour garder ses pensionnaires dans cette tranche horaire ? Pourquoi cette règle ? Pour sauver la tradition, les us et coutumes ? Pour l'image sociale de la famille ? Ou parce que c'est vraiment mal de la transgresser ?

Une autre ambiguïté porte sur la nature et le degré de réalisme de la sanction positive ou négative relative à l'obéissance ou à la transgression. Ainsi, s'il n'existe pas de sanction envisageable, il y a lieu de l'assumer, sans faire semblant qu'il y en a une.

Le statut et la responsabilité de celui qui décide doivent également être clairs ; il s'agit de ne pas s'abriter derrière un autre lorsqu'on est d'accord avec les décisions prises. Au-delà des règlements qui gèrent le quotidien, il faut souhaiter que celles-ci soient prises parce qu'existent des lois de la cité et encore plus fondamentalement des lois universelles, dont nous ne sommes que les porte-parole et qui nous obligent nous aussi, nous les adultes !
Gardons également à l'esprit qu'une décision prise gagne à être « suivie », c'est-à-dire évaluée dans le temps. En invitant l'enfant à participer de sa place à cette évaluation, en engageant sa parole personnelle.

Notes

(1) L'article ci-dessous constitue un chapitre du livre  La parole de l'enfant en souffrance (Dunod, 2010) J'y ai joint un interview réalisée en 2014 par la DH.be : Communiquer en culotte courte, mode d'emploi 

Interview réalisé le 13/03/2014 par la DH.be : Communiquer en culotte courte, mode d'emploi  

S'il est connu que la communication parent-enfant est surtout et souvent compliquée à l'âge des premiers poils de barbe et autres témoignages physiques du passage à l'âge adulte, parler avec son nourrisson n'est certainement pas plus simple. Et pour cause, la communication avec nos petits bouts reste encore, à de nombreux niveaux, un mystère.

Tout d'abord, à partir de quand faut-il communiquer avec son bébé? Est-il réellement possible de dialoguer avec lui alors qu'il est encore reclus dans le ventre maternel? "Au niveau intra-utérin, il y a une possibilité de communiquer notamment par les mouvements , les massages et l'haptonomie"(méthode à la mode qui consiste à communiquer par le toucher) explique Françoise Ferain, psychologue."Rien n'est réellement prouvé au niveau de la communication entre la mère et le bébé, mais cela permet de créer, déjà, un début de relation."

"Dans le ventre c'est mystérieux. Difficile de dire si un bébé peut communiquer ou non, mais ce qui est sûr, c'est qu'il réagit: un bébé soumis au stress de la mère risque d'être un bébé stressé. A l'inverse, si on s'occupe de lui avec tendresse, qu'on lui fait des massages, qu'on lui fait écouter de la musique, cela favorisera une plus grande sérénité chez lui." rajoute Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre à l'UCL.

Et une fois ses petits pieds sur la terre ferme? Comment communiquer avec lui? "Les bébés communiquent énormément, par le regard, les gestes, leurs cris. Il y a énormément de langage non-verbal chez les tout petits" explique la psychologue Lucie Coppens. Si l'enfant ne parvient pas encore à formuler des mots, faut-il pour autant couper court tout débat avec lui? Quel parent peut prétendre n'avoir jamais parlé le "bébé", à grands coups de "ageugageugi" et autres "bibouraboubou", en dehors des considérations moralisatrices de l'un ou l'autre ami estimant que "ce n'est pas comme ça qu'on parle à un bébé"? D'ailleurs, est-ce vraiment néfaste? "Il y a des dizaines de manières de communiquer avec un bébé, et ce type de langage en fait partie" assure Françoise Ferain. "Bien sûr, il ne faut pas lui parler comme ça durant des mois"poursuit-elle. "Ce doit être une manière de l'interpeller pour pouvoir ensuite passer au vrai langage" renchérit Lucie Coppens. 

 

Sans pression

 

Le vrai langage, lui, doit se pratiquer de manière détendue, sans pression. "Il est important de communiquer, mais de manière spontanée, cool. La bonne communication ne sera jamais une leçon de pédagogie." explique Jean-Yves Hayez. "Il y a des parents qui en font beaucoup trop. Comme on dit "l'excès nuit toujours au bien", et pratiquer une communication avec une idée de rendement derrière, c'est mauvais. Dire des mots compliqués à l'enfant, lui faire faire des calculs, etc… C'est contreproductif, le bébé va s'inquiéter car il ressent une pression. On lui demande une réciprocité dont il n'est pas capable." conclut-il. "C'est un accordage. Plus on communique avec lui, plus on parviendra à distinguer ses cris, ses pleurs, et décrypter ses différents désirs et peurs" poursuit Françoise Ferain.

"Il faut réaliser une communication ludique, spontanée, où on lui transmet des graines de mots, des idées, des émotions qu'on va planter dans des terres très fertiles puisque l'enfant est à cet âge très réceptif et s'il n'a pas peur de vous (parce qu'on ne parle pas pour lui faire la leçon), il le sera encore plus." reprend le pédopsychiatre de l'UCL. Il est également conseillé de donner des bains de parole à l'enfant, l'imprégner de la réalité dans laquelle il évolue, surtout que les plus petits accèdent rapidement au langage. "Il faut lui expliquer ce qu'il se passe autour de lui, et introduire des mots qui vont lui permettre de reconnaître ses sentiments et de mieux s'exprimer." développe Jean-Yves Hayez. Il rajoute par ailleurs que 'la bonne communication se fait aussi en jouant, en lui faisant des chatouilles, en le faisant rire." Enfin, une communication à ne pas négliger est celle que pratiquent les tout petits entre eux. "Ils aiment bien être avec les autres bébés car ils se reconnaissent dans ces autres eux, dans ces petits êtres similaires." Les bébés adorent parler entre eux, et Il n'y qu'à regarder la vidéo ci-dessous pour s'en rendre compte.

Félix Dumont