L''embrouillamini duquel la demande surgit vaille que vaille

 

Un embrouillamini

 

Va en diminuant la proportion de situations problématiques que les familles viennent nous exposer directement et clairement, en demande d'une aide qu'elles identifient elles‑mêmes. Le « problème » est plus souvent d'abord comme happé dans un embrouillamini d'intervenants plus ou moins compétents. Embrouillamini, avec clivage des uns par rapport aux autres, bien plus souvent que réseau bien organisé et complémentaire ! Nébuleuse de taille et de composition variables : surtout sociale, ou sociojudiciaire, ou médicale, ou scolaire ... à laquelle s'ajoutent encore les voisins, les grands‑parents, le psychiatre de Monsieur, et aujourd'hui, ces intervenants abstraits, capables du pire et du meilleur, que sont les émissions TV et autres sites Internet. 

Ballotté dans ces nébuleuses, le problème nous est assez rarement dérivé après une négociation claire avec la famille, où nous aurions été identifiés pour ce que nous sommes. Plus souvent, si certains intervenants pensent à nous, ils nous poussent cette famille sans avoir vraiment travaillé le passage ... ou alors, ce sont les parents eux‑mêmes qui prennent l'initiative, mais comme la boule qui va d'un plot à l'autre dans un billard électrique : nous voilà donc pris dans la nébuleuse des intervenants, sans que les autres n'arrêtent pour autant leur action ni même n'apprécient ipso facto la nôtre, ou même soient toujours clairement identifiables. 

Et ce qui s'en suit !

 

Notre autorité morale en prend souvent un coup : le poids de nos paroles et de nos propositions n'est plus ce qu'il a été : d'autres disent autre chose que nous, et les familles se donnent le droit de peser le pour et le contre, de façon déclarée ou non. 

À nous alors de tenir compte de cet état de fait : ne pas ignorer les interférences, voire même interroger activement à propos de leur existence ; ne pas vouloir nous mettre au centre ; inviter les familles à nous faire part de tous les avis reçus chez nous et ailleurs : Quel est leur état d'esprit à ce propos ? Comment vont‑elles faire leur choix ? Dialoguer et donner notre point de vue à ce propos, mais avec délicatesse. 

Corollairement, le cheminement de la demande et des offres faites à la famille au fil du temps doit être reconstitué avec soin, plus que jamais : 

‑ Qu'a‑t‑on déjà proposé à la famille pour la soulager de son problème ? 

‑ Une demande à notre égard existe‑t‑elle ? Si oui, en quoi consiste‑t‑elle ? A‑t‑elle évolué ? Qui l'a influencée ? Est‑elle compatible avec l'identité que nous nous attribuons ? Peut‑on en négocier quelque chose ? 

‑ Si la famille ne nous demande rien de précis, pourquoi est‑elle venue ? Vague curiosité ... contrainte plus ou moins avouée d'autres intervenants, pressions affectives faites sur elle ? ou autre motivation, encore plus inattendue ... 

Et s'il y a contrainte ou menaces affectives, nous pouvons discuter avec la famille des enjeux liés soit à son désistement, soit à une coopération « raisonnable » : la seule option stérile serait d'accepter une pseudo‑présence qui ne soit que de corps, voire même qui s'émaille de sabotages plus ou moins clairs. 

II nous revient alors encore de décider, de préférence avec l'accord de la famille, s'il est opportun d'inviter le demandeur principal et s'il n'existe pas d'autre alternative pour donner suite à sa préoccupation : selon les cas, il entre ou non dans notre mission de « faire quelque chose » pour cet intervenant, opérant clairement ou tapi derrière la famille, si tant est qu'il accepte de se mobiliser jusqu'à nous.

 

ILL. Bien des instituteurs sont incommodés par le comportement d'enfants perturbés dans leur classe. Parfois, une table ronde qui réunit les parents et l'école ( l'instituteur, le directeur et le psychologue scolaire par exemple ) contribue à rendre l'enfant plus supportable, en améliorant les représentations mentales qu'il génère et en suggérant quelques aménagements efficaces. A propos de Cédric ( sept ans ) par exemple, nous avons discuté de ce qu'était le syndrome d'Asperger et redit à tous que Cédric n'était pas un enfant de porcelaine, prêt à casser au moindre affrontement avec lui. Les parents ont accepté que le premier objectif scolaire n'était pas le rendement mais la socialisation de leur fils : plus question qu'il dérange les autres, sous peine d'un petit séjour chez le directeur, voire d'un renvoi d'une demi‑journée à la maison. Plus question non plus qu'il s'isole perpétuellement. Ensuite, parents et instituteur ont parlé de tout cela avec Cédric en notre présence ... Et l'on est reparti de l'avant, jusqu'à la table ronde suivante, trois mois après.

 

De façon plus générale et comme le veulent tant de recommandations contemporaines, on peut viser une coordination fonctionnelle du réseau ... ou de la nébuleuse des autres intervenants. Gardons cependant à l'esprit quelques considérations pragmatiques :

‑ inutile de croire au mythe de la grand‑messe, où toute la chorale accepterait de se réunir chaque semaine : parler au téléphone avec tel intervenant estimé important ... s'offrir le plaisir d'une table ronde de taille modeste in vivo (2) ... c'est déjà très bien ; 

‑ y regarder à deux fois avant de décider, en solitaire, que nous sommes l'intervenant de deuxième ligne et que les autres, eux, sont en première ligne ... ils n'aimeront pas nécessairement cette redéfinition subtile des pouvoirs ;

 ‑ se résigner à l'existence occasionnelle de cultures de prise en charge incompatibles, et en parler plutôt que de passer à l'acte.

 

ILL Thibaut ( treize ans ) venu nous consulter pour des symptômes liés à une crise d'adolescence débutante, consulte aussi un pédiatre pour son « retard pubertaire » et se voit proposer par celui‑ci des injections d'hormones. D'expérience, nous savons qu'une tentative de dialogue avec ce collègue se heurte à une fin de non‑recevoir. Nous résistons cependant à notre contre‑transfert ( fait de frustrations et de colère ), nous expliquons à Thibaut et à ses parents notre différence de point de vue, en acceptant d'entendre les arguments positifs invoqués par le pédiatre ( autour de l'image de soi rapidement améliorée ) ; nous laissons ensuite la famille prendre sa décision à la maison, en dehors de notre présence, et nous nous en enquérons la séance suivante.

 

Réciproquement, les autres intervenants non plus ne peuvent pas toujours comprendre ni accepter les valeurs et exigences spécifiques de notre fonction de diagnostic et de traitement psychologiques. Or, s'il est bon de faire l'un ou l'autre compromis pour garantir la convivialité, nous n'avons pas à aller jusqu'à la compromission ! L'application la plus récurrente de cette difficulté concerne probablement le droit à l'intimité des familles : il connote que le principal du secret professionnel (3)  soit gardé , envers et contre tout, sans pour autant que nous nous retranchions dans un silence hautain ou phobique [7,12] : d'où d'inévitables frustrations chez les autres intervenants, qui ne se lèvent ‑ et pas toujours ! ‑ qu'à travers des attitudes de respect fondamental à leur égard [5]. 

Et, pour évoquer un thème encore plus brûlant, on peut parler de la protection des mineurs en danger : certes, cette valeur et cette intention nous lient tous. Mais doit‑elle toujours se concrétiser par un signalement rapide, quasi réflexe, fait aux autorités judiciaires lorsqu'on suspecte maltraitance ou abus sexuel ? Un psychothérapeute ne peut‑il pas tenter de modifier un état de danger en essayant de comprendre, dans le registre de la parole, celui qui le génère, discutant avec lui pour qu'il mobilise son vécu et modifie son comportement ? Le signalement éventuel pourrait n'avoir lieu qu'en cas d'échec avéré de la tentative [13]. 

Les familles, surtout les peu motivées, sont souvent à la recherche d'informations précises et de résultats rapides et efficaces. 

Informations précises ? C'est dans l'air du temps, où les autoroutes de l'information assènent leurs myriades de messages, chacun clair, concis, et présenté de façon attractive. Pourquoi ne pas satisfaire jusqu'à un certain point à ces nouveaux rituels, sans y perdre notre âme ? 

Il nous paraît possible de continuer à accompagner la démarche profonde de sujets en quête de réalisation de soi et de bonheur, tout en faisant à haute voix l'hypothèse qu'ils souffrent d'autisme, de dépression ou d'hyperkinésie : à nous de ne pas les réduire ni les figer dans ce cadrage qui peut ne pas être un carcan ... à nous aussi de croire à leur évolution possible, et aussi au droit que nous conservons à dire lorsque c'est le cas : « Je ne sais pas ... je ne comprends pas ce qui est en jeu ... aidez‑moi à mieux comprendre ». 

Quant au besoin de résultats rapides, nous y reviendrons lorsque nous évoquerons l'évolution de nos méthodes : c'est parfois possible ; mais quand ce ne l'est pas, il n'est pas éthique de faire semblant qu'on pourra travailler vite et bien !

 

Les demandes nombreuses et changeant partiellement de contenu

 

Des demandes nombreuses

 

Quelqu'imparfait que soit leur surgissement, les demandes d'aide qui nous sont adressées arrivent en nombre croissant, tant en consultation ambulatoire qu'en pédopsychiatrie de liaison. Ce phénomène est surdéterminé. 

Même dans le contexte d'une nébuleuse, les autres intervenants sont davantage familiarisés avec ce qu'est le travail pédopsychiatrique ; ils dérivent donc plus de cas vers nous ... sans nécessairement les abandonner pour autant ; la peur ou la honte générée par les psy va en diminuant, face à l'athéisme croissant des sociétés occidentales, on demande assez souvent aux psy de fonctionner comme « prêtres laïcs », dont on attend écoute, conseils, voire même pardon. 

Notre société génère‑t‑elle davantage de pathologies graves ou/et spécifiques qu'auparavant ? Nous nous garderons d'un alarmisme désolant, et de participer aux slogans politico‑sécuritaires qui désignent des suitable enemies commodes, comme par exemple les jeunes difficiles [13]. Tant ceux‑ci qu'une autre proie commode, les abuseur sexuels, ont probablement fonctionné en quantité stable depuis toujours ; mais aujourd'hui, pour des raisons variées, nobles et moins nobles, il est de mode de parler beaucoup des jeunes violents des banlieues pauvres et des abuseurs sexuels, et de les traquer. 

Nous ne sombrerons pas non plus dans la contre-réaction inverse, qui serait de réduire ces deux catégories au rang de pures victimes d'une persécution sociale, et d'affirmer qu'une incidence grosso modo stable est tout à fait étale. 

D'accord, nous sommes probablement dans une étape de l'histoire où l'incidence est un peu plus élevée qu'elle ne l'a été ( insécurité et morosité sociale, incitations à la consommation effrénée ; effet pervers de la stigmatisation, etc.). D'accord, davantage de petits ‑ mieux informés et excités arrivent sur le marché de la violence, et les armes deviennent plus meurtrières, comme chez les adultes, puisqu'on peut tout acheter sur le Net ! 

De là à affirmer que la violence des jeunes ( comme l'abus sexuel ...) représente un fléau croissant ... on ferait mieux de se demander pourquoi certains media et certains politiciens tiennent si fort à hypnotiser notre attention là dessus. 

Que faire alors en cas d'afflux excessif des demandes que même la générosité dans l'investissement du travail ne réussit pas à contenir? Voici quelques suggestions à ce propos, chacune imparfaite et souvent compatible avec ses voisines : 

‑ travailler davantage seul, même quand on vit en équipe, en conservant néanmoins des moments « sacrés » d'échanges d'idées, et en se donnant aussi le droit de se faire plaisir de temps en temps via une prise en charge conjointe avec un collègue apprécié ; 

‑ mettre au point de nouvelles formes d'aide, plus économiques ( en temps, en investissement de personnel spécialisé : par exemple, thérapies brèves ; entretiens denses mais plus espacés ; appel à l'aide des ressources de première ligne, notamment pour la prise en charge de l'abus sexuel ) [6], etc. 

Attention cependant à l'effet pervers possible des pratiques « espacées » : il ne va pas de soi qu'elles ont toujours du fruit ! Prendre beaucoup de cas en recevant chacun de façon saupoudrée, ce peut être parfaitement inutile ! 

‑ hiérarchiser les priorités de prise en charge des cas, en référence à des critères variés ( par exemple : l'identité de l'envoyeur ; la distance géographique ; la profondeur de la demande ou de la détérioration psychique (4), etc.) [ 16] ; 

‑ faire le deuil de ce que l'on ne sait pas faire, en se souvenant de la parole biblique : « Celui qui sauve un homme, sauve l'humanité ». Plutôt que travailler mal en s'efforçant de prendre vaille que vaille tous les cas qui se présentent, mettre sur une liste d'attente, faire un travail à minima, envoyer chez d'autres collègues ou ... dire « Non ». 

‑ etc.

 

Une volonté de « démédicaliser » certains types de problèmes, qui touchent de facto les populations économiquement défavorisées

 

Par « démédicalisation » nous entendons ici l'exclusion de la fonction psy, diagnostique et thérapeutique. 

Après lecture de ce qui précède, on pourrait nous trouver inconséquent, si pas masochiste, à nous entendre dénoncer cette volonté de démédicalisation. Et pourtant, nous ne pouvons pas admettre, sur le plan éthique, que l'on fasse semblant que n'existent pas de problèmes psychopathologiques là où ils existent, surtout quand il s'agit de populations défavorisées qui n'ont pas toujours assez d'arguments pour bien se protéger. 

Cette volonté existe de façon plus ou moins forte selon les régions et les pays. Elle résulte, entre autre, du désir des hommes politiques de faire des économies, en entretenant le mythe des résultats rapides strictement comportementaux. Elle résulte aussi des rapports de force entre institutions, par exemple l'institution sociale contre la psychiatrique. 

Ainsi en Belgique, on a supprimé l'appellation signifiante « Institut médico‑pédagogique » pour mineurs handicapés et on l'a remplacée par « Service résidentiel » ; on y a supprimé le principe d'une direction médicale conjointe, et réduit la part contributive des médecins, ne les payant plus qu'à l'acte. On a également créé, dans l'anarchie, une myriade d'agences sociales censées faire face avec très peu de participation psy à de multiples problèmes de vie, surtout chez les économiquement faibles, problèmes qu'elles réduisent à n'être que des crises sociales ou des difficultés pédagogiques. Le risque est que, par lassitude et vu l'abondance de leur travail, les psy désinvestissent ce secteur, plus embrouillé que jamais, et dans lequel se génère pourtant beaucoup de souffrance mentale [8].

 

Modifications qualitatives

 

Nous venons d'évoquer le « marché des pauvres » convoité par les agences sociales. Signalons aussi ce que nous convoitent et/ou nous ont pris, en tout ou en partie, des collègues d'autres disciplines plus organicistes, par intérêt sincère, opportunisme financier, ou en vertu de redéfinition des modélisations de la santé et de la maladie. Les neuropédiatres attirent puissamment dans leur champ les difficultés scolaires, rebaptisées « troubles spécifiques de l'apprentissage », les enfants hyperkinétiques, les autistes, et d'autres encore ... Les pédiatres généralistes conservent davantage la prise en charge de somatisations comme l'énurésie ou l'encoprésie ou certains troubles fonctionnels des tous jeunes enfants ... Il est vrai néanmoins que ces derniers nous font une invitation de plus en plus large de partager avec eux la psychiatrie de liaison : nous y reviendrons. 

Le Sur‑Moi de la collectivité s'étant assez considérablement relâché, les parents attribuent moins une possible signification pathologique à de petits actes d'affirmation de soi, très stigmatisés jusqu'il y a peu : petits vols, consommation occasionnelle de cannabis, masturbations, activités sexuelles d'allure soft et épisodiques entre enfants, premières indisciplines ... 

De façon plus diffuse, le signalement de la pathologie liée aux névroses infantiles est en régression elle aussi. La nature fondamentalement névrotique de certains symptômes est même contestée, et on propose de les inclure dans le champ des troubles organiques : ainsi en va‑t‑il des obsessions‑compulsions, des tics, des bégaiements, de certaines catégories de troubles instrumentaux ... Pour l'autisme, et même pour d'autres catégories de psychoses infantiles, des modélisations principalement organicistes cherchent également à s'imposer.

 

L'évaluation ( normale ou pathologique ) de la sexualité infanto‑juvénile par les adultes, et par les jeunes eux‑mêmes, n'est pas sans paradoxes : 

‑ un certain nombre d'activités sont banalisées ... parfois sans évaluation sérieuse : certains trouvent a priori « normal ... naturel » l'accès des enfants à la pornographie via les moyens de communication modernes, voire l'existence de relations sexuelles dès le début de l'adolescence, si elles ont l'air consenties de part et d'autre ; 

‑ inversement, on accuse parfois trop vite des enfants ou des adolescents d'être des abuseurs sexuels, pour peu qu'ils aient l'air d'avoir une sexualité dominante, ou/et en dehors des règles ( d'une institution résidentielle par exemple ) ou/et que leurs partenaires soit au moins trois, quatre ans plus jeunes qu'eux ; ‑ quant au regard posé sur l'homosexualité à l'adolescence, il est en pleine mutation. Certes des auteurs écrivaient encore récemment combien il peut être pénible de se vivre comme gay ou lesbienne à quinze-seize ans, ou/et d'être repérés comme tels [3]. Mais il n'est pas certain que cette situation perdurera : si l'homosexualité continue à revêtir la valence de défi sociologique qu'elle revêt actuellement, les jeunes finiront rapidement par frimer en se proclamant gay ou lesbienne à quinze-seize ans, comme ils le font déjà dans certaines grandes villes américaines.

 

L'incidence d'autres pathologies ... ou à tout le moins celle de leur révélation ( cf. supra) est en nette augmentation ; elles sont partiellement liées à l'insécurité, à la perte de repères, à la morosité, et à l'affaiblissement de l'autorité chez les parents et dans la société : dépressions, souffrances liées à la fragilité narcissique, troubles des conduites agies jusqu'à la franche violence. 

D'autres font encore timidement leur entrée sur le marché, comme la dépendance aux jeux vidéos et à Internet, et d'autres troubles plus subtils liés à ces temples de la consommation ( jeux pervers et confusions liées aux identités multiples ...) [2].

 

La composition des équipes

 

Une des caractéristiques fondamentales du travail en psychiatrie infanto‑juvénile, c'est de fonctionner en équipe pluridisciplinaire : équipes des centres de consultation ambulatoire, des hôpitaux ou d'autres institutions résidentielles ; équipes qui pratiquent la pédopsychiatrie de liaison, etc. : pédopsychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, éducateurs, et rééducateurs ... y font plus que se côtoyer : ils y coopèrent dans la complémentarité. 

Or, depuis quelque temps, il s'ajoute à la diversité des diplômes et sans correspondance avec celle‑ci, une diversité plus grande des écoles de pensée qui ressourcent les travailleurs : elle existe, d'une équipe à l'autre et aussi, de plus en plus, dans la même équipe : les temples au service total ou pressant d'une seule référence se font plus rares ; c'est l'effet inévitable et heureux de nouveaux courants d'idée qui circulent dans le monde, d'une diversité plus grande des formations proposées à l'Université et en dehors de celle‑ci. C'est l'effet aussi d'un pouvoir critique plus élevé chez les professionnels : à cette époque où l'information et la publicité sont pléthoriques, leur capacité de sélectionner et de relativiser l'authenticité de ce qui leur est promis s'est affinée. 

Commentons cette diversité interne à une équipe. A supposer qu'elle se vive dans le respect et non dans la frilosité agressive des positions menacées, elle n'en devient pas pour autant simple à gérer : s'occuper d'une famille à deux ou à trois, quand on pense très différemment, reste souvent de l'ordre de l'utopie : le concert est discordant, des rivalités s'expriment, ou leur contraire : pour ménager le collègue, chacun ne dit plus grand chose de ce qu'il pense ! Davantage de sérénité et d'efficacité retrouveront droit de cité si l'on peut : 

‑ s'écouter les uns les autres, et apprendre à se connaître par des séminaires et des études de cas ; 

‑ repérer petit à petit et approximativement quelles sont les compétences spécifiques de chacun et ce qui reste les compétences partagées ; 

‑ attribuer à chaque situation une référence d'école de pensée ; lorsqu'on a démarré à l'aveugle, il demeure possible que l'on procède à un passage rapide vers un autre collègue, dont le système référentiel apparaîtrait plus approprié au cas ; il demeure également possible que, tout en gardant la gestion de l'ensemble, le thérapeute principal fasse appel à un collègue d'une autre école, en sous‑traitance, pour un service spécifique.

 

Par exemple, il nous a paru fonctionnel de confier Jonathan ( quinze ans) souffrant d'obsessions et de compulsions invalidantes et très chroniques, à un thérapeute comportementaliste connu de nous, parallèlement à sa médicamentation et au travail d'introspection poursuivi par lui ( en thérapie individuelle ) et par sa famille ( en thérapie familiale ). Nous savions que notre collègue et nous‑mêmes parlerions avec respect de « la part de l'autre » : nous n'allions pas passer notre temps à invalider insidieusement le type de pensée du collègue auprès de Jonathan et de ses parents : le jeune et sa famille ont donc continué avec nous une réflexion profonde sur leur identité même et ses secteurs conflictuels, et Jonathan a fait des exercices chez le thérapeute béhavioriste pour s'entraîner à résister à ses obsessions‑compulsions.

 

Une modification partielle de nos représentations de la santé et de la maladie mentales

 

Modification qualitative ou seulement quantitative, celle de la pondération attribuée à chaque Instance constitutive de la santé ou de la maladie ? Difficile à dire ! Quoi qu'il en soit nous nous représentons plus concrètement, plus « effectivement » que des facteurs bio‑psycho‑sociaux coexistent, partiellement dans l'anarchie et partiellement en résonance les uns avec les autres pour déterminer des qualités et une organisation mouvantes de l'être individuel et de ses systèmes de vie, que nous appelons, toujours quelque peu arbitrairement, santé ou maladie. 

Théoriquement, cette prise en compte a toujours existé, depuis Freud qui situait les pulsions à la limite du psychique et du biologique, et les fondateurs de la pédopsychiatrie ( Heuyer, Michaux  ...) qui étaient très constitutionnalistes. Mais il leur a succédé une époque où nous avons eu de la peine à intégrer concrètement la part du corps et celle de l'équipement, davantage que celles du social et de l'intrapsychique. 

Alors nous nous sommes représentés trop strictement ce qui arrivait à l'enfant à partir de l'enchevêtrement et des conflits des représentations ou/et des désirs individuels ou/et familiaux. Aujourd'hui, sans nier cette part d'implication de la psychogenèse et de la liberté humaine ni celle du social, nous prenons de nouveau davantage en compte l'impact de l'état du corps, et notamment celui de l'équipement génétique : la franche pathologie de celui‑ci est admise comme déterminant‑clé dans l'un ou l'autre syndrome ( l'autisme en est l'illustration la plus fameuse ). 

Ailleurs, les distributions (poly)géniques particulières à chaque enfant sont à l'origine, au moins partielle, d'un phénotype que l'entourage n'appellera pathologie que parce qu'il dérange ses attentes : besoins en sommeil ; prédisposition à l'angoisse ou à la témérité, à la dépression ou à la sthénicité ; vitesse de la maîtrise sphinctérienne ; tempérament de base, etc. 

Le génome entraîne aussi une force ou un fragilité, une sensibilité plus ou moins grande du fonctionnement des organes et systèmes du corps qui, conjointement à l'existence de problèmes émotionnels plutôt aspécifiques, est à l'origine de la pathologie psychosomatique de l'enfant [8]. 

Dans le décours de cette réintégration plus opératoire de la part du biologique et grâce aussi, parallèlement, à l'apport des théories systémiques, nous intégrons mieux tous les enjeux de cette idée pas vraiment nouvelle : l'être humain, dès son plus jeune âge, est nature et culture, individu et société ; tant l'état des corps que les interactions de tous ordres entre lui et les autres influencent à des degrés divers la construction intrapsychique des uns et des autres sans jamais les déterminer, car l'être humain est aussi liberté intérieure et pouvoir d'autocréation.

 

QUELQUES CONSÉQUENCES DE CETTE MODIFICATION SUR NOS PRATIQUES

 

Nous avons déjà fait référence à l'essor de la pédopsychiatrie de liaison. Il est dû à des facteurs multiples, et, entre autres, au fait que les psychiatres d'enfants et d'adolescents se rapprochent du corps souffrant, sans réduire ipso facto celui‑ci aux aléas de l'image du corps, ni sans plus croire à la toute puissance de la psychogenèse : même là où il est très probable qu'un déséquilibre psychologique a puissamment contribué à désorganiser le corps ( comme par exemple dans l'anorexie mentale ), des ressorts somatiques peuvent se casser dans le décours de la maladie et entraîner des complications, autonomes par rapport à l'amélioration psychique ( comme par exemple la mise hors service des circuits cérébraux de la faim ). 

De ce rapproché entre la culture et les objectifs des pédiatres et des psychiatres, il est sorti une manière de travailler ensemble souvent très pragmatique. Sans perdre leur identité fondamentale d'écoutants, les psychiatres s'adaptent à l'ambiance de l'hôpital et aux impératifs des soins du corps : un petit encoprétique s'y traite aussi bien par des rencontres de paroles que par des laxatifs doux et une rééducation comportementale des habitudes de défécation ... 

Notre démarche fondamentale vise toujours bien à comprendre avec bienveillance qui sont l'enfant et ses proches, quelles sont leurs ressources et leurs zones de dysfonctionnement ; elle les associe à cette démarche de compréhension, améliore leur saisie de soi et leur confiance en soi, et les encourage et les aide à utiliser mieux les ressources qu'ils avaient déjà ou qui ont été mises nouvellement à leur disposition : il s'agit donc toujours de rejoindre un sujet et des sujets en interaction, chacun avec son corps et dans un cadre social déterminé. 

Face à ce sujet, plus souvent fait de bric et de broc que véritablement harmonieux, notre perspective diagnostique est plus souvent « élémentaire » que nosographiante : nous cherchons à faire un bilan extemporané des Instances à l'oeuvre aujourd'hui. Beaucoup d'entre nous conservent un grand scepticisme quant à l'existence « réelle » d'entités morbides « objectives » qu'on attraperait comme on attrape la grippe. Scepticisme même si, dans la nébuleuse des possibles, il existe quelques regroupements de symptômes et d'organisation intrapsychique comme l'autisme. Bien plus souvent, ce que l'entourage désigne comme maladif est imprécis, atypique, mouvant : nous connaissons tous de ces enfants qui ont fait des vrais TOC, ou une dépression profonde, et qui deviennent des adolescents difficiles, plutôt du côté des troubles de la conduite. 

Néanmoins, et sans que ceci n'amène de bouleversement fondamental des pratiques, notre connaissance de l'une ou l'autre grande nosographie est plus effective : elles ont au moins le mérite de remplacer des dénominations artisanales beaucoup trop disparates par d'autres plus standardisées, qui permettent de meilleures recensions épidémiologiques et des recherches plus puissantes : à nous de nous y référer prudemment, sans nous y enfermer ni y réduire nos clients. 

Nous avons déjà signalé par ailleurs qu'un certain nombre de parents ( voire de mineurs ) demandent de pouvoir se référer à des dénominations claires, précises et qui ont l'air objectives. Y souscrire quand c'est possible peut les apaiser et leur donner davantage l'impression de partager notre savoir, sans que nous abandonnions pour autant notre démarche de compréhension : ce n'est certes pas parce qu'on admet qu'un adolescent est déprimé ( ou « a une dépression ») qu'il n'y a plus à comprendre ce qui l'y a conduit et l'y maintient : il s'agit de Pierre ou d'Anne-Laure dont le corps et l'équipement souffrent ‑ ce qui relève d'une médication ‑, qui se représente la vie d'une certaine manière et pour certaines raisons, ce dont il faut pouvoir parler avec lui (elle) et ses parents ; il (elle) est pris(e) également dans un cadre social dont on peut viser à améliorer la qualité. 

A raisonner ainsi, il s'en suit que le contenu de ce que nous allons restituer pas à pas au mineur et à ses parents, comme étant le fruit du moment de notre compréhension, ce contenu s'est enrichi et complexifié. Bien plus que la formalisation occasionnelle d'un diagnostic, il met en scène, à valeur égale, tout le bio‑psycho‑social susceptible d'être enjeu. 

 

Sur les traitements stricto sensu, nous distinguons au moins trois influences : 

‑ le recours à la médication est plus fréquent, le plus souvent en complément d'autres interventions davantage centrées sur la parole. Il a une visée soit causale partielle ( … si l'on croit à la part du corps ! ), soit symptomatique ( pour soulager des affects ou/ et des comportements intolérables, en modifiant quelque chose au fonctionnement cérébral qui y coexiste ) ; 

‑ nous ne diabolisons donc pas cette invitation à la médicamentation, même pas celle qui consiste à donner du méthylphénidate aux hyperkinétiques chez qui l'on a la conviction d'une dysmaturation cérébrale ! Nous ne la diabolisons pas, pour peu qu'elle soit discutée avec l'enfant et sa famille, et que nous ne nous y réduisions pas ! [4, 15] ;

 

‑ la prise en compte plus effective d'une part du corps ou/et de l'équipement nous amène à intégrer davantage l'idée du deuil, de l'impossibilité totale de certains changements ou de la limite modeste de ceux‑ci. Nous pouvons même assumer ce deuil sans le vivre comme un échec du traitement ! Sans néanmoins non plus nous résigner passivement à tous les inconvénients qu'entraîne le maintien du statu quo.

 Évoquons de nouveau ces enfants dont l'hyperkinésie est largement liée à une dysmaturation cérébrale : la vraie réussite humaine, dans cette affaire, c'est de l'accepter et de s'y adapter. S'y adapter en trouvant des aménagements spatiaux et relationnels qui permettent que la vie quotidienne soit moins tendue ; et en prescrivant des médicaments qui améliorent la concentration. Et au‑delà : mettre de l'énergie pour que l'enfant garde confiance en soi et utilise au mieux ses ressources, ce qui redonne une place pour une psychothérapie s'il y consent. 

Mais ce n'est pas toujours et seulement la part du corps qui limite ou empêche le changement. Parfois, ce sont les interactions ou l'organisation sociales qui ne peuvent pas se mobiliser; ailleurs, c'est sa liberté de rester comme il est que l'enfant nous impose, de façon avouée ou non : tout cela, nous le savons depuis toujours en théorie, mais il nous semble que nous progressons en acceptation intérieure : il y a moins de psychothérapies individuelles interminables pour énurétiques chronifiés, moins d'illusion que la seule parole libératrice viendra toujours à bout de tout. 

Il nous reste « simplement » à veiller à ce que ces enfants dont nous recommandons ici que l'on accepte l'état du moment gardent confiance en eux, ne soient pas rejetés, et ne perdent pas toute espérance en un avenir plus fonctionnel. Reste aussi à soulager comme nous pouvons leur entourage d'une part du poids de leur non‑changement actuel !

 

Quant aux psychothérapies, elles ont, elles, tendance à se raccourcir, à se diversifier et à se panacher. 

Par « psychothérapies » nous entendons ici : une rencontre de son Soi‑profond, individuel ou familial, souvent par la parole ( agrémentée éventuellement d'un media plus accessible au vu des caractéristiques du sujet ) et ayant pour but une meilleure compréhension de ce Soi‑profond, une atténuation de ses souffrances ou/et une utilisation plus fonctionnelle de ses ressources. 

Ainsi définies, les psychothérapies : 

‑ ont tendance à se raccourcir : on élabore plus souvent des programmes de durée brève, centrés sur l'exploration et l'amélioration d'un domaine précis. Les thérapies plus longues, souvent monoréférentielles dans leur modélisation de l'être humain, et visant des modifications structurales plus amples, sont moins souvent prescrites et davantage réservées aux problèmes graves, souvent chronifiés, où la psychogenèse semble jouer une part prépondérante [10] ; 

‑ visent des objectifs plus diversifiés : l'amélioration de la sérénité intrapsychique et de l'estime de soi, l'accès à un discours sur soi, vécu et non théorique, celui à la congruence, à la liberté intérieure s'exerçant dans une sociabilité au moins raisonnable, en demeurent des fréquents et importants ; mais les thérapies familiales, elles, promeuvent souvent plus centralement la qualité de la communication et des négociations, et la recherche d'un équilibre entre le droit de chacun à se différencier et la solidarité autour de valeurs demeurent partiellement communes ; ailleurs, les objectifs visent les compétences sociales (skills), une meilleure maîtrise cognitive ou/et l'efficacité comportementale dans un domaine précis [10] ; 

‑ ont tendance aussi à se « panacher » tant dans leur inspiration d'école que dans le concret des modules proposés à l'enfant et à sa famille.

 

En voici une illustration‑type, applicable à une difficulté d'intensité moyenne chez un enfant non-psychotique, à qui on suppose en outre une certaine capacité d'introspection et un désir de participation. Ce pourrait être un enfant anxieux, névrotique, dépressif ou même, jusqu'à un certain point, un enfant immature, qui contrôle mal l'usage de ses pulsions ... 

Le programme peut fonctionner avec un ou deux psychothérapeutes : alors, un pour l'enfant, un pour les parents [1] ; au besoin, il peut être complété par une rééducation ou/et des mesures sociales. 

Après l'un ou l'autre entretien à visée de compréhension, on convient avec l'enfant ‑ et avec l'accord de sa famille ‑ d'un projet relativement précis ( par exemple, avoir moins peur dans certaines circonstances ; être plus ferme avec les autres ; avoir moins d'idées tristes ; moins s'énerver, etc.). On convient aussi d'une étape de travail suivie de réévaluation ( par exemple, 3 mois ). 

Les séances de travail individuel avec l'enfant peuvent être d'inspiration panachée : temps d'écoute, d'accueil des thèmes amenés spontanément par l'enfant ( ou sur proposition du thérapeute ) et temps de déploiement et d'élaboration en commun autour de ces thèmes ... Mais il peut s'y mélanger ou s'y adjoindre une centration plus cognitive ( échange d'informations ; mise à jour et discussion des fausses croyances ; stimulation de l'imagination positive ; entraînement à résoudre des problèmes de vie, par exemple via jeux de rôles ...). On peut même y convenir d'attitudes concrètes à modifier dans le quotidien, de moyens et de renforçants pour y parvenir et les évaluer de fois en fois. 

Eventuellement le thérapeute, s'il est médecin, se charge lui‑même de discuter et de gérer une médication.

 

Plus denses que ce que l'on appelle, parfois de façon un peu méprisante, « thérapie de soutien », ces rencontres sont caractérisées par le mélange d'écoute et d'engagement actif du thérapeute ; il lui reste à se vivre comme « proposant bienveillant » ( de vie nouvelle ...) et non comme « éducateur pressant » ( de normes ...). 

Un travail parallèle est mené avec les parents, identique dans ses objectifs et ses techniques, souvent à rythme un peu moins dense. Non seulement le secret n'est pas étanche entre le discours des parents et de l'enfant ( c'est‑à‑dire qu'on se communique les grandes lignes de ce que chacun vit et pense de son côté ) [12], mais il existe même des moments de mise en commun ( par exemple, une séance spécifique où se retrouvent parents, enfant, voire l'ensemble de la fratrie ; ou encore, les dernières vingt minutes qui succèdent à deux séances simultanées et séparées ) : on y fait le point sur les grandes représentations mentales vécues les uns par rapport aux autres et leur enracinement, et l'on y définit éventuellement des objectifs communs ( communicationnels, comportementaux ) pour les semaines à venir [10].

 

ET QU'EN EST‑IL DE NOS VALEURS ?

 

Notre conviction est que, pour l'essentiel, elles demeurent stables et bien vivantes. Nous y avions réfléchi à l'occasion d'un article en hommage à S. Lebovici, en nous remémorant celles qu'il incarnait particulièrement [14]. Il ne nous en aurait pas voulu de la démarche complémentaire que nous faisons maintenant : les résumer et les signaler comme fondamentales dans toute notre communauté. II ne nous en aurait pas voulu, tant il en a été si longtemps une des grandes âmes, un des tous grands semeurs d'idées en même temps que, de façon dialectique, il introjetait lui aussi les valeurs de tous ! 

Nous évoquerons donc brièvement six de ces valeurs fondamentales : 

‑ la rigueur pour chercher ce qui est susceptible d'être en jeu dans chaque problème, et ce qui est susceptible de le soulager ; un refus des approximations, des généralisations superficielles et des réductionnismes ; 

‑ la reconnaissance de l'originalité de l'autre ; reconnaissance « joyeuse » qui plus est : aucun être n'est le clone d'un autre, ni le strict résultat des attentes que l'on a sur lui ; chacun a ses caractéristiques, son discours et son projet propres. Notre capacité de nous étonner, toujours renouvelée face à l'enfant ( ou ses parents ), si surprenante lorsque l'on veut bien se laisser surprendre, n'empêche pourtant pas notre désir d'améliorer leurs dysfonctions et notre sollicitude pour leurs dimensions souffrantes ; 

‑ le souhait d'un investissement sincère, profond et discrètement exprimé dirigé vers la personne en souffrance ; sans tricher et faire semblant ; sans envahir ni étouffer : cette personne ne nous est pas nécessaire ; l'important est que, via notre amitié discrète, elle se sente de plus en plus le droit de devenir elle‑même. Et en référence à un autre grand maître, K. Rogers, sans jamais confondre notre acceptation inconditionnelle de cette personne avec l'approbation de tous ses actes : il nous revient de l'encourager à donner le meilleur d'elle‑même, pour construire davantage d'humanité ; à nous de l'y inciter avec persévérance et sans paternalisme, sans nous sentir d'une autre nature humaine qu'elle ; 

‑ le courage à parler vrai : reconnaître et valoriser les ressources mais aussi faire remarquer ce qui grince et pourquoi : sans accusation, au sein d'une démarche de compréhension, mais néanmoins dans la clarté ; 

‑ l'indignation active face aux injustices faites à l'enfant, et la prise d'engagements socio‑politiques pour le faire mieux respecter : même dans nos sociétés « avancées » les enfants restent toujours les fusibles faibles et les punching‑ball des systèmes puissants ; ils restent aussi les dupes d'une société de consommation échevelée : entre les Pokemon, le matériel Halloween, les jeux vidéo et autres GSM indispensables à dix ans, et même le brave Harry Potter, c'est leur argent qu'on veut, pas leur bonheur ! 

Une autre illustration ? Nous prétendons écouter davantage nos enfants. Néanmoins, après l'avoir fait, reçoivent‑ils toujours ce qu'ils demandent légitimement ? Contrer un instituteur qui les a pris en grippe ... leur donner du temps pour jouer avec eux ... les laisser aimer comme eux l'entendent papa et maman qui se sont séparés, etc. 

Et même, ne les trompons‑nous pas parfois plus activement quant à l'efficacité de l'écoute ? Quel est l'impact positif effectif de toutes ces campagnes de prévention, où l'on encourage les enfants maltraités ou abusés à s'exprimer, avec promesse implicite d'une meilleure protection ? Dans bien des cas, les institutions sollicitées continuent à protéger les adultes, même très suspects, même face à des paroles plausibles d'enfants. Est‑ce juste ? Fallait‑il vraiment encourager la masse de ceux‑ci à s'exprimer? [11]. 

Beaucoup d'entre nous se battent comme ils peuvent contre ces injustices, déjà au sein des consultations, mais aussi via la presse, les mouvements associatifs, l'engagement politique et c'est tant mieux que leurs actes rejoignent si concrètement leurs paroles ! 

-Et enfin, voici peut‑être une valeur nouvelle, ou en tout cas qui s'est amplifiée avec le temps : l'humilité ! Nous assumons davantage d'incertitudes ; nous reconnaissons que nous sommes parfois spéculatifs, et que nos traitements peuvent avoir une dimension expérimentale.

 

Quelle est la nature profonde des psychoses infantiles ? À quelle part de désordre organique et de souffrance intra‑psychique et/ou relationnelle répondent‑elles ? Qu'est‑ce qui est primaire et secondaire ? Qui oserait encore en jurer ! Et est‑il si certain que des adolescents « symptômes désignés » se sacrifient pour garantir l'équilibre de leur famille ? Et les obsessions‑compulsions, sont‑ce toujours les symptômes d'une névrose obsessionnelle, ou ont‑elles parfois le seul statut de TOC, crée par quelque mystérieuse défaillance cérébrale ?

 

Au fil de l'évolution de notre jeune discipline, nous avons eu l'intuition de bien des « vérités partielles » sur le fonctionnement humain. Mais, avec l'enthousiasme et le besoin de domination intel­lectuelle d'une science jeune, nous avons parfois pris la partie pour le tout, et généralisé nos intuitions. Aujourd'hui nous en revenons et nous reconnaissons même l'une ou l'autre erreur dramatique, comme au sujet de l'autisme où nous avons très longuement sous‑évalué la part de l'organique. 

Reste à la communauté en général, et aux parents et enfants concernés en particulier, à prendre en compte nos remises en question : nous n'acceptons pas non plus d'être positionnés comme d'éternels boucs émissaires, comme si des erreurs et des moments d'obstination ne s'avéraient pas très inhérents à toute pensée humaine ! Il nous reste aussi la responsabilité de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain, et de ne pas remplacer un totalitarisme par un autre, organiciste cette fois.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

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NOTES

 

 

 

  1. Faits de société, faute de trouver une meilleure expression : on pourrait parler aussi de quelques illustrations de sociologie médicale appliquées à notre discipline. 
  1. Et, pour bientôt, d'unchatavec webcam, qui fera l'économie des parkings impossibles à trouver dans les centres urbains. 
  1. Hormis les cas où l'enfant est en dangerEToù lever le secret professionnel contribue à apaiser celui‑ci. 
  1. Celle‑ci peut être évaluée très approximativement lors d'un premier entretien dans la suite rapide de la demande, fait par un clinicien expérimenté.