§ I. Comment les sociétés se représentent la maltraitance et y réagissente

I. L'état des lieux et le malaise qu'il suscite 



Depuis le milieu des années 1960, l'Europe occidentale a pris en compte officiellement la maltraitance physique, morale ou sexuelle dirigée contre les enfants et l'a considérée assez rapidement comme une intolérable figure de l'horreur, du Mal ou du déséquilibre mental.

Du moins en est-il ainsi au sein des représentations et des valeurs sociales officielles, car par ailleurs l'instrumentalisation de l'enfant dans la société de consommation ainsi que son exploitation dans le monde continuent plus que jamais. Nous, les bons occidentaux, nous ne sommes pas prêts à offrir la dîme pour réduire significativement la mortalité et les autres souffrances infantiles dans le monde.

Quoique essaient de dire différemment psychologues et sociologues, on continue largement à se représenter la maltraitance comme un problème qui se joue à deux : « Il y a des bourreaux, malades, pervers, mauvais et il y a des victimes innocentes ». Il faut sanctionner les premiers et protéger les secondes de l'extérieur.

Les sociétés ont donc imaginé d'opposer à ce qu'elles voyaient comme « Pouvoir du mal » un rapport de force, un contre-pouvoir via le repérage et le quadrillage sociaux et via la répression. Cette figure du bras armé occupe plus les images et les investissements de la société que le désir d'aide ( des victimes, des auteurs et de leurs systèmes de vie ) : obligation de signalement à des agences d'Etat ou de dénonciation à la Justice pénale, centralisation d'Etat des informations sans aucune garantie de confidentialité, etc.

Pourquoi avoir voulu institutionnaliser un tel rapport de force ?
Des milliers d'autres délits passent tous les jours sous les yeux de la communauté et la pression d'Etat à la délation n'a d'équivalent que là où le sang coule de façon significative ! Sang et sperme, liquides vraiment intolérables ?? Peut-être le délinquant sexuel, qui ne contrôle plus ses pulsions là où Monsieur-tout-le-monde a parfois bien de la peine inavouée à les contrôler, reste-t-il perçu comme un épouvantail, un bouc-émissaire de rêve ? Le délinquant en col blanc, lui, pille et détruit les biens de la communauté mais dans la plus grande discrétion, sans se mettre tout nu.
Sans doute aimons-nous sincèrement nos enfants, que nous vivons comme vulnérables, et ne voulons-nous pas qu'on leur fasse du mal ! Néanmoins, pour un certain nombre d'entre nous c'est nous redonner bonne conscience, à travers la traque d'un « suitable enemy » extérieur, en niant les nuisances à enfants que nous- mêmes engendrons. Après tout, ce sont les commerçants et les idéologues de nos sociétés contemporaines qui ont fait de la sexualité présentée publiquement ce qu'elle est devenue : une sorte de partouze dégoulinante où chacun peut faire à peu près n'importe quoi s'il a de l'argent pour y entrer ... 

Parallèlement à cette croisade puissamment armée, les sociétés ont quand même beaucoup réfléchi aux techniques nécessaires pour reconnaître les situations de maltraitance et les traiter. Dans ce champ, en examinant ce qui se passe au cas par cas, nous avons fait de très grands progrès : connaissance des signes, capacité de discriminer vraies et fausses allégations, techniques d'audition par des policiers spécialisés, maîtrise beaucoup plus fine des thérapies les plus adéquates … tous acquis très riches de ces vingt dernières années !

Résultat de ce paradoxe : les professionnels qui s'occupent directement des enfants vivent souvent un profond malaise. Je pense notamment aux intervenants de première ligne comme les psychologues scolaires, les maîtres et maîtresses d'école, les médecins de famille :

 - D'une part, ils voudraient souvent pendre leurs responsabilités sur le terrain et aider directement les familles ou les systèmes à la dérive, mais ceci, sans qu'ils connaissent toujours bien les techniques qui viennent d'être évoquées.

 - D'autre part, l'Etat les presse, voire les oblige à faire appel à son système de quadrillage, de menaces et de répressions. Ce qu'Il leur demande, et parfois très vite et de façon menaçante, c'est une délation ; et non pas de vouloir aider. Les mots pour désigner cet acte varient d'un pays à l'autre, mais le processus se réduit toujours à deux grandes voies : soit il faut dénoncer directement au Procureur, comme en France, soit il faut signaler à une agence de l'Etat, mais elle peut elle- même dénoncer ce qui est délictueux sans oncertation obligatoire avec les envoyeurs, et donc, ce n'est pas loin de revenir au-même !

Au-delà de ce premier malaise, beaucoup d'intervenants connaissent aussi la part d'inefficacité de l'organisation sociale actuelle : Beaucoup de cas s'effritent, beaucoup de très probables coupables sont innocentés par la justice pénale. Certaines études disent que plus de la moitié des enfants qui ont révélé un abus sexuel regrettent finalement de l'avoir fait.



II. Pourquoi cette inefficacité prévisible ?

 

A. La conception duelle-simplicatrice « bourreau-victime » qui est à l'œuvre ne peut conduire qu'à rigidifier des positions de non-vérité dans le chef des protagonistes interpellés. L'adulte -auteur (2), considéré comme un monstre, nie ou proteste en éludant au maximum ses responsabilités. L'enfant, lui, s'enfonce dans son rôle de victime impuissante (3).

B. On ne gagne pas contre le Mal présent en chacun via des rapports de force, en exposant au pilori les coupables repérés. Il faudrait se souvenir que le combat entre le Bien et le Mal se déroule au cœur de chaque humain (4); de la même manière, nous avons tous à soigner en nous des parties malades, déséquilibrées émotionnellement, éventuellement pour qu'elles ne pèsent pas trop sur les autres. Nous avons aussi à créer des contextes sociaux plus solidaires et plus justes.

Celui qui a maltraité n'est donc pas fondamentalement différent de nous tous. Il faudrait le prendre en charge, lui et son système de vie, en établissant des relations authentiques, avec humilité, avec empathie pour tout le monde. Ceci ne veut pas dire qu'on doit fermer les yeux et le laisser continuer. On doit pouvoir être réprobateur quant à certains actes, exiger qu'ils s'arrêtent et demander une réparation significative à leurs propos, sans pour autant se sentir, comme l'aurait voulu Georges W. Bush, les justiciers de l'axe du Bien chargés de terrasser l'axe du Mal.

C. Dans la foulée de ceci, je suis persuadé que la place centrale ou quasi que l'on veut faire jouer au système pénal constitue une erreur et une illusion.

Comme si rappeler la valeur de la Loi et veiller à la sociabilité du groupe étaient l'apanage des juges et pas une obligation morale pour chaque citoyen !

Illusion ?  Ce l'est probablement plus d'une fois pour deux cas référés, et encore bien plus, quand il n'y a pas de flagrant délit, ni d'aveu du suspect, ni de preuves matérielles fortes !

Erreur ? - En effet l'objectif central du système pénal, c'est de faire régner le droit tel qu'il est décrit dans le code pénal ; c'est donc de sanctionner le délinquant, reconnu comme tel au terme d'un débat contradictoire. C'est donc le faire en tenant en compte la présomption d'innocence et la nécessité de preuves convaincantes. Et dans cette perspective, l'enfant lésé n'est qu'une source potentielle d'informations, à charge ou à décharge. Si le système pénal a fini par adoucir certaines pratiques à son égard – comme la confrontation directe au suspect – c'est qu'il ne voulait pas être accusé lui-même de maltraitance, c'est à dire d'un délit d'Etat.

Si le système manifeste parfois davantage de sollicitude pour l'enfant ou de volonté de se coordonner aux responsables de soins, c'est lié au bon vouloir d'une partie des magistrats, particulièrement humains ou bien formés : ce n'est pas une obligation structurale. Et tout ce qui se vote et se met en place à propos de la prise en considération des victimes, ce ne sont jamais que des petites ajoutes voulues du dehors, c'est à dire voulu par les politiciens ; elles ne sont certainement pas au coeur du système pénal.

 - L'objectif central du système pénal, faire régner le droit, s'applique encore via la volonté de supprimer ou de réduire la dangerosité à venir du délinquant. On essaie d'y arriver en l'enfermant et en mettant éventuellement des conditions à sa libération ; recevoir des soins peut constituer une de ces conditions, mais dans la perspective d'un meilleur contrôle des comportements asociaux, et pas fondamentalement du bien-être des personnes.

 - Last but not least : dans le processus pénal, les débats sont contradictoires, c'est fondamental. Donc les avocats montent au créneau et ont vite appris où étaient les points faibles des enfants et de ceux qui les accompagnent. Par exemple, ils demandent que la vidéo-cassette d'audition soit regardée en audience publique. Or celle-ci est une œuvre humaine et elle comporte inévitablement quelques failles ; ils plongent dessus en murmurant « Outreau ». De quoi déstabiliser si pas épouvanter nombre de magistrats, même de bonne foi, mais souvent peu formés à la psychologie des victimes !

En m'exprimant de la sorte, je ne critique pas la logique du système pénal, nécessaire à toute société démocratique. Ce que je critique, ce sont nos attentes illusoires à son propos et notre docilité puérile à nous soumettre à ses ukases en matière de dénonciation, sans en faire un débat de société.
Hélas, lors des congrès ou des réunions de planification dans les ministères, on invite souvent tel super-policier ou tel super-magistrat bien formé, bien motivé et qui lui, traite les dossiers avec diligence et compétence. Alors, des propos comme les miens les blessent et nous nous agressons publiquement. Mais je reste malheureusement persuadé que ces super bons élèves restent des oiseaux rares dans leur corporation !

D. On a confié des parts trop importantes du travail à des structures de troisième ligne, peu ou pas accessibles directement aux gens, dont l'équipement est lourd et les rites de fonctionnements très codifiés et difficiles à mobiliser. C'est le cas du système pénal répressif que je viens s'évoquer avec ici, en plus de très faibles efforts consentis pour la formation spécialisée. Dans nombre de pays, on s'est limité à mieux former quelques policiers pour l'audition de l'enfant et pour l'efficacité de la traque, notamment sur Internet ... Mais c'est rester dans la logique du rapport de force.
C'est le cas encore d'équipes psychosociales très spécialisées ou d'agences d'Etat, comme le SAJ Belgique ou le SPJ en Suisse.

Or, « institutions spécialisées » signifie coûts élevés, effectifs réduits, limitation du psycho-social concerné aux grandes villes. Et donc, on n'est jamais très loin de l'expérience-pilote chère aux politiciens, et indéfiniment poursuivie. Pour le système pénal qui n'a pas augmenté les effectifs de magistrats, les dossiers s'accumulent. Tant mieux d'une certaine manière, car s'il fallait condamner tous les vrais coupables, les Etats devraient construire quelques villes-prisons Les moyens nécessaires à un fonctionnement adapté de la troisième ligne ont donc été sous-évalués, plus en référence à une politique de l'autruche que par incompétence.

 

§ II. Propositions alternatives

 

A. Réinstaurer le travail dit « à l'amiable »

 

Tout citoyen est tenu par le devoir d'assistance à personne en danger, et donc par celui de protéger l'enfant, aujourd'hui et demain. En outre, les professionnels de l'enfance se sentent invités de l'intérieur à exercer généreusement leurs missions spécifiques de soins somatiques ou psychologiques ou d'aide sociale.

Remplir ces tâches ne passe pas obligatoirement par un signalement aux organisations structurées de l'Etat. Entre autres, tout être humain peut parler à son semblable du bien-fondé et du respect des grandes lois, et rappeler celui-ci à l'ordre au besoin.

Je souhaite donc que le signalement ou la dénonciation deviennent des choix parmi d'autres, évalués en fonction de circonstances propres à chaque cas ainsi que d'une réflexion anticipative soigneuse. Même si elle conserve une dimension spéculative, cette dernière peut esquisser diverses planifications de l'action à venir et surtout tenter d'évaluer leur efficacité potentielle à chacune. Cette liberté d'appréciation, constituerait un retour à la situation d'avant 1990, lorsqu'on a commencé à organiser la lutte contre la maltraitance dans une perspective de décentralisation - déjudiciarisation.
 


B. Il en résulterait trois niveaux d'action 



1. Niveau 1 :



Face à des situations de maltraitance ou d'abus, principalement mais pas exclusivement intra familiales, analysées comme potentiellement mobilisables, je propose de travailler « à l'amiable » c'est à dire via des équipes psycho-médico- sociales, de première ligne ou déjà plus spécialisées, en suscitant l'engagement de l'auteur, de la victime, mais aussi et au moins autant celui de leurs proches. Pourquoi ce plaidoyer pour le travail à l'amiable ? Il est plus simple, plus rapide, il reste davantage dans le milieu naturel, il s'efforce d'utiliser les ressources de la communauté. Il se pourrait aussi – mais ce n'est pas garanti – qu'il apparaisse comme moins menaçant aux personnes qui ont fauté et qu'elles se laissent davantage aller à l'authenticité. Enfin, au niveau de la représentation de ce qui est en jeu, ce type de travail sort radicalement du modèle simpliste de causalité linéaire duelle « enfant victime – adulte bourreau » : le travail psycho-social amène plus naturellement à prendre en considération toutes les forces en présence.



2. Niveau 2 :



Néanmoins, une partie des situations pourrait être analysée tout de suite comme davantage susceptibles de résistances. Plus coriaces, quoi ! Ou encore, de facto, des familles traitées au niveau 1 pourraient s'y enliser ou tenter de s'en échapper vu l'absence de contrainte alors de mise.

Dans ces cas, le plus important est d'obtenir un surcroît de contrainte officielle, mais non-pénale, pour pouvoir engager valablement ce que l'on appelle l'aide contrainte. Ce pouvoir, dans beaucoup de pays, ce sont les juges pour mineurs qui en sont détenteurs. D'autres modèles peuvent cependant exister, où des agences d'Etat s'adressent à d'autres catégories de juges ( civils par exemple ) et en reçoivent des mandats où de l'autorité contraignante leur est déléguée au cas par cas (5)..
Tous ces professionnels investis d'un pouvoir de contrainte devraient travailler en coordination et concertation avec les autres intervenants, à ciel transparent, pour que le projet global reste bien cohérent. En référence à la notion d'enfant en danger, ils peuvent s'engager de tout leur poids au côté des autres professionnels, pour dialoguer avec les protagonistes de l'abus et éventuellement imposer des mesures : éloignements, obligations concernant la vie quotidienne ou la fréquentation d'un cabinet de psy, etc.

Alors, que faire si les efforts conjugués du premier et du deuxième degré échouent ? Eh oui, ça arrive, et même plus souvent qu'on ne le voudrait !
Plus que jamais, il faut garder son calme, bien réfléchir, et résister à la tentation du passage impulsif de la patate chaude et de la vengeance immédiate via pénalisation. Bien que ce soit frustrant, il est parfois plus sage de se contenter de tous petits résultats, comme une protection un peu meilleure de l'enfant ou le maintien d'un contact avec lui.

En effet, lorsque tous les efforts échouent, même ceux du juge pour mineurs, c'est parfois que l'abuseur est superbement armé intellectuellement, maître d'un château- fort bien barricadé : il faut donc y regarder à deux fois avant de brandir comme une épée de Damoclès la menace de la justice pénale et avant de recourir à celle-ci. Mieux vaut être raisonnablement certain que ce ne sera pas l'ultime ratage, la dernière espérance d'aide sociale pour la victime et ses proches, espérance appelée à être déçue une fois de plus malgré toutes les promesses : avoir été sodomisé deux cents fois par son beau-père puis l'être à nouveau par le bras de la loi qui, après nombre de préliminaires plus ou moins traumatisants, déclare le suspect intouchable ... ça laisse des traces désespérantes ! On me fera sûrement remarquer que, dans les grandes villes, on peut alors toujours appeler l'un ou l'autre psychothérapeute pour soigner le derrière de l'enfant, une nouvelle fois lésé, en lui expliquant que la loi ça fait du bien et que c'est thérapeutique. Transposition presque mot à mot du discours de l'abuseur à propos de son pénis, quelque temps auparavant.

Est-ce que, à raisonner ainsi, je me représente encore une place pour le système répressif pénal ? Oui et toujours avec pas mal de pain sur la planche. D'abord il pourrait se consacrer de sa propre initiative à traquer les réseaux commerciaux d'exploitation en tous genres des mineurs, il pourrait lutter contre la prostitution de ceux-ci, et continuer à intervenir là où, hélas, le sexe et le sang se mélangent. Ensuite il aurait toujours à gérer les dénonciations faites directement par des particuliers, qui n'ont pas de permission à nous demander à s'adresser à la police.



3. Niveau 3



Et puis, nous-même continuerons à demander l'aide du système pénal dans certaines catégories de cas : là où le danger physique ou moral est le plus fort, par exemple, dans le cadre des vraies et irréductibles perversions ; là où les adultes incriminés restent ou sont évalués devoir rester hostiles à toute idée d'aide ... pour peu, je le redis encore, que nous pensions raisonnablement que les autorités judiciaires auront de meilleurs résultats ...
Mais pour ceci, il faut qu'existent des indices matériels convergents, ou que les autorités judiciaires adoptent une attitude plus déterminée par rapport à la parole de l'enfant. J'y reviendrai à la fin de mon article, en évoquant le poids donné à la SVA.



C. Une mobilisation des habitudes et objectifs de fonctionnement.

 

Néanmoins, cette mobilisation significative des attitudes sociales ne peut pas réussir sans quelques changements si pas bouleversements des habitudes prises. En voici quelques exemples importants :

 - Il faut partiellement changer le contenu des campagnes d'information destinées au grand public, enfants inclus. Plutôt que : « Parlez, ne restez pas seuls, puis hâtez- vous de signaler ou de dénoncer et les méchants seront punis » ... le maître slogan sera plutôt : « Parlez, ne restez pas seuls, demandez de l'aide à des adultes en qui vous avez confiance ou/et aux professionnels de l'enfance. En redressant tous ensemble nos manches, nous espérons alors améliorer la situation dans laquelle vous souffrez injustement. Pour ce qui est du signalement ou de la dénonciation, on avisera, en fonction du service escompté ... Mais pour progresser, nous aurons besoin de toi, enfant-victime, qui doit te protéger à la mesure de tes forces. On aura besoin de tes proches ( non-abuseurs ) ; on parlera à celui qui se conduit mal avec toi. On aura peut-être même besoin de ton parrain, de ton docteur de famille. Tous pourront s'engager pour que tu sois mieux protégé, et ta famille, plus heureuse ».

 - Pour l'équipe psycho-sociale : ne pas permettre que les choses s'effritent et qu'une famille disparaisse dans la nature ; demander éventuellement l'aide d'un magistrat de la Jeunesse, mais en essayant d'obtenir de lui qu'il ne recommence de nouveau pas tout à zéro.

 - Pour un magistrat civil ( si les parents se sont séparés et que le suspect est le parent chez qui l'enfant ne vit pas habituellement, par exemple le père ) : n'autoriser des contacts avec le suspect que dans un milieu bien protégé ( par exemple, dans un centre espace-rencontre ) ; ne pas faire violence sur l'enfant qui continuerait à rejeter les visites, en référence à ses angoisses et convictions !

 - Pour le système pénal : prendre explicitement ses décisions à l'égard du suspect « au bénéfice du doute » Même si c'est désagréable pour un suspect, en réalité innocent, d'être acquitté au bénéfice du doute, l'attitude qui consiste à acquitter sans plus constitue, elle, une très grande injustice face à l'enfant, et une protection corporatiste injustifiable de l'ordre adulte. Comme si l'enfant, ici, était parfaitement insignifiant ou nécessairement menteur !


. Deux problèmes cliniques
 

A. Les tout petits, avant l'âge de l'école primaire, n'ont souvent à leur disposition qu'une parole bien fragile ou que leurs jeux pour révéler les maltraitances, notamment les passages à l'acte sexuels opérés sur eux. D'autres fois, ils sont suggestionnés par un parent, porteur de ses propres problèmes, qui veut leur faire dire des choses sales qui n'existent pas ! Quoi qu'il en soit, il en résulte qu'ils sont incontestablement les moins bien pris en charge par nos équipements contemporains ! Scénario classique, on commence à les soumettre à une tempête émotionnelle d'adultes, puis ils se retrouvent trop tard chez des professionnels théoriquement compétents, puis tout s'effrite, il ne se passe plus rien ou, sans autre preuve que leur parole, le suspect est acquitté. Et en prime, on accuse même de plus en plus le parent qui a porté leur parole d'être psychotoxique – aliénant – même s'il ne l'est pas. Nous ne pouvons plus accepter que ces toutes petites personnes passent de la sorte aux oubliettes, en raison de leur « insignifiance » et de leur incapacité à se défendre efficacement.

Quelques suggestions :

 - Bien les observer, les écouter et continuer à écrire sur les techniques de recueil de leurs révélations verbales et autres, et sur l'analyse de la fiabilité du matériel qu'ils exposent directement ou via leurs porte-parole. On est encore très loin d'en savoir assez !

 - Donner une formation approfondie aux professionnels candidats à travailler avec eux. Dans une communauté géographique, prévoir qu'environ tous les cinquante kilomètres, il existera une antenne psycho-sociale spécialisée pour les tout petits ; elle pourrait être partie intégrante être des équipes spécialisées déjà évoquées à plusieurs reprises. Si les policiers, même bien formés, ne connaissent pas les techniques de travail avec les tout petits, les diagnostics effectués dans ces antennes devraient être validés judiciairement, moyennant éventuellement vidéo- cassette ou présence passive des policiers.

 - S'engager à travailler très vite, endéans les quarante-huit heures, pour prendre en charge les révélations faites par un tout petit. Si c'est chez un intervenant de première ligne qu'il est accueilli dans l'urgence, par exemple chez un pédiatre, habituer ceux-ci à avoir à leur disposition un enregistreur audio et à réaliser une audio-cassette précoce, qui pourra constituer par la suite un matériel très précieux.

B. Disposer d'une grille de référence qui analyse correctement la fiabilité du discours de l'enfant.

Ce devrait être une grille de référence commune : ses grandes lignes devraient être connues par les pédopsychiatres, les policiers et les magistrats, les psychologues et les autres professionnels susceptibles d'être confrontés à une révélation d'abus ou d'autre maltraitance. Quant au maniement détaillé de la grille, il devrait être connu par tous ceux qui réalisent des auditions ou des expertises.

Je pense en premier lieu à la SVA québécoise ( Statement validity analysis ), validée à partir de six ans, qui établit une probabilité chiffrée quant à la fiabilité des dires de l'enfant. Il ne s'agit certes pas de l'appliquer comme une recette. Entrer en relation avec l'enfant et s'efforcer de comprendre sa personne et son contexte relationnel et comment s'y inscrit sa révélation reste une démarche essentielle pour le psy. Mais la logique et les items du SVA peuvent l'inspirer, ni plus, ni moins. Et pour les policiers chargés des auditions ou pour les experts l'usage de cet outil est encore plus central.

Je franchis hardiment un pas de plus : lorsque le degré de probabilité du SVA est haut, et que d'autres indices relationnels vont dans le même sens, il me semble éthique que les magistrats pénaux l'accueillent à l'instar d'une preuve matérielle. Tantôt, j'ai parlé du doute qui pouvait habiter les magistrats, et de la nécessaire précaution qui pourrait s'en suivre, en référence à la possibilité d'innocence. Mais, j'évoquais alors des situations de vrai doute. Une SVA convaincante ne devrait pas en constituer une : Les situations où des experts ou des policiers compétents amènent de fortes probabilités, notamment en référence à la SVA, devraient être perçues comme «  beyond reasonable doubt » et entraîner l'intime conviction des magistrats comme celle des autres professionnels.

Notes

 


2. Voire, par les temps qui court, le mineur.

3. Je vous renvoie au dossier thématique 1. Abus sexuels; sexualité contrainte; épines sexuelles ; : j'y propose une façon bien plus systémique de se représenter les forces en présence lorsqu'il y a abud

5. En Suisse vaudoise, c'est sans doute ici qu'il faudrait repasser par un signalement volontairement choisi par les équipes psychosociales déjà à l'œuvre. Le SPF pourrait alors tenter de jouer de sa seule autorité morale, ou s'adresserait à des magistrats civils ou pour mineurs, sans qu'il soit déjà question de pénalisation.

6. Hayez J.-Y.,Fiabilité de la parole de l'enfant et de l'adolescent