Chapitre extrait du livre le psychiatre à l’hôpital d’enfants, Hayez et coll., 1991
Ses missions les plus essentielles me paraissent être :
Situer sa position dans le champ des sciences de l'homme.
Il s'agit d'en connaître les grandes tendances contemporaines, d'en comprendre la logique, avec empathie et lucidité, de clarifier ses zones d'adhésion et de différence et de les justifier (Schmitz, 1988).
A procéder ainsi, le pédopsychiatre de liaison pourrait bien découvrir qu'il est pris entre deux feux! D'une part, les écoles médicales traditionnelles demeurent largement causalistes linéaires, centrées sur l'idée d'un agent prédominant de nature organique : les écoles de psychiatrie biologique se calquent tout à fait sur ce point de vue. D'autre part, les écoles psychodynamiques contemporaines, si elles croient davantage aux causalités circulaires, n'en continuent pas moins à promouvoir l'idée du primat du psychogénétique (cf. p. 45 et sq.)
Le psychiatre de liaison, lui, pense souvent multifactorialité, incluant aussi le hasard biologique et les aléas du corps matériel, sans hiérarchies a priori ... ; il accepte l'incertitude et la mouvance de déterminants multiples ... il pense que l'on peut aider sans tout savoir, en spéculant, en faisant des pans, en observant leur devenir et même, à l'inverse, que l'acharnement diagnostique est souvent nocif, etc.
Témoigner de ses convictions scientifiques, tous azimuts, avec courtoisie et délicatesse :
il ne suffit pas d'agir dans son coin, il faut aussi contribuer à faire progresser des idées dans la communauté scientifique et dans la société. L'on pourrait parler ici d'une fonction de sensibilisation échanges d'information, stimulation permanente d'un débat d'idées avec nos collègues non psy à propos de la nature biopsychosociale de maladies et de tout ce qui en découle du programme mis au point pour chaque malade à l'organisation des équipes soignantes de telle sorte qu'elles constituent un facteur social favorable à la guérison.
S'occuper directement des enfants malades, en coopération avec d'autres soignants,
pour diagnostiquer et traiter plus efficacement leur état actuel et/ou prévenir l'installation de complications tant psychiques que physiques.
En effectuant ce travail clinique, il doit éviter d'être réduit au seul rôle du " spécialiste des complications psychologiques coexistant à la maladie somatique, et éventuellement secondaires à elle " : certes, celles-ci sont susceptibles d'exister et méritent d'être soulagées, mais plus radicalement et très fréquemment, c'est sur la maladie elle-même, centralement, qu'il intervient en essayant de soulager, parmi les multiples causes qui la déclenchent et l'entretiennent, le poids des facteurs pathologiques psychosociaux. Cette fonction centrale qu'il remplit, aux côtés du pédiatre et à égalité avec lui, il devra en témoigner inlassablement même dans les bons services de pédiatrie, on aura souvent tendance à le " caler à la périphérie ".
Mais existe-t-il des indications spécifiques, des types de maladies qui sont exclusivement de sa compétence ? Inversement, en existe-t-il d'autres dont il est exclu qu'il s'occupe jamais?
En principe, non; ceci ressort de nos convictions quant à la nature biopsychosociale de l'être humain et donc de ses maladies!
En pratique, cependant, on ne pense pas assez à l'associer à des cas réputés organiques : il est rare qu'un orthopédiste imagine que tel enfant qui fait des fractures à répétition y aille aussi de ses facteurs psychosociaux (culpabilité, dépression, autopunition) ... ou qu'un néphrologue, inquiet devant l'évolution défavorable et peu explicable d'une néphrite chronique, se mette à penser sérieusement que la constitution mentale de l'enfant peut contribuer à expliquer le trouble.
De facto, on limite donc l'appel fait à l'aide du pédopsychiatre de liaison, et les auteurs qui ont recensé les indications qui lui ont été destinées ont donné des listes centrées souvent sur les quelques mêmes catégories (Mattson, 1976; Bingley, 1980; Chiché-Auvigne, 1981; Herzog, 1981; Hodas, 1983). Dans notre propre équipe, les catégories les plus fréquentes sont :
- ce que nous avons appelé les somatisations pour peu qu'elles aient été repérées ou soupçonnées;
- les maladies terminales, censées remuer des sentiments difficiles;
- les difficultés comportementales des enfants hospitalisés ou/et de leurs familles.
S'occuper de l'entourage,
réparti en différents systèmes humains de vie dont l'enfant malade est chaque fois membre. On sait combien la dynamique de ces systèmes peut contribuer à la maladie ou à la guérison (1) ! Tant qu'il s'agit des parents, de la fratrie ou de la famille élargie, cette sollicitude soignante du psychiatre de liaison ne pose aucun problème de principe : il les met tout naturellement sur le même pied que l'enfant
Dès qu'il s'agit de " professionnels ", c'est une autre paire de manches ! En règle générale, ceux-ci n'aiment guère se laisser approcher dans leur intimité et s'abritent derrière leur rôle en avançant en outre l'idée que celui-ci est très bien joué : donc, à l'enfant et à la famille de changer!
Et voici donc le psychiatre de liaison qui marche sur des œufs : ainsi en va-t-il déjà lorsqu'il essaie d'interpeller tel instituteur, telle assistante sociale visiteuse de la famille ... Ainsi en va-t-il également, et de façon encore bien plus aigué, lorsqu'il veut interpeller le médecin et/ou l'équipe soignante : " ça marche " lorsqu'il s'agit de reconnaître leurs qualités ou de négocier avec eux quelqu'attitude quotidienne, quelques paroles qu'ils pourraient prononcer pour mieux servir les intérêts de l'enfant. Mais qu'en est-il lorsque le psychiatre soupçonne quelque tension intrapsychique, relationnelle ou institutionnelle qui pourrait avoir puissamment motivé la demande adressée à lui ... ou qui pourrait peser négativement sur les relations avec l'enfant et sa famille et sur la programmation thérapeutique ? Qu'en est-il lorsque l'on évite de lui demander quoi que ce soit à ce sujet, voire même que les personnes impliquées n'en sont probablement pas ou peu conscientes ? A l'inverse, comment réagir lorsque les personnes en question viennent lui parler de " leurs problèmes " avec tel enfant, telle famille, tel collègue ..., voire au cœur de leur vie privée?
Bien des situations peuvent se présenter, qui demandent une réponse au cas par cas : nous y reviendrons de façon détaillée, p. 144 et sq. Disons déjà qu'en évitant le double piège inverse de l'abstention de principe et de la confusion des rôles (psychiatre de liaison = analyste institutionnel ou psychothérapeute de ses collègues), il reste une voie de cheminement possible, étroite, difficile, faite de présence fraternelle à ses collègues et de courage : courage à aller vers eux, parfois, et à leur dire non, parfois ...
Prévenir l'apparition ou l'aggravation des maladies.
Il est également souhaitable qu'il mène des recherches dans son champ, qui assoient sa crédibilité (Jenkins, 1981).
En conclusion et dans une logique de réflexion quelque peu différente :
a / En ordre principal, le psychiatre de liaison répond-il aux demandes qu'on lui fait ou prend-il les initiatives ?
Il fait les deux, bien sûr.
Il entend toutes les demandes qui lui parviennent, les accueille avec bienveillance et y fait la réponse qu'il estime la plus utile au bien-être des malades, in fine. Faut-il aller jusqu'à dire pour autant qu'il lui arrive d'être " ... un peu comme le pompier, qui non seulement éteint les feux, mais aussi prévient leur retour ... " (Adriaenssens et Kruth, 1989)? C'est peut-être pousser loin sa disponibilité et donner trop l'impression que sa tâche est d'apaiser à tout prix conflits et difficultés. Nous dirions plutôt qu'il ne devrait opposer un " Non " de principe à rien de ce qui lui est demandé, puisque toute demande a du sens du point de vue de celui qui la pose : que le psychiatre aide donc à mieux saisir ce sens, avec respect, et qu'il négocie la réponse qu'il lui est possible de donner, en fonction de l'identité qu'il s'attribue et en pensant essentiellement à l'intérêt des enfants malades.
C'est dire que régulièrement il cherchera à transformer une première formulation des demandes reçues, qui le réduirait à un rôle congru et immédiatement intéressant pour l'autre, comme débarrasser d'un malade casse-pieds ou atténuer les troubles de comportement d'un enfant dans l'Unité ; on peut certes partir de là, faire ce que l'on peut pour soulager à court terme, si tant est que ce faisant, l'on n'entretient pas trop une dysfonction systémique ; encore faut-il ensuite inviter à réfléchir plus loin : s'il n'a pas ce courage, le psychiatre risque bien de n'avoir de liaison que le nom et de ne rester en fait qu'un psychiatre de consultation fonctionnant à l'hôpital général pour soigner la morbidité isolée comme psychiatrique ( Schubert, 1983 ).
Plus radicalement encore, à l'occasion, il pourra prendre des initiatives : par exemple, en donnant son avis sur un problème nouveau qu'il entend invoquer lors d'une réunion, il peut demander, indirectement ou explicitement, de contribuer à sa prise en charge : après tout, s'il croit à la multidisciplinarité et à la multifactorialité, il lui revient également de revendiquer sa place, paisiblement, lorsqu'il l'estime indiquée et que l'on ne pense pas spontanément à lui!
Quelles sont les qualités d'être souhaitées chez le pédopsychiatre de liaison
Elles ressortent de ce qui précède :
disponibilité : " ... Tout a basculé positivement quand l'équipe est venue s'installer dans l'hôpital, au lieu d'être à vingt minutes de là ... " ( Vandvik, Seltzer, 1984 );
- célérité ;
- solides connaissances du domaine avec lequel il collabore, sans cependant rivaliser avec les directives du pédiatre ... en ne donnant des consignes que pour son propre territoire ( Sherman, 1982 );
- capacité de tact, de diplomatie, de souplesse, de communication claire et sans jargon ;
- patience et obstination ;
- modestie : veiller à ne pas écraser les autres, même quand il croit avoir fait un bon diagnostic et/ou avoir été efficace ( Adam, 1975 );
- humilité ; par exemple, accepter les justes reproches faits à la psychiatrie : jargonnage, impérialisme, mépris du corps ( ibid. )
- tolérance à la frustration; par exemple, face au malade qui refuse ses services (ibid.).
Notes.
(1). A ce propos, le psychiatre de liaison lui aussi risque d'être " pris " dans le problème et parfois d'être bien aveugle là-dessus! Pour un certain nombre de malades, ça ne représente pas rien que d'être priés de passer chez le psychiatre : ils peuvent en concevoir dépit, dépression et angoisse et aggraver leurs symptômes - au moins transitoirement! - : ceci devrait être compris, analysé, parlé, tenu en compte ...
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Psychosomatique chez l'enfant et l'adolescent, troubles psychosomatiques et fonctionnels
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