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Introduction



Vers le 15 août 1996, les belges ont été brutalement informés qu'un petit groupe de pédophiles prédateurs avait enlevé, violé, et souvent assassiné plusieurs fillettes et adolescentes. Seules, deux d'entre elles, Sabine et Laetitia, furent retrouvées vivantes.

A l'acmé de ce choc informatif, c'est surtout la représentation du martyre et de la mort de Julie et Mélissa, deux fillettes de huit ans, enlevées depuis plus d'un an, qui a bouleversé la collectivité.

Parmi celle-ci, chacun en fonction de son âge, s'est identifié immédiatement aux deux fillettes ou à leur famille, d'autant que les médias diffusaient abondamment l'idée que le danger des pédophiles restait tapi partout et nulle part. On a donc vu s'installer un syndrome de stress aigu, vite relayé par un syndrome de stress post-traumatique chronique, généré entre autres par la chronicité du traumatisme, dans sa double polarité ( il y a toujours des agresseurs ... et les soi-disant protecteurs sont impuissants à les enrayer ).

On connaît bien les signes de ce syndrome qui, au début, sont surtout constitués par : une recrudescence de l'angoisse et des conduites d'évitement et de protection; un vague et permanent sentiment de vulnérabilité, de " nudité et de solitude " face au retour possible de l'agression; du désenchantement, une perte de confiance dans l'ordre protecteur et dans la bonté du monde ; de la régression ; de l'énervement. (2) 

Par la suite, viennent des réactions d'adaptation et de réparation de soi, centrées sur la colère, dont nous reparlerons dans le troisième paragraphe.

A ce syndrome de stress s'est tout de suite ajouté un état de deuil aigu : beaucoup de parents et d'enfants ont ressenti soudain, à travers les petites filles mortes, qu'on avait brutalement arraché des êtres chers à leur coeur, comme leurs propres petites filles ou petites soeurs, et en ont conçu beaucoup de chagrin.



                  COMMENT NOUS Y AVONS FAIT FACE



Les professionnels de la Santé Mentale présents en Belgique au moment des faits (3) , êtres humains comme tout le monde, n'ont pas échappé à ce double vécu de stress et de chagrin. Pire encore, pour certains d'entre eux, et notamment ceux qui étaient officiellement chargés de lutter contre la maltraitance infantile, l'enlèvement et la mort de ces enfants ont été vécus comme l'échec du projet de protection dont ils se sentaient porteurs; ils en ont donc conçu encore davantage de chagrin, voire de culpabilité, que la moyenne de la population. Chez certains, c'est donc non seulement en référence à leur identité professionnelle, mais aussi en partie pour alléger leur propre souffrance et réparer une faute imaginaire qu'ils ont très vite essayé de faire quelque chose pour soulager le stress et le deuil de la collectivité et particulièrement des enfants.



Interventions des quinze premiers jours. 



Julie et Mélissa ont été retrouvées mortes le 16 août 1996 et enterrées le jeudi 22 août.

1. Dès le lundi 19, quelques membres d'une équipe SOS Enfants (4) se sont réunis et ont décidé d'envoyer une lettre ouverte aux enfants de toute la communauté francophone, en mettant beaucoup d'énergie pour qu'elle paraisse rapidement dans les principaux quotidiens du pays. Elle a été également envoyée dans beaucoup de centres de consultation ( pédiatrie, Santé Mentale ) dont certains l'ont agrandie en photocopie pour leur salle d'attente.

Cette lettre n'est pas de type informatif, mais plutôt de type empathique et encourageant : elle reconnaît la tristesse et l'angoisse de tous puis, en évoquant quelques questions éventuelles et difficiles d'enfants, elle invite ceux-ci à ne pas rester dans le silence, et à se trouver des partenaires pour parler, quitte à insister quelque peu. La lettre se refuse à donner elle-même des " réponses " : la seule " explication " qui y figure, c'est une description du bouleversement émotionnel des parents, et une invitation faite aux enfants à accepter cette déstabilisation momentanée des adultes. En voici l'un ou l'autre extrait :



"... Comme nous, comme tes parents, comme tes amis, aujourd'hui tu es triste, en colère et tu as peur que peut- être cela t'arrive aussi.
C'est bien normal d'être triste, en colère, d'avoir peur. Et cela peut durer un moment ...
Si tu ne comprends pas, parles-en à tes parents ou à des adultes à qui tu peux parler facilement.
N'hésite pas à leur poser toutes tes questions, à leur dire toutes tes idées.

Par exemple :
Tous les adultes peuvent-ils devenir méchants? À qui puis-je faire confiance?
La police protège-t-elle les enfants? Faut-il tuer les méchants?


Les réponses ne seront sûrement pas faciles à donner par les adultes.
Ils penseront parfois que tu es trop petit pour comprendre.
Insiste, dis-leur que c'est très important pour toi de chercher des réponses. "

 



2. La même première semaine, il y eut aussi, à la demande de journalistes, l'une ou l'autre interview ou article dans la presse, proposant une première compréhension des événements. Par ailleurs, quelques responsables de Santé Publique - les universitaires plus que les administrations - ont également pensé que, au-delà des interventions directement adressées à la population, il fallait également organiser et dynamiser les institutions potentiellement destinées à faire face à la crise et aux questions qu'elle ne manquerait pas de poser. Ils ont donc provoqué la mise en place d'une " cellule de crise " composée de représentants des grands ministères, parastataux et institutions concernés par la lutte contre la maltraitance infantile.

La rentrée scolaire étant imminente, ils ont également provoqué des réunions de réflexion avec les grandes institutions susceptibles d'être concernées dans le réseau scolaire, comme, par exemple, les associations de psychologues scolaires.

3. Dès le lundi 19/8 nous avons eu l'intuition qu'on devrait procéder à un " debriefing post-traumatique " collectif (5), en utilisant la télévision nationale : en oeuvrant sur les ondes, avec un petit groupe d'enfants, nous avons pensé qu'on pouvait obtenir un effet libérateur sur un bien plus grand nombre d'enfants et même d'adultes, qui s'identifieraient au groupe de travail et vivraient les choses par sa procuration : c'est cette entreprise que nous allons décrire maintenant de façon détaillée.



L'émission " Ici Bla-bla spécial ". 



Chronogramme et procédure



* Les responsables de la RTBF ( télévision d'Etat ) ayant donné leur accord de principe, le jeudi 22 août 1996, une réunion eut lieu avec le Dr K. Rondia, responsable des émissions médicales; en son nom et en celui de Mme M.Nihon, responsable des émissions pour enfants, elle proposa une excellente idée : intégrer la séance de debriefing à l'intérieur de l'émission télévisée enfantine la plus populaire en Belgique : " Ici Bla bla ". " Bla-bla " est une sympathique marionnette issue de la cybernétique, le " copain " de bien des enfants, filles et garçons, qui, dans son émission, introduit jeux et dessins animés, mais aussi et surtout commente les événements de la vie, et ceci avec la psychologie d'un enfant " libre ". Evidemment, en août, " Bla-bla " était en vacances, et il fallait le faire revenir spécialement pour la cause mais, si nous travaillions tous d'arrache-pied, on pouvait être prêts pour le dimanche 25, 72 heures après. (6)

* Le jeudi 22 en fin d'après-midi, cinq enfants " tout venant " ont donc été recrutés dans leur quartier, par une non-professionnelle - une mère de famille - qui a eu l'intuition de réunir quatre petites filles de l'âge de Julie et Mélissa, et un garçon de onze ans; majoritairement, ces enfants ne se connaissaient pas d'avance.

* Le vendredi 23, de 9 h 30 à 13 heures, sous l'oeil des caméras et d'une équipe de TV... bien vite oubliées, a eu lieu la véritable séance de debriefing post-traumatique de ces cinq enfants.
Le responsable de la séance, auteur de cet article, leur a demandé préalablement, à chacun individuellement et séparé des autres, de faire deux dessins. Dans le premier, l'enfant était invité à " raconter " par son dessin celui des événements récents qui l'avait le plus frappé. Dans le second, il était invité à dessiner un enfant imaginaire agressé, mais qui parvenait à se défendre de son agresseur.

Puis il y a eu une première séance filmée en groupe, d'environ une heure, où l'on s'est centré sur le premier dessin et les associations auxquelles il donnait lieu ; ensuite une récréation ; enfin une seconde séance d'une heure, centrée surtout sur le second dessin.

* Après quoi, entre adultes, nous avons procédé au choix des séquences qui allaient être retenues; nous avons également cherché quelques brefs commentaires qui pouvaient scander les prises de paroles les plus significatives des enfants.

Une grosse journée de montage s'ensuivit pour l'équipe TV et ensuite, le dimanche 25, le travail des enfants a été passé à une heure de grande écoute, juste après un journal TV très suivi et pendant lequel le Dr Rondia avait pris le soin de l'introduire et de préparer les parents au " choc " qu'allait constituer pour certains la libre expression de leurs enfants. (7).

 

Quelques extraits du contenu de l'émission.



Impossible de passer en revue, en détails, la grande richesse de matériel issue des mains, de la bouche ... et du coeur de ces enfants au travail ; en face d'eux, nous, les adultes chargés d'accompagner et de commenter, nous nous sommes souvent sentis humbles et émerveillés.

A titre exemplatif en voici quelques extraits, illustrés par les dessins qui ont servi de support au dialogue des enfants :

a) Deux d'entre eux représentent Julie et Mélissa " dans leur cage ", mais néanmoins occupées à se parler, à se chanter des comptines d'enfant, voire à jouer aux cartes. Quoique précaire, cette tentative de réhumanisation de leur situation est très touchante : exprime-t-elle simplement, pour l'auteur du dessin, une dénégation de l'horreur qu'il ressent, ou, plus radicalement, une " percée " de la pulsion de vie, de la résilience, ... comme une première réparation du traumatisme? Difficile à dire! Quoi qu'il en soit, cette proposition de vie ne fait pas unanimité : d'autres enfants du groupe pensent que c'était impossible, qu'elles étaient ligotées, qu'elles n'ont pas pu jouer, ni même se parler ... après les avoir laissés s'exprimer, et avec toute l'empathie dont je me sentais capable, me souvenant qu'un moment de debriefing n'est pas un moment d'écoute exclusive mais aussi de partage d'idées, j'émets discrètement mon opinion personnelle, à titre d'hypothèse, un peu comme un membre du groupe parmi les autres : " Moi, pour ma part, je crois qu'elles ont pu parfois jouer, chanter, se parler, parler de leurs parents, et que ceci les a aidées : elles ont pu remarquer qu'elles étaient toujours de vraies petites filles. "n


b) Les enfants n'ont pas manqué d'exprimer une agressivité très vive à l'égard du ravisseur " de leurs deux petites copines ". En voici deux exemples :

 

D2 Julie et Mélissa jouent aux cartes



- Sur le dessin 1 (fig. 1), dans l'angle supérieur droit, c'est le ravisseur qui est représenté en " tout petit ". Je fais travailler les enfants sur la signification, pour eux, de cette petite taille ... grâce à quoi, spontanément, ils se donnent les moyens de le maîtriser, en imaginant tous les sorts horribles qu'ils pourraient lui réserver, y compris le manger : je ne puis m'empêcher alors de leur suggérer l'hypothèse interprétative selon laquelle le manger serait une bonne vengeance puisque, de son propre aveu public, le ravisseur prétendait que lui ou ses complices avaient laissé mourir les fillettes de faim ...

- Une autre fillette avait apporté, de son domicile, une bouteille remplie d'eau dans laquelle surnageait un horrible mille-pattes en plastique, coupé en morceaux. Cette bouteille ne la quittait plus depuis quelques jours, sauf la nuit, pour être rangée au frigidaire. Elle montre sa bouteille à la TV et explique qu'il s'agit du ravisseur et de son épouse, qu'elle a envie de les torturer, ou de leur faire avoir très froid. Ici, ma réaction sur le vif, puis nos commentaires d'adultes dans l'émission, se limitent à l'empathie active, c'est-à-dire à relever que cette enfant se sent vraiment très fâchée de ce que l'on a fait à d'autres enfants et que " c'est comme ça ".

c) Par la suite, les enfants du groupe parlent plus clairement de ce qu'ils imaginent être la pédophilie : ils projettent sur l'adulte abuseur leurs représentations de ce qu'est la sexualité, à partir de leur sexualité infantile.

Le garçon du groupe ( onze ans ) se risque donc à dire que le pédophile, c'est celui qui touche le zizi des garçons et le ... des filles : là, il hésite, et ne parvient pas à nommer le sexe de celles-ci. Je les interroge donc : " Comment appelle-t-on, chez vous, ce qu'on appelle le zizi chez les garçons? ". Silence un peu gêné, minauderies, fou-rires étouffés : elles ne voudront jamais mettre de mot, leur mot, pour désigner leur sexe. Et j'ai l'intuition que je ne dois pas insister : même si ce silence est surdéterminé (8), j'accepte leur retenue : il me semble qu'à procéder ainsi, symboliquement, dans le langage, elles se réapproprient le droit de disposer de leur corps et de leur sexe, et je trouve positive cette mise à distance souriante.

En continuant à parler de ce qui s'est passé, les enfants en viennent ensuite à évoquer ... une éventuelle faute de Julie et Mélissa : n'oublions pas qu'ils sont à l'âge du réalisme moral, âge où les faits sont évalués à partir des résultats plutôt que des intentions ! Un débat s'engage donc dans le groupe : auraient-elles dû essayer de se défendre, de frapper leurs agresseurs ... ou devaient-elles se laisser faire, parce qu'il n'y avait moyen de rien éviter? J'écoute les enfants ... et puis, je leur propose mon hypothèse, inspirée de ce que Bettelheim avait écrit jadis sur les camps de concentration : " Au fond, quand Julie et Mélissa étaient agressées, peut- être n'étaient-elles là que de corps ... peut-être avaient-elles réussi une évasion tellement importante ... peut-être leur âme était-elle déjà ailleurs, comme des petits oiseaux hors de toute atteinte possible ... ". Les enfants écoutent gravement cette idée, un peu compliquée, dans le silence ...

d) Une seconde partie de la séance de psychothérapie est consacrée à écouter ce que les enfants imaginent être leurs moyens de défense propres face à des agresseurs potentiels.

Pour l'heure, il s'agit donc de commenter, ensemble, chacun des dessins de la seconde série, dont voici un exemple :

 Dessin 3 On veut m'enlever quand je joue à la corde. Je crie.


A l'arrière-plan de cette nouvelle centration, il y a mon état d'esprit à ce propos je considère que, de façon générale, nos sociétés occidentales sont trop " maternalistes " ou hyper-protectrices et n'encouragent pas assez les enfants à vaincre directement les dangers qui les assaillent. Seuls, ou du moins avec la part d'énergie qu'ils ont déjà, et donc, en dosant bien la part de débrouillardise qu'ils peuvent mettre à se défendre, et la part d'aide externe qu'ils doivent continuer à évaluer et à solliciter.

A écouter parler les enfants les uns après les autres, et à les écouter discuter ensemble, je suis émerveillé de toutes les idées créatives et réalistes qu'ils suggèrent, et je le leur dis avec force : jouer à plusieurs, rester à plus de deux mètres d'un inconnu, crier très fort, courir très vite et très loin, de toutes ses forces, etc.

e) Avec le Dr Rondia, dans l'émission telle qu'elle a été retransmise, nous avons entrecoupé de larges séquences de paroles d'enfants par quelques commentaires d'adultes, sur des thèmes comme : le sentiment qu'ont parfois les enfants d'être abandonnés par leurs parents quand ils sont " méchants " ... le droit à être fâché, qui ne va pas vraiment jusqu'à se faire justice soi-même ... les côtés très positifs de la sexualité, à part quelques déviances malheureuses ... l'intérêt à reprendre des risques raisonnables vis-à-vis de la vie, plutôt qu'à rester cachés sous la table pour toujours, etc.



Autres interventions précoces



Dirigées vers le syndrome de stress post-traumatique dans ses dimensions les plus négatives : l'angoisse, le sentiment de grave menace et d'impuissance, - voire le désespoir - ces interventions ont été nombreuses et variées. Il est impossible de les détailler toutes ici. Pour nous résumer :

---- - il y a d'abord eu des consultations, en plus grand nombre que d'habitude, pour des enfants qui allaient mal, et dans l'étiopathogénèse de la décompensation desquels on a découvert, comme une dimension mise à l'avant-plan ou dissimulée, leur retentissement à " l'affaire Dutroux ".

---- - Il y a eu aussi nombre d'articles de presse consacrés à la gestion de l'angoisse : en règle générale, nous avons essayé de nous y montrer empathiques pour les conduites d'évitement et d'hyperprotection générées par les parents ou/et les écoles, mais aussi de faire réfléchir ces adultes sur " le moindre risque " ( élever les enfants en vase clos, ou les autoriser à repartir de l'avant, à reconquérir la vie, mais non sans une certaine surveillance ). Nous avons aussi essayé de les aider à faire la part des choses entre leurs fantasmes archaïques ( l'ogre présent un peu partout ) et la très faible probabilité de récurrence de dangers gravissimes, liés à quelque nouveau prédateur. L'une ou l'autre intervention radiotélévisée est allée dans le même sens, jusqu'à une intervention du JT, invitant à épargner aux tout-petits trop de langage cru et source de malentendus effrayants, surtout à leurs âges tout spécialement sensibles, et suggérant aux parents qu'ils redisent explicitement à ces tout-petits enfants leur propre fonction protectrice (" Papa et maman veillent sur toi ").

----- il y a eu enfin de nombreuses conférences à la demande d'associations de parents, d'écoles ... ici encore, nous avons essayé de ne pas les transformer en cours de " recettes ", mais d'aider les parents à s'exprimer et à retrouver les chemins que leur indiquait leur créativité pour faire face aux dangers qu'ils redoutaient, en parlant avec leurs enfants et en négociant ensemble des aménagements-compromis autour du risque et de la protection.



COMPLICATIONS DANS CERTAINES CATEGORIES DE LA POPULATION. 

 



A égalité de nature et d'intensité, un agent traumatique produit sur chacune de ses cibles une désorganisation variable, en fonction de plusieurs facteurs, dont notamment la structuration préalable de la personnalité, et la qualité des supports sociaux ultérieurs : les plus fragiles et les plus isolés risquent le plus une désorganisation majeure et durable.

Corollairement, si une personne a déjà été agressée par un traumatisme identique ou analogue à celui d'aujourd'hui, elle en garde des traces, qui sortent alors du vague refoulement où elles étaient confinées vaille que vaille : le traumatisme d'aujourd'hui agit à la fois pour son propre compte et a valeur d'un " reminder " qui réveille les souvenirs, les affects et les désorganisations liées à des traumatismes plus anciens.

A propos de ce qui nous occupe, nous nous limiterons à citer deux applications (9) qui résultent de ces constatations générales.

Après environ un mois et pendant quelques semaines, on a assisté à un début de contagion d'enlèvements " bidon ". 

Quelques adolescents et grands enfants ont voulu répéter, de façon confuse, ce qui était arrivé à Julie et Mélissa et ont donc disparu ... pour quelques heures, le temps de mettre en branle la police et de faire peur à toute l'opinion publique. Ennui, oisiveté, manière d'occuper le temps de façon excitante ? Jalousie inconsciente avec les enfants martyrs, mais aussi vedettes, et besoin d'être remarqués et aimés ? Dimension plus manipulatrice aussi, pour l'un ou l'autre, et utilisation d'un mensonge, apparemment de rêve, destiné à faire taire les parents face à leur absence irrégulière ... tout cela a joué un peu, et nous paru suffisamment important pour publier l'un ou l'autre article de presse, où nous avons suggéré quelques explications sur les mécanismes de ces pseudo-enlèvements (10).

 

Plus préoccupant, un certain nombre de personnes victimes d'abus sexuels anciens ou toujours en cours, ainsi que leurs familles, se sont mises à aller plus mal.

 

* Les paroles collectives d'indignation sur l'abus, mais aussi sur les dégâts graves existant " nécessairement " chez les victimes, ont semé inquiétude et confusion chez ces personnes et ont aggravé leurs plaies non soignées, voire ré-ouvert des blessures fraîchement cicatrisées chez celles qui venaient de passer par un traitement. Il s'en est suivi une recrudescence de consultations psychologiques et sociales centrées sur ces questions.

Nous nous sommes évidemment efforcés de les accueillir dans la mesure de nos moyens, et de les écouter ...

* En raison de " colères intérieures " éprouvées tout à coup plus intensément, un certain nombre d'enfants ou/et de familles se sont soudain décidés à révéler des faits d'abus qu'ils avaient tus jusqu'alors. Ils l'ont fait, portés par l'indignation générale diffuse qui régnait, mais aussi en réponse à des invitations plus précises à la délation; notamment, le juge d'instruction en charge du dossier des enfants assassinés venait de faire ouvrir un " numéro vert " à l'intention de tous ceux qui avaient à rapporter des faits de pédophilie. En référence aux pratiques en usage en Belgique francophone, une partie de ces signalements supplémentaires s'est dirigée d'emblée vers les autorités de police et de justice, et une autre, vers les équipes psycho-sociales spécialisées ( Equipes SOS Enfants ).

* Dans le même ordre d'idées, un certain nombre de personnes se sont mises à se plaindre, dans des institutions d'appel mais aussi parfois publiquement, dans les médias, de la manière dont les institutions avaient malmené leur dossier jusqu'alors : ce fut le cas, notamment, lorsque ces adultes - et leurs enfants - avaient souffert de la trop grande passivité des autorités judiciaires, ou de ce qu'ils ressentaient comme une volonté d'occultation des faits, face à des pédophiles puissants et bien protégés.

Ce fut le cas par exemple dans un certain nombre de dossiers ouverts dans le cadre de la séparation des parents, où des faits de moeurs - surtout des attouchements - étaient reprochés à l'un des ex-conjoints : tous ces cas ne sont pas de pures inventions de quelque parent paranoïaque ou manipulateur, loin de là (11) pour avoir été associé personnellement à l'une ou l'autre de ces procédures d'appel, nous en avons retiré la conviction que, parfois, un très probable abuseur sexuel se défend remarquablement bien contre son ex-conjoint, jusqu'à le persécuter; il réussit alors à obtenir le maintien du contact avec ses enfants, voire le droit de garde de ceux-ci, sans garantie judiciaire, ce qui est donc infiniment dangereux.

Que s'ensuivit-il ? Dans cette ambiance où les institutions avaient été très provisoirement déstabilisées dans leurs certitudes, l'un ou l'autre de ces dossiers réouverts a abouti à des conclusions constructives; mais pour la majorité d'entre eux, rien ne s'est passé; l'enlisement et l'injustice ont continué, et le désespoir des plaignants ne s'en est qu'accru.

Sans pouvoir bien nous en expliquer la raison, et sans non plus avoir pu recueillir des données chiffrées très précises à ce sujet, nous avons eu l'impression que la grande majorité de ces signalements nouveaux et renouvelés étaient objectifs, c'est-à-dire portaient sur des faits réels et inacceptables. Une " chasse aux sorcières " qui aurait pointé du doigt un grand nombre d'innocents persécutés à tort n'a donc pas eu lieu, du moins pas avec ce point de départ-là.

* Par ailleurs, les adultes se sont beaucoup plus braqués sur la sexualité des enfants et des adolescents eux-mêmes. Lorsqu'ils ont été confrontés à des activités sexuelles avec partenaires, émanant de ceux-ci, ils ont été beaucoup plus inquiets qu'ils ne l'étaient auparavant ; ils ont eu peur d'assister, à travers eux, à la naissance de " nouveaux Dutroux " et ont donc très facilement désigné comme " abuseurs sexuels " ou " pédophiles " ( en puissance ), les enfants et adolescents impliqués dans des activités, surtout ceux qui en apparaissaient comme les initiateurs ou/et les dominants.

Je reçois, en avril 1997, le coup de téléphone angoissé d'une directrice d'école maternelle : trois fillettes de 3e maternelle se sont " regardées " et peut-être " chipotées " dans les toilettes de l'école.

Deux des trois groupes parentaux concernés partent en guerre contre la troisième petite fille, accusée d'être " initiatrice " et " vicieuse ". Le fait qu'il y ait eu consentement et participation des deux autres est nié et donc, face à cette négation de leurs parents, les deux premières fillettes disent aussi qu'elles ont été " obligées " par une " méchante ". Comme l'école se veut prudente, les parents des deux premières les en retirent, et écrivent une lettre aux autres parents de la classe pour les mettre en garde contre une " spécialiste des attouchements ", ils menacent de saboter la rentrée de septembre 97 et accusent les institutrices de " manquer gravement de surveillance ".

Dans un petit village, où existent de rudes compétitions entre réseaux scolaires confessionnels et officiels, et où les protagonistes se côtoient tous les jours, le choc est dur.

Pourtant, les deux premiers groupes de parents, les plus blessés et les plus agressifs, se barricadent et ne se laissent pas approcher, ni par l'équipe de l'école, ni même par le médecin scolaire, ni par le psychologue du PMS. En désespoir de cause, on me demande de faire une soirée " questions-réponses " centrée sur la sexualité des petits enfants. Une centaine de parents y assistent, avec toute l'équipe des enseignants, le psychologue et le médecin scolaire, l'épouse du bourgmestre, le curé du village ... Les parents accusateurs y sont présents également, silencieux, farouches mais attentifs.

Beaucoup de thèmes sont abordés, comme par exemple, l'importance d'une sexualité bien vécue dans le développement de l'enfant, les différences entre une sexualité abusive et non abusive, l'impossibilité qu'il y a à tout surveiller et à tout protéger, etc.

Intervention ponctuelle, unique. Quel sera le sort des idées échangées, de l'écoute des parents qui y a eu lieu? Je ne sais pas ... il y a gros à parier néanmoins que la même intervention n'aurait pas eu lieu un an plus tôt.

Les plus stigmatisés, ici, ont été les adolescents - en grande majorité les garçons - chez qui il se révélait qu'ils avaient eu des activités sexuelles, isolées ou répétées, avec un ou des partenaires soit plus jeunes, soit apparaissant plus passifs dans la relation; la parité approximative des âges fut même niée à l'occasion : pour tel père jaloux de l'émancipation de sa progéniture, le garçon de seize ans qui avait eu des relations avec sa fille de quatorze ans, ne pouvait être qu'un abuseur sexuel.

Sans pour autant minimiser les choses du seul fait que d'autres, eux, les dramatiseraient, il nous a fallu nous battre contre les effets pernicieux de l'étiquetage, et discuter avec la communauté adulte de ce qu'elle vivait, et des significations des activités sexuelles entre mineurs; ces significations ne peuvent se déduire que de l'écoute et de l'observation, et non d'attributions a priori dictées par les circonstances ; la majorité de ces activités restent, dans l'acceptation large du terme, des jeux sexuels; quelques-unes s'inscrivent dans des relations amoureuses réciproques consenties; quelques-unes sont bel et bien des abus : même alors, si ceux-ci sont clairement inacceptables, il faut se souvenir qu'ils émanent d'êtres humains dont l'organisation psychologique est occupée à passer par des transformations rapides, et qu'il est donc nocif de les étiqueter et de les réduire tout de suite comme " abuseurs ", et de leur appliquer exactement les mêmes programmes qu'aux adultes.



Quelles ont été les conséquences de cet afflux de plaintes sexuelles sur notre offre de prise en charge et sur l'organisation des institutions? 



* Il nous a semblé très important que toutes ces personnes blessées par l'abus, voire par la simple activité sexuelle, puissent parler à nouveau, exprimer, et rencontrer autour d'elles la solidarité d'autres personnes qui écouteraient.

Cette importance de l'écoute et de ne pas rester seuls, emmurés dans l'angoisse et la honte, nous l'avons appliquée dans nos consultations, nous l'avons recommandée via nos conférences; nous avons aussi généré des " offres " de paroles davantage publiques ( par exemple, émissions radio ou télévisées ).

Par exemple, lors d'une émission télévisée sur la pédophilie, nous avons interpellé directement les mineurs d'âges victimes d'abus sexuels, pour leur proposer de ne pas rester seuls avec leurs questions. Nous en avons profité également pour évoquer certaines confusions d'idées qui pouvaient les habiter, notamment autour des plaisirs qu'ils auraient éventuellement connus lors de ces expériences (12).

* Toutefois, il nous est très vite apparu qu'il eût été toxique de laisser courir sans plus l'idée " Je parle, donc je serai aidé efficacement et le coupable sera puni ". Nous avons donc pris la responsabilité de diffuser des messages de prudence et de réalisme, qui peuvent se résumer comme suit dans l'encadré n° 2:

 
- Parler est important, car cela permet de vivre la solidarité d'interlocuteurs qui vous croient.

- Si ces interlocuteurs s'engagent avec vous, vous pouvez probablement constituer une force qui dit " Non " et qui lutte mieux pour que l'abus soit enrayé.

- Même si ceci semble injuste, il est moins certain, par contre, que l'abuseur que l'on stopperait de facto reconnaisse chaque fois ses fautes et reçoive la sanction qu'il mérite; ses résistances et dissimulations dans ce champ sont énormes, et nous ne les maîtrisons pas toujours.

 



Même si la dernière proposition de cet ensemble paraît choquante, elle nous semble pourtant réaliste : dissocier un message sur l'importance qu'il y a à ne pas rester seuls, et un autre sur l'incertitude qui demeure quant à la punition des abuseurs, nous a semblé de nature à prévenir quelque peu de cruelles et désespérantes désillusions. Ce n'est pas pour autant une invitation à la démission ni à la résignation d'office, mais l'issue du combat demeure incertaine.

Plus fondamentalement encore, nous nous sommes posé des questions sur l'appareil institutionnel que nous mettons en place pour faire face à l'abus sexuel, et sur les impulsions sociétaires que nous lançons à ce propos. Disons tout de suite que nos questions sont encore très largement sans réponse satisfaisante.
Actuellement, dans les différents pays occidentaux, on donne beaucoup d'impulsions pour que les problèmes relatifs à l'abus sexuel soient pris en charge par des institutions officielles et très spécialisées avec des nuances selon les pays, il s'agit, en proportions variables, de l'institution judiciaire et de services psycho-sociaux spécifiques.

Or, si ces différentes institutions devaient vraiment faire face à tout ce qui leur est demandé, il faudrait très probablement en multiplier le nombre par dix, construire des villes-prison, et aussi des villes-hôpital. Alors, cette " solution " soi-disant efficace et totale par l'institutionnel lourd en est-elle vraiment une ? Ne faut-il pas s'appuyer bien davantage sur les intervenants de première ligue, voire sur le tissu social informel, non-professionnel ? Mais si l'on amplifie la tâche de celui-ci, comment le motiver et le soutenir dans son engagement ? Et, sans que cela tourne tout de suite à la vengeance directe, type extrême-droite, au maternage ou à la surveillance paranoïaque des citoyens les uns sur les autres ? Comment stimuler une solidarité qui ne soit pas naïve, et où chacun reste reconnu dans sa part d'humanité?



PREMIERE AUTO-GUERISON DES VECUS DE DEUIL ET DE STRESS POST-TRAUMATIQUE. 



Pour dépasser les vécus de deuil et de stress qui l'habitaient, la population belge a réagi comme tout un chacun le fait typiquement en pareilles circonstances :

1) Quant au deuil, elle a parlé abondamment de ce qu'elle éprouvait; elle a multiplié les photos-souvenirs des enfants disparus, et a largement participé aux rites funéraires, au côté des familles de ces enfants. Fin octobre 1996, elle a organisé, en commémoration, une marche blanche, la couleur du deuil pour les enfants, à laquelle ont participé des centaines de milliers de personnes, enfants inclus : tout au long du parcours, informellement, des petits ballons blancs n'arrêtaient pas de s'envoler vers le ciel et constituaient symboliquement comme des traits d'union d'amitié, entre les enfants présents spirituellement dans quelqu'au-delà mystérieux et les survivants qui voulaient rester liés à eux.

2) Quant au stress post-traumatique, ici aussi, les mécanismes de défense et de réadaptation ont été typiques :

* D'abord et avant tout, les gens ont parlé abondamment, tout simplement. Il y a même eu des sortes de " réminiscences post-traumatiques " tardives, avec retournement des pulsions, où l'on reprenait la maîtrise sur les événements en racontant des blagues " dures " sur Dutroux et les petites filles enlevées, ou en jouant à " Dutroux " ou au " pédé " dans les cours de récréation.

* Dans ce contexte d'une reverbalisation abondante, la population s'est beaucoup posé les deux questions-clés habituelles du " Pourquoi " et du " Comment " - comment éviter la récidive à l'avenir?

Quant au " Comment ", il s'est rapidement soulevé un vaste mouvement d'idées, mais aussi de colère tous azimuts, pour penser, proposer et, jusqu'à un certain point, faire ce que l'on croyait nécessaire, pour châtier ceux qui avaient fauté, et empêcher que ça recommence : la population a donc mis au point de nombreuses stratégies pour ne plus se sentir noyée dans l'angoisse ni dans le désespoir, et pour retrouver, à l'avenir, une confiance de base raisonnable dans son environnement. Certaines de ces réactions ont été et sont toujours justes dans leur principe et réalistes dans leur évaluation; d'autres, par contre, ont été inévitablement outrancières. Voici deux exemples de ce qui fut probablement le plus impulsif et le plus émotionnel :

---- - l'une ou l'autre pétition " nationale ", qui recueillirent un nombre énorme de voix ( plus de deux millions ), pour que les peines de prison des pédophiles soient incompressibles;

---- - l'appel " national " à l'utilisation d'un téléphone " vert " de délation, émanant du juge d'instruction en charge de l'affaire, très probablement à la veille du jour où, ému lui-même, épuisé, et écoeuré par les réactions de sa propre institution, il allait être dessaisi pour une broutille-prétexte;

---- - etc.

Parmi ce qui fut prévisible en de telles circonstances, il y eut de nombreuses prises de positions et promesses institutionnelles assez activistes , qui s'engageaient à faire mieux à l'avenir, mais sans toutefois vraiment analyser et reconnaître les défaillances passées : la plupart des institutions officielles, surtout les plus contestées, ont voulu redémontrer qu'elles fonctionnaient déjà ou qu'elles allaient fonctionner à nouveau avec force et efficacité : mise en place de commissions d'experts ou de commissions parlementaires; mise en place d'un centre européen pour les enfants disparus et exploités - néanmoins largement sponsorisé par le mécénat privé; activisme ministériel autour des promesses de réformes à venir, etc.

Le plus original, néanmoins, ce fut, l'espace d'une année au moins, et en-dehors de toute récupération politique, un immense mouvement de citoyenneté : bien au-delà de la marche blanche, la population, dans une majorité très significative, a voulu montrer, et aux agresseurs et aux institutions, qu'elle pouvait se remettre debout toute seule, et essayer de se défendre et de défendre ses enfants, en poussant énergiquement les intermédiaires mandatés à donner le meilleur d'eux-même. Il s'est donc créé de nombreux " comités blancs " de citoyens, qui se donnent une mission de vigilance.



Quelles ont été les réactions des institutions de Santé Mentale à ces tentatives spontanées de réorganisation? 



1) Face aux processus de réaffirmation de force sociale, pour les parties de ceux-ci qu'elles estimaient saines, les institutions de Santé Mentale se sont impliquées pour :

* participer au mouvement, tout simplement, comme citoyens tenant à être présents aux côtés des autres ( par exemple, Marche blanche ); 

* donner leur avis quant à ce que serait la mise en place d'un appareil social efficace de protection et de prise en charge. Avis donné informellement, via les canaux déjà évoqués, et avis donné dans des lieux plus institués à cet effet comme, par exemple, des commissions d'experts.

Par contre, lorsque la réaffirmation de la force sociale impliquait simplisme et excès, les responsables de Santé Mentale se sont efforcés d'avoir un rôle de modération et de relance de la réflexion vers des représentations plus justes des phénomènes humains mis en jeu : interventions faites avec délicatesse dans des Comités blancs; " lettre ouverte aux abuseurs " diffusée dans la presse écrite pour éviter le positionnement rigide de ceux-ci comme boucs émissaires, etc. Dans cette lettre ouverte, diffusée, elle aussi, dans les principaux organes de presse, nous les invitons à se mobiliser et nous veillons à les présenter comme des êtres humains d'une même nature que les autres, mais divisés de l'intérieur par leurs contradictions. En voici l'un ou l'autre extrait :

 


... Je sais que ce n'est pas facile parce que beaucoup d'entre vous ont aussi souffert, moralement et parfois dans leur corps, lors de leur enfance et de leur adolescence, ce qui les a poussés à se tourner vers les enfants comme bien triste compensation.
Je sais aussi que les plaisirs que vous trouvez dans l'abus, c'est comme de la drogue, et c'est difficile de s'affranchir de la dépendance de ces drogues.
Ce n'est néanmoins pas impossible, et je me refuse à croire que vous êtes des êtres sans liberté et sans le moindre sens moral.


Donc, n'est-ce pas le moment de réveiller enfin le meilleur de vous-mêmes ? N'est-ce pas le moment de retrouver votre dignité, votre estime pour vous?

 


EN GUISE DE CONCLUSION.

 

A l'heure où s'écrivent ces lignes, environ trois ans après les événements, la Belgique n'est pas guérie : sa plaie cicatrise peu et mal, sur un fond de blessure non nettoyée.

Ce qui s'est passé - les agressions et les réactions sociales qui ont suivi - nous a ouvert les yeux sur les failles de notre société de consommation, peu capable d'enrayer le Mal et la maladie dans la communauté, peu capable de nous garantir à chacun un territoire de vie paisible, et d'insuffler à ses propres institutions des valeurs d'authenticité et de générosité.

La population continue donc de se sentir menacée, et plutôt impuissante à se faire entendre et respecter.

En effet, malgré les mouvements de citoyenneté que nous venons d'évoquer, aucune institution officielle n'a vraiment eu le courage et l'humilité de se remettre profondément en question. Au contraire! Plutôt que d'entendre la souffrance des citoyens de base, elles s'ingénient, non seulement à nier leurs failles - pourtant humaines - mais aussi et surtout à régler des comptes entre elles, comme un énorme bombardement qui passerait - menaçant - au-dessus de la tête de citoyens déjà bien meurtris. Face à quoi, le découragement et le désespoir reviennent en masse, dans ce qui est pourtant censé être une démocratie ... Fasse donc le ciel qu'un peu de raison, et un peu d'humilité, habitent un jour les responsables institutionnels de la Belgique, qui se souviendraient alors enfin qu'ils ne sont jamais que les délégués de la population, avec qui est nécessaire un dialogue de vérité. 

 

NOTES



(2). C'était la rentrée scolaire et bien des instituteurs racontaient que les enfants étaient plus nerveux, " excités ", sur le qui-vive, plus batailleurs que jamais.
(3). Il ne faut pas oublier que tout ceci débuta intensément entre le 15 et le 31 août, moment des grandes vacances, ce qui ne facilita pas la mise an place rapide d'une réaction puissante et concertée. Ce qui se réalisa n'en eut que plus de mérite!
(4). Cette équipe a désiré garder l'anonymat, pour que ne soit pas confondue son action et une quelconque publicité personnelle. Nous respectons évidemment cet anonymat.
(5). Cette idée nous est venue essentiellement suite à la lecture de diverses expériences faites aux USA, sur des groupes d'enfants, après de grandes catastrophes naturelles ou des événements dramatiques comme l'explosion de la navette Challenger.
(6). Merci à M. Padot, réalisateur de l'émission, d'avoir réalisé ce projet quasiment impossible. Merci aussi tout spécialement à Mme Levesque, " script " du programme dont la mémoire sensible s'avéra irremplaçable!

(7). La première fois que l'émission est passée, un sondage a estimé qu'elle a été suivie par 400.000 personnes. Des témoignages de parents nous ont assuré qu'elle avait eu une dimension libératrice pour beaucoup d'enfants ( et, peut-être secrètement, pour un certain nombre d'adultes ). La TV nationale a d'ailleurs pris l'initiative de la rediffuser trois autres fois en huit jours, et le Ministère de l'éducation l'a fait dupliquer pour toutes les écoles primaires et maternelles de la Belgique francophone, comme un instrument destiné à lancer et à favoriser le dialogue enseignants-élèves.
(8). Plus tard, lors du repas, et sans toujours employer le mot, elles me diront qu'elles le connaissaient très bien, mais qu'elles avaient eu peur d'être grondées par leurs parents, qui les verraient à la TV ...
(9). Il y en eut bien d'autres. Par exemple, nos collègues psychiatres adultes nous ont signalé une recrudescence anormale de détérioration de l'état de psychotiques, ou de patients borderline, bien stabilisés jusqu'alors.
(10). Dans ces articles, nous avons également émis l'hypothèse que pourraient exister aussi de jeunes adultes occupés à s'ennuyer, sans beaucoup de morale, aimant, eux aussi, se faire remarquer ou faire peur, et qui auraient pu " jouer " à enlever de jeunes adolescents ou de jeunes filles, l'espace de quelques heures, pour le sport ou/et pour le spectacle qu'ils provoqueraient. Heureusement, tout cela s'est tassé en quelques semaines.
(11). Voir par exemple p. 132 in L'enfant victime d'abus sexuel et sa famille: évaluation et traitement>
 de J.-Y. Hayez et E. de Becker, coll. Monographies de la psychiatrie de l'enfant. Paris, PUF, 1997

(12). Une discussion plus détaillée à ce propos est faite in

 Le traitement des mineurs abusés sexuellement et de leur famille , pp. 740-749, in : Criminologie et psychiatrie, sous la dir. de T. Albernhe, Ellipses, 1997.