Considérations générales 

 

Pour nombre d’êtres humains, à tous les âges de la vie, il existe des moments où ils ont subi la pression d’un (de plusieurs) autre(s) et où ils ont été obligés de participer  à une activité sexuelle sans le désirer en ordre principal.

Pourquoi ? Parce que dans la dynamique de la demande sexuelle, il y a place pour la volonté de domination, l’égocentrisme hédoniste, le besoin de régler des comptes. Plus banalement, un certain nombre d’adolescents ont envie de bizuter les plus jeunes comme eux l’ont été, c’est à dire de « les initier », oui, mais de façon humiliante ou effrayante.

Par ailleurs, il existe régulièrement des facteurs défavorables de facilitation, susceptibles d’être émis par la victime ou par son entourage ! Nous avons déjà évoqué la question de l’ambivalence dans la première partie, mais il en existe bien d’autres, dont nous ne reparlerons plus. Je réaffirme donc que, entre la sexualité subie et celle qui est franchement désirée, il existe de nombreuses zones intermédiaires. Dans la suite de cette troisième partie, toutefois, nous n’étudierons plus que celle qui est franchement subie. 

 Les moments de confrontation à la sexualité subie sont variables, ainsi que leur durée. Une mention particulière doit cependant être réservée à des moments précoces à volonté de bizutage : pour montrer qu’il sait et affirmer sa pensée, un grand (un petit groupe de grands) s’ingénie à humilier un cadet. Parfois, la volonté d’initier est claire au-delà du bousculement. Parfois même pas. On peut faire rentrer dans cette catégorie les pratiques contemporaines où un petit groupe d’ados filme une scène sexuelle ou para-sexuelle où un plus jeune est malmené et puis expédie le clip vidéo à un public choisi.

 Le degré de gravité, de destructivité de l’acte imposé est variable. Il en va de même des moyens utilisés pour l’imposer.

 Les conséquences psychiques sur la victime sont très variables, elles aussi.

 On peut donc considérer que les actes posés sous contrainte («  subis ») se répartissent sur un gradient de gravité qui va du bénin à la destruction importante du corps et de l’esprit de l’enfant … des épines sexuelles aux abus graves.

 

Les épines sexuelles 

 

Sur le chemin de leur vie, un très grand nombre d'enfants subiront quelques « épines » sexuelles, ne faisant qu'effleurer moralement ou égratigner la majorité de ceux qui y sont confron­tés. Par définition, leur effet traumatique ou celui d'activation sexuelle précoce est bénin chez beaucoup.

Ces « expériences », au sens large du terme, sont tantôt de purs hasards malencontreux, sans intention d'aucune sorte, tan­tôt volontairement provoquées par un agent humain, qui solli­cite l'enfant sexuellement ou quasi. L'enfant qui y est confronté se situe toujours à un degré précis sur l'échelle « subir-provo­quer » Lorsqu'il provoque, c'est néanmoins afin de déclencher une expérience positive, sans imaginer l'atteinte négative qui va lui tomber dessus ! 

Certaines caractéristiques augmentent la probabilité que l'enfant ne vive l'événement que comme une épine bénigne : 

 - Le fait que l'événement soit isolé ou quasi et que l'enfant ait conscience de ce caractère non récurrent ou qu'il connaisse et maîtrise les moyens de contrôler son retour (par exemple, évi­ter telle fréquentation)

 - Le fait qu'il émane d'une personne étrangère à la famille de l'enfant. Si c'est un adulte, le risque d'atteinte psychique diminue encore si cet étranger n'exerce aucune autorité offi­cielle ou morale ni pouvoir d'emprise de facto sur l'enfant.

 - Le fait que l'enfant puisse reconnaître par la suite qu'il n'y avait aucune intention de lui nuire volontairement, même si cela a produit un effet négatif désagréable sur le coup.

 - Le fait que l'événement n'entraîne pas tout de suite une grande frayeur ; que sa remémoration ultérieure ne génère ni trop de honte, ni d'angoisse, ni de culpabilité ; que l'anticipation de son retour possible n'entraîne pas frayeur et sentiment d'impuissance.

 - Le fait qu'il soit suivi le plus rapidement possible par de la parole reconstructive : parole qui explique ce qui s'est passé, qui permet à l'enfant de comprendre qu'il n'était pas menacé dans son intégrité physique, ou encore, parole qui tente de rattraper les choses ; parole où l'agresseur rend compte de ses motivations et demande pardon à l'enfant.

 - Pas de traumatisation secondaire après coup. (cfr chapitre suivant) 

Quelques exemples  d'événements souvent  bénins : 

- Être bousculé sexuellement par un pair ou un plus grand ; être fortement suggestionné par lui ou être forcé à montrer son sexe, regarder celui de l'autre.

 - Être confronté à une exhibition imprévue et sauvage d'un aîné ou d'un adulte ; être confronté à l'improviste à des scènes sexuelles ou à de la pornographie, surtout hard.

 - Être surpris dans une activité sexuelle par un tiers qui désapprouve ou se moque ; être « cuisiné » pour avouer une activité sexuelle et en être sanctionné excessivement ; être trahi par le(s) partenaire(s) qui prétend (ent) avoir été forcé(s). 

-Venons-en maintenant au thème le plus délicat, celui de la (quasi-)sollicitation sexuelle faite par un adulte et de l'activité susceptible d'en résulter. Il n'est pas impossible que cela soit vécu comme « épine » sexuelle par l'enfant, et ce d'autant plus que l'expérience répond plus complètement aux critères de béni­gnité. Ces critères sont parfois rencontrés dans les « dérapages sexuels » — dans le chef de l'adulte — dont un certain nombre représentent, dans le vécu de l'enfant, pas plus que des épines ! Mais cela n'est jamais certain, ni dans un sens ni dans l’autre. 

Comment gérer cette réalité des épines ? 

La majorité des enfants sont à même de cicatriser rapidement l'ipact traumatique ou excitant de ces égratignures, seuls ou aidés. S'il en est ainsi, nous pouvons nous en tenir à :

Les préparer : leur expliquer que les épines égratignent leur corps sexuel et génèrent un souvenir désagréable, mais que leur âme et leur valeur n'en volent pourtant pas en éclats.

 - Leur apprendre à se faire respecter et les y encourager, notamment en acceptant qu'ils nous disent « non » quand nous leur manquons de espect au quotidien.

 - Les prévenir qu'ils ne gagneront pas tous ces petits com­bats sexuels ; nous en avons perdu quelques-uns aussi et c'est ainsi que va la vie : il existe de loin en loin une ronce que l'on a vue à temps et que l'on peut enjamber... ou sur laquelle on s'écorche les mollets.

 - Ne pas les traquer, les laisser libres de se confier ou non à propos de ces incidents. Si un enfant décide d'en parler, com­mençons par l'écouter et par le consoler. Puis, étudions avec lui, de façon réaliste, les tenants et les aboutissants des réactions susceptibles d'exister (au moins sur papier)

-Être vigilant, mais sans excès : Toute intervention, parentale ou autre, doit veiller à ne pas pro­voquer le risque de la traumatisation secondaire et de la stig­matisation par les pairs. Cela n'en vaut pas la peine pour telle histoire — moche au demeurant — qui s'est passée dans les douches du club sportif ! Réagir discrètement entre parents, sans dramatiser, voire « l'écraser » pour cette fois, tout en sti­mulant la prudence de l'enfant à l'avenir, peuvent constituer les réactions positives les plus réalistes. 

Pour la minorité d'enfants très vulnérables, déjà fort trau­matisés par leur confrontation à ces petites épines, comment réagir ? Montrons-nous d'abord sensibles à leur souffrance, qu'ils essaient souvent de dissimuler : allons à leur rencontre et encourageons-les délicatement à s'exprimer. S'ils le font, veillons à ce qu'ils reçoivent de la solidarité familiale et des soins psychologiques adéquats. Par ailleurs, nous pouvons les entraîner, eux aussi, à mieux se défendre et à avoir confiance dans leurs capacités.

 

  Les abus sexuels graves

 

  • Définition de l’abus sexuel : Le mineur est utilisé, sans vrai consentement de sa part, pour la gratification sexuelle de l’auteur, et au moins autant pour la volupté de pouvoir qu’il en ressent. Très diversifiés, les abus émanent souvent de familiers de l’enfant, notamment de membres de sa famille ou d’autres personnes connues qui commencent souvent par séduire l’enfant et par le tromper intellectuellement, plus fréquemment que de l’effrayer.

Il faut toujours prendre en considération, non seulement le fait « abus » mais aussi le contexte qui le rend possible : constitution de l’être de chaque protagoniste ; états de leurs relations, arrière-plan social. Le fait-abus n’est jamais qu’un maillon fort dans un ensemble expérientiel dont les limites historiques, passées et futures, sont floues : en effet, son chemin dans le psychisme de l’enfant se poursuit après la cessation des actes, dans le sens de la reconstruction progressive ou de la destruction continuée.

  • Il est impossible de proposer des chiffres de prévalence fiables, principalement parce que des forces énormes s’exercent pour tenter de dissimuler ces exactions en y réussissant souvent. Accessoirement, on rencontre également des problèmes liés aux méthodologies des recherches. Au terme d’une longue expérience dans ce champ sinistre de la psychiatrie sociale, il me semble raisonnable de penser que, pour l’abus sexuel répété sur une durée de temps significative (plus de trois mois), les chiffres sont un peu plus élevés (6 à 8% des filles – 5% des garçons) 
  • Les abus sexuels frappent les enfants de tous âges : j’ai vu des photos non truquées de bébés violés ; comme il existe de frêles adolescents en perdition qui n’oseraient jamais avouer la somme d’humiliations sexuelles subies au quotidien.

Les sévices sont susceptibles de prendre place dans tous les milieux de vie : entre pairs ou dans la fratrie, émanant le plus souvent d’aînés ; dans la famille, à l’école et même dans les institutions résidentielles censées rééduquer ou soigner l’enfant. Ils se produisent dans toutes les classes sociales : les nantis et les puissants dissimulent mieux les leurs tandis que les milieux défavorisés, surveillés de près par des nuées de services sociaux, voient trop facilement leurs exactions repérées et exposées au pilori sur la place publique.

prudence reste de mise pour que ce ne soit pas les émotions ni le système de valeurs des observateurs et des intervenants qui galvaudent le terme « abus » et l’appliquent aux milieux de vie qui choquent leurs références habituelles : 

 - Par exemple, les familles laxistes, où l’ambiance est « sexe » et où les jeux sexuels dans les fratries sont plus nombreux qu’habituellement, ne sont pas de par ce seul fait des familles marquées par la perversion ou par l’abus sexuel.

 - Tout contact physique tendre entre l’adulte et l’enfant ne signe pas nécessairement de sombres tendances pédophiliques dans le chef de l’adulte. Et pourtant, il est consternant de constater que les adultes professionnels osent de moins en moins toucher les enfants, ou reconnaître explicitement le charme de leur corps, alors que ceux-ci ont tellement besoin de ces signes pour se sentir aimés et important 

 

  L’étiopathogénie de l'abus sexuel

 

 L’abus sexuel ne se limite jamais à l’affrontement, dans une séquence de temps donnée, de caractéristiques psychologiques et physiologiques de ses deux protagonistes d’avant-plan, l’auteur et l’enfant. Une multitude de facteurs partiels d’incitation ou de protection s’enchevêtrent ou se mettent en sommation ou en résonance pour créer une dynamique personnelle, familiale ou groupale ouvrant la porte à l’abus. Les voici décrits, en allant du plus général au plus particulier : 

 

I. Les sociétés industrialisées, leurs aspirations et leurs diktats. 

 

Parmi les incitants au passage à l’acte sexuel tous azimuts, relevons : 

- L’ambiance de stress diffuse de la vie contemporaine ; la nécessité d’être rapidement efficace qui fait parfois utiliser l’enfant comme la poupée gonflable des tensions et frustrations adultes. 

- Le matérialisme et la promotion d’idées d’égo-centration. « Fais ce qui te plaît ; tu as le droit si pas le devoir de penser à toi…c’est ça, être toi-même », dit-on, et non plus « Retiens-toi pour le bien-être de tes proches et de tes enfants ».

- Les messages de consommation de sexe-plaisir qui inondent nos vies quotidiennes. Ils poussent à « le » faire, avec émoussement des normes : « Si dix milles personnes dans le monde le font comme moi, c’est donc que c’est normal » pense le consommateur de pédopornographie…

- Comme la conscience réflexive et la liberté intérieure exercent une fonction centrale dans l’espèce humaine, celle-ci est capable du meilleur ou du pire à l’égard de ses propres petits. Le meilleur existe, présent dans tant d’actes de sollicitude, de dévouement et de générosité. Mais le pire aussi : des individus, des groupes, des nations choisissent de sacrifier les intérêts profonds des enfants, parfois leurs propres enfants, à des objectifs d’adultes estimés prioritaires. S’en suivent alors, pour ce qui nous occupe ici, tant et tant de modalités d’exploitation et de consommation des plus vulnérables, dans l’indifférence des témoins. 

 

II. Les dysfonctionnements familiaux 

 

La majorité des abus se déroulent dans l’intimité des familles, nucléaires d’origine, recomposées ou élargies. Ces familles ont parfois l’air sans histoires. Quelques dérapages de brève durée peuvent néanmoins y prendre place, où les circonstances sociales jouent de tout leur poids pour déstabiliser brièvement des personnes ou des familles habituellement équilibrées (Hayez, 2004, p. 167 et sq.). Parfois même, l’auteur y vit une double vie et ses passages à l’acte, plus habituels, relèvent d’un darkside secret.

Mais plus souvent, les relations entre les membres de ces familles sont durablement dysfonctionnelles ! Pensons par exemple à l’échec de la relation conjugale ; la disqualification du futur auteur, sa solitude, son repli barricadé sur soi ; la violence ou la tyrannie domestique ; le chaos, les débordements émotionnels, avec la mouvance perpétuelle des liens et l’inconsistance des règles ; la promiscuité, le manque d'intimité pour certains gestes du quotidien (déshabillage,…) ; le manque de socialisation et d’éducation des parents et le manque de valeurs sociales dans la famille. Ailleurs, ce sera l’ambiance incestuelle déjà évoquée. 

 

 III.  L’absence ou le rôle négatif des tiers 

 

Les tiers sont les individus ou les institutions côtoyant la maltraitance sexuelle qui se prépare ou s’exerce entre l’auteur et sa victime. Si celle-ci peut s’installer ou persister, c’est aussi parce que ces tiers n’ont pas pu ou voulu prendre une place efficacement positive pour ouvrir l’œil, protéger la victime ou dissuader l’auteur.

Le tiers est parfois réellement absent dans la vie de l'auteur ou de l’enfant concerné. L'isolement social génère régulièrement des troubles psychiques (mauvaise image de soi) et des comportements d'auto–consolation et de remplissage du temps regrettables (alcoolisme et autres addictions ; compensations sexuelles non-acceptables). On le voit bien, par exemple, chez les célibataires sans vie sociale ou dans certaines familles monoparentales repliées sur elles-mêmes. 

Ailleurs, les tiers sont présents mais s'abstiennent d'intervenir : 

 - Parfois par vraie ignorance : ils n’ont jamais imaginé  la double vie de l’auteur.

 - Plus souvent cependant le tiers a des doutes et s’efforce de les dénier, en raison de l’angoisse si que soulève en lui l’idée d’explorer davantage (violence de l’auteur ; éclatement des structures ; honte publique…)

- Parfois aussi, il peut s’agir d’ambivalence à l’égard de l’enfant sacrifié, jusqu’à se venger sur ce dernier d’autres maltraitances  subies par ce tiers dans son passé ou son présent.

- Au pire, il y a la complicité passive : ici, l’entourage vit des suspicions importantes, voire sait tout mais choisit de se taire : telle femme, prenant de l’âge et/ou sans ressources financières propres, sait très probablement ce que son mari fait avec leur fille, et pourtant elle laisse aller.

Et nous ne voulons pas non plus faire quitte de leurs responsabilités les grands enfants ou adolescents, frère ou sœurs, qui savent parfois ce qui se passe et ne disent rien par peur, par rivalité fraternelle ou soulagés qu’ils sont d’être épargnés (1)

IV. Facteurs de provocation provenant de l’enfant-victime 

 

Ces facteurs, volontaires ou non, ne jouent pas de façon constante et c’est alors sur un enfant sans caractéristiques particulières que s’abattent les sévices. Ailleurs, il émane de l’enfant comme des points d’appel qui vont attirer sur lui l’attention négative du futur auteur ou l’inertie des tiers : 

-Certains enfants ne comprennent pas vite ce qui leur arrive, sont suggestibles ou timides, ou n'ont pas beaucoup de moyens pour s'esquiver : on sait malheureusement que les enfants avec handicap sont plus à risque que les autres, parfois dans les institutions mêmes où ils sont censés être protégés et éduqués.

-D’autres sont en demande de reconnaissance et de tendresse physique, attirant l'attention sur un mode parfois trop « sexy » sans pour autant vouloir tout de suite « du sexe ». Mais une fois que l'adulte les manipule intellectuellement et les cajole pour aller plus loin, ils se laissent souvent faire.

-Quelques autres, déjà hyper-érotisés, font de la franche provocation sexuelle.

-Au début du processus d’abus, nombre d’enfants pourraient se protéger plus efficacement. Certains y parviennent, discrètement ou avec de l’aide. Mais beaucoup ne réagissent pas, par ignorance ou soumission, en référence à une image immature de ce que doivent être les rapports enfants-adultes.

Par la suite, une partie des enfants se transforme de l’intérieur et élabore des stratégies d’adaptation… qui ne font qu’aggraver les choses : soumission, culpabilité, dépression, confusion des idées et adhésion partielle à celles de l’auteur…. 

 

V. Caractéristiques personnelles des adultes auteurs d’abus 

 

Hormis quelques cas de dérapage isolé, fort liés aux circonstances du moment, la plupart des abus sont des phénomènes répétitifs, parfois sur de très longues durées.

La génétique de leurs auteurs y joue-t-elle un rôle? Au titre d'une prédisposition, spécifique ou non, probablement oui pour une partie d’entre eux. Ainsi, la génétique est à l'origine de besoins sexuels basiques, différents chez les uns ou chez les autres. On l’invoque même parfois pour prétendre que, quand il y a une dimension pédophile « structurale », il existe des particularités dans le cerveau. Par ailleurs, sur un mode aspécifique, nous n'avons pas tous la même tendance à l'agressivité et à la domination, ni à la joie de vivre ou à l'insatisfaction,… Mais il est généralement admis que ces facteurs génétiques « prédisposent à » la construction psychique de chacun, qui est aussi liée à son histoire de vie et à une part d'autocréation. Donc, le patrimoine génétique ne supprime pas la liberté individuelle, mais il en rend parfois l'exercice plus difficile.

Cela étant, on retrouve chez les auteurs d’abus cinq grandes catégories de construction et de fonctionnement psychiques. Ces fonctionnements ne sont pas incompatibles à quelques restrictions près :

 A. D’abord certains vivent tout simplement une grande appétence pour les activités sexuelles et le plaisir qu’elles entrainent, qui n'ont pas spécifiquement l'enfant comme objet. Ils sont néanmoins à risque de lui tomber dessus occasionnellement, si en outre ce sont des impulsifs qui n'ont pas beaucoup socialisé leurs importantes pulsions agressives et sexuelles, qui résistent mal aux frustrations et aux tentations, et dont la famille ou l'entourage est parfois lui-même chaotique. Il est possible que le  beau-père que nous évoquions dans la première vignette clinique appartienne à cette catégorie. Mais il n'y a pas qu’eux. On peut évoquer aussi des relations de pur plaisir entre de jeunes adolescents consentants et des adultes apparemment davantage maîtres d’eux. Entre adultes, on appellerait ces activités des « plans Q ». Nous avons déjà dit que le consentement, voire la provocation par l'adolescent, n'enlève rien au fait que ce sont des abus mais ici, ce ne sont pas les plus traumatisants de tous:

- Tel jeune de 14 ans va de temps en temps réviser ses maths chez son voisin célibataire de 40 ans… mais pas que ça.

- Telle femme aime initier les adolescents, parfois bien jeunes, qui se repassent même son adresse. Après l'accouchement à la vie par la « femme-mère », la « femme-pute » se plaît ici à accoucher les jeunes à la vie sexuelle.

Dans leur autobiographie, un certain nombre d'écrivains se plaisent à évoquer ces initiations, dont ils sont plutôt fiers. Quant à Louis XIV, Mazarin et sa mère l’ont mis dans le lit d’une courtisane à 12 ans… 

B. Vient alors le besoin de dominer, de soumettre l'enfant corps et âme, de le terroriser, d’entamer et de détruire une partie de son intégrité physique et morale, que l'on rencontre chez les individus violents et tout-puissants. Leur tyrannie se réalise parfois sans cris, via un autoritarisme rigide incluant le droit de cuissage. Ailleurs, une violence chaotique est bien présente dans le quotidien. On trouve parfois dans l’enfance de ces auteurs un bain de violence dont ils ont été eux-mêmes victimes.

C. Des adultes dépressifs, peu satisfaits d'eux-mêmes, en échec de vie peuvent rechercher avec l'enfant, non seulement une évasion dans la drogue du plaisir sexuel, mais aussi un amour consolateur. L'enfant est celui qui leur montre qu'ils valent encore quelque chose, qu'ils peuvent fréquenter sans s'entendre critiquer, par qui ils ont l'impression quelque peu illusoire d'être aimés. Eux aussi trouvent parfois l’origine de leur faible estime de soi dans un passé lourd en disqualifications et violences. Ils ne cherchent pas à aimer, mais à être aimés.

 D. Viennent alors deux sous-groupes, les seuls à mériter structuralement la qualification « pédophile » ou mieux,  « auteurs porteurs d’une dimension pédophile ».De leur point de vue subjectif, ce qui est essentiel, c’est l’amour donné à l’enfant. Le sexe qui s’y ajoute n’est vécu que comme la consécration de cet amour.

-Le premier sous-groupe, le plus fréquent, est constitué d’adultes ou de grands adolescents porteurs d’une immaturité affective plus ou moins dissimulée ; dans nombre de domaines relationnels et sociaux, ils sont performants. Mais face à l’enfant, ils se conduisent eux-mêmes comme des enfants en quête de pairs, ou voulant rejouer à travers leur cible une tendre relation parent-enfant de leur passé. Ils cherchent donc de l’amour à partager, une présence privilégiée, de la sensualité et franchissent la barrière du sexe, comme preuve de leur grand amour davantage que comme source de plaisir.

Dans le passé de ces auteurs, on retrouve assez souvent ce que nous avons appelé un climat incestuel, où, enfants, ils ont été enlisés dans de la sensualité trouble; le parent incestuel a excité leur sexualité et il n'est même pas impossible qu’il ait franchit le cap de l’inceste.

Dans d'autres cas, c'est moins évident, mais on peut supposer que les futurs auteurs ont vécu leur (petite) enfance comme un moment particulièrement heureux, où ils se sentaient le (la) préféré(e) des parents, et où beaucoup de tendresse physique existait, sans aller déjà jusqu'au malsain. Ils veulent donc revivre ces moments-là. 

- Plus rare, le deuxième sous-groupe correspond aux plus radicaux des pédophiles, dont la science ne sait pas encore très bien pourquoi ils semblent l’être depuis toujours.

Leur amour pour un enfant, repéré pour des caractéristiques précises et variables, est passionné : ils veulent se donner corps et âme à lui, qu’ils convoitent et idéalisent ; c’est « l’obscur objet du désir » nécessaire à leur bonheur. Ils se dévouent pour lui  et attendent fondamentalement la réciproque, pour ne plus faire qu’un en deux, dans une nirvana primitive. Elle inclut la rencontre et la fusion des esprits, des sentiments amoureux, et des corps. Ils n'ont  qu'un(e) petit(e) ami(e) à la fois, souvent secret et  pour une longue durée.

 E. Il y a enfin les pervers sexuels (2) au sens psychiatrique du terme. Ils ne cherchent qu'une jouissance vécue par eux comme « exquise », bien au-delà du plaisir sexuel ordinaire ; la personne de l’enfant n’a aucune importance, seule compte la jouissance que provoquent des activités précises, parfois très  hors standards, au scénario répétitif. La perversion sexuelle ne concerne pas spécifiquement la consommation de l’enfant, mais un grand nombre de pratiques déviantes comme par exemple le sadomasochisme ou la zoophilie. La perversion est avérée lorsque la forme de la pratique sexuelle est bizarre, très en dehors de ce que la culture convient comme sexualité  ordinaire….et en plus que cette pratique est privilégiée, recherchée et reproduite en ordre principal non pas comme un jeu préliminaire, mais parce qu’elle est censée procurer le meilleur plaisir sexuel. Et cela depuis longtemps et pour longtemps. Parfois, la contrainte intérieure est forte pour retrouver ce type de plaisir (addiction) Quand il y a un partenaire, enfant ou adulte, la personne de celui-ci est toujours niée : il ne constitue qu’un instrument pour la jouissance du pervers.

 

Pour un certain nombre d'auteurs, les plaisirs et satisfactions vécus impunément en passant à l'acte ont un effet  boule de neige : mémorisés, ils constituent un « renforçant positif » du comportement et l'auteur veut les reproduire, connaissant parfois une réelle dépendance.

Addiction ? Quelle part de liberté intérieure  reste-t-il donc aux auteurs? C'est variable ; néanmoins, dans la grande majorité des situations, les abus qui s’abattent sur l’enfant ne sont pas le strict résultat d’impulsions irrésistibles. Même si l’être humain qui s’y livre y est prédisposé, par sa génétique ou par sa psychopathologie, il choisit in fine, et il programme en connaissance de cause d’achever le comportement répréhensible vers lequel son destin commence à le pousser. L’auteur a donc en lui et une dimension pathologique, et une dimension mauvaise, qui lui fait choisir de l’immoral. Il relève et de soins et de la réprobation de la communauté.

 

 

 

Les atteintes majoritairement présentes chez l’enfant-victime

 

L’atteinte de l’enfant est la conséquence, non seulement des actes abusifs directs dont il est l’objet, mais aussi de l’ambiance relationnelle générale dans laquelle ils ont le champ libre. Sont affectés en proportions variables : son corps, ses idées et ses valeurs, ses grands sentiments et les représentations qui les accompagnent, la mise en place de certaines dimensions de sa personnalité et ses comportements.

Beaucoup sont psychotraumatisés plus ou moins longtemps. Une minorité est « allumée sexuellement » précocement et abondamment. Une minorité encore est à peine atteinte psychiquement, davantage troublée que blessée, et tourne rapidement la page de ce qui lui arrive

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I. Les enfants psychotraumatisés

 

 

A; On constate fréquemment de la distorsion cognitive, c’est à dire des erreurs de pensée, en partie induite par l’auteur et en partie générée par le pouvoir d’autocréation de l’enfant, ici erroné. Un certain nombre pense être vraiment mauvais et mériter son sort ; d’autres encore pensent que la manière dont on les aime, avec du sexe, est normale, si pas un cadeau privilégié ; ils en voient une confirmation dans les éventuels moments d’excitation et de plaisir que leur corps ressent, etc.

 B. L’enfant est fréquemment habité par un va-et-vient d’affects pénibles et de représentations mentales qui y sont liées (« vécus intérieurs ») Les vécus intérieurs les plus habituels sont : 

-L’angoisse : angoisse de l’imprévisibilité du retour du sévice, souvent avec des préludes odieux  ; angoisse d’avoir mal, d’avoir le corps définitivement abîmé, de mourir peut-être ; angoisse que ça se voie à l’extérieur, d’une manière ou d’une autre ; angoisse d’être repéré et « cuisiné » pour avouer ;  angoisse de tout détruire autour de soi ou de la punition, jusqu’à  aller en prison parce que « on l’a fait »; angoisse d’être abandonné, de perdre l’affection des autres parce que stigmatisé ; etc. 

ILL. Avec Michaël, huit ans, anormalement agité et agressif depuis un abus sexuel répété, avec sodomie, commis par un marginal proche de la famille, il faudra que je recoure à des jeux de rôle pour l’aider à exprimer ses angoisses les plus secrètes … dans les jeux de rôles, je suis un petit garçon en visite chez le Dr et je lui demande, en n’osant pas trop poser ma question, si ça peut arriver que des petits garçons attendent un bébé quand ils ont été sodomisés. Malgré qu’il m’assure que ça n’arrivait presque jamais, le "Dr" eut l’air très soulagé que je lui pose la question, et nous pûmes en discuter entre hommes … 

 

-La tristesse, la désillusion, le désespoir : se sentir ne valoir rien,  ni pour l’auteur, qui ne se retient pas, ni pour l’entourage ; se sentir un enfant inefficace, incapable de bien se protéger : une sorte de mouton noir marqué par le doigt du destin pour être attaqué à juste titre. Perdre confiance dans la grande majorité des autres ; se barricader dans sa solitude. Tristesse qui peut continuer après la révélation, si l’ambiance est à la traumatisation secondaire.

La tristesse a très souvent une forte corrélation avec une mauvaise image de soi. L’enfant se confirme pour lui tout seul sa non-valeur, présente et à venir. 

 

 

 ILL.  Un père fait des attouchements sexuels sur sa fille Noémie (neuf ans) et sur une petite amie venue loger à la maison. Celle-ci révèle tout. Scandale. Le couple parental se sépare et le père fait de la prison. Mais il veut « posséder » Noémie, et même sorti de prison, il vient l’attendre l’une ou l’autre fois à la sortie de l’école … Noémie a perdu toutes ses amies, et a l’impression qu’elle n’en retrouvera plus jamais ; elle somatise beaucoup … et symbole sinistre et merveilleux à la fois, elle me dessine, au lieu d’un personnage, une tête de petite fille,  sans corps et marquée au fer rouge  par de nombreux et gros grains de beauté. Beauté maudite, qui a attiré l’attention de son père, et l’envoie ensuite au monde des damnés ! 

La tristesse a également une forte corrélation avec la culpabilité : l’enfant se sent en faute simplement parce qu’il l’a fait … ou que cela lui a plu à certains moments …

-Chez quelques-uns, surtout dans les contextes les plus violents et les plus barricadés de silence, des représentations agressives inconscientes peuvent s’accumuler lentement : même sorti de la dynamique de sévices, l’adolescent, puis l’adulte sont comme des bombes à retardement ; qui ont la haine en eux.

 C. Les comportements qui s’en suivent 

-Chez beaucoup, la vie quotidienne reflète ce mal-être intrapsychique diversifié. Il y aura donc des indicateurs d’angoisse (jusqu’au franc syndrome de stress post-traumatique), de tristesse, de désillusion si pas de désespoir face aux autres ;  des signes d’échec, d’auto agression ou d’évitement des sources de joie, liés à la mauvaise image de soi, apparaîtront également.

Ce n’est cependant pas systématique : certains se montrent presque capables d’avoir une double vie. Ils s’efforcent de ne plus penser aux moments des abus et ne s’y prêtent que de corps. Leur vrai « Soi » est ailleurs. De là à dire que ce « Soi » de tous les jours est bien épanoui, il y a un pas à ne pas franchir ! 

-Qu’en est-il de la régulation quotidienne par l’enfant de son agressivité ou de sa sexualité ?

En cas de sévices sexuels, il existe chez beaucoup d’enfants de nombreuses réactions de pudeur, d’inhibition ou/et de gêne anormalement contraignantes. On peut observer néanmoins chez eux  de loin en loin, de façon imprudente, des moments de sollicitation inadéquate, impulsive et parfois brutale de l’autre, tant d’adultes souvent connus  que d’enfants beaucoup plus jeunes. Ici l’enfant abusé veut reprendre le pouvoir sur l’exercice de sa sexualité, dans une dynamique d’identification à l’agresseur.

D.Enfin, à quels comportements a-t-on à faire face aux abus eux-mêmes ? 

Seule une minorité d’enfants, indignée, choquée, confie rapidement à une personne de confiance les sévices dont il vient d’être victime.

Bien plus souvent, l’enfant-victime participe à la loi du silence. Il s’efforce même de dissimuler les preuves qu’il est agressé. Face à son agresseur, il finit par se soumettre plus ou moins passivement. Il « entre » dans la culture de l’isolement et du secret que l’agresseur instille autour de sa relation avec lui. Pourquoi ? Peur des conséquences de la révélation, désespoir, mauvaise image de soi, idée fausse qu’il vaut encore mieux être aimé comme ça que pas aimé du tout … La majorité des abus demeure donc probablement définitivement cachée, ou liée à des révélations tardives, à l’âge grand adolescent ou adulte. 

 

II. Les enfants « allumés »

 

Certains abus ne se déroulent pas dans un contexte d’angoisse, mais plutôt de séduction, de tromperie intellectuelle douce, d’initiation au plaisir physique, de privilèges affectifs offerts …

Alors, une (bonne) partie des enfants peut s’y laisser prendre avec comme conséquences : 

-Recherche active de la perpétuation du lien affectif (et sexuel) avec l’auteur, qu’il s’agisse d’inceste ou de pédophilie. Comportements qui montrent bruyamment l’existence d’un lien sexuel et affectif privilégié ; ou, au contraire, dissimulations habiles pour masquer le lien.

- Ou/et éveil précoce de l’hédonisme sexuel chez l’enfant. Plusieurs chemins s’ouvrent alors à lui et par exemple devenir un enfant « sans retenue sexuelle » (cFr le livre « La sexualité des enfants», odile Jacob, 2004)….ou encore, (Plus rare) s’identifier totalement à l’adulte initiateur et reproduire ses perversions (par exemple pédophiliques)...ou aussi (plus rare)  réorientation homosexuelle (mas il faut aussi d’autres facteurs de prédisposition) 

 

III. Les atteintes physiques 

 

Après révélation d’abus sexuel, les stigmates physiques de celui-ci sont loin d’être constants : dans 40 à 50 % des cas, le corps de l’enfant est intact et n’est pas souillé par des traces spécifiques de son abuseur. Les autres fois, il y a suspicion ou preuve d’abus sexuel (défloration ; lésions anales ; maladie vénérienne ; voire grossesse), mais pas ipso facto preuve de l’identité de l’abuseur ! 

 

Le devenir à long terme des victimes

 

je vous renvoie à l'article   Le devenir à long terme des enfants et des adolescents victimes d'abus sexuel  Il décrit les conséquences tardives de l'abus de façon détaillée

 

I. Des critères de gravité :

 

Il existe des critères qui permettent de prédire prudemment que l’atteinte psychique de l’enfant sera plus grave et plus durable : 

- Des facteurs individuels de tempérament (manque de résilience ; tendance au pessimisme, à la dramatisation, au laisser-aller, etc.) 

 - Le caractère abondant et répétitif des abus et  l’imprévisibilité du moment de leur retour ; le fait qu’ils soient imposés et échappent à tout choix de l’enfant 

 - Une solitude de plus en plus totale : l’enfant ne  trouve aucun recours, soit que les abus ont lieu en grand secret, soit  que les témoins se montrent parfaitement indifférents, si pas soulagés de ne pas en être la cible.

 - L’ambiance dans laquelle se déroule les abus : vraiment effrayante, elle est source de stress post-traumatique ;  perverse, elle peut allumer sexuellement l’enfant et lui donner le goût d’une sexualité plus ou moins déviante ; certains abuseurs tout-puissants veulent posséder toute la vie de l’enfant (ses pensées, l’obliger à s’habiller comme ils le veulent) 

 - L’argumentation à laquelle l’auteur recourt pour justifier les abus : culpabiliser l’enfant ; lui faire comprendre qu’il sera coupable de détruire la famille s’il parle ; lui dire qu’on fait cela pour son bien, que c’est une forme évoluée de l’amour parental …

 - Le degré d’effraction dans le corps de l’enfant surtout si c’est brutal et non consenti. Mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai, par exemple, les dégâts de la seule cruauté morale peuvent être considérables.

 - Le statut de l’auteur ;  l’enfant est d’autant plus affecté que l’auteur peut être mis au rang des adultes ; encore davantage si c’est un membre de la famille qui devrait être retenu par les liens de sang ou si l’auteur a sur l’enfant une autorité morale qu’il dévoie (prêtre, enseignant, psychothérapeute etc.)

 - L’existence d’une traumatisation secondaire après la révélation des sévices : on ne croit pas l’enfant, les institutions censées l’aider sont dysfonctionnelles et blessent sa sensibilité, on le laisse tomber, voire on le remet aux mains de son abuseur blanchi comme neige.

 - Le silence continué ; l’incapacité de faire confiance et de s’ouvrir de ce qui s’est passé à qui que ce soit ; le rejet ou le mépris émanant de ceux qui sont mis au courant - par exemple celui dont on était amoureux - ; la persistance de la solitude.

 

 II. Une palette diversifiée des devenirs 

 

Sur l’échelle  des devenirs, on observe des personnes, adolescentes ou adultes : 

-A peine troublées de l’intérieur par les abus qu’elles ont vécus comme une  fatalité incapable de détruire leur être profond.

-Meurtries, mais ayant partiellement cicatrisé leur souffrance. Bien décidées à faire de leur vie une réalité positive, ce qui reste bien à portée de leur volonté.

- D’autres demeurent démolies de l’intérieur, sans réelle cicatrisation ; on les voit alors exprimer leur souffrance rémanente sur un mode bruyamment négativiste, ou sur un mode dépressif, en auto-agressant éventuellement l’être sans valeur qu’elles croient avoir toujours été (par exemple toxicomanie, anorexie mentale, TS au début de la vie adulte)

C’est surtout le cas lorsque les critères de gravité étaient intenses au moment où existaient les abus (par exemple : volonté de posséder l’enfant ; tromperies sur le fait que l’on fait cela pour son bien ; indifférence, lâcheté et mauvaise foi de l’entourage ; montée précoce d’une fort mauvaise estime de soi ; persistance du silence, si pas du rejet après coup) On voit alors :

--Des grands adolescents et des adultes mal dans leur peau, avec une estime de soi des plus fluctuante, avec de l’insécurité, se sentant vite coupables, sans vrai épanouissement sexuel.

Dans des cas extrêmes, cette souffrance peut être énorme à la fin de l’adolescence (TS, anorexie). Dans d’autres, elle porte le plus intensément sur la vie sexuelle (dégoût, inhibition, fugue …). 

Plus de deux ans après la cessation d‘un abus par son père, Cindy ne peut toujours pas représenter le corps d‘une fillette en entier ; elle limite à la tête, marquée par des taches chaque fois que « la petite fille fait quelque chose de mal »

--Sur un mode proche, certains se montrent plus activement négativistes, avec de l’autodestruction et de l’hétéro destruction plus ou moins dissimulée : comportements antisociaux, addictions, vie sexuelle dissolue ou prostitution …

--D’autres encore, centrent leur vie sur la colère et les revendications exprimées contre l’abuseur et les témoins, ils peuvent aussi se limiter à l’hystérisation bruyante du rôle de la victime (via livres écrits, médias, etc. …)

--Dans un autre ordre d’idées, nous avons déjà fait référence à « l’allumage » sexuel précoce qui peut perdurer en ce inclus parfois l’adoption des perversions de l’auteur initial.

 

III. Le risque de la reproduction transgénérationnelle

 

C’est loin d’être une fatalité ! Deux sous-groupes sont particulièrement à risques : 

-Les enfants qui ont été très allumés sexuellement, par des initiateurs – prosélytes particulièrement vicieux.

-Les enfants qui ont vécu en permanence dans des ambiances particulièrement violentes, dont ils ont été des témoins permanents et des victimes directes à l’occasion, et qui n’ont jamais pu bien parler de leurs souffrances et frayeurs. Ils restent porteurs de traumatismes intra-psychiques pas élaborés, encore « chauds » des années après et il n’est pas impossible que, impulsivement, lors de circonstances évocatrices, ils se rejouent leur traumatisme à l’envers en agressant plus ou moins brutalement autrui … 

 

La fiabilité de l’enfant qui révèle

 

je vous renvoie à la lecture de l'article   La fiabilité de la parole de l'enfant et de l'adolescent  

La prise en charge : considérations générales

 

Nous partirons de la description des besoins fondamentaux des enfants-victimes. Nous examinerons ensuite la manière dont beaucoup de sociétés se sont organisées pour y faire face et évaluerons leurs résultats

I. Les besoins fondamentaux des enfants-victimes 

 

A. Primum non nocere: Il est impératif que la mise en place de l’appareil institutionnel censé aider et que les interventions concrètes des professionnels, additionnées, n’aient pas un effet plus traumatisant que la maltraitance elle-même. Ce risque n’est pas une vue de l’esprit : il semble que plus de la moitié des enfants qui ont dénoncé un abus sexuel regrettent finalement de l’avoir fait ! L’enfant ne discerne pas les mauvais et les bons agresseurs ; il veut moins souffrir, un point c’est tout ! Nous avons encore énormément à gagner en discrétion, en vraie sollicitude pour sa personne, en générosité, en compétence technique, en coordination, en maîtrise de nos émotions, etc. pour que se réduise significativement le phénomène de la traumatisation secondaire.

B. Rompre le mur du silence et bénéficier d’une présence engagée et bienveillante à ses côtés. Présence de certains de ses proches si possible, présence d’un ami, présence de professionnels … à tous ces compagnons de route « qui acceptent de savoir », il revient de : 

 - Ecouter ; encourager l’enfant à se libérer de ce qu’il a sur le cœur, à faire part de ses incertitudes et de ses questions ;  « Quand et pourquoi ça a été le plus dur ? » « As-tu des questions qui te restent sur le cœur aujourd’hui à propos de tout cela ? As-tu encore des inquiétudes ? Y a-t-il des choses que tu n’as pas comprises ? Cherche bien … ». A l’enfant de s’énoncer alors, et ce qu’il dira sera peut-être étonnant !

 - Résister au réflexe de le reprendre et de corriger ses dires trop vite, en référence à des émotions de mère-poule ; accepter d’abord la présence de ses affects et de ses idées tels qu’il les ressent  spontanément : S’il dit « C’est ma faute », ne pas plonger trop vite sur l’américanisme à l’eau de rose « Mais non, mon chéri, dis-toi bien que tu n’y es pour rien ». S’efforcer plutôt d’explorer, de finir quand même par se différencier, c’est à dire par ce qu’on pense. « Ta faute, d’après toi, concrètement, elle consiste en quoi ? »

 - Donner à l’enfant cette chance unique d’être cru pour ce qu’il raconte de plausible et le lui signifier même si, par la suite, des experts professionnels devront mieux analyser ses dires ; au minimum, reconnaître une souffrance  bien présente !

 - S’engager : partager des émotions et des idées ; en prenant son temps, se différencier, délicatement et respectueusement,  des idées fausses les plus toxiques de l’enfant ; pouvoir s’indigner, rassurer, consoler l’enfant, lui redire la valeur d’être qu’il conserve.

 - S’engager concrètement dans les processus de protection et d’amélioration des relations dont je parlerai bientôt.

 - Parler d’autre chose ; ne pas réduire l’enfant à sa dimension « victime de sévices » ; s’intéresser avec lui aux intérêts positifs qu’il conserve, à ses autres idées, questions et points de souffrance.

 C. Protéger concrètement l’enfant, tant des récidives d’abus que d’une ambiance de vie délétère. S’engager personnellement dans le processus ; en surveiller l’évolution et sans jamais faire une confiance aveugle aux promesses officielles des institutions.

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Pelle le conquérant (B. August) Le père de Pelle, d'une grande pauvreté, n'a pas osé protéger son fils face à l'abus sexuel commis par le jeune régisseur....il a reculé...llâchement???

-Il est important que quelqu’un – le premier confident vraiment choisi par l’enfant ? – se sente porteur d’un sentiment de sollicitude et de responsabilité de longue durée[3].

Dans la majorité des cas, ce qui se passe dans les institutions est plutôt frileux et  hésitant : les suspects nient comme de beaux diables, et d’autres éléments ne sont pas toujours complètement sûrs ; les services institutionnels sont débordés ou en rivalité. Alors, il faudra toujours le courage déterminé de l’un ou l’autre professionnel, les plus généreux, les moins timorés, pour aller de l’avant. En passant à travers d’inévitables moments de doute ! En s’efforçant d’éviter des attitudes contre-productives comme l’activisme, la précipitation, le manque de discrétion … et leurs contraires, la ritualisation bureaucratique ou le superbe isolement.

Partant, un certain nombre de mesures de protection réalistes sont programmables, mais qui nécessitent parfois la séparation du couple parental ou celle de l’enfant et de son milieu familial originaire.

-Tant à titre préventif que remédiatif, il faut se rappeler que l’enfant peut participer à sa propre protection, du moins à partir d’un certain âge et à la mesure de ses forces et de son intelligence. Il peut le faire tant en utilisant des stratégies de prudence et d’évitement, qu’en disant des « Non » plus fermes et bien motivés ; tous les agresseurs potentiels ne sont pas des psychopathes, loin de là … beaucoup sont  des minables ou des séducteurs qui essaient, mais que l’enfant pourrait remettre à leur place. Surtout s’ils ont l’intuition qu’en outre,  l’enfant est disposé à ne pas tenir sa langue.

-Et en effet, l’enfant peut aller chercher un supplément d’aide juste autour de lui, parfois déjà chez ses amis ou dans sa fratrie. La vigilance, la solidarité, la détermination de l’entourage informel et sain de l’enfant peuvent alors être des adjuvants précieux, sans pour autant se transformer en vengeurs d’extrême droite ni vouer systématiquement l’agresseur aux gémonies.

-Les rares fois où l’on ne peut vraiment rien gagner en protection matérielle, même dans le cadre d’un engagement courageux, on peut s’efforcer de rester en contact avec l’enfant et ouvrir son esprit à la réalité intérieure de l’intégrité spirituelle : un adulte a peut-être le pouvoir d’abîmer son corps d’enfant mais jamais de s’emparer ipso facto de son âme. Si l’enfant le veut de toutes ses forces, le plus pur de lui-même, - c’est à dire son être spirituel – restera hors d’atteinte.

D.  Si c’est indiqué, les enfants vont bénéficier du fait que l’on profite des circonstances pour améliorer le sort social de leur famille ou la qualité du tissu relationnel dans lequel ils vivent.

Néanmoins, ils apprécient encore plus fondamentalement qu’on les traite comme des sujets humains, et plus comme des objets de l’emprise d’autrui. Il faudra donc prendre très au sérieux leurs « Oui » ou leurs « Non » par rapport aux projets qu’on leur présente, notamment les projets psychothérapeutiques.

 E. Les enfants n’aiment pas que leurs malheurs soient racontés à tous les vents des salles des profs et nous avons donc un devoir de discrétion à leur égard. Dans le cadre de cette discrétion, beaucoup finissent néanmoins par apprécier qu’il existe une reconnaissance sociale du préjudice qu’ils ont subi. Sociale, cela veut dire : au moins par un petit groupe de personnes proches. Ils apprécient aussi que tombe une sanction sociale ou pénale de l’agresseur et si possible une réparation concrète de sa faute. Ils ne veulent néanmoins pas toujours couper tous les ponts avec lui. 

 

II  L’équipement et les processus institutionnels conçus par nos sociétés industrialisées permettent-ils de répondre à ces besoins ? 

 

Nous nous référons à la situation de la Belgique francophone, qui est paradigmatique ; ce qui se passe dans les pays voisins y est très analogue.

C’est vers 1980 que la société civile a regardé en face officiellement les nombreux phénomènes de maltraitance infantile. L’Etat a alors commencé ses campagnes de mobilisation et créé quelques institutions-pilotes, les équipes « SOS – Enfants »

En multipliant des canaux de communication adaptés, on  a matraqué aux enfants (et à leur entourage) un message qui peut se synthétiser ainsi : « C’est inacceptable qu’on vous fasse subir des abus (ou d’autres sévices). C’est contre les droits des enfants. Dites non si ça vous arrive. Parlez-en et demandez de l’aide à une personne de confiance. Vous serez bien aidés ! »

Message néanmoins angélique dans sa dernière partie. D’une part l’aide officielle a des résultats (très) modérés. D’autre part on n’a jamais vraiment expliqué aux enfants – du moins aux plus grands – comment ils pouvaient mieux se défendre personnellement, ou avec l’aide du tissu social proche en étant efficaces et sans prendre trop de risques. On s’est limité à brasser le message : « Passez la main. Signalez »

Et les Etats ont beaucoup misé sur des structures très spécialisées, de troisième ligne, déjà en place ou créées pour la circonstance. En oubliant que le fonctionnement de telles structures est très coûteux et donc qu’elles ne peuvent rendre que des services limités sur le plan quantitatif ou alors accumuler des retards  incompatibles avec la chronologie des sévices. 

 

A. Quelles sont ces structures très spécialisées ? 

 

 Au début, on a mis en place les équipes SOS-enfants », équipes psycho-médico-sociales spécifiques, organisées dans la perspective d’une prise en charge des problèmes qui soit déjudiciarisée, « à l’amiable ». Certes, dès les débuts, si les situations gérées par ces équipes devenaient trop résistantes ou trop dangereuses, elles faisaient appel aux Tribunaux de la Jeunesse, en complément et en soutien de leur travail. Avec leur pouvoir de contrainte spécifique, ces Tribunaux pouvaient obliger les familles à certaines prestations ou procéder à des placements d’enfants.

Néanmoins, cette ambiance de non-judiciarisation ou de complément judiciaire léger n’a pas duré longtemps. La Justice pénale a vite fait valoir que l’on se trouvait face à des crimes et délits, parfois immondes, et qu’il était obligatoire de lui en signaler l’existence .Et les consignes d’Etat ont alors progressivement abondé dans ce sens, avec ou sans ambiguïté. Or, la logique essentielle du système judiciaire  pénal,  c’est la punition de l’auteur, une fois avérées les preuves de sa faute, et non pas l’aide à la victime.

Certes, quelques efforts de procédure ont été consentis par le système pénal pour s’adapter aux caractéristiques des enfants et pour ne pas trop les traumatiser durant la procédure, mais ils n’ont pas été très loin ou se sont vite trouvés porteurs d’efforts perver (4). Il n’a pas été en mesure d’accroître son personnel, ni de le spécialiser significativement pour métaboliser cette importante nouvelle arrivée de situations, et il a continué à fonctionner selon ses rites habituels : lenteur, suspicion à propos de la seule parole de l’enfant en l’absence de preuves matérielles, autarcie et difficulté à collaborer avec les équipes soignantes. Il n’est donc pas rare que, une fois mise en route la procédure pénale, le travail de soutien effectué par les équipes psychosociales s’effrite, voire soit abandonné avec méfiance ou rage par les protagonistes du drame, qui se sentent  trahis. Léon Kreisler écrivait déjà, en 1995 : « Il existe des contradictions difficilement surmontables entre les techniques d’investigation psychiatrique, l’obtention de l’aveu et les nécessités de la protection de l’enfant »

 

 B. Résultats du fonctionnement actuel 

 

Rappelons-en les grands tenants : 

 - Equipes SOS-enfants en sous nombre : même trente ans après elles restent des références-pilotes.

 - Appel proportionnellement important fait à des équipes de première et de deuxième ligne peu habituées à ces problématiques.

- Référence abondante de tous (parents et professionnels ci-dessous) à la police ou/et à la Justice pénale.

 Approximation des résultats 

 - Il est probable que la majorité des abus avérés sont et resteront encore longtemps non repérés.

 - 10 à 15 % des cas repérés ne le sont que théoriquement, et se perdent progressivement dans une paperasserie kafkaïenne, là où finissent par mourir d’ennui les patates les plus chaudes.

 - Autour de 20 %  de ces cas graves et repérés restent traités à l’amiable en Belgique, sans intervention judiciaire, avec des succès variables.

- Reste donc environ deux tiers des cas graves et repérés où la Justice pénale intervient. Mais la sanction de l’agresseur ne s’ensuit le plus souvent que s’il y a aveu ou de lourdes preuves matérielles en constituant l’équivalent. Alors, le traitement psychosocial de la victime peut avoir lieu, mais de façon plutôt clivée. L’agresseur, lui, peut être  soigné (en prison, à l’état libre) et parfois pseudo accepter des soins pour éviter celle-ci.

Malheureusement, dans la majorité des cas d’abus sexuels ou psychologiques, la Justice pénale ne dispose que de la seule parole de l’enfant, assortie au mieux de quelques impressions de la partie saine de son entourage, et c’est une autre paire de manches. Certes, cette parole doit être bien documentée et expertisée, mais elle peut l’être, notamment grâce à des techniques d’entretien et d’analyse du contenu qui nous viennent du Québec (5).

Hélas, cette procédure de recueil de données scientifiquement validée est loin de toujours suffire ! Même face à elle, trop de Tribunaux se réfugient – abusivement à notre sens – derrière le principe de la présomption d’innocence. Pour une affaire d’Outreau – toute regrettable soit-elle - qui a reçu les excuses de la haute magistrature d’un pays, combien de milliers d’innocentes victimes-enfants laissées ou renvoyées à leur triste sort ! Et alors, ce qui s’ensuit est des plus aléatoires.:

 

C. D’autres propositions de fonctionnement institutionnel

 

En dehors des cas d’urgence ( danger de mort ou de lésions physiques graves ) cela vaut toujours la peine que le premier confident de l’enfant ne reste pas seul et constitue rapidement une petite équipe engagée qui sache ne pas se précipiter, mais réfléchir aux ressources et aux progrès susceptibles de surgir, aux alliances et aux oppositions qui vont se mettre en place, au degré de collaboration ou d’hostilité que l’on peut attendre de l’enfant, du suspect d’abus et de ses proches. Cette petite équipe « diagnostique » peut être en mesure rapidement d’établir quelques scénarios de travail.

Sur cette base diagnostique, et tout en étant conscient que les mises en route institutionnelles sont parfois complexes et imprévisibles, j’ai une préférence pour que : 

-les cas qui apparaissent comme les plus légers ou les plus faciles soient traités par des institutions psychosociales de première ou de deuxième ligne. Le cas échéant, les équipes spécialisées type SOS-Enfants peuvent soutenir et superviser cette première ligne.

-les cas déjà plus complexes soient pris en charge par les équipes psychosociales spécialisées, éventuellement avec l’aide de la première ligne. Ceci surtout si l’on pense que les attitudes peuvent se mobiliser. Le cas échéant, ces équipes devraient pouvoir faire appel au pouvoir d’aide contrainte insufflé par les Tribunaux pour mineurs, comme on y procédait dans les années 80.

- Pour des cas encore plus lourds, plus graves, plus rigides, il faut une mise en place simultanée d’institutions psychosociales, souvent spécialisées, qui gèrent l’enfant victime et les parties supposées saines de sa famille. Par ailleurs, on doit faire appel aux ressources de la Justice pénale, voire du Tribunal pour mineurs, qui a toujours la potentialité d’exercer une protection sous contrainte.

Donc, pour ma part plutôt qu’un recours systématique à la Justice pénale,  je souhaite qu’elle n’intervienne qu’en référence à des indications précises : les cas les plus graves, marqués par la psychopathie ou la perversion des auteurs ; les cas inaccessibles  ou récidivistes après une première application des programmes psychosociaux précités, surtout s’il y a danger pour l’intégrité physique ou la vie de petits enfants sans défense ; les pédophiles multi prédateurs et pervers ; les situations où il y a exploitation mafieuse des enfants … Ça fait quand même beaucoup de pain sur la planche pour les magistrats pénalistes, mais peut-être juste assez pour que trop de dossiers ne s’accumulent pas sans hiérarchisation véritable ni capacité réelle de donner suite rapidement.

- Et en cas d’échec institutionnel ? Ayons l’humilité de reconnaître que c’est le cas dans un nombre non négligeable de situations. Chiffre noir où se cachent sans doute les adultes les plus puissants, les plus pseudo-respectables,  les plus pervers et les cas les plus odieux ! De loin en loin, dans ces situations, l’enfant se plaint quand même auprès d’un confident qui sait. Peut-être celui-ci peut-il s’acharner à trouver avec celui-là l’un ou l’autre « truc » pour être violé ou battu comme plâtre une fois par semaine plutôt que trois ? Peut-être peut-il partager son écoute et son impuissance ? Peut-être enfin peut-il rappeler à l’enfant qu’on peut lui voler son corps, mais pas son âme, et que, spirituellement, il peut rester « intègre », un vrai trésor ? Si l’enfant le veut de toutes ses forces, le plus pur de lui-même, - c’est-à-dire son psychisme et ses valeurs – resteront hors d’atteinte.

 

La prise en charge : Rencontres verbales des protagonistes (6).

 

I. Rencontres de paroles destinées à l’enfant qui a enduré l’abus

 

 A. Face au thérapeute, se trouve à la fois un enfant (construction générale de sa personnalité) et une victime (dimensions de son être modifiées par l’abus et son contexte) : il faut rencontrer « les deux-en-un » avec autant d’intérêt !

De facto, à certains moments on s’aligne sur le cours spontané de sa pensée et de son expression verbale : cela peut aller jusqu’à accepter sa décision de dire « Non », à la poursuite des rencontres.

A d’autres moments on intervient verbalement pour essayer de parler d’autre chose que de ce que l’enfant amène spontanément sur le tapis, et ceci. Sans lui faire violence.

Par exemple, s’il se centre indéfiniment sur des dimensions générales de son être : écouter, aller à son rythme et, après avoir pris le temps de l’apprivoiser, faire référence au vécu de l’abus. S’il se centre spontanément, mais régulièrement sur son vécu de victime, lui proposer tout à tard de parler « d’autre chose »

 B. Parler de dimensions générales de sa vie ? « De quoi aimerais-tu parler aujourd’hui ? » : 

-Intérêts ; sources de plaisir ; préoccupations ; scolarité ; vie en famille …

-Se centrer plus intensément sur des thèmes susceptibles de maintenir ou d’accroître l’estime de soi (activités qu’il réussit ; opinions auxquelles il tient)

Essayer de recréer une estime pour le corps, si celle-ci est compromise. Et ceci délicatement…Par exemple : apprécier son look ; l’encourager à prendre soin de son corps ; l’encourager à des activités qui mettent en valeur le corps (danse ; sports …) Si l’enfant est bien apprivoisé, des petits touchers amicaux de son corps peuvent aussi y contribuer (par exemple : un baiser d’au revoir …)

 C.Parler du vécu autour de l’abus, ainsi que de la sexualité 

Saisir une allusion, une occasion au vol ou se hasarder de façon plus directe : « Et si l’on parlait maintenant de cette partie-là de ton histoire de vie ? ». Interventions susceptibles de s’ensuivre, dans le désordre : 

-Reconstituer avec lui quelques pièces importantes du puzzle du processus. Veiller à ce que soient racontés quelques faits concrets, avec suffisamment de détails. Faire redire aussi les relations nouées au moment de l’abus, les paroles échangées, le rôle de chacun, les sentiments vécus par l’enfant, les idées et questions qu’il s’est posées sur le moment même.

Manifester de l’empathie (tristesse, indignation) mais sobrement, sans l’inonder. Se limiter à bien l’écouter en l’invitant à déployer quelques détails (De « Comment il faisait, pour te faire peur ? » à « Qu’est-ce qu’il te demandait de faire, avec son zizi ? »)

Faire raconter, au moins l’une ou l’autre fois, les échanges corporels sexuels qui ont existé : éventuellement l’aider un peu, sans suggestionner, pour montrer que nous connaissons ces choses-là de la vie et qu’il n’est pas tabou d’en parler (« Tu as vu du liquide sortir de son sexe ? C’était comment ? Il est allé où ce liquide ? Après cette pénétration, tu as senti quoi ? Tu as eu des problèmes avec ton corps ? Etc. ») Sans néanmoins l’obliger à aller dans les ultimes détails s’il ne le fait pas spontanément.

Y revenir de temps en temps : « Y a-t-il d’autres choses encore qui se sont passées, ou que tu n’as pas pensé à (… que tu n’as pas osé) me dire jusqu’à présent ? » « Si un jour tu te souviens d’autre chose et que tu veux en parler, tu peux le faire … »

-A l’intérieur de cette narration ou en dehors d’elle, y a-t-il des questions qu’il se pose encore aujourd’hui ? Des préoccupations qu’il traîne toujours ? Le lui demander ou prendre l’initiative de les mettre sur le tapis, comme des éventualités vécues par certains enfants.

Surgissent alors des thèmes comme : « Vais-je le revoir ? Va-t-il se venger ? Est-ce mal d’avoir parlé ? Est-il malade ? Est-ce que je vais faire comme lui ? Mon corps est-il abîmé ? Est-ce mal que je l’aie fait  (que j’aie eu du plaisir, que je l’aie provoqué …) ? »

-Corollairement, ouvrir la possibilité de questions sur le programme de prise en charge existant : «  Que vais-je devenir ? Et ma famille ? Devrai-je aller au Tribunal ? »

- Partager des idées fondamentales sur la sexualité, l’agressivité, le droit et le devoir de se protéger, les Lois naturelles et les règles, etc. … ; s’occuper aussi de l’information sur le corps et la sexualité.

- Discuter d’une autoprotection plus efficace à l’avenir ; l’y entraîner.

- Parler de ce que l’enfant ressent pour l’abuseur et des relations avec lui à l’avenir : éventuellement, droit au non-pardon, à la haine, sentiment d’injustice quant au fait d’être placé ; (pour les plus grands, dans certains cas : lettre à l’abuseur)

Mais possibilité aussi d’ambivalence, de pardon, de reconstruction du lien. Il est même possible que certains enfants soient moralement d’accord avec ce qui s’est passé : le tabou de l’inceste ou de la sexualité intergénérationnelle leur est étranger : les écouter ou se situer tranquillement par rapport à leur désir de continuer.

 D.Certains enfants ne veulent pas d’aide psychothérapeutique : en principe, on ne les oblige pas ; ce qui ne signifie pas non plus qu’on se précipite pour mettre fin aux entretiens : mieux vaut essayer de comprendre pourquoi ils disent non, et échanger quelques idées avec eux avant de l’avaliser. On peut aussi reconvoquer ces enfants, par exemple de trois en trois mois, pour évaluer le devenir de leur état et de leurs motivations

E. Intérêt, parfois, de travailler en (petit) groupe d’enfants, mais sans sauvagerie … 

 

II. Rencontres de parole avec des alliés potentiels de l’enfant victime 

 

Ne « travailler » qu’avec le seul enfant victime est un pis-aller, auquel on est cependant parfois réduit (par exemple, enfants totalement rejetés)

Toutes les fois où l’on programme qu’il reste en contact avec sa famille, on cherchera des « alliés protecteurs » susceptibles de le soutenir affectivement et de mieux le protéger à l’avenir.

Dans de nombreux cas, on pensera d’abord à la mère de l’enfant : il s’avérera important de la rencontrer seule (d’abord) puis, si les choses vont bien, de prévoir des rencontres de type dyadiques (cf. infra) : comment comprend-elle ce qui s’est passé ? Ses sentiments, ses questions, son rôle ? De qui se sent-elle proche ? Contre qui se sent-elle en colère ?

Certaines mères se sentent très coupables de n’avoir rien vu, sont indignées contre l’abuseur et prêtes à soutenir l’enfant (voire à mettre fin à leur couple d’adulte)

Mais ce n’est pas systématiquement le cas : d’autres sont beaucoup plus ambivalentes ou fâchées contre l’enfant. 

Travailler avec elle requiert donc beaucoup de patience, et la maîtrise de notre contre-transfert (qui nous fait désirer qu’elle fonctionne comme une réparatrice idéale) : il faut d’abord la prendre comme elle est, l’aider à réfléchir et à ne pas prendre de décision précipitée.

Si l’on peut l’aider à se rapprocher de l’enfant, tant mieux !

Sinon, il faut finir par l’acter et à chercher d’autres alliances pour celui-ci.

 III. Les rencontres verbales avec la famille 

Certainement dans les cas d’inceste (même s’il a été commis par un membre de la famille élargie) ; parfois même dans les cas de pédophilie (pour restaurer la sérénité familiale et assurer une meilleure protection de l’enfant à l’avenir)

Le tableau ci-dessous en donne une présentation schématique et chronologique. Quelques principes :

 

 

◊ - Ne pas se précipiter : on gagne à commencer à travailler avec des individus, tout en se situant dans une perspective familiale ; entre autres, en préparant les rencontres élargies futures.

◊ - Ne faire travailler ensemble des dyades  et autres sous-groupes que si l’on est moralement certain à l’avance que l’ambiance sera plus positive que négative : c’est à dire si les personnes concernées désirent s’investir ou se réinvestir mutuellement, et pas seulement se justifier en accusant l’autre.

◊ - Le pardon ne peut pas être imposé ; ne pas imposer des rencontres avec l’abuseur à celles et ceux qui n’en voudraient pas ! 

 

III. Quelques applications particulières 

 

A. Les tous petits

 

Il ne faut certes pas les brusquer. L’évocation verbale directe des agressions subies est souvent impossible ou tourne vite court. Une alternative féconde ? Introduire dans des dessins, des histoires ou des jeux de marionnettes : des petites scènes d’agression, en suggérant des manières plus ou moins réalistes d’y faire face (victoire purement imaginaire … dire NON) ; on fera participer directement l’enfant à la liquidation de l’agresseur.

A travers ce media des jeux imaginaires ou symboliques, l’on peut introduire nombre de thèmes délicats (par exemple « C’est l’heure du bain du soir … donc, le petit héros de l’histoire se retrouve tout nu … avec tel adulte, bienveillant ou hostile) : différence des sexes, intégrité sexuelle, faire respecter son corps, pourquoi certains adultes ne le respectent pas, etc. …

 

B.Les enfants qui ont été allumés précocement 

 

Il s’agit d’être vigilants : ils ont pris des habitudes qui leur plaisent, et dont ils ne se défont pas facilement, malgré éventuelles promesses (sincères ou mensongères) ; à nous aussi de bien les occuper dans une vie attractive.

On doit parler ouvertement de sexe avec eux et veiller à ce que leurs idées soient claires à son propos : 

◊ - Il leur est interdit de faire le mal, comme à quiconque (violence sexuelles, sollicitations de beaucoup plus jeunes …)

◊ - Il leur est interdit de faire du dégradant (enlisement dans des perversions)

◊ - A un degré d’intensité moindre, on leur demande aussi de respecter les règles socioculturelles en vigueur autour d’eux (par exemple pas de relation sexuelle, même consentie avant un certain âge … ou à l’intérieur d’une institution résidentielle)

 

Il faut essayer de ne pas entrer en escalade négative avec eux mais de partager des idées autour du sens et des valeurs liées à la sexualité. Surtout qu’ils ne confondent pas « faire le mal » (faire souffrir autrui) et transgresser des règles sociales (avoir une sexualité précoce avec partenaire consentant)

 

C. Vie sexuelle des enfants et adolescents placés en institution résidentielle 

 

Ils peuvent être placés parce qu’ils ont déjà été auteurs – ou victimes – d’abus sexuel. Ailleurs, ils en ont subi, mais ce n’est pas le motif principal du placement. D’autres sont peu socialisés ou peu conscients de leurs droits. Les considérations qui suivent s’adressent donc à toutes les catégories possibles d’enfants placés : 

  • Se méfier des étiquetages rapides et fallacieux : « C’est un abus, qui s’est passé dans les toilettes » ; « Ces deux plus petits en sont les victimes » ; « C’est parce qu’il (elle) a été abusé(e) qu’il (elle) a recommencé ». Tout ce qui ressemble à un abus n’en est pas nécessairement un. Je vous renvoie à la lecture de l’article
  •  Ados auteurs d’abus ou de pseudo-abus
  • La sexualité de chacun poursuit son chemin développemental propre. Il ne faut donc pas dire trop vite que .c’est « parce qu’il a été abusé » que, dans la suite de sa vie, tel enfant se conduira à nouveau selon la polarité « auteur » ou « victime ». Cette simplification n’amère rien de bon. Certes les expériences vécues dans son passé laissent des traces en lui. Mais beaucoup d’autres facteurs sont susceptibles d’intervenir et, en outre, il n’a pas perdu toute sa liberté intérieure ni toute sa lucidité face à des projets futurs. 
  • La prise en charge 

- A titre préventif, insistons encore sur la fonction de la vigilance des adultes (les ados vivent en partie la nuit, on le sait bien … est-il prudent qu’aucun adulte ne veille ?), et sur celle de l’occupation du temps et de l’attractivité de la vie dans l’institution. Par exemple où les aînés peuvent-ils investir leur trop plein d’énergie ?

- Il faut parler avec tous, et surtout avec les plus jeunes, de leur droit et de leur devoir à s’auto protéger ou/et demander de l’aide face à tous types de (menaces d’) agression. Avec des exercices pratiques en petits groupes et des exemples concrets « On disait que, dans les toilettes de l’école, un grand veut toucher votre zizi … regarder votre minime ? Que pourriez-vous faire ? 

- Il est fréquent que l’activité sexuelle qui a eu lieu soit informellement connue de tous. On peut donc l’évoquer sobrement en réunion d’enfants (éventuellement en sous-groupes d’âge), avec les personnes impliquées présentes. Ce sera l’occasion d’avoir une discussion sur la sexualité, les règles, ce qui est attendu de chacun à l’avenir, etc. 

- S’il s’avère que l’auteur de l’activité est vraiment un abuseur, les grandes lignes de la prise en charge sont exposées dans le livre « La sexualité des enfants » pages 255 et suivantes. Il n’est pas certain que la seule sanction juste et constructive soit d’exclure le jeune de l’institution. Ni non plu              s qu’il soit inéluctable de signaler son exaction aux autorités judiciaires : apprécier au cas par cas, en référence à ce que l’on ferait avec un enfant vivant dans une « bonne famille », et que l’on voudrait sanctionner significativement. 

- S’il ne s’est pas agi d’un abus, mais d’une seule transgression de règles – avec consentement de chacun – attention aux commentaires émis : les personnes incriminées n’ont rien fait de mal ; elles ont fait quelque chose d’imprudent, un défi à l’ordre des adultes. La sanction (de tous) devra donc être adaptée en conséquence, aussi concrète et constructive que possible. 

- Dans certains cas, on est et l’on reste dans le doute : abus ou acte consenti ? Le plus jeune protestant bien qu’il ne voulait pas, mais … A un moment donné, on doit mettre fin à l’investigation et réagir clairement tout en actant qu’il y a doute : « Nous ne savons pas si Pierre était vraiment d’accord, ou à moitié, ou pas du tout, mais voici ce que nous pensons : si tu as abusé de lui … ; si tu as seulement désobéi à nos règles … » « Nous ne savons pas, Pierre, si tu dis la vérité ou si tu mens quand tu affirmes que tu ne voulais pas. Si tu dis la vérité … Si tu mens … ». « Pour l’avenir, voici ce que nous voulons … »

 

 D.Il existe une suspicion qu’un mineur est abusé, mais sans révélation de sa part

 

La précipitation est le plus souvent mauvaise conseillère : si le mineur est brusqué, il y a beaucoup de chances qu’il se ferme. Si les adultes suspects ont la puce à l’oreille, ils se barricadent, augmentent la pression sur le mineur et détruisent les preuves.

Mieux vaut donc constituer une petite équipe « d’observation » discrète et vigilante qui visera à : 

 - intensifier l’observation du mineur ;

 - se donner les moyens de lui parler et, au cours de ces entretiens, approcher délicatement et souvent indirectement la possibilité de l’abus. On peut partir, par exemple, de petites histoires : « Un petit ours à qui il arrive un certain type d’agression. Comment réagirait-il ? En parlerait-il ? ». Si l’enfant est réceptif, on peut « resserrer le cercle » des questions … si la confiance reste présente, on pourra finir par la question : « En ce moment, quelqu’un se conduit-il mal avec ton corps ? » ;

 - prudemment, demander des informations à tel ou tel membre de l’entourage de l’enfant (attention à la perte de confidentialité) ;

 - si l’incertitude dure, ne pas effriter la vigilance ;

 - décider d’un programme d’action (attentisme continué … confrontation à la famille … s’ouvrir de forts doutes au Parquet …) 

Il faut se souvenir néanmoins que, si l’on n’a pas une collaboration claire de l’enfant en présence, il ne se passera probablement rien. Plus de détails dans le livre : J.-Y. Hayez, E. de Becker

 L'enfant victime d'abus sexuel et sa famille : Evaluation et traitement, PUF, 1997, page 255 et sq. 

 

En guise de conclusion 

 

Bien que d’énormes chiffres noirs rendent malaisées les approximations quantitatives, j’estime que les résultats sont modestes et le resteront encore longtemps, en dépit de toutes les déclarations politiques et installations de nouvelles structures pilotes, à grand renforts de cocorico.

Pourtant, beaucoup de professionnels connaissent mieux les réalités des sévices et de nombreuses formations pertinentes améliorent les outils de la prise en charge individuelle et familiale.

Certes, je persiste à penser que nous avons fait de lourdes erreurs dans la conception même de l’équipement : nous avons trop misé sur la sur spécialisation et pas assez sur l’encouragement des solidarités sociales de première ligne et sur le soutien à leur apporter. Mais, pour réelle qu’elle soit, ce n’est pas cette erreur-là qui explique vraiment la modestie des résultats.

La difficulté est chevillée au cœur de l’être humain : même si sa liberté de choix le rend capable de beaucoup de générosité, elle peut engendrer aussi beaucoup de destructivité. L’agression des plus faibles par les plus forts, pour les jouissances que ceux-ci en tirent constitue un des hauts lieux de l’interminable combat de l’humanité entre le Bien et le Mal.  Bien des institutions, lâchement, continueront à ne pas se laisser mettre en question. Bien des auteurs continuent à nier, pas seulement parce qu’ils ont peur d’aller en prison, mais parce qu’ils ont besoin, pour se sentir vivre, de leur addiction au Mal.

Alors ? Alors, ce n’est pas le moment de laisser tomber les bras : « Celui qui sauve un être humain sauve l’humanité », dit un beau texte et du Talmud et du Coran. Essayons d’en sauver plus qu’un, quand même, et de participer par notre témoignage de vie à la construction d’une humanité plus sociable !   

NOTES 

(1) Ce n’est néanmoins pas la règle. Bien des grandes sœurs adolescentes ont dénoncé l’abus au moment où l’auteur les négligeait pout s’en prendre à un plus jeune plus désirable…protection ou jalousie ?

(2) Difficile de préciser pourquoi s’installe une perversion : il existe plusieurs théories que nous ne développerons pas ici.

(3)  S’avère le plus souvent positif ce que l’on peut appeler un sentiment de sollicitude et de responsabilité de longue durée à l’œuvre chez un petit groupe référentiel de professionnels. Certes, il est normal et structurant qu’existent des compétences complémentaires, que des tâches soient réparties et des relais pris. Mais l’ambiance de protection s’améliore si chaque professionnel présent le temps d’une étape ne se sent pas quitte de sa responsabilité une fois que l’enfant quitte son territoire, continue à sentir de la sollicitude pour ce qu’il devient et concrétise la permanence de sa vigilance en fonction des circonstances. 

(4) Par exemple, on procède à des auditions vidéo-filmées des enfants pour réduire ou éviter la répétition des interrogations, mais … les avocats se servent de plus en plus des imperfections inévitables de ce matériel pour enfoncer les enfants ; ou alors, on l’expose sans délicatesse, c’est-à-dire sans huis-clos, en audience publique. 

(5)  La méthode d’analyse la plus indiscutable est le SVA – statement validation analysis – de Yuille J.C. et coll., traduite par  Van Gijseghem H. (Yuille J.C., 1988). 

Si vous voulez une réflexion encore plus approfondie, lisez l’article

L'affaire d'Outreau  et ses durs enseignements.

(5) N.B. Dans les pages qui suivent, nous ne décrirons pas la prise en charge verbale individuelle de la personne auteur directe de l’abus. 

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