jyh vie sexuelle des enfants en institution

 

 

En 2004, avec Alain Lazartigues, professeur de pédopsychiatrie à l'université de Brest, j'ai publié Les durs enseignements d'Outreau, Le carnet psy, 2004, 22, 34-37. L'article est aussi paru dans la revue : Enfances § Adolescences, 2005/1, 66-72.

Vous en trouverez l'essentiel ci-dessous ... ce sont nos impressions de cliniciens, qui ont été associés de loin aux événements, sans implication directe. En 2009, nous ne les renions pas.

En 2009, un livre a été publié, que je considère comme un événement. Il s'appelle Outreau, la vérité abusée, et a été écrit par Marie-Christine Gryson-Dejehansart, une des expertes principales de l'affaire, très injustement contestée par la suite. A mon sens, ce livre remet les pendules à l'heure et je vous en conseille vivement la lecture.

Vérité et erreur judiciaires

 
 
La lutte contre l'erreur judiciaire est, pour nous, un seul et même combat. Que la victime de cette erreur soit un innocent injustement condamné, ou qu'elle soit un enfant abusé auquel la justice refuse la reconnaissance de son traumatisme. Il serait à la fois absurde et illégitime d'opposer ces deux revendications d'une vraie justice.

La tempête qui s’est déchaînée la semaine du 17 mai 2004 depuis le Tribunal de Saint-Omer, à propos de l’affaire dite d’Outreau, nous rappelle sinistrement les moments de misère de notre condition humaine commune.


Elle n'en arrête pas de souffler. Un autre moment très fort a été l'acquittement général des adultes qui restaient incriminés, ce 01/12/05, par la cour d'appel de Paris, avec les excuses publiques du plus haut magistrat de France : du jamais vu, de mémoire d'homme ! . Et ce n'est pas fini : une commission parlementaire d'enquête vient de se mettre en place, début 2006.

Plus qu'une tempête, un tsunami d'indignation ! L'émotion générale est très forte, et l'on peut redouter que ne s'installe, pour apaiser celle-ci, l'une ou l'autre chasse aux sorcières : l'expert Viaux pourrait bien en faire les frais, surtout pour quelques mots malheureux qu'il a prononcés, alors que c'est une personnalité de réputation internationale ... Oui, des adultes sont capables de mentir ou de fabuler (1) , pas nécessairement par haine de ceux qu'ils enfoncent ni même par profit matériel : c'est au moins aussi souvent la peur, le besoin de se mettre en évidence, la lâcheté et la recherche de la moindre punition ou encore la honte et l'effroi à l'idée de se rétracter, qui les entraînent à dire faux, et parfois obstinément. Dans le secret de son âme, lequel de nous oserait-il prétendre qu'il n'a jamais cédé à cette tentation ?

Oui, les enfants et les adolescents sont porteurs de cette même capacité ; encore plus que les adultes, ils sont à risque de se laisser suggestionner par autrui ; surtout lorsque « autrui », c'est un personnage important de leur vie, par exemple un parent qu'ils redoutent ou dont les émotions les bouleversent, quelqu'un dont ils ne veulent pas perdre l'amour ou même qu'ils croient pouvoir aider et sauver par leurs affirmations. On les voit alors vouloir faire passer pour vrai du complètement fallacieux ou, au moins aussi souvent, on les voit s'embrouiller, en remettre, présenter des mélanges confus où s'entremêlent inextricablement lambeaux d'objectivité et fabulations ... alors, si, en plus, on les croit tout de suite à 100%, sans les aider à autocritiquer leurs dires, ils se sentent prisonniers de leur propre parole, condamnés à s'obstiner pour ne pas connaître le désaveu, la honte et la punition.

Oui des magistrats ou des experts sont faillibles, comme n'importe quel professionnel, comme n'importe quel être humain sont faillibles ; ils peuvent se tromper de bonne foi ou se laisser emporter par la fausse générosité des idéologies ou par l'orgueil et le refus de principe de faire jamais marche arrière. Les conséquences de ces erreurs et de ces manquements humains peuvent être tragiques, jusqu'à faire exécuter des innocents ou briser des vies ... ou jusqu'à rejeter en bloc tout ce que disent et diront à l'avenir ceux qui se sont égarés une fois et les rejeter plutôt que les aider. Il est donc de notre devoir de réfléchir aux valeurs, attitudes et moyens qui réduisent le plus ces risques.



Une constatation de terrain.

 

Néanmoins et préalablement, en nous refusant de faire chorus avec le déchaînement des émotions collectives, il nous faut réaffirmer une constatation que notre expérience de terrain nous a toujours confirmée : l'enfant qui prend l'initiative de révéler un abus sexuel qu'il a subi dit souvent vrai, au moins pour l'essentiel de ce qu'il relate ; les fois où il ment, fabule totalement ou en en rajoutant, délire ou se trompe de bonne foi sont rares. Nous nous référons ici à l'enfant qui, en dehors de toute pression d'un tiers porteur d'emprise sur lui, va trouver une personne qui a sa confiance, souvent longtemps après que les faits aient eu lieu ou aient commencé - Dame ! Il a besoin de bien du courage pour hasarder sa démarche -. Il prend alors la très lourde responsabilité de mettre en cause un abuseur souvent plus puissant que lui, parfois même un parent ... et il s'avère capable de raconter avec des détails concrets plausibles et avec émotion le malheur qui lui est tombé dessus : dans un tel contexte et dans la majorité des cas, ce qu'il raconte est vraiment arrivé pour l'essentiel et il ne commet pas d'erreur sur la personne qu'il met en cause ... par la suite, plus on met de temps à le protéger efficacement et plus on multiplie les interrogatoires de cet enfant, plus sa mémoire s'effrite et se trompe sur des détails, plus il commence à avoir peur de ce qu'il a dit, et plus il est contaminé par l'inévitable dimension suggestive de certaines questions : alors oui, il peut se rétracter à tort ou s'embrouiller plus considérablement, d'autant qu'il est plus jeune.

Il existe bien sûr des exceptions à cette constatation statistique, et nous ne proclamerons donc pas que, même dans ce contexte, tout enfant dit toujours toute la vérité : même en dehors de pressions faites par autrui, on a vu, surtout autour de l'adolescence débutante, des jeunes accusateurs secrètement haineux en quête de vengeance, d'autres qui voulaient se rendre intéressants à n'importe quel prix, et d'autres encore qui justement en voulaient intensément à tel adulte de les avoir éconduits, au point de lui attribuer à lui les passions et désirs sexuels qu' eux, les jeunes, vivaient. On a vu aussi des tous petits se tromper spontanément de bonne foi et donner une connotation sexuelle à un geste de nursing ou de tendresse innocent. Mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt : ce ne sont là que des situations minoritaires.

C'est lorsque des pressions existent autour de l'enfant qu'il faut encore se montrer plus prudent, sans nécessairement enterrer ipso facto ce qu'il dit : au contraire, l'investigation doit être menée avec plus de délicatesse, de compétence et de minutie que jamais ! Nous pensons par exemple aux séparations parentales difficiles et aux tous petits qui sont questionnés de façon soupçonneuse, voire inspectés corporellement lors des retours de séjour chez l'autre parent. Mais nous pensons aussi aux accusations collectives, entre autres en milieu scolaire, où une pression, même involontaire, peut émaner du regard des pairs, face auxquels on peut difficilement revenir en arrière ... Oui, dans de telles circonstances, le risque augmente : en mentant sciemment ou en fabulant, l'enfant ici concerné peut complètement « inventer » une histoire d'abus ou il peut amplifier la gravité de ce qui est arrivé et le nombre de personnes impliquées ... néanmoins, l'inverse existe aussi, et probablement bien plus fréquemment : on connaît des responsables de collectivité qui s'en prennent, des années durant, aux plus fragiles des gosses sous leur tutelle, avec la tyrannie d'une dure loi du silence qui pèse sur tous. Ces vécus de l'enfant ayant été rappelés, il nous faut évoquer les risques puis les enseignements que l'affaire d'Outreau pourrait entraîner.



Les risques, pour commencer. 



Il y a d'abord celui du débordement de l'indignation collective, toute compréhensible que celle-ci soit en la circonstance. Si elle s'emporte, on pourrait bien amplifier une chasse aux sorcières sournoisement démarrée il y a quelques années : on pourrait vouloir abattre ceux qui, de bonne foi, essaient de protéger les enfants qui se plaignent à eux. Ce Mac carthysme à l'envers n'est pas une vue de l'esprit : ainsi en France, jusque récemment, différents sièges de l'Ordre des médecins s'en sont-ils trop souvent pris à des praticiens, même chevronnés, ( C. Bonnet ; C. Spitz ; P. Sabourin, etc. ) alarmés par la détresse de leurs petits patients et simples auteurs de signalement. Ca a été inacceptable à un tel point que Jean-Miguel Petit, commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme, chargé d'examiner la situation globale de la maltraitance en France, s'en est ému dans son rapport de synthèse de 2002 ( Cfr « A la Commission des droits de l'Homme de l'ONU, inquiétude sur le face-à-face des enfants victimes et de la Justice française »)

En Belgique, certains se sont déjà ingéniés à faire un amalgame entre la situation d'Outreau et les « affaires » du collège Saint-Pierre et de la crèche Clovis : or, dans ces deux derniers cas, si la vérité judiciaire a été celle d'un non-lieu - ce qu'il s'agit de respecter dans un esprit d'apaisement et d'humilité citoyenne -, les investigations ont été correctement menées, les procédures bien respectées et surtout, aucun suspect de l'époque n'avait été indûment privé de sa liberté.

Dans le même ordre d'idées, on risque d'encore exagérer l'ampleur du problème des fausses allégations d'abus sexuel dans le contexte de la séparation parentale. Or, les études bien documentées montrent que de telles suspicions d'abus ne sont invoquées que dans 5 à 6 % des situations de séparation ... Certes, c'est déjà beaucoup, mais de nombreuses études montrent également que ces accusations sont fondées environ une fois sur deux ... non pas que tous les ex-conjoints se transforment soudain en pédophiles invétérés ... mais entre cet extrême rare et celui du dérapage occasionnel d'un adulte en manque, ou la surgescence du besoin de « salir » l'enfant tant chéri par le parent gardien ... il y a place pour quelques variantes.

Mais surtout et plus radicalement, l'affaire d'Outreau va être une très mauvaise chose pour la cause des enfants en difficulté. Comme vient de le dire un des avocats de la défense, elle risque bien de nous ramener vingt ans en arrière.

Il a souvent existé dans l'Histoire des mouvements de balancier entre la place positive qu'on reconnaît aux enfants et le crédit qu'on leur accorde, d'une part, et l'ignorance de leurs besoins et souffrances de l'autre (2). Jusque vers 1995, on a eu tendance à prendre très largement en considération les accusations de maltraitance qu'ils dirigeaient vers les adultes ... mais voilà, avec tous leurs cris, ils ont commencé à l'encombrer et à le déstabiliser, l'ordre adulte ... alors aujourd'hui, on enregistre toujours leurs plaintes, certes, on prétend même avoir amélioré les techniques de leur audition ... mais ensuite, que se passe-t-il vraiment sur le terrain de l'aide et de la protection (3) ? Quelques têtes d'adultes que l'on continue à faire tomber spectaculairement ne dissimulent-elles pas beaucoup d'inertie et d'agacement pour une majorité plus significative des cas ? La bureaucratie et la recherche d'homéostasie de la société des adultes ne sont-elles pas occupées à reprendre le dessus ? Et le plus haut magistrat de France, de Belgique ou d 'ailleurs viendra-t-il un jour présenter ses excuses pour ces milliers de petites victimes éconduites, et souvent renvoyées auprès de leur abuseur triomphant d'impunité ?

Alors, Outreau, bonjour les dégâts ! Nous pensons au risque d'une non-écoute radicale, soi-disant parce qu'on aurait trop « sacralisé » la parole des enfants ces derniers temps. Mais nous pensons surtout à ces enfants dont le discours comporte un mélange très enchevêtré de vrai et d'exagérations : eux entre autres, sont à risque de faire les frais de la maxime « On jette le bébé avec l'eau du bain » : ils ont indisposé ; c'est compliqué de démêler l'écheveau de leurs dires et ils pourraient bien être rejetés en bloc à l'avenir ... La Belgique, elle a déjà opté pour la simplification radicale : dans le cas bien connu de Régina Louf, où se mélangent probablement lourds éléments de réalité et faux souvenirs ( false memories ), malgré que des faits graves aient été bel et bien reconnus et que les rapports psychiatriques soient très nuancés, on a fait courir la rumeur qu'elle était complètement folle et qu'il fallait en finir avec elle ... et on n'investigue plus rien.

Enfin, il nous reste à tous de sérieux efforts à faire pour nous discipliner face à la tentation du voyeurisme indécent. Dans l'affaire d'Outreau comme dans d'autres, des huis-clos n'ont pas été prononcés là où ils auraient dû l'être, du moins en première instance, et une certaine presse a jeté en pâture à ses lecteurs de larges extraits précis de l'audition des enfants. C'est proprement scandaleux.
 



Et les leçons à tirer ? 

 


En exergue, je voudrais citer Monsieur le Conseiller à la Cour d'appel de Bruxelles Patrick Mandoux, qui nous invite à la sagesse et à garder la tête froide : « Oui, ces paroles (d'enfants) ont la même valeur ( que les paroles d'adultes ) Encore faut-il pouvoir comprendre la parole des enfants. Là, il faut voir l'apport de toutes les sciences qui nous aident à décoder les paroles des enfants. Mais cela s'applique aussi aux adultes. Il faut également pouvoir décoder pour comprendre ce qu'ils ont voulu dire. La vigilance du juge doit être constante. Il ne faut surtout pas se laisser persuader par des évidences » (4)



Comment alors se mettre dans les meilleures conditions pour donner toute leur valeur à ces paroles, d'interprétation parfois si difficile ?



Se pose d'abord et avant tout ici, une fois de plus, la question de la compétence des personnes chargées de recueillir ces témoignages verbaux, et au-delà, d'investiguer les autres éventuels éléments de preuve chargés de les pondérer positivement et négativement. Nous y reviendrons dans le dernier paragraphe en parlant explicitement des experts. La compétence s'appuie aussi, faut-il le rappeler, sur l'expérience acquise, les premiers pas étant rigoureusement supervisés par des « seniors » bienveillants et riches de leurs connaissances et de leur expérience de terrain. Elle gagne encore en qualité lorsque elle procède d'une réflexion pluridisciplinaire ; une réflexion qui soit une véritable mise en commun, chacun y amenant les richesses de ses méthodes propres et de la lecture de l'humain que fait sa discipline, et en assumant les manques ... Certes, en fin de compte quelqu'un, personne physique ou morale, doit décider ... Mais quel appauvrissement quand celui qui décide, c'est un petit tyran qui s'est contenté de lire les rapports écrits des autres et de n'en prendre que ce qui lui convenait ...

A supposer que l'on dispose de cette équipe pluridisciplinaire potentiellement compétente, il faut alors mettre dans de bonnes conditions l'enfant et l'adulte qui doivent parler, pour qu'ils aient envie d'aller au plus profond d'eux-mêmes.



Limitons-nous à rappeler quelques éléments essentiels de l'ambiance et de l'organisation du travail :



a) On a déjà dit et redit, à ce propos, combien il est important que les entretiens d'audition ne soient pas répétées. Donc, mieux vaut vidéo filmer le premier d'entre eux, mené avec un bon interviewer et dans des conditions fiables. Oui, certes, mais à condition que les avocats de l'abuseur suspecté ne fassent pas un usage pervers de cet enregistrement : qu'ils ne trouvent pas dans ses quelques inévitables failles l'occasion de mettre l'interviewer et l'enfant KO d'un seul effet de manche à l'audience, en arguant sur le côté imparfait des discours : précisément, cet enregistrement n'a pas pour intention de constituer une preuve objective, mais un élément d'appréciation, inévitablement imparfait, comme toute oeuvre humaine (5)

b) On ne dit pas assez combien il est impératif et urgent de mettre en place des procédures d'écoute très rapides pour les tous petits : comment peut-on imaginer qu'un discours d'enfant de moins de six, sept ans soit encore décodable après trois mois passés et cinq interviewers différents ?

c) Faut-il ajouter à cet arsenal de méthodes une confrontation directe entre l'enfant et la personne qu'il accuse ? A Outreau, on s'est plaint que le magistrat ne l'avait pas mise en place. Nous sommes cependant des plus sceptiques sur la contribution que la confrontation peut apporter à une meilleure connaissance de la vérité : pour beaucoup d'enfants « normaux », c'est d'abord et avant tout une expérience de très grande angoisse, qui les pousse à se rétracter. Quant aux plus fabulateurs, enfermés qu'ils sont dans leur volonté de convaincre, rien ne prouve qu'ils vont s'y laisser démonter ! La confrontation indirecte, par vidéo interposée, est peut-être un peu moins anxiogène, mais les enjeux y sont identiques.

Pour terminer, et même si cela semble un lourd pavé dans une mare plutôt bouillante, nous nous permettrons d'exprimer notre perplexité face à la forte pression contemporaine qui voudrait que tous les cas suspects d'abus sexuel soient signalés et traités judiciairement. Les arguments avancés pour y procéder sont qu'il s'agit bel et bien de délits - mais la grande majorité des délits d'une société restent pourtant « ignorés » des tribunaux, même quand des tiers en sont témoins ! - ; on invoque aussi une hypothétique meilleure efficacité dans le « traitement » des cas, et la nécessité que, dans une société démocratique, ce soit l'institution judiciaire qui « dise » toujours la Loi.

Il nous semble cependant que l'on peut raisonner autrement sans pour autant être pervers. Pour des raisons pragmatiques d'abord : dans beaucoup de pays, les tribunaux sont saturés par des suspicions d'affaires de mœurs et ne peuvent plus les suivre à un rythme efficace. Pour des raisons plus profondes ensuite : il existera toujours un hiatus entre le raisonnement judiciaire, prudent, pesant le pour et le contre, naviguant entre le principe de respecter la présomption d'innocence et celui de sanctionner les délits avérés et de rendre justice aux victimes ... Dans cet inévitable état d'esprit, beaucoup de « vérités judiciaires » aboutiront encore à des non-lieu, tout au plus au bénéfice du doute ...

Alors ? Alors, sans prôner cette attitude d'extrême droite que serait la vengeance directe, ne peut-on pas vraiment apprendre aux enfants à mieux se protéger directement ? Ne peut-on pas encourager le tissu familial et social de première ligne à mieux les protéger sur place, sans faire tout de suite appel aux institutions les plus spécialisées ? Ne peut-on pas réserver l'intervention de celles-ci aux cas les plus odieux, les plus rebelles, les plus violents ?



Considérations particulières sur l’expertise psychologique dans le contexte pénal de l’abus sexuel.

 

I. Les connaissances requises.



Procéder à l'expertise psychologique d'un enfant présumé victime d'abus sexuel ( et de son environnement ) demande un supplément de connaissances spécifiques. Un psy « généraliste », même chevronné, risque de passer à côté d'indicateurs préoccupants, d'interpréter erronément des signes banaux si pas des symboles généraux, de ne pas poser les questions précises nécessaires ni d'encourager l'enfant à aborder certains thèmes ( par exemple angoisses à propos de l'altération du corps ) Celles et ceux qui acceptent d'être experts devraient donc d'abord avoir suivi des suppléments de formation spécialisée : ainsi, ils connaîtront mieux la psychologie et les comportements de l'enfant abusé et la dynamique des relations entre lui, sa famille et les adultes. Ils sauront aussi comment son comportement évolue au fil du temps et, entre autres, comment il évolue en référence aux interventions professionnelles qui se succèdent : il est rare qu'elles soient vécues d'une manière globalement positive et qu'elles n'entraînent pas une traumatisation secondaire qui a elle-même des effets de rétroaction sur le discours de l'enfant ( et de sa famille !)

Mais il y a plus : l'expert crédible doit utiliser comme référence principale des instruments d'observation et d'analyse qui font un large consensus dans le monde scientifique. Instruments qui devraient d'ailleurs être connus, d'une manière plus théorique et générale, par les partenaires professionnels de l'expert, notamment les policiers et les magistrats et constituer ainsi une référence commune. Or, il n'existe à notre connaissance que l'un ou l'autre de ces instruments, qui font un large consensus international ; ils se copient largement et le plus paradigmatique, en ce qui concerne la dynamique de la relation enfant-expert, c'est l'entretien non-directif par étapes successives de Yuille. En ce qui concerne l'analyse du discours et du comportement de l'enfant et l'analyse du contexte, c'est la grille SVA (« Statement validation analysis » ou Analyse de la validité des déclarations ) Elle a été créée par le même Yuille et légèrement transformée par la suite. Celles et ceux qui rejettent ce type d'instrument et n'invoquent que leur large et réputée expérience clinique et leur formation générale ne devraient pas être choisis comme experts dans le champ qui nous occupe ici.



II. Qu’attendre de l’expert ?

 

A. Qu'il s'engage personnellement, en référence à l'intime conviction qui émane de ses connaissances et de son observation spécialisée. L'intime conviction, c'est parfois de douter, parfois d'être raisonnablement convaincu que non, et parfois que oui. Il doit pouvoir le dire, en son nom personnel, sans se prendre pour Dieu qui peut tout affirmer, mais sans non plus laisser le magistrat face à un fatras d'éléments techniques dont il aurait à faire lui-même la synthèse : l'expert n'est pas un enquêteur, et sa mission n'est pas de trouver des preuves mais elle n'est pas non plus d'avoir la langue de bois. Si, en référence à un travail sérieux et à une analyse via instruments valables, il a l'intime conviction que tel enfant a été abusé de telle manière, et que ça ne peut être que par son père, comme l'enfant l'affirme, qu'il le dise comme une conviction personnelle, ni plus ni moins. Si, au terme de son travail, il a des raisons de douter, qu'il expose en détails le pour et le contre, mais, en tout état de cause, qu'il rende compte clairement du résultat de son cheminement intérieur : ceci constituera pour le Tribunal un élément de réflexion parmi d'autres et une aide utile pour le jugement qu'il doit prononcer !

B. Par ailleurs, l'expert doit garder sa liberté et ne pas accepter n'importe quelle mission ! Il sait à l'avance que certaines sont susceptibles d'apporter du fruit et que d'autres seront probablement stériles, voire traumatisantes pour l'enfant (et sa famille) : pensons par exemple aux expertises demandées tardivement dans le processus d'instruction judiciaire, ou à celles qui constituent une nième épreuve identique. Face à ce type de problèmes, mieux que de réagir au cas par cas, l'expert - ou mieux encore, la communauté des experts - pourrait s'engager politiquement - au sens large du terme ! - et dialoguer avec l'institution judiciaire pour que la fonction d'expertise soit positionnée et organisée le mieux possible dans le processus d'instruction. Certains progrès ont déjà été réalisés comme, par exemple, l'audition filmée de l'enfant par un policier censé être expérimenté, processus bénéficiant de l'accompagnement par un psychologue du Parquet qui analyse ensuite le document filmé. Pour chaque cas instruit, ceci ne pourrait-il pas constituer le centre de la fonction d'expertise ?

Si des devoirs d'expertise supplémentaires sont demandés ultérieurement, que ce soit à la demande d'un juge ou d'un avocat, on pourrait procéder comme suit : le nouvel expert désigné analyse d'abord le document filmé et le premier travail réalisé par l'expert du Parquet. Ensuite, il décide si, oui ou non, il est opportun qu'il rencontre l'enfant et/ou tel ou tel membre de sa famille. Le premier effet de cette latitude de choix pourrait être de protéger l'enfant de répétitions qui le traumatisent quasi-inévitablement, lorsque celles-ci sont évaluées comme inutiles. Mieux encore, s'abstenir de procéder à la énième évaluation permettra souvent à l'enfant de conserver plus clairement et plus sereinement ses idées personnelles puisque, cette fois, les adultes ont l'air de croire ce qu'il a déjà dit ( ... et redit )
 

Notes

 
1) Fabuler, c'est se raconter une fable à soi-même, en s'autosuggestionnant ; croire plus qu'à moitié qu'elle est largement ou totalement « objective », sans accepter que se déploie quelque sens de l'autocritique, ici mis en veilleuse ; c'est se laisser emporter par son imagination, et s'y accrocher ... jusqu'à un certain point. Le fou qui délire, lui, est totalement persuadé de l'authenticité objective de son délire et incapable d'autocritique.

(2) C. Bonnet, L'enfant cassé, Albin Michel, 1999.

(3) Pour plus de détails, se référer à mon livre « La sexualité des enfants », paru aux éditions Odile Jacob (2004), pages 179 et suivantes.

(4) Patrick Mandoux, « Il faut se méfier des évidences », Le Soir, 22 et 23/05/04, page 7.

(5) Il est normal qu'un enfant fiable fasse quelques petites erreurs de détail ; il est normal qu'un interviewer, qui reste un être humain, ne soit pas parfait dans sa manière de poser les questions.