I. INTRODUCTION 

La vulnérabilité d'un être, c'est, selon le Petit Larousse, sa susceptibilité d'être attaqué, d'être blessé ... son caractère faible, défectueux, qui donne prise à l'attaque.

 fouille d'un enfant
 


Au fond, de même qu'on ne prête qu'aux riches, le langage populaire admet qu'on attaque surtout les faibles. Le juge Connerotte le sait bien, lui dont le principal crime avait été de déstabiliser sa propre cour de Versailles, lors de l'affaire Julie et mélissa ;t La Fontaine l'illustrait déjà joliment dans « Les animaux malades de la peste » : qu'une dame invitée au salon de maman renverse une tasse, et « Ce n'est rien » ... mais que l'enfant de la maison en fasse autant, fût-ce en voulant rendre service, et il s'attirera toutes les foudres parentales.

Heureusement, le dictionnaire distingue « être attaqué » et « être blessé » Mais cette différenciation s'applique-t-elle vraiment aux enfants ? Eux qui sont pris à partie à longueur de temps, comme les fusibles faibles ou les punching balls de nos systèmes puissants, ont-ils de bonnes défenses, que pour ne pas être désorganisés et lésés par chaque attaque ? Ce n'est pas si sûr, comme le montrera la suite du texte.

Je ne vais pas passer du temps à démontrer l'existence de cette dimension de vulnérabilité dans l'enfance : le souvenir des enfants que nous avons été et l'observation et le dialogue avec eux l'établissent à l'évidence. Son exis tence devrait donc entraîner, dans le chef de la génération des adultes, une attention particulière : « Attention, fragile ! » ... attention, ces microbes, ces poussins à la toute petite voix et aux petits poings dérisoires, méritent toute notre sollicitude, notre délicatesse et bien des aménagements concrets de la relation avec eux, que nous allons bientôt décrire en long et en large. Mais en est-il vraiment ainsi ? Ne sont-ils pas, plus souvent, les paratonnerres sur qui se défoule à bon compte l'agressivité liée à nos frustrations ? Ne sont-t-ils pas aussi faciles à ignorer, l'ignorance d'eux, la non-prise en compte de leurs besoins constituant une autre forme subtile de l'attaque des faibles ? La question se pose à tous les niveaux, depuis les détails de la vie quotidienne, jusqu'aux équipements de Santé Publique et aux choix de société ( de l'argent pour Thalys, plutôt que pour des classes à petit effectif ... )

Bien sûr, la vulnérabilité de l'enfant n'est pas une donne quantitativement immuable : au fil de son développement, il se renforce, devient plus lucide, plus autonome, plus compétent ; nous devrions donc mobiliser nos attitudes à son diapason ; faire de plus en plus confiance à sa débrouillardise, le laisser prendre des risques, accepter ses choix. Et ce n'est pas toujours facile pour nous, de le voir grandir et de maîtriser notre angoisse ( peut-il vraiment aller à l'école tout seul, sur son petit vélo ? ) ou notre vague jalousie ( plus il devient fort, plus il nous pousse, à son rythme vers la mort )

En poussant notre immobilisme à l'extrême, il peut même arriver que nous nous emparions du prétexte de la vulnérabilité de l'enfant, pour ne plus accueillir la croissance de son être : au nom de ses faiblesses du moment, nous satisfaisons plutôt nos besoins de toute-puissance, notre incapacité à assumer notre solitude, nos besoins de donner à nos angoisses des solutions faciles, via un contrôle de chaque instant, etc ... Une juste perception de ce qu'est l'enfant aujourd'hui est toujours un exercice périlleux, loin de nos a priori ; il nécessite parfois la présence à nos côtés de tiers ( notre conjoint, nos autres enfants, notre médecin ... ), qui nous aident à nous distancer de nos projections.

Bien sûr encore, un enfant n'est pas l'autre : à égalité d'âge, d'équipement, et de conditions d'éducation et d'environnement, un tel apparaîtra comme passablement démuni et dépendant ; un autre aura puisé sa force dans sa confrontation à l'adversité, qui a provoqué chez lui une programmation énergique de la vie et des stratégies adaptatives intelligentes (« résilience »), un troisième sera plus mosaïque, etc ... : la perception suffisamment juste de chaque enfant se fait au cas par cas, étape par étape, et demande que l'on accepte de se laisser surprendre !

Enfin, il ne faut pas confondre « vulnérabilité » et « sensibilité », ou même « expressivité émotionnelle liée au développement »

* La vulnérabilité, c'est comme le dit la définition, une prédisposition à être attaqué ( activement ou via la négligence ) et à être blessé (  c'est-à-dire désorganisé, lésé dans son corps - voyez la maltraitance - ou/et dans son équilibre intellectuel et émotionnel


* La sensibilité de l'enfant, c'est sa capacité à réagir, par ses émotions, ses idées et ses comportements, à des événements dont il perçoit bien la signification. Il est normal - et même souhaitable - qu'il ait parfois du chagrin, qu'il passe par des moments de peur ou qu'il soit ému et indigné par l'inacceptable : l'éducation ne devrait pas viser à faire de lui un petit businessman à rendement élevé, égocentrique et aveugle sur ce qui l'entoure.

* Par ailleurs, il existe une « expressivité émotionnelle » typique de certaines phases du développement, qu'il faut pouvoir accueillir avec patience et prendre en compte, en aménageant autrement la vie, sans en faire ipso facto l'indicateur d'une vulnérabilité proche de la pathologie : par exemple, même bien entourés, certains enfants sont plus anxieux que d'autres : les faire entrer tous à l'école à trois ans n'est donc probablement pas la solution de vis qui convient à certains ; d'autres, même plus âgés, ne sont pas à même d'affronter le noir. Pourquoi ne pas être tolérants à ces particularités ?

Nous allons passer en revue des applications de la vulnérabilité dans quelques champs de son existence et en tirer quelques leçons à propos de l'éducation et, le cas échéant, de la thérapeutique.



II. VULNERABILITE DU DEVELOPPEMENT DE L'INTELLIGENCE

 P grands enfants à l'école


A. - A côté des fonctions cognitives qui perçoivent et traitent les informations externes, chaque enfant développe de l'imagination à des degrés divers. 



Une part d'intelligence imaginative, devrait-on dire, capable de créer des représentations mentales personnelles ( mots ou/et images ) sans support externe ou en transformant radicalement ceux-ci. Cette activité autonome est souvent la meilleure et parfois la pire des choses.

La meilleure ? Elle permet à l'enfant de se donner une compréhension provisoire du Réel, avant qu'il ne puisse intégrer des informations objectives ; elle lui permet de dominer ses sources de préoccupations, parce qu'il s'invente des solutions de vie satisfaisantes ( dans ses rêveries, il est le plus fort ; il est consolé, aimé, compris, etc ...)

La pire ? Parfois, par contre, son imagination l'amène à élaborer les scénarios inverses : il y est attaqué, rejeté, puni cruellement ; son corps y est mutilé, etc ... Ou alors, quand il est trop seul ou/et qu'il a trop peur de la vie, il fuit dans l'imaginaire.

Notre responsabilité à l'égard de cette activité imaginaire de l'enfant n'est donc pas simple.

* D'une part, nous devons lui laisser du temps pour rêver, jouer, produire de l'imagination, ... et ne pas vouloir faire de lui un petit savant de quinze mois à la mode californienne. Par ailleurs et inversement, nous devons veiller à ce que son imagination ne devienne pas une évasion, un repli sur soi : à nous donc de l'installer dans un monde social riche et attrayant.

* Nous pouvons, à l'occasion, donner un petit coup de pouce pour qu'il imagine - au moins cela ! - des solutions de vie positives au type de soucis qu'il rencontre ( par exemple, des histoires où un faible parvient à se débarrasser de ses ennemis )

- Nous pouvons aussi veiller à ne pas amplifier nous-mêmes, volontairement ou non, un imaginaire tissé d'angoisses et d'agressions.

Par exemple, nous pouvons essayer d'éviter trop d'exposition à des scènes violentes, réelles ou non ( Films ), surtout pour les enfants les plus jeunes. Nous pouvons faire attention aux mots que nous employons, ou aux expériences que nous décrivons devant eux, et qu'ils comprennent parfois très mal.

Plus particulièrement, l'information sur les maladies, les leurs ou celles de leurs proches, reste un domaine très délicat. Le pire de tout c'est allusion, le mot qui échappe, sans commentaires. Le secret n'est pas tout-à-fait à exclure, face à certains enfants très sensibles, si l'on est sûr qu'il sera bien gardé. Beaucoup plus souvent, une information sobre, donnée pas trop longtemps à l'avance, aura des effets plus positifs. Elle gagne à s'intégrer dans un dialogue, ou l'on cherche à comprendre ce que l'enfant pensait préalablement et spontanément, et ce qu'il a compris de ce qu'on lui a dit. En outre, davantage que de détails techniques, il apprécie ce que l'on pourrait appeler une « information rationnelle » : par exemple, comment s'occupera-t-on de lui ? S'il est hospitalisé que vont devenir ses contacts avec ses parents, sa fratrie, etc ?

* Enfin, il nous faut être tolérant face à certaines « fantaisies imaginaires », dont l'enfant a besoin momentanément, même si elles sont en porte-à-faux avec des informations plus objectives qu'il reçoit et qu'on voudrait qu'il intègre rapidement : par exemple, il persiste à nier la différence des sexes, ou l'irréversibilité de la mort de son grand-père ... C'est « comme ça » pour lui, pour le moment : sa théorie ne mérite ni irritation, ni sourire de mépris. Il en a besoin et elle passera d'autant plus vite qu'on renonce à la fois et à la critiquer et à la confirmer objectivement, et qu'on se limite à la reconnaître comme sa croyance du moment

 

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B. - Les enfants sont le plus souvent d'autant plus suggestibles qu'ils sont jeunes : 



ils tiennent pour vrai ce que leur disent avec assurance les personnes qui les impressionnent et qu'ils aiment, c'est-à-dire habituellement, les parents et autres familiers adultes investis par eux, les « grands » qu'ils admirent, les enseignants ... Leur crédulité est d'abord très forte et traduit à la fois leur confiance de base dans leur environnement, leur besoin de sécurité, et la faiblesse du moment de leurs fonctions cognitives. Après l'entrée à l'école primaire, elle décroît rapidement, davantage actuellement que lorsque nous étions enfants. Ceci est dû, et partie, à l'abondance et des sources d'information et, à l'occasion, aux contradictions entre elles, ce qui stimule la créativité cognitive ... ainsi qu'à l'éducation contemporaine qui stimule l'esprit critique et le droit à la libre expression.

Notre responsabilité par rapport à cette crédulité, importante ou résiduaire, me semble être la suivante :

* Nous discipliner à être vraie quand nous parlons aux enfants; ne pas alimenter leur crédulité par des mensonges confortables.
Pensons  par exemple, aux confusions que nous créons à propos de ce qui est vraiment bien ou vraiment mal, que nous assimilons si souvent à ce qui est obéissance ou désobéissance aux règles, voire à ce qui est réussi - conforme à nos attentes - ou raté

 vergonha


Pensons encore à l'image d'Epinal que nous nous ingénions si souvent à donner de nous-mêmes; l'adulte qui sait tout, qui a été un modèle d'obéissance et de réussite, et qui est insensible ( jamais blessé, jamais fatigué, jamais dans le besoin )

* Stimuler l'esprit critique de enfants ; nous faire à l'idée qu'ils pensent, raisonnent et ont des opinions propres ; écouter celles-ci, sans les ridiculiser mais sans faire non plus semblant qu'elles sont toujours partagées par nous ni bonnes en soi ; stimuler leur réflexion sur les valeurs, le sens et les objectifs propres à chaque existence ; accepter leurs différences ( si elles ne sont pas antisociales ), tout en témoignant de ce qui est important dans nos vies.



III. VULNERABILITE, OBEISSANCE ET MOTIVATION

 

Beaucoup d'enfants s'en remettent largement à leurs parents d'abord, puis à d'autres adultes proches investis par eux : ils font de leur mieux pour leur obéir, une grande partie du temps ( en gardant néanmoins un léger droit à se différencier ou/et à contester de ci de là, ostensiblement ou secrètement ... droit dont ils étendent le contenu au fur et à mesure du temps ) Plus radicalement même, ils se mettent à « penser le monde », largement comme le pensent leurs parents, et à désirer et programmer comme bons pour eux ce que ceux-ci indiquent comme tel. Progressivement, on ne peut même plus parler d'une influence, sur eux, de leurs parents ou de leur environnement proche ; les enfants y adhèrent de l'intérieur et sont motivés à devenir ce qu'on leur a d'abord demandé de l'extérieur : il ne s'agit pas à proprement parler du processus d'identification à telle ou telle manière d'être spontanée des parents, mais d'une adhésion aux invitations éducatives que leur font ceux-ci.

Lorsque les parents ont la juste intuition que ce qu'ils demandent correspond à des données de l'équipement de leur enfant et que, mieux encore, c'était spontanément désiré par lui, plus ou moins intensément, le résultat peut être tout-à-fait harmonieux : chacun a l'impression de ce que les anglo-saxons appellent achievement : achievement du projet, et de soi.
Ce n'est néanmoins pas toujours le cas : certains parents poussent l'enfant à produire à l'extrême, en fonction de compétences ( scolaires, sportives ...) qui sont peut-être potentiellement présentes, mais ils ne satisfont pas d'autres besoins de base ( jouer, se délasser, demander de l'aide ...) 


Dans la suite de sa vie, l'ex-enfant peut craquer d'un coup ou/et être candidat aux maladies psychosomatiques de stress. Pire encore, certains parents illusionnent sur des aptitudes des goûts que l'enfant n'a pas et lui demandent donc des rendements impossibles : c'est la porte ouverte à l'époumonnement, à l'angoisse de l'échec, puis, inévitablement, à l'échec vécu comme faute, à la dépression ou à la révolte culpabilisée.

Enfin, si beaucoup d'enfants s'en remettent largement au projet des parents, ils ne le font pas pour tout ... et il existe une minorité qui ne le fait pas ou presque pas. Ne pas vouloir voir cette zone de contestation, ou ce caractère plus largement contestataire, l'ignorer en ne lui reconnaissant aucune signification ou le combattre ostensiblement, c'est ouvrir la porte au bras de fer, à la révolte plus ou moins culpabilisée avec tous ses signes négatifs, ou, ce qui ne vaut guère mieux à l'écrasement et à la perte de la capacité d'initiative de l'enfant.

Notre responsabilité, ici, est de bien évaluer le potentiel de l'enfant ... d'accepter d'en tendre ce que d'autres nous disent quand nous rêvons trop pour lui ... de continuer à être positifs à son égard, sans lui faire payer notre frustration quand nous devons rabattre nos illusions.

Quand il a l'air de résister à nos attentes, nous devrions d'abord nous demander s'il dispose bien des moyens d'aller dans le sens que nous souhaitons. Et si, cette évaluation faite, il nous paraît plutôt bien équipé, nous devrions nous demander s'il n'a pas le droit de désirer, ici et là, d'être ailleurs que dans notre projet. Et si, tout compte fait, pour la suite de sa vie, il ne peut pas s'avérer bénéfique qu'il ait la force d'affirmer et de réaliser sa différence, et ceci, d'abord à nos dépens !



IV. LA VULNERABILITE DES VECUS AFFECTIFS

 

.A- Beaucoup d'enfants n'évaluent pas toujours avec justesse l'amour et l'estime qu'on leur destine. 



Il en va probablement ainsi à cause de la fragilité et de la suggestibilité de leur intelligence, que nous avons déjà évoquées, et pour d'autres raisons complexes qu'il serait trop long de développer dans cet article.

* Une majorité de ces enfants fait régulièrement des estimations à la baisse : parce qu'un petit frère vient de naître, parce qu'ils n'ont pas tout à fait répondu à ce qu'ils croient être les attentes des adultes, parce qu'ils interprètent erronément les préoccupations de leurs parents ... ils peuvent croire, désespérément, qu'on ne les aime plus et qu'on ne les aimera plus jamais, et présenter alors, parfois de façon durable, tous les signes d'une dépression ( apathie, irritabilité, somatisations d'appels ) D'autres pensent qu'on les aime encore, mais au titre de « ratés » définitifs, parce qu'ils n'ont pas une juste appréciation de la balance de richesses et de manques constitutive de chaque être humain : eux aussi peuvent se déprimer. Il nous revient donc d'être extrêmement attentifs à ce besoin qu'ont tant et tant d'enfants de recevoir explicitement et fréquemment des signes d'amour et d'estime adaptés à leur réalité : sans être hypocrites mais, parfois, sans être tout-à-fait spontanés, nous pouvons au moins nous raisonner; être attentifs à ce qu'ils montrent d'eux et leur donner ces encouragements si indispensables à leur croissance : un enfant « reconnu » positivement sourit, se sent bien, et réalise son potentiel.

 chagrin


* Inversement, une minorité d'enfants surestiment l'intérêt et l'estime dont ils sont l'objet. Ce sont probablement ici des enfants adulés par les plus proches de leurs proches, et qui ne comprennent pas que des relations positives avec le monde social se conquièrent, à coup de compétence réelle, de services rendus et de réciprocité : c'est là une autre forme de vulnérabilité, car, tôt ou tard, ils peuvent « tomber de haut » et vivre un très profond désarroi. Néanmoins, les éduquer à davantage de sensibilité sociale nécessite la coopération du (des) parents(s) adulant, ce qui n'est pas toujours facile à obtenir.

 



B.- On peut discuter de manière analogue la question de la paix intérieure,

 

versus la peur du gendarme ou la vraie culpabilité : pour des raisons diverses, intellectuelles, identificatoires à leur milieu, et autres :

* beaucoup d'enfants imaginent trop vite et trop fort qu'ils pourraient être agressés et punis, et donc qu'ils sont mauvais, pour des petites maladresses, des manquements aux attentes d'autrui, voire de vraies fautes ( au sens de l'intentionnalité destructrice ) qu'ils ont commises. Face à eux, il nous revient donc d'être clairs dans l'énonciation de ce qu'est vraiment le bien et le mal et ce qu'est chaque être humain, fait de richesses et de manques, et d'un droit à exercer sa liberté jusqu'à un certain point ;

* inversement, une minorité d'enfants se donne le droit d'être tout-puissants, sans considération pour la peine infligée à autrui : il nous revient alors de les éduquer à une sociabilité au moins raisonnable.

 

V. LA PROTECTION CONTRE LES AGRESSIONS EXTERNES

 


La société civile belge est hypersensibilisée à l'existence de ces agressions depuis les dramatiques événements d'août 1996. Certes, ces agresseurs d'enfants existent et les institutions belges dénient probablement bien trop l'extension quantitative et les nuances qualitatives de la perversité qu'ils peuvent revêtir (« Pas de réseaux pédophiles chez nous ... Régina Louf est folle, n'est-ce pas ? ») Certes, les enfants sont particulièrement vulnérables face aux plus violents ou aux plus subtils de ces agresseurs.

N'oublions néanmoins pas les agresseurs au quotidien ... que nous pouvons être nous-mêmes : paradoxalement, il est plus facile de faire des campagnes de prévention contre Dutroux et consorts, que de se mettre en question, soi, et de se dire que, parfois, chacun fait des pressions psychologiques réellement abusives sur son propre enfant (« N'est-ce pas que tu as envie que ? ... » Il est souvent plus simple de dénoncer le beau-père alcoolique violent du Quart-Monde, que d'aller interpeller l'instituteur de son fils, pourtant indûment disqualifiant, ou telle dimension inacceptable de l'organisation scolaire.

Soyons attentifs également à ne pas présenter à l'enfant la vie sociale, la relation à autrui, la sexualité ... comme une somme de dangers dont il faut indéfiniment se prémunir : ce pourrait être l'effet pervers involontaire des campagnes de prévention qui visent, au sens large du terme, à renforcer l'enfant. Rappelons lui donc d'abord que la rencontre avec l'autre et l'exercice de la sexualité, sont (très) majoritairement agréables et enrichissants, mais que, de temps en temps, il faut pouvoir se protéger de l'une ou l'autre déviation. 


Ces préliminaires étant posés, notre responsabilité dans ce domaine se compose comme suit :

* Etre suffisamment et matériellement présents aux côtés de l'enfant : nous y reviendrons dans le paragraphe VI, à propos de la stimulation spirituelle.

* Lui interdire de prendre des risques dis proportionnés à sa lucidité et à ses forces et lui en expliquer la raison ( sans marchander ! )

* Se réjouir spontanément et explicitement des moyens qu'il trouve seul pour se défendre ... y inclus, et peut-être surtout, quand il s'agit de s'affirmer contre nos propres abus ; lui donner confiance dans la capacité auto-protectrice dont il jouit spontanément ; veiller à ce qu'il n'y ait pas de doubles messages à ce sujet : pour se sentir fort, il est essentiel qu'il se sente parfois efficace contre nous.

* L'encourager à se défendre, chercher « des trucs » avec lui ; l'y entraîner, mais avec patience, en lui répétant s'il le faut que ça viendra un jour : le pire de tout, c'est qu'il aurait peur ... d'être agressé par nous parce qu'il ne serait pas assez efficace à nos yeux pour bien se défendre !
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VI. DEPENDRE DE L'APPROVISIONNEMENT PAR AUTRUI

 

A.- Le petit d'homme naît largement prématuré

 

Sa survie physique dépend d'abord totalement de la qualité et de la quantité de soins que lui prodigue son entourage : il faut suppléer à ses incapacités du moment pour subvenir à ses besoins en nourriture, boisson, chaleur, hygiène, calme et repos, et

 Baby Jesus sleeping Benvenuto Tisi Garofalo

« Enfant-Jésus endormi », Benvenuto Tisi Garofalo


Même quand il se débrouille mieux, il n'est pas toujours certain que son instinct - au sens le plus biologique du terme - soit très sûr : il peut « ignorer » les besoins de son corps, au nom de sa volonté de puissance ou de plaisir, au nom de sa dépression du moment, au nom de son envie de se consoler à sa manière, etc ... Nous avons donc la responsabilité d'approvisionner sa vie physique et de veiller sur elle : c'est évident aussi longtemps qu'il en est incapable. C'est souhaitable, mais avec une tolérance plus grande quant aux limites exactes de ses droits, dans les moments où il ne désire pas veiller lui même sur un « Soi-corporel » qui serait raisonnablement géré. Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il faut protéger les anorexiques contre les excès de leur programme ascétique, imposer un certain temps de repos même aux plus turbulents, se battre pour que les diabétiques se surveillent et se médicamentent au moins passablement, etc  ... Nous ne gagnons pas toujours ces combats, mais le pire de tout est d'en démissionner.

Complémentairement, il nous revient d'encourager l'enfant à la gestion de soi par soi et d'accepter certaines originalités sans en faire tout-de-suite la source d'interminables combats : personne - à commencer par nous - n'est obligé de devenir un mangeur diététiquement correct, ni d'aller à la selle tous les jours, vingt minutes après le petit déjeuner.



B. - La stimulation spirituelle est aussi importante que l'approvisionnement matériel : 



les bébés cobayes élevés sans langage sous l'ordre d'un monarque de Bavière sont tous morts rapidement. Par « spirituel », nous entendons ici : un bain de mots qui dit - qui propose - à l'enfant ce que sont le monde et la vie ; un bain de stimulation intellectuelle ; un bain d'amour ; qui se manifeste entre autres par une tendresse corporelle, et un bain de repères supérieurs et de valeurs, dont l'adulte lui parle et dont il témoigne dans sa vie et qui donne à l'enfant des jalons pour réaliser sa propre humanité.

Toutes ces stimulations passent par une présence de l'adulte aux côtés de l'enfant : présence non étouffante, qui laisse vivre ... mais présence consistante, qui se donne, qui donne à l'enfant le meilleur d'elle-même et qui veille sur lui ( et le surveille parfois, à l'occasion ) 

 Ousman Sow Mère Masaï et son bébé

 « Mère Masaï et son bébé » Ousman Sow


On ne connaît que trop bien les effets de l'absence : absence d'amour qui entraîne la carence affective ... mais aussi, absence de vigilance et de témoignage qui laisse les enfants trop livrés à eux-mêmes, et trop enclins à organiser de mauvaises habitudes, pour se donner du plaisir dans la solitude ( de la perversion à la délinquance, en passant par la toxicomanie )



CONCLUSIONS

 

Que nous donnions des soins à l'enfant ou/et que nous ayions mission de l'éduquer, nous ne remplissons bien ces fonctions que si nous pouvons l'apprivoiser et entrer en relation avec lui. Relation authentique, où se vit au moins une certaine amitié pour lui ( et pour les parents, une affection encore plus spontanée ), et où nous lui donnons quelque chose de nous. A l'intérieur de cette relation, et quelles que soient nos missions plus pré cises, nous sommes constamment invités à tenir compte et de sa part de vulnérabilité - dans les différentes facettes que nous avons exposés - et de sa part de compétence, tant dans ses idées que dans ses comportements.

En faisant cette intégration, parfois quelque peu acrobatique, nous l'autorisons moralement à devenir un être humain confiant en soi, désireux de développer son projet de vie propre, se sentant être de valeur sans se croire un surhomme ; il peut à la fois faire son propre chemin, faire progresser l'humanité et aussi, à l'occasion, se reposer sur autrui et demander de l'aide parce qu'il n'est pas parfait.

Cette présence intense à l'enfant, ce n'est pas une récréation pour adultes fatigués, ni quelque charité à l'usage de dames patronnesses hypersensibles : nos enfants sont les forces vives de demain, aider un enfant à s'épanouir, c'est avoir très souvent un effet multiplicateur, étant donné la famille qu'il fondera probablement et donc, les impulsions de vie qu'il transmettra : une perspective de développement durable ne concerne pas que la sollicitude pour l'environnement matériel ; elle concerne aussi nos liens directs avec nos enfants, qui sont notre futur et l'un des sens les plus profonds de nos vies.

 mine 2
l'horreur inqualifiable des mines anti-personnelles