Reçu de Mathieu ( étudiant, 24 ans ) : 



Monsieur,
Il y a quelques années déjà, je suis tombé plus ou moins par hasard sur votre site, et plus précisément sur une page qui parlait des perversions.
Je me permets de vous écrire à ce sujet. J'ai été, et je suis, dans l'un des cas repris dans cet article, plus précisément l'exemple du salon de chatt "Maître cherche lope". A l'époque, ça se passait sur caramail et la modération était moins efficace qu'aujourd'hui. J'ai commencé vers mes douze ans. Bien que j'aie eu une éducation que je pense normale sur tous les plans et que je me vive la plupart du temps comme hétérosexuel, j'ai commencé par de petits "scénarios" joués en dialogue écrit, prenant systématiquement la place du "passif" par rapport au partenaire. Le fait que des partenaires "cyber" homosexuels soient bien plus faciles à trouver que des jeunes filles intéressées par la même chose a sans doute joué et, petit à petit, j'ai développé une forme d'addiction qui me fait effectivement l'effet d'une drogue comme mentionné dans votre page. Chaque nouvelle étape dans la perversité m'a semblé comme un nouveau "mur", une nouvelle limite que je franchissais et que je détruisais pour toujours. Je suis passé aux dialogues par webcam avec exhibition, puis l'élément de soumission dans la veine sado-masochiste s'est installé.
Plutôt que d'entrer tête baissée là-dedans, j'ai tenté, et je tente toujours de lutter. Ces "pulsions" me viennent périodiquement. Elles sont irrépressibles et peuvent résulter d'une humiliation légère subie dans la vie de tous les jours ou venir par le simple fait de trop y penser; par contraste, le reste du temps, la simple idée m'en est insupportable. Dans la vie de tous les jours, je suis l'exact opposé de ce que je suis devant cette webcam. Mes efforts pour arrêter se sont soldés par des échecs au bout de quelques mois maximum et, à chaque fois que ça me reprend, l'envie cesse brutalement dès l'orgasme; y succèdent des sentiments de honte, de faiblesse, de rage. Notez qu'à part en ce qui concerne cette soumission, les hommes ne m'intéressent absolument pas. De peur de détruire le dernier "mur", je ne suis jamais passé au réel et je le refuse systématiquement.
Vous parliez de l'exemple du fétichiste des pieds qui se verra servir du "assume-toi, tu n'es pas le seul" à tour de bras s'il s'en plaint. J'ai dialogué anonymement avec un grand nombre de personnes à cause de ces "pulsions", parfois très amicalement et de façon enrichissante, mais c'est la réponse qui me vient le plus souvent. Je devrais assumer cette "difformité" de mon esprit, elle serait innée et impossible à réprimer. Pour eux, je refoulerais mon homosexualité.
Mais ils ignorent que la question n'est pas là : la question est que, dans mon état "normal", je n'aime pas ça. Je ne veux pas être ça, je ne veux pas le faire. Pourquoi serais-je plus proche de moi-même lors d'une pulsion sexuelle incontrôlable que lorsque je peux penser rationnellement, sans émotion ni contrainte visible ? La tolérance de notre société se transforme en intolérance lorsqu'en son nom, l'on voudrait me forcer à accepter des pratiques dont je voudrais qu'elles disparaissent.
Je n'en n'ai jamais parlé à quiconque hors de mes sessions de webcams et dialogues.
J'ai maintenu le secret pendant dix ans de façon absolue, et j'ai confiance en moi pour parvenir à le dissimuler à jamais. Je ne pense pas que je pourrais supporter le regard de mes proches si je leur apprenais cette vie "cachée", et je ne pense pas qu'ils m'aideraient. Payer des séances de psychanalyse ou chez un psychologue serait trop peu discret à l'heure actuelle pour que je puisse me le permettre. En dix ans, je n'ai trouvé aucune solution, et ce n'est pas cela que j'espère en vous écrivant.
Je suppose juste que j'avais besoin d'expliquer mon expérience à quelqu'un dont je sais qu'il la comprendra.



 Je réponds à Mathieu :

 

 bon, je suis très touché après vous avoir lu ... ce qui vous arrive est tellement « humain » au-delà de son apparente « inhumanité »!!!! il y avait sans doute une petite prédisposition en vous à vous faire humilier ( votre histoire de vie pourrait vous le révéler ), mais, largement par hasard, vous y avez connu des plaisirs intenses ( pas seulement sexuels ... il y en a d'autres, comme celui, pour un jeune de douze ans, de « se faire » un adulte ... les sexologues disent que le masochiste est plus puissant que le sadique car il conditionne plus le plaisir de celui-ci ) ... et patatras, vous êtes devenu un super-addict.
J'ai néanmoins l'impression que votre personnalité n'est pas massivement perverse, c'est à dire que vous souffrez et que vous essayez vraiment de vous en débarrasser ...
J'imagine que vous êtes encore célibataire ??? en tout cas pas pris dans la « bonne » liaison sentimentale avec celle, ou celui, avec qui on sait qu'on va fonder un couple ... si c'est le cas vous avez raison, car votre double vie ne tiendrait pas la route, et ce serait le désastre.
Alors, je vais être franc avec vous ... pour vraiment sortir de là, il y a deux choses que vous pouvez faire :
- renoncer à un ordinateur chez vous et pour très très longtemps ; ne travailler sur ordinateur qu'à la bibliothèque de votre université ( vous n'y arriverez pas autrement ... c'est comme l'alcoolique grave et les bouteilles d'alcool ... c'est dur mais réfléchissez avant de tricher avec vous-même à ce propos en vous convainquant que ce n'est pas possible.
- faire une psychanalyse avec un analyste très compétent ... je n'en connais qu'un pour ce genre de problèmes, que je pourrais vous renseigner.
Bien cordialement, mon jeune frère en misères et en richesses humaines



3. Et Mathieu me répond : 

 

Je vous remercie de votre réponse, qui plus est très rapide, et de votre intérêt.
Si cela peut ajouter une piste quant à mon histoire de vie, il est peut-être bon de savoir qu'enfant, vers à peu près huit ans, l'un de mes cousins a fait une tentative, sinon de viol, au moins d'attouchement. Cela s'est passé hors de vue de tout le monde et je suis parvenu à le repousser avant qu'il n'aille plus loin. Bien que je n'en n'aie jamais parlé à quiconque faisant partie de ma famille, cette histoire, qui s'est comme "déterrée" de mon esprit sans prévenir, est toujours aussi douloureuse. En ce qui concerne les humiliations, j'ai été pendant toutes mes primaires et mon secondaire le "souffre-douleur" de ma classe. Il m'en reste des tendances asociales et misanthropes que j'ai peu à peu atténuées, mais cela me semble trop significatif pour ne pas être lié à mon problème.
Problème qui, effectivement, en serait moins un si je n'étais pas également attiré par les femmes. Vous l'avez dit : cette double vie serait impossible à vivre au sein d'une relation plus ou moins sérieuse. Je suis effectivement "célibataire" depuis un an, après avoir eu une petite amie plus d'un an. A noter que le fait d'avoir une petite amie, même sérieuse, ne m'a pas empêché de continuer, mais il m'a aidé en éliminant l'une des rationalisations qu'il m'arrive de donner à ces pratiques : ayant une petite amie, j'ai une raison de les arrêter. Sans petite amie, il me semble parfois qu'il n'y en a aucune.
La première solution que vous suggérez serait sans doute efficace à permettre un "recul", dans le sens où ça me ferait "régresser" dans ces pulsions, mais il faut savoir qu'avant de les vivre par Internet, je les vivais déjà seul lors de certaines "séances" de masturbation. Je me rappelle même, quand j'étais enfant, d'un épisode où mon père est rentré dans la salle de bain alors que j'y étais. Sans savoir ce dont je parlais à l'époque, je lui annonçai avec une certaine innocence la découverte que je venais de faire dans mon bain : "Quand je pense qu'on m'attache, y'a mon zizi qui grandit". Ce sont mes mots exacts et je revois la scène avec précision, y compris son rC'est la dernière chose que je veux : je me disais ce matin même que je préférais continuer plutôt que de le leur apprendre.
Votre deuxième solution est peut-être plus simple. Je ne pense pas que mes finances me permettent un psychanalyste ( ou plutôt me le permette sans que mes parents ne remarquent quelque chose, c'est toujours compliqué quand on est étudiant et je ne veux pas avoir à mentir ), mais si vous voulez m'indiquer les coordonnées de cette personne, cela me donnera au moins le choix d'y réfléchir et d'opter pour cette solution si elle s'avère réalisable, tout de suite ou lorsque je serai plus libre de mes mouvements et de mon argent.
Pour finir ce long mail, il en existe beaucoup comme moi, j'en suis conscient; j'ai eu tout le loisir d'en croiser sur les chatts. Un seul, plus âgé que moi, avait la même position que moi sur la question de façon ouverte ( à la fin du dialogue par webcam, nous étions tous les deux décidés de nous en sortir ), mais je pense que beaucoup d'autres cachent ou musèlent leurs réticences.
J'ai moi-même été touché par cette réponse que je n'attendais qu'à moitié - j'ai dû me forcer pour envoyer le mail précédent et je l'ai regretté ensuite, ce n'est plus le cas. Encore une fois, merciegard inquiet. Mais le problème n'est pas là.

Je sais que cette solution améliorerait mon état, mais elle se heurte à un double problème : j'ai toujours été un "addict" de l'ordinateur et d'internet, qui constituent mon passe-temps principal ( tant au niveau du web lui même que des jeux, jeux de rôles ou jeux vidéos; bref ce serait renoncer à beaucoup de choses qui me semblent positives par ailleurs ); deuxièmement, et c'est lié au premier, si jamais j'éliminais du jour au lendemain cette occupation de ma vie, cela alerterait forcément mes proches dont mes parents et quelques bons amis. 

.Je réponds :

 

  cher Mathieu, 

Tout en vous gardant le respect amical par lequel je terminais mon premier mail, je vais continuer à être direct. Je crois que je me suis trompé et que vous êtes plus envahi par une organisation perverse que ce que m'a fait penser ma première impression.
Et en sortir demande beaucoup de courage. Je ne vous sens pas encore prêt. Vous souffrez, certes, mais pas au point de faire ce qu'il faut pour vous débarrasser de ces plaisirs régressifs. Je crois que ce que vous cherchez auprès de moi, c'est compréhension et non-solitude, mais pas tout à fait une force pour changer ... . Ma compréhension, vous l'avez, mais elle ne vous permettra pas d'avancer, tout au plus à mieux vous accepter tel que vous êtes ... ce que vous n'aimez pourtant qu'à moitié ... ce que je comprends !!!!
Un jour, vous avez dit à votre père : « Quand je pense qu'on m'attache, mon zizi grandit,( c'est à dire, c'est comme ça que je jouis ) » ... et j'imagine que sans vous en rendre compte, vous guettiez son évaluation ... . C'est en partie, je pense, la même question que vous me posez ... . Mais je ne vous dirai pas si j'approuve ou si je désapprouve ... je vous renvoie à vous-même !
A tout ce que je vous ai proposé d'ordre « chirurgical » ( car il n'y a que la chirurgie de l'âme et des comportements comme moyen de sortir de cet enlisement que le temps et le plaisir ont lentement concoctés ), vous m'avez répondu : « Non, ce n'est pas possible » en avançant des tas de raisons que je pourrais contester une à une mais que je ne ferai pas, car il s'agit de votre choix de vie, pas du mien ... .

 


Pour le moment, vous êtes encore occupé à légitimer l'impossibilité de mettre en œuvre les vrais moyens de changement, comme le fait l'alcoolique qui dit « je vais arrête de boire, mais dans une semaine ».
Au plaisir de vous lire ... ou de vous rencontrer ... pas de problème pour moi de le faire, vous vous sentirez peut-être moins seul, mais si ça se limite à ça ne vous fera pas changer et donc, ça retarde le moment de la formation profonde de votre couple et de votre famille.
Cordialement



. Et Mathieu me répond : 

 

Je sais que vous avez raison. Néanmoins, notre échange a fait changer certaines choses. J'ai expliqué mon problème à un ami de longue date, ce que je n'aurais jamais fait avant. . J'ai supprimé mes contacts et mon accès au site qui me permettait ces "rencontres"; j'érige des obstacles qui m'aideront à me maintenir à distance les prochaines fois et à me rappeler les raisons de lutter. J'ignore si ça suffira et vous serez sans doute de l'avis contraire, mais j'ai l'impression d'avoir fait un pas. Mon orgueil me pousserait à dire "Je tiendrai !" d'une voix assurée si je ne savais pas combien, une fois au pied du mur, c'est difficile. Je peux au moins dire que j'essayerai là où, jusqu'à notre échange, j'en étais presque venu à me résigner. Il est vrai que je me sens également moins seul et que le poids de ce secret semble s'être allégé.