Une maman m’écrit:
Je suis la mère de Roxane, 9 ans et demi, qui souffre depuis toujours d'énurésie diurne, et depuis l'âge de 5 ans et demi d'encoprésie. J'ai été rassurée à la lecture de votre article, de constater que nous avons mis en application un bon nombre de vos conseils, et n'avons pas été, finalement, de si "mauvais parents" que ça. Nous avons essayé, sans jamais réussir à éliminer le symptôme via bien des activités thérapeutiques (Ndla la maman les énumère et les explique, par exemple la psychothérapie pour Roxane (dont la conclusion a été: "ça finira à la pré-adolescence, quand elle le voudra bien"). Nous avons essuyé les foudres du système scolaire et les essuyons toujours quelque peu. Heureusement, les autres enfants sont vraiment sympas et compréhensifs avec elle.
Permettez-moi le plaisir de décrire Roxane: grande pour son âge, de grands yeux verts pleins de gravité et d'intelligence, très vive. Elle a un caractère très prononcé, des résolutions qu'elle tient contre vents et marées, et se rebelle contre les injustices. Elle a du mal à réfréner son désir de toute puissance, ce qui en fait une enfant parfois colérique, avec des enjeux éducatifs forts pour les parents. Nous devons sans cesse cadrer, définir les règles, s'appliquer à les faire respecter... Elle a une grande sœur, Maud, de trois ans son aînée, et un petit frère, Thomas, de 5 ans son cadet. Elle est très agressive avec lui, surtout lorsque sa sœur est là. Plus douce, voire maternante lorsqu'ils sont seuls. Roxane est très imaginative, invente des personnages, lit vite et beaucoup. Elle parle peu, confie peu ses sentiments, et a souffert longtemps de ne pas avoir d'amis à l'école.
En ce qui concerne son énurésie, elle est maintenant complètement propre la nuit, mais se souille régulièrement le jour, par périodes de crises (jusqu'à 6 ou 7 "accidents" par jour), crises qui aboutissent en général à une période d'encoprésie. Il peut lui arriver d'être complètement propre pendant plusieurs semaines. Malgré tous mes efforts, je n'arrive pas à trouver de facteurs qui déclencheraient ces crises.
En ce qui concerne la réaction parentale en cas de crise, nous avons défini une attitude commune avec mon mari: nous acceptons et compatissons aux accidents, mais restons fermes sur le fait qu'elle doive régler seule les conséquences: douche, vêtements dans le panier de linge sale, rincés en cas d'encoprésie. Malgré cela, il lui arrive de dissimuler des habits souillés, en général sous son lit, et de les oublier sincèrement et complètement, ce qui me fait en général dépasser le seuil de la patience maternelle. ... Et en souffrir, car Roxane est malheureusement la seule de mes enfants à me faire sortir de mes gonds. Nous avons essayé également de faire des choses de manière préférentielle avec elle: cinéma, séjour à deux en période de crise, nous prenons soin de l'extraire de sa fratrie lorsque nous l'amenons à une activité (nous essayons d'avoir un moment seul à seul dans la semaine avec chacun de nos enfants) Jusqu'à présent, rien n'y fait. Roxane est de plus en plus désespérée et angoissée. Elle est profondément malheureuse lorsque nous évoquons le problème.
J'ai l'envie profonde de remettre tout à plat, ce mail fait partie de la démarche. J'ai pris rendez-vous avec un service de chirurgie viscérale pédiatrique, qui est le seul à Lausanne à proposer des consultations pour énurésie diurne, un rendez-vous avec un service de gastro-entérologie pédiatrique pour l'encoprésie, un rendez-vous avec un pédopsychiatre (on me dit que Roxane est peut-être dépressive) Je redoute les examens, je redoute de me tromper et de lui faire subir des choses qui l'abîmeront plus encore. Aidez-moi si vous avez des idées, je me demande ce que ma fille gardera comme souvenirs de son enfance, je me demande comment elle pourra aborder l'adolescence dans ces conditions. Merci d'avoir eu la patience de me lire jusqu'au bout. Bonne fin de journée.
Cordialement. Sandra L.
Je lui réponds:
Chère Madame,
Roxane vit par moments des crises "mystérieuses" où elle perd (largement?) de jour le contrôle de ses sphincters. Je ne vois aucune maladie organique qui pourrait expliquer ceci. Sans doute se produit-il des événements de vie parfois perceptibles, parfois "subliminaux" pour les témoins de sa vie et pour elle (!) qui changent son bien-être intérieur à la baisse. Puis très vite, un désespoir même secret d’avoir rechuté, le stress, la honte, le dépit ...aggravent encore les choses, jusqu’à l’arrivée de l’encoprésie que je ressens comme un dernier moment de laisser-aller désespéré. Puis elle arrive à se reprendre.
Vous avez essayé beaucoup de choses pour l’aider. Si j’avais été son psy, je vous aurais probablement dit, moi aussi: "Maintenant il faut s’incliner et attendre." Parce que, en effet, en début d’adolescence (ou d’entrée à l’école secondaire), ces jeunes retrouvent tous la maîtrise de leurs sphincters (renforcement pubertaire du corps + enjeux beaucoup plus forts autour de l’image de soi). Je n’aurais certainement pas ajouté: "quand elle le voudra bien", comme cela vous a été dit, parce que c’est beaucoup plus complexe que "vouloir ou ne pas vouloir" ... ce n’est certainement pas par "mauvaise volonté" qu’il se passe ce qui se passe aujourd’hui!
Votre politique de gestion du quotidien me paraît positive, sauf que vous ne devriez pas sortir de vos gonds quand vous découvrez un slip souillé dissimulé, mais éprouver de la compassion pour la honte et le "ras-le-bol" que Roxane a dû ressentir pour en arriver là, malgré qu’elle sache qu’elle a des parents compréhensifs. Je n’ai jamais connu un enfant encoprétique qui ne faisait pas de dissimulation, malgré toutes les promesses du monde, tant, dans sa solitude, il lui arrive de se sentir malheureux et honteux.
Essayez donc d’intégrer à l’avance que, si elle vous fait une promesse de 100 % d’autogestion, elle ne tiendra le coup que 80 %. Pour le surplus, bah, fermez les yeux, lavez ces slips sans rien dire et donnez-lui un coup de main discret.
Par contre, vos derniers projets de "mise à plat" m’inquiètent et vont contre l’idée de patience émise par vous plus haut dans le texte. J’ai très peur des services médicaux contemporains, qui trouvent toujours des maux secrets parce qu’ils ne supportent pas le non-savoir, qui inventent des manœuvres plus ou moins intrusives à faire et proposent des remédiations acrobatiques qui n’en sont pas: Vous risquez de faire beaucoup pire que bien avec ces pédiatres et urologues spécialisés!! Moi, je n’y mettrais pas les pieds, même pas une fois pour voir ce qu’ils disent.
Et le pédopsychiatre? Je ne sais pas! Qu’en pense vraiment Roxane, qui connaît par cœur la chanson psy? A-t-elle "envie" (ou plutôt trouve-t-elle potentiellement utile) d’encore aller parler une fois, ou en a-t-elle ras le bol et préfère-t-elle attendre que ça parte tout seul, peut-être un peu moins vite? J’y regarderais à deux fois avant de la forcer! Si elle dit non, vous pouvez encore toujours aller voir ce collègue, votre mari et vous, (avec ce texte si vous le souhaitez) et passer en revue vos attitudes quotidiennes! (et vos vécus)
Bien amicalement.
La maman me répond:
Monsieur,
Merci beaucoup pour la rapidité et la longueur de votre réponse. Je suis globalement convaincue par votre argumentaire, et éprouve un certain soulagement à l'idée d'éviter pour ma fille un "marathon médical" J'avais pris le parti déjà ces derniers mois de lui faire confiance et d'attendre, mais une ombre reste, qui m'a donné l'envie de "tout remettre à plat", celle de la dépression. Cette préoccupation est toute récente et a balayé mes convictions: Un ami de mes parents, médecin m'a en effet dit que les symptômes énurétiques avaient cédé chez des dizaines de jeunes patients à la prise d'antidépresseurs. Il a été très sévère avec moi sur le fait que Roxane n'ait jamais vu de médecin psychiatre. Cette idée de dépression m'angoisse fortement, et encore plus l'idée de médicamenter Roxane. Comment reconnaître les symptômes de la dépression chez un enfant? Je vous avoue que je préfèrerais laisser le temps au temps, et amener Roxane faire du cheval plutôt que continuer les thérapies de tout poil. Elle a fait un an d'équitation, sur sa demande, puis sa psychomotricienne nous a recommandé de suspendre cette activité qu'elle adore, pour en faire une condition de sa propreté... ce qui n'a rien changé sur le long terme. Je m'en veux énormément. Si j'étais certaine que Roxane n'est pas dépressive, je pense que j'arrêterais toute thérapie, intégrerais encore plus ces "problèmes" comme une composante ou une limite temporaire, et pourrais me concentrer sur la douceur et le bonheur de vivre ensemble. J'ai envie de lui donner le choix d'une nouvelle thérapie, et de lui demander pardon pour toutes mes erreurs et mes colères. Il faut beaucoup de forces pour résister à la pression sociale et faire le tri des avis et des conseils. Ma conviction profonde de maman aimante et imparfaite est que ma fille est un trésor, d'une sensibilité à fleur de peau, et pour qui les enjeux éducatifs (comprendre le monde, intégrer une éthique, apprendre à se contrôler dans le stress et la colère...) sont peut-être les seuls ressorts vraiment utiles. Reste cette question de la dépression... J'ai l'idée, peut-être fausse, que l'énurésie et l'encoprésie ne sont que des symptômes d'un mal plus profond, symptômes qui se déplaceront à l'adolescence (anorexie, auto-mutilation...), tellement ce qu'elle fait subir à son corps me paraît violent. Je ne suis pourtant pas du tout une mère rigide, accro à la propreté et à l'ordre!
Pouvez-vous répondre à ces questions obsédantes, s'il vous plaît:
- Pour ce que je vous en ai dit, Roxane présente-t-elle les signes de dépression?
- son rapport au corps vous paraît-il déviant?
- l'énurésie et l'encoprésie peuvent-ils dévier vers d'autres symptômes, à la puberté?
Tous avis et suggestion autres seront évidemment les bienvenus.
Merci encore de votre attention, je suis très touchée par votre bienveillance, la simplicité et les positions éthiques qui émanent de votre site. Le monde a vraiment besoin de gens comme vous. Merci.
Cordialement. Sandra L.
Je lui réponds:
Chère Madame,
Vous trouverez mes idées sur la dépression de l’enfant sur mon site ( dossier thématique Dépression)
A lire votre second texte, je vous confirme que, selon moi, tout ce que j’ai écrit dans la première réponse reste valable. En effet:
- Les crises vécues par Roxane resteront probablement un mystère. Il n’est pas impossible que, lors de certaines d’entre elles, il y ait un vécu dépressif (perte de l’estime de soi; impression que l’on n’est plus aimé ou plus digne de l’être);
- Toutefois, ce genre de vécu, propre à des enfants sensibles ne se soigne pas via des médicaments (inopérants chez l’enfant au demeurant) mais bien via la sollicitude délicate des parents;
- Et via aussi peut-être la rencontre de soi et la parole exprimée en psychothérapie: mais à ce propos, vu le passé de Roxane avec les psys, je vous ai suggéré de lui demander ce qu’elle pensait de l’idée et de vous aligner sur son choix.
Bien cordialement.