Chapitre extrait du livre « la sexualité des enfants », JY hayez, Odile Jacob, 2004
Sur la longue période de vie qui nous intéresse ici, plusieurs grandes motivations se chevauchent et se succèdent à l'instar des vagues de la mer, sans jamais vraiment mourir.
- L'enfant de six-sept ans termine la découverte de son corps sexuel et de celui de l'autre sexe. Seul ou avec un pair qu'il affectionne, il procède aux dernières vérifications à propos de la « permanence de l'objet » et de l'inéluctabilité de chaque sexuation; ses dernières angoisses à ce propos n'ont pas disparu ...
- L'enfant de huit à dix ans est un scientifique contemporain : le sexe l'intéresse, en vrac et sans tabou, mais à titre d'objet d'études. Il discute beaucoup de ces choses avec ses copains de toujours. Ils font même l'un ou l'autre exercice pratique, davantage pour savoir que pour prendre leur pied.
- Le préadolescent lui, entrouvre la porte de la chambre sexuelle des ados et des adultes, puis s'y aventure pour son propre compte : il a envie d'essayer ses compétences et le plaisir physique l'intrigue d'abord puis l'intéresse beaucoup, en théorie et en pratique.
LES ACTIVITES SEXUELLES HABITUELLES
Les activités ici décrites ont pour fondement d'être des activités (suffisamment) épanouies (saines), ou normo-développementales. Elles s'intéressent préférentiellement aux zones génitales du corps, avec des modes de fonctionnement qui progressent en accord avec l'âge développemental de l'enfant.
Regarder et inspecter
Entre cinq et sept-huit ans surtout, les enfants aiment dévoiler leurs parties sexuelles et celles d'autres enfants; observer leur constitution et leur fonctionnement; toucher, manipuler, inspecter. Ce sont surtout la curiosité et le désir de compréhension intellectuelle qui les meuvent. S'il y a partenaire, ces activités entrent souvent dans un jeu de rôle sexuel, type « jeu du docteur », mais l'enfant va vite au but et ne s'invente pas des scénarios tarabiscotés qui retarderaient les ultimes découvertes et explorations.
Dans la caravane ... Lilly (douze ans), qui craint de devenir lesbienne, confie au forum Elysa quelques souvenirs qui la préoccupent : « Quand j'avais six ans, ma cousine (huit ans) me dit d'aller avec elle dans sa caravane (NB : dans le jardin), [...] puis elle dit qu'on va enlever nos vêtements [...]. On s'est mises toutes nues, mais il ne s'est rien passé [...]. On s'est regardées deux minutes en riant et j'ai dit qu'on se rhabille. »
AU pré puberté, des activités d'inspection- expérimentation peuvent reprendre. Elles visent alors surtout à s'initier à la pratique sexuelle et aux acquisitions érotiques des aînés. L'anatomie et la physiologie intimes de l'autre sexe sont notamment des centres d'intérêt fascinants. Pourtant, beaucoup de préados n'osent pas encore s'en approcher trop concrètement : ils se contentent de la parole, d'une image porno ou de la vision furtive d'un(e) plus grand(e) au bain.
La masturbation
C'est l'activité sexuelle majeure de cette période de la vie (voir chapitre 4). Les garçons ont découvert leur pénis depuis bien longtemps, vers six-sept mois, parfois par hasard, par exemple au cours d'un change, et ont commencé à le manipuler par curiosité comme d'autres parties de leur corps (orteils, doigts, etc.). Les bébés filles découvrent, elles, leur vulve un peu plus tard, vers dix-onze mois; entre l'âge de un et trois ans, elles peuvent s'introduire une graine de haricot, un petit jouet dans le vagin, par curiosité, comme elles le feraient dans d'autres orifices (www.umich.edu). Entre l'âge de deux ans et demi et cinq ans, la plupart des enfants touchent, manipulent ou frottent leurs organes génitaux occasionnellement avec l'intention de se donner du plaisir. Beaucoup aussi les agrippent quand ils se sentent anxieux. Environ 10 à 15 % des enfants connaissent déjà les gestes classiques de la masturbation.
A partir de six ans, le caractère ostensible de la masturbation-plaisir diminue vite. Tout au plus certains enfants jouent-ils occasionnellement avec leur sexe à travers leurs habits, en ignorant ou en oubliant que des témoins peuvent comprendre ce qu'ils font. Rappel à l'ordre rapide par leurs parents, voire par les frères et sœurs aînés, honteux de leur « sales manières devant tout le monde ». En revanche, les manipulations et vérifications sexuelles dictées surtout par l'angoisse, elles peuvent rester relativement publiques jusqu'à environ huit ans.
A l'adolescence (vers treize-quatorze ans) quasi tous les garçons se masturbent, une minorité occasionnellement, une majorité entre trois fois par semaine et quotidiennement, voire plus pour une petite minorité (autour de 5 %). Entre 50 et 60 % des filles le font également. (A supposer que ces chiffres, souvent issus de questionnaires présentés à des étudiants d'école supérieure ou à des jeunes adultes, soient vraiment fiables.)
Quand on est deux
Pour les plus délurés des préados, les activités sexuelles imitent de plus en plus celles des aînés, puis, pour quelques-uns, s'y conforment totalement (1). Toutefois, il existe un hiatus important entre leur capacité de performance physique - qui peut être très « au point » - et leur maturité affective et relationnelle : elle reste celle d'enfants de onze-douze ans qui mesurent mal les conséquences possibles de leurs actions. Hélas, ils n'osent guère parler aux adultes de leurs « exploits » ni de leurs éventuelles préoccupations à ce propos et ils constituent donc un groupe à haut risque (pas de précaution contraceptive, MST, grossesses très précoces dramatiques !). Exemple de cette progression : jeunes voisins, fille et garçon de douze ans, attirés sexuellement; parents peu présents; des rencontres assez régulières à domicile qui sont l'occasion de passer par les étapes suivantes de sexualisation : baiser et étreintes du corps, baiser profond et petting (c’est-à-dire caresses érotiques à travers les vêtements), masturbation, « doigtage », sexe oral et pénétration vaginale.
Le vocabulaire et le discours sexuels
Dès sept-huit ans, une partie des échanges en cour de récréation porte sur les connaissances sexuelles. Quelqu'un rapporte une blague glanée on ne sait où, de celles qui circulent dans le vent des rumeurs enfantines, aussi souvent scatologique ou sadique que sexuelle; tout le monde dans le groupe ne comprend pas, mais tout le monde rit d'un air entendu. Au fur et à mesure de l'avancement en âge, le vocabulaire quotidien s'émaille d'interjections osées par lesquelles l'enfant affine son appartenance au monde des grands : « Putain, c'est vrai quoi; faites pas chier! » Lâchées pour un oui ou pour un non entre pairs, elles se hasardent même parfois en présence de l'adulte témoin ou dans sa direction lorsque l'enfant est très énervé ou fâché. Les blagues salaces se multiplient, de plus en plus crues. Bien des échanges sont centrés sur le sexe, et pas seulement de façon générale : on y parle aussi des proches que l'on connaît bien ou des images des multimédias; à un certain moment, beaucoup se vantent dans leur petit groupe de leurs exploits réels ou mensongers. Dans les familles tolérantes, les enfants grandissants se plaisent même à raconter devant leurs parents ou toute la famille telle blague ou anecdote sexuelle, histoire de montrer qu'ils sont « au parfum ». Avides d'écouter les adultes en faire autant, ils enragent lorsqu'ils sont écartés « parce que c'est pas pour vous, ça ... »
Le plaisir des yeux
Le plaisir de voir succède rapidement aux inspections visuelles passablement anxieuses des six-sept ans. Au-delà, l'enfant cherche à voir ce qu'il ne peut pas, précisément, parce que c'est interdit, pour faire comme les aînés qui parlent tellement de ce genre de paysages-là et puis progressivement parce que ça l'excite sexuellement. Plus il grandit, plus il va lorgner sur des corps et des activités sexuelles d'ados et d'adultes : la grande sœur matée (2) dans la salle de bain et surtout ce qu'il trouve dans la manne providentielle des multimédias, de la télévision à Internet (je reparlerai au chapitre 4 de ces sex-shops virtuels à la portée des petits, qui ne s'en privent pas).
La parole aux enfants Un adolescent de quatorze ans pose au forum Elysa une question inquiète sur sa sexualité : « Suis-je pédophile? » Il gardait en baby-sitting une fillette de dix ans « plutôt développée pour son âge [...] avec qui je m'entendais bien [...]. Elle s'approche de moi et me dit : " Tu peux me toucher si tu me montres ton zizi."» Et le garçon d'ajouter : « Je me suis laissé tenter et j'ai apprécié le jeu.» D'où sa question.
Que répondre? On ne peut rien déduire de la normalité ni de la pédophilie potentielle d'un aussi jeune adolescent racontant avoir cédé une fois à une tentation, émanant d'une fille « bien développée ». Le féliciter de se poser une question aussi grave et lui recommander de s'abstenir à l'avenir d'activités sexuelles avec des enfants jeunes (même bien développés) semble constituer la bonne démarche. Quant à la fillette, difficile également d'affirmer s'il s'agit d'un désir de voir encore normal pour son âge ou si elle fonctionne « sans retenue ». Quand elle parle comme elle le fait, s'occupe-t-elle du plaisir potentiel de son partenaire, ou se conduit-elle en petit stratège qui monnaie ses charmes, sans vraie considération pour l'autre?
LES ACTIVITES MOINS SYSTEMATIQUES
L'exhibition occasionnelle
Certains enfants aiment s'exposer nus, avec leurs parties sexuelles bien visibles (voire en érection pour les garçons), en se tortillant parfois comme une strip-teaseuse chevronnée ou en gambadant comme de jeunes faunes. Ou alors, ils baissent leur pantalon sans crier gare et invitent le témoin, souvent de leur âge ou un peu plus jeune, à admirer leur « anatomie ». Leur intention est bien de provoquer un trouble sexuel. Leur exhibition peut être spontanée et vécue avec beaucoup d'excitation joyeuse, et d'interprétation indubitable.
D'autres enfants procèdent plus subtilement et plus indirectement (ne pas fermer la porte de la salle de bain; s'arranger pour que l'ami qui vient dormir à la maison puisse saisir l'intégrale d'un déshabillage, etc. (3)). Cette seconde catégorie d'exhibitions peut constituer un jeu préliminaire de séduction, auquel se livrent des enfants réfléchis et stratèges. Elle peut aussi constituer un signal (un rien) plus préoccupant (petit jeu pervers pour troubler sans assumer la responsabilité directe de le faire ...). D'autres motivations s'ajoutent parfois à la provocation sexuelle ou la remplacent : montrer fièrement son propre degré de développement sexuel (voire sa compétence à la masturbation ou à d'autres techniques sexuelles); jouer à effrayer, surtout les enfants de l'autre sexe (et parfois dénier ses propres peurs résiduelles, comme quand on joue au fantôme), etc.
Denis et sa culotte de pyjama Denis ( dix ans ) fait occasionnellement irruption dans la chambre de sa sœur aînée ( douze ans) et parfois même de ses parents, sans pantalon de pyjama, en courant et en criant joyeusement. Il esquisse quelques gestes masturbatoires, puis se sauve toujours en criant, comme après une bonne farce. Est-ce une sorte de protestation virile face à des membres de sa famille vécus comme plus puissants que lui? Ne peut-on pas imaginer que cet enfant résilient gère son angoisse à l'inverse de ce que font certains énurétiques dans le même contexte
Le maniement des interjections, des blagues et des gestes obscènes, voilà qui est proche de l'exhibition; c'en est le mode mi- sublimé, très accepté si pas valorisé entre pairs. Un petit groupe pousse parfois la provocation assez loin et débite ses obscénités ou ses fausses questions sexuelles au téléphone. Ces enfants cherchent alors particulièrement à contester la fonction maternante d'aide des « téléphones verts » qui leur sont destinés.
Des dessins et graffitis obscènes occasionnels ont la même intention; la psychanalyse y relève une composante « anale » associée ( l'enfant « fait » une production, œuvre d'art et déchet à la fois, destinée à s'effriter lentement comme l'excrément dans la nature ).
Il y a nu et nu : Il existe une série de sauts quantitatifs et qualitatifs entre les activités suivantes qui ont toutes en commun de mettre en valeur la nudité du corps, mais qui ne sont pas toutes pour autant liées à une excitation sexuelle :
- Le naturisme, pratiqué spontanément par quelques enfants jeunes et le plus souvent en famille : plaisir d'une communion naturelle harmonieuse entre le corps nu et l'environnement, vécu sans excitation sexuelle.
- Le plaisir d'être nu pour exposer toute la beauté et la puissance physique et sexuelle que l'on ressent en soi : ici, un vécu sexuel existe déjà, presque érotique, mais pas l'intention d'exciter sexuellement quelqu'un d'autre. Ce type de nudité est assez souvent réalisé « pour soi» et peut se limiter au temps d'une masturbation ou exister indépendamment de celle-ci. Certains préadolescents goûtent à ce plaisir en grand secret, quand ils sont seuls à la maison. Ce plaisir peut également être recherché en public, mais discrètement, quasi sans l'avouer et sans le lier à une excitation sexuelle (plaisir des douches collectives dans les vestiaires sportifs ...).
- Le plaisir d'exhibitions occasionnelles.
- L'exhibitionnisme, rare chez l'enfant. La forme extrême des exhibitions est identique, mais d'autres critères les distinguent fondamentalement des simples activités ludiques et les incluent dans le cadre des activités perverses (voir chapitre 3, page 112 et suivantes).
Quelques activités sexuelles « archaïques »
Les activités et les plaisirs sexuels plus archaïques de la petite enfance sont désinvestis, mais pas vraiment abandonnés. Ils peuvent resurgir occasionnellement comme distractions alternatives claires et nettes : jeux urinaires, solitaires ou en petit groupe; goût pour les expressions et les blagues scatologiques; plaisir particulier à embrasser sur la bouche ou/et à lécher le corps, etc.
On constate surtout des dimensions archaïques minoritaires, tels les courants qui se mêlent dans un fleuve, qui peuvent infiltrer et colorer la sexualité génitale de l'enfant, pour persister probablement à l'adolescence et à l'âge adulte. Ainsi certains enfants, dans le décours de leurs activités génitales, sont particulièrement avides de donner ou de recevoir des câlins, comme à l'époque où ils étaient bébés; d'autres ont une certaine prédilection pour le « sexe oral »; d'autres, tout-puissants et dominateurs dans leur vie, vivent une sexualité conquérante et brutale et recherchent des partenaires qui aiment se soumettre, etc.
Les franches bizarreries
Autour de la préadolescence surtout, les enfants se révèlent particulièrement audacieux; ils cherchent à affirmer leur puissance en explorant avec créativité les moyens de goûter au plaisir sexuel. Ils peuvent donc se montrer très inventifs et faire des expériences sexuelles « bizarres » : se faire lécher par leur petit chien, boire du pipi, se masturber dans les culottes de leur grande sœur, etc. La frontière entre normal et pathologique transitoire - type pervers - reste floue (voir chapitre 4 pour le diagnostic différentiel avec les activités perverses). Quand les adultes tombent sur le laboratoire sexuel de ces petits docteurs Mabuse, ils en sortent souvent très choqués. Pourtant, ces situations mériteraient une analyse sereine; ils comprendraient alors que leur forme est souvent beaucoup plus inquiétante que leur signification profonde dans les aléas du développement psychosexuel du jeune expérimentateur!
DU COTE DES FANTASMES
La fantasmatisation qui accompagne les activités sexuelles enfantines est un domaine qui reste assez peu exploré et peu connu. Les enfants ne parlent guère spontanément (4) des fantasmes directement couplés à leur vie sexuelle et les adultes, psychothérapeutes inclus, ont quelque scrupule à les interroger à ce sujet en dehors de généralités (5). Cela étant, l'enfant élabore souvent autour de ses activités sexuelles une vie fantasmatique qui est loin d'être triste. Ses fantasmes conscients côtoient mystérieusement des fantasmes inconscients, analogues ou différents. Ces derniers sont à l'origine d'autres productions de l'enfant, purement mentales (rêves érotiques ou proches de l’être) ou exprimées dans des dessins, des jeux, etc., au symbolisme tantôt très lisible, tantôt difficilement déchiffrable.
Réminiscences, images, pensées ou scénarios conscients accompagnent une bonne partie des masturbations pratiquées par l'enfant. Même chez les plus petits (six-huit ans), il peut déjà s'agir de souvenirs captés à propos des corps et des organes génitaux, mais, plus souvent, ce sont des fantasmes de félicité non sexuelle (souvenirs ou créations personnelles). Au début, quand les sentiments œdipiens sont encore assez présents, le parent préféré peut y dispenser beaucoup de tendresse, et d'autres moments heureux de la vie familiale y être évoqués également. Plus l'enfant grandit, plus ses fantasmes prennent la forme de ceux de l'âge adolescent ou adulte : souvenirs d'expériences sexuelles agréables, éventuellement remaniées; images sexuelles souvent captées via les multimédias; pures créations érotiques de l'imagination, qui mettent parfois en scène tel copain ou l'élu du cœur, qu'il commence à aimer d'amour ...
A titre de répétition ... Sur un forum, Gaëlle (treize ans) raconte comment elle a été surprise par sa mère à onze ans dans une activité masturbatoire proche d'une anticipation de la relation sexuelle : « J'avais mis deux coussins sous moi et je me frottais contre, [...] j'imaginais que c'était le meilleur copain de mon frère, Marc (treize ans); je l'aimais à mort. » (N.B. : on peut saluer au passage l'hétéro- sexualité déjà bien affirmée de Gaëlle, et aussi ses désirs exogamiques, au-delà du groupe fraternel
N.B. : des productions mentales du même type peuvent également surgir en dehors de toute manipulation sexuelle, lors des moments de rêverie. Ils sont mélangés aux autres fantasmes de la vie, et le plus souvent de façon minoritaire.
Quand l'activité sexuelle est menée avec partenaire(s), des fantasmes conscients sont également susceptibles de l'accompagner, avec de nombreuses variations.
- Pris dans « le feu de l'action », les partenaires ne fantasment rien; ils imitent tout au plus ce qu'ils ont vu sur une image pornographique.
- Un rite, un scénario sexuel commun existe. Il est mis en situation et guide les préliminaires, voire le cœur de l'activité sexuelle (par exemple, faire semblant d'être les vedettes de Loft Story au moment où elles flirtent et passent à l’acte), mais le script peut tout aussi bien être désinvesti en cours de route ...
- Un jeu de rôle plus relationnel peut légitimer et pimenter la composante sexuelle qui s'y inclut (le jeu du docteur des petits).
- Il existe également des fantasmes intimes que l'enfant ne partage pas avec son partenaire du moment; ils concernent ou non celui-ci et se rapportent ou non à l'activité en cours : fantasmes très « perso », surgis de l'album intrapsychique érotique de l'enfant, qui se dédouble au cours de son activité sexuelle, jusqu'à être absent d'esprit dans ce qu'il fait! Ce processus se poursuit chez un certain nombre dans la suite de leur vie sexuelle; il n'est pas rare qu'il ne soit jamais communiqué au(x) partenaire(s) futur(s), même aimé(s).
Des scénarios préoccupants? Pour autant qu'on puisse l'approcher, on peut s'interroger sur la vie fantasmatique de l'enfant quand :
- Les fantasmes semblent totalement absents, la sexualité de l'enfant ne se déchargeant alors que par l'action.
- L'enfant, surtout préadolescent, incapable de création personnelle, alimente exclusivement et plus ou moins avidement son imaginaire érotique en captant des images pornographiques et en se les rappelant passivement par la suite.
- L'enfant cultive des fantasmes d'une seule catégorie (très) déviante, intensément et durablement.
- Quoique diversifiés, les fantasmes sont très envahissants et pressent trop l'enfant de pratiquer une sexualité sans retenue adult-like et centrée sur le plaisir. A l'inverse, des fantasmes diversifiés et envahissants, couplés souvent avec le visionnage d'images pornographiques, retranchent certains grands enfants peu sûrs d'eux dans une sexualité solitaire, ne leur apportant que des satisfactions compensatoires.
Fantasmes et déviances
Délicat d'apprécier quelle est le seuil de quantification au-delà duquel le critère « déviance » devient pathologique. En effet, les fantasmes servent aussi à éventer les scories de notre sexualité archaïque, sans que nous désirions passer à l'acte. Il est donc inéluctable et souhaitable que parfois, dans notre imagerie mentale, défilent images et scénarios « horribles » et inavouables. Ainsi peut-il déjà en aller pour l'enfant, le plus souvent à partir de dix-onze ans. Néanmoins, certaines personnes se fixent intensément sur tel type de fantasme déviant, sadique par exemple, cherchent de la documentation pour l'enrichir - vive Internet! - et n'excluent d'ailleurs pas de passer à l'acte si l'opportunité devait se présenter : elles s'installent alors dans un champ très trouble entre normalité et perversion.
LE CONTEXTE GENERAL
La prise de responsabilité par l'enfant et son rapport aux adultes
En son for intérieur, l'enfant qui va bien reconnaît au moins intuitivement comme siennes ses pratiques sexuelles : « C'était gai et instructif … Je l'ai voulu tout seul ... J'étais d'accord de le faire avec Maud ... » Si les adultes l'apprennent, l'enfant est souvent embarrassé, gêné, mais il n'est pas vraiment catastrophé. Par la suite, si l'adulte demande à l'enfant de prévoir un autre cadre pour son activité ou s'il en interdit la récidive, ce dernier se montrera à tout le moins prudent et s'abs- tiendra de s'opposer ouvertement. Plus souvent d'ailleurs, il s'efforcera d'obéir à la consigne reçue et même d'en intégrer le sens, ce dont seront incapables certaines catégories d'enfants préoccupants.
Selon les familles : Il existe une corrélation entre la reconnaissance ou la négation verbalisée de ces activités par l'enfant et les intentions d'accueil ou de désapprobation qu'il prête aux adultes.
- Dans les situations les plus tendues, où l'enfant se sait en conflit avec un ordre adulte répresseur ou culpabilisant, il commence souvent par nier les faits, voire par accuser son ( ses ) partenaire(s) de l'avoir entraîné à son corps défendant; mais il ne s'entête pas farouchement à nier, à la différence d'autres types d'enfants conscients d'avoir fait des choses vraiment inacceptables.
- A l'autre extrême, dans des familles accueillantes et détendues, la découverte d'une activité sexuelle infantile d'allure banale s'accompagne de discrétion et de tolérance et autorise à vivre des expériences positives.
L'ambiance affective
Le cœur de l'ambiance affective, c'est une joie, un amusement spontané. S'y ajoute souvent, surtout au début, un frisson d'excitation, de fébrilité (satisfaire sa curiosité et savoir ... prendre des risques ... défier les adultes!). D'abord modeste, la place du plaisir érotique devient de plus en plus prégnante (voir chapitre 1, page 42). Quant à l'angoisse (et éventuellement à la culpabilité), il est courant qu'il en persiste une « pointe », même si l'enfant se développe positivement. Elle n'est pas liée essentiellement à la crainte réaliste des doubles messages souvent présents dans le discours adulte. Elle signe aussi la persistance de résidus d'un conflit intrapsychique fondamental autour de la sexualité (voir chapitre 1, page 37).
Autres caractéristiques circonstancielles
L'activité est souvent spontanée, déclenchée par le hasard ou par un stimulus imprévu : ennui, rêveries précédant le sommeil, surf sur l'ordinateur, besoin de faire pipi à deux au même moment, etc. Elle n'en est pas pour autant impulsive, au sens de la soudaineté irrésistible. Il est plus rare qu'elle s'inscrive dans un programme bien organisé à l'avance (6).
Un imprévu : C'est parce qu'ils viennent de voir le petit frère de Marion tout nu, que celle-ci (six ans) a l'idée de prendre par la main son ami Lucas (six ans) et de le conduire dans sa chambre. Elle lui propose qu'ils se déshabillent; ils le font, se regardent et se touchent ... La maman entre et les surprend; les enfants se justifient : « C'est parce qu'on a vu le zizi de Mathieu!»
Cette activité sexuelle ne s'exerce pas à haute fréquence et reste récréative : quelques copains se réunissent pour faire toute sorte de choses : discuter, jouer, chahuter, faire du sport ... et à l'occasion un peu de sexe. Il en va de même pour la partie de la sexualité pratiquée seul : comme une détente, un moment de création alternative et de récréation dans une vie bien occupée.
Les activités explorées et pratiquées sont diversifiées, avec une progression vers les formes plus adultes de la sexualité. L'enfant pratique sa sexualité discrètement, loin de la génération des adultes et même des autres de son âge non concernés. Néanmoins il ne cherche pas à se barricader comme le font ceux conscients d'entreprendre des choses très répréhensibles (par exemple, enfants pervers).
LA PLACE DE L'AUTRE
L'enfant qui va bien pratique souvent une partie de sa sexualité en compagnie, et même quand il exerce seul, ses fantasmes peuvent rendre l'autre présent, tendre, excitant ou désiré.
Le statut de l'enfant partenaire
Il y a très souvent parité de statut. Dans la majorité de leurs activités sexuelles partagées, les enfants qui se développent bien ont le même statut ou, plus essentiellement, ils ont le sentiment qu'ils l'ont. Cette conviction fondamentale s'impose naturellement et précocement, assortie de quelques approximations dans les trois critères suivants qui définissent les statuts.
1. Un enfant ne s'adresse pas sexuellement à quelqu'un ressenti significativement plus faible sur le plan affectif ou cognitif (7).
2. La taille physique est un autre critère clé aussi longtemps que l'enfant vit sous l'égide principale d'une intelligence centrée sur le concret. En son nom, il dédaigne les enfants physiquement beaucoup plus petits. En revanche, un garçon de douze ans (pas trop développé) peut considérer une cousine de huit ans futée et déjà en croissance comme une partenaire égale à lui.
3. La similitude ou la différence d'âge est un repère social qui, pour l'enfant, a une moindre valeur en soi que les deux précédents. Certes, de facto, les « plus grands » dédaignent et protègent même un peu les plus jeunes, ceux des classes maternelles ou du début des primaires (8) , mais il ne faudrait pourtant pas conclure trop rapidement que serait nécessairement pathologique un jeu de docteur entre un frère de sept ans et sa sœur de quatre ans avec qui il s'entend bien ...
Dans nombre de cas, ces trois critères s'accordent et la fourchette des âges engagés est de l'ordre de deux ou trois ans. Néanmoins, si les deux premiers critères sont respectés (maturité développementale et taille), elle peut s'élargir jusqu'à cinq ans sans quitter pour autant les rives de la bonne santé sexuelle. En cas de différence d'âge, un réflexe classique consiste à considérer l'aîné comme le plus responsable (le dominant, celui qui a entraîné l'autre, etc.). C'est souvent vrai, mais pas toujours! Des cadets peuvent être très entreprenants, dominateurs et déstabiliser des aînés plus passifs ou plus faibles. Il faut s'en souvenir. De même, ce ne sont pas toujours les garçons qui prennent l'initiative d'entraîner les filles.
Le fait d'être frères et sœurs n'arrête spontanément qu'une partie des enfants, et souvent au fur et à mesure qu'ils grandissent. D'autres ne voient dans leur frère ou sœur qu'un partenaire facilement accessible. Les activités sexuelles qui s'ensuivent sont susceptibles de rester acceptables, sinon épanouissantes; elles sont toutefois moins nombreuses que celles pratiquées hors de la fratrie et décroissent au fur et à mesure de l'approche de la puberté (Je discuterai de façon plus approfondie cette délicate question au chapitre 4).
C'est pas moi, c'est elle ! Robert (quinze ans) demande de l'aide aux sexologues du forum Elysa parce qu'il s'est « bêtement laissé faire [...] et je crois que c'est mal : on jouait à cache-cache avec ma cousine de neuf ans; on était dans la même cachette; elle a attrapé mon pénis et l'a frotté; puis, elle a pris ma main et m'a fait baisser son short et sa culotte; elle a voulu que je la caresse et j'ai pas résisté. [...] Après cette première fois, c'est encore arrivé deux ou trois fois; c'est toujours elle qui demande et sur le moment ça me plaît. Mais j'ai peur d'être pédophile.»
Et quand un jeune devient pubère?
Supposons qu'il le soit devenu après son douzième anniversaire : je considère, un peu arbitrairement, que c'est une frontière d'âge où ce jeune est susceptible de se vivre comme à l'aube de son adolescence. Outre le fait que, assez souvent, c'est une période où ils n'aiment pas trop montrer leur corps sexuel dénudé, dont ils ont une image ambivalente, certains de ces jeunes ont donc l'intuition qu'ils accèdent à un statut nouveau. Ils peuvent alors décider spontanément de cesser les activités sexuelles avec des enfants impubères et même avec des préadolescents en développement, mais pas encore pubères. C'est l'issue la plus simple!
D'autres ne changent pas de projet sexuel au seul motif du déclenchement de leur production séminale : ils l'espéraient avec une intensité variable, mais elle ne modifie d'abord en rien leurs attentes sexuelles ni leur psychologie du moment. Ou plutôt, cela stimule leur fierté, leur désir de séduire, en qualité de (jeune) homme ou (jeune) femme, leur désir de faire des démonstrations pratiques aux cadets ... en même temps que s'accroissent leurs besoins érotiques.
Lorsqu'un grand entreprend de séduire un (trop) petit, la communauté adulte peut faire face à cette difficulté de la façon suivante :
- Prévenir les accidents, notamment par une information et une sensibilisation concrètes et précoces : si on parle aux enfants de la puberté, il faut aussi évoquer les risques liés aux relations sexuelles à cette période de la vie et les précautions à prendre (9).
- Accepter l'idée qu'une activité sexuelle qui a eu lieu entre jeune pubère et non pubère est susceptible d'être vécue positivement si elle correspond aux autres critères développés plus haut.
- Pour l'avenir, discuter avec les jeunes concernés et essayer de les convaincre que la puberté - réalité physique - devrait entraîner des rites et des choix nouveaux de partenaire - réalité psychologique et sociale. Les pubères avec les pubères (ou avec ceux qui sont en fort développement pubertaire) voilà un des chemins par lesquels on finit par se ressentir comme jeune adolescent!
- Même s'ils n'en acceptent pas l'idée, instaurer cette dernière affirmation au titre de règle puissante (
Que se passe-t-il si la puberté est beaucoup plus précoce? Un peu arbitrairement, imaginons qu'elle se soit produite avant le onzième anniversaire (10). Beaucoup de jeunes concernés se sentent plutôt souvent encombrés psychologiquement que joyeux de ce qui leur arrive. Ils ont donc tendance à se replier, au moins transitoirement, vers une sexualité solitaire. Il faut d'abord et avant tout les aider à garder ou à retrouver confiance en eux et en leur « soi sexuel et sexué », leur donner les informations biologiques nécessaires, y compris sur leur fécondité potentielle et la raison d'être de la contraception.
S'ils ont des activités sexuelles partagées répondant aux autres critères énoncés plus haut ( voir pages 68 et 69 ), il faut pouvoir admettre qu'elles puissent d'abord rester vécues comme positives, émanant de filles ou de garçons qui se sentent encore comme des enfants dans un corps grandi trop vite. Ils relèvent donc dans un premier temps de la même politique éducative que pour les autres préadolescents, encore pré pubères. Puis, au douzième anniversaire par exemple, on veillera à ce qu'ils se sentent porteurs d'un autre statut (voir encadré page 71).
Les exceptions à la règle de la parité des statuts
Lorsque j'ai décrit les activités d'initiation normales, j'ai signalé que l'initié avait souvent un statut un peu plus faible que l'initiateur; celui-ci estime néanmoins que son apport est intégrable psychologiquement, avec un résultat globalement positif. L'autre cas d'espèce est plus rare : il concerne des enfants jeunes (à partir de huit ans), intelligents, délurés, sans beaucoup de scrupules sexuels, qui sollicitent ouvertement un adolescent (jusqu’à quatorze- quinze ans) pour une initiation ou une activité déjà connue (j’en ai déjà proposé deux illustrations, version vécue par l'adolescent qui craignait du coup d'être pédophile). Il s'agit le plus souvent d'une demande improvisée, souriante et décidée que d'une longue manœuvre de séduction. Ces enfants proposent une activité plus typique de leur âge développemental que de celui de l'adolescent sollicité : voir, montrer, toucher ... Leur art réside à interpeller un jeune qu'ils devinent gentil, suggestible ou intéressé par le sexe (11). Ils n'essuient donc pas toujours un refus.
Si l'aîné sollicité n'est pas un frère ou une sœur et qu'il accepte, l'activité sexuelle restera vraisemblablement sporadique et de brève durée (12) : l'enfant s'en lasse vite ou l'adolescent se reprend et désinvestit son manège avec une certaine honte. Au sein de la fratrie, il est possible que l'activité persiste plus longtemps, un an ou deux, occasionnellement, sans que les partenaires engagés ne deviennent affectivement et sexuellement dépendants.
En soi, ces activités pourraient donc toujours entrer dans le cadre « suffisamment positif » du présent chapitre, Si elles correspondent aux autres critères évoqués. Néanmoins, connues par l'adulte, il est souhaitable qu'elles fassent l'objet d'une règle puissante d'interdiction à cause de la différence d'âge importante.
Avec le partenaire élu
Entre six et environ huit ans, le partenaire est du même sexe ou de l'autre : l'ami, la petite voisine qui vient jouer à la maison et à qui, le cœur un peu battant, il montre sa trousse de docteur dans l'intimité de sa chambre, mais aussi la sœur préférée, le cousin venu loger et avec qui il partage le bain et quelques petites autres choses de la vie ...
Entre sept ans et demi et neuf ans, l'intérêt pour les jeux sexuels semble tomber à son niveau le plus bas (13) : se montrer son anatomie, c'est plutôt pour les bébés (14) . En outre, les angoisses de la période précédente sont largement apaisées et davantage de pudeur s'est mise en place, tant comme valeur que comme contrainte. Enfin, aucune poussée hormonale ne se manifeste déjà pour accroître l'excitabilité sexuelle du groupe. On s'adonne donc plutôt à la science et on joue avec le vocabulaire, plus quelques extensions occasionnelles : défis, voire investigation policière (on rampe jusque tout près du buisson où les grands ados s'ébattent ...). Tout se passe maintenant en groupe homosexué, question de bien s'identifier comme fille ou garçon, notamment dans le mépris de l'autre sexe.
Autour de onze ans, il y a une réactivation de l'activité sexuelle pratique. Une bonne partie des préadolescents normaux garde beaucoup de pudeur ou de timidité et ne s'y exerce qu'en solitaire. D'autres font le chemin inverse et s'ouvrent maintenant à des activités sexuelles partagées, souvent avec un pair de leur sexe ou avec la petite bande homosexuée de toujours, plus rarement avec leur meilleur ami. C'est l'époque où l'on joue à se chatouiller et à se battre « pour de rire », mais en en profitant pour s'effleurer quand ce n'est pas pour s'empoigner franchement les parties intimes à travers les vêtements ... C'est aussi l'époque où le plus hardi des deux montrera impulsivement son sexe en érection, en baissant puis en remontant vite son pyjama, au bon copain venu dormir à la maison ... C'est enfin l'époque où trois ou quatre camarades ont un lieu de rendez-vous secret, où ils vont parler de leurs parents difficiles, épancher leur amertume sur les injustices sociales, fumer et s'initier aux activités vraiment érotiques : en ces temps de nouvelles insécurités internes, peut-être leurs similitudes masturbatoires et celles de leur psychologie sexuelle les rassurent-elles comme l'enfant de six ans se rassurait à travers ses vérifications! Certains enfants pressentent l'orientation homosexuelle de leur vie future dès leurs onze-douze ans et l'identifient même parfois conceptuellement : je leur consacrerai une rubrique spécifique au chapitre 4.
A la rencontre de l'autre : Outre les trois critères de choix que sont la maturité développementale, la taille et l'âge, une sexualité partagée positive présente encore les caractéristiques suivantes :
- Le consentement de chacun : initiative et proposition faite par le plus déluré, réponse positive immédiate de l'autre ( des autres ... ; parfois, la réponse est plus lente à venir, plus passive, plus infiltrée d'ambivalence, mais, en fin de compte, l'autre donne un accord, même si c'est avec quelques réserves.
- La mutualité : coopération à un scénario, négociations sur le programme et concessions à l'autre, sollicitude pour ce qui fait plaisir à l'autre.
- Le dépassement, très souvent, d'une simple dimension d'« éclate » : on s'amuse ensemble, on rit, on se parle. Les jeux ou activités en cours engagent le sexe et le dépassent à la fois : ce sont des rencontres entre personnes.
A propos des « petits couples » précoces
Chez une petite minorité des préadolescents qui se livrent à des activités sexuelles partagées, il peut s'installer une sorte de prématurité sexuelle, amenant à investir plus exclusivement un partenaire de la même nature et grosso modo du même âge, plus souvent de l'autre sexe que du leur (15).
Ces vrais couples précoces vivent un lien affectif positif - camaraderie? Amour? - et ils réalisent la progression sexuelle décrite jusqu'aux pénétrations en tout genre. Ils ne sont pas légion, mais ne crient pas nécessairement leurs exploits sur tous les toits : ils se dissimulent très bien ou alors l'un ou l'autre confident de leur âge le sait, qui en fait souvent autant de son côté (16).
Les couples-spectacles
Il existe aussi des couples de façade, assez fréquents, propulsés sur le devant de la scène par le besoin de paraître de chaque partenaire, les provocations du groupe des pairs et même, moins fréquemment, celles des familles! Les jeux publics de mise en place, puis de rupture de ces couples peuvent commencer dès huit-neuf ans ou plus tard, sous le regard et avec la participation des petites bandes homosexuées d'appartenance respective. A leurs débuts, il n'est pas sûr que les deux partenaires éprouvent vraiment des sentiments pour l'autre, sinon le désir de s'affirmer sexué, voire sexuel grâce à cet autre. Observe-t-on, dans ce cas, davantage d'engagement personnel quand ils arrivent à la préadolescence? Probablement, mais il s'agit encore de jouer un rôle : les filles s'habillent très sexy pour provoquer les garçons; des billets d'amour transitent par les bancs de la classe (17) ; les garçons échangent mille grossièretés sur celle qu'ils convoitent le plus et s'envoient des défis (« T'oserais pas te faire sucer ...»). Des intermédiaires sont dépêché(e)s à l'élu potentiel, avec des messages clairs et nets (« X demande si tu veux sortir avec »). Sur cette base semi-publique, des couples se font et se défont, à grands renforts de colère et de souffrance-spectacle; quand ils sont actifs, marivaudage et « drague » s'arrêtent souvent juste au-dessus de la ceinture (18).
Beaucoup plus rares, les vraies amours enfantines commencent parfois très tôt. Les Roméo et Juliette en herbe éprouvent des sentiments positifs mutuels très profonds et très stables, à l'instar de ce qui se vit dans les couples adultes les plus chanceux. Ils sont parfois bien timides et, quoique pressentant leur attraction mutuelle, ils restent d'abord à distance, de peur de briser l'enchantement. Quand ils finissent par se rapprocher, il est rare qu'ils se fassent des déclarations langoureuses. Leur relation se vit dans la discrétion, avec beaucoup de délicatesse, de tendresse et de pudeur. Ils détestent qu'on les « charrie » à propos de leurs sentiments, voire qu'on les dérange quand ils font ce qu'ils aiment le plus : être ensemble, côte à côte; ils adorent se regarder, se prendre la main en promenade ou se donner un petit bisou chaste. Ce n'est pas nécessairement ensemble qu'ils jouent le plus, mais bien ensemble qu'ils ont les discussions les plus profondes. Ils s'offrent des cadeaux, mille petites attentions et se protègent mutuellement. Habituellement, ils ne désirent pas de contact sexuel direct (19) : seuls des adultes nostalgiques du « paradis terrestre naturiste perdu » fantasment l'inverse. Si un hasard matériel met fin à leur relation, leur chagrin peut être profond et durable.
Il n'est néanmoins pas fréquent que ces petits couples restent aussi unis et amoureux à partir de la seconde adolescence. Même si c'est bien de l'amour qu'ils vivaient jusqu'alors, le fait de n'avoir pas désiré engager leurs corps dans l'aventure devient progressivement un obstacle irréversible. Alors, ils s'adressent à un autre, de commun accord implicite ou pas, pour une nouvelle étape de leur vie. Mais ils peuvent rester de grands et tendres amis, même si la vie les sépare trente ou quarante ans.
POUR METTRE UN BEMOL
Aucun être humain n'est en mesure de vivre en permanence au cœur de la normalité, avec une santé mentale éclatante ... ou affreusement étale. Chez l'enfant qui se développe bien, les excursions occasionnelles dans le monde de la pathologie se limitent à un acte isolé ou à quelques-uns qui se répètent lors d'une phase de brève durée : trip d'un jour ou « vacances » de quelques semaines dans un club contestable. Il ne rachète jamais de billet ou alors, au pire, deux, trois fois sur la durée d'une vie.
Personne n'est parfait La grande majorité des enfants sont concernés par ces écarts, dont le déterminisme est plurivoque: des circonstances extérieures ou les aléas de ses élaborations mentales personnelles font que l'enfant traverse une « mauvaise passe » (par exemple, un épisode dépressif). L'enfant est transitoirement sous l'influence d'un mauvais copain ou d'une petite bande; il a envie - sans raison - d'expérimenter son pouvoir de transgresser ou de faire le mal, etc.
Certaines fois, l'enfant s'égare du côté de la pathologie, sans intention de commettre une transgression majeure. On assiste alors à une exacerbation, surtout chez les plus jeunes, de l'angoisse et des vérifications sexuelles brutales (par exemple, introduction de thermomètres, de crayons, de pailles par les orifices intimes - vagin, anus, si pas urètre) ou bien à une exacerbation de la culpabilité sexuelle et de l'inhibition (fuite du groupe des autres quand ils parlent de sexe, pudeurs excessives, punitions secrètes infligées aux organes génitaux, etc.). Parfois aussi, on constate, lors de phases de tristesse ou d'échec, un hyper investissement de la masturbation-refuge ou encore un entraînement transitoire dans de la sexualité sans retenue, suite au hasard d'expériences particulièrement plaisantes.
D'autres fois, l'enfant assume commettre une transgression majeure, mais, habité par ses émotions du moment, il s'y abandonne, voire le désire activement. Son acte est à la fois mauvais et pathologique (20). Cela peut aller très loin : torturer un animal, ne pas dire « non » si sa petite bande procède à un viol collectif, terroriser et molester un plus petit (21) ... Dans le cercle familial, un enfant aîné, fille ou garçon, peut ainsi se livrer à une initiation ou à une activité sexuelle violente et passagère sur un cadet, en le trompant grossièrement ou en le terrorisant afin qu'il se taise. Cela dure une, deux, trois fois, le temps d'une mauvaise passe. Quelle mouche peut bien piquer cet aîné, habituellement correct? Le besoin de marquer son droit d'aînesse et son emprise, via une sorte de droit de cuissage? Une grosse frustration qu'il vit et qu'il éponge sur le premier punching-ball venu? Une jalousie mal liquidée, avec le besoin de nuire au petit et de le salir? Un jour, Juan (huit ans) me dessine une fille nue avec quelques poils et un gros clitoris surchargé au crayon noir. Avec beaucoup de gêne, il m'expliquera que sa grande sœur ( quatorze ans ) lui a montré et expliqué son sexe en détail, puis a exigé qu'il le touche et le lèche ... Après, elle lui a demandé pardon et lui a fait jurer de se taire ... Un an après, c'est Jean- Baptiste ( neuf ans ) qui réalise un dessin obscène ( ce qui ne lui est pas coutumier ). J'insiste pour savoir en quoi un tel dessin pourrait le concerner, lui, et il finit par me raconter que son grand frère, Benoît ( seize ans ), a tenu à lui montrer son sexe en érection, les techniques de la masturbation et l'éjaculation. Ce serait arrivé une fois, Benoît ne lui aurait rien demandé à lui, sinon de regarder. Ensuite, il serait parti gêné et n'en aurait plus jamais parlé.
Dans tous les cas, lorsque ce sont bien des enfants fondamentalement en bonne santé mentale qui se livrent à ces exactions, on constate néanmoins que :
- Ils ne vont qu'exceptionnellement au bout de l'horreur (tuer, prolonger dans la durée un abus sexuel patent ...). Leur conscience morale reprend le dessus et les en dissuade.
- ils font spontanément marche arrière: ils regrettent leurs actes et prennent des dispositions personnelles pour ne pas récidiver; ils s'efforcent même parfois de réparer leur faute tout seuls.
L'admettront-ils publiquement, spontanément ou s'ils sont soupçonnés? Pas facilement! Ils souhaiteraient que leurs exactions demeurent secrètes comme l'ont été les nôtres à leur âge. S'ils sont pris, c'est le drame, car leurs parents, sincèrement, ne comprennent pas : c'est comme si un seul acte détruisait tout ce qu'ils ont donné de positif à l'enfant.
Réagir, mais comment? Reconnaissons-le humblement : une expérience professionnelle confirmée ne suffit pas toujours pour statuer aisément sur la dimension saine ou maladive, acceptable ou mauvaise d'un acte sexuel infantile, pas plus que sur son pronostic. Et ceci à supposer que l'on puisse faire abstraction de la subjectivité de l'évaluateur, qui constitue une première difficulté sur le chemin!
Pour évaluer correctement, il faut disposer d'une description précise et sereine de l'activité et une observation dans la durée de son caractère isolé, rare ou répétitif. Que de fois, en réunion d'équipe, des rumeurs portant sur de dangereux satyres des deux sexes ne se sont- elles pas dégonflées et transformées en un « touche-pipi » mutuel lorsque l'on exige tranquillement des précisions ... il faut aussi pouvoir pratiquer une mise en perspective en référence à l'âge développemental de l'enfant, à ses fréquentations, à sa culture, au fonctionnement de sa famille, à la violence ou non qui règne à l'école, etc.
Même ainsi, pourtant, les difficultés peuvent persister! Pensons, par exemple, à des comportements sexuels qui commencent à s'exprimer sans retenue. A partir de quelle intensité entrent-ils dans la catégorie des comportements « préoccupants »? Et si l'enfant pose des comportements sexuels très dominateurs, quand dépasse-t-il vraiment la frontière de l'abus? Et que penser de certaines bizarreries sexuelles? Où s'arrête une curiosité, une créativité encore acceptable? Et que répondre à Pierre (onze ans) qui écrit sur un forum : « Eh, les gars, moi avant (... ?) Quand je me masturbais, je mettais toujours le lange de mon petit frère; parfois, quand y avait personne, je me promenais dans la maison avec ... c'est cool de savoir qu'il y en a d'autres qui le font aussi. »
Les enfants mosaïques
Les difficultés d'évaluation sont particulièrement nettes dans le cas des enfants « mosaïques ». Je nomme ainsi les enfants qui, sur de longues durées, sont mi- satisfaisants, mi- préoccupants. Ils développent une partie de leur potentiel positif, mais ils sont aussi « trop ceci ou cela » : trop nerveux, trop dépendants, trop anxieux, trop intolérants à la frustration ou tout-puissants. Cela se révèle pénible à vivre pour eux-mêmes et leur entourage. Pour ces enfants à la santé mentale « intermédiaire », les comportements sexuels posent parfois question, eux aussi : un peu trop de culpabilisation et d'angoisse autour de la sexualité, avec les comportements inhibés ou compulsifs qui s'ensuivent, une sexualité un peu trop « sauvage », trop impulsive, etc.
Pour autant, ces incertitudes ne doivent pas arrêter le processus éducatif. Parents, éducateurs ou psychothérapeutes concernés peuvent toujours penser et commenter : « Ce que tu as fait, nous ne savons pas si c'est bien ou mal, normal ou maladif, mais nous voulons que tu t'arrêtes parce que nous n'aimons pas (pour telle raison ...) et tu dois obéir, parce que c'est ainsi dans notre maison ... »
Notes
1. En 1993, T. Cavanagh Jonhson estimait à 4 % le nombre de preteens américains en bonne santé mentale qui avaient déjà pratiqué une pénétration sexuelle sous l'une ou l'autre forme. Dix ans plus tard, le pourcentage doit s’être élevé d'une ou deux unités ...
2. Mat(t)er : examiner quelqu'un en le déshabillant des yeux.
3. A partir de la préadolescence on y joue même parfois à plusieurs, via imitations de strip-tease et autres strip-pokers.
4. Et lorsque quelques-uns, devenus adultes, en parlent dans des biographies romancées, il est tout aussi difficile d'évaluer la part de ce qui est souvenir fidèle, pure fiction ou reconstruction de bonne foi après coup ! Il en va de même lorsqu'ils en parlent à un psychothérapeute ...
5. Par exemple, quand un préadolescent est inquiet pour son orientation sexuelle, le thérapeute peut l'interroger sur le contenu général de ses fantasmes masturbatoires sans lui faire raconter des scénarios dans les détails.
6. Il faut distinguer néanmoins l'organisation rendue nécessaire par les circonstances (par exemple, programmer de se retrouver à trois vers telle heure, parce qu'on sait que les parents ne sont pas là) et celle qui n'est mise en place que pour amplifier le plaisir sexuel, et qui fait déjà partie de celui-ci (activité perverse).
7. En revanche, et bien que ce soient des occasions rares, le seul handicap physique de l'autre ne constitue pas un obstacle de principe: sans endoctrinement politique, l'enfant reconnaît l'égalité de leurs droits à une catégorie de pairs handicapés ...
8. Dans le dessin animé South Park (T. Parker, 1997), des enfants de neuf-dix ans regardent par hasard de la pornographie sur Internet (ils faisaient une recherche sur le mot « clitoris ») mais quand le petit frère de cinq-six ans essaie de se joindre à eux, ils le rabrouent immédiatement.
9. Discuter avec les enfants du fait qu'il est préférable de ne pas entamer des relations sexuelles trop précocement; ceux et celles qui prendront quand même la responsabilité de le faire doivent savoir qu'existent des risques physiologiques (première éjaculation imprévue et déjà fécondante; première ovulation en cours avant les premières règles). Dès qu'on commence à se développer, il faut donc agir de façon responsable si l'on décide envers et contre tout d'avoir une relation : se débrouiller pour se procurer un préservatif, pas de pénétration vaginale, etc.
10. En ce qui concerne les filles, ce peut être encore physiologique. Pour les garçons, les pubertés très précoces sont souvent liées à des affections somatiques.
11. Nord-américains et Canadiens semblent avoir pas mal d'expériences de ce type avec des jeunes baby-sitters de quatorze-quinze ans.
12. Du moins quand il s'agit d'enfants sains, qui ne sont donc ni carencés affectifs ni pervers.
13. Semble ? Il y a un déclin réel, pour les raisons exposées dans le texte, mais il y a aussi le fait que l'enfant est plus avisé et plus prudent, et se fait moins attraper naïvement par l'adulte que l'enfant de six ans.
14. A part quelques coups d'œil comparatifs, chez les garçons, quand on fait pipi - pardon, qu'on pisse- en compagnie.
15. Lorsque ce petit couple se constitue entre copain du même sexe, qui, ici ont une pratique décidée et hard, ce n'est pas entièrement déterminant pour l'orientation sexuelle future. Nous en reparlerons en décrivant les prémices de l'homosexualité (chapitre 4, page 152 et suivantes).
16. Au pire, il peut exister des partouzes très précoces, mais il s'agit alors de la catégorie plus préoccupante du fonctionnement sexuel sans retenue, que je décrirai par la suite.
17. Ou plutôt, aujourd'hui, des SMS sont envoyés, mais à proximité de pairs-témoins.
18. Souvent mais pas toujours : une minorité de ces couples de façade vont jusqu'aux activités sexuelles adult-like.
19. Les activités à finalité sexuelle n'existent guère. En revanche, plus ils sont jeunes, plus il peut se produire qu'ils se trouvent nus ensemble (par exemple, lors d'un bain), le plus naturellement et le plus chastement du monde. Parmi les nombreux livres pour enfants qui traitent le sujet avec délicatesse, on peut lire le joli Ben est amoureux d'Anna (Hartiing, 1981) : à une occasion précise, Ben et Anna approchent une expérience sexuelle (se baigner nus dans la rivière et se regarder) et s'en trouvent considérablement gênés.
20. A mes yeux, toute transgression majeure est et mauvaise et pathologique. La normalité inclut parmi ses critères le respect des Lois naturelles. Y contrevenir sciemment, c'est mal et l'on sort de la normalité. Le fait que l'acte soit pathologique ne change pas ipso facto quelque chose à la responsabilité et à la culpabilité de son auteur (voir annexes III, page 306 et suivantes).
20. A mes yeux, toute transgression majeure est et mauvaise et pathologique. La normalité inclut parmi ses critères le respect des Lois naturelles. Y contrevenir sciemment, c'est mal et l'on sort de la normalité. Le fait que l'acte soit pathologique ne change pas ipso facto quelque chose à la responsabilité et à la culpabilité de son auteur (voir annexes III, page 306 et suivantes).
21. Exemple d'un autre ordre, commun, apparemment plus soft mais pourtant bien destructeur pour celui qui en fait les frais. Si des enfants sont surpris à un jeu sexuel, le plus passif, le plus suiveur, laisse souvent accuser l'enfant dominant-initiateur d'être un abuseur ... or, au fond, c'est une stigmatisation injuste et grave, que le premier tolère néanmoins sans broncher pour sauver sa peau.
MOTS CLES : jeux sexuels, sexualité des enfants, sexualité saine, sexualité normo-développementale, développement sexuel de l’enfant, exploration sexuelle, activité sexuelle entre enfants, curiosité sexuelle, initiation sexuelle, FANTASMES SEXUELS, vie sexuelle fantasmatique, fantasmes sexuels archaïques, masturbation, jeu du docteur, sexualité précoce