Une jeune adulte m’écrit:
Monsieur,
Je vous écris car, peut-être, en quelques mots, vous pourrez m'éclairer.
J'ai été violée pendant 4 ans (de 8 à 12 ans environs, peut-être même plus mais j'ai fait le maximum pour effacer tout cela de ma mémoire) par mon frère âgé d'un an et demi de plus que moi. Cela a arrêté lorsqu'il a rencontré une première petite amie avec qui il est resté quelques mois.
J'ai aujourd'hui 24 ans et je ne comprends toujours pas. Je me demande s'il était conscient de son acte, si, compte tenu de son âge, l'on peut considérer son acte comme mal et, à proprement dit, comme un "viol".
J'ai suivi deux psychothérapies mais jamais je n'ai réussi à vraiment éclaircir ce qui s'est passé. Il ne s'agit pas là d'un adulte et d'un enfant, mais de deux enfants.
Je m'excuse de vous déranger à ce sujet, mais, peut-être vos quelques mots pourront-ils m'aider.
Je vous en remercie d'avance, Anne.
Je lui réponds:
Bonjour Anne,
Je dialoguerai volontiers avec vous sur ce sujet pénible. Ne vous étonnez pas que j’investisse le temps nécessaire pour vous répondre à fond: depuis mon éméritat, j’ai du temps devant moi et échanger du courrier sur Internet, avec des personnes en souffrance, a du sens pour moi. Nous arrêterons cette correspondance quand vous "en aurez assez" (au sens positif du terme, je l’espère!)
Je vous invite d’abord à lire sur mon site l'article« Ados auteurs d'abus ou de pseudo-abus» qui pourra peut-être contribuer à vous éclairer.
Ensuite, pour vous faire part de mes idées à propos des questions que vous vous posez, j’aurais besoin de davantage de détails sur le contexte de votre relation avec votre frère et la manière dont il obtenait de vous quelque chose de sexuel. Par ailleurs, cette situation ne s'est probablement pas passée qu'entre votre frère et vous; pour moi, à travers votre texte, il y a aussi l’énigme de la longue ignorance ou du silence de vos parents.
Bien cordialement.
Anne me répond:
Merci pour votre article, très instructif. Ayant lu celui-ci, vous énumérez différents types d'enfants-ados qui deviennent violeurs. Pourtant, je n'y reconnais pas mon frère.
En ce qui concerne nos relations avec mes parents, mon père est un avocat indépendant, et il est vrai que nous avons énormément souffert de son absence causée par son travail, outre sa froideur et son incapacité à extérioriser ses sentiments.
Quant à ma mère, elle a toujours été très présente, mais nous avions une grande capacité pour nous dissimuler, et elle ne s’est doutée de rien.
En ce qui concerne mon frère et la manière dont il obtenait quelque chose de sexuel, il me disait "viens, on va en haut" et je le suivais, tout en sachant ce qui m'attendait. Parfois, si j'étais dans ma chambre, il m'y rejoignait. Je n'ai jamais réussi à dire "non", ce qui a perduré bien des années plus tard. Il procédait à des attouchements, et à d'autres "préliminaires" (peut-on nommer cela comme ça dans cette situation?) avant d'entamer l'acte sexuel en lui-même.
Je sais que je n'aimais pas ça; Je ne sais pas si mon frère était conscient de ses actes. Mais je sais qu'il avait 14 ans dans la dernière année et, qu'à cet âge, j'étais totalement consciente de ce dont il s'agissait.
Quand j'en ai parlé à mes parents 1 ou 2 ans plus tard, il m'a dit qu'il était désolé et pensait que j'étais d'accord.
Pendant longtemps, je lui ai pardonné son geste sans pour autant le comprendre. Mais j'ai l'impression d'en souffrir d'avantage maintenant, je suis beaucoup moins proche de lui, et lui en veux parfois énormément pour ce qu'il a fait. Mes relations sexuelles avec mon copain ne sont pas non plus au top!
Encore merci.
Anne
Je lui réponds:
Bonjour Anne,
Voici un autre article à lire La sexualité des enfants et des adolescents. Première partie ; généralités. Est-il possible que vous vous retrouviez dans une des catégories d'enfants décrits au chapitre II § I C?
Amicalement.
Anne me répond:
Monsieur,
Merci, à nouveau, de votre réponse.
Oui, en effet, je me retrouve dans cette description. Par moment, je doute sur mon envie ou non de ces actes. Je me reconnais également dans le dernier paragraphe, en ce qui concerne la passivité et le fait de ne pas montrer son désaccord.
J'ai tellement tout fait pour oublier cette période que je ne peux me fier qu'à certains souvenirs restés clairs dans mon esprit. Je sais que dans mon journal, j'écrivais que je détestais ça. Mais je me rappelle aussi lui avoir une fois demandé (ce qui me rend particulièrement mal en y repensant) Merci.
Anne
Je lui réponds:
Bonjour Anne,
A vous lire, il me vient les hypothèses que voici:
- Un grand frère déluré, hédoniste sur les bords, "gentiment" dominateur – séducteur.
Il ne se pose pas trop de questions sur ce que vous vivez au plus profond de vous-même et se contente de votre acceptation d’avant-plan: ça l’arrange très bien.
Il sait que ce que vous faites est interdit, mais il ne pense pas que c’est mal (il ne veut pas y penser?) puisque vous avez l’air d’accepter et que les considérations sur l’inceste sont à des années-lumière de lui. En plus la précocité ne le dérange pas (l’amuse?) (au fait, à quel âge la première pénétration effective? Vous a-t-il expliqué comment il connaissait déjà ce geste?)
- Vous, de votre côté, ambivalente ou passive (cf. les catégories décrites dans le second l’article), vous laissant faire par lui, (parfois avec du plaisir au moment même de l’action?) ... vous posant bien plus de questions que lui – sans vous permettre de les exprimer; triste aussi peut-être parce qu’il ne vous devinait pas derrière votre (participation? soumission?) d’avant-plan.
Aviez-vous l’idée que c’était interdit? Que c’était interdit et peut-être mal?
A la fin, étiez vous déjà réglée ou proche de l’être, occupée à vous transformer? Si c’était le cas et qu’il n’a pas été arrêté par l’idée de la contraception ça, j’opterais pour dire que c’est mal (sa jouissance d’abord avant le risque du bébé).
- Et au fond, au-delà de mes hypothèses, puisque des thérapies ne vous ont pas assez aidée, qu’est-ce qui continue à vous faire souffrir? Vous faites-vous des reproches?
N.B. Pour ma part, je trouve inévitable que votre relation avec ce grand frère se soit bien "refroidie": poussé par la recherche du plaisir sexuel, il n’a pas pu vous reconnaître dans ce que vous viviez vraiment!
Anne me répond:
Monsieur,
A l'époque, j'avais conscience que c'était interdit, mais pas nécessairement que c'était mal, bien que je n'aimais pas cela.
Au moment même de l'action, je n'ai jamais éprouvé de plaisir.
Je pense qu'il connaissait ces gestes car avec des copains, ils avaient l'habitude de regarder des magasines pornographiques qu'ils se procuraient je ne sais comment.
Je n'ai eu mes premières règles que un ou deux ans plus tard mais, en ce qui me concerne, je n'avais pas cette notion de risque de grossesse. Mon corps était encore proche de l’enfance.
Les thérapies ne m'ont pas suffisamment aidées et je ne sais pas pourquoi ... je ne vois pas tout de suite de reproche que je me ferais, mais aujourd'hui, j'en souffre encore et toujours jusque, au pire, des envies suicidaires, ... Je fais parfois des rêves où cela se produit à nouveau avec ce frère, mes deux autres frères de 18 et 20 ans, ou mon père, durant lesquels l'acte me plait. Je m'en veux donc énormément au réveil et me sens très mal. Merci.
Anne.
Je lui réponds:
Dans votre réponse, vous me dites beaucoup de choses, mais rien sur les hypothèses que je fais sur la personne de votre frère et, au fond, sur le fait qu’il n’a pas cherché à bien vous deviner: il s’est contenté de la surface (lisse) que vous lui proposiez.
Si vous n’éprouviez aucun plaisir perceptible conscient, qu’est-ce qui a pu, en vous, amener que vous lui avez dit oui si longtemps?
Votre première réponse fera sans doute référence à une sorte de passivité anxieuse, que l’on trouve chez beaucoup de victimes, et que vous évoquiez dans votre avant-dernier courriel.
Cependant ... cependant ... vous me dites aussi que vous faites parfois aujourd’hui des rêves d’inceste, avec les hommes de votre famille, et que vous rêvez que vous y avez du plaisir! Peut-être au fond de vous-même, dans des zones inconscientes, existe-t-il quand même un désir autour de l’inceste, pas tant pour le plaisir physique qu’il donne (parfois), que pour d’autres significations par exemple, être l’élue de tous ces hommes ...
Nous ne devrions jamais nous culpabiliser de nos rêves, désirs et fantasmes!! Nous rêvons tous à des choses archaïques, interdites, terribles si elles se réalisaient, autour du sexe ou de la mort donnée. Si, en ce qui vous concerne, l’inceste pour de vrai a bien eu lieu, ça a été "à votre corps défendant", sans que vous osiez vous mettre debout pour protester ... On pourrait tout au plus vous reprocher d’avoir laissé transgresser une sexualité entre enfants "interdite" ... de ne pas avoir porté assistance à vous-même ...
Mais si, comme vous le dites, vous ne saviez pas que c’était mal - seulement interdit!, vous n’avez pas fait le mal! J’avoue d’ailleurs que lorsqu’il s’agit d’un inceste fraternel et pas d’un inceste avec un parent, c’est beaucoup plus difficile ,pour les personnes concernées d’avoir la prescience que c’est mal et pas seulement interdit ( le "mal", ici étant de ne pas souscrire à la dimension exogamique de la sexualité ET peut-être de semer le trouble dans le groupe familial où la sexualité est réservée aux seuls parents)
J’espère donc vivement que vous retrouverez la sérénité et la joie d’une sexualité épanouie avec votre copain.
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