Dans le chapitre 4 du livre la destructivité chez l'enfant et l'adolescent, nous avons proposé une synthèse chronologique du déroulement des programmes, en fonction de la gravité des transgressions concernées. De nombreuses attitudes et interventions y ont été évoquées et nous allons les décrire en détail dans ce chapitre et le suivant.

Les sanctions actives



La décision de sanction active est l'inverse de celle d'abstention dont nous parlerons plus loin, et qui porte, elle, sur les transgressions mineures et peut-être même sur les majeures plus destructrices.



L'interdiction verbale. 



Définition et discussion. 



L'interdiction, ce sont les paroles que l'adulte prononce ( et place entre le jeune et ses actes ), pour exiger du jeune qu'il respecte la convivialité. Convivialité ne doit pas être pris dans une acceptation légère (" être agréable à fréquenter ") mais dans son sens le plus étymologique : faire ce qu'il faut pour que la vie ensemble soit possible, à court et à long terme, certainement entre humains, mais probablement aussi entre êtres vivants ( pas d'agression gratuite du vivant vers d'autres vivants ).

C'est pour faire respecter des règles que nous interdisons certains comportements. Pour certaines d'entre elles, que nous avons appelées majeures, c'est simple, car il est clair qu'elles concrétisent de grandes lois. Pour les mineures, c'est plus incertain, car elles défendent des " valeurs " plus relatives : l'homéostasie d'une culture, l'organisation actuelle d'un groupe, etc. : quand c'est le cas, au moins devrions-nous motiver authentiquement notre interdiction, et ne pas laisser croire au jeune qu'il porte atteinte à l'ordre humain quand il ne fait que contester des pouvoirs de groupe.



Pourquoi l'interdiction verbale ? 



L'interdiction verbale a d'abord une intention informative: elle signale au jeune le cadre de référence dans lequel il vit, la manière dont ses transgressions ont touché la communauté et les raisons d'être d'autres sanctions et interventions éducatives.

On espère ensuite que le jeune intériorisera le message qui lui est donné. Un premier niveau d'intériorisation c'est d'avoir davantage peur du gendarme à l'avenir et de se conduire de façon plus prudente. Un niveau plus mûr, c'est de faire vraiment sien le message, de l'intégrer dans sa propre conscience morale et de désirer se conduire de façon plus sociable.

Ces résultats s'acquièrent via une réélaboration mentale, par le jeune, de ses idées erronées sur son droit à détruire. Cette réflexion se fait de façon personnelle, mais se prépare éventuellement lors de " discussions morales " avec l'adulte.

Si le moteur le plus important de cette réélaboration ne peut être que le désir ( de se conduire autrement ), en revanche et complémentairement, il est inéluctable et souhaitable que le jeune vive quelques affects et idées pénibles, qui le condamnent de l'intérieur ; on parle alors parfois de reintegrative shaming : si la communauté parvient à provoquer chez le jeune un peu de honte ( et de culpabilité ), et qu'elle lui accorde ensuite son pardon, celui-ci peut cicatriser sa blessure narcissique et en faire surgir l'idée résiliente de repartir autrement de l'avant. Il n'en va malheureusement pas de même si la communauté persiste à le stigmatiser et à l'exclure: alors, il n'aura pas envie de " revenir dans le lien social " ( Vaillant, 1994 ).



L'application de l'interdiction verbale

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 Dans sa forme la plus complète, voici comment elle peut se dérouler :

 - L'adulte (re)demande la raison d'être de la transgression: un peu au-delà de l'écoute empathique, il demande des comptes au jeune, sans reproches ni irritation immédiats, mais avec fermeté: " Pourquoi t'es-tu permis de nous bousculer ou de nous agresser de la sorte, alors que nous ne t'avions pas mis dans une position de légitime défense ? ".

 - Selon les cas, l'adulte réagit comme personne directement lésée, ou comme porte-parole de la communauté ( si pas des êtres vivants ). Cette réaction peut - et gagne à - être personnelle, vécue, mettant en scène de la façon la plus concrète possible la souffrance provoquée. Elle doit néanmoins indiquer son au-delà, qui est le droit de tous au respect.

A l'occasion, si l'adulte estime qu'il y a eu intentionnalité agie ( discernement + liberté ) vers de la destruction, et surtout s'il est lui-même signifiant aux yeux du jeune, il peut émettre en son âme et conscience un jugement moral négatif et limité à l'acte : " A mes yeux, c'est mal, ce que tu as fait là ".

 - Une verbalisation explicite de l'interdiction, brève et ferme, peut encore s'ensuivre si c'est nécessaire, de même qu'une interdiction de toute récidive : " Tu n'avais pas le droit et tu ne peux plus ".



Les qualifications de l'interdiction verbale. 



L'interdiction verbale doit figurer dans les commentaires clés décrits au chapitre 4. Vu sa portée, elle est cependant l'affaire de tous ; elle gagne donc à se réénoncer et se rediscuter de façon informelle au fil du temps, et à se renouveler en cas de ( menaces de ) récidives.

On caricature parfois ce qu'elle est en disant que l'adulte " dit la loi ( symbolique ) ", surtout s'il s'agit du magistrat officiellement mandaté pour veiller sur le respect des lois de la cité : cela donne parfois l'image d'une espèce de Zeus, foudroyant de façon méprisante le jeune du haut de son Olympe. La réalité nous semble cependant plus incarnée que cette gestuelle : c'est à toute la communauté à (re)dire au jeune qu'elle entend que la convivialité soit respectée et, pour ce faire, qu'il tienne compte des lois et règles qui la garantissent.

L'interdiction verbale ne doit pas constituer un double message. Si l'adulte la trouve importante, il doit être ferme quand il y procède et se donner les moyens de la faire respecter Même s'il n'a pas toujours le résultat espéré, qu'il ne fasse pas comme si d'éventuelles récidives étaient sans importance, mais qu'il se batte à fond pour le respect de cette convivialité ( Flavigny, 1990 ).



L'interdiction agie.

 

Définition. 



Ce sont les dispositions que l'adulte prend pour ne pas laisser le jeune jouir des fruits concrets de la transgression que, par ailleurs, il désapprouve verbalement.

Il le fait aussi bien au nom de sa cohérence éducative à l'égard du jeune qu'en vertu d'une motivation plus personnelle, dans le cadre d'un rapport correct à la Loi.

Ne pas y être attentifs constituerait un double message aux yeux du jeune : s'il était simplement désapprouvé, mais que, sur le terrain, il pouvait quand même tirer profit de sa transgression, il en conclurait que l'adulte ne représente aucune autorité, ou que, au-delà de ses déclarations publiques, ce même adulte est secrètement fasciné et complice.



Quelques applications.

 

Une application qui saute aux yeux porte sur la présence, dans la chambre du jeune ou sur lui-même, d'objets ( probablement ) volés. En pareil cas, l'adulte n'a évidemment pas à se faire, par son silence, complice d'un vol ou d'un recel. Mais il ne devrait pas non plus se borner à proférer " Je ne veux plus voir ça ici ! " : qu'il s'assure donc qu'existe une certaine forme de restitution - à laquelle il peut même participer - dirigée directement vers le préjudicié ou non, que celui-ci soit identifié ou non.

Quand le jeune nie le vol, l'adulte doit prendre garde à ne pas être le pigeon de bobards ( l'objet trouvé, si commode ) et à ne pas se laisser neutraliser par des histoires embrouillées d'échanges, de prêts ... : qu'il exige à tout le moins des clarifications suffisamment satisfaisantes ( voir par exemple Schouten, Hirsch et Blankstein, 1976, p. 245 ).

Si une institution résidentielle interdit la consommation intra-muros d'alcool et de drogues, sa position quant à l'observance de la règle ne peut confiner ni à de l'ingénuité ni à une vérification paranoïaque. Qu'elle garde les yeux ouverts, qu'elle fasse occasionnellement une inspection dans certains lieux ( l'une ou l'autre chambre, par exemple ) qui lui paraissent particulièrement suspects, qu'elle se souvienne que des jeunes qui se réunissent le soir plus ou moins secrètement ne jouent pas nécessairement un remake du Cercle des poètes disparus.

Nous formulons des réserves plus radicales encore à l'égard de nombre de règles qui proclament " Pas de ça chez nous " sans que personne n'ait l'air de se préoccuper de ce qui se passe dehors ni d'en parler : si l'on a décidé qu'il n'est pas bon de se droguer et donc, qu'on ne peut pas le faire dedans, on peut, sans se sentir personnellement chargé d'une responsabilité directe de surveillance sur des transgressions qui se passent à l'extérieur, dénoncer quand même celles dont on aurait connaissance. " Pas de ça chez nous " ne peut pas signifier : " Va donc le faire ailleurs ".

Quelle attitude adopter lorsqu'un jeune rapporte, au cours d'entretiens psychologiques ou de psychothérapies, qu'il récidive dans des transgressions graves? L'adulte, fût-il psychanalyste, ne devrait pas accueillir passivement cette confidence, comme un simple fait de parole. C'est toute la communauté, lui inclus, qui demande au jeune de se socialiser, donc d'éviter des transgressions destructrices. Nous ne demandons pas que cet adulte se précipite, toutes affaires cessantes, pour dénoncer la récidive. Mais il peut, en peu de mots, chercher à comprendre avec le jeune le sens de celle-ci, en discuter, lui enjoindre de s'en abstenir à l'avenir, voire de dédommager la victime ( si c'est possible ) et vérifier ce qu'il en advient. S'il s'avère que le jeune ne fait pas d'efforts significatifs pour s'améliorer, il reste à l'adulte, soit à mettre fin à la psychothérapie ( qui n'aurait en pareil cas aucun impact sur la socialisation ), soit à dénoncer les faits ( s'il y a dangerosité significative ).

L'attitude inverse, dans le chef des adultes, est ressentie par le jeune comme un alibi, une caution de sa délinquance.

De façon générale, plus on travaille avec un jeune dont le fonctionnement est arbitraire, plus on doit veiller à ce que l'interaction avec lui ( et avec son entourage ) respecte bien les règles sociales majeures ... et même les mineures, pour éviter des interprétations abusives.

Il ( et son entourage ) tend(ent) régulièrement des pièges : " Puis-je fumer? Puis-je téléphoner de votre bureau? Lui ferez-vous ce certificat? ( de complaisance, qui couvre une absence pour maladie au moment de devoir exécuter une prestation sociale ou scolaire pénible ) ? ".

Il est très important de pouvoir comprendre, certes, mais aussi de dire non à toutes ces tentatives de séduction ou de chantage. Sinon, le jeune en déduit qu'on n'a aucune autorité et/ou qu'on se moque de la Loi tout comme lui.



Le dédommagement. 



Définition.

 

C'est un travail de reconstruction exigé du jeune et effectué par lui, en réponse aux dommages réels, physiques et/ou moraux qu'ont occasionnés ses transgressions : destructions matérielles et/ou corporelles, stress et autres souffrances des victimes, dépenses d'argent et d'énergie de la communauté ( temps et moyens investis à son profit pour le resocialiser ).

Le dédommagement ne veut donc pas être un désagrément, une peine pour celui qui l'effectue, même si l'effort et la sueur qu'il y engage ne sont pas souvent une partie de plaisir. Il n'est pas de l'ordre du symbolique, mais du réel ( Laplanche [1983, p. 217] signale ce besoin du sujet " que quelque chose se passe enfin dans le réel ").


En quoi consistent les dédommagements?

 

Le dédommagement type, c'est un travail ( dix, vingt, cent heures ...), souvent manuel, et qui apparaît comme ayant un lien logique avec la destruction causée : tantôt, il la remplace à l'identique, tantôt il s'agit de compensation, parce que la destruction est irréversible ( mort ) ou trop énorme ( incendie avec dégâts très lourds ).

Lorsqu'elle est possible, la restitution d'un bien volé fait nécessairement partie du dédommagement, mais on la complète utilement par un travail.

De l'argent qui appartient au jeune peut-il constituer un dédommagement? Si c'est lui-même qui en fait la proposition, l'idée doit être explorée avec prudence : on ne pourrait en aucun cas accepter qu'il s'acquitte au moindre coût de la nécessité de reconstruire, par un geste insignifiant; ni, à l'inverse, que se génère un vécu de persécution, le jeune se sentant spolié d'un bien très précieux. Ces risques font que c'est très rarement l'adulte qui proposera au jeune de se séparer, à titre de dédommagement, d'une partie de son pécule!

Le dédommagement demandé au jeune n'a, en principe, rien à voir avec les dommages et intérêts souvent réclamés par les tiers victimes à ses parents ou aux responsables de son éducation (1)



Quelques qualifications de ces contenus (2). 



Nous recommandons que les dédommagements demandés aux jeunes soient :

 soit informels, par exemple décidés en famille, par l'éducateur de l'institution résidentielle, par l'école, soit formalisés et confiés à une institution spécifique après décision judiciaire. On est alors dans le cadre de médiations pénales gérées par les parquets, ou de jugements prononcés par les juges pour mineurs : ces derniers délèguent alors à des équipes spécialisées le soin d'exécuter desprestations d'intérêt général ( France, Québec ) ou des prestations éducatives et philanthropiques ( Belgique );

 systématiques: chaque fois que l'on a décidé de sanctionner activement la transgression, l'exigence d'un dédommagement devrait constituer le coeur de la réaction de l'adulte ; ceci vaut pour tous les jeunes chez qui est reconnue une part de responsabilité;

 proportionnels à la destruction entraînée ( au résultat ), à quelques nuances près.

 - Il existe une limite supérieure à cette idée de proportionnalité: on ne peut pas faire payer sa vie durant quelqu'un qui aurait causé des dégâts d'une telle ampleur qu'une vie d'homme, manière de dire, n'y suffirait pas.

 - Nous avons déjà dit que le critère " intentionnalité " ne devait pas beaucoup intervenir, mais quand même un peu ( idée d'une " barre à un niveau moyen ", haussée un peu face aux intentionnalités égocentriques les plus arbitraires, et abaissée un peu quand existent de fortes tensions psychiques contributives ) ( voir p. 55 et 56 ).

 - il faut tenir compte aussi de la force intérieure de la personnalité du jeune : par exemple un grand immature, un dépressif, un psychotique sont incapables de la même efficacité dans l'exécution que des personnalités fortes et structurées;

 de nature telle qu'on y trouve le meilleur lien logique possible avec les dommages provoqués;

 exécutés au bénéfice exclusif de la victime ( victime principale et/ou autres personnes touchées par la transgression ), de la communauté, ou des deux.

Le dédommagement direct de la victime n'est pas toujours possible ni souhaitable, par exemple si :

 - la victime refuse tout contact avec le jeune ( colère, angoisse ... ce contact n'est cependant pas une condition impérative du dédommagement ), ou, au contraire, si elle risque fort de se montrer trop indulgente ( renforçant positif des transgressions ultérieures !)

 - la victime reste l'objet d'une haine profonde de la part du jeune;

 - la victime apparaît comme lointaine, anonyme, injustement nantie ( par exemple, un grand magasin ).



Les objectifs du dédommagement.

 

L'objectif principal, c'est de faire mieux percevoir au jeune les conséquences destructrices de ses actes, ainsi que sa non-omnipotence ( Bazemore et Umbrait, 1995 ) : le tissu social lésé réagit et demande une restauration, au moins partielle.

Le dédommagement des résultats des transgressions participe donc à une intention de " conscientisation ", de " responsabilisation " : on veut montrer au jeune qu'il a engagé sa responsabilité et que ses actes ont eu un impact négatif sur autrui; en expliquant le bien-fondé du dédommagement, on lui fait rencontrer la souffrance de l'autre ( même si, bien des fois, son acte agressif avait été comme désincarné et s'il n'avait pas voulu provoquer toute cette souffrance ( Vaillant, 1994 )). On espère qu'il mémorisera cet enchaînement " action - effet de souffrance - réaction sociale " : à l'avenir, il pourrait donc engager sa responsabilité de façon plus prudente et plus avisée.

On ne laisse pas le jeune vivre de façon plus ou moins dépressive cette certitude intérieure d'être un terminator (3). Sans nier sa responsabilité, on l'aide à dépasser sa culpabilité. On lui donne la possibilité de ramener de la vie là où il a semé la mort, sans néanmoins gommer vraiment ce qu'il a fait : le miracle de l'annulation rétroactive n'existe pas vraiment et comme le dit J. Laplanche ( 1983, p. 221 ) " Entre la nostalgie de l'intégrité et l'acceptation du désastre, c'est l'incitation à une nouvelle création " : au terme du travail du jeune, qui a recréé de la vie, " l'autre " sera amélioré, plus positif souvent ... même si ce ne sera pas toujours le " produit haut de gamme " dont le jeune rêvait : il reste " autre ", avec sa liberté et, par exemple, une capacité variable de pardon dont il reste juge ( Vaillant, 1994 ).

Dans les meilleurs cas, lorsque le jeune adhère bien de l'intérieur à l'idée de l'importance du dédommagement, celui-ci contribue à la " réparation de soi " dont nous parlerons dans l'alinéa suivant.

Indépendamment de l'éducation du jeune, le dédommagement constitue une justice rendue au groupe social qu'il a lésé. C'est souvent une condition préalable nécessaire à une restauration de la paix sociale : le jeune constate souvent un réengagement davantage positif de la communauté à son égard, ce qui apaise son hostilité envers elle ( Bazemore et Umbrait, 1993, p. 14 et sq. ).



Les processus d'application.



C'est le plus tôt possible après la survenance des faits que le dédommagement devrait être demandé au jeune, puis exécuté par lui : le temps du processus doit être réel pour lui, c'est-à-dire se dérouler à un moment où il " vit " toujours l'expérience de destruction qu'il a générée (4). 

On a certainement intérêt à faire appel aux idées du jeune (" Comment pourrais-tu dédommager? "), sans se laisser aveugler par elles.

Nous l'avons dit, l'exigence d'un dédommagement est un élément fondamental face aux transgressions importantes. Ceci ne signifie pas qu'il faille y recourir de façon tyrannique et toute-puissante, pour le plaisir de mater le jeune ! Au contraire, il convient de lui en expliquer courtoisement la raison d'être, de discuter avec lui le sens de ses éventuelles résistances, de négocier éventuellement le contenu, puis de décider. Dans un tel contexte, et dans l'ambiance d'une détermination tranquille, une majorité des jeunes adhèrent au bien-fondé de la demande, au moins partiellement.

Nous pensons néanmoins qu'il faut l'imposer aux rares récalcitrants, en suivre chez tous l'exécution avec vigilance, et sanctionner les sabotages les plus manifestes. La sanction la plus naturelle, ici, ce sont des actes qui montrent au jeune qu'il n'est plus intégrable momentanément dans son groupe de vie habituel, parce qu'il s'obstinerait à ignorer les besoins d'intégrité de celui-ci. Des mises à l'écart pourraient s'en suivre.

Le jeune doit être soutenu dans l'accomplissement de son dédommagement : la vigilance des adultes n'exclut pas qu'ils soient compréhensifs, c'est-à-dire qu'ils tiennent compte des caractéristiques de sa personnalité. De façon générale, le dédommagement se passe mieux si le jeune est inclus dans un travail en groupe. Dans la troisième partie de l'ouvrage, nous évoquerons d'autres adaptations liées aux personnalités des jeunes.

L'adhésion au dédommagement ne doit pas être obtenue au terme d'un marchandage, où le jeune s'entendrait promettre qu'il n'y aura pas d'autres sanctions de ses actes : l'autorité de référence doit pouvoir continuer à apprécier l'opportunité d'autres mesures.



Reconnaître la réparation spontanée de soi et/ou y inviter le jeune (5). 



Définition.

 



Il s'agit de la reconnaissance, par l'adulte, d'actes ou de paroles que le jeune pose spontanément après le temps de la transgression, et qui sont estimés positifs ( de valeur, sociables ...) et par le jeune et par l'adulte. Si ces manifestations ne surviennent pas spontanément, il s'agit aussi de leur encouragement dans le chef de l'adulte

 



En quoi consistent les réparations? 



Des actes et des paroles très divers peuvent servir à la réparation de soi.

 Ils portent parfois sur les dommages provoqués par la transgression, que le jeune cherche sincèrement à supprimer ou atténuer: donc, s'il y a adhésion intérieure, un dédommagement peut aussi avoir valeur de réparation de soi.

Parfois, le lien avec le dommage causé est plus ténu, mais toujours conscient : le jeune cherche activement à montrer qu'il peut fonctionner positivement aussi, via un acte quelconque mais sociable.

Parfois encore, le lien est plus inconscient: simplement le jeune a-t-il envie de vivre et de montrer sa valeur positive, dans le décours temporel d'une transgression, mais sans plus penser à celle-ci.

 Les actes de réparation posés sont donc parfois de nature symbolique ( par exemple, envoyer une lettre d'excuses à la victime ). Ailleurs, ils auront un poids plus significatif de (re)construction positive du réel ( par exemple, rendre un service ). Tel acte sera pénible à poser ; à d'autres, le jeune prendra peut-être plaisir.

 Quand un jeune adhère sincèrement à l'idée de soins qui lui permettront de mieux fonctionner ( passage de la catégorie " entretiens " à la catégorie " psychothérapies "), cette décision, et ce qui s'en suivra, peut également contribuer à la réparation de soi.



Les objectifs de la reconnaissance 
ou de la stimulation de la réparation de soi. 



Ils sont évidents : on cherche à ce que le jeune perçoive et apprécie des forces positives en lui. Par " positives " nous entendons ici reconnues valables par lui et par au moins une partie significative de la communauté. L'image positive de soi, la confiance en un soi positif et la réalisation d'un potentiel positif s'en trouveront améliorées.

Après leurs actes destructifs, beaucoup de jeunes passent par une phase dépressive ( image négative de soi; impression de ne plus être aimés, d'être menacés de mort, etc.). Certains la vivent pleinement, et il peut s'en suivre des comportements désespérés-négativistes. D'autres refoulent leurs idées les plus négatives et arrivent à les transmuter en valorisation de soi (" Il est glorieux d'être le destructeur que je suis "). Mais le résultat sur le terrain est le même : c'est la récurrence des actes de destruction. Ici, l'accueil d'actes positifs, même balbutiants, ou la stimulation de ceux-ci, veut lutter contre cette représentation dépressive de soi et du monde, et rendre l'espérance en une capacité de créer de la vie.



Les qualifications et processus



 Les actes et les paroles de réparation ne peuvent pas être imposés au jeune : il est essentiel qu'il leur trouve du sens, spontanément ou après qu'on a recréé de l'espérance en lui ( de façon non verbale, simplement en lui demandant un service, ou au terme d'une discussion ).

On doit se méfier de pseudo-adhésions à un projet de réparation émanant notamment de jeunes délinquants essentiels ou pervers.

Et il y a aussi des incapacités : certains jeunes, très malmenés, n'ont pas encore acquis le sens de l'oblation : ce n'est que s'ils se hasardent à accepter des liens où ils sont respectés que, à la longue, ils pourront vraiment accepter de recevoir puis donner et, du coup, se réparer.

 Plutôt que d'imposer, il s'agit donc de guetter, d'être attentifs : si, d'aventure, le jeune produit spontanément du positif dans le décours de ses transgressions, il faut savoir le mettre en évidence, quel que soit le lien direct avec la destruction provoquée. Pour des jeunes particulièrement écorchés, ou méfiants à l'égard de l'emprise possible de l'adulte sur eux, on pourra se limiter à les remercier sobrement pour l'acte posé.

Pour d'autres, plus confiants et/ou en besoin plus fort de reconnaissance, on évoquera plus ou moins explicitement la dimension réparatrice de l'acte (" Tu es capable de faire des conneries ... mais tu es capable aussi de faire de bien bonnes choses ( éventuellement : qui reconstruisent ce que tu as démoli !). "

 D'autres fois, il s'agit d'inviter tel jeune très immature, pris par le plaisir, ou qui n'y croirait plus. Ici aussi, le lien avec la destruction commise peut être variable, tout comme le fait d'attirer son attention ou non sur la dimension réparatrice de l'invitation : à un extrême, on peut se contenter de lui demander un service; à l'autre, on peut lui proposer de chercher, lui, comment il pourrait retrouver l'estime de soi.

En France, les écrits de M. Vaillant ( 1994, 1995, 1999 ) décrivent très bien les réparations soit purement symboliques, soit ayant le double objectif de dédommagement et de réparation de soi.



Les récompenses matérielles.

 

Définition. 



Ce sont les moyens matériels, au sens large du terme, par lesquels les adultes donnent un surcroît de plaisir au jeune, en reconnaissance de ses efforts pour une meilleure socialisation.

On parle parfois aussi de récompenses morales : paroles par lesquelles l'adulte reconnaît et apprécie les efforts du jeune ou changements positifs introduits dans son statut en réponse aux mêmes efforts de socialisation. Elles sont au moins aussi importantes que les récompenses matérielles, mais nous les traitons sous d'autres rubriques ( reconnaissance de la réparation de soi; valorisation ).



En quoi consistent-elles ? 



D'aucunes sont des gratifications matérielles isolées, dont l'octroi est prévisible en fonction d'un comportement attendu, ou qui sont données à l'improviste, comme de bonnes surprises.

D'autres sont plus systématisées : c'est le cas, par exemple, dans les maisons d'éducation qui s'inspirent du behaviorisme. Ici, la sommation de " bonnes notes " sanctionnant des progrès comportementaux précis, ouvre l'accès à des privilèges matériels plus ou moins importants : distractions; suppléments de liberté; changements de groupes; retours progressifs en week-ends, etc. J. Guindon en parlait déjà très bien en 1976, en décrivant l'expérience de rééducation de Boscoville au Québec. Aujourd'hui encore, un système d'appréciations positives est un des moteurs de la pédagogie dans certains IPPJ belges ( maisons de rééducation spécifique des mineurs délinquants ) ( Verlinden, 1999, p. 85 et sq. ).



Pourquoi y recourir? 



On espère à tout le moins une amplification puis un maintien du comportement attendu, en rétroaction au renforçant positif que constitue la récompense. Toutefois, il faut espérer que ces changements soient davantage le fait d'une motivation nouvelle et réfléchie que de purs réflexes : plus la récompense, qui donne du plaisir, témoigne aussi du plaisir authentique de l'adulte à vivre avec le jeune en progrès, plus ce dernier peut avoir envie de faire ce qu'il faut pour rester dans ce monde plus agréable!

 

Les qualifications des récompenses et les processus d'attribution.

 

Même si c'est le bon résultat qu'on est spontanément tenté de récompenser, l'adulte gagnerait plutôt à être centralement sensible aux efforts du jeune, efforts dont le coût en énergie peut différer beaucoup d'une personnalité à l'autre. Bien sûr, il n'est pas question de fermer les yeux sur un bon résultat final, même acquis sans grande peine, mais l'effort mérite davantage d'attention et de gratification.

La suspension des efforts, voire la rechute dans la transgression, n'exige pas toujours une rétorsion punitive ; elle n'autorise jamais que l'on retire une récompense proméritée (6). Mieux vaut se demander s'il n'est pas préférable de réagir d'abord par de l'indifférence ( abstention ), voire de parler explicitement et patiemment d'espérance (" Ne nous décourageons pas trop ... [ A certaines conditions ], tu peux repartir du bon pied ").

Les récompenses ne peuvent pas davantage se distribuer comme l'output mécanique et programmé d'un ordinateur; mieux vaut qu'elles s'inscrivent dans des relations humaines où des personnes investies par le jeune, signifiantes à ses yeux, soient authentiquement heureuses de constater et de soutenir les efforts de celui-ci : alors, de surcroît, elles peuvent lui faire la surprise d'un plaisir supplémentaire, voire même appliquer le système de gratifications prévu par l'institution, mais en engageant leur personne et en exprimant le sens profond des récompenses : c'est-à-dire la joie de constater une meilleure sociabilité.

Les gratifications matérielles ne peuvent pas se limiter aux seules récompenses : plus un jeune est délabré, carencé, plus il a besoin aussi de gratifications inconditionnelles ( il faut y croire, même quand il passe par une période noire, négativiste, destructive ; un niveau de base de signes positifs doit rester immuable, même et surtout alors : petites gratifications matérielles ; petits signes d'attention; reconnaissance de ce qui reste quand même acceptable dans son comportement ). Les récompenses ne sont jamais qu'un surcroît !



Les punitions. 



Définition. 



Ce sont les moyens matériels au sens large, par lesquels l'adulte prive le jeune d'un plaisir, en réaction à des transgressions que celui-ci a commises. On parle parfois aussi de punitions morales : paroles par lesquelles l'adulte désapprouve de tels actes. Elles peuvent être importantes, elles aussi, mais nous les avons traitées sous la rubrique " l'énonciation de l'interdiction ".

Les punitions ne devraient jamais entraîner la souffrance physique, pas plus que l'angoisse d'être agressé ( comme quand on met un petit enfant à la cave ). Elles ont un but éducatif et n'ont donc que très peu à voir avec les peines infligées aux adultes par les tribunaux pénaux et avec les fonctions attribuées à celles-ci.

Le dédommagement, dont nous avons déjà parlé, ne devrait procéder d'aucune intention punitive chez l'adulte. Mais comme le jeune, lui, y voit parfois d'office une punition, il vaut la peine de vérifier la chose et, si c'est le cas, d'en discuter avec lui.


En quoi consistent-elles ? 


Il peut s'agir de privations de plaisirs, de mouvement et/ou de permissions plus ou moins importantes, jusqu'à la privation de liberté, partielle ou totale, dans les placements fermés; corollairement, il y a le non-accès aux récompenses dont d'autres bénéficient eu égard à leurs efforts ...

L'on sera attentif à éviter les punitions qui privent les jeunes de ressourcement affectif ( contacts avec la famille ) ainsi que celles qui les privent d'un investissement social positif ( par exemple, privation de fréquentation d'un club sportif ).

On peut penser aussi à imposer une tâche fastidieuse, mais elles ne sont pas légion : il faut éviter celles qui risquent de dégoûter de l'école ( lignes à copier ); par ailleurs, la vie sociale implique des corvées ( faire la vaisselle, ramasser les papiers dans la cour ...) : les imposer comme punitions plutôt que les faire partager par tous comporte également un risque : tout au plus pourrait-on jouer sur les proportionnalités de participation


Pourquoi y recourir? 



Pour qu'une punition soit efficace, il faut que le jeune la relie mentalement à sa transgression, condamnée par l'adulte : il devrait assumer à la fois qu'il en est responsable ( donc, il pourrait l'éviter à l'avenir ), qu'elle est dangereuse ( elle amène l'inconfort intrinsèque, via la réaction des adultes ) et qu'elle est mauvaise ( comme le lui dit l'adulte et peut-être aussi sa propre conscience ) ; alors I'agressivité éveillée par la punition peut être intériorisée et dirigée vers la " partie mauvaise de soi ".

Réagissent plus ou moins de la sorte les jeunes au fonctionnement momentanément normal, ou légèrement ou modérément névrotique, qui feront des efforts par la suite pour mieux maîtriser " la partie mauvaise en eux ".

En revanche, beaucoup de jeunes immatures et/ou carencés affectifs ne programment pas longuement leurs actes et ne comprennent pas qu'on puisse leur reprocher quelque chose qui leur a apporté tant de résultats gratifiants et dont ils prétendent - vrai ou faux - qu'elle leur a complètement échappé; ils retournent donc vers l'extérieur l'agressivité réveillée par la punition : leur sentiment de persécution et leur volonté de vengeance s'en trouvent souvent accrus.

Beaucoup de jeunes en phase psychopathique, délinquante essentielle ou perverse voient dans l'adulte qui s'affronte à eux pour les punir un nouvel ennemi à défier, à combattre. Mais l'absence de sanction négative leur apparaîtrait, chez ce même adulte, comme un signe de faiblesse à exploiter : face à cette alternative, une punition mesurée sera souvent un moindre mal!

Les jeunes au fonctionnement très névrotique sont écrasés de l'intérieur par des sentiments de culpabilité énormes. Ne pas en tenir compte peut être très dangereux, et les amener au suicide ou à de nouvelles transgressions " appelant " la punition : chez ceux-ci, une punition sobre et proportionnée à l'acte commis peut soulager la culpabilité, en remettant le pouvoir punitif aux mains d'un père externe.



Les qualifications et les processus de mise en place. 



Des éventuelles punitions ne devraient jamais constituer qu'une des composantes du programme global ; les autres catégories de sanctions actives figureront à leur côté. Même si le dédommagement, en soi, n'est en rien une punition, sa mise en oeuvre entraîne souvent une certaine pénibilité : il ne faudrait pas que la somme des pénibilités " dédommagement + punitions " devienne excessive.

Tous les jeunes réagiraient négativement à une ambiance quotidienne menaçante, pesante, faite de reproches et de punitions, où s'accumuleraient les notes à payer pour chaque échec et transgression. Les punitions doivent donc rester clairsemées, en réaction à quelques transgressions graves; mais alors, elles doivent être prévisibles et systématiques.

Si l'application d'une punition doit être raisonnablement prévisible pour le jeune - et elle l'est de facto : il ne manque pas d'intelligence à ce point ! - il est inutile de céder au réflexe habituel qui est d'en menacer répétitivement le jeune avant qu'elle ne tombe. Si la transgression a été commise, la punition peut suivre sans autre avertissement.

La punition aura d'autant plus de chance de passer qu'elle aura été imposée sobrement ( inutile de crier et d'humilier en plus ), qu'on peut en quelques mots en expliquer le sens et qu'existe une ambiance de " justice ", de non-discrimination, de mesure, et exempte de tout sadisme; l'adulte qui inflige la punition gagne à être investi par le jeune, fort, prêt à payer de sa personne pour venir en aide ( Bandura [ 1977 ] : le " modèle " que véhicule l'homme qui punit, passe bien au-delà de la sanction ...) : la punition a entre autres de l'effet parce qu'elle rappelle que veille une fonction paternelle consistante ...



Écarter le jeune de son milieu de vie habituel. 



On pense tout de suite ici à l'installation du jeune en dehors de sa famille pour sa vie quotidienne : dans la famille élargie, en famille d'accueil, en internat scolaire, en institution résidentielle plus ou moins spécifique, en chambre ou appartement plus ou moins supervisé, voire en maison d'arrêt.

Mais il y a aussi les changements d'école ; et encore, l'obligation qui est faite au jeune de fréquenter tel groupe, estimé positit ou de ne plus fréquenter tel autre ( habituellement, ses pairs ...), jugé délictogène.

Nous renvoyons le lecteur à ce qui a été dit de ces éloignements dans les chapitres 4 et 5 et notamment au tableau 1., p. 79 ; nous en reparlerons également p. 121 et sq.

 

DECIDER L'ABSTENTION



Définition et discussion. 



L'abstention, c'est le choix que fait l'adulte de ne pas dramatiser la signification de certaines catégories de transgressions et de ne pas y réagir, totalement ou partiellement.

Ce choix peut-être payant, c'est-à-dire contribuer à la maturation du jeune, si l'abstention est une vraie abstention, c'est-à-dire une décision de ne pas tout traquer, ou de ne pas intervenir ( ou de limiter son intervention ) malgré que l'on a vu et que l'on a été incommodé par la transgression. Le cas échéant, cet inconfort peut être déclaré au jeune, et pourtant ne pas entraîner de rétorsion.

La vraie abstention n'a donc rien à voir avec :

 - le déni de l'adulte (" Ca ne me fait rien ... tu peux transgresser tant que tu veux, tu ne m'atteindras pas "); déni dont l'effet est souvent extraordinairement provocant!

 - un signe d'une ambiance d'infantilisation du jeune (" Ce n'est pas grave ce qu'il a fait, c'est sa crise ... "). Il faut savoir reconnaître la puissance du jeune, le bien et le mal en lui. Certains d'entre eux toujours " excusés et récupérés " deviennent très dangereux : provocations de plus en plus à risque, longues fugues, violences intenses jusqu'au parricide ou au matricide ...

 - la démission, la passivité, l'angoisse d'affronter le jeune, l'effritement de la motivation à éduquer ... Ainsi, l'abstention délibérée de sanctionner l'acte d'un jeune ( par exemple, être sorti du groupe sans permission ; avoir été ivre ...) ne devrait pas couvrir d'injustes bénéfices matériels liés volontairement ou non à l'acte, comme d'échapper à un devoir ou à une corvée collective. On peut s'abstenir de sanctionner l'acte, mais demander que le travail mis en suspens soit exécuté;

 - la complicité plus ou moins voyeuriste, plus ou moins affichée, à la limite de la provocation ( par exemple certaines nuances des prédictions négatives, où l'on devine la jouissance du prédicteur à l'idée que sa prédiction pourrait se réaliser ou certaines institutions qui " ferment les yeux ", perpétuellement, sur les relations sexuelles, consommations de drogues mineures et autres trafics d'objets volés qui ont lieu dans leurs murs ).

La vraie abstention, si on la trouve indiquée, consiste plutôt à vivre et éventuellement signifier: " Ca se passe comme cela maintenant, je ne veux pas intervenir, mais je préférerais que ça change ... que ça redevienne agréable, sociable pour nous tous ".



Quand et pourquoi vaut-il mieux s'abstenir?

 

Un certain nombre de transgressions, souvent mineures, " signent " le grandissement " normal " de l'être humain. Elles sont souvent secrètes, ou alors, constituent des affrontements ostensibles à l'autorité, dont le but, précisément, est de montrer que l'autorité de la génération du dessus n'est pas toute-puissante.

Vouloir traquer et maîtriser toutes ces transgressions aura chez beaucoup un effet de provocation et d'exacerbation d'un bras de fer entre l'adulte et le jeune. Il faut donc savoir ne pas voir parfois, ne pas intervenir, et même, " perdre " de temps en temps (7) pour que le jeune garde confiance en soi et, paradoxalement, pour que ne s'exacerbe pas son désir de défier tout le temps. Une manière de reconnaître vraiment le grandissement, c'est de ne pas trop se mêler de ce qui s'y passe, en sachant pertinemment bien que le jeune ne se conduit pas toujours comme un ange ...

Le choix n'est cependant pas simple : il existe d'autres jeunes, toujours normaux mais déjà moins confiants en eux, plus anxieux, et dont les transgressions constituent, consciemment ou non, des " appels au père ", c'est-à-dire au retour d'une fonction paternelle externe, qui interdise et sanctionne. Si l'on y répond trop systématiquement, on les infantilise ... l'on ignore cette dimension, on les provoque à en remettre. L'abstention, ici, pourrait être abstention de sanction, mais aussi bel et bien dialogue autour du droit à s'affirmer, et du devoir à se socialiser " par choix intérieur ".

De même, certains jeunes commencent à ne plus être très sûrs de mériter autant d'importance et d'amour que les autres : si l'on peut s'abstenir parfois de sanctionner leurs transgressions mineures, au moins doit-on leur montrer que l'on a capté le signal et s'intéresser davantage à leur personne. En outre, il faudra leur faire comprendre que la tolérance face à leurs transgressions n'est pas éternelle, et qu'on préférerait à l'avenir des signaux verbaux plus directs.

Même chez les jeunes dont des transgressions, mineures et/ou peu destructrices, auraient une signification pathologique, l'affrontement systématique à celles-ci peut conduire, lui aussi, à des exacerbations de la problématique : leur désir de toute-puissance est stimulé, ou alors la réponse de l'adulte " au quart de tour " constitue un renforçant positif et leur indique un moyen royal d'attirer son attention.


Quelques applications. 



On peut penser d'abord à laisser des mailles raisonnablement larges dans le filet de la vigilance sociale. Plus le jeune donne des signes de socialisation basale satisfaisants et de réalisation de son potentiel créatif, plus on peut " le laisser en paix ", à l'intérieur d'une vie bien encadrée macroscopiquement. Pendant ses temps vraiment libres, il ne se conduira pas toujours comme un saint, mais on ne le traquera pas pour savoir en quoi consistent ses moments d'égarement. Moins un jeune manifeste cette capacité à réaliser son potentiel positif plus il a besoin de bénéficier de la présence de l'adulte ( voir p. 101 et 102. ).

On peut aussi tomber par hasard et à l'insu du jeune sur le résultat de certaines transgressions, et s'abstenir de réagir, et même de le lui faire savoir.

Inversement, l'adulte peut faire savoir au jeune qu'il a été informé de sa transgression ; ou alors, il ne peut pas ne pas acter une transgression ostensible, mais, après en avoir évoqué légèrement la signification, il peut décider de ne pas la sanctionner malgré l'inconfort ressenti, et le faire savoir au jeune ; moins il y a de respect de la convivialité dans la transgression du jeune, plus il invitera néanmoins celui-ci à moins égratigner les autres à l'avenir.

Dans ce contexte, il se peut même parfois que l'adulte aille jusqu'à qualifier positivement l'audace que le jeune a eue à transgresser, et qui s'inscrivait dans le cadre de son grandissement ( voir par exemple F. Redl et D. Wineman [1973, p. 159-160 et 197-200] : " Quelle bonne idée tu as eu là de faire l'acrobate ... d'explorer mon tiroir ... "). Attitude que le jeune peut parfois ressentir comme reconnaissante de lui, mais qui peut aussi être vécue comme infantilisante (" Fais ce que tu veux, petit, tu ne me déstabiliseras pas "), séductrice ou complice.

Dans d'autres cas, une sanction sobre de l'acte sera inéluctable, par exemple parce qu'un règlement intérieur le prévoit explicitement, mais l'adulte peut y procéder parce qu'il n'y a pas moyen de faire autrement et sans dramatiser la signification de ce qui s'est passé ni dans son for intérieur ni face au jeune ou à la communauté.

Face à certains jeunes moralement forts, l'abstention de sanction pourrait se coupler à une abstention d'intervention protectrice. Si d'aucuns, directement lésés par l'acte du jeune, veulent y réagir, qu'on les laisse faire : cette " politique du vide " peut constituer une forme de respect pour les forces du jeune déjà là, et une épreuve de réalité pour lui.

Par exemple, un père ne devrait pas toujours faire dare-dare mille cinq cents kilomètres, toutes affaires cessantes, pour récupérer sa fille fugueuse, en revendication d'indépendance, et qui serait en attente dans un commissariat à l'étranger, ayant fini par appeler au secours. Pour parents bourgeois : laisser le jeune s'expliquer avec la police, le procureur; le laisser aller en centre d'observation ... sans vouloir tout de suite tout arranger ( au nom, pas toujours avoué, de la sauvegarde de la respectabilité de la famille ).

Mais il existe toujours des effets pervers possibles. La politique du vide ne doit pas devenir sadisme, vengeance; elle doit rester proportionnée aux forces du jeune, et ne pas déclencher chez lui des sentiments d'abandon et/ou de persécution trop envahissants.



- Notes. - 

(1). Dans quelque cas, il peut s'avérer constructif que le jeune participe à la réparation civile exigée de ses parents, via l'argent d'un travail fait pour la circonstance ou via une partie de ses économies : s'il adhère de l'intérieur à l'idée, sans s'en sentir spolié ni persécuté, on peut concevoir qu'il s'agisse de son dédommagement à lui. 

(2). On peut relire à ce propos, Hayez, Reithmuller, Verougstraete et Weger, 1986, p. 236 et sq. 

(3). C'est pour cette raison que l'on gagne souvent à proposer du dédommagement, sans l'imposer, lors des pseudo-transgressions dont le résultat a été très destructeur : même si le jeune n'y a pas engagé sa responsabilité, il peut se sentir triste et coupable de l'effet obtenu. Le dédommagement l'aide à reprendre confiance en soi. 

(4). On est d'emblée confronté à une grande difficulté, qui est l'hiatus entre le temps judiciaire et le temps vécu par le jeune : un jugement qui impose un dédommagement a souvent lieu des mois après les faits. Néanmoins, si l'autorité de référence et le programme sont fonctionnels, on peut souvent faire en sorte qu'un dédommagement informel commence bien plus tôt, comme mesure éducative, en dehors d'un acte judiciaire officiel. Par la suite, le jugement du tribunal pourrait tenir compte de ce qui a été réalisé précédemment, quitte à y ajouter quelque chose. 

(5). Pour plus de détails, voir Hayez, Reithmuller, Verougstraete et Weger, 1986, p. 240 et sq. 

(6). Récompense déjà méritée pour d'autres faits positifs. 

(7). Dans le beau film Et au milieu coule une rivière de R. Redford (1991), le père du petit Paul ( sept ans ) le comprend très bien une heure après avoir laissé son fils devant l'assiette de porridge pleine qu'il est prié de terminer, et face à l'obstination silencieuse de Paul, il finit par libérer son fils, sans faire la moindre histoire ...