Définition et épidémiologie 

Le syndrome anorexique  consiste en une crainte intense et irrationnelle de grossir, une volonté excessive de rester ou de devenir très mince, un refus alimentaire important et parfois des comportements annexes qui amènent une perte de poids significative.

L'anorexie mentale apparaît presqu'exclusivement dans les sociétés industrialisées (abondance de la nourriture ; culture contemporaine de la minceur), 9 fois sur 10 chez les filles.

L'âge moyen d'apparition, c'est 17 ans : c'est un trouble typique de la seconde partie de l'adolescence et du début de l'âge adulte. (Dans cette tranche d'âge, chez les femmes, la prévalence serait de 0,5 à 1 %) 

Il existe néanmoins une petite minorité de cas qui commence avant la puberté, et un premier « pic » (moins élevé que celui de 17 ans) vers 14 ans : ici, c'est plus souvent réactionnel à un événement identifiable, et souvent plus bénin. L'installation après 35 ans est très rare et de mauvais pronostic (complication d'une mélancolie ou d'une schizophrénie) 

 Etiopathogénie

 

Dans une minorité de cas, surtout chez les plus jeunes, les anorexiques avouent clairement (ou montrent à l'évidence, via d'autres symptômes !) leur peur de grandir, leur volonté de rester dépendantes de leurs parents, leur peur de mourir un jour et leur volonté que le temps soit suspendu, leur angoisse diffuse face à la vie et à la société. 

Plus fréquemment, ce sont d'autres dynamismes vitaux qui sont opérants. Ils varient quelque peu d'une personne à l'autre mais néanmoins, grosso modo, on retrouve toujours plusieurs composantes que voici : 

- Réinvestissement narcissique de la libido : si l'anorexique n'est pas fière de la forme de son corps, elle l'est par contre de la manière dont elle le dompte et le maîtrise elle se sent soit exceptionnelle, comme un pur esprit qui serait parvenu à se désincarner ... soit comme réalisant l'Idéal d'une culture de la minceur. 

 

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- Parfois même, jouissances auto-érotiques plus précises, via les sensations qu'elle se donne (« cfr. le concept de « psychosomatique perverse ») 

- Les plaisirs narcissiques ou/et auto-érotiques ressentis peuvent devenir des esclavages (dimension d'assuétude, d'obligation de maintien ou de reconduction des sensations éprouvées) 

- Chez certains, à l'inverse, auto-agressivité, haine de soi via l'anorexie. 

- Non renoncement aux pulsions agressives dirigées vers la famille d'origine (fratrie, parents autoritaires) ou vers le conjoint rival. 

- Dans certains cas, leur réalisation ne fait l'objet d'aucun conflit névrotique et s'exprime ici de façon détournée (on peut parler alors d'un trouble de la personnalité) 

- Dans d'autres cas, il y a conflit névrotique ; les désirs agressifs se refoulent plus ou moins et se ré expriment indirectement par un symptôme-compromis, l'anorexie, qui blesse autrui et le réduit à l'impuissance (névrose de type plutôt hystérique) 

- On peut raisonner exactement de la même manière à propos des pulsions sexuelles oedipiennes dirigées vers un parent, ou de certaines pulsions libidinales plus archaïques (être dorloté, pris en charge ...) 

- Dans certains cas, on a l'impression qu'il ne s'agit pas de défier ni de séduire, mais plutôt d'offrir aux parents « un os à ronger », c'est-à-dire une zone de fonctionnement qu'ils vont investir avec leur dimension protectrice/autoritaire. Ils se centrent là-dessus, ce qui permet à la personne anorexique de développer des zones de fonctionnement autonome ...

Ou alors, l'anorexique ne veut rien d'autre que d'adhérer au souhait (secret, préconscient) de sa famille, qui a besoin de ce symptôme pour maintenir son homéostasie.

On parle ici parfois d'anorexie sacrificielle, ou conformiste, ou de « psychosomatique psychotique » (au sens très large du terme, redisons-le : il y a aliénation de ce que l'on veut le plus personnellement, dans le désir de l’autre)

 

 Clinique 

 

A - Symptômes individuels

 

- Classiquement caractérisée par les 3 A : Anorexie, Amaigrissement, Aménorrhée. 

- Refus de maintenir un poids corporel normal au vu de l'âge et de la taille [5] ; crainte intense de grossir ; perception inexacte de son propre corps (trop grand, trop gros) ... Donc : lutte contre la sensation de faim ; se nourrit très peu (ou erratiquement) ; éventuellement se purge ou/et se fait vomir, se dépense en exercices physiques épuisants ...

Donc : perte significative de poids ; après la puberté : aménorrhée, atténuation des caractères sexuels secondaires (avant la puberté : peu ou pas de croissance pubertaires) ; éventuellement complications somatiques.

Donc, éventuellement, symptômes psychiques conséquents de la faible estime de soi, et de la fatigue déniée : humeur dépressive, irritabilité, isolement.

 

B - Examens para cliniques biologiques 

 

 

Dans les cas graves, la perte de poids et certains comportements aberrants (par exemple purgation) peuvent altérer certains paramètres : par exemple, anémie, leucopénie, hvpochlorémie, hypokaliémie, abaissement des taux hormonaux (thyroïde, hormones sexuelles)

 

C - Contexte  relationnel

 

- Beaucoup de personnes anorexiques « offrent » spectaculairement ou subtilement leur problématique à leur famille, et pourtant, dénient être anormales, dissimulent aux soignants ce qu'elles font, et refusent de consulter des psy, ou se rendent passivement chez ceux-ci, soit disant pour obéir à leur famille. Elles tentent d'expliquer rationnellement leur conduite, en faisant référence à un événement qui les a choquées ou aux impératifs de la culture. 

- On a décrit, probablement de façon trop rigide, des « familles types » d'anorexiques, quelque peu caricaturales ; on peut retenir néanmoins, surtout à propos des adolescents, que : 

  • Assez souvent, la question du pouvoir est mal négociée dans la famille. Au moins un des parent, plus souvent la mère, est manifestement ou subtilement très autoritaire ... ou couve trop ses enfants et notamment l'anorexique, au nom de ses propres angoisses de mort ... et on a l'impression qu'un « bras de fer » souvent non avoué comme tel, est engagé entre l'anorexique et ce parent, notamment autour du contrôle de l'alimentation. Mais ce jeu relationnel est néanmoins plus compliqué qu'il n'en a l'air, car bien des anorexiques revendiquent à la fois sincèrement et leur indépendance (par exemple, droit à gérer leur corps) et son contraire, c'est-à-dire que l'on s'occupe beaucoup d'elles, mais ceci, sans l'avouer. 
  • Parfois, le lien affectif est excessif entre un anorexique et un de ses parents : dyade fusionnelle Mère-Grand bébé ... ou attraction oedipienne réciproque que père et fille réalisent, et dont ils se défendent, à travers le chipotage alimentaire (qui prévient d'autres chipotages ... Dans ce cas, on voit parfois que la fille « tape dans l'œil » du père dans d'autres domaines encore (par exemple, brillance intellectuelle) 
  • Rivalité fraternelle discrète on déclarée ; exaspération fréquente des autres membres de la fratrie ; l'anorexie, qui sollicite beaucoup les parents, est une manière de les « moucher » ! 

D. Évolution 

 

Elle est variable : pour certains, restitution ad integrum après un épisode unique (par exemple, 3 mois à 8 mois) ; pour d'autres, alternance de décompensation et d'améliorations, ou encore alternance, en ordre dispersé anorexie-boulimie (!) - normalité ; pour d'autres encore, stagnation de l'état, voire détérioration progressive au fil du temps. Un « accident organique » mortel ne peut jamais être exclu, pas plus que le suicide. 

Diagnostics différentiels 

Installation insidieuse d'une maladie organique grave ; dépression majeure ; mélancolie ou pré-mélancolie (dont l'anorexie n'est alors qu'un symptôme) ; schizophrénie (idem), phobies sévères

autour de l'alimentation.

Donc un examen organique clinique et para clinique soigneux est toujours indispensable. Par ailleurs, lorsqu'on écoute attentivement, l'anorexique est le seul à avoir des craintes excessives quant à son grossissement, et à avoir de son corps une image perturbée de façon aussi spécifique

 

Traitement

 

Nous nous limiterons à en exposer les principes généraux, à partir de ce qui serait un cas-type.

 A. Plus de la moitié des personnes anorexiques ne sont pas spontanément motivées pour réfléchir sur elles-mêmes, en tant que sujets problématiques, ni avec un psy, ni même avec un autre médecin qui voudrait les « réadapter »

On doit donc accepter le fait que beaucoup de consultations, du moins au début, se fassent en présence d'un ou de plusieurs membres de leur famille, et que ce soit d'abord ceux-ci qui expriment leur inconfort. A cette occasion, on entre en contact avec la personne anorexique et, avec elle et avec les autres, on parle relations familiales, projets sociaux, etc. ... il est toujours possible qu'il en sorte quelque amélioration apaisante...

On écoute aussi cette personne anorexique, sans la menacer ni la critiquer, exposer l'image qu'elle a de son corps et son projet à propos de celui-ci ; les membres de sa famille en font autant ; quant au soignant ( généraliste, interniste, pédiatre ou psy ) c'est pour lui l'occasion et d'écouter et de signaler au passage ses différences de perception ( sans obliger ses vis-à-vis à penser comme lui ) et donc aussi pourquoi il refuse d'entrer dans des demandes de régime supplémentaire, etc. ...

Avec les membres de la famille, on essaie aussi de mettre au point des attitudes plus sereines d'accompagnement de l'alimentation et, en général, du grandissement de l'anorexique

B.  Sur base de cette première plate-forme de rencontres :

 a) Dans certains cas, il se crée suffisamment d'intérêt, chez l'anorexique et chez tous. pour que l'on puisse organiser des entretiens scindés : entretiens individuels avec l'anorexique, entretiens avec sa famille d'origine, voire son conjoint, et moments de mise en commun. Si l'alliance est bonne, c'est peut-être seulement maintenant que le soignant non-psy réussira à faire accepter la co-présence d'un psy, et qu'ensemble, il mettront au point ce programme : les entretiens individuels sont plus ou moins investis par l'anorexique : parfois, ils demeurent une simple thérapie de soutien (qui permet peut-être déjà des réorientations sociales) ; dans d'autres cas, il y a investissement d'une thérapie beaucoup plus profonde. Parfois, dans ce contexte, l'anorexique demande même à être séparé de sa famille (en « kot » ... en appartement protégé ... à l'hôpital psychiatrique), mouvement que l'on doit s'efforcer de soutenir avec réalisme, en en comprenant les enjeux, sans se précipiter. 

b) Dans d'autres cas, plus défavorables, on doit s'en tenir à des rencontres de groupe familial, parfois même l'anorexique ne veut plus y venir et on doit travailler à travers sa famille d'origine ou/et actuelle.

C. Quelle que soit l'évolution de ces entretiens de réflexion, un anorexique est toujours susceptible de se mettre en danger, par une perte dramatique de poids entraînant un risque vital. 

Il doit donc toujours rester sous contrôle d'un médecin ( de préférence son généraliste ) Si le poids descend en dessous d'une limite dangereuse, il faut l'hospitaliser ( en pédiatrie ou médecine interne s'il y a consentement ; sinon, s'en référer à la loi de protection du malade mental ) A l'hôpital, outre l'ambiance de dédramatisation et de vie sociale avec les autres malades, et outre l'intensification des thérapies de soutien et autres, on prend, sans discuter, les mesures nécessaires pour que le corps redevienne en sécurité ( en recourant éventuellement à l'alimentation parentérale )

D.Bien que notre position fondamentale soit accueillante vis-à-vis du béhaviorisme, à des éléments duquel nous recourons à l'occasion, nous sommes sceptiques quant à l'efficacité de son utilisation dans le domaine de l'anorexie : ici, le « désir » de « ne pas » est tellement fort que nous ne croyons pas qu'il puisse rapidement, profondément et stablement, se transformer en un accord de principe sur un programme comportemental de meilleure alimentation. Par contre, le béhaviorisme, peut rendre service à propos de chapitres connexes de la vie (meilleure socialisation, sortie progressive de la famille)

E. On propose parfois des antidépresseurs (surtout les Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, sauf le Prozac ® qui est anorexigène) surtout si la composante dépressive est importante. Dans les cas graves, avec épuisement, il faut vérifier préalablement qu'il ne se soit pas installé de troubles de la conduction cardiaque (surtout si on envisage de prescrire des tricycliques)