« La vie s'appauvrit, elle perd en intérêt, dès l'instant où nous ne pouvons pas risquer le suprême enjeu, c'est à dire la vie elle-même » ( S. Freud, 1915)
Chapitre I. Considérations générales
-
Qu'est-ce que le risque ?
-
Même sans qu'elle bouge le petit doigt, combien de risques ne planent-ils pas sur la tête de cette fillette des rues indienne !...
Le risque, c'est un danger potentiel ( accident, agression, perte d'amour ou d'estime, dépendance etc. ), dont l'occurrence n'est jamais certaine, même si l'on peut parfois faire des évaluations quant à sa probabilité.
Il nous « pend au nez » (2) à chaque tournant de nos vies, parfois sans que nous ne fassions rien pour, parfois comme conséquence d'une action volontaire, mais pas toujours bien informée sur l'intensité du facteur « risque » qu'elle inclut.
Nombre de risques liés à nos activités doivent être affrontés, parce que celles-ci sont nécessaires ou utiles au maintien et à la progression de la vie individuelle ou collective. En ce inclus dans leurs dimensions spirituelles : Je pense par exemple aux risques inclus dans certains rituels culturels, qui assurent le passage d'une génération à l'autre.
Dans le film « le cercle des poètes disparus » ( P. Weir, 1984 ), Neil risque d'exprimer sa passion pour le théâtre ; il lui en coûtera la vie ...
Les autres risques sont gratuits, du moins du point de vue de l'observateur externe : il n'est pas nécessaire de les prendre pour survivre ou mieux vivre. L'être humain aime s'amuser, vivre des sensations fortes, (se) démontrer sa force, rivaliser d'audace avec ses pairs, anesthésier sauvagement ses souffrances, etc.
La zone-frontière qui sépare les risques gratuits et les autres est imprécise et leur localisation peut être évaluée différemment selon la subjectivité de celui qui statue.
Alors, je confierai la mission d'être juge à un groupe de référence approximatif, « suffisamment bien serein et lucide » pour paraphraser Winnicott : j'imaginerai un groupe virtuel d'une vingtaine de personnes, également réparties entre 15 et 75 ans, réputées en bonne santé mentale et bien documentées. Ce sera lui mon juge. J'imaginerai même qu'il s'exprime par la voix des auteurs qui ont le plus réfléchi à ces questions, des spécialistes de la réflexion sur le risque, comme par exemple David Le Breton. Ce groupe de référence, c'est ce que l'on appelle le « Tiers social », qui, dans une culture donnée, transcende les singularités individuelles et familiales (3)
Même en recourant à des critères précis, ce groupe reste régulièrement confronté à des zones-frontières indécidables :
Par exemple, en termes de gratuité ou d'utilité des risques, que penser de certaines compétitions automobiles de Formule I censées donner des indications techniques sur l'automobile et les combustibles ? Et plus banalement, de certaines bagarres d'enfants, voire d'ados, sous le nez de l'autorité. Pour se faire respecter par ses pairs, à la récré de ses 10 ou 14 ans, est-il si certain qu'il existe d'autres moyens que de sortir ses griffes, même contre le règlement ?
Michelito à l'œuvre ... Familles, êtes-vous toujours bien raisonnables ?
-
Risques, vie consciente et vie inconsciente
-
----
Les rapports du Conscient et de l'Inconscient ne sont pas fondamentalement différents dans lechamp des activités à risque que pour les autres phénomènes humains.
La « vérité » de l'être humain se situe dans ces deux dimensions de son être-au-monde, sans les hiérarchiser, et dans les rapports qu'elles entretiennent. Le fait qu'existe un monde Inconscient, avec ses tensions et ses poussées, ne supprime pas pour autant toute lucidité et toute liberté de choix de l'être à un niveau conscient.
Pour soulager l'être humain et l'amener à des changements de projets et de comportements, il suffit parfois de travailler avec lui le domaine de ses représentations conscientes. Dans d'autres cas par contre, il existe une telle compulsion à la répétition, source de comportements tellement inadéquats qu'il faudra l'inviter à découvrir et assumer petit à petit certains conflits, traumas ou désirs jusqu'à présent inconscients.
---- Parfois, des activités à risque cherchent à anesthésier, à étourdir ou à donner une solution à un mal- être dont les racines et les Images opérantes les plus fortes sont dans l'Inconscient, faites d'agression, de disqualifications, de contradictions d'Instance ou de rejets précoces et répétés.
Ou alors, telle activité à risque peut encore constituer un passage à l'acte au sens psychanalytique du terme : un acte fort, plutôt impulsif, chargé de symbolisme, remplace une inaccessible mise en mots et tente de faire voler en éclats un conflit Inconscient dont les composantes restent inconnues ... Mais attention, c'est bien la racine qui est dans l'Inconscient, pas la lucidité quant au fait qu'il y a risque.
Pour d'autres, ça a l'air plus simple, du côté du désir de défier, de rivaliser, d'abattre la puissance et l'orgueil du Père ou encore d'être aimé en tant que celui qui se démarque exceptionnellement.
---- Je reviendrai par la suite sur le thème du déni du risque : Il ne se produit pas nécessairement parce que l'action envisagée apparaîtrait particulièrement interdite par la censure Surmoïque du jeune. C'est plutôt face à l'évaluation de la dangerosité, c'est-à-dire aux côtés les plus adaptés et les plus raisonnables de son Moi que celui-ci se jette de la poudre aux yeux.
-
Les niveaux de satisfaction
Je me centrerai dorénavant sur les mineurs d'âge, surtout les préadolescents et les adolescents, que j'appellerai aussi « jeunes » (4).
Lorsqu'un ado réalise une activité à risque, sa satisfaction peut se situer à trois niveaux susceptibles de coexister :
- Premier niveau : au moment même du déroulement de l'action risquée, centralement, corporellement, le jeune peut éprouver mille sensations excitantes, vécues comme plaisantes, liées à la nature de l'activité et à la représentation co-existante du risque, avec des idées comme : « Je suis le plus fort ... je suis invulnérable ... je vais peut-être savoir ce qu'est la mort, etc. », idées elles-mêmes génératrices d'un supplément d'émotions : angoisse « exquise » ; exultation ; joie amère d'une vengeance sur l'échec, etc.
- Le second niveau est constitué par les conséquences rapprochées de la prise de risque : une meilleure estime de soi, l'admiration des autres, leur crainte, une récompense ... ou une punition, à moitié attendue par le vécu de culpabilité (5) du jeune, etc.
- Le troisième niveau, inconstant, ce sont des résultats obtenus par l'action, indépendamment de sa dimension « risquée » : bénéfice d'un bien volé ; jouissance sexuelle vécue comme plus intense parce que sans préservatif ; plaisir procuré par l'alcool, la drogue ...
D'un adolescent à l'autre, d'une activité à l'autre, ainsi qu'au fil du temps, chacun de ces niveaux est investi de façon différente. Il arrive même qu'un des niveaux soit vécu comme insignifiant ou négatif !
Les premiers joints fumés à treize ans sont parfois investis davantage pur le premier ou le second niveau que pour leur résultat tangible. Après, l'adolescent se blase et banalise le processus, mais investit beaucoup plus le résultat : s'évader, planer, se sentir euphorique.
L'ado qui se brûle à la cigarette ou se scarifie devant son public est loin de toujours vivre une jouissance masochique du premier niveau. Il ne vise que le second niveau.
Chapitre II Définitions des activités à risque
Activités à risque
Je parlerai d'activités à risque, qui se répartissent sur un continuum de fréquence entre actes et conduites à risque.
Le jeune est auteur d'activités à risque lorsqu'il s'engage délibérément et gratuitement dans des activités potentiellement et significativement dangereuses, en y cherchant au moins des satisfactions de premier et/ou de second niveau ( inspiré par Michel, 2002 )
---- Délibérément ?
L'action fait donc suite à un choix et à un projet, parfois très brefs, parfois minutieusement concoctés. J'exclus donc de la catégorie « Activités à risque » les actes les plus irréfléchis, les plus impulsifs ( par exemple, certaines violences physiques ) Mais pas les actes préparés à l'avance qui commencent soft, puis se terminent en déchaînements pulsionnels, sous le jeu de l'excitation du moment ( conduites sexuelles qui finissent par être sauvages ; « casses » lors de manifestations, etc ... )
Délibéré veut dire aussi lucidité, au moins partielle : le jeune est, toujours conscient qu'il y a risque qu'elle, mais pas nécessairement de son intensité.
Choix et lucidité sont des composants de l'intentionnalité que je décris dans le livre
La destructivité chez l'enfant et l'adolescent ( 2007, p. 4 et sq.)
---- Risques ici gratuits
Il s'agit des risques estimés gratuits par le Tiers social, et même de ceux qui se trouvent dans la zone frontière indécidable. Le groupe estime également que ces risques sont « significativement graves » : probabilité d'occurence assez élevée d'un danger important, de nature variable : risque de mort, de traumatismes ou de maladies physiques ou psychiques pour soi ou/et pour les autres ... risque de perte de biens ... risque de perte d'amour ou d'estime ( à trop « faire le con » par exemple )
---- Des satisfactions de premier et/ou de second niveau
Ce critère est essentiel. Si je ne m'y référais pas, trop d'activités entreraient dans le champ qui nous occupe, et finalement, ça ne voudrait plus rien dire. On pourrait y inclure toutes les activités antisociales, tentatives de suicide, transgressions de règles ( par exemple, toute sexualité précoce ), consommations abusives d'alcool, de drogue, de tabac, d'alimentation, puisque, chaque fois elles connotent des risques significatifs.
Mais je renonce à les inclure si c'est seulement l'objet central de l'action qui est visé, avec une large ou totale indifférence à tout ce que fait vivre le risque.
Ma façon de réduire le champ ne facilite pas nécessairement l'analyse, car elle renvoie à la subjectivité de l'ado et à son discours sur lui-même au moins autant qu'aux impressions des observateurs, mais elle me paraît faire preuve d'une meilleure cohérence logique.
Actes ou conduite à risques
les activités-terme général- se répartissent entre deux pôles d'un continuum de fréquence :
A. Dans sa forme la plus pure, l'acte est isolé : une seule expédition nocturne où l'ado est pris sur le fait ; une seule fugue pour (se) montrer son indépendance.
Mais je parle encore d'actes à propos de comportements qui ne se répètent que pendant une phase de brève durée. Par exemple, certaines affirmations de soi des plus provocantes au plus fort des remous de la puberté : l'un ou l'autre flirt avec la mort pour attirer l'attention et l'amour d'un autre ..
Et je les définirai toujours comme tels lorsqu'ils éclatent erratiquement et à basse fréquence ( apparemment du moins ), quelques fois pendant la durée de l'adolescence. C'est peut-être alors qu'ils ont le statut de « passage à l'acte » tentant stérilement de régler un problème inconscient qui ne peut pas être mis en mots.
Bah, on peut vraisemblablement ranger dans cette catégorie-là la grande majorité des adolescents qui vont bien. L'Evangéliste ne nous dit-il pas qu'à l'âge de douze ans Jésus fugua trois jours et fit bien pleurer ses parents.
B. A l'autre extrême, d'autres ados aiment multiplier la prise de risques gratuits. Parfois, dans une seule catégorie d'activités, comme les provocations agressives entre pairs ou la sexualité sans précaution. Parfois de façon plus diffuse. C'est à leur propos que je parle de conduites à risque : Conduite a une connotation d'habitude, de style de vie, de répétition.
Ce critère « Haute fréquence » n'est pas parfait ; Il faudrait lui substituer celui de « habitude très ancrée », chaque fois à l'origine de vécus très importants du premier ou/et du second niveau. Par exemple, certains amateurs de roulette russe ou de sports de l'extrême dans la nature, ne pratiquent pas très souvent, et pourtant ce peut être chez eux une conduite très fixée.
Qualifications contingentes des activités, actes ou conduites à risque
Le risque encouru peut être immédiat, comme la sanction brutale d'une action forte ( par exemple, se noyer lors d'une plongée sans précaution ) Il peut aussi tomber de façon erratique, lors de la nième action identique ( être agressé sexuellement lors du nième RV au sous-sol d'un parking ) Il peut parfois être différé, et ne survenir que par la répétition des activités menées ( devenir dépendant )
Le risque peut être couru pour soi ou surtout pour d'autres : ne pas perdre la face ; être admiré ; les affronter, etc.
Il peut se pratiquer en secret, sans précautions pour le fait d'être vu ou très ostensiblement.
Le risque peut aboutir à de la valorisation ( une médaille sportive ; figurer au livre des records ; gagner l'admiration jalouse des pairs ) ... ou à de la destruction ( mourir à de la roulette russe ; tuer quelqu'un involontairement )
L'activité à risque se fait seul, en pur solitaire ou sous le regard des autres. Elle peut se faire aussi à deux ou trois ( par exemple, skate ou parcours urbain ; jackasseries ; prise de cannabis ... ) Parfois même, elle se fait en groupe plus important ( certaines manifestations de lycéens, affrontements en bande ... )
L'ado qui pose des activités à risque se situe aussi de façon très variable dans le champ de la santé ou de la pathologie mentale :
.J'ai déjà dit aussi que le goût pour la dimension la plus fondamentale du risque était des plus variable : du subissement à la recherche intense, dans un contexte de dépendance.
Il en va de de la lucidité : de l'étourderie sous-évaluant le danger à une connaissance très approfondie du risque, voire à une exagération dramatisante. J'ai fait entrer dans les critères d'inclusion au moins une certaine lucidité. Toutefois, pour des raisons affectives ( bravade par exemple ), certains ados minimisent voire dénient le risque : Je considère que les activités qu'ils mènent avec ce vécu entrent bien dans la catégorie « activités à risque »
Chapitre III . Principales catégories d'activités à risque
Vouloir faire disparaître les limites du corps
-
- La pratique des sports de l'extrême ou de comportements d'affrontement intense de la nature ou du monde matériel. Dans le cadre d'activités organisées et encadrées ou de façon sauvage :
- Acrobaties en VTT, roller, skate-board, moto ; sports de glisse hard ...
- Cabrioles des free raiders qui dévalent des montagnes, en bondissant de rochers en pentes presque à pic ; plongées ( d'une falaise ; du haut d'un pont, avec le fleuve tout en bas ) ; escalade ( le plus vite possible, avec un minimum de matériel ) ; saut à l'élastique (« benji ») ; rafting particulièrement osé etc ... - Entraînements démesurés à des sports de compétition
- Certaines modifications volontaires de l'intégrité du corps ( brûlures, scarifications, suspensions, ... )
- ( Partim ), certaines anorexies mentales « avoir le corps le plus léger du monde, comme une feuille sans pesanteur ... »
Jusqu'à flirter avec la vie et la mort
- Activités sauvages, dangereuses pour soi et pour autrui : Conduites dangereuses d'engins motorisés, sans respect des règles, sans précaution pour soi, éventuellement sous l'emprise de l'alcool (« chicken games ») ; acrobaties brésiliennes sur le toit des trains ; ados de Montréal accrochés à l'extérieur des métros ; « Qui ose se glisser le dernier sous une porte de garage qui se ferme ? » ...
Extrait du film " La fureur de vivre " (N. Ray, 1955) James Dean finira par ne pas pouvoir arrêter sa voiture au dernier moment, et ce sera la chute dans le précipice
- D'allure plus soft : roulette russe ; certaines activités ressemblant fort à des tentatives de suicide ( Partim ) ; certaines anorexies mentales ; non-compliances graves des ados malades au traitement ( parachutisme des épileptiques ; diabète ... )
Mise à l'épreuve du Soi-psychique
- Certains voyages initiatiques de longue durée, seul, sans moyens, à travers des zones dangereuses (plutôt su dtyle 'Into the wild' que le gentil voyage d'unan post-rhéto en Australie, terre de toutes les anans, avec en pohe le ticket de retour que aierait papa)
- Certaines fugues pour s'affirmer : Sardou les célébrait déjà il y a 20 ans : « Mes chers parents je pars ... oh, ne pas se retourner ! ») Et Jésus en commit une de 3 jours dès ses douze ans!
- Certains dépassements de ses propres peurs ( expéditions dans les cimetières, autres maisons abandonnées and co )
- Certaines audaces à affronter l'autre verbalement
La fin du film « les 400 coups » (F. Truffaut, 1959) Antoine fugue vers la mer et assume sa solitude.
Exploits physiques plus mineurs ; magnifications de l'incongru (« jackasseries »)
- Esthétiques : Skate urbain hors piste ; parcours urbains à travers tout, par-dessus murs et toits ; catchers ( en roller accrochés à une voiture ... )
Recherches de plaisir
- Sensations intenses de nombre d'activités déjà évoquées.
- Activités sexuelles imprudentes : No K pote ; relations multiples ; drague dans des endroits dangereux ; expériences auto-érotiques à risque ( asphyxie ; électrostimulation ... ) ; prises de risques sexuels médiatés sur Internet (Hayez, 2009)
- Le jeu du foulard et d'autres dits d'évanouissement ( arrêter sa respiration ...)
- ( Partim ) les consommations excessives : tabac, alcool, médicaments, drogues ... surtout s'il y a recherche de défonce ( par exemple, Binge drinking )
- Les excitations multiples des rave parties ;
- Plaisirs régressifs : les jackasseries
Expressions directes de l'agressivité
- Affrontement aux pairs : provocations et bagarres pour un oui, pour un non ; jeu de la cannette (« Petit pont massacreur ») ; happy slapping et humiliations filmées ; vrais combats organisés avec échange de coups, éventuellement avec armes ( armes blanche, bâtons ) souvent destinés à être filmés et diffusés.
- Affrontement aux parents : désobéissances verbales et agies ; Bagarres ... pourvu qu'il y ait des satisfactions de premier de second niveau
- Affrontement à l'autorité sociale : insolence scolaire ; expéditions punitives contre l'école ; incivilités ; vandalisme urbain ; tags ...
- Toutes les activités antisociales qui incluent des satisfactions de premier et de second niveau : Voler une voiture, divaguer avec elle dans les rues et la jeter au canal ..
Divers
- Risques divers pris sur Internet ( par exemple, jeux d'argent : le poker online peut donner lieu à des mises considérables dont l'ado n'a pas le premier centime ... et après ? )
- Risques pris pour être aimé ( plus fréquents chez les filles ) ( propositions imprudentes sur son blog d'un(e) jeune qui se sent délaissé(e) ; annonces sur sites, avec ou sans photos ... ; consentement très rapide à des activités sexuelles ; chantages au suicide ...
- Etalage très démonstratif des richesses que l'on possède ( vêtements, etc. ) dans des environnements peu sûrs ;
- etc.
L'une ou l'autre description plus détaillée
A. Le jeu du foulard : Rechercher les sensations fortes brièvement vécues par l'anoxie cérébrale obtenue par la compression des carotides. Se joue en petit groupe, chacun y passant à tour de rôle, souvent avec l'aide des mains d'un copain. A son réveil, le « héros » raconte ses sensations et visions (« le rêve indien ») Se joue aussi seul, grâce à une ceinture, une écharpe ... c'est beaucoup plus dangereux, car les copains ne sont pas là pour réveiller ( claques, eau froide ... ) ... c'est aussi à l'origine de davantage d'addictions ( comme le fait de consommer du cannabis seul ) Jeu typique des fins d'école primaire et des collèges, avec des petites contagions.
Variante : les copains peuvent aussi pousser sur le thorax, et empêcher la respiration.
Chez les « accros » du jeu du foulard, il existe des symptômes à observer, notamment des ecchymoses
Chez les « accros » du jeu du foulard, il existe des symptômes à observer, notamment des ecchymoses
B. Le jeu de la cannette (« Petit pont massacreur »): Quelques jeunes adolescents se mettent en cercle ( jambes écartées ) et se lancent mutuellement une cannette vide ou un ballon. Celui qui ne la rattrape pas est roué de coups par les autres.
C. Le « Binge drinking »: Recherche d'une « défonce » rapide via une consommation abondante et rapide d'alcool ( selon les Québecois : plus de cinq consommations alcoolisées sur une unité de temps – devient une « conduite » si elle se répète plus de cinq fois par an – Guyon 2002 ) La jeune recherche l'ivresse, ses sensations, mais aussi la déconnection ( s'assommer, se mettre hors-jeu Huerre, 2007 ) S'accompagne hélas d'autres activités à risque sans self-control ( conduites dangereuses de véhicules ; activités sexuelles non protégées ; violence ) et bien sûr de divers accidents. Fréquence croissante jusqu'en fin de secondaire ( 36 % des jeunes québécois en terminale ) Désinvesti chez beaucoup avec l'entrée à l'âge adulte.
Catégories qui n'entrent pas dans l'étude
---- Certains risques, parfois très graves, peuvent être pris pour combattre des lois ou des règles elles-mêmes iniques ( d'Antigone à ceux qui aident les sans-papiers )
Extrait de l'Antigone de Sophocle :
Ainsi Créon s'exclame : « Malheureuse fille d'Oedipe, est-ce bien toi Antigone, est-ce toi qui t'es
rebellée contre les ordres de Créon ? Est-ce vraiment toi qu'on a surprise en pleine crise de folie ? »
Et Antigone de répondre : « Subir la mort, pour moi n'a rien d'intolérable. L'intolérable c'est de laisser pourrir sans tombeau le corps de mon propre frère, oui, c'est cela pour moi, l'intolérable. Mais maintenant ma conscience est en paix. Tu penses que je suis folle, mais le vrai fou, en vérité, c'est celui qui me traite de Folle.
Ces prises éthiques de risque seront hors objet de cette étude, à ceci près que les ados se servent parfois de ce prétexte ( l'injustice d'un prof ) pour légitimdes comportements qu'ils posent bien plus pour les risques qu'ils incluent que par recherche de justice ( par exemple, crever les pneus de sa voiture ; le dénigrer sur un blog )
---- Autre catégorie exclue, ce sont les jeunes preneurs de vrais risques, mais trop légers aux yeux du groupe d'évaluation. Pourtant, de leur point de vue subjectif, en référence à l'organisation du moment de leur personnalité, à leur angoisse et à leur conformisme habituel ou à une mauvaise information qui dramatise les choses, les jeunes ici concernés peuvent se sentir prendre un risque énorme : affronter le mystère de la nuit, chiper quelques bonbons dans la boîte, désobéir, résister à un camarade musclé, oser donner son opinion face à des parents estimés sévères et rigides, etc. Toutes activités pour lesquelles tant d'enfants et d'adolescents qui essaient de grandir ou de vaincre leurs angoisses mériteraient d'être félicités.
---- Echappent enfin évidemment à l'évaluation, les nombreuses activités à risque issues du goût du secret couplé à l'excellence de la dissimulation.
L'ambiance du secret peut souvent faire partie du plaisir du risque. Ah, comme ce peut être excitant de se relever la nuit, seul ou avec l'un ou l'autre bon copain, pour aller explorer un cimetière ou les recoins mystérieux de l'internat ! Ah, si les parents savaient les jeux d'argent et autres connaissances sexuelles super hard que leurs ados si bien élevés développent sur Internet ( Hayez, 2009 ) !
Chapitre IV. Les facteurs d'explication
Ces facteurs sont bio-psycho-sociaux, chaque fois en proportions et en combinaison variable, plus ou moins anarchique ou ordonnée.
-
Les facteurs biologiques et psychophysiologiques
---- Prédisposition génétique à l'audace : le très vieux gène ( ou ensemble génétique ) qui stimulait les chasseurs préhistoriques à sortir de leur caverne pour prendre des risques reste peut-être plus opérant chez certains ( Peretti- Wadel, 2004 ) Quand on écoute témoigner les adeptes des exploits physiques osés, beaucoup disent tout simplement qu'ils ont le goût de l'aventure et de l'inconnu. Il ne faut pas nécessairement aller chercher midi à quatorze heures ... Et peut-être d'autres gènes prédisposent-ils à l'opposition, à la rivalité, à la recherche de sensations fortes.
---- Intensité des sensations éprouvées au moment même de l'expérience. Ces sensations, plaisantes au sens large du terme sont très diversifiées et nous y reviendrons par la suite en parlant de l'investissement du plaisir ! Contentons-nous de signaler pour le moment que, pour la même action posée la quantité et peut-être même la qualité du plaisir ressenti est différente d'une personne à l'autre, en référence au développement organique de ces circuits et zones produisant le plaisir.
Les facteurs intrapsychiques opérant surtout ou exclusivement pour soi
-
---- Facteurs de type cognitif ou cognitivo-affectif
-
- Certains grands enfants ou adolescents ignorent vraiment ou sous-estiment la nature ou la gravité des risques encourus ( l'asphyxie, par exemple ) ; Ils peuvent ignorer aussi la gravité des conséquences de leurs actes, par exemple l'inconfort ou la souffrance qu'ils peuvent infliger à autrui ( jeux d'humiliation ) ; d'autres surestiment leurs compétences ou veulent croire que, comme dans les jeux vidéo, une nouvelle vie apparaîtra si d'aventure « the game is over »
- Nombre d'adolescents ne cherchent pas à réfléchir, à peser le pour et le contre, à planifier. L'immaturité et la superficialité de leur réflexion s'expliquent à la fois par une dimension spontanée, liée et à l'âge, et une autre, volontaire, pouvant aller jusqu'à nier l'évidence parce que ça les arrange bien.
C'est donc souvent utopique d'imaginer que l'ado pèse souvent soigneusement le pour et le contre ( Martha, 2002 ) et ne va de l'avant que si le bénéfice escompté à la prise de risque paraît supérieur au danger (« Pas besoin de capote avec cette jeune fille, tout juste sortie d'une grande école catholique »)
- Régulièrement, l'affectif se mêle aux lacunes ou erreurs cognitives de bonne foi. Par exemple, c'est aussi parce qu'ils le désirent que certains ados ados se surestiment, ou à l'inverse minimisent ou dénient les risques ou se mettent une barrière pour ne pas penser les conséquences.
Milton Erikson disait « L'adolescent aime faire l'expérience de tout ce qui est possible, mais voudrait que cela ne porte jamais à conséquence » ( 43, in Haley, 1986 ) -
Avoir le goût de l'exploration, de l'aventure, de l'inconnu
Parfois de façon enthousiaste et peu réfléchie ; parfois avec davantage d'ambivalence.
Explorer le monde mais aussi expérimenter les potentialités de son propre corps. Tout au long de son existence, l'être humain vit deux désirs fondamentaux et contradictoires : vouloir la sécurité, et vouloir explorer et conquérir ( Michel, 2002 ) Vers deux ans, les tout-petits trottent déjà à l'aventure, puis reviennent chercher un peu de chaleur et de réassurance dans les jupes de leur mère, avant de repartir.
Aimer l'action
Amour très typique des ados, la majorité du temps où ils ne sont pas vautrés passivement sur leur lit ...
L'adolescence se caractérise entre autres par une augmentation des pulsions, des hormones, de neurotransmetteurs diencéphaliques excitants, par une augmentation de la force physique ... . Et donc, les agirs « puissants », peu préparés, peu ordonnés se multiplient. Ils sont souvent forts, rudes, chargés d'énergie ; ils peuvent être spectaculaires, destinés à se démontrer l'audace et la puissance que l'on ressent, et destinés aussi au regard de l'autre : activités de défoulement, d'essai ; activtés qui secouent les habitudes bien installées de l'enfance ( Hayez, 2009 bis )
---- Se sentir vivre, grandir, posséder de la puissance
Objectif global qui se décompose en bien des nuances:
- Connaître des sensations très agréables ( le « sentiment » de puissance ) ;
- Sortir du rien, de l'ombre, se sentir exister ; se dépouiller d'un sentiment d'insignifiance ( Le Breton, 2004 : « Passer par un détour symbolique pour tester la légitimité d'être soi » )
- Restaurer ou conforter l'estime de soi ;
- Se faire estimer et respecter par les autres ; mettre à distance l'emprise des parents ;
- Vivre « la maîtrise sur l'objet » ( en décidant, en imposant (largement) sa configuration à une expérience, au demeurant non-obligatoire ), au-delà d'objets concrets, c'est bien de l'objet libidinal qu'il s'agit : vivre sa liberté face à ceux qu'on aime, et, pour commencer, face au parent oedipien !
N.B.Gradations dans la recherche de puissance :
a) « Simplement » ressentir et manifester force, audace, virtuosité, ressources originales dans des situations difficiles.
- Ivresse pré asphyxique et sensations étranges pré hallucinatoires du jeu du foulard (« Quand je jouais, j'étais tellement bien, je planais, c'était le bonheur » ( adolescente de 14 ans ) ( Le Heuzey, 2003 ) ;
- D'autres sensations fortes chevauchent le biologique et l'intra psychique. Par exemple :
- Vivre une fusion avec l'environnement naturel, en s'abandonnant à une sorte d'inconscience ( Martha, 2002, citant un escaladeur à grand risque « Il n'y a plus que toi, le rocher et tes mouvements, tu as l'impression que rien ne peut t'arriver » )
b) L'ivresse de se sentir invulnérable, immortel, tout puissant, maître de la matière urbaine.
- L'abandon de soi au hasard, avec désinvolture en pensant, détaché, « Ca passe ou ça casse » ;
- L'impression de s'envoler de son corps, de faire éclater l'enchaînement de sa finitude incarnée ( sports de l'extrême ) ;
- Plus banalement peut-être, l'émotion de vivre quelque chose de très fort à plusieurs ( sport extrême, skate urbain ... ) ; la joie de réussir ...
- Une mention particulière pour le goût des plaisirs régressifs qui fleurissent dans les « jackasseries » Plaisirs « anaux » diraient les psychanalystes, avec leurs fonctions bien connues : donner une sensation de maîtrise ; éviter la confrontation à la construction de sa propre identité ; éloigner temporairement du lien intime sentimental et sexuel avec l'autre ( Ladame, 2003 ; Le Breton, 2004 bis )
Tous ces plaisirs puissamment vécus expliquent que les activités à risques évoluent régulièrement en conduites, jusqu'à devenir de fortes addictions. On emploie parfois l'expression : « Toxicomanie de l'extrême » ( Pedinielli, 2005 ) Jusqu'à avoir besoin alors d'aller de plus en plus loin, ou de les répéter à haute fréquence, sans être jamais vraiment satisfait ( accoutumance ) : trois composantes bien connues de la dépendance !
ILL. Thierry ( dix-sept ans ) me consulte sur l'insistance de sa famille parce que certains de ses actes, qui ont l'air d'être des défis, le mettent dans des mauvais pas sociaux. Il ne consultera que quelques fois, le temps de chercher à m'épater et à bien me montrer qui il est, puis il disparaîtra sans au revoir. Sans doute n'ai-je pas réussi à interpeller et à intéresser son être profond, en-deça de son être-spectacle.
Ce qui motive ses prises de risque, me dit-il quasi-mot pour mot, ce sont les décharges d'adrénaline qui explosent dans son corps quand il se livre à des prouesses qu'il est seul à oser faire. Il ne cherche pas à frimer, me jure-t-il, car bien souvent il les fait seul et personne ne le sait ; ce n'est pas non plus essentiellement transgresser l'interdit, c'est se sentir éprouver ce que son corps ressent.
Quand il plonge tout habillé d'un pont en hauteur, dans le fleuve dont l'eau est à douze degrés, et qu'il regagne la rive à la nage, des témoins ont déjà appelé les pompiers ! Il me prétend qu'il était persuadé d'être seul et qu'il n'avait nulle envie de mourir.
Parfois, sa recherche de sensations fortes le pousse à commettre des vols compliqués, à la Arsène Lupin, générateurs de frissons eux aussi, et c'est pour cela qu'il vient me consulter, car il n'aime pas cette partie de lui et se punit après coup par des scarifications sans ménagement.
Tout petit déjà, il aimait grimper bien haut dans les arbres et sauter de branche en branche. « Mais ce que j'aimais surtout, c'est quand, parfois, une branche cassait et que je ne savais pas tout de suite ce qui allait m'arriver ... ces trois secondes-là, c'était vraiment super fort. »
Thierry ajoute que, dans ces moments-là, les autres n'existent pas. Ce n'est pas qu'il veuille les détruire, mais l'anticipation – puis la réalité – de la montée d'adrénaline les effacent de sa mémoire vivante et de son champ de perception : belle définition de l'auto-érotisme qu'il me donne, à sa manière, non ? D'ailleurs ajoute-t-il encore : « Je n'ai aucun respect pour moi non plus » Du moins quand son besoin d'action extrême l'envahit.
Tout, y compris le type de lien qu'il noue avec sur moi, veut mettre en avant un personnage invulnérable, pas bien méchant, qui adore tous les risques de la vie.
Quand je lui propose de me raconter l'une ou l'autre image des albums de photos de son enfance, il me parle avec enthousiasme de sa chute, à l'âge de quatre ans, les bras en avant, dans un feu de bois et des soins qu'il a subi stoïquement et puis de l'extase de ses treize ans, quand il a découvert et écouté sans fin le CD du premier festival de Woodstock.
Mais voilà, quand Thierry me parle de son père, il le fait amicalement, mais en le présentant comme le perpétuel malade imaginaire, l'hypocondriaque qui dramatise le moindre bobo, qui a peur tout le temps de tous les petits risques de la vie. Par contre, aux réunions de famille, ce même père est très fier de raconter les exploits de Thierry, « Vous ne savez pas ce que mon fils a encore fait ! » Thierry voit spontanément dans ce « mon fils » comme une preuve que c'est à la fois de l'adolescent et de lui-même, par procuration, que parle le père. « A ce moment-là, on est deux en un (6) » Thierry n'a-t-il fait qu'obéir à ces injonctions semi-inconscientes ? Ne peut-on pas penser non plus qu'il a voulu se construire, dans le domaine de l'audace, comme le contre-pied de ce que son père lui donnait à voir ? Quand je lui évoquerai l'image du positif et du négatif de la même photo, il me dira encore que, son père et lui, c'est comme les deux parties du miroir : les mêmes et leur contraire. Quant à sa mère, elle semble avoir davantage les pieds sur terre, et court néanmoins sans se plaindre de l'un à l'autre de ses deux hommes : pour panser les plaies et les bosses réelles du plus jeune, et les imaginaires du plus vieux.
Dans cette histoire difficile de démêler ce qu'il en est des apports de la génétique et de ce qui s'est imprégné, comme composante du Soi et du Soi Idéal, au fil des aléas d'une histoire de vie dont le souvenir le plus fort est une chute dans un feu à l'âge de quatre ans ... Un dépendant d'un type original, en fait, Thierry. Reste à espérer que l'arrivée de l'âge adulte socialisera quelque peu ses décharges anarchiques – simple jeu du vieillissement et parfois de l'amour pour une femme – et qu'on le retrouvera « seulement » cascadeur, couvreur de toits de cathédrales, ou monteur d'échafaudages acrobatiques.
Lutter contre le vide, la monotonie de la vie, l'ennui
S'éclater pour ne pas périr de passivité ; échapper au « métro, boulot, dodo » ( Michel, 2002 )
Ce pourrait être particulièrement précoce et intense chez certains enfants surdoués, qui s'ennuient à l'école, et sont à la recherche de dérivatifs plaisants pour leur créativité et leur curiosité.
Anesthésier des souffrances morales, retourner des sensations et vécus pénibles en leur contraire.
Parfois, ce n'est plus à une « remise de sens » ni à des réparations socio-familiales que l'on demande de soulager la souffrance, mais plutôt à un afflux de sensations. Le Réel corporel remplace ici le symbolique. Encore plus que les filles, les garçons dénient la souffrance psychique, proclament qu'ils sont en superforme. Et pour s'aider à ne pas se sentir mal et pour se montrer « heureux dans l'excitation », ils recourent à des actions fortes ou/et malmènent leur corps.
Le Breton (2003) fait remarquer que les garçons projettent durement leur corps dans le monde, en forçant un chemin, en l'affrontant à la matière jusqu'à flirter avec la mort. Les filles, elles se retournent davantage vers leur corps propre pour l'auto-mutiler. Huerre (2007) note la fonction d'assommoir, de mise K.O. rapide de soi présente dans les comportements de défonce rapide. Auto-exclusion pour échapper à la pesanteur de vivre, à l'échec.
--- Faire, sans s'en rendre compte, un passage à l'acte au sens psychanalytique du terme.
Commencer à s'autodétruire, parfois jusqu'à un point bien avancé , sans s'avouer tout à fait que l'on cherche confusément, partiellement ou totalement, à se punir, voire à se suicider.
Ici aussi, l'on s'en remet au hasard, qui décidera jusqu'à quel point on est encore digne de vie ou l'on doit être puni. « Ca passe ou ça casse ... je n'en ai rien à foutre » ( Martha, 2002 ) Et si la mort survient, ça a des chances de passer pour un accident, et ça laissera pour les autres des doutes parfois rongeants !
Facteurs intrapsychiques opérants surtout en référence à l'autre
A. L'autre constitue un modèle identificatoire
- On boit comme un oncle, un grand-père ... on se sent alors un homme, ça donne une assise ( Huerre, 2003 ) On fait comme Michaël Youn, quand il provoquait son public « Jusqu'où repousser les limites de la connerie ? » Le modèle n'est donc pas toujours des plus exaltants, mais il y a aussi des références plus « nobles » : les auteurs de vrais actes héroïques, les aînés en skate-board, les sportifs de l'extrême, etc.
L'inoubliable professeur Keating, dans « Le cercle des poètes disparus » (P.Weir, 1984) Il donne une leçon d'affirmation de soi que le timide Todd Anderson n'oubliera pas, le moment venu !
B. Les autres entraînent
On déconne ensemble « Mon pote le fait aussi, donc j'y vais », et on se succède rapidement, étourdiment sur la même scène. Les autres proches ont un effet euphorisant : on est dopé par ce qu'ils font à côté, dans la même unité de temps.
On se lance des défis, en rivalité les uns avec les autres. Se lancer des défis, c'est une forme de socialité typiquement adolescente. Les autres ont un effet de provocation, de surenchérissement dans un imaginaire où chacun veut se montrer le plus fort ( Le Breton : les garçons veulent se montrer les meilleurs, là où les filles veulent être « uniques » )
On partage les même frissons, les mêmes émotions, les mêmes transgressions. Dans les jackasseries, on rit très fort ensemble, rire de conformité et de dénégation : il y a un personnage plié en deux de douleur, et ses amis pris d'un rire inextinguible.
Enfin, les autres sont également vécus comme une source de sécurité ( en cas de vrai pépin, ils apporteront du secours )
C. « Qui pisse ou crache le plus loin ? Qui pète le plus fort ? »
Le désir de rivaliser avec les pairs peut être très fort, je viens de l'évoquer, tout comme le désir de se faire respecter par eux, d'impressionner, de passer pour dominant. Cela se traduit dans des relations où l'on se jauge d'emblée, s'emporte facilement, se défie du regard et où les coups partent vite ( Jeffrey et coll., 2005 )
Le vécu de honte s'est déplacé : l'ado est moins dépendant du lien et du regard social général, puisqu'il se pose comme l'artisan de sa propre existence. Pour le démontrer, il aime même choquer les adultes.
Par contre, perdre l'estime des pairs, parce que l'on se serait dégonflé ou que l'on aurait été contre-performant est une des pires épreuves que peut vivre un ado ( Le Breton, 2003 )
Celui-ci reste donc bien dépendant du regard des pairs : ce sont eux qui peuvent « donner la honte » si l'ado se conduit comme un « bouffon », entendez par là un minable, timoré, conformiste, désuet ... et non pas quelqu'un qui s'affirmerait comme clown !
Dit de façon positive, le comportement à risque peut constituer une recherche d'estime, voire une recherche d'amour, parfois confiante et sûre de soi, parfois plus ou moins désespérée.
D. Nombre d'ados aiment aussi rivaliser avec ceux de la génération du-dessus
, et s'emparer petit à petit de leur territoire, pendant que les premiers avancent lentement vers leur mort. Peut-être en veulent-ils aux adultes de « montrer » de plus en plus, dans leur apparence et leur style de vie, la finitude de la vie, là où eux conservent l'illusion de l'immortalité.
Ils protestent et défient donc simplement, en exhibant leur force, leur beauté, leurs compétences, de façon discrètement insolente, en ayant l'air d'ignorer les vieux.
superbe symbolisme du rapport de rivalité et de défi entre générations
Ils le font aussi en se confrontant à l'Interdit, donc en défiant l'ordre adulte, secrètement ou ostensiblement, en bousculant, voire en faisant mal. Pour s'extirper de la position de passivité conformiste de l'enfance, il leur faut parfois crier, dire Non, se faire remarquer négativement, tant en famille que dans l'espace public ( Michel, 2002 ) Sardou chante la fugue à quinze ans ..., sans se retourner, surtout sans se retourner. Le jeune affirma même qu'alors il vole et tant pis si ça fait pleurer sa mère.
Dans le film « Le roi lion », la première chose que fait Simba, sans les adultes avec la complicité joyeuse de sa copine Nalla, c'est aller explorer la zone noire que Mufassa lui avait interdite. Après que son Sur-Moi Zazou a été enfoncé sous le gros derrière d'un rhinocéros.
E. Se confronter à l'interdit revêt néanmoins une signification complexe
Il s'agit parfois tout simplement de s'y opposer et de le vaincre, mais parfois aussi de le rencontrer, de comprendre son sens à travers l'expérimentation, d'en apprécier la consistance et finalement de l'accepter. Souvent, c'est plus ambivalent : par une dimension de lui, l'adolescent veut toujours être libre, affirmer sa force et par une autre dimension, il accepte de se socialiser si pas de se soumettre. C'est en tous cas un explorateur des limites et, s'il n'en rencontre pas, un « appel-au-Père » inconscient peut conduire à des provocations de plus en plus dangereuses ( Debrot, 2004 )
F. Se donner en spectacle
Porté par son narcissisme, plus souvent présent que son inverse, même s'il y a des fluctuations, l'ado désire se donner en spectacle.
Ouvertement ou en secret, en live ou au moins autant par l'image, épater, être admiré ... Les performances, oui, mais de façon plus générale, forcer le trait est une bonne manière d'attirer l'attention. L'ado multiplie les provocations qui vont lui donner la vedette, chez ses pairs, troubler le regard de l'autre génération, la choquer ( en espérant qu'elle sera quand même un peu « sciée », et lui donnera une approbation silencieuse, à l'instar des pairs de son âge )
F.S'exhiber parce que l'on doute
Plus subtilement : certains ados doutent parfois de leur valeur, entre autres de leur valeur corporelle ... ils se sentent maladroits, ridicules, laids, bouffons ... alors, ils peuvent faire une sorte de surenchère, où le ridicule est à la fois accentué – magnifié – et exorcisé comme c'est le cas dans la jackasserie ...
C'est une sorte de déni de maladresse ... ces ados revendiquent leur « déconne » comme une forme d'excellence. Ils cherchent alors des spectateurs, dont ils espèrent qu'au moins ils riront « comme des baleines », ou que leur regard apparemment choqué sera secrètement admiratif ( Le Breton, 2004 bis )
G. Enfin, l'autre peut constituer une source de menaces et donc de peur :
il peut obliger un plus faible à prendre des risques qu'il ne veut pas ; il peut faire pression pour que certains secrets soient bien gardés ( par exemple, jeu du foulard ; conduites sexuelles aventureuses ) Inversement, l'ado auteur peut chercher, lui aussi, à se faire respecter si pas craindre via les actes impressionnants qu'il pose.
Facteurs sociaux et socio-matériels
---- Existence abondante d'objets ( au sens de C. Olivenstein ) c'est à dire de moyens techniques puissants, attractifs et sécurisés de façon variable mis à la disposition des jeunes dans l'ambiance consumériste contemporaine.
---- Facteurs macro sociaux
- La non-place « donnée » par nos sociétés à un certain nombre de jeunes ;
- L'affaiblissement des normes et des limites, de la fonction paternelle, des cadres contenants externes et donc de l'intériorisation des limites et de valeurs comme la retenue, la discrétion, la modération ( Le Breton, 2004 bis « Ce n'est plus l'interdit qui structure les relations sociales mais le possible » ) ( Barus, 2008 « Ce sont les déficiences symboliques des sociétés qui engendrent les maladies du manque ( addiction-perversion ) »)
Exemples : Dépassement perpétuel des limites par les adultes, dans une escalade qui a l'air sans fin : (être mère à septante ans ; choisir le sexe de l'enfant ; se déclarer transgenre ; vivre ouvertement sexuellement en trio !) ; Non retenue des programmes TV ( Vente de sa mort en reality show par une starlette anglaise atteinte d'un cancer terminal ; montrer un adolescent suspendant son corps à des crochets qui transpercent sa peau, etc.)
- Promotion de l'individualisme.
On ne vise que la légitimation et la promotion d'être soi, avec ses goûts, ses aspirations individuelles « Nous vivons de moins en moins ensemble, mais de plus en plus côte à côte, avec une susceptibilité grandissante pour les libertés prises par les autres, dans l'intolérance de toute limitation posée à nos propres comportements » ( Le Breton, 2004 bis )
- Valorisation du résultat, de la performance, du paraître plus que de la qualité d'être et a fortiori, plus que de la capacité de deuil de renoncement, juste bonne pour les loosers. L'attente des parents, bien narcissique elle aussi, reste très importante et porte sur le rendement-spectacle visible ;
- Valorisation connexe de l'image, sensationnelle, spectaculaire plutôt qu'intimiste et poétique, choquante plutôt que positive « La consommation de l'image ajoute à celle des drogues les fantasmes dispensés dans les images surmultipliées des écrans ( Barus, 2008 ) »
- Pour certains, effet pervers de la sur-information, voire des campagnes de prévention : banalisation du phénomène décrit, provocation ( Martha, 2002 ) ; l'ado suspecte des buts non-avoués ( par exemple, empêcher son accès au plaisir ) ; il se dit que c'est du pipeau ...
- Pour certains, effet provoquant des idées et pratiques sécuritaires. Dans une société crispée sur la sécurité, la prise de risques constitue un désaveu ( intergénérationnel ) valorisé ( le Breton, 1999 )
- Pour certains, effet provoquant de la répression, celle qui s'exerce à propos de risques les plus antisociaux, mais aussi celle qui s'exerce pour maintenir le pouvoir économique des puissants ( cfr la loi française 2009 contre le téléchargement illicite sur Internet ; des dizaines de logiciels de piratage ont tout de suite fait leur apparition )
Chapitre IV Prise de risques et structures de personnalité
Il n'existe pas d'organisation intra-psychique, ni relationnelle qui corresponde de façon significative et suffisamment stable aux conduites à risque des adolescents. A fortiori, pas non plus à une activité à risque isolée.
Simplement peut-on dégager quelques tendances et qui apparaissent Aux yeux du Tiers social qui observe et évalue ,
I. Nombre d'adolescents concernés jouissent d'une santé mentale globale « suffisamment bonne »
Nobservée sur un laps de temps suffisant. Ils évoluent dans la norme statistique des adolescents d'aujourd'hui, en nous souvenant que les modèles et Idéaux contemporains ne sont plus ceux d'hier. Et donc, au fond, ces adolescents sont davantage néo-conformistes qu'ils n'aiment l'admettre : Cela correspond bien aux nouvelles normes, le goût pour la libre affirmation de soi, la réalisation des désirs personnels, sans beaucoup de retenue ni de honte face à la génération du dessus : le goût pour la performance, les sensations, le spectacle immédiat et transmis par les images, l'hédonisme et le narcissisme ( Lazartigues, 2004 : « la nouvelle personnalité de base est hédoniste-narcissique » ), etc.
II. D'autres ados preneurs de risques semblent cependant plus préoccupants :
I. Certains se caractérisent par une mauvaise image de soi majoritaire et tenace
Des idées dépressives, l'accumulation d'échecs ou de frustrations, dont la trace est partiellement intériorisée, sans capacité de réaction vraiment libératrice. Des tentatives de déni plus ou moins réussies s'efforcent de refouler ces nuages amers et noirs. La souffrance morale persistante les conduit néanmoins au doute, aux idées auto-punitives, au flirt avec la mort, au besoin négativiste de se venger sur soi ou sur d'autres.
Quand c'est un peu moins grave, ils cherchent encore reconnaissance et amour via des actes qui interpellent et sans se permettre de le vivre ni de le déclarer ouvertement.
Côté activités ou conduites à risque, c'est eux que l'on verra le plus clairement flirter avec le danger physique grave ou avec la mort, ( la roulette russe, un bon paradigme ; certaines défonces ; des agressions du corps propre ; des exploits très imprudents ; des conduites sexuelles chargées de négativisme ; des tentatives de suicide qui sont aussi des appels à l'aide ; certains types d'anorexies ... ) Ils cherchent aussi à s'anesthésier via des sensations intenses et sauvages. Quand c'est moins grave, peut-être les retrouve-t-on dans les jackasseries, où ils tournent en burlesque, la mauvaise image qu'ils ont d'eux.
III. Certains ne sont pas loin de cultiver la toute-puissance des vrais psychopathes
Quand ce n'est pas encore trop grave, ils « interrogent les limites », ils les explorent sans bien savoir s'ils vont sauter par-dessus ou s'ils en appellent – au Père. Quand c'est plus grave, ils veulent être tout-puissants. Côté conduites à risque, on ve
rra plutôt ici celles qui affrontent centralement l'autorité, celles qui demandent du corps un dépassement incroyable, celles qui nient les limites de la nature ; certains flirts ordaliques avec la mort aussi, par exemple, dans la conduite d'engins motorisés.
IV.Pour d'autres, une dimension addictive plus ou moins tenace peut s'ajouter aux trois organisations esquissées jusqu'à présent, et à bien d'autres encore.
Il ne s'agit pas d'une structure en soi, mais d'un complément, d'une complication du fonctionnement, qui rend contraignant de reproduire certains patterns comportementaux pour le plaisir qu'ils apportent.
Ce plaisir intense peut être déclaré comme tel ou dissimulé, de même que l'ado admet ou non le sentiment de contrainte qu'il éprouve. Donc, l'addiction peut se cacher un peu partout. De plus, pour ce qui nous occupe dans ce texte, il n'est pas toujours facile de distinguer l'addiction au risque de celle au résultat ( par exemple, dans la prise de drogues ou d'alcool avec recherche de défonce, à quoi le jeune est-il vraiment « addict » : au frisson du risque ( défier l'autorité ; s'approcher de la mort ) ou aux réactions procurées par le produit ? Idem à propos des sports de l'extrême.
Le binge drinking, ou défonce à l'alcool la plus intense et la plus rapide possible. Typique des grands ados et jeunes adultes
IV. Enfin, de temps en temps, un acte à risques constitue un passage à l'acte au sens psychanalytique du terme.
Alors, l'adolescent est souvent seul pour le commettre. L'acte est soudain, quasi non-préparé, de brève durée, souvent à première vue incongru, non cohérent avec la réalité quotidienne de la personne qui le pose, énigme pourtant chargée de symbolisme pour qui cherche à comprendre : par exemple, un vandalisme bien ciblé dans une école.
L'adolescent a déchargé alors, comme il pouvait les tensions d'un conflit névrotique ou celles liées à des images traumatiques accumulées en lui. Ces sources lui demeurent inconscientes et inaccessibles.
Notes
- Cette démarche n'est pas spécifique à ce texte. Elle constitue « ma manière de m'en sortir » face au débat stérile entre objectif et subjectif. En sciences humaines appliquées, je ne pense pas que quiconque puisse se targuer de posséder des certitudes objectives, qui rendent compte à coup sûr de ce qu'est la réalité ... Par ailleurs, il est utile de prendre distance par rapport aux pures convictions subjectives individuelles.
4. Je ne parle donc pas explicitement des jeunes adultes qui se situent dans la prolongation des grands adolescents ; encore plus que ceux-ci, ils constituent des candidats intrépides ou décéder l'activité à risque et celle-ci, être posée comme un pari auto-punitif « je paie pour mes fautes ou j'y échappe » Mais la culpabilité peut être liée à la prise du risque lui-même, lorsqu'il transgresse un Interdit intériorisé « Mes parents ne veulent pas que je dévale cette pente sans la moindre précaution »
6. Belle verbalisation, n'est-ce pas, en langage ado, de ce moment d'identification projective réalisée par le père en direction de son fils. Thierry doit lui apparaître bien souvent comme le « Soi déchaîné », qui sommeille au fond de son personnage timoré.