Paru dans l' Encyclopédie Médico-chirurgicale. Psychiatrie, 37-204-H-10, 1999, Paris, Elsevier.c la collaboration juridique de D. Vrignaud

Sur le terrain, l'abus sexuel revêt de nombreuses formes cliniques, répond à des motivations très variées, et est susceptible de traitement diversifiés, adaptés à chaque situation. Nous devrons donc nous limiter à décrire quelques modalités principales, en faisant appel à la créativité du lecteur pour comprendre et prendre en charge ce qui s'en écarte.



1. Définition et limites du champ étudié. 



Nous référant à Kempe [7] , par « abus sexuels sur mineurs d'âge » nous entendons l'implication dans des activités sexuelles, surtout par des adultes qui y recherchent principalement leur plaisir personnel, de mineurs d'âge encore immatures et dépendants, c'est-à-dire incapables de comprendre suffisamment le sens de ce qui leur est proposé et donc d'y donner un consentement éclairé. Celui-ci est souvent altéré par les limitations cognitives du mineur, qui répond à la sollicitation à partir de ses propres besoins et de ses références vécues. Il l'est aussi par la contrainte que fait peser l'adulte dont le mineur dépend ou se sent dépendant : celle-ci brouille sa lucidité et réduit l'autonomie de ses réponses.

 



On peut catégoriser les abus sexuels selon de nombreux critères. Il est classique de distinguer l'inceste abusif et l'abus sexuel externe (acte de pédophilie) selon que l'auteur de l'abus est un parent du mineur ou un étranger à sa famille; toutefois ce dernier est souvent un familier du mineur.

En plus des adultes, des adolescents, voire des enfants, peuvent, eux aussi, exercer des violences sexuelles sur des personnes de tous âges et notamment sur des plus jeunes qu'eux (1). Pour la majorité d'entre eux cependant, ce moment de violence s'inscrit dans le contexte d'un développement psychologique tumultueux ou de conflits affectifs en quête d'exutoire. Et la réaction de l'entourage oriente grandement leur évolution.

Quant à la description des activités engagées, on peut se référer aux spécifications du droit pénal; on doit cependant se garder d'attribuer automatiquement à une progression des délits en gravité pénale une même valeur en « gravité vécue »



2. Le fonctionnement psychologique des protagonistes de l'abus

 

2.1. Les agents directs de l'abus : 



Le plus fréquent de tous, c'est le parent (2) incestueux insatisfait de soi, habité par des sentiments d'infériorité et d'échec, notamment en matière sexuelle, et qui cherche en l'enfant une compensation, une illusion de réussite. L'ensemble de sa famille est souvent comme lui, triste et dépressif, replié sur soi. Après, on trouve le parent incestueux « fusionnel », qui veut prolonger indéfiniment son vécu œdipien trouble d'enfant où il a lui-même baigné au moins dans une ambiance incestueuse. Puis, il y a les besoins impérieux de plaisir ou/et de pouvoir qui jaillissent de familles chaotiques, où les pulsions de chacun n'ont jamais été vraiment socialisées. Enfin, il y a les parents abuseurs tout-puissants, tyrans domestiques pour qui l'enfant est une chose taillable et corvéable à merci.

Les pédophiles peuvent être porteurs des mêmes caractéristiques psychologiques : insatisfaction de soi qui va jusqu'à la carence affective ... toute-puissance qui peut aller jusqu'à la prédation et à la destruction meurtrière. Plus souvent que chez les parents incestueux, on trouve chez eux des structures perverses.

Tant les agents de l'inceste que les pédophiles apprennent à reproduire les premiers plaisirs expérimentés et deviennent dépendants de leur objet, à l'instar des alcooliques (dynamique d’assuétude)



2.2. L'enfant entraîné dans l'abus.

 

Dans la majorité des cas, c'est « n'importe qui » quant à sa structure psychologique, et il est légitime de lui reconnaître le statut de « victime », car il n'a été ni provocateur, ni fondamentalement coparticipant aux plaisirs que connaît l'abuseur. Dans une minorité de cas, il existe cependant des enfants carencés affectifs, avides de transgressions, ou/et pervers ou déjà pervertis, qui consentent à ce qui leur arrive, y trouvent du plaisir, voire provoquent l'adulte : à remarquer néanmoins que, pour exister, cette catégorie d'enfants a droit à l'éducation et ne peut en aucun cas être déclarée principale responsable de l'abus!



2.3. Les témoins silencieux. 



Il est assez rare que l'abus ne soit strictement connu que de l'agent direct et de l'enfant : lors d'inceste, la mère - ou d'autres familiers - savent partiellement, et adoptent une position de déni, par crainte ou/et par dépression. Quant au pédophile, il n'est pas rare que son entourage soit intrigué par son attraction pour les enfants, mais ne cherche pas à en savoir plus, voire le couvre par la suite.



3. Les signes qui évoquent et/ou révèlent l'abus

  

Dans la plupart des situations, c'est un faisceau d'indicateurs qui, par leur convergence, finissent par induire chez les intervenants une « intime conviction » qu'un abus a eu lieu. Celle-ci n'est que rarement de l'ordre de la certitude absolue et objective, à partir du traumatisme physique constaté et investigué.

Nous ne décrirons que ceux des indicateurs qui émanent directement de l'enfant, étant bien entendu que tant les autorités judiciaires que les équipes psycho-sociales ont à investiguer d'autres témoignages dans l'entourage de l'enfant.

- Un premier groupe évocateur, ce sont des signes comportementaux, malheureusement peu spécifiques et à interpréter en référence à la culture de la famille de l'enfant et de sa société. Au début, on peut retrouver les manifestations d'un syndrome de stress post-traumatique (3) (surgescences d'angoisses, troubles du sommeil, ...) [5]. Il existe souvent aussi des signes de dysrégulation sexuelle marquée soit par une inhibition excessive (peu fréquent), soit, souvent, par une érotisation des attitudes et des conversations ainsi que par l'étalage de connaissances sexuelles inappropriées pour l'âge. Au fil du temps, il est fréquent que s'installe un « syndrome d'accommodation » : l'enfant se robotise, clive sa souffrance et s'en détache à l'avant-plan, mais sa joie de vivre est altérée.

 

Plus de deux ans après la cessation d‘un abus par son père, Cindy ne peut toujours pas représenter le corps d‘une fillette en entier ; elle limite à la tête, marquée par des taches chaque fois que « la petite fille fait quelque chose de mal »

- Le discours du mineur sur l'abus constitue l'indicateur-clé si l'entretien avec lui est réalisé dans des conditions de grande rigueur. Dans la majorité des cas, les révélations sont tardives. Chez les enfants en âge préscolaire, elles se réalisent de façon accidentelle, innocente ou encore sous l'effet d'un stimulus évocateur (par exemple, l'enfant mimant une scène sexuelle avec une poupée ou invitant un familier à reproduire certains gestes, dans des circonstances analogues à celles de l’abus).

Les enfants plus âgés et les adolescents sont plus secrets, plus prudents, voire ambivalents; leurs révélations sont intentionnelles et destinées à un confident estimé digne de confiance.

Pour beaucoup de mineurs, l'évocation verbale de l'abus ne se fait pas sans affects (principalement autour de la honte d'être découvert et de l'angoisse d'être sanctionné ou de trahir un secret). Cet embarras est souvent visible et modifie la dynamique et le contenu du discours.

L'examen physique devrait être systématique et rapidement effectué s'il y a eu relation sexuelle récente, pour sa part contributive au diagnostic. Il devrait être mené de manière telle qu'il participe au processus de ré humanisation du corps non respecté et/ou blessé de l'enfant.



3.2. Les diagnostics différentiels. 



- Si l'on se réfère au comportement de l'enfant, beaucoup de ceux qui présentent les signes d'un stress chronique post-traumatique sont agressés répétitivement par d'autres sources traumatiques qu'un abus sexuel : tous méritent néanmoins la sollicitude de l'adulte témoin de leur souffrance.

Une sexualité compulsive, grinçante, trop ostensible, peut-être le fait de certains enfants névrosés, tout comme son inverse : pudeur et inhibitions anormales. Certains enfants hypersexualisés - très hédonistes - le sont parce qu'ils sont élevés dans une ambiance très laxiste, sans plus. Certains enfants d'âge préscolaire sont très « pulsionnels » et peuvent faire des offres sexuelles à l'adulte sans autre raison que leur organisation développementale du moment.

- Si l'enfant a spontanément révélé les faits, et que l'on se pose la question de la crédibilité de ses dires, on doit se souvenir que, dans la population générale, il n'y a que 3 à 8% de fabulations et mensonges, qui sont surtout le fait de certaines catégories, le plus souvent repérables par les interviewers spécialisés : enfants très jeunes, psychopathes, jeunes adolescents quelque peu carencés affectivement ... Le pourcentage de non-crédibilité atteint facilement 50% lorsque c'est un parent qui amène l'enfant, surtout un très jeune, dans le cadre d'un litige conjugal.



4. Les conséquences de l'abus

 

Toute maltraitance sexuelle laisse une trace dans l'histoire du sujet, mais comme chaque évolution est unique et sous la dépendance de multiples paramètres, il s'avère bien délicat d'en définir le destin à long terme, depuis la destruction persistante et diffuse de l'être jusqu'à la cicatrisation. Certes, médecins et psychothérapeutes rencontrent des troubles structuraux et leurs manifestations comportementales les plus variées (angoisses diffuses, dépression, troubles des conduites, tentatives de suicide, ...), qu'ils peuvent attribuer pour une part au moins à l'abus. Mais la majorité des anciennes victimes ne consulte pas et c'est probablement parmi celles-ci qu'existe le plus de résilience. Beaucoup d'auteurs estiment que la destructivité de l'abus est d'autant plus grande et persistante que l'organisation préalable de la personnalité du mineur est déjà problématique ; il existe une grande différence d'âge avec l'abuseur et/ou un lien de parenté avec celui-ci ; il en va de même si, depuis toujours, l'abuseur a avec l'enfant une relation de domination tyrannique; la contrainte a été forte; l'abus a duré longtemps ou/et a été fréquent ; les effractions corporelles y ont été nombreuses; l'abus a eu lieu au domicile de l'enfant ; l'enfant a rencontré silence, indifférence ou incrédulité quand il a appelé à l'aide; la soi-disant prise en charge ultérieure n'a été qu'un leurre : reproches et/ou absence de protection de la part de la famille ou manque d'engagement de celle-ci dans le processus thérapeutique, « seconde victimisation » du fait des institutions.



5. Les interventions de remédiation. 

 

Selon les pays, elles sont essentiellement ou principalement soit judiciaires, soit socio thérapeutiques, le judiciaire n'intervenant par la suite que si nécessaire ; il s'en suit une coexistence clivée ou une coopération de ces deux Instances.

Pour la commodité de l'exposé, nous décrirons séparément ce qu'il en est des objectifs et du travail de chacune d'elles.



5.1. L'intervention judiciaire. 



5.1.1. Principes du Droit français en la matière : ses interactions avec la société (D.Vrignaud) (4).

 

En matière de sexualité, le nouveau Code Pénal reprenant les différentes évolutions depuis le Code Napoléon, s'écarte résolument de toutes notions morales ou religieuses quant à la définition des infractions à caractère sexuel. De fait, seule une sexualité s'exerçant sur autrui en l'absence de consentement réel ou éclairé (atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans) ou contre le consentement d'autrui (agressions sexuelles) est susceptible de trouver une qualification pénale et une sanction publique.

Cette approche du comportement criminel constitutif d'un trouble à l'ordre social constitue l'unité profonde du droit de sanctionner et le seul critère du droit pénal.

Depuis une quinzaine d'années, la Justice Pénale est, en France, fortement interpellée pour sanctionner l'auteur et, peut-être, réparer la victime d'abus sexuels et notamment d'abus sexuels commis sur des mineurs dans leur milieu de vie naturel. C'est dans ce contexte de pénalisation que le signalement et la judiciarisation, obligation à laquelle ne sont pas tenus les professionnels soumis au secret professionnel, obère l'obligation générale d'aide, assistance et protection à toute personne en danger.

Cette pression politico-sociale repose non, sur une augmentation établie de ce type de crime, mais sur une modification des représentations de l'enfant et de la famille et illustre le délitement des responsabilités politiques et familiales au profit d'un mode de résolution pénale du trouble créé. Au-delà du comportement constitutif de l'infraction, les éléments liés à l'éventuelle dangerosité de l'auteur ou la qualité de la victime interviennent dans le traitement pénal du criminel. Ainsi les circonstances de minorité et le lien de dépendance psychoaffective existant entre l'auteur et la victime conduisent-elles à une forte aggravation des peines encourues et prononcées.

Par ailleurs, les mesures de sûreté ou d'obligation de soins sont-elles de plus en plus spécifiquement applicables aux délinquants sexuels. La fonction rétributive de la peine fait place à une fonction sécuritaire, réparatrice, voire thérapeutique. Les risques de confusion entre la sphère publique (sanction d'un comportement abusif) et la sphère privée (accessibilité aux soins, à la réparation, voire au pardon) sont très présents et remettent en cause la fonction première du droit : Séparer.



5.1.2. Fonctionnement sur le terrain 



Là où l'on se centre sur l'intervention judiciaire, l'on considère que le devoir d'assistance à personne en danger passe nécessairement et rapidement par un signalement aux autorités répressives au moins des cas avérés, si pas déjà des suspicions. Ces autorités se chargent des investigations nécessaires et visent essentiellement l'obtention d'aveux, si les faits s'avèrent fondés, et la sanction pénale du coupable. La protection de la victime est censée être obtenue via l'emprisonnement du coupable et l'effet dissuasif de la peine. On se réfère donc à l'idée que la confrontation à la loi de la cité est inéluctable et ne peut être faite que par l'Instance judiciaire ; elle constituerait du même coup un rappel de la Loi symbolique pour tout le monde et une première réparation pour la victime [2]. 

Les autorités répressives n'ont pas la responsabilité statutaire des interventions socio thérapeutiques dont nous parlerons par la suite : il leur arrive donc, soit de les ignorer, soit de faciliter la mise en place de certaines de celles-ci, comme la thérapie des abuseurs emprisonnés. En vertu du principe démocratique de présomption d'innocence, nombreuses sont les situations où ces autorités répressives se doivent de prononcer un non-lieu, faute de preuves tangibles suffisantes à leurs yeux ; par exemple, entre autres, actuellement le statut de preuve légale reconnu à une parole d'enfant reste aléatoire.

Les autorités répressives associent inconstamment les Tribunaux pour mineurs à leur action. Elles devraient pourtant le faire plus souvent, et en tout cas, si elles-mêmes prononcent un non-lieu dans le cadre d'un doute. En effet, les Tribunaux pour mineurs ont le pouvoir de protéger le mineur, même dans les cas où les poursuites répressives sont abandonnées.

Même s'il peut paraître « normal » et séduisant de s'adresser aux autorités judiciaires répressives, dans ces cas où les délits commis apparaissent ignobles, il ne faut donc pas perdre de vue les limites liées à leur action (5)



5.2. Les interventions socio-thérapeutiques : synthèse des méthodes et objectifs. 

 


Nous allons en exposer les principaux en distinguant, quelque peu artificiellement, une phase à visée d'évaluation diagnostique, puis une autre à visée de traitement. « Traitement » doit être pris ici dans l'acception très large de management : il se répartit en interventions sociales et en rencontres de paroles.
Les objectifs des équipes psycho-sociales - restauration des personnes et des liens - sont largement différents de ceux des autorités judiciaires - récolte de preuves et sanction pour les autorités répressives, protection de l'enfant en danger pour les Tribunaux pour mineurs -. Toutefois, la forme externe de leurs interventions, voire une petite partie des objectifs, peut parfois être identique (6). 



5.2.1. La phase d'évaluation diagnostique 



- L'enfant qui a commencé à parler ou à montrer sa souffrance, a besoin de se sentir « pris » dans une ambiance de bienveillance, d'intensité dans l'investissement de sa personne, et d'efficacité dans l'organisation des institutions qui prétendent l'épauler ( E-R-M ) : toutes conditions nécessaires à ce qu'il ne se rétracte pas, parfois définitivement, par angoisse et désespoir [10]. 

- S'il y a première révélation, faite ou soi- disant faite à un premier confident de fiabilité variable, elle doit être vérifiée rapidement par une Instance spécialisée et compétente ( E-R-M ) L'évaluation par celle-ci sera soignée, détaillée, non traumatisante pour l'enfant et menée en référence à des techniques modernes : canevas d'entretien ad hoc [8] , appliqué néanmoins avec souplesse eu égard à la dynamique affective et aux intérêts spécifiques de chaque enfant; analyse du discours de celui- ci via des grilles validées [10]  ; prise précoce en vidéo au moins d'un entretien-clé, etc. ...

Dans la perspective des actions psycho-sociales futures, l'évaluation porte aussi bien sur la connaissance détaillée des faits et la crédibilité de l'enfant (E-R-M) que sur la personne de celui-ci et les ressources et faiblesses supposées à sa famille et son environnement (E-M) La démarche évaluative inclut de facto l'enfant, et, au-delà de lui, l'environnement qui le connaît bien, ainsi que sa famille ( éventuellement E-R, pour les faits, et E-(R)-M pour la connaissance des personnes )



5.2.2. La phase de traitement : les interventions sociales

 

- La plus systématique consiste à protéger l'enfant contre toute récidive de l'abus (E-R- M) et, si possible, contre les pressions négatives dont il pourrait être l'objet (E-M) Elle passe parfois par un éloignement de l'enfant, souvent par un réaménagement du quotidien et des attitudes, convenu avec ses parents, et toujours par une vérification soigneuse de ses nouvelles conditions de vie.

- En cas d'inceste, un écartement transitoire de l'abuseur vise les mêmes objectifs et a valeur de sanction négative (E-R-M); celle-ci peut néanmoins être négociée par les seules équipes psycho-sociales, sous la forme d'actes de réparation consentis par l'ex-abuseur.

- Les familles défavorisées doivent recevoir l'aide socio-matérielle dont l'absence avait peut-être prédisposé à l'inceste.

- Enfin, en cas d'inceste (7) , il est utile d'encadrer la famille par un « petit groupe de vigilance continuée », formé de l'un ou l'autre familier et professionnel, avec une double intention de solidarité/soutien et de vigilance [1]



5.2.3. La phase de traitement : les rencontres de paroles 

 


- Quant à leur statut, celles-ci sont soit des psychothérapies, demandées d'emblée ou après un certain temps, par tel individu ou (sous-)groupe familial mêlé à l'abus, soit des entretiens demandés par les intervenants. On peut adjoindre à ces derniers les entretiens de contrôle psycho-social, demandés par les autorités répressives pour suivre le devenir des abuseurs libérés.

- Quant à leurs objectifs, psychothérapies et entretiens visent indistinctement l'écoute empathique; le partage d'idées et d'informations ( sur la sexualité, la culpabilité, la Loi et la liberté, etc. ...); une réénonciation des interdictions fondamentales; un entraînement plus efficace à la protection de soi ou/et des autres, ou à la discipline de soi ( pour l'abuseur ) ; un encouragement à la réalisation du potentiel positif, humainement acceptable, présent en soi; et, en cas d'inceste et dans la mesure de ce qui est acceptable pour chacun, une restauration de l'estime envers les autres membres de la famille.

- Quant aux partenaires qu'ils incluent, dans les cas d'inceste, on gagne souvent à procéder graduellement : d'abord thérapies ou entretiens individuels ( pour l'enfant abusé, le ou les parents non-abuseurs, l'ex-abuseur ((8) , la fratrie ), puis entretiens destinés à des dyades fonctionnelles ( enfant abusé-parent non abuseur; couple d'adultes, etc. ...), pour arriver à des entretiens avec toute la famille nucléaire ( si l'ex-abuseur y collabore positivement et si l'enfant abusé l'accepte ), voire avec la famille et son groupe de vigilance continuée ( cf. supra ) Parallèlement, des thérapies de groupe pour enfants, pour ex abuseurs, etc., peuvent rendre d'appréciables services.

- Quant aux méthodes et représentations de l'être humain dont elles s'inspirent, ces rencontres de paroles gagnent souvent à se référer à plusieurs écoles de pensée : par exemple psychanalyse ou/et néo-rogérianisme lorsque l'on se centre sur l'écoute ; cognitivo-behaviorisme lorsque l'on informe ou/et que l'on demande des modifications comportementales, systémique lorsque l'on travaille les liens familiaux et sociaux, etc. ...



5.3. Applications d'un traitement psycho-social initialement seul à l'œuvre 



5.3.1. Révélation d'un inceste à un tiers extérieur à la famille

 

Supposons qu'après des mois, si pas des années de silence, un enfant finisse par révéler à un tiers que son père abuse de lui. Ce confident de première ligne (9) écoute l'enfant, le soutient et le rassure sur le fait qu'il va être aidé; il considère comme sa responsabilité de répondre dans la durée à la confiance de l'enfant et interpelle donc rapidement une équipe psycho-sociale spécialisée dans la lutte contre la maltraitance. Celle-ci analyse d'abord minutieusement le contexte de la demande (enjeux, conflits éventuels, ...), puis reçoit l'enfant pour un (ou plusieurs) entretien(s) de révélation, destiné(s) à ce qu'elle s'imprègne d'une conviction sur les faits ou au contraire en élimine raisonnablement la possibilité. Outre la constitution de cette conviction et l'approche de la personnalité de l'enfant et du fonctionnement de sa famille, l'équipe doit se faire une idée sur une « capacité protectrice » de l'enfant émanant de la famille et/ou des institutions que l'on mobiliserait (P+, ?, -) ainsi que sur une capacité de la famille à collaborer à un programme d'aide psycho-social (C+, ?, -)

Dans ces cas d'inceste, les équipes font l'hypothèse raisonnable qu'un peu moins de 20% des familles s'avéreront par la suite ouvertes à la collaboration et capables de protéger l'enfant contre la récidive (C+ P+), 60% arriveront, spontanément ou sous contrainte institutionnelle, à une certaine protection contre la récidive mais sans collaboration profonde à un traitement (C- P+) et un peu plus de 20% seront estimées incapables de collaboration et de protection (C- P-).

Pour les familles (C+ P+), l'équipe psycho-sociale elle-même se confronte aux parents, et cherche à obtenir la reconnaissance des faits et à stimuler le désir de fonctionner « plus humainement à l'avenir » Si l'adhésion de la famille se vérifie stablement elle applique le traitement déjà décrit.

Si la famille fonctionne d'emblée ou se replie dans la catégorie C- P+, l'équipe fait appel aux autorités judiciaires (10) (répressives ou/et centrées sur le Tribunal des mineurs) et s'efforce de constituer avec elles une véritable coopération.

 

Par la suite, la répartition du travail entre les deux Instances sera variable, chacune ayant ses priorités. Il est probable cependant que, dans le cadre de l'aide contrainte, des intervenants psycho-sociaux resteront chargés d'entretiens de paroles avec tel ou tel membre de la famille, voire son entièreté : si les résistances opposées à ces tentatives de dialogue sont intenses, on parlera de denial work [4]. Dans d'autres cas, la confiance finit par s'installer et de vraies demandes d'aide peuvent surgir.

Il arrive enfin que l'équipe acquière l'intime conviction que, si elle était interpellée, la famille en question fonctionnerait dans la catégorie C- P-, et même que la situation de l'enfant s'aggraverait. Dans ce contexte, il est d'ailleurs fréquent que celui-ci demande à se soulager en parlant, mais supplie qu' « on ne fasse rien »

Face au cruel dilemme éthique qu'elles éprouvent alors, certaines équipes recourent quand même au signalement judiciaire : toutefois, si leur spéculation avait été fondée, les résultats sont bien plus souvent stériles que positifs. D'autres optent pour un « non-interventionnisme actif » [6]  : différemment de la confrontation à la famille ; contact maintenu avec le mineur, voire avec l'un ou l'autre membre du réseau social de la famille; recherche patiente d'une éventuelle porte de sortie ...



5.3.2. Suspicions ou certitudes d'inceste référées par un parent-témoin 



A côté des parents fiables dont nous ne parlerons pas, nous distinguons :

- Certains parents qui vivent une « signification dramatisée » [6]  ; parents globalement honnêtes, mais anxieux et suggestibles qui donnent une interprétation excessive à certaines attitudes de leur partenaire.

- D'autres, surtout dans les situations de conflits graves liés à la séparation, qui apparaissent s'être emparés du corps et/ou du discours de l'enfant. Ils sont amoraux, au moins dans ce champ ou/et porteurs de problèmes émotionnels variés, et bien souvent sous l'emprise des membres de leur famille d'origine.

Quoiqu'il en soit, dans la démarche évaluative, mieux vaut s'abstenir d'un premier entretien réunissant ce parent témoin et l'enfant. L'équipe rencontre d'abord celui-là séparément et explore sa fiabilité. Puis, selon le degré d'intensité de sa conviction, elle rencontre l'enfant dans la perspective de recueillir une parole qui lui soit personnelle. Ce qui s'en suit est variable pour peu que la conviction de l'équipe gagne en intensité, la suite de la prise en charge devient similaire à ce qui est décrit dans le paragraphe précédent. Dans les cas inverses, on n'abandonne pas pour autant l'enfant victime d'un excès d'emprise, et on associe souvent l'autre parent, suspecté à tort, au processus d'aide.



5.4. Le traitement en cas de pédophilie. 



Le traitement de l'enfant abusé dans ce contexte et de sa famille s'inspirent fort de ce qui a déjà été esquissé. En outre, il faut examiner si des traits plus structuraux de carence affective, de désir de transgression, voire de perversion, n'existent pas chez cet enfant et n'appellent pas un traitement spécifique.

Le traitement spécifique du pédophile présente de nombreuses difficultés, surtout lorsque son comportement est chronicisé. D'abord, en cas de pédophilie, l'immense majorité des équipes psycho-sociales signale la situation aux autorités judiciaires répressives. Si celles-ci estiment les faits fondés, une partie du traitement a donc lieu en prison, puis est susceptible de rester sous contrôle judiciaire après libération. Veillons alors à ne pas appeler trop vite « psychothérapies » les éventuels entretiens de nature psychologique qui ont lieu dans de telles conditions, à ne pas les présenter comme des gages de libération : nous prônons un large clivage du travail psycho-social et de la démarche propre des autorités judiciaires, tout en espérant que celles-ci facilitent la mise en place de celui-là.

Quant à ce travail, sa possible réussite est inversement proportionnelle à l'intensité du noyau structural pervers ou/et de la dynamique d'assuétude du pédophile : dans les cas peu ou moyennement graves, il faudra souvent combiner psychothérapies (ou entretiens!) d'introspection et d'autres d'inspiration cognitivo-behavioriste, et, si possible, constituer un petit groupe de vigilance continuée dans l'entourage du pédophile.

Pour les cas les plus graves, hélas et actuellement nous devons faire un pronostic d'incurabilité, et donc les garder écartés de la société, ou assortir leur éventuelle libération d'un contrôle social très strict de leurs fréquentations voire de l'acceptation par eux d'une médicamentation anti-androgénique ...

Enfin, si le pédophile fait l'objet d'un non- lieu de la part des autorités judiciaires, voire s'il échappe à toutes poursuites, assez rares sont ceux qui, torturés de l'intérieur, s'adressent spontanément à un thérapeute : à celui-ci, alors, à faire preuve de déontologie - il ne peut pas s'engager au secret professionnel absolu ! - et de modestie : redisons une fois encore que la combinaison de plusieurs sources d'inspiration psychothérapeutique est souvent la seule voie vraiment payante.



5.5. « Simples » suspicions émanant de professionnels de première ligne. (11)



Soit un comportement suspect (signes de stress post-traumatique ; moments de dysrégulation sexuelle) remarqué par l'instituteur de l'enfant. Les institutions socio thérapeutiques spécialisées recommandent alors souvent que :

- L'adulte-témoin fasse preuve d'une grande discrétion (ne pas effaroucher l'enfant ; ne pas convoquer intempestivement le parent témoin; ne rien ébruiter), qu'il fasse vite part de ses suspicions à une équipe psycho-sociale spécialisée et qu'il se constitue alors un petit groupe d'évaluation.

- Celui-ci peut prendre des dispositions pour approcher et « apprivoiser » l'enfant : observation plus fine et entretiens qui, à travers des histoires racontées ou plus directement, évoquent progressivement la possibilité de l'abus et des craintes et résistances probablement éprouvées à l'idée de le révéler ... et encouragent l'enfant à être vrai.

- Le groupe d'évaluation peut également interpeller, toujours discrètement, d'autres témoins de la vie de l'enfant et de sa famille et partager ses préoccupations avec eux. Dans certains cas, il peut décider d'y inclure le parent estimé non-abuseur.

- Selon que cette collecte d'informations progresse vers une révélation claire et fiable, le maintien de la suspicion, ou la diminution ou la disparition de celle-ci, le groupe peut se constituer un chronogramme qui planifie son action : appel ou non aux autorités judiciaires, confrontation ou non à la famille, maintien ou non d'un contact avec le mineur (tels sont les trois grands axes, non organiquement liés les uns aux autres, au long desquels il lui faudra s’organiser)



6. En guise de conclusion : impasses et effets pervers possibles 

 

- D'abord, on peut s'interroger sur l'énorme intérêt contemporain de tous pour l'abus sexuel sur mineurs d'âge. Les motivations officielles à y faire face, c'est-à-dire à combattre un mal particulièrement injuste, ne sauraient tout expliquer, pas plus que des considérations superficielles sur le sensationnalisme des média, le voyeurisme des masses ou l'activisme démonstratif des politiciens.

On doit également s'interroger sur l'Inconscient collectif, et le retour d'un Sur-Moi répressif sélectif, après deux ou trois décennies de libéralisme sexuel tous azimuts. On doit penser aussi aux intérêts commerciaux en jeu, dirigés vers des cibles que, sur d'autres continents, on nomme des survivors, perpétuels consommateurs de soins. Enfin, l'on peut se demander si cette focalisation sur une des misères spécifiques de l'enfant ne cache pas tout ce que, par ailleurs, on ne fait toujours pas pour lui ; symétriquement, la désignation d'un bouc-émissaire de choix, le pédophile, empêche de penser à bien d'autres sources d'insatisfactions sociales !

- Ensuite, on peut mettre en question une présentation fréquente de l'abus sexuel comme un drame limité à deux acteurs : d'une part, un agent adulte, sorte de « monstre » à qui la société ne parle plus, et dont elle veut oublier l'ambivalence, la culpabilité et la part de richesses humaines qu'il porte souvent avec soi ... d'autre part, un enfant, toujours pure victime et destiné à rester traumatisé à vie ! Or, même si tous les enfants doivent être éduqués et ne peuvent jamais porter la responsabilité principale de l'abus, tous ne sont pas de pures victimes! Par ailleurs, beaucoup cicatrisent leurs plaies, surtout s'ils sont écoutés et efficacement aidés.

En outre, dans cette présentation dyadique, on veut oublier la coresponsabilité fréquente d'un entourage indifférent ou enclin à la politique de l'autruche. Comme on veut oublier que les institutions judiciaires ou/et psycho-sociales sont assez souvent à l'origine d'une « victimisation secondaire » parfois plus cruelle que les dégâts de l'abus [9 ]

- Enfin, nos sociétés ont misé sur la remédiation à l'abus par la mise en place d'institutions « lourdes » Qu'elles soient judiciaires ou psycho-sociales, nous nous confrontons toutefois à la pauvreté de leurs moyens quantitatifs, qui les condamnent à ne gérer que le « sommet de l'iceberg » Bien que nos propositions laissent provisoirement en suspens de très délicates questions d'appréciation des critères, n'est-il pas temps de revoir notre politique, en ne destinant à une prise en charge centrale par les institutions spécialisées que les cas les plus graves ou/et les plus récidivants? Quant aux autres, bien plus nombreux, il faudrait les laisser aux mains d'institutions plus légères, plus directement accessibles, formées et soutenues par les institutions spécialisées; et il faudrait relancer la solidarité sociale pour que, en réseau, davantage de soutien émane des milieux de vie eux-mêmes.

 

NOTES

 

1). Rappelons-nous cependant que la majorité des activités sexuelles entre mineurs ne participent pas de l'abus ( jeux sexuels, d'initiation, passions amoureuses, ...)

(2). Père ou tenant-lieu de père ; oncle ; grand-père et, plus rarement, leurs équivalents au féminin. A noter que l'inceste dans la fratrie - fréquent - pose de multiples problèmes d'interprétation, que nous ne pourrons pas développer par manque de place : parfois proche d'un inceste parental - vu le statut de l'agent le plus actif -, parfois proche d'une sexualité pédophilique brutale, parfois jeu sexuel - ou/et amoureux - librement et bilatéralement consenti.


(3). Il existe cependant des exceptions à la baisse à cette ambiance émotionnelle tendue : les très jeunes enfants qui ont été confrontés à des expériences sexuelles sur un mode ludique, des enfants plus âgés qui peuvent se montrer maîtres d'eux et capables d'une communication affectivement neutre et détaillée. Il en existe aussi, plus rarement, à la hausse, chez de très jeunes enfants violentés et qui se seraient sentis menacés de destruction totale.


(4). D. Vrignaud, Substitut Général près la Cour d'Appel d'Amiens.


(5). Soyons réalistes : peu de cas poursuivis sont vraiment sanctionnés, et l'enfant se trouve souvent renvoyé à l'horreur de l'abus, avec le sentiment d'inutilité de sa seule parole; quand sanction pénale il y a, elle est parfois très - trop ? - lourde, et le sort psychologique ultérieur des protagonistes n'est pas assez pris en compte ; certaines interrogations et/ou confrontations en Justice sont parfois traumatisantes pour l'enfant ; il n'y a pas assez de coopération entre autorités répressives, Tribunaux pour mineurs et équipes psychosociales, etc.


(6). Lorsque ce sera le cas, nous indiquerons par les abréviations (E-R) une intervention et/ou un objectif qui peut être commun aux équipes psycho-sociales et aux autorités répressives. Les abréviations (E-M) désignent ce qui est commun aux équipes psycho-sociales et aux Tribunaux pour mineurs. Enfin, les abréviations (E-R-M) font référence à ce qui est commun aux équipes psycho-sociales et au monde judiciaire.


(7). L'abuseur pédophile pourrait également en bénéficier dans son propre environnement.


(8). A son sujet, le modèle décrit par J. Frenken nous semble un excellent paradigme [3] 

(9). Dans notre contexte, nous supposons que des programmes d'informations et de prévention ont sensibilisé les intervenants de première ligne ( instituteurs, médecins généralistes, ...) à tenir de telles positions ; ils les ont aussi invités à rester actifs, ou à tout le moins vigilants, dans la suite du processus.


(10). Elle ne le signale cependant pas dans la précipitation, mais après avoir constitué une solide documentation ( entretiens de révélation ) qui, au fond, est de nature à faciliter la tâche des autorités judiciaires. Celles-ci, inévitablement, doivent procéder à des vérifications spécifiques, entre autres des dires de l'enfant, mais pourraient le faire sans multiplier indéfiniment les interrogatoires, et en permettant que l'enfant soit accompagné du confident de son choix.


(11). Les tenants du modèle judiciaire signalent parfois leur simple suspicion, ce qui, par la suite, introduit inévitablement davantage de violence faite à l'enfant pour obtenir, peut-être, sa part de révélation.


Bibliographie 



[1]. BARUDY J.,
La douleur invisible de l'enfant, 
Erès, 1997, 219-239.

[2]. BLOT M.,
La fonction répressive dans le traitement judiciaire des abus sexuels intrafamiliaux, 
in Gabel M., Lebovici S., Mazet P., éd. Le traumatisme de l'inceste, Paris, PUF, 1997, 177-188.

[3]. FRENKEN J.,
Treatment of incest perpetrators : a five-phase model, 
Child abuse and neglect, 1994, 18-4, 357-366.

[4]. FURNISS T.,
The multi-professionnal handbook of child sexual abuse, 
London, Routledge, 1993, 278-315.

[5]. HAESEVOETS Y.-H.,
L'enfant victime d'inceste, 
Bruxelles, De Boeck Université, 1997, 91-140.

[6]. HAYEZ J.-Y., de BECKER E.,
L'enfant victime d'abus sexuel et sa famille : évaluation et traitement, 
Paris, PUF, 1997, 244-253.

[7]. KEMPE H.,
Sexual abuse : another hidden pediatric problem, 
Pediatrics, 1978, 62, 382-392.

[8]. MARIAGE C.,
Guide de l'entretien avec l'enfant, Paris, dossiers du CNEF, Ministère de l'Intérieur, 1992.

[9]. MARNEFFE C.,
Les abus sexuels de l'enfant : prétexte à un retour de la répression sexuelle, Acta psychiat. belg., 1995, 358-368.

[10]. VAN GIJSEGHEM H.,
L'enfant mis à nu. L'allégation d'abus sexuel. La recherche de vérité, 
Montréal, Ed. du Méridien, 1992, 15-32 et 67-100.

 

 

 

S

Facteurs de risque ou de protection chez le mineur victime d'abus sexuel

 

Pr Jean-Yves Hayez

Résumé : L’article passe systématiquement en revue les principaux facteurs soit de risque, soit de protection qui influencent la probabilité d’occurrence ou l’importance de l’impact d’un abus sexuel sur mineur. Il les expose de façon chronologique : ceux qui jouent déjà avant l’abus, ceux qui sont liés à l’acte même et à la personne qui le pose, et aussi les facteurs de traumatisation secondaire, dans l’après-coup, liés à la qualité très variable de la prise en charge et aux réactions spontanées de l’entourage.

  Généralités

Les facteurs de risque et ceux de protection portent sur un ou deux des champs que voici : 

-La probabilité d'occurrence de l'abus, ici significativement plus ou moins élevée que ce qui se passe pour la moyenne des enfants.

- La gravité ou la bénignité de l’impact sur l’enfant. 

Il faut se souvenir qu'environ un tiers des enfants abusés ne présenteront jamais de symptômes et qu'il n'existe aucun syndrome spécifique et univoque consécutif à l'abus [1]

Lorsqu'elles existent, les modifications intrapsychiques et      comportementales qui trouvent leur origine dans l'abus et la dynamique qu'il induit, prennent deux directions différentes :

  • Pour beaucoup d'enfants, il s'agit d'une traumatisation intra psychique, dans une acceptation large du terme : mise en place d'un syndrome de stress post-traumatique, altération négative de l'image de soi, culpabilité ou honte irrationnelles, etc. ... Le comportement sexuel s'en ressent souvent (fond de dégoût, de désintérêt, d'inhibition ... avec quelques compulsions possibles à exercer une sexualité brutale ou ostensiblement vérificatrice) 

Mais cette traumatisation est d'intensité et de durée très variable, entre quelques préoccupations occasionnelles et un peu d'angoisse au moment de faire l'amour « pour du vrai » plus tard dans la vie, et une brisure de soi totale et de longue durée, avec anorexie, tentatives de suicide, etc. . 

  • Pour une minorité d'enfants, l'atteinte consiste en un allumage (ou une amplification) prématuré(e) de leur vie sexuelle :

◊ - La minorité de cette minorité se limite à vivre pleinement sa relation avec l'abuseur qui a su se présenter comme une « réponse positive » aux besoins de l'enfant à ce moment-là de sa vie.

◊ - Pour une majorité, hélas, l'allumage précoce par l'adulte induit un fonctionnement sexuel sans retenue, trop abondant et aux formes trop rapidement adultes [2] Au pire, l'enfant épouse même les déviances ou perversions de l'abuseur qui l'y a initié.

Si celui-ci est vraiment vicieux, il cherche même à aller au-delà de l'allumage sexuel : rendre l'enfant ou le jeune ado aussi anarchiste que lui, inhiber sa volonté ou créer des dépendances (à la drogue, aux vêtements ou à d'autres biens de consommation) : et c'est ainsi qu'à treize ans on peut se trouver « poulain de luxe » d'une « écurie » de petit(e)s prostitué(e)s. 

◊ - Dans la description des facteurs qui va suivre, j'emploierai las abréviations R ou P selon que le facteur amène un Risque négatif ou une Protection significatifs pour l'enfant.

◊ - RO : Risque négatif d'être plus confronté à l'Occurrence de l'abus que la moyenne des enfants ; PO : Protection particulière par rapport à l'Occurrence.

J'ajouterai parfois ROI ; ROV ; POI ; POV selon que c'est Involontairement ou via des comportements Volontaires que l'enfant s'approche ou s'éloigne trop de l'abus.

◊ - RG: risque d'une Gravité supérieure à la moyenne ; ou PB : protection qui favorise une Bénignité de l'atteinte.

Quand ce sera possible, j'indiquerai même RGT (PBT) : c'est dans le champ de la Traumatisation que le risque (la protection) existe particulièrement ; RGA (PBA) : c'est dans celui de l'Allumage précoce.

L'abus sexuel, maillon d'un ensemble expérientiel 

 

Il s'agit d'éviter la croyance linéaire : « Tel abus est susceptible de produire tel effet négatif, avec quelques facteurs contextuels d'aggravation ou de protection qui modulent cette causalité linéaire » La réalité est infiniment plus complexe : qu'il soit isolé ou répétitif, l'abus, comme fait, est pris dans un ensemble d'événements, de relations et de vécus chez l'enfant, l'auteur et bien d'autres.

S'il est souvent possible de décrire le noyau dur de cet ensemble, ses frontières distales, elles, sont de l'ordre de la nébuleuse : ceci justifie que l'on opère des restrictions de champ pour comprendre, mais sans cependant attribuer au seul moment-abus tous les maux de la terre.


 Une chronologie des facteurs opérants 

Je décrirai les principaux facteurs R et P en référence au temps qui s’écoule :

◊ - Un premier lot existe préalablement à l'abus et fait de l'enfant une proie facile (easy target) ou un adversaire à éviter ou le prédispose à une vulnérabilité ou à une résistance hors-moyennes.

◊ - La seconde catégorie est constituée par des caractéristiques propres à l'abuseur et au fait d'abus.

◊ - La troisième catégorie, ce sont les réactions consécutives à l'abus, à court ou à long terme, particulières ou générales qui aggravent un cercle vicieux d'atteintes psychiques ou facilitent la libération intérieure de l'enfant.

  Les facteurs préalables 

L'âge de l'enfant

En 1994, on estimait aux États-Unis que l'âge moyen de l'abus était de 9.9 ans pour les garçons et 9.6 ans pour les filles [3]

1)°Les enfants d'âge préscolaire sont suggestibles, peu informés et imaginatifs ; ils aiment les contacts physiques et les caresses, voire, à partir de quatre ans, les contacts doux génitaux : beaucoup cèdent donc facilement aux avances d'un abuseur habile, souriant et soft ( ... quand ils ne le provoquent pas ) ( Entre ROI et ROV ) Dans une atmosphère « gentille », eux à qui tout paraît naturel, peuvent ne pas être traumatisés psychiquement par ce qu'on leur fait, si l'on est doux et qu'on « leur explique bien » (PBT) [4] Avec un abuseur qui est un habile initiateur, ils se trouvent même plutôt allumés précocement, sur le mode d'une sexualité sans retenue - toute proportions gardées - : heureusement, leur comportement désinhibé servira plutôt d'indicateur à l'entourage et se remettra assez facilement en ordre par la suite, après cessation des faits et réinstallation dans un système éducatif structurant. C'est seulement s'ils restent livrés à eux-mêmes que cet allumage pourrait poursuivre ses effets (alors, RGA)

Les mêmes enfants peuvent néanmoins être très traumatisés psychiquement après coup, en constatant le bouleversement émotionnel de leur entourage, en vivant les contrecoups de la précipitation de celui-ci et en entendant des commentaires négatifs qu'ils ne comprennent qu'à moitié (« Quel monstre ... il a détruit notre enfant ! ») ; alors, suggestibles comme ils sont, ils se mettent à imaginer qu'ils ont fait quelque chose de très mal, qu'on ne va plus les aimer ou qu'on a démoli leur corps (RGT)

Enfin si l'abuseur a été brutal, effrayant ou qu'il n'a rien expliqué du tout (même fallacieusement), la traumatisation intra psychique du petit peut être intense et durable, comme après toute agression génératrice du syndrome de stress post-traumatique. Entre autres parce que son imagination est floride et que son intelligence n'opère encore que très imparfaitement sur les catégories du réel (RGT++)

2°) Plus l'enfant en bonne santé mentale basale grandit, plus il devient lucide et capable de se protéger et de dire les « Oui » et les « Non » qu'il souhaite (POV)  Cette constatation a cependant ses limites car il reste des abuseurs effrayants ou particulièrement convaincants à même de soumettre ou de tromper les enfants et même les adolescents jeunes.

3°) A la pré adolescence et au début de l'adolescence, pulsions et désirs sexuels s'amplifient ; la curiosité sexuelle s'exacerbe à nouveau et se centre sur les techniques de l'amour physique et de l'obtention du plaisir : elle pousse le jeune à faire des expériences nouvelles ; le désir de faire comme les grands et celui de défier les règles sont bien opérants, en proportion inverse des scrupules moraux et de la contention sociale qui eux s'effritent : tous les ingrédients sont donc réunis pour que ces onze-quatorze ans se laissent parfois séduire par des grands adolescents ou des adultes, voire pour qu'ils les séduisent activement (ROV)

Si l'autre en face est habile, il peut s'en suivre une expérience sexuelle qui, quoi qu'abusive, est bien vécue par chacun. Néanmoins, une partie de ces jeunes peut se mettre à avoir peur et honte et à ne pas avoir le courage de se dégager de ce qui a été commencé, à l'instar d'enfants plus jeunes (RGT) D'autres, un peu plus nombreux, sont à risque d'allumage tous azimuts (RGA)

Le sexe

 Selon les études, les filles sont recensées comme 2 à 5 fois plus fréquemment abusées que les garçons [5, 6]

 Les comportements de défi et d'exploration active de l'interdit sont plus nombreux chez les garçons que chez les filles. Je parlerai néanmoins de ROI et non de ROV car ce n'est pas vraiment le cœur de l'expérience abusive que ces garçons veulent, mais plutôt la vérification de leur force, voire de leur invulnérabilité.

Les préadolescents et les jeunes adolescents garçons qui ont été trompés ou se sont laissés faire par leur abuseur, notamment s'il y a eu sodomisation, sont parfois particulièrement mortifiés, honteux et en colère contre eux-mêmes d'avoir manqué de lucidité ou de force virile pour dire " Non ". Vu que leur abuseur est souvent masculin et qu'ils ont connu, souvent aussi, de l'excitation sexuelle lors de l'expérience, ils peuvent redouter une possible homosexualité pas vraiment au cœur d leur orientation spontanée(RGT) [7]

En soi ces angoisses et ces doutes narcissiques sont déjà préoccupants ; en outre, ils enferment ces jeunes dans le cercle vicieux du silence (RGT). La probabilité d'un moment de vengeance pendant leur adolescence même, où ils reproduisent sur un enfant plus jeune ce qui leur est arrivé, est plus élevée que pour la moyenne des autres enfants abusés.

 Traits de caractère et style de vie 


Les expériences de vie et le style de relations familiales et sociales amènent certains enfants à devenir forts, lucides, débrouillards et confiants en soi : ils seront donc attentifs et habiles à ne pas se laisser faire contre leur gré ou à travailler mentalement de façon réaliste sur ce qui leur est arrivé (PBT). D'autres sont devenus au fil du temps des « oiseaux pour le chat », tristes et soumis, et incapables de faire face aux idées et aux émotions négatives qui les habitent (ROI).

En intégrant ces données de l'histoire de vie, d'autres issues du tempérament et de l'organisation intra psychique actuelle de l'enfant, on peut faire un tableau non exhaustif qui décrit risques et protections en référence à des caractéristiques individuelles de l'enfant [8, p. 160] ( voir tableau I, ) 

Tableau I : Facteurs de risque ou de protection et caractéristiques individuelles de l'enfant

 

 

 

 


Commentaires :

(a) Il s'agit d'une non-information sur les réalités sexuelles, mais aussi sur les droits des enfants, notamment celui de dire « Non » ou de désobéir dans certaines circonstances [6]

(b) Solitaires : ayant peu d'amis [10] ; vivant avec des parents indisponibles ou sans parent naturel à la maison [11]

(c) La bruyance des réactions anxieuses lorsqu'un inconnu s'approche d'eux pourrait protéger de certains types d'abus certains types d'enfants très perturbés, jusqu'aux psychotiques et aux autistes. 

 

L'orientation sexuelle du préadolescent ou du jeune adolescent

Les jeunes qui se vivent précocement homosexuel(le)s ou bisexuels sont plus facilement trompés par des aînés ou des adultes que la moyenne, parce qu'ils sont plus isolés socialement et qu'ils s'offrent davantage à des explorations sexuelles homo (entre ROI et ROV) [12, 13] 

L'existence d'un handicap ou d'une pathologie psychiatrique


1°) Chez les enfants handicapés, tous handicaps confondus, la POI de l'abus est estimée de 1,7 à 2 fois plus grande que pour la moyenne des enfants (diminution des capacités à se protéger, à s'expliquer à des tiers, voire à comprendre les enjeux de la situation) [6]

2°) Chez les personnes présentant un retard mental, le taux d'abus sexuel est environ 4 fois plus élevé que dans la population générale, surtout si elles n'ont reçu aucune éducation sexuelle [14]

En ce qui concerne les conséquences, les enfants présentant un retard mental léger, voire moyen, peuvent être assimilés aux enfants d'intelligence normale et d'âge préscolaire.

3°) Paradoxalement, les enfants psychotiques ou pas loin de l'être, ainsi que les autistes, sont protégés de facto de l'approche de beaucoup d'abuseurs par leur méfiance de l'étranger, leur dimension farouche et la bruyance potentielle de leurs réactions agressives d'autoprotection (POI)

Si un abuseur - par exemple un familier habile - passe néanmoins ces barrières, il est probable que leur handicap cognitif ou les aberrations chaotiques de leur imagination les désorganisera davantage que les autres enfants (RGT)

4°) Les enfants carencés affectifs peuvent se mettre activement en chasse d'un maternage sexualisé ou céder rapidement aux avances de celui qui a l'air de le leur proposer, quel que soit son âge (RO) [6, 15, 16]

« L'aventure » peut parfois tourner à la satisfaction réciproque des partenaires concernés, ce qui pose éventuellement de très délicats problèmes éthiques. Plus souvent cependant, la relation sera tumultueuse, avec des ruptures douloureuses non voulues ( autre type de RGT ) Ailleurs, cet enfant qui mendie un peu de présence de l'autre via le sexe, est destiné à passer d'un partenaire à l'autre, avec des itinéraires de vie chaotiques, dans un contexte de prostitution ou de demi-prostitution ( RGA ou RGT particuliers ? ) [17]

5°) Certains troubles à forte composante neurologique amènent parfois des dés inhibitions ou de fortes obsessions-compulsions sexuelles qui attirent l'attention d'abuseurs en maraude sur ces enfants (exemple, certains cas de maladie de Gille de la Tourette) (ROI) [6]

 Du côté de la famille et de l'entourage

 En règle générale, l'enfant a davantage de peine de dire non à un membre de la famille, surtout proche, qu'à un étranger (ROI) C'est encore plus difficile s'il n'a pas d'allié sur qui compter dans la famille. Malheureusement aussi, c'est dans ces cas d'abus intrafamiliaux que la durée est la plus longue et le recours à des menaces, entre autres affectives, le plus fréquent (RGT ++)

 On peut raisonner comme on l'a fait à propos des caractéristiques individuelles de l'enfant et se limiter à présenter un tableau schématique qui expose comment certains types de fonctionnement familial exposent particulièrement au risque ou favorisent la protection de l'enfant. Ce qui est signalé à propos de la famille concerne aussi jusqu'à un certain point l'environnement humain plus large. Le tableau n'a pas une volonté exhaustive (voir tableau II)

Tableau II : Facteurs de risque ou de protection et type de fonctionnement familial

 

 

 

 

 

D'autres facteurs sociologiques et matériels ont déjà été abondamment décrits avec parfois même une malheureuse tendance à se réduire à eux comme facteurs explicatifs. Évoquons notamment :

1°) Les conditions de vie à la Zola qui facilitent certains types d'inceste impulsif (ROI)

2°) Les parents porteurs eux-mêmes d'une histoire de vie très traumatique, avec violences physiques et abus (RGT) [19]

3°) La surabondance de problèmes de vie et de facteurs de stress dans la famille, qui fragilise l'enfant et diminue la disponibilité des adultes.

4°) La vie en foyer monoparental, surtout à partir de pré adolescence et de la jeune adolescence (inceste hétéro - ou homosexuel, sans tiers régulateur) (entre ROI et ROV) [20, 21]

5°) La vie en institution résidentielle - qui attire toujours quelques « professionnels » pédophiles habiles - et même celle en famille d'accueil (l’auteur est un adolescent de la famille ou le « père d'accueil », dont une pédophilie latente s'est éveillée ou qui a été troublé par le charme d'un(e) (jeune) adolescent(e) pas de son sang) 

 Au moment de l’abus : Caractéristiques propres à l'abuseur et au fait de l'abus

La personne de l'abuseur 

1°). Son statut et son âge

 Le ROI et le RG sont d'autant plus élevés que s'additionnent les critères que voici : 

-- L’enfant identifie son abuseur comme adulte, tout simplement. 

Pourquoi cette simple attribution constitue-t-elle, en soi, un RO et un RG supérieur à la moyenne ? D'abord parce que, ipso facto, les autres critères qui vont être énumérés sont statistiquement plus présents lorsque l'enfant a à faire à un adulte. Ensuite, à partir d'un certain âge (six, sept ans) si les parents ont énoncé et respecté correctement les interdits fondamentaux, l'enfant vit de l'intérieur la valeur du tabou de l'inceste et même, plus largement, celle de toute sexualité Trans générationnelle : donc, l'adulte qui procède à l'inverse est vécu comme transgressant un interdit radical.

Néanmoins, il faut se souvenir que l'enfant attribue le statut d'adulte à une personne en fonction de critères qui lui sont spécifiques comme la taille, la force, le sérieux et d'autres éléments de réactivité, etc. ... Le résultat diffère donc au moins partiellement de celui des découpes administratives et sociales officielles :

Pour le petit en âge préscolaire, l'autre est très vite perçu comme adulte, dès quatorze-quinze ans, mais l'intégration des barrières sexuelles intergénérationnelles est                 encore très lacunaire, donc ça n'a pas d'importance fondamentale.

Après et au fur et à mesure que l'enfant grandit, le résultat de son analyse s'inverse chez beaucoup : l'autre n'est adulte - et donc interdit de sexe - qu'autour de 21 ans. Entre 15, 16 ans et 21 ans, l'autre, c'est un « grand » ( plus ou moins un adolescent ), pas vraiment interdit par les tabous intergénérationnels. En dessous de 15, 16 ans, l'autre est vécu comme de la même nature psychique que l'enfant lui-même, juste un peu différent par la taille ou la force.

-- Un lien de sang unit l'enfant et l'abuseur et est investi par l'enfant ( il y a donc aussi un lien affectif ) : celui-ci ne prend donc guère le risque de casser ce lien ou à tendance à se laisser faire par celui qu'il aime (ROI) ; il a aussi tendance à se laisser influencer ( RG : confusion des idées et RGA ) ; rapidement, il peut ne plus identifier qui sont ses vrais protecteurs et de qui il peut attendre de l'aide ( RGT : aliénation ; insécurité radicale ) [15, p. 82] Enfin, parfois RGT retardée, quand l’enfant prend conscience qu’il a été berné : il est furieux et il a honte d’avoir été naïf, il a peur que ça puisse recommencer !). On trouve les mêmes risques dans de catégories d’adultes proches :

  • Un lien affectif bien investi entre un adulte étranger à la famille et un enfant, avec des vécus existentiels un peu moins intenses que ceux véhiculés sous la rubrique précédente.
  • L'enfant attribue une autorité morale à l'adulte qui le sollicite, donc le pouvoir d'exiger de lui l'obéissance. L'enfant l'attribue habituellement aux adultes de sa famille nucléaire et élargie, ainsi qu'aux figures d'autorité de la société (professeurs, policiers, médecins, chefs de son mouvement de jeunesse, etc.))
  • L'enfant reconnaît à celui qui le sollicite un savoir sur la vie et la sexualité et ce sur ce qui est permis et défendu ou Bien et Mal. Volontairement ou non, l'abuseur exerce donc une emprise intellectuelle anormale sur l'enfant

-- L'enfant attribue à son abuseur le pouvoir de la force c'est-à-dire celui de lui faire du mal (ROI et RGT) ; on peut même ajouter que l'enfant est susceptible d'avoir peur quiconque est plus grand et plus costaud que lui (le « grand » de neuf ans pour le petit de cinq ans)

 En faisant l'intégration de ces différents facteurs, voici approximativement comment répertorier les abuseurs potentiels, en allant des plus au moins nuisibles (RO ou/et RG) :

 - Les adultes familiers (lien de sang ou d’adoption), affectivement proches de l'enfant et éducateurs habituels.    
Remplissent souvent ces conditions : père, mère, grands-parents, oncles, tantes, (demi)frères ou sœurs âgé(e)s (cf. supra : plus de 21 ans) ;

- - Les adultes familiers par alliance, affectivement proches de l'enfant et éducateurs habituels :beau-père ; belle-mère par remariage[1] ou de facto

 - familiers matériellement lointains, sans lien affectif ni éducatif fort et pas spécialement effrayants. Par exemple : mêmes personnes que ci-dessus, mais que l'enfant ne rencontrerait que très peu ;

- étrangers à la famille avec qui existe un lien affectif fort ou/et une attribution d'autorité morale ou de savoir. Par exemple : compagnon de la mère ou beau-père, instituteur, psychothérapeute, parrain ou marraine choisis en dehors de la famille, etc. ;

 - étrangers à la famille, violents, effrayants. Par exemple : violeur inconnu ;

- étrangers à la famille, sans aucune des attributions précédentes. Par exemple : pédophile inconnu soft.

 - Les « grands » (vécus comme de la même tranche générationnelle) 
Ici, le critère « familier ou étranger » n'a pas d'impact sur la gravité. Peut-être influence-t-il davantage le ROI : « l'enfant résiste moins à un familier avec qui, en outre, il s'entend bien ». Le RG est également lié à son pouvoir d'emprise intellectuelle et à son pouvoir d'effrayer. 

 - Les mineurs que l'enfant vit comme ayant le même statut que lui. Le RG est, ici aussi, lié à leur pouvoir d'emprise intellectuelle ou à celui d'effrayer.

2°). Les motivations de l'abuseur

Les voici énumérées par ordre croissant de potentiel nuisible :

---Les abuseurs les moins nocifs sont ceux qui, de leur point de vue, offrent un amour sincère à l'enfant ; le sexe qui arrive en surcroît est vécu soit comme un signe-clé de cet amour, soit comme un « parasite » lié à la nature sexuelle et aux besoins de plaisir de l'être humain et dont il faut presque s'excuser.

---Viennent ensuite les abuseurs qui proposent à l'enfant, surtout à partir de la pré adolescence de celui-ci, une pure partie « d'éclate sexuelle » partagée de façon soft)

---Les vraiment nuisibles (RGT, voir RGA++) relèvent de trois motivations qui peuvent exister séparément ou en combinaison :

  • l'enfant n'est qu'une chose sexuelle : ce qui compte, ici, ce n'est pas sa personne, mais la jouissance éprouvée lorsque, par ruse ou par force, on réalise sur lui telle activité sexuelle précise ; il n'est plus qu'un objet partiel, celui de la perversion de l'autre ;
  • l'enfant doit souffrir moralement ou physiquement ;
  • toute la vie de l'enfant doit appartenir à l'abuseur : sa sexualité, bien sûr, mais aussi ses idées, les vêtements qu'il doit mettre pour aller à l'école, les endroits et les moments du jour où il peut aller uriner, etc. 

3°). Le sexe de l'abuseur

On a beaucoup écrit que l'inceste perpétré par la mère ne pouvait être que « psychotisant » Je suis persuadé qu'il ne s'agit que d'une projection émanant d'auteurs peu habitués aux réalités de l'abus ; ils ont traduit leur vécu subjectif « C'est fou de réaliser le fantasme incestueux par excellence ! » en « C'est psychotisant pour le mineur »

Ce n'est pas ce qu'indiquent les témoignages de terrain. Il s'en dégage l'impression que ce n'est pas le sexe de l'abuseur en soi qui exerce un effet destructeur, mais d'autres critères qui lui sont souvent corrélés et qui viennent d'être énumérés à propos de son statut. Par exemple, une mère seule qui, par manque d'homme et par besoin sexuel, passe par une phase de relations sexuelles complètes avec son fils de quatorze ans est probablement moins nocive qu'une mère trouble, incestuelle plus qu'incestueuse, qui « s'amuse » à se montrer nue à l'occasion à son fils (ou sa fille) de, neuf ans et à vouloir posséder le psychisme de celui-ci. 

4°). Le nombre d'abuseurs ; l'existence d'une complicité passive

-- Le risque de gravité s'accroît si l'abus entraîne d'autres personnes que l'abuseur principal et l'enfant ou si ce dernier est pris dans un réseau dans lequel il change souvent de partenaires, alors de tous âges : ici, on est dans un contexte de « partouzes », de (semi)prostitution ou de terreur plus ou moins avouée où l'enfant se résigne à être la chose sexuelle de pervers ; son désespoir secret à sortir de leurs filets peut être très grand ( RGT++ et plus rarement RGA : pervertissement ) 

-- Cette rage secrète et ce désespoir existent souvent aussi dans tous ces cas, assez nombreux, où un parent (ou un autre adulte) « sait » clairement ou sans le reconnaître et accepte malgré tout les turpitudes de l'abuseur par peur, pour être quitte de sa propre vie sexuelle avec lui et parfois même pour le profit lié au « prêt » de l’enfant. Ici c'est bien le statut adulte du témoin qui est toxique.(RGT++) Par contre, dans nombre de cas ce sont d'autres enfants qui savent - par exemple, les frères et sœurs - ça n'a pas d'incidence importante sur la gravité de la traumatisation. 

Caractéristiques de l'abus et de la séquence temporelle dans laquelle il s'inscrit.

Nous présenterons cette question en un seul tableau schématique avec ses commentaires (voir tableau III,) 

 

Commentaires :

(a) L'imprévisibilité est vraiment un facteur toxique, source de fluctuations d'angoisse et de difficulté à s'adapter.

(b) Par exemple, c'est lui qui va frapper à la porte de son pédophile ; c'est lui qui « drague » un adulte mal dans sa peau ; l'adulte l'écoute facilement les fois où il dit « Non », etc. .

(c) La dimension violente n'est pas liée qu'à la force physique et aux cris. Elle peut être provoquée par la personnalité imposante de l'abuseur, par la toute-puissance de son argumentation, par l'ambiance de mystère et d'inconnu qu'il introduit dans le scénario. Il faut se souvenir aussi qu'elle est vécue subjectivement en référence au tempérament plus ou moins anxieux de l'enfant. Certains enfants sont plus traumatisés par la violence que par l'abus lui-même [22, p. 146 ; 28]

(d) La présence d'un lien affectif fonctionne donc, selon les cas, comme la meilleure et la pire des choses :

  • En parlant des statuts, j'ai évoqué le fait que l'enfant puisse avoir sa lucidité et sa capacité de résistance comme « engluées » par quelqu'un qu'il aime.
  • Mais l'inverse peut exister aussi : certaines dimensions de son être peuvent être davantage respectées par quelqu'un qu'il aime, si du moins l'enfant cède sur la question du sexe ...

(e) L'effet peut aller dans deux directions opposées :

  • Certains enfants continuent à assumer leur motivation positive et parfois, ce peut devenir un RGA.
  • D'autres enfants se culpabilisent plus ou moins fortement par la suite d'avoir voulu ou aimé ça (RGT) [ 21, p. 146]

 

Les réactions consécutives à l'abus

 

Premières réactions informelles de l'enfant et de son entourage et leurs rétroactions

 

Surtout au début, les expériences d'abus toutes fraîches entraînent chez l'enfant et dans son entourage des bouleversements idéo-émotionnels et des nouveaux comportements susceptibles de rétroagir négativement ou positivement sur leur équilibre psychique. Citons notamment :

-- Chez beaucoup d'enfants et notamment tous ceux qui sont traumatisés, il existe une montée brutale de vécus d'impuissance, de honte, d'angoisse et de culpabilité ; ils rongent l'enfant, le rendent dysfonctionnel et le poussent à dissimuler, à ne pas demander d'aide et à continuer à se laisser faire : il s'installe progressivement un vécu de soumission, mélange de dépression et de masochisme à bas bruit (RGT) [22, p. 139]

-- Lorsqu'ils ne sont pas perçus par l'entourage sain, les coups de sonde balbutiants de l'enfant ont un effet désespérant sur celui-ci : il en déduit qu'il n'y a de protection à attendre de personne (RGT)

-- Lorsque les faits sont révélés par l'enfant, il s'ensuit souvent une première réaction d'incrédulité ou de colère dirigée contre lui (« Qu'allais-tu faire là ? C'est toi qui l'as provoqué ... Pourquoi ne l'as-tu pas dit plus vite ? ») Il y a même parfois un mouvement de protection du supposé abuseur. Si l'adulte d'abord bouleversé ne se reprend pas rapidement et s'il persiste à accuser ou à stigmatiser l'enfant, le sentiment d'injustice, la confusion des idées et le désespoir de celui-ci s'aggravent (RGT++). La rétractation de ses révélations est une stratégie d'adaptation parmi d'autres [24] 

La traumatisation (psychique) secondaire issue des processus d'intervention officielle

S'il est inévitable qu'une légère traumatisation intrapsychique constitue un effet indésirable opérant à certains moments d'un processus d'aide souvent lourd et complexe, elle ne devrait néanmoins jamais en constituer une composante importante. Le cost benefit global pour l'enfant devrait être largement positif. 

Or, c'est souvent loin et parfois très loin d'être le cas : de trop nombreuses situations entraînent une traumatisation lourde liée à la conception et à l'application de ce que l'on appelle officiellement « justice et aide » J'en énumérerai d'abord quelques sources, puis je procéderai à une discussion plus spécifique en référence à la question de la gravité de l'abus qui nous occupe ici. 

1°). Une énumération pêle-mêle

Distinguons schématiquement deux fonctions centrales qui tentent de venir en aide à l'enfant victime et à sa famille : une psy (diagnostique et psychothérapeutique) et une autre, de protection. Ajoutons-y une troisième, la fonction judiciaire pénale, souvent présente dans le processus d'intervention global ; celle-ci n'a néanmoins pas une intention d'aide directe à la victime, mais bien celle de faire respecter la loi. En examinant le déploiement de ces fonctions sur le terrain, on peut observer que :

--De façon générale, le manque de formation spécifique reste présent, parfois peu, parfois beaucoup chez beaucoup d'intervenants, les psy davantage que les policiers spécialisés dans l’audition, et il en résulte un certain degré d'incompétence : on se réfère inadéquatement à des connaissances basales générales alors qu'il s'agit d'un domaine très particulier et délicat ou alors, certains développent des méthodes farfelues et dangereuses [24, 2

--Beaucoup de services psy et sociaux fonctionnent paradoxalement dans la précipitation (pour signaler) puis, trop souvent, dans une ambiance bureaucratique (passage de la « patate chaude » au suivant ; rendez-vous trop espacés ; inertie ; lent ballet des rapports écrits ...)

--La poursuite orgueilleuse et clivée de sa logique propre par chaque institution spécifique amène parfois de dramatiques incoordinations et rivalités entre services psy, sociaux et judiciaires ; c'est la victime qui en fait les frais.

--Dans beaucoup de cas, le service judiciaire pénal se met en route lentement ; les interrogatoires et autres examens physiques s'y multiplient, de façon assez confuse, dans une ambiance pas toujours bienveillante [25], les plus traumatisants d'entre eux (les confrontations) sont d'ailleurs souvent non-contributifs ou anti-contributifs à la vérité. En 2021, dans les pays francophones elles deviennent néanmoins très rares

--Le système pénal ne prend pas souvent de dispositions pour activer en parallèle le Tribunal pour mineurs, pourtant chargé plus structuralement de la protection de l'enfant, ni pour mettre à distance enfant et suspect pendant la durée de l'instruction judiciaire.

--Sur le fond, quand le suspect continue à nier- ce qui est l'occurrence majoritaire - et que le seul élément de preuve est la parole de l'enfant, même les fois où celle-ci est validée scientifiquement par les experts psy, trop rares sont les Tribunaux qui prennent la responsabilité de déclarer les faits établis : c'est dire que, dans nombre de ces cas, le recours à la présomption d'innocence semble abusif car il a lieu alors qu'il y a de forts indices de probabilité de l'abus. Cette pratique traditionnelle frileuse mériterait un vaste débat de société ! Le résultat en est que l'enfant est remis aux mains de son abuseur, qui s'est refait une virginité sociale, triomphe et est intouchable pour une très longue période. Bref, alors, le remède a été bien pire que le mal.  Je vous invite à ce propos à lire sur mon site web l’article

  Tout-petits et allégations d'abus sexuel 

2°). Discussion

Les composantes contemporaines de la traumatisation secondaire sont telles qu'elles amènent à des constatations paradoxales, choquantes ... mais réalistes :

--Dès 1993, le grand spécialiste T. Furniss signalait que les interventions incoordonnées pourraient conduire à davantage de traumatisation chez l'enfant abusé et sa famille que l'abus lui-même et que le premier but des intervenants devrait toujours être d'éviter le dommage secondaire, avant de procéder à des soins directs. Primum non nocere disaient les médecins antiques : sage recommandation, mais ô combien négligée aujourd'hui [28, p. 17] !

--Quand on signale le cas d'un enfant abusé au système judiciaire pénal et qu'on ne dispose que de sa parole comme preuve, on effectue une opération à risque. Celui-ci est d'autant plus élevé que l'enfant est jeune, timide ou/et peu assertif ou peu soutenu socialement et que le suspect, de son côté, est intelligent, puissant et dispose de bons avocats.

-- Le risque est encore pire pour les petits enfants suspectés d'être abusés dans le contexte de la séparation parentale ; ici, les éléments de preuve sont - inconstamment - des signes fugaces d'irritation de la zone ano-génitale du corps et une parole du petit enfant plus volatile et suggestible que jamais. Dans ces contextes, malgré que la possibilité d'authenticité soit loin d'être nulle, ce sont souvent les plaignants qui expérimentent lourdement la suspicion des soi-disant aidants et le non-lieu judiciaire est fréquent (RGT+++) En outre, il est de plus en plus à la mode d'entamer des poursuites de tous types contre les professionnels qui ont signalé leurs inquiétudes à la Justice pénale.

-- Le fait d'appartenir à une famille socio-économiquement défavorisée, surtout lorsque son fonctionnement apparaît immature et chaotique, avec une autre culture d'éducation que la culture majoritaire bourgeoise, entraîne un premier risque : celui de la multiplication anarchique d'agences sociales censées soutenir mais qui sont souvent en rivalité mutuelle ou à tout le moins incoordonnées et qui ont le soupçon et le passage à l'acte faciles. Alors, on recourt souvent au placement de l'enfant, voire de sa fratrie, avec des indications d'entrée et de sortie bien floues (RGT) Un éclatement sauvage de la famille peut également avoir lieu, ce qui culpabilise le plus souvent l'enfant (RGT) [15, p. 83]

--Le fait pour l'enfant d'appartenir à une famille puissante ou porteuse d'enjeux importants de respectabilité sociale entraîne le risque inverse : les intervenants psychosociaux et même judiciaires n'y entrent pas facilement ou s'en font éjecter vite fait ; il est très difficile de toucher à l'image de respectabilité et donc bien des abus et autres maltraitances peuvent se perpétrer dans le silence épais des donjons familiaux (RGT) 

Les facteurs de gravité ou de protection à long terme

Outre les facteurs liés au travail des professionnels que nous venons de décrire, signalons que :

--Il existe de véritables cercles vicieux liés à certains comportements inadaptés de l'enfant victime : l'enfant « allumé » provoque le retour d'expériences sexuelles variées, parfois traumatisantes (RGT), parfois amplificatrices de son principe du plaisir ou de dimensions perverses en voie d'installation (RGA+) 

Certains enfants traumatisés provoquent punitions et rejets à partir de leur culpabilité et de leur masochisme ... ou alors, ils « aspirent » vers eux de nouveaux abuseurs, par leur passivité ou leur besoin d'autopunition. Parfois ce sont leurs activités sexuelles de vérification ou d'identification à l'agresseur qui leur attirent une désapprobation disproportionnée, sans qu'on cherche à les comprendre.

--Le fait que l'abuseur persiste efficacement à nier les faits même lorsqu'il n'a plus de contacts avec l'enfant, est en soi angoissant et désespérant pour celui-ci (RGT+) 

-- En cas de révélation très différée (par exemple après quelques années, à la fin de l’adolescence), la manière dont celle-ci sera gérée est de nature soit à faire poursuivre la cicatrisation, soit à faire flamber à nouveau la traumatisation (mauvaise image de soi ; vécu d'injustice ; colère et désespoir)

  • Constituent des RGT+++ : les fins de non-recevoir, les reproches inattendus ou les ruptures de liens provoquées par le poids de la révélation.
  • Constituent des RGT : la seule écoute passive et démissionnaire et son inverse la précipitation et l'activisme.
  • Constitue une PB : la reconnaissance engagée du vécu de la victime ; une réflexion réaliste menée avec elle sur ce qu'il convient d'entreprendre (de la lettre à l'auteur à l'action judiciaire)

-- Mettre fin sans ménagement à un lien incestueux ou pédophilie de longue durée et bien vécu par l'enfant (souvent devenu adolescent) peut amener chez celui-ci une vraie souffrance morale et des passages à l'acte graves (suicide, anorexie, etc.). J’ai personnellement été témoin de deux suicides d’ados dans ces conditions (RGT+) D'où la nécessité d'un accompagnement de haute qualité si l'on décide quand même d'y procéder, ce qui n'est inéluctable que pour le lien incestueux.

--L'on peut enfin s'interroger radicalement sur le rapport à la vérité du discours scientifique et social contemporain à propos de l'abus sexuel. On s'ingénie à diaboliser celui-ci et ses conséquences : « L'enfant est toujours très traumatisé ... On n'est plus qu'un survivor marqué à vie ... Un ex-abuseur devient un abuseur »

Est-ce systématiquement si certain ? Ne prêche-t-on pas parfois de la sorte au nom de l'idéologie ou des affaires commerciales à faire ? En organisant la chasse aux sorcières pédophiles, ne s'aveugle-t-on pas sur d'autres maux plus innommables de nos économies capitalistes ?

Et s'il en est ainsi, un fameux facteur de risque n'est-il pas constitué, pour les victimes, par ces slogans sociaux déprimants et confusionnants qui leur font une nouvelle fois violence ? (RGT+) 

 

 RECOMMANDATIONS 

I - Prendre en compte qu'il existe DEUX chemins de gravité : la traumatisation intra psychique ou l'allumage sexuel prématuré. Mieux repérer et traiter les formes les plus préoccupantes de ce dernier (sexualité sans retenue ou sexualité pervertie, avec identification à l’agresseur) 

II - Prendre en compte qu'il existe des abus sexuels aux conséquences graves, et d'autres qui sont bien supportés ( les épines sexuelles ) ; mieux étudier les formes et les critères des épines sexuelles ; étant donné la surcharge des appareils institutionnels spécialisés ( psys et judiciaires ) ainsi que les risques élevés de traumatisation secondaire, mettre au point des manières plus légères de gérer les cas simples, en faisant davantage appel au tissu social informel et en entraînant préventivement l'enfant à mieux se définir et se protéger personnellement. 

III - Pour évaluer la nature et l'intensité de l'atteinte, ne pas se réduire à l'analyse de la séquence « Abus + comportements immédiats de gestion de l'abus

Il faut tenir compte de préalables qui ont freiné ou précipité l'occurrence de l'abus et modelé la personnalité de l'enfant et de son entourage. Il faut tenir compte aussi de ce qui s'en suit, et notamment le contenu et l'organisation de l'intervention. 

IV - Assumer que les effets de l'intervention se répartissent sur un gradient « Efficacité/délicatesse/espérance restituée - Inefficacité/dimensions traumatiques/désespérance de l'enfant »

V Se pencher sérieusement sur ce problème de la traumatisation secondaire, notamment en procédant à des études scientifiques qui tracent systématiquement le devenir des cas après la révélation ;

V - Enfin, il faut « ré humaniser » le fait d'avoir été victime d'abus sexuel. C'est somme toute une expérience que beaucoup font dans ses formes mineures, que j'appelle épines sexuelles. Et même les victimes d'abus graves ne sont pas si rares. On devrait les aider à en parler plus informellement et plus simplement, en commençant par ne plus faire courir d'images sociales effrayantes comme celles des survivors traumatisés à vie.

Notes

[1] Dans d’assez nombreux pays, s’il y a remariage, l’abus commis par le beau-parent est considéré comme inceste. Dans le cadre de cette réflexion sur la gravité psychologique, j’introduis cependant une nuance de gradation

[2] https://www.jeanyveshayez.net/abus-sexuels-sexualite-contrainte-epines-sexuelles/420-3-1-1-n-tout-petits-et-allegations-d-abus-sexuel

Bibliographie

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3. The National Resource Center on Child Sexual Abuse, The Incidence and prevalence of child sexual abuse, Huntsville, NRCCSA, 1994.
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5. Finkelhor D., A sourcebook on child sexual abuse, Newbury Park, Sage publications, 1986, 189 p.


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  1. Haesevoets Y.-H., Regard pluriel sur la maltraitance des enfants, Bruxelles, éditions Kluwer, 2003, 221 p.
    9. http// :www.prevention.ch/lesabussexuels.html
    *. Note du webmaster : si vous avez des difficultés pour accéder à ce site une sauvegarde est accessible ici.

10.Finkelhor D., Sexually victimized children, NY, free press 1979.

  1. Richardson M., Meredith W. and Abbot D., Sex-typed role in male adolescent sexual abuse survivors, Journal of Family Violence, 1993, 8-1, 47-53.


    13. Savin-Williams R., Verbal and physical abuse as stressors in the lives of lesbian, gay male and bisexual youths: Associations school problems, running away, substance abuse, prostitution and suicide, Journal of Consulting and Clinical Psychology, 1994, 62-2, 129-141.
    14. Delville J., Mercier M., Sexualité, vie affective et déficience mentale, Bruxelles, De Boeck Université, 1997, 241 p.      
    15. Gabel M., (sous la dir. de), Les enfants victimes d'abus sexuel, Paris, Psychiatrie de l'enfant, PUF, 1992, 282 p.       
    16. Hayez J.-Y.,  La vie sexuelle des enfants, Paris, Odile Jacob,  2004 
    17. Kipman S.D., Rapoport D., La sexualité « oubliée » des enfants, Paris, Stock, Laurence Pernoud, 1993, 214 p.     
    18. Conte J.R., Schuerman J., Factors associated with a increased impact of child sexual abuse, Child abuse § Neglect, 1987, 11, 201-211.
    19. Coulborn Faller K., Why sexual abuse ? An exploration of the intergenerational hypothesis, Child abuse § Neglect, 1989, 13, 543-548.
    20. http://www.websexo.net/- page Elysa.     
  2. Bertrand C., http://www.canoe.qc.ca/artdevivresociété/- page d'avril 03.
  3. Born M., Delville J., Mercier M., Sand E.A., Beeckmans M., Les abus sexuels d'enfants, Liège, Mardaga, 1996, 184 p.
    Detaglia L., Les abus sexuels envers les enfants. Étude de 90 sujets auteurs ou victimes ayant fait l'objet d'une expertise psychologique, Cahiers du Centre de Recherche interdisciplinaires de Vaucresson, 1990, 8, 153-179.
    24. Haesevoets Y.-H., L'enfant en questions, Oxalis, Bruxelles, De Boeck, 2000, 435 p.
    25. Pregno G., Rapport de la Fondation luxembourgeoise Kannerschlass, 2000, www.kannerschlass.lu/pregno1.htm(*)
  4. Yuille J.C., Traduit et révisé par Van Gyseghem H., L'analyse de la validité de la déclaration, Université de Montréal, inédit, 1993.
    Yuille J.C., L'entrevue de l'enfant dans un contexte d'investigation et l'évaluation systématique de sa déclaration - traduit et révisé par Van Gyseghem H., Revue canadienne de psychologie, 1988, 1-20.
    28. Furniss T., The multiprofessional handbook of child sexual abuse, London and New York, Routledge, 355 p.
    29. Cyr M., Wright J., Theriault C., Oxman-Martinez J., Perron A. et Lebeau T., Portrait des victimes d'abus sexuel et de leurs mères, 2003,

http:/primase.qc.ca/rechercheasp?text=51 (**)

  1. Rind B., Bauserman R., Tromovitch P. (... si ce ne sont pas des pseudonymes ! ), Études des conséquences de l'abus sexuel sur enfants, à partir de cas non cliniques, 1998, http://www.pedagora.com/article001.html*. Note du webmaster : si vous avez des difficultés pour accéder à ce site une sauvegarde est accessible 

 

 

  

Chapitre publié dans le livre « les addictions sans drogue », sous la dir. De Jean-Luc Vénissier, éd Elsevier Masson, 2010  

Définitions

jyh jeux video

Un certain nombre de parents comptabilisent avec inquiétude le temps que leur fils ou leur fille passe devant l'écran de l'ordinateur ou celui d'une console de jeu,  parfois depuis un âge très tendre (6-7 ans) Une petite partie de ces parents s'alarme bien trop vite et trop fort, dans un contexte d'angoisse, d'ignorance des vrais risques, de volonté de contrôle ou de résistance au changement des habitudes sociales et récréatives contemporaines : je ne les prendrai pas en considération dans la suite de mon exposé. 

Un rien arbitrairement, choisissons une quantité de temps que nous considérerons comme préoccupante : adolescents rivés à l'écran d'un jeu vidéo ou d'autres applications d'Internet plus de trois heures quotidiennes les jours d'école et plus de cinq à six heures les autres. Et cette routine tenace est couplée à des critères qualitatifs : irritabilité du jeune si on l'invite à parti­ciper à la vie socio familiale, tâches scolaires bâclées, fatigue par manque de sommeil, tricheries ou conflits pour maintenir ses habitudes, etc.

 

Il faut alors distinguer deux pôles où se satellisent ces excès, avec un gra­dient de fréquentation décroissante qui les réunit : 

  • les adolescents grands consommateurs, de loin les plus nombreux, relè­vent d'une consommation abondante simple Ce sont des gourmands, ni plus ni moins : ils le deviennent pour de multiples raisons, mais il n'est pas trop difficile de les en détacher si leur vie externe leur apparaît comme plus attrayante, d'autant plus si se résolvent des problèmes externes ou internes par rapport auxquels la fréquentation des écrans constitue parfois et au moins en partie une compensation. Fondamentalement, ils n'ont jamais perdu le principal de leur liberté de choix : ainsi en voit-on beaucoup désinvestir spontanément, totalement ou très largement, leurs jeux chéris et leurs interminables chipotages et palabres sur Facebook dès qu'ils entrent dans la vie universitaire, dans le monde du travail ou qu'ils nouent un lien profond ; 
  • au pôle opposé, les plus rares, sont les jeunes devenus dépendants, au sens psychiatrique du terme, cyberdépendants ou dépendants aux jeux vidéo. C’est comme pour le cannabis : seuls 4 à 5 % des gourmands sombrent lentement mais sûrement dans une dépendance parfois très profonde, rarement avant seize-dix-sept ans. Quand il y a addiction, le jeune a bel et bien perdu sa liberté intérieure : ce sont l'ordinateur, les jeux et les sensations qu'ils procurent qui  dirigent sa vie (Le Diberder, 1998)
  •  
  • Il existe enfin la passion,  une catégorie qui concerne au plus 1 à 2 % des adolescents, et qui coexiste fréquemment avec la première, c' On ne peut pas vraiment parler de passion à propos du goût effréné pour les jeux vidéo : ici c’est la langue populaire qui utilise ce terme. En revanche, un jeune peut se passionner pour l'infographie, le maniement et la maîtrise des processus informatiques, la confection de sites ou de blogs (passion POUR Internet)

Par ailleurs, Internet peut servir de véhicule privilégié à la réalisation de bien d’autres passions (recherches, collections, etc. : passions PAR Internet) 

A la différence des autres consommateurs excessifs, les passionnés sont plutôt fiers de leur investissement qui leur demande un vrai travail et ils cherchent le plus souvent un partage social des processus et des résultats. Nous n'en dirons pas davantage sur la passion dans le cadre de cet écrit. 

Pour synthétiser le tout, remarquons que dans nos vies, à propos de bien des produits ( alcool, médicaments, travail, sexe, ordinateur ...), nous sommes tous et toujours susceptibles de nous mouvoir sur l'échelle que voici :

Facteurs de mise en place 

 

Ce sont les mêmes d'un pôle à l'autre, mais ils jouent souvent avec une intensité croissante au fur et à mesure que l'on s'approche du plus préoccupant. 

On n'en trouve pourtant pas toujours qui soient très probants : tissu social et famille sans problèmes notables et adolescent « Monsieur tout le monde » Mais voilà, ce jeune citoyen lambda a été pris comme tant et tant d'autres par le jaillissement du plaisir lors d'une activité Internet et il apprend vite et bien à le reproduire, à le diversifier ou à le finasser à la per­fection. Ici, le plaisir recherché est donc gratuit, dans une ambiance hédo­niste. Et par ailleurs, beaucoup d'adolescents, surtout les plus jeunes, sont dans une phase de leur vie où ils ont « normalement » du mal à contrôler leur avidité et leurs impulsions face aux tentations de plaisir et de décharge pulsionnelle. 

Plus souvent cependant, dans le domaine social, nombre de jeunes concernés par la consommation excessive vivent dans des environnements pauvres en pouvoir attractif et en relations de qualité. Par exemple, leur sco­larité est déjà peu gratifiante avant que ne s'installe le cyber-comportement. J'en reparlerai plus loin. 

Sur le plan individuel sont davantage à risque les adolescents qui vivent sur de longues durées des états d'âme douloureux comme le manque de confiance en soi, la timidité, l'angoisse de séparation, des sentiments d'échec ou d'infériorité, etc. D'autres encore ont l'impression, plus ou moins fondée, de ne compter pour personne dans le monde incarné 

Finalement, un facteur ultime et mystérieux fait passer à quelques jeunes la frontière qui sépare la gourmandise encore maîtrisée et l'abandon de soi aux démons du plaisir, gratuit ou compensatoire. Ce « facteur » n'est pas sans paradoxes : il s'agit de la liberté intérieure, qui va s'exprimer une der­nière fois pour envoyer le jeune se noyer dans les multimédias au moment où il décide au moins intuitivement de ne plus décider : « J'abandonne la partie ... Que tous ces plaisirs que je connais envahissent ma vie et me téléguident ... Je me donne à eux ... » 

La  phénoménologie de la vraie dépendance

... cyberdépendance au boulot ...

 En décrivant d'abord la vraie dépendance, on constate, au centre du fonctionnement quotidien du jeune, la présence d'une conduite envahissante, tenace et contraignante de recherche de plaisir, via l'ordinateur ou la console (Matysiak et Valleur, 2003) 

Quand la dépendance s'aggrave, finalement, c'est le processus, le rituel qui est investi davantage que des activités précises et répétées et que leur résultat ponctuel. L'esprit finit par décrocher des contenus successifs de l'écran, en une sorte de rêverie où le jeune ne fait plus qu'un avec sa machine : attitude visant le nirvana, symbiose primitive, quelque chose de cette nature (Tisseron, 2008) 

Le jeune a perdu sa liberté et est incapable d'intégrer sa conduite comme élément raisonnable d'un projet d'ensemble ; il ne sait plus programmer son temps ou, en tout cas, contrôler volontairement une diversité dans sa programmation. Même quand il n'est pas face à un écran, il ne fait qu'y penser ou y rêver. 

Il désinvestit massivement la vie incarnée : scolarité en chute libre ; isolement en famille ; résistance colérique aux tentatives faites par les parents pour réguler sa conduite ; mensonges et tricheries ; irritation si on le dérange ; les copains de toujours sont ignorés s'ils viennent frapper à la porte ; amputations sur l'alimentation, le sommeil, voire les besoins d'excrétion.  

La  phénoménologie de la simple gourmandise

Quand il s'agit de consommation abondante simple, des plaisirs sont éga­lement recherchés via les mêmes activités. Mais ils demeurent plus liés aux contenus précis des activités engagées. Ils ont le statut de plaisirs récréatifs gourmands. La cyber conduite n'est pas le centre du projet de vie du jeune, qui lui consacre moins de temps que le véritable dépendant ; il sait davan­tage « aller et venir » par rapport à elle. 

Le jeune l'oublie s'il a en vue une activité alternative agréable IRL  (2) (sortir avec des copains, jouir de vacances ensoleillées), voire même, des fois, s'il a une tâche scolaire importante et pressante à boucler ! 

De la même manière, si la vie familiale demeure attractive, il y reste partiellement engagé. Il finit aussi par accepter ... à plus de 50 % ... les règles que l’on  met en place pour discipliner l'usage de son temps si elles ne sont pas trop draconiennes. Il existe donc moins de tricheries pour assurer la pérennité de sa consommation ; de là à dire qu'il arrive « pile à l'heure » pour le repas du soir, qu'il ne ment jamais sur l'heure de son coucher ou qu’il ne bâcle aucun devoir ennuyeux au profit de sa cyber activité, c'est une autre histoire ...

N.B. Les descriptions qui précèdent ne se rapportent cependant qu'aux deux extrêmes. Un certain nombre d'adolescents se trouvent « au milieu du gué. » 

Je pense notamment à ceux qu'on laisse trop seuls (papa et maman au boulot et « Tu ne vas pas sur l'ordinateur avant 19 heures, hein ! ») et qui ont avec l'école un rapport aride, fait de disqualifications, d'échecs et de difficultés de compréhension pas toujours avouées. Au début, l'ordinateur constitue pour eux une compensation royale. Mais ils en deviennent vite prisonniers et c'est alors l'histoire de la poule et de l'œuf : l'excès de consommation aggrave les difficultés scolaires et vice versa. 

Assez souvent alors, les réactions des parents ne font que provoquer des résistances rageuses par des disqualifications grincheuses diffuses (« Encore fourré sur ton ordinateur ? Qu'est-ce que ça t'apporte, ces bêtises ? Tu ferais mieux d'étudier, tes résultats sont catastrophiques ... ») Pire encore sont les velléités tout aussi grincheuses de réduire ou de supprimer la consommation, suivies d'affrontements pénibles inconsistants et d'un retour à la case départ, comme l'illustre le cas de Valentin ci-dessous. 

Valentin (dix-sept ans) passe quatre heures chaque soir devant l'ordinateur, principalement absorbé par le jeu multijoueur Couterstrike. Les parents consultent pour ce motif et pour sa scolarité pénible. Ils ont déjà reçu bien des conseils contradictoires pour gérer sa consommation d'Internet. Je découvre petit à petit un adoles­cent plutôt introverti, indépendant, collaborant à l'idée d'une consultation visant à son mieux-être, sans difficultés relationnelles avouées : le samedi et le dimanche, il se détend avec ses copains ( souvent pour faire d'autres jeux de société, il est vrai ) En misant sur l'empathie, en exigeant simplement que les deux parents soient présents aux consultations et en partageant mes propres expériences et mes idées sur Internet et les jeux — pas négatives par principe -, je constate progressivement que le fond du problème n'est pas Internet. Valentin a un itinéraire scolaire des plus compliqués : il fait partie de cette catégorie d'adolescents intéressés par l'idée d'avoir un diplôme, soumis au principe de la fréquentation scolaire, tout en en dénonçant les injustices et absurdités. Il n'est pas vraiment paresseux, mais n'a aucune méthode, ne sait pas comment il doit faire pour retenir certaines matières ni pour répondre aux questions trop « smart » de certains professeurs qui les prennent déjà pour des universitaires. C'est à cette difficulté surtout cognitive que nous nous attelons, dans des entretiens familiaux où nous mettons progressivement au point un accompagnement patient de la pesanteur scolaire de Valentin. Je suis persuadé, ici, de l'authenticité de ses propos : il ne va sur Internet que parce qu'il s'ennuie mortellement et qu'il ne sait pas comment occuper son temps. S'il gagne en efficacité scolaire, sa consommation peut se réduire significativement.

Que recommander aux parents ? 

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  1. Une prévention précoce 

L'essentiel, c'est de s'y prendre de très loin, quand l'enfant est encore petit et qu'il reçoit ses premières consoles de jeu comme cadeau 

Il est important que les parents réfléchissent à des questions fondamentales comme : de quel témoignage de vie sociale l'enfant a-t-il l'occasion de s'imprégner à la maison ? Parents disponibles ou eux-mêmes fatigués et avachis devant une série TV de troisième ordre, un verre à la main ? Quelle place pour la communication verbale fluide, autour de tout et de rien ou de thèmes plus sérieux ? Quels modèles de prise de plaisir ? Existence ou non de projets récréatifs, sportifs, sociaux, etc., individuels, en sous-groupe ou en commun ? La réponse à toutes ces questions devrait inviter à mettre en place une ambiance attractive de qualité pour la vie en famille (autant que pour l'environnement social élargi) 

En corollaire, les parents peuvent prendre de bonnes informations, se  sensibiliser au maniement des écrans, s'y intéresser au moins un peu, participer aux découvertes passionnantes que le jeune peut faire sur Internet ou au plaisir d'un jeu vidéo excitant. Ils peuvent notamment l'aider à décoder les sentiments et idées qui lui passent par la tête en s'y livrant. Cela, plutôt que de rester porteurs d'a priori les poussant à disqualifier tout ce que le jeune trouve sur son ordinateur, en le réduisant aux grands croque-mitaines de la violence déchaînée par les jeux vidéo ou du pédophile prêt à sodomiser les plus ingénus ! 

Dans une telle ambiance positive, il pourrait s'ouvrir des moments de dialogue fondés tant sur des expériences et découvertes ponctuelles faites sur Internet que sur ses enjeux les plus profonds (gratuité ou commerce, libre expression ou persistance d'un contrôle social, risque de dépendance, etc.) (Hayez, 2005) 

Un des thèmes clés de ce dialogue familial concerne le contrôle par chacun des plaisirs qu'il se donne : qualitativement, par exemple, que penser de la pornographie ? Et quantitativement, qui commande : le plaisir dont on devient de plus en plus esclave, ou soi-même ? 

Il est important d'aider l'enfant jeune à acquérir et à maintenir de bonnes habitudes d'organisation et de contrôle de son temps : pour ce faire, il faut à la fois dialoguer, veiller à l'attractivité de la vie sociale incarnée et l'encourager à s'y investir, mais aussi réguler les nombreuses fois où cela ne suffit pas. 

Existe-t-il des règles incontestables ? À chaque famille de discuter et de décider la part qu'elle fait aux cyber distractions et à d'autres activités de la vie incarnée. Au minimum, la fréquentation de l'ordinateur ne devrait pas mordre sur la scolarité, ni sur la quantité — variable — de sommeil néces­saire à chaque enfant, ni sur sa participation à quelques rites familiaux (par exemple, repas, certaines tâches matérielles)

 2.Réguler la consommation

 

Et si, faute de cette vigilance précoce ou malgré tout, il s'est installé une consommation « abondante simple » dont les parents veulent réduire l'ampleur ? Supposons en outre que, comme pour la poule et l'œuf, on puisse raisonnablement la relier à un problème de vie interne ou externe qui pèse sur le jeune. 

Alors, il faut s'investir simultanément et énergiquement sur deux fronts, sans trop chercher à les lier l'un à l'autre, dans ce qui serait une perspective simpliste de causalité linéaire [3]

Remédier le mieux possible aux problèmes de vie repérés (Matysiak, 2002) 

Je n'en dirai pas davantage ici, car les projets à mener ne sont pas vraiment spécifiques. Je me limiterai à signaler qu'il ne doit pas s'agir de la énième tentative, vite essoufflée et suivie de son contraire ( menaces, punitions vite levées et démission ), mais d'une entreprise de longue haleine qui requiert cohérence et coopération des adultes. 

Mettre en place un cadre consistant pour l'utilisation du temps 

Dans un tel contexte, il est rare que l'on obtienne d'emblée une collabora­tion significative de l'adolescent. Cela vaut néanmoins la peine de parler avec lui et de s'expliquer sur le bien-fondé du projet (lui éviter la perte de sa liberté, lui procurer du temps libre pour autre chose) Et de le faire sans s'énerver, sans mendier ni se laisser impressionner par ses grondements ou ses menaces suppliantes, sans parlementer à l'infini, en mettant un terme raisonnable à l'échange d'arguments. 

A l'intérieur de cette conversation, on doit reconnaître qu'un usage modéré et contrôlé de l'ordinateur peut être enrichissant ou, à tout le moins, plaisant. On doit encore éviter d'y évoquer des liens causalistes lourds du type : « C'est pour que tu travailles mieux à l'école » ; il ne le fera certainement pas sur commande. 

On se retrouve donc souvent dos au mur, avec la nécessité d'imposer une règle quant au temps d'utilisation. Il faut y croire : si l'on y met de l'énergie et de la persistance, il y a beaucoup de chances qu'elle finisse par s'imposer et peut-être, un jour, qu'elle soit acceptée de l'intérieur par l'adolescent [4]

Mais le projet n'a de chances d'aboutir que si existent coopération et vigi­lance durables entre adultes. Un logiciel de contrôle du temps peut donner un coup de main mais ne remplace pas une présence humaine engagée. Qui dit règles, dit également surveillance significative de leur observance, sanc­tions et réévaluations. Il faut donc qu'il existe de vraies sanctions, positives et négatives, et qu'elles soient mises en œuvre. 

Toutefois, il ne s'agit pas de se montrer persécuteur et sadique. Mieux vaut — de loin ! — que l'adolescent garde un droit solide, stable et non contestable, à une utilisation raisonnable de son ordinateur (par exemple, 1 heure 30 les jours d'école et 2 à 3 heures les autres jours, pour peu qu'il le souhaite) 

Un droit solide ? La suppression de l'ordinateur ne peut-elle donc jamais fonctionner comme incitant intéressant ? C'est une perspective que je ne trouve guère productive ! Elle fait même pis que bien si elle survient dans un contexte de menaces parce que l'adolescent ne résoudrait pas ses autres pro­blèmes (par exemple, parce que son travail scolaire ne s'améliorerait pas) L'inverse n'est pas vrai : un supplément d'ordinateur peut venir sanctionner positivement la réalisation d'un bon travail, mais comme une bonne sur­prise occasionnelle après coup, pas comme la carotte au bout du bâton (cela est illustré par le cas de Thomas ci-après) 

Vivant en foyer monoparental et peu autoritaire par nature, un père met en internat scolaire Thomas, son fils de treize ans quasi accro au jeu vidéo World of Warcraft parce qu'il finit par reconnaître n'avoir aucun autre moyen de contrôle réaliste dessus. Le week-end, il instaure la règle « quatre heures d'ordinateur maximum par jour » et, avec beaucoup de soutien de ma part, il lui faut passer par des affrontements et grondements des plus houleux pour la faire respecter, d'abord via des mois de contrôle externe éprouvant, avant que l'adolescent n'accepte de l'intérieur l'inéluctabilité de cette disposition d'autorité parentale et un mode de vie plus équilibré. Sur mon conseil, le père n'a cependant jamais exercé de « chan­tage à l'ordinateur » (menace de réduction du temps le week-end ... si par exemple les résultats scolaires s'étaient avérés mauvais) Il a géré la question scolaire par du dialogue, du soutien et parfois des sanctions positives et négatives, mais qui ne touchaient pas au droit à utiliser l'ordinateur de façon stable. Il a évité de la sorte la montée d'un sentiment de persécution face à ce qui aurait été vécu comme pur arbitraire des adultes.

 

La suppression de l'ordinateur pour des durées à la fois significatives et non sadiques peut néanmoins être envisagée dans deux types de circonstances ­et pour peu que l'on ait un contrôle effectif dessus : 

- si l’adolescent triche effrontément et durablement avec les règles qui lui sont imposées ; 

- à titre de punition, s'il a commis une faute grave non spécifique qui n’a rien à voir avec les problèmes de base pour lesquels l'ordinateur a été une compensation jusqu'à présent (par exemple un vol, une transgression inacceptable) (Hayez, 2004) 

Et s’il semble ne pas exister de problèmes externes ou internes qui ont précipité la gourmandise du jeune ? Le cadre temporel fort qui vient d'être évoqué garde tout son sens. Et si le jeune s'ennuie aux moments où il n'est pas face à ses écrans favoris ? Et s'il essaie d'abord de le faire payer par une bonne dose de mauvaise humeur protestataire ? Aux parents de faire preuve de patience, de ténacité et d'inventivité. C'est en bonne partie tout seul que le jeune doit résoudre les problèmes d'occupation de son temps. En partie aussi, mine de rien, sans lourdeur ni prosélytisme, il peut être (ré) invité à participer à des activités socio familiales, non pas « pour son bien », mais parce qu'elles peuvent procurer à tous leurs utilisateurs du plaisir, un sentiment de réussite ou d'utilité sociale. 

Les vrais dépendants 

Ces derniers relèvent d'approches spécialisées dont le contenu et les méthodes constituent le cœur même de cet ouvrage. 
Rien ne se passera vraiment avant qu'une partie majoritaire d'eux-mêmes – la plus vivante, la plus lucide – admette qu'il y a problème et que c'est dans leurs motivations et leur courage à venir que se trouve le principal de la solution.
Pour obtenir et surtout maintenir cette adhésion de l'intérieur, il faudra surtout les réhabituer à faire appel à l'introspection et à la pensée personnelle, plutôt qu'à s'étourdir dans des actions sans fin sur Internet ( Véléa, 2000 ) . Dialoguer, échanger des idées sur les projets de vie, sans faire pression sur leur liberté de choix. Les mettre en présence d'autres types d'investissements susceptibles d'être plaisants. Soulager leurs éventuels problèmes.
Il y aura besoin aussi de l'engagement de leur famille à leurs côtés, pour veiller sur eux, les soutenir et se rendre attractive. Dans certains cas, des mesures très énergiques sont indispensables : nous connaissons l'une ou l'autre famille où tous les ordinateurs de la maison ont été supprimés, à l'instar des bouteilles d'alcool chez les alcooliques.

Ailleurs, on a encore pu admettre une certaine fréquentation de l'ordinateur, dans une mesure que le jeune vivait déjà comme une victoire sur l'esclavage du plaisir ; mais pas question de faire exactement les mêmes choses qu'avant -  « The world of Warcraft », pour lui, c'est bien fini ! – ni non plus de rester tout seul, bien perdu dans sa chambre : ce que nous voulons dire, en tout cas, c'est qu'il est très rarement possible d'amener le jeune à s'en sortir tout seul, sans engagement solidaire conséquent de son entourage.

En Europe francophone, nous n'avons certainement pas assez de thérapeutes qui se sont formés à la prise en charge de ces problématiques. Nous restons par ailleurs très perplexes devant certaines pratiques Nord-américaines qui soignent l'Internet addiction disorder via des thérapies on-line. De l'homéopathie made in USA, en quelque sorte.

Notes

2. Pour simplifier, je parlerai indifféremment du rapport à Internet ou au Net ou à l'ordinateur pour désigner tous les comportements dirigés vers les applications d'Internet stricto sensu, les jeux vidéo en dehors d'Internet et l'ordinateur en général.

3. Et c'est bien plus souvent à l'âge adulte, chez les isolés ou ceux qui se sentent seuls que s'installent les solides dépendances ( aux sites de rencontres plus ou moins coquins, au sexe, au jeu de casino, aux achats en ligne ... )

4. Toutefois, ce critère « temps » est un indicateur à manier avec prudence. Certaines vraies dépendances, par exemple à telle ou telle pratique sexuelle, ne demandent pas toujours beaucoup de temps ... mais elles sont très répétitives et privilégiées dans le psychisme du jeune.

5. Il n'est d'ailleurs pas toujours indispensable d'associer verbalement, explicitement et lourdement le jeune au projet ( « On va mettre tout le paquet pour bien t'aider » ) Formulées ainsi, les intentions préalables des adultes risquent trop de susciter sa méfiance ( « Bah, c'est quand-même pour me prendre mon plaisir » )

6. C'est le cas pour la grande majorité des adolescents « normaux » Je ne parlerai pas ici des adolescents très perturbés, caractériels, borderline ou psychopathiques, qui fonctionnent dans l'ensemble de leur vie sur le mode de la toute-puissance ; Adolescents-rois, que l'on n'aurait jamais dû laisser aller jusqu'où ils sont arrivés ; Chez eux, la toute-puissance face à l'ordinateur n'est qu'un symptôme parmi bien d'autres ( Hayez, 2007 )

Références 

Hayez, J.-Y. (2004). La sexualité des enfants. Paris : Odile Jacob.

Hayez, J.-Y. (2005). Les jeunes, Internet et la société civile. Acta Psychiatrica Belgica, 53, 14-19.

Hayez, J.-Y. (2007). La destructivité chez l'enfant et chez l'adolescent. Paris : Dunod.

Le Diberder, A., & Le Diberder, F. (1998). L'univers des jeux vidéo. Paris : La Découverte.

Matysiak, J.-C. (2002). Tu ne seras pas accro, mon fils. Paris : Albin Michel.

Matysiak, J.-C., & Valleur, M. (2003). Sexe, passion et jeux vidéo. Paris : Flammarion.

Tisseron, S. (2008). Virtuel, mon amour. Paris : Albin Michel.

 

 

 

 Une première version de ce texte a été publiée, p. 181-196 dans l'ouvrage collectif Souffrances familiales et résilience, sous la dir. de Roland Coutanceau et Rachid Bennegadi, Paris, Dunod, 2014.

 

 "T’as vu tes points ? Plus d’ordinateur pendant deux mois ! »

 

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  1. Introduction

 

Dans cet article, je parle des adolescents « demi-bagnards du système scolaire », celles et ceux qui acceptent en règle générale de rester assis sur les bancs de leur classe, mais avec la tête ailleurs, le travail et le rendement systématiquement défaillants et cela, dans une ambiance permanente de disqualification pesante. 

Je ne traite donc pas des décrochages scolaires les plus graves : ici, l’adolescent ne met plus les pieds à l’école ; il glande en rue. Ou encore, il multiplie les absences injustifiées et les comportements difficiles à supporter, est rapidement exclu et passe d’une école à l’autre. Ces situations très lourdes sont prises en charge par des institutions ambulatoires spécialisées et leur méthodologie dépasse le cadre de cet article. 

Je ne traite pas non plus de cette minorité de jeunes hauts en couleur dont les éclats de la symptomatologie nous fascinent trop, comme s’ils représentaient à eux seuls le grand peuple des adolescents :  depuis les anorexiques   et lourds dépressifs jusqu’ aux carrément antisociaux …

Dans une typologie inédite consacrée aux adolescents contemporains[2], j’ai estimé et décrit que la majorité des ados pouvaient être considérés comme « normaux » [3] Pour beaucoup,  normalité  créative, originale et caractérisée par « l’auto-référencement » et pour le restant,  normalité plus conformiste, sereine ou ambivalente : à elles deux, ces dimensions caractérisent probablement 75 à 80 % des ados, avec des hauts et des bas.

 Ce sont ces « normaux » que je vais décrire, lorsqu’ils se heurtent stérilement à un problème scolaire qui empoisonne leur vie et leurs relations familiales. En effet, « normalité » n’est pas image d’Epinal, et nombre de ces jeunes peuvent présenter des difficultés scolaires significatives et durables. 

Cette centration ne signifie pas que je récuse l’existence de relations entre dysfonctionnements à l’école et psychopathologie. L’enchaînement trouble psychopathologique --> problèmes scolaires --> complications psychopathologiques est certes susceptible d’exister, soit dans l’une de ses deux séquences, soit dans les deux.

Néanmoins, mon expérience de terrain me porte à croire que ces adolescents à la personnalité problématique bénéficient eux aussi du type de prise en charge que je vais décrire à propos des « normaux » Bien sûr, en référence à la psychopathologie liée, il faut y ajouter un autre axe, centré sur des soins spécifiques de qualité, dont je ne parlerai pas ici.

 Comment famille et ado « normaux » s’empoisonnent trop souvent la vie autour de l’école 

Dans un contexte de difficultés scolaires persistantes, toutes les familles ne s’enlisent pas. Une minorité met au point des stratégies  d’accompagnement efficaces. Elles facilitent ainsi un degré d’ «academic achievment » répondant aux capacités réelles de l’ado et obtenu grâce au maintien de ses  motivations positives. Dans ces cas, l’école aussi a souvent pu rester intelligemment accueillante.
Hélas, quand l’aridité scolaire s’installe, ces familles qui gardent espoir et continuent à positiver sont minoritaires. Le grand nombre s’enlise dans le sentiment d’échec, les tensions agressives et l’inefficacité. Comment en arrivent-elles là ?

 Côté ados :

 

Chez certains, les problèmes commencent dès l’école primaire. Tel jeune enfant est encore très « jouette » et ressent l’imposition de la discipline et du travail scolaire comme des menaces à son intégrité : si l’on exige de lui qu’il travaille à la maison, le voici extraordinairement dispersé, bon pour la Ritaline. Tel autre est moins doué que ne le rêvent ses parents, la maturation de ses fonctions cognitives est plus lente ou plus dysharmonique et il est porteur d’un problème spécifique d’apprentissage : il ne comprend pas tout ce qu’on lui enseigne, mais n’ose pas le dire pour ne pas paraître plus bête que les autres ou/et parce que l’on s’énerve vite quand il peine. Un autre encore est trop nerveux ou a trop de soucis et ne parvient pas à se concentrer. Un quatrième souffre d’une certaine fragilité narcissique et n’admet pas l’idée de ne pas tout savoir tout de suite : il se renfrogne et se bouche devant l’effort à produire,  qu’il vit comme une indignité …

Malheureusement, seule une minorité de ces enfants transitoirement en délicatesse avec l’apprentissage rencontre sur son chemin scolaire des adultes compréhensifs et efficaces. Beaucoup ont très vite à faire à des attitudes négatives, les mêmes que celles que je décrirai par la suite. Ils ont alors toutes chances d’arriver en fin de cycle primaire avec un handicap fonctionnel multi déterminé : lacunes dans les bases de connaissances qui devraient être acquises, altération de l’image de soi, manque de plaisir à travailler, sentiment d’injustice et méfiance vis à vis des supposés transmetteurs de savoir … 

Pour d’autres, c’est avec l’entrée à l’école secondaire, souvent couplée à l’avènement de la puberté, de ses remous et de l’indisponibilité qui s’ensuit, que commencent les difficultés d’apprentissage et les mauvais résultats répétés. Pour des motifs en partie semblables et en partie différents de ceux des plus jeunes : lenteurs, dysharmonies ou faiblesses cognitives diffuses ou sectorisées, non déclarées comme telles, pour ne pas se taper la honte face aux copains, ni le mépris ou l’agacement des profs, pas toujours à l’écoute ;; au contraire, enfants très bien doués, qui n’ont jamais du travailler à l’école primaire, et ne parviennent pas à trouver la méthode et l’intensité, le courage maintenant nécessaires ; refus transitoire de quitter les rives de l’enfance, avec des fixations affectives et cognitives ; envahissement de la psyché par des soucis parfois très secrets ou par les images des écrans contemporains et diminution de la concentration ; rébellion contre les règles incluses dans exigences de l’apprentissage, rébellion de principe plus typique des garçons que des filles ; exacerbation de la rébellion lorsque les profs sont eux-mêmes irrespectueux, sans enthousiasme et parfois même détestant l’ado ici concerné ; puis, boule de neige du ras-le-bol plus ou moins avoué devant les mauvais résultats qui s’accumulent et  devant l’aridité des tâches scolaires à effectuer. 

Côté école :

Malheureusement, force est de constater que « l’offre » faite par l’école ne convient suffisamment bien qu’à une petite partie des élèves, les meilleurs et les bons, capables de progresser intellectuellement même dans des contextes peu adaptés à leur psychologie du moment. 

Que me pardonnent maintenant cette minorité d’écoles et d’enseignants qui font preuve d’engagement et de créativité pour respecter la personnalité et les capacités de chaque élève, s’adapter à ses besoins, et lui faire donner le meilleur dans une ambiance stimulante.

Ils existent, bien sûr, mais après tant d’années passées à me coltiner avec ces situations de souffrance à l’école, je dois confirmer leur statut de minorité : Rigidité, bureaucratie, inadaptation des programmes aux besoins futurs des jeunes et à leurs capacités d’aujourd’hui, ambiance répressive et disqualifiante sont plus souvent au rendez-vous : de quoi amplifier en résonance négative le stress, la démotivation, le sentiment d’injustice et la rébellion chez beaucoup de jeunes.

Et les parents ?

Et les attitudes de la majorité des parents entretiennent voire aggravent le dysfonctionnement scolaire de l’ado. 

-- Pour la majorité de cette majorité, les premiers mauvais résultats provoquent vite un mélange irrationnel d’angoisse, de déception voire de honte et de colère. Angoisse à imaginer le jeune errer dans la vie sans métier valable, voire mal tourner si jamais il décrochait de l’école pour la rue.

Honte, blessure narcissique, parce que ces parents adhèrent à l’adage « Bon enfant = bon élève » : si ça marche mal à l’école c’est donc qu’ils ont raté leur coup, que leur enfant n’est pas aussi valable que celui de leur belle-sœur …

Colère, parce qu’ils ressentent vite les lourdeurs scolaires du jeune comme des actes de paresse ou de mauvaise volonté[4]

Mus par ces vécus pénibles, ils génèrent une ambiance délétère, susceptible d’envahir toute la vie familiale ! Fleurissent donc entre le jeune et eux : Reproches, disqualifications, insultes, comparaisons blessantes («Heureuse- ment qu’avec ta sœur, c’est pas comme ça ! »), alternances non raisonnées (« On te surveille de près et d’ailleurs tu vas revenir travailler en bas » suivi de « C’est ta responsabilité. On va te faire confiance. Organise-toi. Viens seulement nous trouver si tu as besoin d’aide ») Pleuvent aussi menaces et punitions de durée souvent chaotique (« Plus d’ordinateur et autres écrans … plus de sorties … plus de moto ») En résumé, escalade d’un bras de fer …

 -- Composante inverse et plus minoritaire de la dysfonctionnalité des parents, c’est l’indisponibilité, le manque d’investissement par eux du domaine scolaire, que le jeune peut vivre comme indifférence, et qui objectivement en est parfois une. 

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 La grande solitude morale : Antoine Doinel, héros du film Les quatre cent coups (F.Truffaut, 1959)

 

    - Indifférence ou indisponibilité globale et partagée par les deux parents. Laissé à lui-même, ni vraiment stimulé, ni vraiment critiqué, le jeune a beaucoup de mal à donner le meilleur dans le champ cognitif : peu cultivé, peu scolarisé, il occupe sa vie comme il peut, souvent en glandant, voire pire.

Rare direz-vous ? Bah … à voir, et pas seulement dans les milieux défavorisés ! Certains parents très matérialistes n’ont aucune vraie sollicitude à accorder à leur jeune, en se gênant pour lui à l’occasion. 

   - Beaucoup plus fréquente, une inefficacité impressionnante  peut résulter de certaines séparations parentales et recompositions familiales. Par exemple, les fortes tensions rémanentes entre ex-conjoints empêchent leur collaboration et une programmation cohérente de la prise en charge scolaire. Ou encore, un des parents a refait sa vie, a de nouveaux enfants jeunes de son second lit et ne demande plus à être encombré par les difficultés scolaires de ceux, souvent adolescents, du premier. Le second parent, lui, n’ose pas se montrer trop ferme, peur que le jeune ne demande à aller vivre chez le premier, qui « lui f. la paix » Résultante : mise à distance des efforts d’accompagnement qu’il faudrait vraiment produire, manque de présence ferme bilatérale, avec en prime quelques coups de gueule, moins lourds et persistants que ce que j’en ai exposé plus haut.

Actions et réactions !

Et les réactions du jeune à ces tempêtes ou démissions des adultes ? En voici les principales, en gardant à l’esprit l’idée de la poule et de l’œuf : actions et  réactions en résonance négative, dont il est souvent difficile de désigner le primum movens ! 

- Le jeune a l’impression que ses tâches scolaires constituent une haute muraille verticale, lisse et froide : il n’a aucun plaisir à se représenter la gravissant, ni à commencer à le faire ; il est démotivé, ne  sachant plus « mordre » dans la matière : il la fuit totalement ou est tout au plus velléitaire, avec d’éventuels sursauts d’énergie espacés : à la veille des grands interros ou des examens par exemple, mais en s’y prenant trop tard ! 

- Même vécu lors des cours : son attention y décroche souvent et il s’occupe comme il peut avec ses potes, son GSM, quelques images porno à regarder à la sauvette, et les vagabondages de son imagination, qui le ramènent à Facebook et à GTA5. 

- Stratégies d’économie maximale de pénibilité et d’énergie, de dissimulation ou de « triche » pour s’éviter le travail ou les ennuis : notes non montrées aux parents, mensonges,  devoirs copiés sur les autres, copions, oublis multiples de matériel scolaire, etc. 

Toutes ces fuites aggravent en boule de neige les lacunes d’acquis nécessaires pour comprendre les cours à venir … 

- Récupérations narcissiques : A l’intérieur de l’école, il peut vouloir briller auprès de ses pairs en faisant le clown, en affrontant les profs ou par sa capacité à « guindailler » En dehors, il investit ce qui va lui permettre de briller. Encore heureux si ce sont des éléments de la vie sociale ou sportive ; plus souvent ce sont les écrans ou des exploits pires, en rue ou en soirée ! 

- Protestations agressives plus ou moins avouées. Face à l’injustice ressentie, il peut encore accroître son inertie et son désinvestissement de l’apprentissage, porteurs alors d’une dimension d’agressivité. Et sa mauvaise humeur peut encore s’exprimer plus clairement,  faire tâche d’huile et empoisonner d’autres secteurs de la vie quotidienne. 

                                                                                                          

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- Evasions et compensations. Pour se redonner du plaisir, voilà encore une raison d’investir massivement les mondes virtuels et autres réseaux sociaux. Echapper au sentiment d’échec et à la mauvaise image de soi peut prédisposer aussi à d’autres consommations abondantes, jusqu’à l’addiction : tabac, alcool et autres drogues. 

 

Tous les ados enlisés dans leurs difficultés scolaires ne développent pas  la panoplie entière d’ajustements que je viens d’exposer. C’est souvent plus frustre et incomplet. Mais ces mauvaises stratégies ne font qu’aggraver les choses en rendant de plus en plus difficile les apprentissages et en amplifiant la colère des adultes et l’escalade des bras de fer. 

 Renouveler les relations adultes-jeunes autour  de la scolarité;  Généralités

 A l’inverse de ce qui vient d’être décrit des relations adultes-jeunes, centrées sur la bienveillance sont en mesure d’amener d’excellents résultats, toutes proportions réalistes gardées : même renouvelées de la sorte, il est rarissime qu’un jeune ayant accumulé des années de lacunes devienne chercheur en mathématiques dans une université prestigieuse ; néanmoins, il a toutes chances de terminer ses études secondaires, en redoublant éventuellement l’une ou l’autre année, et ceci dans une filière générale ou professionnelle. Et même parfois d’aller un peu plus loin, dans une filière d’enseignement supérieur court et pas trop ardue. Et surtout, surtout, le temps de son adolescence n’est plus gâché par la pression des mauvaises relations familiales qui positionnent indéfiniment lui comme un âne têtu et ses parents comme des maîtres impuissants !

 Toutes les familles que j’ai essayé de sensibiliser aux effets positifs de la bienveillance n’ont pas réussi à rompre la chaîne transgénérationnelle stérile où, depuis tellement longtemps, chaque génération gère les problèmes scolaires de sa descendance à coup de bâton. Ah, si Charlemagne avait su !

Avec les parents, il faut souvent un travail psychothérapeutique, à tout le moins de soutien,  pour gérer les angoisses et autres émotions négatives et les fausses croyances  à propos de ce qu’il convient de dire et faire. Et il faut y mettre beaucoup d’enthousiasme et de conviction : génogrammes et autres évocations du passé scolaire des parents rendent ici bien des services ! 

Ce travail psychothérapeutique s’adresse parallèlement à l’adolescent même s’il est « normal » car lui aussi doit se convaincre qu’il vaut quelque chose sur les marchés du savoir et de la vie et que sa famille – au moins elle – va lui redonner sa chance de façon durable. Il a entendu trop de fois,: « Allez, maintenant, on te refait confiance. » Et quinze jours après, c’était fini, le bâton était de retour !

Et à ces séances monogénérationnelles, on peut encore ajouter celles parents-jeune ensemble, où les priorités et consignes s’énoncent face à tout le monde sans être facilement déformables !

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Dans ma pratique, j’ai amené 30 à 40 % des familles qui me consultaient pour ce genre de problématiques à renouveler leurs attitudes. Pas nécessairement complètement, mais au moins « suffisamment bien » significativement. Et alors, il en sortait toujours de l’amélioration.

 Quant au travail avec l’école, ce n’est pas simple ! 

- Idéalement, nous voulons unanimement remanier considérablement   l’institution scolaire pour qu’elle fasse une offre d’enrichissement du savoir personnalisée, respectueuse de chaque ado, stimulante, en proposant des contenus vraiment intéressants pour la réflexion du jeune sujet humain et son avenir. Mettons donc toute notre énergie à opérationnaliser ce très noble objectif ! 

- Et quid de chaque école en particulier ? Les réalités du terrain y sont très variables.

Nombre d’écoles restent des citadelles rigides et la culture d’enseignement transmise de génération en génération demeure marquée par le rendement, les bons points, une transmission passive maître-élève, la sélection positive de facto des élèves au moins moyennement bons, et plutôt conformistes et la disqualification de tous les autres ; ici, les rôles sont immuablement distribués et il est inutile de nous y casser les ongles.

Dans d’autres, il existe des ouvertures, c’est à dire des adultes prêts à se mobiliser pour considérer autrement tel jeune en difficulté : alors leur collaboration avec les parents,  le jeune en voie de remotivation et les autres professionnels concernés  peut s’avérer extrêmement fructueuse. A explorer donc au cas par cas ! 

 . Deux préalables

 Veiller à la coopération et à la cohérence des adultes qui accompagnent.

 

C’est une condition quasi-nécessaire pour la réussite de l’ensemble du processus éducatif, et en particulier pour exercer un soutien efficace de la scolarité. 

- Je pense par exemple aux négociations et accords qui devraient s’instaurer lorsque les parents sont séparés. Si l’un reste grincheux ou indifférent alors que l’autre s’engage dans les processus ici décrits, l’efficacité résultante risque d’être nulle : l’ado restera davantage meurtri par le pôle négatif ou séduit par le parent qui n’a pas d’exigences. Soit dit en passant, les rivalités et affrontements entre adultes séparés étant fréquents, c’est ici que mes tentatives de remédiation ont connu leurs échecs les plus cuisants. 

- Tant mieux par ailleurs si nous pouvons associer quelques membres de l’équipe de l’école à ce changement de cap : je l’ai dit plus haut. Cependant, même si elle n’obtient aucune collaboration de l’école, une famille qui, à elle seule, a profondément changé de cap peut quand même obtenir des résultats : certes, dans ces conditions, l’école reste plus ou moins et à raison positionnée comme « mauvais objet », mais la famille peut amener l’adolescent  à décaler au moins partiellement son travail d’apprentissage, fait pour lui, de l’opinion négative et des rites rigides de son école.

 Exercer une « force » éducative de qualité.

 

... troubles scolaires ...

Cette fonction paternelle, opérant dès l’enfance, garantit notamment une répartition satisfaisante des investissements de vie réalisés par l’adolescent. Cap qui demande souvent de l’ énergie pour être tenu. En effet,  quand le rapport à l’école s’avère négatif, la tentation est grande de s’évader dans toutes sortes de plaisirs compensatoires, dont l’ado devient  vite esclave ; il fait le gros dos au moment où il reçoit des coups de bâton, triche pour en écoper d’un minimum, puis part s’éclater dans les plaisirs qu’il s’est choisi : jeux vidéo, alcool, cannabis and co, fêtes avec les potes, vie sentimentale et sexuelle abondante … Quoiqu’en désaccord, certains parents démissionnent de facto face à l’envahissement de ces prises de plaisir. Si c’est le cas,  il ne faut espérer aucun redressement scolaire chez l’adolescent devenu  à la fois maître et esclave du jeu.

Dès la naissance, les parents ont la responsabilité de se poser en éducateurs … éducateurs, entre autres, du chaos du principe du plaisir. Leurs cadrages et leurs « Non », même s’ils soulèvent parfois des tempêtes de protestations doivent s’opposer clairement au laisser-aller excessif.

Mettre en place une organisation du temps qui soit équilibrée peut se réfléchir et partiellement se négocier ensemble, parents et ado, mais le respect de ce qui a été convenu demande sauvent quelques interventions autoritaires. Il s’en suivra sans doute quelques tromperies et imperfections, mais il revient aux parents de garder un contrôle suffisamment bon sur la gestion du temps de l’ado.

Organisation du temps équilibrée ? Bon dosage  entre : moments suffisants de sommeil, moments de travail intellectuel, sublimations au sens psychanalytique du terme ( sports, arts, musique, etc. ), vie sociale formalisée ( mouvements de jeunesse ) ou informelle ( mais suffisamment réelle pour qu’il y ait aération en journée ), amour et amitié et  accès aux plaisirs de la vie, mais bien pilotés par la volonté du jeune. 

. Remobilisation des attitudes : A quoi inviter parents et enseignants ?

 

 Se défocaliser de l’obsession du scolaire

(pour tous les parents qui ne pensent qu’à ça) Se souvenir que la fonction d’élève n’occupe qu’une partie de  la vie de l’adolescent, partie ici très pesante … pour lui d’ abord.

Les adultes gagnent à relativiser le champ de  leurs préoccupations, à se représenter la vie de leur ado dans son ensemble, et à interagir avec lui en s’intéressant à tous les chapitres de celle-ci : Qu’est-ce qui l’intéresse ? Quels talents se reconnaît-il et où et comment souhaite-t-il les investir ? Qu’est-ce qu’il aime et qu’est-ce qu’il déteste ? Quelles qualités (et quels défauts) se reconnaît-il ? Et lui reconnaît-on ? Que pense-t-il pour le moment du fonctionnement familial ? Et de ses relations sociales ? Et de ceci et de cela ? Etc. 

En résumé, il importe que le jeune reçoive de ses parents et de son entourage mille preuves verbales et comportementales qu’ils lui reconnaissent de l’importance et qu’il est digne d’intérêt dans son ensemble. Sans nier non plus qu’existe le chapitre scolaire. Cet intérêt plus large peut l’aider à retrouver davantage d’estime de soi, de motivation pour développer certaines ressources, et peut l’encourager mine de rien à « baisser sa garde » quand on se centre aussi sur le scolaire, avec les nuances que je proposerai bientôt.

 Une base incontournable : l’empathie face au vécu scolaire du jeune;

la lui exprimer judicieusement, en en évitant les pièges.

- Vécu d’empathie ? Nous efforcer de nous mettre à la place du jeune « Comment vit-il intimement cette scolarité si difficile ? »…l’interroger avec bienveillance à ce propos et spéculer quelque peu ; ré esquisser l’histoire vécue par lui de tant d’échecs, d’embûches,  de maladresses et d’injustices qui ont tissé et tissent encore son parcours scolaire. En évoquant aussi les quelques bons moments où ça a bien marché, et en cherchant à comprendre pourquoi.

Nous demander comment nous-mêmes nous aurions vécu la scolarité, si nous avions rencontré toutes les expériences négatives faites par le jeune.

A méditer de la sorte, voici que l’image de l’âne malveillant vole en éclats et est remplacée par d’autres, plus tristes, comme par exemple celle de Sisyphe poussant sans fin son lourd rocher … 

- Exprimer cette empathie au jeune ? Sans doute une fois en une synthèse plutôt solennelle, pour lui expliquer notre remise en question et les changements de cap réalistes et interactifs (avec lui) que nous nous proposons. Et puis, dans la suite, renouveler cette expression par petites touches, à l’occasion  de nouvelles expériences. 

- Quant aux pièges, il en existe de plusieurs ordres :

o Vivre cette démarche d’empathie manifestée comme une recette, qui va faire changer l’ado vite et bien. Eh non ! Au début, il est fréquent qu’il se sente méfiant et sceptique face à une énonciation qu’il ressent comme notre nième ruse-carotte. Par la suite, il peut se convaincre petit à petit de notre sincérité, au moins si notre comportement s’accorde à nos paroles nouvelles : alors il se sent mieux compris, mais ce n’est pas pour autant qu’il trouve facilement des stratégies pour mieux fonctionner. D’autant que, dans nombre de cas, l’école en tant qu’institution, elle, ne change pas : tout au plus avons–nous pu convaincre quelques individualités de participer à cette empathie. 

o Confondre empathie et pure victimisation de l’ado. Certes, il a eu et aura encore à traverser des contextes défavorables, qui l’ont blessé et aigri. Mais pour autant nous ne lui avons pas confisqué sa liberté, et lui a mis au point des réactions inefficaces ou aggravantes. Qu’il l’admette. Nous en aurions probablement fait autant à sa place, mais le fonctionnement qu’il s’est choisi comme étant le moins insupportable le met en partie dedans, il en est responsable et mieux vaudrait donc que lui aussi se mobilise.

 Instaurer un dialogue non-conflictuel autour de la scolarité.

 

- Nous enquérir de ce que l’ado en pense. Accueillir sa parole sans le réflexe immédiat de la contester : l’encourager plutôt à déployer ses représentations mentales, quelles qu’elles soient, sans jugement négatif ;  l’aider à comprendre les enchaînements actions-réactions qui se mettent en place : ils sont toujours à pôles multiples, en réseau où lui, parents et école  sonartie prenante ! 

- Nous enquérir des petites et grandes solutions qu’il entrevoit peut-être aux problèmes du moment, tant ceux d’apprentissage que ses comportements à l’école. Eviter le réflexe de rejeter tout de suite ce qu’il propose comme si c’était irréaliste ou irresponsable. Procéder à une critique nuancée. Réfléchir avec lui à comment opérationnaliser l’une ou l’autre de ses idées. 

- Nous engager, nous : dire ce que nous ressentons intimement, sans jouer le rôle du bon éducateur-ancien combattant ; évoquer notre propre expérience scolaire, qui a souvent connu sa part de déboires  ; émettre des suggestions personnelles, susceptibles d’améliorer la situation et y faire réfléchir l’ado. 

Il existe également des pièges liés au dialogue. En voici les principaux : 

o Nous décourager ou nous fâcher parce que l’ado ne mord pas tout de suite à cette offre de dialogue  (et met parfois très longtemps à le faire) ; il peut rester mutique, découragé, méfiant. Mieux vaut alors tenir bon, continuer à lui montrer que nous nous intéressons à ce qu’il vit et pense et  à lui faire l’une ou l’autre proposition réaliste. S’il n’y répond rien, nous pouvons nous sentir autorisés à les mettre en œuvre à l’essai. « Face à ton indécision, on va faire l’expérience de te donner un prof particulier de maths. On verra après deux mois ce que ça donne. » 

o Passer subtilement du mode « Bienveillant » au mode « Je t’attends au tournant de ce que tu dis pour y aller de mes reproches.» Si nous nous enquerrons de ce que l’adolescent vit vraiment dans la solitude de sa chambre où il est censé étudier et si tant est qu’il le raconte, c’est pour le comprendre et pas lui sauter dessus parce qu’il a rêvassé ! Après, dans un deuxième temps, nous pouvons chercher avec lui comment rendre la situation plus efficace. 

o Maintenir ou renforcer une dépendance stérile : ici, nonobstant le soi-disant dialogue que nous instaurons, c’est nous, les adultes, qui multiplions les propositions et prenons sur nous de les opérationnaliser. Je ne dis pas pour autant qu’il ne faut faire à l’ado aucune suggestion potentiellement efficace. Mais laissons-lui le temps d’assimiler ce qui lui est dit, d’en peser le pour et le contre, de décider ce qui lui convient et comment lui va le mettre… 

Réinstaller le jeune dans une position d’acteur positif

 

A travers un dialogue empathique, nous visons à réinstaller le jeune dans une position d’acteur positif. Gestionnaire responsable de sa scolarité d’aujourd’hui et de demain, au lieu d’une rébellion stérile ou d’une dépendance grincheuse et illusoire. 

Acteur dans l’immédiat, en mesure de penser et d’énoncer ce dont il besoin : aller rencontrer tel prof avec lui, « l’aider » à la maison de telle manière, avoir un cours particulier en maths parce qu’il est largué, etc.

S’il est trop tard pour qu’il sauve tous les meubles de son année, acteur capable de planifier ce qu’il va investir et laisser tomber : se centrer sur  deux – trois matières et mettre les autres entre parenthèses plutôt que de s’essouffler partout ; écouter vraiment pendant tel ou tel cours ; modifier son comportement en classe (bye le clown,  le provocateur,  le chahuteur…) 

Acteur qui pense le futur et se  crée une vision réaliste de son avenir scolaire ou professionnel. Qui se le réapproprie et énonce comment il souhaite son avenir : rester dans la même option ou la même école ou en changer, changer  carrément de système … alors, pour où et dans quel but ? 

S’il en sort un projet positif original, nous devrions y regarder à deux fois avant de le disqualifier plutôt que de le soutenir. C’est de la vie du jeune dont il s’agit et pas de nos rêves. Et puis si, à quinze ans, il énonce un projet qui  paraît quelque peu immature – par exemple, faire du cinéma – pourquoi critiquer ce rêve qui a toute chance d’évoluer tout seul ? Mieux vaudrait  l’accepter, en situant de façon réaliste et positive le travail qu’il faut faire dès aujourd’hui pour y arriver !

Prendre de grandes décisions de réorientation ou/et recourir à une aide ambulatoire spécialisée.

 Par conséquent et dans certains cas, prendre de grandes décisions de réorientation ou/et recourir à une aide ambulatoire spécialisée. 

  • En s’appuyant éventuellement sur de nouveaux tests psychopédagogiques, les parents, l’ado, les psychologues scolaires et autres spécialistes consultés doivent parfois réévaluer si les exigences de l’établissement ou de la filière scolaire du moment correspondent suffisamment bien aux capacités, aux bases acquises  et au désir profond du jeune.

En référence à quoi et en se concertant avec lui, parents et professionnels peuvent trouver sage de : lui faire redoubler une année ; l’inscrire dans une école plus facile, plus adaptée ou dans une autre filière d’enseignement ; remplacer l’enseignement à l’école par l’apprentissage d’un métier ; inscrire l’adolescent dans un internat scolaire ou dans une école de devoirs, etc. 

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Ayons le courage de nous poser des questions sans détours  autour de ces possibles réorientations. Et s’il s’ensuit un changement d’option, d’y procéder sans résignation ni rage : c’est souvent le chemin pour que l’ado retrouve davantage de bonheur et de confiance en soi, et sa famille davantage de sérénité au quotidien.                                               

  • Nous pouvons aussi discuter avec le jeune de remédiations ambulatoires spécialisées (professeur particulier, coach, rééducateur, spécialiste en méthode de travail, etc.) En distinguant son éventuelle indécision d’un profond désintérêt qu’il n’exprimerait pas clairement. Les indécis s’ouvrent parfois à l’aide spécialisée, si nous donnons un petit coup de pouce initial à leur place. Ceux qui n’en veulent vraiment pas ne le font que beaucoup plus rarement, malgré tout l’art du spécialiste, et il est alors inutile de s’obstiner si, pendant des semaines, il ne se passe rien …
  • Organiser un cadre fonctionnel pour le travail à domicile.

  • Cadre spatio-temporel et matériel destiné à être stable, élaboré en concertation avec l’ado, et en posant néanmoins souvent l’un ou l’autre acte d’autorité dont nous pouvons lui expliquer le bien-fondé. En voici un guide-line : 

- Où faire les tâches scolaires après l’école ? Si c’est à la maison : dans le salon, en bas, à proximité des adultes ? Dans le bureau d’un adulte ? Seul, dans sa chambre, porte ouverte ou fermée ? Ce sera peut-être aussi chez ses grands parents ou sa tante, dans un local d’études,  voire avec sa meilleure amie, une fille « sérieuse » dont les parents sont d’accord pour une étude à deux. 

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- A quel moment de la journée ? A ce propos, faire promettre à un ado à la dérive qu’il va travailler seul, avant le retour des parents vers 19h, sans aller glander sur l’ordi, est d’une très grande naïveté ! C’est l’adulte qui devrait en être blâmé, et pas l’ado incapable de tenir sa soi-disant promesse … Si les parents veulent à tout prix qu’il étudie à ce moment-là, qu’il aille chez un grand-parent, dans une école de devoirs, etc. Mais ils peuvent aussi bien instituer qu’il s’amuse d’abord puis qu’il travaille de 20  à 21 h., avec ensuite un petit rabiot d’écrans pour bien finir la journée … 

- Combien de temps ? Cela dépend entre autres de l’année d’études, de la concentration et de la vitesse d’exécution du jeune. Par exemple, une heure « one shot » six jours sur sept avec un temps supplémentaire à la veille des grosses interros. Avec de loin en loin une demi-heure qui saute s’il peut vraiment démontrer qu’il n’a rien à faire pour le lendemain. De loin en loin, car nous pouvons l’aider à s’organiser, à préparer le long terme, à consacrer chaque jour un peu de temps aux langues. Pour d’autres, ce peut être deux fois 30 minutes (45’ … 60’) séparées par un temps de distraction, etc.

- Dans quel environnement matériel ? Dans un endroit pauvre en occasions de distractions, dont ont été bannis écrans, portables et autres sources de bruit. Faut-il faire exception pour des moments passés sur Facebook où l’ado s’engage à faire du travail scolaire avec ses potes ? A observer prudemment …  

Etre présents.

Montrer que nous avons une sollicitude autre que lointaine pour sa scolarité. Fonctionner comme « un bon génie qui flotte dans l’ambiance… »

ar exemple : « Clin d’œil » pour qu’il s’y mette ; rappel souriant, répété au besoin mais toujours souriant, de l’horaire convenu ; encouragements (« Courage, Alizée, c’est dur, mais c’est pour une bonne cause. ») ; porte à laquelle un parent frappe après une demi-heure pour apporter un jus d’orange, quelques biscuits … et insuffler le fantôme de sa présence ; question bienveillante posée à la fin du temps d’études : (« Comment ça a été ? Tu es content de toi, déçu ? Tu as pu te concentrer ? Pas trop ? Tu as fini ce que tu voulais ? »)

Et encore : Ne pas le laisser trop longtemps seul dans une maison vide pour étudier ; autant si nous sommes là de corps, mais avec trop de choses qui nous absorbent ; si trop d’absences sont inévitables pour des raisons professionnelles, ou de monoparentalité, trouver des alternatives qui assurent de la présence (cf. supra) ; savoir renoncer à de la détente pour rester discrètement à ses côtés (Nos amis peuvent partir en WE sans nous, parce que lundi ce sont ses examens qui commencent) 

Autre type de présence : Faire des démarches pour et avec lui et lui faciliter la vie ; le protéger raisonnablement dans ses affrontements avec l’école. Raisonnablement, pas envers et contre tout : il a toujours des comptes à rendre à propos de ses comportements les plus négatifs. Nous pouvons néanmoins faire valoir l’existence de ses vécus les plus pénibles, qui le prédisposent à ne rien faire ou à se faire remarquer, et auxquels il faut arriver à remédier ensemble pour qu’il se mobilise dans la bonne direction. Patience et persévérance font plus que force et que rage ! 

Soutenir directement le travail scolaire.

Le « bon génie flottant dans l’ambiance » peut-il faire un acte de plus, pour s’asseoir à côté de l’ado au travail  ? Les parents peuvent-ils franchir une étape supplémentaire et soutenir, aider au moment même de l’étude ?

Le terrain de ce souhait est glissant puisque nombre d’ados, même en perdition, détestent l’idée d’apparaître comme ayant besoin d’aide ou se méfient des intentions cachées de l’adulte quand il s’assied près d’eux….il leur faut du temps pour assumer qu’ils ne vont pas être enguirlandés, même s’ils sont surpris en flagrant délit d’évasion …

Alors, au contraire de ce qu’exigeait Monsieur Jourdain à propos de la prose et des vers, nous pouvons parfois leur donner un coup de main sans annoncer la couleur, mine de rien, voire en jurant que nous ne le faisons pas « vu qu’ils sont assez grands pour travailler tout seuls » 

  • Nous pouvons d’abord signaler notre disponibilité : (« Si tu as besoin de moi pour … je suis là, je suis d’accord ») Pour les plus découragés, nous pouvons même faire une partie du travail à leur place : lecture de la moitié d’un livre, sans soupirer ; plan d’un exposé ; quelques exercices vite faits, bien faits … au moins trouvera-t-il en lui davantage d’énergie pour faire le reste. 
  • Nous pouvons nous asseoir à côté de lui, à sa demande ou d’initiative, et viser à col-laborer : « Ca va, ce raisonnement (ou ce travail) en maths ? Tu veux m’expliquer, pour voir si moi, je vais comprendre ? » « Tu me récites ton vocabulaire ? Tes temps primitifs ? Tes énoncés en science ? » Et s’il n’y arrive pas, attention à ne pas réactiver le réflexe d’une réaction grincheuse/disqualifiante. Qu’il entende plutôt : « Bon, on va en revoir quelques-uns ensemble maintenant » Attention aussi à ce que, du fait de son soutien, l’adulte ne transforme pas 1 h. d’études en 1 h. 30 … 

Je sais que nombre d’ados resteront en tout ou en partie réticents à ce que l’adulte s’immisce trop dans leur travail. Il ne s’agit pas de leur faire violence, ni non plus de démissionner en ne leur faisant progressivement plus aucune proposition. Qu’ils entendent plutôt : « OK, tu ne souhaites pas mon aide maintenant. Tu rates peut-être une occasion de mémoriser les choses plus vite et mieux. Mais c’est ta responsabilité. Je continuerai à te proposer mes services à l’avenir. » 

Punir, récompenser et veiller au plaisir de vivre.

Je jette ici le plus gros pavé dans la mare des mauvaises habitudes existantes acquises, en proposant :

 

  • Côté punitions (et menaces), je souhaite que les parents n’y recourent qu’exceptionnellement, face à de l’antisocial avéré ! Si la démotivation et les mauvais résultats persistent, qu’ils commentent plutôt : « Comme c’est dommage pour toi! Nous n’avons pas encore trouvé le chemin qui te permet d’exploiter tes ressources au mieux. Continuons à chercher »

Donc, non, non et  non à la suppression rageuse des écrans et autres sorties « jusqu’à ce que tu aies des points valables. » 

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Et si les punitions viennent de l’école ? Les parents peuvent essayer de prévenir celles qui sont liées au manque d’ordre, aux travaux non rendus à temps, etc. en aidant le jeune à mieux s’organiser. Si elles sanctionnent de mauvais résultats, ils peuvent plaider sa cause  et tenter de mobiliser l’école vers un changement positif. Si elles sont liées au « mauvais » comportement du jeune en classe, qu’ils essaient de le faire réfléchir à sa part de responsabilité et qu’ils n’en remettent pas à la maison ! 

  • Côté récompenses, je trouverais infantilisant et dangereux d’introduire un fonctionnement basé sur la carotte : « Si tu … alors …» Par contre, s’il est clair que l’ado a changé sa manière de fonctionner ou si, accessoirement, il « sauve » une année ou ramène régulièrement de meilleurs résultats, les parents peuvent certainement lui signifier qu’ils sont contents de lui et pour lui (et qu’ils sont aussi contents d’eux) et, à un moment donné, marquer le coup par une belle récompense imprévue ! 
  • Côté plaisirs de la vie quotidienne je suis résolument hostile au réflexe vengeur qui prive l’ado déjà en difficultés de toutes ses récréations (écrans, sports, sorties …) parce qu’il a mal travaillé et pour que soi-disant il travaille mieux à l’avenir. C’est contre-productif autrement qu’à très court terme !

S ‘il accepte (ou obéit à) la demande de réserver chaque jour un moment pour le travail intellectuel (1 h. – 1 h. 30, cfr supra),  laissons-lui la paix le reste du temps et qu’il gère sa vie avec assez bien d’autonomie,  comme le fait le bon élève : donc un panachage de petits services rendus à la maison, de présence au souper sans rogner sur le temps, de sport, de vie sociale et, of course, de consommation d’écrans,  musique et autres portables …[5]

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Notes 

[2]  ADOS CONTEMPORAINS: PETITE TYPOLOGIE PERSO ET SANS PRETENTION, texte que l’on peut lire sur ce site

[3]  Normaux ? Ah, ils seraient mécontents s’ils m’entendaient dire ça, les ados ! Certes, ils n’aiment pas que leurs éclats d’originalité et leurs tempêtes émotionnelles soient lus comme de la psychopathologie. Mais ils détestent tout autant la banalité du terme « normal »

[4]  Et c’est vrai que, dans une ambiance négative vécue comme injuste, une dimension de protestation par opposition passive vient s’ajouter au reste chez le jeune.  

[5] Simplement faut-il, comme pour ses frères et ses sœurs, veiller à ce qu’il ne devienne pas accro et à ce qu’il conserve un temps raisonnable de sommeil … Voir l’article Quand le jeune est scotché à l'ordinateur: simple gourmandise ou dépendance?

 

 

 

Gestion de la confidentialité et de la demande du secret dans les psychothérapies et les consultations psy

  Chapitre publié Secrets de famille, confidentialité et thérapies, 41-56 in Secrets et confidents au temps de l'adolescence ( sous la dir. de ) A. Braconnier, C. Chiland, M. Chaquot ), Ouvertures psy, Paris, Masson. 

Résumé: Nous parlerons de façon générale du respect de la confidentialité dans les psychothérapies et les autres consultations psy.  respect est très large dans les psychothérapies individuelles structurées comme telles et se gère avec souplesse vis-à-vis de la famille nucléaire dans les autres consultations du champ infanto-juvénile

Nous nous centrerons notamment sur les fois où soit le mineur, soit un ou les deux parents demandent explicitement qu’un secret soit gardé. Nous discuterons de ce qui se passe selon que le thérapeute adhère ou pas à leur demande, sans quasi-jamais leur faire la violence d'une révélation forcée. Seule l'imminence d'un danger grave légitime éventuellement celle-ci.

Summary: We will speak in a general way about the respect of confidentiality in psychotherapy and other psychology consultations. This respect is very broad in individual psychotherapy structured as such and is managed with flexibility with regard to the nuclear family in other consultations in the field of children and youth.
We will focus in particular on the times when either the minor or one or both parents explicitly request that a secret be kept. We will discuss what happens depending on whether the therapist agrees or not with their request, without almost ever doing them the violence of a forced disclosure. Only the imminence of a serious danger may legitimize this..  

I - Il existe deux catégories de situations thérapeutiques où il est essentiel que soit très largement garantie la confidentialité entre le thérapeute et son vis-à-vis

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 Ce sont les psychothérapies individuelles d'adultes, qui ont été dénommées et convenues bilatéralement comme telles. Ce sont aussi les psychothérapies individuelles d'adolescents aux mêmes conditions.


Ici, la garantie de confidentialité, souvent explicitement évoquée en début de traitement et vécue comme telle par le client, est une condition importante pour qu'il se sente « chez soi » face au thérapeute et pour qu'il s'engage avec confiance : notamment pour beaucoup d'adolescents jeunes, constater que le thérapeute donne et tient sa parole peut les interpeller positivement, les engager à s’ouvrir de leurs vraies questions et les encourager à se donner le droit de se mettre des limites. Une sorte de « téléphone arabe » fonctionne entre eux et ils devinent qui sont les intervenants aptes à tenir leur langue et ceux qui se précipiteront vers le bavardage en équipe, les rapports écrits et autres signalements.

A.- Des rencontres avec les parents ont cependant le plus souvent lieu, en présence de l’ado en règle générale, mais c’est pour dire que la thérapie suit son cours et que je ne peux rien en dire. Il reste bien - des thèmes que les parents tiennent à aborder, avec régulièrement une petite pique pour me faire comprendre que l’ado ne va pas si bien que ça, qu’il est dur à vivre à la maison et qu’il me manipule peut-être ; mais au moins les parents ne se sentent pas délaissés.        


B - Garantir la confidentialité dans un module psychothérapeutique ne signifie pas que nous ne croyons pas à la valeur de la communication. Mais c'est au client de décider ce qu'il va communiquer ou non, et d'y procéder par ses propres moyens. Corollairement, son thérapeute individuel peut l’inviter à réfléchir en séance aux risques et à l'intérêt de communications bien ciblées, et éventuellement l’y encourager.

C - Ce respect n’a rien à voir avec une quelconque position d’approbation si pas de complicité par rapport aux transgressions que l’adolescent viendrait à raconter. Ceci aussi, il faut le lui faire comprendre : il vient travailler chez moi pour réfléchir, se sentir heureux de vivre et faire des choix judicieux. Ses transgressions font partie du développement, mais ce qu’il en raconte est objet de réflexion et pas de plaisir partagé !

D - Et si elles sont graves et destructrices, contre les Interdits fondamentaux, il nous faut signifier que c’est mal, lui demander d’y renoncer et travailler à ce qu’il y parvienne.

Ce travail en direction du renoncement aux transgressions graves, de même qu’aux comportements significativement dangereux, inclut-il que le thérapeute doive passer outre cette si précieuse confidentialité ? Certainement pas ipso facto ! Trois conditions doivent être réunies pour s’y résoudre, conjonction bien rare sur le terrain : 

---- Le thérapeute estime que le jeune est à l’origine d’un danger grave et rapproché, qu’il fait peser sur autrui ou sur soi par un comportement transgressif ou dangereux.
 Estimation faite la plupart du temps à partir d’un dialogue avec son jeune client ; plus in constamment, s’y ajoutent ou s’y substituent des préoccupations émises par des tiers ou le fruit des observations du thérapeute (par exemple perception d’une ambiance suicidaire, d’une forte culpabilité avec inhibition …) Il en fait part au jeune et essaie d’abord d’en parler avec lui, bien sûr ! 

---- La menace rapprochée d’un grand danger ne peut pas se réduire significativement à partir de la réflexion menée au cours de la thérapie.

 ---- Enfin, le thérapeute pense que les personnes ou les institutions qu’il alertera seront plus efficaces que lui et donc éloigneront la menace. Il ne s’agit pas de passer une patate chaude pour le seul plaisir de se mettre à l’abri.


E- Garantir très largement la confidentialité ne signifie pas donc pas s'emprisonner dans le silence. Corolairement aux transgressions graves,  il existe bien d’autres sources de danger grave où l’on peut raisonner de la même manière.   .

II - La majorité des activités des professionnels opérant dans le champ infanto-juvénile n'est cependant pas constituée par les deux modules précités :

 Ils opèrent bien plus souvent dans des consultations à visée diagnostique, des guidances parentales, des entretiens thérapeutiques relativement peu formalisés avec des enfants ou des adolescents, seuls ou avec des familles. Ils mènent également des thérapies familiales strictement identifiées comme telles, et des thérapies individuelles bien formalisées avec des enfants jeunes, jusqu'à l'entrée dans l'adolescence


Dans tous ces contextes, il nous paraît plus sage d'élargir les frontières de la confidentialité et de prévoir une large circulation d'informations dans la famille nucléaire , c'est-à-dire entre tous ceux qui sont liés par des liens affectifs naturels (ou d’alliance)  puissants, qui doivent vivre au quotidien les uns avec les autres et ont la responsabilité directe d’élever l’enfant.
Pourquoi raisonner ainsi ?

  secrets de soie 01

Secret de soie         

 A - Parce qu'il nous semble souvent enrichissant que, au sein de la famille nucléaire, chacun connaisse les grandes lignes de ce que vivent les autres à son propos : il peut alors s'expliquer, s'adapter, négocier ou changer en connaissance de cause. Dans ces structures où est censée régner une certaine sollicitude des uns pour les autres, il nous paraît même souhaitable que chacun connaisse les grandes lignes de ce que vit chaque autre en général ... autrement dit, que chacun identifie bien qui sont ses partenaires de vie et ce qui les meut : les interactions qui s'en suivent nous paraissent pouvoir être davantage respectueuses de tous, du moins dans la mesure où chaque protagoniste le veut.
Que l'on ne se méprenne cependant pas sur la portée de cette proposition : elle indique une tendance statistiquement intéressante. Il ne s'agit pas de l'appliquer systématiquement et à l'aveugle :


Par exemple, là où règne une profonde hostilité à l'égard d'un membre de la famille, il est souvent plus utile d'écouter celle-ci et ses raisons d'être, que de donner trop vite des infos sur le membre en question.

En outre, chaque membre de la famille peut s'y opposer s'il le trouve important, et le thérapeute garde un pouvoir d'appréciation quant à l'intérêt et au contenu de chaque retransmission.   


L'idée maîtresse, c'est que soient retransmises les grandes lignes de ce que chacun vit et pense et non le détail des expériences ou des fantasmes dont il a parlé au thérapeute ni le contenu précis de ses dessins et de ses jeux en séance. Un droit à l'intimité des contenus expérientiels demeure ... C'est seulement les grands mouvements intrapsychiques qui habitent chacun dont il est souvent structurant qu'ils soient connus par les autres.

B - L'attitude inverse serait que le thérapeute garantisse explicitement la confidentialité à chaque vis-à-vis individuel (du moins lorsqu'il est sorti de l'étape diagnostique inaugurale, et qu'il a prononcé le mot « traitement » ou « thérapie »       )
Certains le font sereinement, en référence à des valeurs (autour du droit à l'intimité, notamment face au soignant) et à leur conception de la thérapeutique : nous les respectons, mais je ne partage pas cette façon de penser.
Pour d'autres, et surtout lorsque c'est à l'enfant jeune qu'ils font cette promesse, il s'agit de la rationalisation de leur contre-transfert, peu reconnu comme tel : besoin de former une dyade protégée avec l'enfant ; besoin d'être le seul confident important ; rivalité avec les parents ou avec d'autres professionnels, etc. ...       
Pour notre part, nous sommes persuadé que la majorité des enfants jeunes       n'en demandent pas tant et sont même angoissés - si pas culpabilisés - par ce souhait  de silence émanant de l'adulte qui crée une situation artificielle : au fond, ce à quoi ils font confiance, c'est à la bienveillance et à la capacité soignante du thérapeute ( Boutte, 1996 ) ; certes, ils n'aimeraient pas que celui-ci les angoisse ou leur fasse honte en exposant sans nécessité leurs fantasmes et leurs anecdotes expérientielles ; de là à penser qu'ils lui interdisent de raconter les grandes lignes de ce qu'ils vivent et de ce qui les préoccupent, je ne le crois pas.   
Remarquons enfin qu'une fois qu'on a fait la promesse de confidentialité, il faut tenir sa parole, et que de ce fait on se sent souvent dans l'impasse : reste à tordre sa promesse, d'une manière ou d'une autre, pour que tel élément important soit quand même retransmis sans que cela en aie l'air.

C - Dans notre état d'esprit - assurer l'existence d'une retransmission familiale des vécus les plus importants - nous invitons les membres de la famille à l'aventure de la parole sans trop gloser autour de la confidentialité. En cours de route, nous les encourageons à se transmettre les uns aux autres ce « plus important » ou/et nous organisons des entretiens familiaux de « transmission facilitée », moments où ce sera eux - de préférence - ou nous - s'il le faut - qui procéderont à la retransmission. 

Les refus de retransmission      

 Néanmoins, la liberté humaine étant ce qu'elle est, tout ne se passe pas toujours ainsi : en cours de route, tant l'enfant ou l'adolescent que ses parents peuvent demander explicitement que restent secrètes certaines choses qu'ils viennent de dire.(ex, le statut d’adopté de l’enfant…le fait de fumer parfois du cannabis…)
Les raisons de leur refus sont très variées et gagnent d’abord à être bien comprises:          

 - Parfois, la demande de secret n'a que très peu à voir avec son contenu : c'est l'application d'une manière d'être habituelle vis-à-vis de l'autre, qui se répète à travers bien des signes ; par exemple, l'enfant est toujours vécu comme « trop petit pour » ( ici, pour savoir ) ... ou encore, l'enfant pense toujours que ce qu'il fait est mal et mérite d'énormes punitions.
 - Ou alors, ce à quoi la demande vise centralement, c'est d'avoir une alliance privilégiée avec le thérapeute et de faire emprise sur lui
 - Mais parfois aussi, c'est bien le contenu du secret qui est estimé destructeur s’il venait à être révélé, en référence à d'autres expériences déjà faites avec celui qui ne sait pas, ou en vertu d'une sorte d'idée a priori de sa vulnérabilité.  

De toutes ces raisons d'être du secret, mieux vaut nous imprégner d'abord, les goûter en quelque sorte, sans a priori, avec une bienveillance flottante, en leur donnant leur chance de nous convaincre ou non.

 A. si nous nous rallions au point de vue du demandeur, tout devient simple. Autant si c'est lui qui se rallie sincèrement au nôtre : tout au plus faudra-t-il parfois l'aider un peu pour bien passer le cap de la révélation.

B. Dans d'autres cas, nous vivons une profonde incertitude quant à l'intérêt du maintien ou de la levée du secret. Continuer à réfléchir avec les demandeurs de celui-ci - sans faire de cette centration un thème obsédant -, observer et écouter les exclus sans rien brusquer, discuter avec des collègues ... peut nous aider à faire le moins mauvais pari.       

Philippe ( treize ans ) est dysthymique de longue date, avec, tous les dix-huit mois environ, un épisode dépressif majeur. Sa relation avec sa mère est tendue ; l'on sent dans le chef de celle-ci une certaine ambivalence à l'égard de son fils, auquel elle semble préférer sa sœur cadette.
La maman est à nouveau enceinte « par surprise » ; elle hésite, réfléchit avec nous, décide de garder le bébé ... puis il y aura une fausse couche, dont elle mettra des mois à nous dire que c'était un avortement et à exprimer sa honte et sa culpabilité à ce propos , et à nous demander de garder le secret... Mais « C'était au-dessus de mes forces ... et puis, on a déjà tellement de difficultés avec Philippe ! Si le bébé allait être comme lui !»
Philippe ne sait rien de l'avortement ... Officiellement, sa mère a été très affectée par la fausse couche. Quelques mois après, en séance de thérapie, il dessine une maman-bateau qui attaque son petit bateau qu'elle n'aime pas, et l'envoie au fond de la mer ... De quel petit bateau s'agit-il ? Et que faire ?

 C. Restent alors toutes les fois où les détenteurs du secret veulent maintenir celui-ci contre notre avis, qui voit l’intérêt positif de la révélation ( p. ex ; beaucoup de secrets autour de la filiation). 


----- C.1 Dans la majorité de ces cas, nous gagnons à décider de mettre notre avis en suspens et d'accepter leur choix sans céder à l'impatience, ni au passage à l'acte ( Epelbaum, 1995 ) 

 Nous nous efforçons plutôt de maintenir le dialogue sur ce qui a rendu nécessaire l'édification et le maintien du secret ( G. Diatkine, 1984 )  
C'est qu'en effet le maintien et le maniement de celui-ci « signe » la relation entre le détenteur et les autres : pour celui-là gérer son style relationnel comme il l'entend est chose très importante ( Mairesse, 1988 ) Habituellement, il ne se justifie pas d'imposer de l'extérieur un changement important - réel et symbolique en l'occurrence - au mode relationnel voulu par le détenteur : il se sentirait dépossédé, non seulement de son secret, mais aussi de son droit à gérer sa vie, et les conséquences pourraient en être  négatives ( rupture de la relation thérapeutique, dépression, décompensation psychosomatique ...) 
  

---- C.2 Comment réagir alors si le thérapeute a l'impression que l'exclu « tourne autour du secret » dont la connaissance lui est officiellement interdite ?

Lorsque le secret est maintenu, le thérapeute qui se trouve face à l'exclu du secret est dans une position analogue à celui-ci ; l'exclu doit se construire face à un mystère qui lui fait de l'ombre, mais qu'il lui est interdit d'explorer clairement ; le thérapeute sait, mais ne peut rien dire de ce qu'il sait.       

Il doit garder le silence, s'il s'y est engagé, mais de façon non pesante, avec un léger clin d'œil bienveillant qui signifie : « Ton idée ( ou ta question ) n'est ni stupide, ni mauvaise ... mais je ne puis rien te dire en réponse »        
Si, sur cette base, l'exclu se hasarde à des hypothèses concrètes sur ce qui a pu se passer, on peut, sans prendre parti, échanger avec lui des idées générales sur les phénomènes humains qu'il met en jeu ( « Ça peut arriver que des adultes se suicident, etc. Quelles en sont les raisons et les conséquences possibles pour eux et pour leur famille ? ») Néanmoins, c'est plus souvent dans des productions imaginaires et symboliques que l'autre montre qu'il progresse dans son questionnement, et ceci, d'autant plus qu'il est plus jeune. Et on peut parfaitement l'y rejoindre aussi !

 

 Et ici, si l'on a la conviction que l'exclu connaît « presque » le secret, on peut en tenir informés les parents et les relancer. Lorsque le secret est éventé, ou révélé finalement par les parents, on peut encore parler avec le jeune des motivations qui poussaient ceux-ci à ce long silence et de ce qu'il en ressent. On peut également parler des raisons que le thérapeute a eu de garder le silence, lui, et des éventuelles conséquences sur la relation de confiance. 

 
 -----C.3 Il existe une exception impérative à ce choix d'alignement : il est impensable de maintenir un secret dont l'existence entraîne un danger grave pour autrui et dont on estime que la révélation l'atténuerait ou le supprimerait.      


-------C.4ne autre exception, rare elle aussi et plus discutable, est constituée par les secrets dont on a la conviction que le maintien conduit le processus thérapeutique à une impasse totale.(p.ex., une mère a confié sous le sceau du secret qu’elle a un amant, et les deux parents viennent en guidance…un enfant ne sait pas qu’il a été adopté…) On peut alors mettre fin à celui-ci en invoquant un prétexte secondaire, sans trahir le secret.  

Mais il faut y regarder à deux fois avant de prendre cette décision, qui consiste souvent à laisser l'enfant seul pour gérer son angoisse impuissante : rester présent à ses côtés, tout en signalant aux parents notre différence de point de vue avec leur choix, peut s'avérer moins désespérant pour l'enfant.

 

Discussion autour d’un cas fictif   dans une prise en charge familiale

 petit photographe

Des parents consultent à propos d'un adolescent dépressif et même suicidaire. Deux thérapeutes, A et B, les accueillent, essaient de comprendre ce qui est en jeu, puis conviennent d'une formule de travail souple : il y aura des séances de réflexion avec les parents et le jeune (ou avec toute la famille nucléaire) avec A + B; des séances monogénérationnelles pour les parents et A ; et d'autres pour l'adolescent et B. A et B conviennent aussi de se concerter régulièrement, totalement (secret partagé) (8) , entre autres pour planifier chaque fois l'organisation des quelques séances suivantes.


I - Les objectifs et les conditions du travail ont été présentés à tous de façon légère et claire. Pas de discours pesant et menaçant, mais quelques mots simples : « Il est important de se parler ... ( pour l'adolescent ) : de mieux comprendre ce qui se passe en toi ... ( pour les parents ) : de mieux comprendre ce qui se vit face à lui et comment bien l'accompagner ... il y aura des rencontres communes et d'autres séparées ... celles-ci serviront aussi à préparer ce qu'on dira aux autres ( c'est-à-dire à ceux qui en sont absents ) ; on essaiera de leur retransmettre un résumé de ce que l'on vit vraiment. »
A présenter les choses de la sorte, implicitement, la confidentialité protège la famille nucléaire, mais n'isole pas chaque individu dans une bulle artificielle au sein de celle-ci. A noter que, dans la formule thérapeutique choisie, nous ne considérons pas que l'adolescent soit inscrit dans une thérapie individuelle bien formalisée  : la confidentialité des entretiens avec lui n'est donc pas une obligation par rapport au reste de la famille nucléaire.
De là à dire que B ne tiendra pas compte de l'intérêt d'une intimité et d'une habituation de cet adolescent au respect de son intimité, il y a un pas à ne pas franchir ...        


Il nous semble possible de proposer tout cela simplement et sereinement, comme condition implicite d'un mieux-être, et dans le cadre d'une espérance qu'on a sur celui-ci. On peut permettre aux parents et à l'adolescent de réagir brièvement à la proposition, mais sans les angoisser inutilement. Et puis, on gagne à continuer sans tarder l'aventure de la parole déjà amorcée les premières séances.    

Il - Imaginons alors que les parents aient un secret - par exemple, le grand-père paternel s'est suicidé, et l'adolescent n'est pas sans évoquer le caractère de son aïeul -, et penchons-nous sur le travail accompli par le thérapeute A et ces parents, en séances monogénérationnelles.

A - Une première éventualité est que les parents ne fassent pas part spontanément de leur secret, mais que son existence infiltre tant leur manière d'être spontanée que leurs discours : aspects dépressifs inexpliqués ; faux-fuyants ; inhibitions, refus ou rationalisations d'évitement au moment de certaines évocations, etc.
Un thérapeute expérimenté peut avoir la puce à l'oreille, c'est-à-dire pressentir qu'un non-dit lourd les habite et qu'ils n'osent pas l'aborder.
Selon ce qu'il ressent de ses vis-à-vis, et selon son tempérament et ses habitudes de travail propres, ce thérapeute peut attendre ou poser l'une ou l'autre intervention plus active destinées à faciliter l'évocation redoutée.
Au rang de ces dernières, certains abordent carrément la question : « J'ai l'impression que quelque chose vous pèse, et que vous ne vous permettez pas de le dire » D'autres sont plus allusifs, et évoquent les raisons d'être des résistances (« Parfois, on n'aime pas aborder certains thèmes : on a peur d'avoir honte, ou d'apporter de la destruction dans sa famille, ou de ne pas être loyal ...  ») Il peut être utile, ensuite, d'esquisser une information sur ce qui se passerait après évocation : voir se dégonfler des fantasmes inquiétants; trouver de meilleures solutions ; conserver l'estime du thérapeute ; voir plus clair dans ses sentiments par rapport à certains, etc. ...

B - L'étape suivante peut donc être que les parents révèlent le secret qu'ils détiennent avec gène et angoisse, et ajoutent immédiatement « C'est un grand secret ... »
Dans d'autres cas, la révélation est spontanée, soit parce que les parents n'en pouvaient plus, soit parce qu'ils veulent tout de suite contrôler le thérapeute en en faisant un allié dans la connaissance ... et le maintien du secret.
Quoiqu'il en soit, il est hautement souhaitable que le thérapeute conserve sa sérénité par rapport à cette nouvelle étape de sa relation aux parents.
Sérénité quant au contenu du secret : N'a-t-il pas choisi sa profession, in fine, pour soulager les autres de leurs malheurs moraux ? L'évocation d'un de ceux-ci, quel qu’horrible qu'il paraisse, ne devrait-elle pas être vécue comme le prélude à un travail de libération de ce qui enchaînait ?
Sérénité aussi quant à la dynamique nouvelle qui vient de s'installer : au-delà de ce que lui indiquerait parfois un fantasme anxieux archaïque, le thérapeute n'est pas prisonnier de ce qui vient de se passer : il a à réfléchir, comme il se doit, et de préférence en compagnie de celui qui vient de révéler ; et puis, il garde intact son pouvoir de décision. Même si, de facto, il décidera souvent de s'aligner sur les souhaits du détenteur du secret.
S'il conserve sa sérénité, le thérapeute n'entendra probablement pas monter en lui quasi-immédiatement et impérativement l'idée : « Il faut que le jeune  le sache » Lorsqu'elle est très urgente, cette idée est probablement la rationalisation de vécus contre-transférentiels variés (autour de la rage à se sentir exclu, par exemple ... ou autour du refus de se sentir possédé)        

 - Qu'est-ce que ça représente, pour eux, de connaître ce qu'ils connaissent ?  Est-ce que ça a changé quelque chose en eux ? Dans leur manière de voir le monde ? Et dans ce qu'ils vivent par rapport aux protagonistes de l'expérience au cœur du secret ? Etc. ... 
 - Qu'est-ce que ça représente, pour eux, de le garder secret ? (Par rapport à leurs enfants, au monde extérieur, etc.)   
Leur silence se fonde-t-il plutôt sur un a priori (des angoisses; une conception personnelle des frontières intergénérationnelles ou des valeurs en éducation) ou sur une observation de l'enfant, de sa sensibilité et de ses réactions face à certains types d'information ... 
 - (Et surtout dans la mesure où il y a eu révélation spontanée) Comment se sentent-ils juste après avoir fait part du secret ? Qu'est-ce que ça représente de l'avoir dit à leur thérapeute ? Qu'attendraient-ils de lui, si tout se passait exactement comme ils le souhaitaient, etc. ?

Lorsqu'ils encouragent ces déploiements, peu de thérapeutes restent cantonnés à une stricte position d'écoute. Beaucoup partagent des idées personnelles (informations, suggestions ...) en écho à ce qu'ils sont occupés à entendre.    
Certaines de ces idées restent centrées sur le vécu propre des parents. Par exemple, le thérapeute peut échanger avec eux autour de l'inéluctabilité des fautes dans nos vies humaines : ceux qui en commettent se réduisent-ils à celles-ci ? Y-a-t-il possibilité de pardon ? Y-a-t-il héritage et dette pour les générations suivantes ? Comment se répare-t-on ? Sur quoi la société devrait-elle fonder son estime pour une famille ? Etc. ... Il peut échanger aussi autour de la dépression, de la maladie mentale, du suicide et de ce qu'il induit chez les survivants, etc. ... D'autres idées échangées peuvent concerner la communication du secret ou son maintien.   
A l'instar de celle des parents, ces idées des thérapeutes sont susceptibles de s'appuyer sur des a priori ( par exemple autour de la valeur de la communication ) ; elles peuvent également se fonder sur des phénomènes observés et prudemment interprétés : par exemple, des comportements de l'adolescent exclu semblent évoquer l'angoisse face au mystère ; il fait des allusions verbales plus ou moins claires, etc. ...        

D - A échanger de la sorte sereinement et sans précipitation, il peut s'en suivre plusieurs issues :    

1. Nous pouvons finir par penser qu'il n'est pas important que l'enfant apprenne certains secrets de la bouche de ses parents, voire qu'il vaut mieux qu'ils se taisent, parce qu'ils exercent alors leur droit à l'intimité ; dans le même ordre d'idées, il est parfois préférable que l'enfant en conquière la connaissance par ses propres forces ( par exemple, particularités de la généalogie, sans tabous « mortels » qui pèsent sur certaines d'entre elles ) : vouloir tout dire à l'enfant - par exemple vouloir le gaver d'informations sexuelles - procède parfois d'un désir de maternage tout-puissant !
2. Dans d'autres cas, nous vivons une profonde incertitude quant à l'intérêt du maintien ou de la levée du secret. Continuer à réfléchir avec les parents - sans faire de cette centration un thème obsédant -, observer et écouter l'enfant sans rien brusquer, discuter avec des collègues ... peuvent nous aider à faire le moins mauvais pari. (Cft supra la vignette clinique de Philippe)

  1. Ailleurs, les échanges avec les parents les convainquent de lever le secret. Encore faut-il :

    * Ne pas se précipiter et vérifier que leur motivation est bien devenue personnelle (pas par conformisme et pour nous faire plaisir !)
    * Parfois, aller jusqu'à préparer le moment de la révélation (par exemple via jeu de rôles), voire y assister et fonctionner comme facilitateur.
    * Reparler par la suite de ce qui s'est vécu autour de la révélation : à propos du contenu du secret, à propos du silence longtemps gardé, etc. ... Aider à dissiper les malentendus résiduaires ... y procéder avec l'enfant et les parents, ensemble ou séparément.

    4. Restent alors les fois, majoritaires, où les parents veulent maintenir le secret contre notre avis, avec des motivations variées et variablement mobilisables (peur, conviction profonde, honte rémanente, etc.). Nous avons déjà parlé précédemment de la conduite à tenir alors :
     Lorsque le secret est maintenu, le thérapeute qui se trouve face à l'exclu du secret est dans une position analogue à celui-ci ! 

 

 Partage de confidences ou/et d'un savoir entre un thérapeute et les professionnels non thérapeutes en place pour gérer la même situation

Il s'agit ici de la collaboration du thérapeute avec les enseignants, les travailleurs sociaux, voire les médecins traitants.   

A. Ici, le thérapeute est partagé entre un devoir de discrétion et de protection de l'intimité de ses clients , et le souci que ceux-ci soient bien compris et pris en charge dans le réseau qui les accompagne; ce souci peut parfois lui donner envie de parler d'eux, comme il croit les percevoir.
D'autant plus que si ses collègues non thérapeutes se réfèrent trop strictement à une « modélisation institutionnelle », la créativité de tout risque d'en prendre un coup : enfants et familles trop étiquetés et accompagnés de façon mécanique et immuable        .

B. Il est donc souvent utile d'encourager le client à s'exprimer lui-même par ses propres forces dans le réseau, quitte à organiser des tables rondes qui facilitent ces moments d'expression    .

C. Complémentairement, si le thérapeute se sent lui-même invité de l'intérieur à « dire quelque chose » du client aux autres intervenants, il peut s'aligner alors sur l'idée des « grandes lignes » et sur les procédures exposées dans le paragraphe I.

Néanmoins, ici, il est essentiel d'en discuter préalablement et explicitement avec ledit client, quel que soit son âge. Il donne son accord ou non, et l'on peut raisonner alors comme dans le paragraphe I ; en cas d'accord, notamment, il faut vraiment s'en tenir aux « grandes lignes » On veillera également à parler avec humilité, en évoquant des hypothèses que l'on échafaude, la possibilité de faire erreur ... plutôt qu'en amenant triomphalement des certitudes !       

D. Si règne cette ambiance de discrétion, il convient de prévenir l'installation de sentiments d'exclusion ou d'infériorité chez l'intervenant qui ne serait pas mis dans ( la totalité de ) la confidence.

C'est souvent un « état d'esprit d'équipe » qui maintient la confiance des individus : reconnaissance de la place de chacun et de la compétence de ses fonctions ; existence de moments de rencontre et d'échanges en cours de travail, où chaque parole est prise au sérieux et sert à toute la communauté, etc.        

. Partage du savoir entre co-thérapeutes    

La majorité des auteurs plaide pour qu'existe un « secret partagé » qui permet une meilleure connaissance du malade et de son entourage, et donc des soins plus judicieux et plus coordonnés ( Olivarès, 1992 )

On n'est pas pour autant obligatoirement dans le monde du tout par rapport au rien. En voici l'un ou l'autre exemple :  

A - souvent, la règle est : « Nous sommes susceptibles de tout nous dire entre thérapeutes », mais, de facto , c'est le temps dont on dispose et le jeu des associations libres, qui modulent la quantité des retransmissions. Quand on a adopté cette règle du secret partagé, il est hors de question d'accepter en cours de route une demande de confidence dont serait exclu le collègue Si ces demandes se présentent, il s'agit de les entendre, d'en chercher le sens, et de dire sereinement pourquoi elles sont inacceptables, quitte à annoncer que la persistance dans l'exigence contraire entraînerait la fin de la prise en charge ;

 

Françoise Dolto : que pensent nos grands maîtres de la légèreté avec laquelle, parfois, nous sortons de la confidentialité ?
B - néanmoins, le fait que deux thérapeutes se communiquent tout, alors qu'ils travaillent tantôt en entretiens scindés, tantôt en entretiens conjoints, ne signifie pas qu'ils vont ipso facto tout rapporter en entretien commun. Ils ne le font que s'ils le trouvent judicieux, en tout ou en partie.

C- Une attitude inverse et convenue à l'avance peut parfois s'avérer structurante : c'est surtout le cas dans des thérapies d'adolescents et de leurs familles, où les thérapeutes des uns et des autres sont différents et où se succèdent des moments scindés et des moments de mise en commun : alors on peut concevoir que les thérapeutes respectifs choisissent de ne rien se dire en l'absence de leurs clients - hormis situation de danger. S'il en est ainsi, les moments de mise en commun sont vraiment des moments de construction d'un savoir commun, pour toutes les personnes présentes, à partir du dialogue « hic et nunc » 

BIBLIOGRAPHIE

BOUTTE J., La responsabilité du médecin face au mineur d'âge, Journal du droit des jeunes, 1996, 151, 11-15.        

DIATKINE G.,Chasseurs de fantômes, inhibition intellectuelle, problèmes d'équipe et secret de famille, Psychiatrie de l'enfant, 1984, XXVII- l, 223-247         .
 EPELBAUM C.,    Collaboration avec l'école : la dimension du secret, Neuropsychiatr. Enfance Adolesc., 1995, 7-8, 304-312. 

OLIVARES J.- M. ( 1992 ),Le secret médical en psychiatrie adulte, Soins Psychiatrie, 122/123,49-55.