Définition et discussion

  

La carence affective, c'est l'ensemble de pensées et de sentiments pénibles et de comportements qui les expriment, et qui résultent d'un non-investissement ou d'un rejet précoces et prolongés de l'enfant. C'est un trouble de longue durée, dont il n'est pas certain qu'on puisse guérir radicalement celui qui en est porteur, même en le réinvestissant et en lui donnant des signes nouveaux de sa valeur. 

 

 Synonymes et répertoriage dans les nosographies

 

Pour désigner l'état de carence affective d'un enfant à partir de l'âge de deux, trois ans, on parle aussi d'abandonnisme, d'enfant abandonnique, de névrose d'abandon, ou de syndrome d'abandon. Lorsque le tableau clinique se manifeste déjà chez le bébé, on parle aussi d'hospitalisme. Inconstamment, une minorité de ces enfants peuvent présenter un retard de croissance lié étiologiquement et de façon importante à l'hostilité dont ils ont été et sont l'objet : alors, on parle parfois de " failure to thrive ", dans la littérature usuelle anglo-saxonne et de " retard de croissance psychogène " dans le CFTMEA ). 

 

 Etiopathogénie 

 

- Bébés qui, pendant longtemps, ne reçoivent pas leur compte en nourrissage " spirituel " ( cfr supra : affection, protection, stimulations, langage ) ; voire même, remplacement du nourrissage positif par de l'hostilité ; ou encore, discontinuités importantes dans les sources de nourrissage, exercées dans le chaos, sans souci que le bébé s'y retrouve, avec, en résultante moyenne, un investissement assez faible de lui. 

- Dans des conditions normales d'éducation, le bébé introjette un fond stable de représentations mentales positives, issues des expériences gratifiantes majoritaires qu'il aurait faites : on dit qu'il est doté d'une bonne " confiance de base ". 

Ici, l'inverse se produit : l'enfant est majoritairement vide de représentations bienveillantes ... voire rempli de représentations hostiles, en vertu desquelles il se sent en permanence non-important, disqualifié ou/et menacé d'agressions. 

- Il s'en suit des comportements eux-mêmes peu gratifiants, et destinés à tout le monde, souvent à l'origine de " cercles vicieux ". 

N.B.    Qu'arrive-t-il lorsque ces expériences d'indifférence ou d'hostilité arrivent plus tardivement dans la vie de l'enfant ? La réponse est liée à la qualité de " confiance de base " préalable dont il était doté : 

- Si celle-ci était précaire, une carence affective claire et nette peut s'installer. 

- Sinon, l'enfant peut assumer son sort, continuer à croire à sa valeur et réaliser positivement leur potentiel : enfant résilient dit-on aujourd'hui. 

- D'autres refoulent efficacement leur souffrance morale du moment et, forts de leurs acquis précédents, décident de " rouler pour eux tous seuls " en parfaits matérialistes ( porte ouverte vers la délinquance essentielle), ou, pire encore, ils décident de se venger en faisant le Mal ( porte ouverte vers la perversité). 

 

D - Clinique 

 

Chez le bébé 

 

Dans les rares cas où la négligence affective ou/et l'hostilité sont très précoces et intenses, le bébé manifeste rapidement les signes de l'hospitalisme : tristesse entrecoupée de moments de protestation geignarde, d'irritabilité ; repli sur soi, apathie, absence d'intérêt pour l'environnement ; éventuellement, somatisations ( par exemple, vomissements ) ou/et troubles des conduites psychophysiologiques ( par exemple, anorexie, sommeil difficile ) sensibilité aux infections ; retard de croissance, jusqu'à la cachexie et la mort. 

 

Chez l'enfant plus âgé : 

 

1*)  Signes centraux : La carence affective se représente mentalement, se vit ( affects ) et s'exprime comportementalement, pour ce qui est de son noyau le plus central : 

- -Surtout avec une tonalité de désespoir et d'auto-dépréciation : " On ne m'aimera jamais ... et je ne vaux rien " .

S'en suivent : un fond de passivité, avec au mieux, des velléités d'entreprendre quelque chose, suivi de découragement rapide. 

-- Chez d'autres, le tableau clinique est plus bruyant, et se rapproche fort de celui de la dépression

-- ou encore, surtout avec une tonalité agressive, jusqu'à la haine.

2*) Tentatives de compensation à l'oeuvre chez une partie de ces enfants : 

-- Recours à la captativité : « cannibalisme affectif » ... les petites frustrations, voire les mises à distance ou les rejets émanant des personnes " cannibalisées " sont souvent vécues très dramatiquement ... Ou alors, le sujet " débranche sèchement " la relation et part immédiatement à la recherche d'une autre " Bonne Mère ". 

-- Soit encore, recours à des fabulations tenaces. Par exemple, fabulation isolée de certains enfants vivant en institution depuis toujours : " J'ai une mère adorable qui m'attend quelque part ". Par exemple, fabulations diffuses d'autres enfants, portant à la fois sur le danger, puis sur leur valorisation narcissique :" Des bandits pillaient une banque, et je les ai arrêtés ( sous-entendu : et donc, on m'a enfin reconnu et aimé !  

-- Repli positif (vaille que vaille) sur soi : l'enfant ou l'adolescent essaie, tout seul, de se dire qu'il ne peut compter que sur lui, et, qu'après tout, il a le droit de se faire du bien, sans trop de considérations pour les autres, par nature si égocentriques. Dans cette perspective, il est plutôt rare qu'il s'en tiendra à de simples " auto-chouchoutages " acceptables. Plus souvent, il se donnera des plaisirs à risques : consommation de produits anesthésiants de son inconfort ( alcool, drogues, médicaments, inhalants des enfants de la rue ...), ou il passera par des actes antisociaux, destinés à augmenter son confort ( vols ), mais aussi à montrer sa haine de la société ( destructions ). 

Parfois cette dimension de " haine affichée " face à un ordre social persécuteur est vraiment forte, jusqu'à relever d'une sorte d'ivresse de toute-puissance ( une des significations du terme " psychopathie " ). 

-- Mise en place de masochisme : l'enfant parvient à vivre un plaisir corporel diffus au moment d'une expérience relationnelle négative ; il peut en devenir dépendant, et donc, en provoquer activement le retour : par exemple, enfants peu aimés, à la limite d'être l'objet de violence, et qui se fixent dans des comportements d'échec exaspérants pour autrui. Il peut s'en suivre une exacerbation de la violence dirigée vers l'enfant : en miroir, chez l'adulte, elle se teinte d'une dimension sadique ... De loin en loin, un enfant battu meurt, prisonnier avec son entourage de cette logique masochico-sadique. 

 

Le traitement 

 

- Attitudes portant sur la vie quotidienne : apparemment, c'est simple : le réinvestir avec persévérance, fidélité, sans se laisser rebuter par ses actes de méfiance et d'agressivité ; mettre des limites à son éventuel cannibalisme, et prendre l'initiative de revenir vers lui s'il supporte mal les frustrations qui s'en suivent ; le revaloriser ; l'aider à identifier ce qu'il y a de bon en lui ; être tolérant face à ses incapacités ( achever des projets ). 

- Les cas plus graves bénéficient d'une thérapie individuelle conjointe mélangeant interprétations et encouragements à de nouvelles habitudes sociales. L'écueil possible, c'est que l'abandonnique ne la vive que comme un lieu seulement destiné à se réapprovisionner en amour.