la ténacité de l'adulte finissent souvent par avoir raison d'une majorité de ses crises anxieuses.

"Ouvre ta bouche. Tu ne sentiras rien !"
 

 la bouche

L'extraction dentaire, par Adriaan van Ostade (1610-1685), Kunsthistorischer Museum de Vienne

Initialement, c'était ici le texte d'une conférence faite en 2004 à l'intention de la société de médecine dentaire de Belgique. Donc, la visite chez le dentiste sert de référence-clé et l'article peut intéresser tous les praticiens amenés à soigner les dents ou la bouche de l'enfant.

Mais j'ai pensé aussi à beaucoup d'autres situations où l'on doit prodiguer à l'enfant des soins dits « intrusifs » ( sondages, petites interventions chirurgicales, etc. ) Et j'ai adapté mon texte à cette perspective élargie. Il a été publié sous le titre « Ouvre la bouche, tu ne sentiras rien », Journal de pédiatrie et de puériculture 2005, 18-5, 236-242.
En annexe en fin d'article, une réflexion spéciale sera consacrée à la circoncision. ( "A politically correct USboy is cut, honey mummy knows it!")


§ I. L'enfant, son corps, sa bouche et ses dents 



I. L'enfant et son corps 



Je me limiterai à quelques considérations utiles dans la perspective de prévention et de soins propres à cet article.

L'enfant identifie et connaît l'entièreté et les parties de son corps, certainement ce qui en est visible, depuis qu'il est tout petit, autour de deux ans. Mais avant six-sept ans, il n'est pas sûr que son corps soit sa propriété : selon lui, il appartient d'abord, en quelque sorte, à ses parents, aux membres les plus âgés de sa famille, voire à d'autres adultes qu'il connaît et estime : il le leur abandonne donc sur demande et fait d'autant moins d'histoires que celle-ci n'est pas menaçante (« Viens prendre ton bain ... Viens te faire câliner sur mes genoux, etc. ») Le fait qu'il leur résiste néanmoins parfois ne signifie pas pour autant qu'il est convaincu d'avoir le droit d'agir ainsi.

Ce n'est que progressivement qu'il prend conscience que son corps, identifié par lui, est bien séparé et différent de celui de ses parents, et qu'il a un droit de propriété très large à son propos, droit dont les seules vraies limites sont la mise en danger de soi ou d'autrui. A partir de huit-neuf ans, il en sera tout à fait convaincu et ce peut être à l'origine de solides batailles d'opinion et de conflits de pouvoir. enfant qui boit
En même temps que ses incertitudes de propriétaire, l'enfant jeune doute aussi d'une permanence fondamentale, présente et à venir, de la constitution de son corps. Il ne sait pas que, si tout se passe bien, tous ses organes sont destinés à rester en place, croissant puis décroissant lentement.(2).Entendons-nous bien : n'importe quel corps peut tomber malade ou être accidenté. Il peut donc saigner, normalement très peu de temps, être amputé traumatiquement d'une partie jusqu'alors saine ou être amputé pour raisons médicales d'une partie nécrosée ou quasi. Mais le jeune enfant, lui, imagine parfois que des morceaux peuvent en tomber, spontanément ou suite à des manipulations intempestives, ou encore par punition, ou qu'un agresseur pourrait venir lui en dérober les parties les plus précieuses : c'est le cas pour son sexe, par exemple, zone particulièrement attractive et à risque. Les plus petits imaginent même que leurs selles, c'est une partie de leur corps qui s'en va et qu'avec elles leur corps se vide de l'intérieur. Si d'aventure, à l'époque de la vie où fleurissent de telles angoisses, on doit extraire une de leurs dents, ils peuvent le vivre comme la confirmation — adulte aidant — de cette précarité de leur corps, qui pourrait bien se déglinguer et se morceler et donc, perdre d'autres pièces encore que cette dent qu'on lui enlève (3)

 

II. L'enfant et sa bouche 



Sa bouche, c'est un des tous premiers organes que l'enfant repère : il la sent fonctionner, l'explore avec ses doigts ou avec des objets ou il joue avec elle, l'ouvre et la contemple dans le miroir. Il la découvre aussi indirectement en regardant et inspectant la bouche de ses familiers, ou en jouant avec eux à tirer la langue ou à faire des bruits amusants.
D'intuition, il sait que c'est un organe fonctionnel-clé, qui lui sert à manger, boire et parler. Il sait aussi que c'est un organe sensible, douloureux à l'occasion : quand elle est atteinte par des maladies spécifiques, quand il a reçu un coup ou s'est mordu la langue, quand elle reçoit du trop chaud ou du trop froid, quand il y a un problème aux dents, ça peut faire très mal
Mais c'est aussi un endroit très intéressant, qui lui apporte d'importants plaisirs transitoires ou durables : téter, manger et boire, jouer avec la nourriture en bouche ou la cracher, comme ce peut être gai ! Autant pour la succion du pouce ou des doigts, celle de la « tutute » et l'introduction exploratoire de divers objets dans la bouche. Il y a encore le plaisir de lécher. Dans la suite de la vie apparaîtront le plaisir d'exercer sa bouche dans des vocalises, celui de chanter, de crier, de proférer des gros mots ou de produire de beaux et intelligents discours. Et les bisous ? Il les donne d'abord pour faire plaisir et souvent sur demande. Mais plus tard, ce sera plus perso, l'enfant utilisera sa bouche dans ses interactions affectueuses et amoureuses, en allant des bisous mouillés aux french kisses, voire à des utilisations lewinskiennes de la bouche au hasard de ses fantaisies sexuelles. 

La bouche est encore un des lieux par lesquels s'expriment l'affirmation de soi et l'agressivité : mordre - ce qui inquiète souvent un peu trop puéricultrices et institutrices de maternelle ! -, cracher, tirer la langue, verbaliser son agressivité ... tout cela passe par la bouche. Occasionnellement, l'activation de celle-ci est un signe et un symbole de la force que l'on ressent ou non en soi et du droit de propriété que l'on se donne ou non sur son corps : par exemple, face aux sollicitations faites par l'adulte pour accepter la nourriture, certains enfants ferment énergiquement la bouche, d'autres crient et d'autres se laissent faire docilement. Enfin, la bouche est vécue comme une porte d'entrée vers les mystères et les profondeurs du corps. Certains enfants, surtout mais pas seulement à la maternelle, imaginent même que c'est par elle que sortent les bébés, voire qu'on les fait entrer dans le ventre des mamans. D'autres redoutent que, s'ils laissent les doigts de l'adulte s'y introduire pour l'une ou l'autre raison, celui-ci pourrait faire intrusion dans tout leur corps, connaître leurs secrets, en prendre des morceaux, voire le détruire. S'ils le vivent ainsi, ils peuvent faire de fortes crises d'angoisse et d'opposition, quand on veut leur introduire dans la bouche un objet non usuel ( thermomètre, instrument de soins ) ou un médicament au goût étrange.

En résumé, l'enfant se sent porteur, mais pas tout de suite propriétaire d'un organe intéressant, qu'il aime bien pour tous les usages fonctionnels, plaisants ou agressifs qu'il en fait. Mais cette même bouche peut être à l'origine de bien des angoisses, modulées par le tempérament de l'enfant et par l'ambiance plus ou moins sereine dans laquelle il vit : angoisse d'avoir mal, tout simplement ou angoisse d'être privé de parties de son corps ou angoisse d'une possible invasion par l'adulte, qui commence par la bouche, mais ... ou angoisse qu'on ne veuille punir sa bouche, à cause de tous les excès auxquels il s'est livré, etc.

Souvent angoisse et opposition sont intriquées : c'est parce qu'il se sent menacé et qu'il a peur que l'enfant crie, se débat et ferme farouchement la bouche.

 


III. L'enfant et ses dents 

 


Le vécu de l'enfant par rapport à ses dents se superpose largement à ce qui vient d'être dit à propos de la bouche. Les dents, elles aussi, constituent un lieu du corps fonctionnel, sensible à la douleur, source de plaisir - le plaisir de mordre, à pleines dents bien sûr ! - et moyen d'expression de l'agressivité — ici, c'est dans la fesse bien tendre de son ennemi que l'on mord ! — ... Chez certains enfants, les dents sont aussi l'occasion de luttes de pouvoir plus ou moins déclarées avec les parents : Ah, tous les ces enfants soi-disant tête en l'air qui « oublient » de se laver les dents, et à qui il faut le rappeler tous les jours pendant des éternités !

Plus spécifiquement, les dents, c'est aussi un petit bout de corps détachable ! Vers six-sept ans, ce détachement est physiologique, et la grande majorité des enfants le supporte bien : ils comprennent que c'est un signe de leur grandissement, que d'autres dents plus fortes arrivent et tout comme dans les seniories, leurs classes sont peuplées de joyeux édentés. En plus, la petite souris vient parfois emporter le petit déchet précieux, caché avec maman sous l'oreiller, pour l'emmener au paradis des dents de lait, et elle va la remplacer par d'horribles sucreries ! Quoi qu'il en soit, au moment de cette perte de dents, l'enfant ne se sent plus « au lait », mais bien au parfum des blagues salaces de la cour de récréation. Mais quand l'ablation n'est pas naturelle et surtout si elle a lieu plus précocement dans la vie, c'est assez souvent ressenti comme un signe du pouvoir des adultes sur le corps, et comme un signe avant coureur de détachements encore plus affreux ! ( cfr. supra )

 

 miam miam

 

§ II. L'accompagnement psychologique des soins dentaires 



A. Le déroulement habituel des opérations 

 


Quand on demande à l'enfant d'ouvrir la bouche bien grande et de rester calme pour qu'on lui soigne les dents, on va à l'encontre d'un réflexe d'auto-protection très banal. Plus l'enfant est jeune, moins il y a de chances qu'il comprenne facilement le projet adulte de le soulager à long terme, et plus il est susceptible de réagir comme le mammifère blessé de qui l'on s'approche trop pour enlever une épine de la patte : ce sera donc la fuite ou l'agression, cette dernière surtout s'il se sent acculé.

Il faut donc arriver à ce que l'enfant fonctionne principalement avec ce que l'on pourrait appeler une « intelligence anticipative » : consentir à faire le pari que cet étranger qui prétend l'aider et semble soutenu par ses parents va vraiment le faire. Un certain nombre y parviennent, d'autant plus aisément qu'a existé une bonne préparation. En dessous de huit-neuf ans, il est néanmoins normal que s'y mélange un zeste de méfiance, d'angoisse et de qui-vive, et d'agressivité larvée. C'est que l'enfant sait d'intuition qu'il est souvent trop confiant et que ses facultés de discrimination ne sont pas encore au top ... et les adultes l'ont si souvent roulé dans la farine avec leurs paroles lénifiantes, leurs sourires et leurs promesses !

Après huit-neuf ans, il fait davantage confiance à sa propre capacité à reconnaître les vraies et les fausses bonnes intentions de ses parents ou d'autrui, et il se laisse davantage aller sans plus de réticences.

 

 la bouche

SOS dentistes au travail au Vietnam ... On ne se rend pas assez compte combien les douleurs dentaires, souvent durables peuvent « pourrir la vie » des enfants pauvres et notamment des enfants des rues

Néanmoins une minorité d'enfants, dégressive avec l'âge, ne parvient pas à « marcher à l'intelligence » C'est surtout le cas des enfants souffrant de lourds handicaps cognitifs ( autistes, retardés mentaux importants ou psychotiques ), c'est aussi celui d'enfants qui ont un niveau basal d'angoisse très élevé, par tempérament et/ou suite à l'histoire de leur vie et/ou suite à la manière très anxiogène dont les parents les élèvent. C'est enfin le cas des enfants qui ont subi un traumatisme de la bouche, surtout si celui-ci a été volontaire ( coups ) et qu'ils ont eu le temps de visualiser l'agent agresseur qui fonçait sur leur bouche. Dans tous ces cas et notamment dans le dernier, face aux stimulus et à l'ambiance qu'ils perçoivent dans le cabinet du dentiste (4) ce sera la crise d'angoisse intense et prolongée, le désespoir, la colère et l'opposition ou, plus souvent encore la séquence rapide angoisse ---> opposition bruyante. L'attitude des adultes présents au moment de la crise peut contribuer à atténuer celle-ci ou à l'exacerber. Si eux-mêmes s'énervent, menacent, bousculent l'enfant, ils augmentent la probabilité que la crise atteigne des sommets et se prolonge, et que l'enfant en sorte « vainqueur » ou quand il retrouve la rue, le voici bougon, l'air vaguement sourd et absent, reniflant et refoulant ses larmes, la main dans celle d'un parent tout aussi énervé, et avec les dents toujours malades. Mais surtout, il a reçu comme une preuve que l'explosion de ses émotions faisait céder les adultes. Alors, bonjour la récidive, dans toutes sortes de circonstances menaçantes et frustrantes !

Inversement le calme, la capacité de contenir ses débordements, les explications sobres couplées àt déjà essayé de lui dire que telle visite chez un soignant, c'était pour son bien et que ça ne ferait pas mal, mais la réalité coïncide rarement avec les paroles lénifiantes ou les silences qui l'ont introduite.

Quoi qu'il en soit, en simplifiant et idéalisant quelque peu les choses, on doit espérer que les parents ou les éducateurs habituels de l'enfant, spontanément ou après sensibilisation (5),parviennent à n'en faire ni trop ni trop peu pour préparer cette fameuse visite. Et qu'ils le fassent à un moment bien choisi, pas trop longtemps à l'avance en tout cas : l'avant-veille, voire la veille en fin d'après- midi ou même une heure ou deux à l'avance pour un enfant de moins de six ans, c'est un délai suffisant (6)  Ce qui n'empêche que, à titre de prévention et en dehors de tout projet de visite précise, on peut lire avec l'enfant jeune une petite histoire illustrée qui raconte la visite chez le dentiste. Ce sera plus simple alors, au moment d'introduire une expérience concrète, d'aller rechercher le livre et de signaler à l'enfant : « cette fois, c'est à ton tour »

Ni trop, ni trop peu ? Ce que l'enfant doit savoir, c'est que le dentiste est une personne en qui ses parents ont confiance ( voire un ami au prénom connu, surtout si l'enfant est très jeune ) Il répare les dents ( ou les soigne ) pour qu'elles grandissent ( éventuellement, il enlève une petite dent malade pour qu'une dent plus forte — une dent de grand garçon ou de grande fille — puisse pousser ) Maman ( ou un autre familier ) seront présents aux côtés de l'enfant pendant les soins. Fin du message ! Surtout, surtout, les parents devraient éviter d'ajouter « Il ne te fera pas mal » ou « Il te fera une petite piqûre pour que tu n'aies pas mal, mais la piqûre ça fait pas mal » De ces messages anxieux et chargés d'émotions, l'enfant jeune gomme les négations et ne retient que l'inverse, c'est-à-dire « Tu auras mal » Je propose donc que l'on s'en tienne dans un premier temps à la base verbale précitée, plutôt sobre : le dentiste est fondamentalement quelqu'un qui soigne, avec la confiance des parents. Puis on doit s'enquérir des éventuels commentaires ou questions de l'enfant. S'il n'en a pas, c'est bien ! S'il en a, il faut lui répondre authentiquement et toujours sobrement. Donc, la question de la douleur viendra quand même peut-être sur le tapis, mais à la demande de l'enfant. Et la réponse indiquera, avec des mots adaptés à l'âge de l'enfant : le travail sur les dents est indolore ou pour ce faire il est précédé d'une anesthésie ou celle-ci peut piquer un peu, comme quand on se fait une pincette, quelques secondes. Ici encore, je ne parlerais de la piqûre et de l'aiguille que si l'enfant demande explicitement avec quoi on rend ses dents insensibles.

Ultime acte de préparation, si l'enfant est réputé très anxieux ou très difficile, on gagne à le faire accompagner par un adulte ( voire un grand adolescent ) réputé ferme et tranquille, sans l'en avertir longtemps à l'avance, et en argumentant de l'indisponibilité de l'accompagnateur le plus spontanément attendu, « Maman n'est pas libre. C'est moi qui viens avec toi » Surtout s'abstenir d'ajouter : « comme ça ,avec moi, tu n'auras pas peur », ce qui fait trop penser indûment à l'enfant qu'il va devoir affronter une situation pénible !

Voilà pour la préparation côté parents. Et côté dentiste ? Surtout s'il a pour habitude de recevoir d'assez nombreux enfants jeunes, réputés sensibles, il peut veiller aux dimensions accueillantes de sa salle d'attente et de son cabinet — J'en connais même un qui a installé des perruches à bonne hauteur en face du fauteuil du client (7) ou et croyez-moi, il n'y a pas que pour les enfants que l'animation de ces bestioles constitue une agréable manoeuvre de diversion ! —, il peut veiller aussi à l'éventuelle dissimulation d'une partie de son matériel : inutile que son cabinet apparaisse comme une sorte de musée de la seringue et du dentier ! Se pose aussi la question de l'aspect accueillant ou impressionnant de sa personne.

Un tablier blanc, un masque et des gants sont-ils toujours vraiment indispensables ? Très peu de petits enfants, à ma connaissance, sont atteints du SIDA ou de tuberculoses actives. Réciproquement, la contamination à partir de l'homme de l'art, qui se serait bien lavé les mains, est-ce si sûr ? A chacun d'apprécier, au cas par cas, notamment à partir de la réactivité prévisible du petit client.

 

 la bouche


Plus radicalement, chacun devrait réfléchir à son « Soi professionnel » et se demander s'il dispose des dispositions d'esprit centralement nécessaires pour bien travailler avec des enfants, surtout en âge de maternelle : patience, capacité d'apprivoiser l'enfant à peu près au rythme de celui-ci, tolérance et indulgence, empathie pour ce que vit l'enfant, capacité de clin d'oeil et d'humour ... mais de fermeté aussi, fermeté tranquille, capacité de décider et d'aller de l'avant sans s'énerver.

Evidemment, personne ne possède toutes ces qualités et, quand on en possède quelques-unes, on a régulièrement des passages à vide. Néanmoins, celui qui n'en reconnaîtrait aucune en soi, celui qui est tout de suite énervé ou angoissé par les enfants trop jeunes ... doit-il vraiment accepter la clientèle de ceux-ci ?



C. Le face-à-face avec les petits clients ordinaires

 

Avec ceux-ci, c'est relativement simple : la gentillesse de l'accueil ou le fait de s'intéresser à l'enfant, de lui demander son prénom et de se présenter, de s'enquérir de l'un ou l'autre paramètre important de sa vie ou le fait de lui rappeler brièvement le pourquoi et le comment de la situation ( enlever la dent qui fait mal et permettre à une dent de grand de bien venir ... réparer pour que tu n'aies plus mal ) ou le fait d'expliquer ce que l'on va faire tout juste à l'avance et sans tricher, de montrer l'appareil à l'enfant, éventuellement de lui permettre de le toucher, sans en remettre durant des éternités ... et puis, de façon tout aussi importante, le droit que l'on se donne d'aller de l'avant, tout ceci devrait entraîner une collaboration raisonnable de l'enfant. A la fin des opérations, il faut bien penser à le remercier et à le féliciter, ne serait-ce que pour l'encourager à se conduire une prochaine fois de façon tout aussi responsable.

Un mot néanmoins de ces tout petits ( moins de cinq ans ), à qui l'on doit extraire une dent (8), et qui pourraient généraliser et voir surgir des angoisses sur le morcellement possible de leur corps. Ils sont plus nombreux qu'on ne l'imagine — à cet âge-là, cette angoisse est quasi physiologique ! — et ils ne se manifesteront pas toujours par de la protestation anxieuse au moment de l'opération ou c'est souvent dans les jours qui suivent que cauchemars et autres signes de stress viendront empoisonner la vie de tous. Agrémentés peut-être par de la masturbation compulsive — pour laquelle on les grondera encore — ou de commentaires plus précis, à saisir au vol pour qui veut bien les entendre ( « Y a une fille à l'école, son zizi est tombé » )

 

 dentiste

 


Est-il possible de faire de la prévention primaire ou secondaire, en dialoguant avec eux lors de la préparation ou sur place ? Doit-on se limiter à intervenir par la suite, face aux signes qui se déploieraient ? A décider au cas par cas !

L'idée maîtresse, c'est d'écouter leurs craintes sans se moquer d'eux s'ils n'osent les exprimer et de dialoguer en s'efforçant de leur transmettre explicitement un message verbal dont voici la synthèse « ça va grandir et personne n'a le droit d'en prendre un morceau »



D. Et avec les enfants particulièrement anxieux ou opposants ? 



Les attitudes susmentionnées restent fondamentalement d'application. Le principe le plus important me semble être de pouvoir insister en restant calme, mais sans vouloir soumettre l'enfant à tout prix. Surtout, ne pas s'agiter soi-même, ne pas s'énerver et entrer en escalade agressive, ne pas se montrer insécurisé ou perdant les pédales, ne pas marchander et faire des promesses ou des menaces. Demander fermement à l'accompagnant de rester quasi silencieux, par exemple en tenant la main ou les deux mains de l'enfant. Que lui aussi s'abstienne de commentaires type menaces ou promesses. Continuer à parler à l'enfant doucement, calmement, sobrement, la parole centrale étant : « Pierre, je voudrais que tu ouvres bien la bouche pour que je puisse te soigner. Et d'abord, je dois commencer par ... » On peut la répéter comme une litanie, mais inutile, une fois encore d'en remettre avec les « je te promets que tu n'auras pas mal », dont l'enfant gomme la négation !

Si, dans cette ambiance douce et ferme, angoisse ou colère persistent plus de quelques minutes ou vont même crescendo sans collaboration de l'enfant, on peut conclure provisoirement et lui dire, en pesant soigneusement ses mots « Bon, je ne pourrai pas te donner tes soins aujourd'hui ; tu vas repartir avec ta dent malade ; je vais réfléchir avec tes parents à ce que nous allons faire pour te soigner » Cette réflexion peut prendre place quelques heures plus tard par téléphone, en dehors de la présence de l'enfant. Quelles sont alors les pistes qui s'ouvrent ? Différer les soins et attendre que l'enfant grandisse, parce que ces soins ne sont pas vraiment indispensables rapidement ou revenir à la charge avec le même type d'attitude, toutes les deux semaines par exemple, pour montrer à l'enfant que l'on tient vraiment à sa santé, et dans l'intervalle remédier aux dimensions problématiques de sa personnalité, par exemple par le dialogue éducatif, la valorisation à la maison, voire une psychothérapie ou lui administrer un médicament tranquillisant quelques heures avant la visite ou recourir à l'anesthésie générale ou à d'autres techniques modernes comme le MEOPA (9)
Parmi les enfants qui nécessitent souvent une aide spéciale, il y a notamment ceux qui ont subi un traumatisme de la bouche, surtout si : ils sont jeunes et/ou déjà de tempérament anxieux ou si le traumatisme a été volontaire ( coups ) et encore plus si c'est adulte qui l'a porté, et s'ils ont vu l'agent traumatique foncer sur leur bouche. Alors, ils peuvent être terrorisés, sur de très longues durées, si quelqu'un s'approche de nouveau de leur bouche et leur demande de l'ouvrir. Pour ces enfants, il faudra souvent une psychothérapie préparatoire, et même une anesthésie générale ou du MEOPA.



E. De retour à la maison 

 

 

 la bouche

Dessin de Lambert Dovmar (1623-1700),Ashmolan museum de Dresde

Pour peu que la séance ait été houleuse et surtout si l'enfant est jeune, on peut l'encourager, mine de rien, à jouer au jeu du dentiste avec ses peluches ou poupées. Le fait qu'il abréagisse sa rage et son angoisse, par exemple en s'en prenant violemment aux dents d'une marionnette-crocodile, atténuera ce que la rencontre a pu avoir de traumatisant et le préparera à être plus ferme à l'avenir. Avec des enfants plus âgés, on peut d'enquérir de ce qu'ils ont vécu et les aider à le verbaliser ou, tout simplement, partager des souvenirs et dialoguer.



§ III. L'appareil dentaire (10)

 

Une minorité d'enfants — souvent, les plus âgés — ou de jeunes adolescents sont suffisamment intelligents, capables d'anticipation et raisonnables pour comprendre que la demande qu'on leur fait est intéressante pour leur esthétique future et pour la fonctionnalité de leur dentition. Ils y adhèrent d'autant mieux qu'on leur donne de bonnes informations et qu'on discute avec eux du pour et du contre. Ils gagnent néanmoins à être encouragés au cours de la procédure, soutenus lorsqu'ils vivent quelques moments difficiles — inconfort, moquerie d'un camarade, etc. —, et félicités, voire récompensés pour leur courage.

 

 armée dentiste


Une majorité est plus ambivalente, du moins au début ou si c'est le cas, il faut pouvoir insister et décider à leur place, en appliquant également et avec encore davantage d'intensité les attitudes que je viens d'esquisser. Lors de leurs moments de mauvaise humeur à l'égard du « machin chiant », ils ne méritent certainement pas la mauvaise humeur en retour des adultes, mais plutôt compréhension et encouragements.

Reste une minorité et même une petite minorité d'irréductibles qui n'en veulent vraiment pas. Concrètement, s'ils sont déterminés, ils finissent quasi toujours par gagner sur le terrain à force de sabotages, cassures de l'appareil et autres oublis. Néanmoins, face à leur « non » persistant, nous pourrions apprendre à nous résigner autrement qu'avec rage. Après tout, ces jeunes nous rappellent que la liberté de l'être humain est une réalité et une valeur importante. Au moins nous montrent-ils qu'ils sont capables de dire non et ceci devrait nous réjouir, car nous pouvons en inférer qu'ils sont à même de se faire respecter, par exemple par des gens qui voudraient abuser d'eux. Même si nous ne sommes pas d'accord avec le bien fondé de leur choix et si nous pouvons le leur expliquer, nous pouvons nous incliner devant celui-ci avec le respect dû à leur différence. Entre autres, parce que l'on ne peut pas arguer que leur refus persistant met en danger leur vie ou celle d'autrui.



Annexe : A propos de la circoncision 



En Belgique et en France, la circoncision des jeunes garçons revient à la mode.

Mode, sans plus, comme chaque fois qu'il n'existe pas de raison religieuse ou culturelle forte pour introduire une nouvelle pratique. Mode, car les raisons avancées autour de l'hygiène ne tiennent pas vraiment la route, dans des pays où l'on se lave plutôt trop que trop peu. S'il fallait couper préventivement tout ce qui peut-être risque d'être sale si nous ne nous en occupons pas, on peut nous couper tous en petits morceaux !

S'il s'agit seulement d'une mode, les parents devraient y réfléchir à deux fois avant d'y souscrire, et même demander l'avis de l'enfant concerné avant d'agir : après tout, pour paraphraser une des premières chansons célèbres mettant en garde contre l'abus sexuel : Son corps, c'est son corps !

 

 circoncision

 

Quelques mères devraient même résister à leurs envies raboteuses, car parfois, ce sont elles, et seulement elles, qui veulent marquer leur fils, symboliquement, en exerçant un pouvoir ambigu sur cette partie de son corps qui ne leur sera jamais destinée érotiquement. Motivation pas vraiment construcitve pour l'enfant lorsqu'il en a l'intuition ...

Par contre, si la raison de la circoncision est culturelle ou religieuse, les garçons s'en ressentent valorisés, et leur sentiment d'appartenance au groupe est renforcée. Signalons néanmoins que, quelle que soit la raison du geste, il existe une tranche d'âge plus défavorable pour le faire, entre trois ans et six, sept ans ... ce sont les âges ou l'angoisse de castration, l'angoisse d'une possible mutilation sexuelle voulue par l'adulte, est la plus forte ...

Rappelons pour terminer que nombre d'enfants, et même quelques préadolescents et adolescents, quelque peu timides, mal dans leur peau ou pudiques, n'osent pas parler de problèmes intimes comme des difficultés de décalottage ... il faudrait donc vérifer la chose quand ils sont encore petits, par exemple quand on leur apprend l'hygiéne intime ... L'idéal est que ce soit les pères qui le fassent, le plus naturellement du monde.
En cas de gène ou de franc phimosis, la circoncision s'impose, en leur expliquant, comme disait Dolto, que c'est « pour mieux bander »


 

Notes. - 





(2) Les seules choses qui se séparent physiologiquement du corps, ce sont ses déchets et surplus morts : urines, selles, vomissements, ongles et cheveux ... la plupart des enfants comprennent très vite que ce n'est plus vraiment leur corps, sauf les tout petits ou les grands handicapés cognitifs qui peuvent déjà avoir très peur de ces pertes-là.
(3). On imagine sans peine qu'il peut vivre aussi la catalyse de ses angoisses lors d'une amygdalectomie, une circoncision, etc. Il faut donc éviter de pratiquer de telles opérations, si elles ne sont pas indispensables, avant l'âge de six-sept ans.
(4). Rappelons que dans ce texte « dentiste » est un terme générique qui désigne tous les soignants qui veulent faire ouvrir la bouche à l'enfant, principalement pour lui soigner les dents ( dentistes, orthodontistes, stomatologues, ...) On peut y adjoindre dans une large mesure d'autres soignants qui veulent faire un examen ou des soins pour lesquels il faut pénétrer le corps ( médecins traitants, pédiatres, etc.)
(5). Le dentiste pourrait s'enquérir par téléphone s'il s'agit de la première visite de l'enfant chez un représentant de son art. Si oui, il pourrait faire quelques recommandations aux parents pour qu'ils préparent bien la visite ou encore, leur envoyer un petit feuillet informatif à ce propos.
(6). Je me situe ici en dehors du contexte de la grande urgence, qui rend la préparation impossible ou quasi.
(7). Et dans le joli dessin animé « le monde de Nemo » ( E. Stanton, 2003 ) quelle image de l'US-dentiste se véhicule-t-il ? Il a un magnifique aquarium disposé face aux clients, et travaille en blouse chirurgicale vert pâle et avec gants, mais sans masque !
(8). Ce pourrait être aussi un tout petit enfant chez qui on doit intervenir chirurgicalement, surtout sur des endroits « symboliques » et chargés d'affects : la bouche, le sexe, l'anus et ses prolongements ...
(9). Le MEOPA entraîne une sédation consciente et une diminution de la sensation de douleur. C'est un mélange équimolaire de protoxyde d'azote et d'oxygène. Mais il faut néanmoins que l'enfant accepte de mettre un masque et d'inhaler calmement, car il reçoit une dose de produit à chaque inhalation.
(10). Les considérations concernant l'obligation de porter un appareil dentaire s'appliquent aussi dans une large mesure à l'obligation inverse : celle de renoncer à la succion du pouce ( ou des doigts ) ou à la mise en bouche de la sucette ( « tutute » )


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