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 La fessée mérite-t-elle d’être diabolisée ?

Pr Jean-Yves Hayez[1]

 Résumé En éducation, la fessée (la gifle) est une pratique controversée. L’auteur décrit et discute quatre situations où elle peut prendre place : l’éducation chaotique, la vraie maltraitance, les parents confrontés à une situation grave, et les moments où les nerfs des parents craquent. L’auteur expose également les raison de sa réticence à voir une prohibition de la fessée inscrite dans le code civil

Summary In education, spanking (slapping) is a controversial practice. The author describes and discusses four situations in which spanking can take place: chaotic parenting, real abuse, parents facing a serious situation, and times when parents' nerves are frayed. The author also explains the reasons for his reluctance to see the prohibition of spanking written into the civil code

Je ne suis pas un partisan de la fessée, ni d’autres châtiments corporels envers les enfants, et pourtant je suis en désaccord avec leur diabolisation et avec l’idée d’ inscrire leur interdiction dans le code civil belge.

En guise d’appetizer, J’ai trouvé un dessin plutôt roboratif dans l’album « Tintin au pays de l’or noir ». On y voit le capitaine Haddock, exaspéré par les impertinences d’ Abdallah, appliquer à celui-ci le précepte romain « Pueri reguntur a posteriori (les enfants sont élevés par le… ) ». Je reconnais que, 3 planches plus bas, on constate que la mesure a manqué d’efficacité, puisqu’Abdallah, le regard mauvais, récidive dans ses farces et attrapes de mauvais goût. Néanmoins, il n'a pas l'air d'en vouloir à son "bourreau", mais plutôt de désirer s'affronter à lui.

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C’est juste pour sourire, car des esprits sérieux peuvent trouver que c’est ringard, que ce n’est justement jamais que l’illustration d’une époque révolue, où l’on fessait en veux,-tu en voilà.

D’accord, donnons-nous donc le temps d’une réflexion approfondie  et contemporaine en évoquant quatre situations de vie :

L’éducation chaotique répressive

Elle est le fait, malheureusement assez fréquent, de parents fatigués, énervés par leur vie et peu subtils en éducation : ils crient, menacent, insultent, font du chantage affectif, punissent impulsivement puis reviennent en arrière, et ponctuent le quotidien de brèves fessées, gifles et autres secouements. Beaucoup de ces interventions prétendument éducatives sont contestables et contreproductives :de quoi provoquer les enfants à se montrer encore plus difficiles, tout en cassant plus profondément leur confiance en soi et leur créativité ! 

 Néanmoins, le terme » violence » me semble inapproprié pour qualifier cette ambiance: la violence est une parole ou un acte agressif qui a pour visée explicite de nuire gratuitement à l’autre : le faire souffrir physiquement ou moralement, diminuer sa joie de vivre, sa sécurité, s’en prendre sans raison à ses biens matériels, etc…Ici, ce n’est pas la volonté de ces parents, qui font plutôt preuve de manque de contrôle de soi et d’une maladresse largement inefficace.

Comment les faire évoluer ? La seule prohibition de la fessée via un texte de loi sera tout à fait inefficace : Beaucoup l’ignoreront ou remplaceront la fessée par des paroles ou des punitions au moins aussi désastreuses !

 Il faut aller vers eux, les écouter,  comprendre leurs difficultés et remédier à ce que l’on peut, les faire réfléchir,  leur proposer des modèles plus positifs et efficaces, via campagnes de prévention, campagnes de presse, textes, formations précoces dès l’école secondaire, etc…  

La maltraitance avérée en famille

Elle existe malheureusement, de forme, d’intensité et de durée variables, depuis les enfants élevés à la bien trop dure, en passant par Poil de carotte jusqu’aux enfants-martyrs (dans le placard ou battus à mort). Ses formes les plus graves restent peu fréquentes.

Ici, l’enfant est vu comme un « mauvais objet », qu’il faut brimer si pas détruire. Les actes maltraitants sont répétitifs, même si la volonté de nuire n’est pas toujours officiellement ni même parfois consciemment reconnue comme telle. Ici, les châtiments physiques constituent bel et bien des actes violents, tout comme la violence psychologique qui s’y ajoute systématiquement et la sexuelle, occasionnellement.

 

Hélas, l’inscription de l’interdiction la fessée dans la loi civile ne va pas arrêter la compulsion de ces parents à s’en prendre à l’enfant.

Ce sont des situations très délicates à gérer. Elles nécessitent d’abord un bon repérage social, puis, si c’est possible un travail psycho-social intensif pour aider les parents à se comprendre eux-mêmes et à désirer changer, et pour leur donner des outils éducatifs différents. Cela ne réussit pas toujours et il ne faut pas être trop « mous » à l’idée de changer le lieu de vie de l’enfant. Se pose enfin la question de la sanction pénale d’actes qui sont des délits. 

Marquer le coup face à l’inacceptable

De très loin en très loin, un parent aimant et habituellement bon éducateur, peut se sentir exaspéré ou scandalisé par une insolence particulièrement provoquante ou par un vrai acte antisocial inacceptable émanant de l’enfant ou de l’ado:

« T’es un sale con » dit à son père, en le narguant les yeux dans les yeux, tel adolescent plus ou moins en crise ; on vient de découvrir qu’un(e) jeune de 12 ans avait déjà volé plusieurs fois sa grand’mère lors de ses visites ; un enfant de 5 ans se plaint que son grand frère (sa grande sœur) a voulu jouer avec son zizi, contre son gré et lui a fait mal, et le grand( la grande) vient tout juste de le reconnaitre…

Sur le coup, ce parent peut ressentir la montée d’une « sainte colère » et l’exprimer immédiatement : brève et cuisante démonstration de force physique,  très souvent accompagnée d’un solide « coup de gueule ». Je ne les appelle pas pour autant "violence", car in fine, l’intention n’est pas de nuire à la personne, mais d’en agresser une dimension déviante, vécue elle-même comme nuisible !

 Cette réaction n’est pas une obligation : un certain nombre de parents gère le choc de ce type de situation sans affrontement physique, voire sans élever la voix !

Lorsqu’un parent y recourt, ce doit être rarement (une, deux…fois par an tout au plus!) et à bon escient! Et, une fois calmés les deux protagonistes, il est indispensable de reprendre le dialogue, de chercher à se comprendre, d’aider le jeune à mieux vivre s’il en a besoin, voire parfois de chercher et d’appliquer une sanction plus significative et plus constructive, si l’acte est vraiment antisocial.

Il y a quelque temps, dans les villages, le jeune ado, le "grand" qui avait importuné sexuellement un petit recevait un certain nombre de coups de ceinture sur son cul nu... en quelque sorte, il était puni par où (ou presque) il avait péché. Peut-on jurer que ce qui se passe aujourd'hui, à travers la bureaucratie et la lenteur des institutions, la frilosité fréquente du monde judiciaire, et les parents qui s’érigent en bouclier pour protéger l’auteur c'est toujours mieux?

Un jour, dans une école secondaire belge, un ado de 14 ans rentre dans sa classe en faisant exprès de marteler avec ses pieds le plancher de bois du local. Il ne s’arrête pas après injonction verbale. Exaspéré, le prof lui « flanque une baffe ». Mal lui en prit : le pauvre homme fut renvoyé de son école et eut de sérieux ennuis judiciaires. Je donne cet exemple « sur la pointe des pieds », mais j’assume vraiment le donner, au titre de réaction à l’exceptionnel, sur laquelle on devrait donner son assentiment, parents et société ! Il n’en n’est pas moins vrai que pour mater les élèves, il a existé beaucoup d’abus de la force physique dans les écoles -de la vraie violence !- que je ne cautionne pas et et je ne suis en rien nostalgique de cette époque.

Mais triste époque aussi que la nôtre où nous sommes interdits de fessée,  mais où les jeunes, eux, peuvent nous montrer leurs fesses, que nous devons embrasser sans protester. Jacques Brel le chantait déjà, me direz-vous, mais à l'époque, les notaires avaient le droit de se défendre...

Terminons cette catégorie par un sourire : dans le film Scout toujours (G.Jugnot, 1985), Gérard Jugnot, Biquet, le grand chef, "flanque une baffe" à un des ados de la patrouille des Impala, son cauchemar, qui l'avait méchamment provoqué.

 

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Même dans la série télévisée française Fais pas ci, fais pas ça, modèle politically correct bobo branché, le gentil Elliott se fait gifler lui aussi par le pacifique Denis Bouley, une fois où il l',avait violemment insulté.

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Cinéma, cinéma, réagirez-vous!! Bah non, les scénaristes à l'œuvre pour créer ces scènes, eux, ont estimé qu'elles apportaient un message valable sur le fonctionnement de leur société.

De l’indulgence quand les nerfs des parents craquent

Je pense de nouveau à des parents aimant,  habituellement bons éducateurs  qui passent, comme nous tous, par des jours « sans » où ils ont les nerfs à vif.  Par exemple, la bouillante Fabienne Lepic dans la série télévisée française « Fais pas ci, fais pas ça » déjà citée ! 

Si l’enfant où l’ado vient chatouiller les moustaches du tigre quand celui-ci est de mauvaise humeur, un coup de patte peut se perdre impulsivement, vrai coup de patte certes, mais griffes toujours bien rentrées, sans que ce soit vraiment mérité….

 

Au sens de notre définition il s’agit bien d’un acte, presqu’un réflexe de violence. Donc c’est regrettable, mais bon…faut-il pour autant que le parent se sente un citoyen hors-la-loi  ?

Il peut-il doit-reparler avec « sa victime » de ce qui s’est passé, présenter ses excuses pour son moment d’excès, et chercher éventuellement comment mieux vivre ensemble à l’avenir. Mais l’enfant ou l’ado, lui, gagne à apprendre à mieux repérer la mauvaise humeur du tigre et à se montrer plus prudent…

Les témoignages informels d’adultes (micro trottoirs, sites Internet, etc.) fourmillent d’anecdotes liées à ces deux dernières catégorie de situations, où les adultes ont l’air d’avoir pris avec philosophie ce qui leur est arrivé et ajoutent même-parfois à tort- « Au fond je l’avais bien mérité »

François, 40 ans,  témoigne : vers nos 10 ans, avec mon frère, on s'amusait à provoquer notre père qui nous menaçait du martinet, et on faisait des paris sur l'exécution ou non de la menace…Comme quoi, le traumatisme psychique, ce n'est pas certain!

 

Non à une inscription dans le code civil de la prohibition de la fessée

En tant que professionnel de l’enfance, j’estime partiellement fallacieux l’argumentaire des tenants de l’idée. Ils généralisent abusivement la qualification « violence » des châtiments corporels et en outre ils se focalisent strictement sur ceux-ci, en oubliant les humiliations verbales, les chantages affectifs, les menaces effrayantes, les punitions cruelles... C’est toute la pédagogie qui gagnerait à être plus positive !

Enfin toutes les violences faites à l’enfant n’entrainent pas ipso facto ni des traumatismes profonds et durables, ni une compulsion à reproduire ce qu’il a vécu : ce sont là des slogans plus que des vérités scientifiques ! L’enfant devient vite capable de faire la part des chose entre ce qui est vraiment cruel et ce qui est quasi-accidentel, et il est aussi capable de liberté et d’évolution !

En tant que citoyen, je redoute la prise de pouvoir d’une partie de la population sur l’autre : contre les parents lambda, ceux qui jouissent de bonnes conditions pour élever paisiblement leurs enfants, ceux qui ont lu et ont de la culture pédagogique, ceux qui ont l’oreille des médias et des députés…

Je n’aime pas que l’Etat se mêle trop de nos vies privées. Il doit nous laisser à nos choix et à nos responsabilités, enrichis autant que faire se peut par le dialogue social. Et si nous commettons des délits, comme la maltraitance avérée, le code pénal est là pour nous rappeler à l’ordre et nous sanctionner.

Par contre, s’atteler dans le code civil à la définition d’un bon citoyen–« celui qui ne donne jamais de fessée »-, cela me fait peur : on commence ainsi et on finit par imposer ce qu’est l’identité nationale. Demain d’autres bonnes âmes proposeront de règlementer le nombre et le type de bisous destinés aux enfants ;d’autres voudront règlementer les masturbations des adolescents : obligation d’au moins 2 par semaine, puisque c’est bon pour la santé, et interdiction de plus de 5, pour ne pas devenir accro.

Je ne veux pas finir, comme en Chine, avec un permis à point dans la poche,  stipulant jusqu’à quel degré je suis un citoyen politically correct.

 

 

 

 

 

 

 

[1] Jean-Yves Hayez, psychiatre infanto-juvénile, docteur en psychologie, professeur émérite à la Faculté de médecine de l’université catholique de Louvain. Site web : www.jeanyveshayez.net

 

 

 

 

 

 

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