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Chapitre extrait du livre : l’enfant abusé sexuellement et sa famille : évaluation et traitement, JY Hayez, E de Becker, PUF, 1997

 

 

Celles-ci évoquent d'abord trois situations cliniques diffé­remment positionnées dans les catégories précédemment décrites : la quatrième expose une évaluation qui infirme l'hypothèse d'un abus.

 

UNE SITUATION FAMILIALE POSITIONNÉE EN CATÉGORIE CREDIBLE

La famille comprend les parents, l'adolescente de quatorze ans ainsi qu'une autre fille âgée de onze ans.

Un membre de la famille élargie, ayant reçu les confi­dences de l'aînée, contacte le Centre par téléphone. Il s'agit d'une jeune en désarroi et en colère à l'égard de son père pour certaines attitudes qu'il a envers elle (caméra cachée dans la salle de bain, jalousie du père, conflits permanents père/fille, regards et caresses trop insistants ...)

Nous demandons à recevoir ensemble la jeune fille et ce premier confident. Après ce temps passé en commun, puis un moment d'entretiens séparés ( psychologue-jeune fille; assis­tante sociale-confident ), suivi lui-même d'une réflexion entre intervenants, il apparaît que la conviction quant à la maté­rialité des faits est forte et que l'engagement des personnes en présence ouvre la possibilité d'une démarche suivante très « responsable » : on se propose donc de convoquer la mère en présence du premier confident, qui en accepte le principe et ressent la mère comme « souffrante et en questionnement » face aux conflits père-fille grandissants.        

En effet, la maman, convoquée, accorde rapidement cré­dit aux dires de sa fille et exprime son malaise et son impuis­sance face au climat familial. Elle nous autorise également à mettre sa fille, l'absente de l'entretien, à l'abri chez une tante.            

Est convoqué alors et sans tarder, par un troisième mem­bre de l'équipe, pédopsychiatre, le père abuseur supposé  il reconnaît les faits sans trop de peine et sans parvenir à se les expliquer autrement que comme le reflet d'une longue dépression l'ayant isolé affectivement. Il accepte, sans réti­cences, le principe d'une évaluation plus approfondie par l'équipe.

S'en suivent l'un ou l'autre entretien de couple, pénible bien sûr, mais où la mère convient qu'il faut se donner le temps de la réflexion. La question de l'éloignement est dis­cutée, mais comme la jeune fille ne veut pas revenir dans un lieu qui lui rappelle trop de mauvais souvenirs, c'est la mère qui déménage dans une autre ville avec ses deux filles, le père gardant provisoirement le domicile familial. Nous nous situons ainsi en catégorie C+ P+.

Après cela, le travail de réflexion psychologique se pour­suit de façon scindée.

Le père et le pédopsychiatre de l'équipe discutent princi­palement de la transgression, de la réparation de celle-ci, et de l'avenir des liens familiaux. La dynamique plus person­nelle qui meut l'intéressé, après avoir été abordée dans ces entretiens et signalée à l'occasion, est travaillée à fond par un autre thérapeute, dans un centre de santé mentale où le père a été référé. La mère continue une thérapie de soutien avec l'assistante sociale de l'équipe; elle y discute surtout des implications socio-familiales inhérentes au déménage­ment. La jeune fille, qui a souhaité elle aussi des entretiens réguliers, est reçue par la psychologue de sa nouvelle école

Sont organisés au sein de l'équipe des entretiens de cou­ple et des entretiens avec les sous-groupes mère-fille et mère-fratrie : on y parle entre autres de l'origine de l'inceste, des souhaits, limites et places de chacun dans les projets fami­liaux possibles pour l'avenir (ensemble ou séparément).

Dix mois après le début des interventions, la famille n'a pas encore reconstitué sa forme nucléaire initiale, et ne la reconstituera peut-être jamais : l'adolescente, retournée vivre avec la mère, refuse toujours tout contact avec le père et, pour le moment, la mère est solidaire de sa position. Le cou­ple père-mère lui-même tire toujours profit de la séparation, comme temps où peut mûrir l'élaboration d'un projet futur.

Dans cette situation, l'évaluation a été assurée par trois membres de l'équipe (psychologue, assistante sociale et pédopsychiatre) dont les deux derniers ont poursuivi la prise en charge à visée thérapeutique. Quant au TIS-V, il est constitué par les deux membres du TIS-T, qui ont conclu avec les thérapeutes individuels un contrat de communica­tion « en cas de vives préoccupations » et par une troisième Instance externe, personne morale constituée par la réunion d'équipe à qui il est fait régulièrement rapport de l'évolution.

 

SITUATION FAMILIALE POSITIONNÉE EN CATÉGORIE CREDIBLE mais PEU COLLABORANTE

Caroline (dix-sept ans) se fait d'abord remarquer par un comportement provocateur à l'égard de ses condisciples-filles et même de quelques professeurs-femmes, qui évoque une possible homosexualité. Elle met bien du monde mal à l'aise, sans que l'on puisse vraiment communiquer avec elle. Après plusieurs mois de « tension relationnelle », elle finit par faire une grave confidence, à une condisciple d'abord, puis, tout de suite après, comme propulsée par le courage qu'elle a eu, à un membre du personnel de l'école : elle révèle que son beau-père abuse d'elle depuis qu'elle a huit ans.

On la croit, et on lui signifie la nécessité de prendre contact avec une équipe spécialisée. Elle y vient, accompa­gnée de l'adulte qui a été son premier confident. Elle y vient ... et s'y ferme presque aussitôt, tant par angoisse que par sentiment de culpabilité. A force d'apprivoisement, nous la rassurons sur notre désir d'aide, et elle redit ce qui lui est arrivé.

Sur base de son propos, nous nous convainquons passa­blement de la réalité de l'abus révélé, au moins sous forme d'attouchements. Passablement ? Bien qu'il soit impossible de chiffrer les choses, notre conviction est « entre moyenne et forte ». Quant à ce qu'il en sera d'une collaboration future, les données fournies par la jeune sont trop parcellaires pour nous en faire une idée, et nous faisons provisoirement comme si la famille était positionnée en catégorie C+ P+.

En concertation avec la jeune, nous organisons sa sortie temporaire du domicile et le jour même où celle-ci se met en place, nous invitons la mère à nous rencontrer sans délai. « Qu'a-t-elle pu inventer cette fois ? », est la toute première réaction, au téléphone. Confrontée à notre conviction lors de l'entretien qui s’en suit, la mère se tait, deux longues minutes, et puis c'est l'incrédulité, la rage ... la mère se fait la défenderesse passionnée de son conjoint, et se pose en vic­time des comportements difficiles de Caroline.           

Rencontré immédiatement après, le beau-père, contraire­ment à notre attente, se met, après quelques minutes, à reconnaître les faits : « Oui, c'est vrai, j'ai eu des faiblesses ».     

Mais il ne veut pas chercher à en démonter la chronologie ni les circonstances. Il insiste pour montrer la valeur de son rôle de père, « tampon », temporisateur entre une mère bouillante et une jeune qu'il prétend fragile. Nous reconnaissons ce rôle positif, mais nous lui rappelons aussi combien est importante la place du père pour faire respecter les frontières intergéné­rationnelles et le tabou de l'inceste. En retour, nous recevons silence et attentisme : pour lui, tout à l'air d'avoir été dit et terminé ... faute avouée est pardonnée.

S'en suit, tout de suite après, un entretien avec le cou­ple pour la mère, qui s'attendait à tout sauf à ce qu'on lui donne à entendre, c'est l'effondrement, l'explosion de chagrin et de colère, le questionnement aussi - exigeant, immé­diat - « Pourquoi ? ». Le beau-père, lui, adopte une attitude de repli contenu et tente de temporiser encore.            

Face à ce que, au moment même, nous ressentons comme des ressources et une capacité potentielles de se mobiliser chez lui et chez son épouse, nous choisissons de ne pas judi­ciariser la situation et de créer un espace de « contrainte sociale » avec des mesures concrètes qui engagent les deux parents : nous demandons donc l'éloignement du beau-père de Caroline, et que se maintienne la mise à l'abri de celle-ci, dans un milieu inconnu des deux parents.

Le beau-père, soutenu par son épouse, refuse de quitter son domicile. L'éloignement de Caroline, lui, est accepté et maintenu.

En nous résignant à cette position, nous mettons en place des entretiens destinés à chacun individuellement et au cou­ple d'adultes.

- Caroline, alors, nous dit qu'elle va mal : elle est fâchée que nous ayons brisé le secret ... elle se sent trahie par rap­port à sa famille ... elle est inondée par l'évocation de dix ans d'horreurs, évocation à laquelle elle ne peut plus échapper en maintenant vaille que vaille le clivage qui lui permettait de survivre jusqu'il y a peu. Elle a « mal à sa mère », vivant à l'égard de celle-ci une culpabilité intense, souffrant de ne l'avoir jamais vraiment rencontrée.

- La mère, de son côté, connaît un moment de dépres­sion et de culpabilité : elle remet en question le sens de son existence, les failles de l'exercice de sa fonction parentale : elle supporte très mal ce qu'elle appelle le second échec de sa vie de couple ... puis, bien vite, laisse réapparaître une dimension plus volontariste : il faut oublier, tourner la page ..., la vie à trois doit être à nouveau possible, si l'on se promet mutuellement d'être correct ... ; elle exige donc que Caroline rentre à la maison, et vite !

Quant à notre proposition de rencontrer sa fille pour communiquer avec elle sur un autre mode, plus profond, plus personnel, elle n'en veut pas

- Le beau-père, que nous rencontrons un peu plus tard, a repris la maîtrise de soi : il se réfère au moment où il a « craqué » devant nous comme à la preuve de son repentir, suffisante pour qu'il ait expié sa faute. Il nous redit qu'au départ de leur couple, il a « sauvé » sa femme, alors seule et en perdition avec une petite fille, et qu'il doit reprendre au plus vite le rôle du pilote de la famille. Face à notre insis­tance à ce que se poursuivent les entretiens, il nous accuse d'abuser de notre pouvoir et de vouloir disloquer ce qu'il a de plus cher : sa famille !

Inutile d'ajouter que, reçu ensemble, le couple tient à l'unisson ce même discours du pardon accordé, de la cohésion retrouvée, et de la nécessité d'y réintégrer Caroline au plus vite. Réintégration que, de facto, ils obtiennent sans peine, après un simple coup de téléphone venant de la jeune !

Les portes claquent donc, au terme d'entretiens loin d'être chaleureux ni constructifs. Elles claquent, et nous sommes loin d'être rassurés pour l'avenir de cette relation beau-père - fille, où rien ne s’est vraiment mobilisé. Nous voici en catégorie C- P+, (collaboration négative ; probabilité forte)

Nous décidons donc de référer la situation aux autorités judiciaires, autorités répressives au demeurant car Caroline, qui a maintenant plus de dix-huit ans, ne peut plus relever du Tri­bunal pour mineurs. Sur base de témoignages divers, dont les nôtres, le beau-père est mis en détention préventive pen­dant cinq jours ... Il en sort parce que la jeune fille, culpabi­lisée par l'éclatement de sa famille, s'est rétractée, soute­nant qu'après son dix-huitième anniversaire il n'y a plus eu qu’échange de caresses ...

Touchés par la solitude et le sentiment de culpabilité que nous sentons chez elle, nous décidons de reprendre contact avec elle à l'école, pour lui proposer un espace de parole dis­cret, où pourrait se réaliser au moins une thérapie de soutien. Nous mettons également en place des rencontres avec cer­tains responsables scolaires de la jeune fille, pour parler de son évolution, de leur place à eux, mais aussi, pour leur don­ner l'occasion d'exprimer ce qu'ils ressentent à l'égard de la jeune, des parents ... et de nous-mêmes, dont l'intervention a été si limitée.

Caroline, pâle, silencieuse, nous murmure qu'il ne se passe plus rien et qu'elle ne veut plus que nous venions. De retour dans l'équipe, et toujours sous le coup de notre émotion, il nous vient l'idée de proposer un contact entre Caroline et une jeune de son âge, qui avait été suivie antérieurement dans notre équipe, elle aussi, pour abus sexuel, mais où la relation d'aide avait été menée à terme : en cette jeune, extravertie et sereine, nous voyions une personne-ressource plus accessi­ble à Caroline. Celle-ci ayant accepté notre proposition, nous limitons notre intervention à présenter brièvement les deux adolescentes l'une à l'autre, sans que nous ayons à aborder le contenu de leurs échanges. Ce que nous en savons, c'est que Caroline préféra interrompre les rencontres après trois ou quatre échanges.

Alors, catégorie C P+ ? Probablement : on peut penser que le passage à l'acte ne se reproduira plus, et c'est déjà un résultat ... mais les personnes ne se sont pas laissé approcher, notre compétence est restée un atout bien théorique et notre intervention a été trop limitée ; quant au Tribunal répressif, il a prononcé un non-lieu ...

UNE SITUATION FAMILIALE POSITIONNÉE EN CATÉGORIE  PEU COLLABORANTE

Marie-Noëlle est âgée de huit ans et a deux frères, de seize et quatorze ans. Ses deux parents sont professionnellement fort occupés par des responsabilités importantes; la famille donne l'image sociale d'une union stable et positive (implications et réseau socio-familiaux).

Son  institutrice  ayant  remarqué  un  changement d'humeur chez la fillette, et lui ayant fait part de sa sollici­tude, Marie-Noëlle finit par lui parler de gestes d'attouchement de son père sur elle, en des lieux et temps très précis. Mais, tout de suite, elle a très peur de ce qu'elle vient de dire.

Mis au courant de la révélation, le directeur, le psycho­logue scolaire et l'institutrice mettent sans atermoiement l'enfant en contact avec notre équipe.

Le jour même, deux personnes de l'équipe reçoivent Marie-Noëlle et son institutrice ; nous invitons celle-ci à redire ses inquiétudes, son désir d'aide ... sans chercher à ce qu'elle répète les dires précis de l'enfant. Puis, nous nous séparons : l'assistante sociale de l'équipe reste avec l'institu­trice pour récolter un complément d'informations, parler de notre manière de travailler, soutenir ... et le psychologue reçoit l'enfant et l'invite à redire et à préciser la révélation. Elle le fait, avec beaucoup de précisions convaincantes. En outre, sa manière d'être, de se présenter, de dialoguer avec nous laisse transparaître son désarroi, sa tristesse, sa peine, mais aussi la honte et la culpabilisation. « Papa m'avait dit de ne rien dire ... surtout pas à maman ».

Nous retenons de tout cela une première conviction quant à la matérialité des faits, en plus d'un doute profond quant à la collaboration future de la famille au programme (C- P+, voire C- P-) : en plus d'évoquer, avec ses mots à elle, le statut social de sa famille, Marie-Noëlle parle de la froideur de ses parents, en particulier envers elle, d'une impression de désintérêt, si pas de rejet. L'institutrice confie qu'elle-même a ressenti cette impression d'autoritarisme et d'absence de chaleur humaine.

Nous décidons néanmoins de faire part de notre intime conviction aux deux parents le jour même, après avoir éloi­gné Marie-Noëlle. Nous nous organisons pour les recevoir d'abord séparément, et les convoquons de façon suffisam­ment alarmante pour qu'ils se mobilisent sur le champ.       

Reçue seule, la mère, qui nous a d'abord écoutés en silence parler des faits et de notre projet d'aide, nous inter­rompt, se ressaisit et affirme qu'il ne peut s'agir que d'une erreur ou d'une fabulation de la part de l'enfant. Le reste de l'entretien sera à l'avenant et nous donnera l'impression d'une volonté de sa part de préserver la structure familiale par une défense sans faille de l'adulte et une « pathologisa­tion » de l'enfant. Il ne sera jamais possible d'établir une quelconque alliance ; bien plus, progressivement, l'institu­trice elle-même sera perçue comme une déséquilibrée mentale et nous, comme des fauteurs de troubles.  

Reçu lui aussi seul, le père adopte la même version que la mère, sans qu'il se soit concerté avec sa femme ; simplement est-il nerveux, mal à l'aise, comme sur le point de craquer ... ce qu'il ne fera néanmoins jamais.  

Reçus brièvement ensemble, les parents s'entendent dire notre grande perplexité face à leur façon d'expliquer les choses, et la permanence de nos préoccupations. Dans une perspective d'évaluation plus détaillée - et avec le secret espoir que l'enfant finira par avouer ses fabulations – ils nous autorisent à faire hospitaliser celle-ci dans le service de pédiatrie avec lequel nous collaborons habituellement ; ils acceptent aussi de s'abstenir de rendre des visites non sou­haitées à l'enfant, et, d'autre part, que les éventuelles ren­contres enfant-parents se passent sous notre contrôle direct.     

A l'hôpital, l'enfant reçoit beaucoup de soutien du service de pédiatrie ; au cours d'entretiens successifs, elle confirme ses dires ainsi que son désarroi et sa tristesse.

Pour ce qui est de la famille, nous tentons de rencontrer individuellement chacun des deux parents, mais très vite ils ne veulent plus venir qu'ensemble, et les entretiens succes­sifs, qui appliquaient le denial work de Furniss, ne donnent à entendre qu'amplification de leurs défenses et accroisse­ment de leur irritation face à la persistance de notre convic­tion. Après une semaine, ils veulent retirer de force l'enfant de l'hôpital, ce qui nous oblige à interpeller sur le champ le Tribunal pour mineurs. Celui-ci maintient d'abord le place­ment à l'hôpital, puis place l'enfant chez la grand-mère maternelle.

Pendant ce temps, une enquête est ouverte par le Tribu­nal pénal. Nous nous voyons exclus de tout accès à la famille comme celle-ci l'a demandé. Nous apprendrons par la suite que des experts ont été désignés par le Tribunal, qu'après quatre mois d'entretiens espacés, Marie-Noëlle a fini par émettre des doutes sur les faits, puis par se taire à leur sujet. Après six mois, un non-lieu est prononcé et l'enfant retourne dans sa famille. Y est-elle protégée d'une récidive de l'abus (C- P+ ?), ou même pas (C- P-) ? De toute façon, ce sera au prix de quels dégâts psychologiques !

 

  UNE SITUATION FAMILIALE OÙ L'ÉVALUATION INFIRME L'HYPOTHÈSE D'UN ABUS

 

Marion (quatre ans et demi), fillette jusqu'alors réputée sans pro­blèmes, dit à sa grand-mère maternelle, qui lui donne le bain : « Seulement papa peut me toucher là, il me l'a dit » ... en désignant la zone de sa vulve.

Mise au courant, la mère évoque d'abord en elle-même les qualités de son mari (honnêteté, engagement dans les tâches ménagères et l'éducation ...) puis, se met à douter : il est vrai que depuis la naissance des enfants (Marion et son frère jumeau), il est moins tendre avec elle, comme « détaché ». Elle a d'abord tenté de lui parler de son désarroi ; elle lui a même écrit, mais en vain. Maintenant, elle se contente de laisser faire le temps. Mais, peu à peu, elle le trouve de plus en plus « libéral » dans ses propos en matière de sexualité. Perplexe, elle essaie d'abord de faire parler Marion elle-même, à l'insu du père : sans succès. Elle consulte un centre de santé mentale, où l'on aborde plus directement l'enfant en vain. Marion se tait ; impossible d'en déduire si elle est méfiante, si elle a peur, ou si elle a déjà recouvert le souve­nir d'une séquence réelle - ou d'une fabulation - par celui d'autres expériences vécues.

C'est alors que contact est pris avec notre équipe : nous nous trouvons en face d’une mère en crise, en plein désarroi, occupée à se distancer affectivement de son conjoint et qui a construit un système de protection qui fait que le père n'est plus jamais seul avec les enfants.

Nous rencontrons la fillette au cours de trois entretiens. Au premier, Marion reste d'abord un quart d'heure en pré­sence de sa maman : elle est tout de suite fort absorbée par un dessin - un bonhomme - pendant qu'avec sa maman, nous échangeons quelques généralités sur elle, sur les soucis que les parents se font parfois pour le bonheur et la sécurité de leurs enfants, sur l'appartenance à chacun de son propre corps. Seule avec nous, l'enfant parlera, dessinera et jouera, évoquant des relations saines parents-enfants (indirectes, à travers ses productions figurées ... et directement, en par­lant de la vie à la maison). Ré interpellée délicatement sur son allusion, elle confirme ne pas s'en souvenir, et ceci, sans la moindre déstabilisation émotionnelle. Rien dans ce qu'elle dit n'évoque l'agression ni l'emprise.

Alors ? Nous faisons l'hypothèse, soit d'une pure déclara­tion œdipienne, soit, tout au plus, de la résonance en elle d'un peu de laxisme chez le père (début de « signification dramatisée »).  

Lorsque nous rencontrons le couple parental, pour aider la mère à dire ce qui s'est passé, et - partant - pour nous faire une idée du fonctionnement du père et du couple, c'est bien sûr un moment de crise : effondrement de la mère, colère du père, mais surtout confirmation par les deux d'une faille occupée à s'installer.          

Nous verrons le père seul, et, à cette occasion, notre impression de santé mentale se confirmera.

En clôture, et à la demande de nos interlocuteurs, nous organisons alternativement des entretiens avec la famille et d'autres, réservés au couple parental. Si les premiers nous ont rassurés sur les efforts des deux adultes pour exercer leurs responsabilités envers l'enfant, les seconds n'auront rien pu contre la faillite progressive du couple, qui aboutira, après cinq ou six rencontres, à son éclatement.

 

MOTS CL2S / ABUS SEXUEL SUR MINEUR .TRAITEMENT DE L’ABUS SEXUEL. Fiabilité de la parole de l’enfant