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Ce texte publié est co-écrit avec Alain Lazartigues, professeur émérite de pédopsychiatrie à l'Université de Brest et psychanalyste 

 Première partie:L’amour et la confiance de base

INTRODUCTION

  - Capacité de vivre, puis de « dépasser » une dynamique oedipienne : en s'identifiant aux adultes plutôt qu'en cherchant à les éliminer ; en renonçant à posséder amoureusement le parent d'abord choisi et en sublimant en tendresse l'amour que l'on ressent pour lui ; en orientant vers le monde social des pairs les pulsions et désirs sexuels les plus forts.

  - Elaboration d'une identité générale et d'une identité sexuée stables ; confiance dans les ressources que l'on possède ; capacité d'effort et de travail pour achever un projet.

  - Elaboration d'un Idéal du Moi qui propose de l’intérieur des modèles réalistes et souvent sociables, ainsi que d'un système de valeurs personnel et stable.



Qu'appellerons-nous « famille restructurée  » ? 

 


Nous n'aimons pas trop le terme « recomposé » qui nous évoque « bricolage ... vase recollé après la casse » et donc vulnérabilité particulière et esthétique douteuse. Nous préférons parler d'une organisation, d'un lieu et d'un moment de structuration nouveaux dans la trajectoire de vie d'enfants, de leurs parents et des éventuels nouveaux partenaires de ceux-ci.

Nouveauté susceptible d'être très polymorphe : réorganisations familiales consécutives à la séparation parentale ; tous les cas d'espèce de foyer monoparental ( par choix délibéré, suite à un abandon précoce et douloureux du père biologique, par veuvage ) ; les couples homosexuels où séjournent des enfants ( par exemple, les enfants d’une première union hétérosexuelle d’un des partenaires ) ; les familles où l'enfant a été fécondé artificiellement par donneur externe, etc. ...

Nous nous en tiendrons donc principalement à une vignette fréquente, qui est illustrée  ci-dessous:

Après une étape dite de « famille - ou foyer - monoparental(e) » - elle-même consécutive à une séparation conjugale, la maman d'un ou plusieurs enfants (3) qui vivent en semaine chez elle, ouvre la porte de sa maison à un nouveau compagnon, avec qui elle veut stabiliser une vie de couple déjà débutée.
Ce « nouveau » a lui-même - ou n'a pas - d'enfants, en garde quotidienne ou en visite. Il branche également les enfants de sa compagne sur un nouveau réseau humain : sa propre famille d'origine, ses amis, connaissances et réseaux sociaux.

La plupart du temps, sa venue ne supprime pas les liens qui existent entre les enfants et leur branche paternelle ... de là à prétendre qu'elle n'y provoque aucun remous, c'est une autre histoire.
Enfin, indépendamment de ce qui se passe dans la branche maternelle, le père des enfants, de son côté, peut garder le statu quo ou procéder aux restructurations les plus diverses de sa vie relationnelle.
 

Cette vignette constitue déjà une réalité complexe et aux frontières plus floues et insaisissables que celles de la famille traditionnelle :

  -  Les nombreuses fois, où les deux parents du couple d'origine restent dans la course, quel est le lieu de la famille restructurée de l'enfant, alors qu'existent toujours ses deux sources de sa vie à qui la loi reconnaît une égalité de droits éducatifs et de responsabilités ? Il est plus exact de dire qu'existent deux pôles de référence, deux constellations de personnes entre lesquelles va se répartir sa vie !

  - Et chacune de ces constellations est elle-même susceptible d'avoir des compositions variables et des frontières floues : par exemple, jusqu'à quel point les parents du nouveau compagnon de la maman font-ils partie intégrante d'un de ces pôles ?
En référence à un type contemporain de fonctionnement qui sera détaillé dans la seconde partie, la réponse dépend davantage de l'engagement des personnes et de l'intensité des liens qui se créent que de statuts officiels ; elle est donc variable ! Inversement, on devrait pouvoir admettre que tel ( grand ) adolescent profite d'une restructuration familiale ... pour ne pas y entrer et prendre son autonomie plus précocement qu'attendu.

  - Il y a aussi la mouvance possible dans le temps : si certaines restructurations se pérennisent, dans d'autres cas l'itinéraire d'un, voire des deux parents, reste très mouvant, avec les recompositions du groupe de vie quotidienne qu'il entraîne dans sa course. Est-ce possible pour l'enfant, alors, de vivre chacune de ces étapes comme des moments et des lieux de famille successifs ou se sent-il plutôt en famille monoparentale, le lien avec son parent faisant foi et ce dernier amenant pour son seul compte ses invités du moment ?

Ici aussi la réponse est variable et dépend plus de l'engagement des personnes que de la matérialité des faits : on peut se sentir orphelin du départ d'un adulte avec qui on a habité moins d'un an, mais avec qui un lien fort et réciproque s'est créé.

Ces quelques mots d’introduction mettent bien en lumière l’inversion de apports qui s’est opéré en quarante ans (4) entre l’institution et l’affectivité : dans la famille classique (5) , l’affectivité devait entrer dans le cadre imposé par l’institution. Dans la famille contemporaine (6) , l’affectivité va « structurer le cadre » qui va organiser les relations entre les partenaires de toutes ces variations de composition familiale !



  RECEVOIR ET DONNER DE L'AMOUR. 



L'investissement positif de l'enfant par son entourage constitue un bienfait fondamental, dont la forme évolue spontanément au fil du temps : de la tendresse physique et des chatouillis dispensés au bébé, à l'intérêt bienveillant et discret pour la pensée de l'adolescent, puis au petit coup de pouce financier au jeune ménage qui s'installe. Cet amour donné se doit de ne pas être possessif et d'encourager l'enfant qui grandit à se trouver amis et partenaires dans le monde social, sans renier la base d'affection qui le relie à sa famille. On doit pouvoir mettre des limites aussi, à l'occasion, contre l'éventuel cannibalisme affectif ou contre les débordements oedipiens de l'enfant, sur lesquels nous reviendrons par la suite.

Réciproquement, parents et autres adultes devraient accepter que l'enfant soit lui aussi un être relationnel, qui désire donner attention et amour au sein des relations importantes qu'il s'est choisies.

 

amitié fraternelle
Ces différentes intentions et modalités positives sont souvent spontanément mises en oeuvre par les proches de l'enfant, qu'ils vivent en famille d’origine ou restructurée. Il existe néanmoins toujours des conditions relationnelles et des risques occasionnels susceptibles d'en compromettre la réalisation. Dans la famille restructurée, ces risques sont bien sûr plus forts aux moments de transitions - séparation, naissances, arrivée de nouveaux ... - qui sont souvent des moments de crises ( bouleversements émotionnels ; incertitudes des idées et des repères ; changement d'organisation et de contexte matériels, etc. ).



- Dysfonctions dans le don d’amour. 



Ainsi peut-on évoquer tous ces moments où l’enfant n'est pas ménagé, parce que les émotions vécues par les adultes sont trop fortes ou leurs enjeux de pouvoir top intenses : enfants témoins des disputes conjugales, si pas pris à partie dans celles-ci ou abandonnés à l'impression que tout est de leur faute ; enfants témoins - voire priés d'être complices - des visites de l'amant, alors que le couple parental est censé toujours exister ; enfants se transformant en objets qu’on ne se prive pas de bousculer lors des visites conflictuelles : on les déshabille vite fait quand ils reviennent avec « des affaires » de l'autre ; on les prie de dire combien c'est mal chez celui-ci et même on examine suspicieusement vulves, anus et pénis, à la recherche de « la » preuve de la turpitude de l'autre ...
Dans tous ces cas, la fonction pare-excitations est défaillante de facto, principalement parce que les parents sont peu disponibles en raison de leurs difficultés propres: l’enfant est donc soumis à des excitations et à des stimulations trop élevées qui, si elles se pérennisent, risquent de conduire à un habitus d’échanges par trop tumultueux ...

Paradoxalement, le risque devient que l’enfant éprouve comme peu intéressantes les stimulations de la vie quotidienne ordinaire, les échanges sans épines et les désirs de tout le monde, mieux inscrits dans des cadres matériels et psychiques solides.

On peut penser aussi à tous ces moments où l'on crée chez l'enfant l'idée qu'il est de trop, que ce serait mieux s'il n'était pas là ou, à tout le moins, qu'il n'est plus le petit prince d'avant et que maintenant, il est prié de rentrer dans le rang : enfant qui s'entend dire qu'il est éreintant, difficile, pendant une phase monoparentale où son parent est épuisé; enfant constatant qu'il encombre, parce que le père fait faux bond à la dernière minute pour un week-end prévu chez lui et que, justement, sa mère avait aussi prévu sa récréation à elle ; enfant plus âgé qui doit assister aux effusions de sa mère et de son copain en ne sachant où se mettre et qui les voit partir en week-end d'amoureux, lui « relégué » chez ses grands-parents, etc ...

S'il ne s'agit que d'une rétrogradation vers une place plus réaliste, c'est dur sur le coup, et il faut aider l'enfant à exprimer comment il le vit, mais ce n'est pas nécessairement négatif à long terme : il fait, en temps pas toujours le plus opportun, l'inévitable leçon de la désillusion : l'amour parental ne saurait pas être parfait, et il faut donc se débrouiller et s'aimer soi-même et chercher chez ses pairs d'autres amitiés et amours ... qui ne sauraient être qu’impératifs eux aussi !


Mais il y a pire, et là c'est franchement et définitivement dommage : par exemple, à l'occasion de la séparation, certains enfants perdent leur père (7) , carrément ou en se découvrant assez vite insignifiants à ses yeux. Ou alors, ils découvrent brutalement de lourds secrets, par exemple que celui qui a fonctionné jusqu'alors comme leur père - et leur a peut être même donné son nom - n'était pas leur géniteur (8).Difficile, pour certains, de garder confiance en eux, quand ils se découvrent dédaignés, sans crier gare, par un homme qui, éventuellement, a de nouveaux enfants de son côté (9)! Difficile de leur faire vraiment comprendre que c'est l'attitude de leur père qui est « moche » et pas eux qui sont particulièrement minables !

Difficile aussi de découvrir brutalement qu'on ne sait pas de quelle semence d'homme on vient, même si l'identité et les richesses spirituelles de chacun transcendent son équipement biologique !

Tel autre enfant jusqu’alors petit prince se croyant indispensable à la félicité d'une maman bien contente de le choyer, doit accepter maintenant qu'elle soit folle amoureuse d'un autre adulte ... certes elle a encore l'air de se souvenir de son existence à lui, l’enfant, mais justement, ça ne lui plaît pas trop que ce soit un acte de mémoire : il se sent comme un surplus dont on se souvient après que le plus essentiel de la passion a été vécu avec un autre ... Et par la suite, il faudra peut-être même accepter avec un simili-sourire le nouveau bébé du nouveau couple ; l’enfant se sentira bien obligé de montrer qu'il va l'aimer et bien s'occuper de lui, alors qu'au fond, cela ne voudrait-il pas dire que maman en a préféré un autre, avec une autre marque de fabrique ? ... et qu'il doit bien rester, quant à lui, porteur de la semence d'un père jugé si négatif ?

Rien de tout ceci n'est irrémédiablement traumatisant ... si les adultes concernés acceptent vraiment de l'intérieur l'idée que ça puisse l'être momentanément. Alors ils iront à la rencontre de l'enfant pour lui permettre de s'exprimer, ils trouveront quelques mots et signes pour le consoler, le rassurer, et lui montrer qu'il compte toujours à leurs yeux.

Mais il existe des situations inverses où, pendant la phase monoparentale, l'enfant va prendre la place du partenaire affectif privilégié de sa mère. Partenariat parfois seulement fondé sur de la tendresse sensuelle ; ailleurs, davantage marqué par la dimension « adulte » que développe l'enfant : le voici le confident de sa mère, le consolateur, le protecteur, celui qui se débrouille et bricole mieux qu'elle ... il lui offre un soutien affectif et global dont elle a bien besoin en ce moment de sa vie où elle surnage comme elle peut dans ses difficultés et sa solitude affective ... ils font presque tout ensemble, même dormir dans le même lit pour se sentir moins seuls la nuit. Dans ces situations, la fréquentation de son père par l'enfant est assez souvent espacée et difficile, si pas impossible. Mais surtout, la mère renonce à « refaire sa vie » parce qu'elle est suffisamment comblée par l'enfant. Ou alors si, à la longue, elle essaie quand même de faire entrer un autre homme à la maison, il y a beaucoup de chances que ça tourne assez vite au vinaigre, quelle que soit l'éventuelle diplomatie du nouvel arrivant. L'enfant lui montre avec obstination qu'il est de trop, la mère empêche la relation enfant-nouvel adulte ou arbitre tous les conflits en faveur de l'enfant, et le monsieur finit par partir en claquant la porte.

Les bénéfices à court et à moyen terme que l’enfant en tire sont importants : être quasi traité en adulte ; gérer des responsabilités importantes ; réaliser une bonne partie de ses voeux oedipiens, etc ...

 

oedipus rex

Il est néanmoins rare que ces « petits couples » intergénérationnels constituent à long terme la formule de vie la plus épanouissante pour chacun :
Parfois, l’enfant puis l’adolescent semble rester hypermatures, avec peu d’attrait pour les activités usuelles de leurs pairs, mais ils deviennent souvent des adultes insatisfaits, fréquentant plus que les autres les cabinets des psychiatres.
Chez d’autres, avec la crise d'adolescence, le jeune finit par prendre distance, via conflits ou en sabotant ses ressources. Dans d'autres cas, il reste très dépendant de sa mère, même devenu adulte et le voici se condamnant au célibat, ratant sa vie de couple ... ou devenant pédophile.
Last but not latest, le sexe fait son apparition de loin en loin. Parce qu'il se sent seul, parce qu'il a besoin d'affectivité et de sexualité, un parent en vient à séduire son enfant (10) et celui-ci à consentir ! Ou c'est l'inverse qui se produit; les activités sexuelles qui s'en suivent durent le temps d'un dérapage, une seule fois, quinze jours, un mois ... plus rarement elles s'installent en une habitude de plus longue durée : un père et un fils se masturbent ensemble devant de la pornographie ; une mère lèche la vulve de sa fillette de huit ans ... la mère de Lorenzo couche avec lui dans Le souffle au coeur ( L. Malle, 1970 ). Que de misères qui se vivent là ! L'adulte incriminé continue le plus souvent à porter sa solitude - peu confiant qu'il est dans le respect de la confidentialité chez les professionnels de l'aide à qui il se confierait - ; l'enfant ou le jeune, lui aussi, garde un silence farouche sur ce à quoi il a l'air de consentir, mais qui constitue quand même un inceste et un abus !1

 


- Reconnaître et respecter l’enfant comme un être relationnel, capable de se donner dans un lien. 

 



Rappelons d’abord à ce propos quelques principes qui gouvernent les relations humaines, particulièrement celles où des enfants sont parties :

  - Les relations vivantes et consistantes sont librement choisies de part et d'autre ; ce choix réciproque, pas nécessairement de même intensité ni guidé par les mêmes attentes, garde un ultime déterminant imprévisible, l'exercice de la liberté intérieure de chacun.
Pour s'ouvrir ( à nouveau ) à quelqu'un, il faut que l'enfant ait confiance, se sente en sécurité et reconnaisse chez l'autre la capacité de le respecter. Pour cette raison, il est utopique et traumatisant de réimposer des contacts, même en milieu tiers, entre un enfant et un parent très probablement abuseur sexuel et qui n'aurait jamais reconnu sa faute. Derrière le sourire et la duplicité de l'adulte c'est en face d'une vipère toute-puissante que l'enfant a l'impression de se trouver.

  -  On ne crée ou ne recrée pas une relation sur injonction ; inversement, on est tout aussi incapable d'imposer à l'enfant qu'il y mette fin dans ce qu'elle a de plus insaisissable et de plus essentiel, sa dimension spirituelle ! Même lorsqu'un parent s'oppose indûment aux contacts de l'enfant avec l'autre, même lorsqu'il suggestionne subtilement l'enfant pour que celui-ci ait l'air d'être d'accord, jamais personne n'a d'emprise sur ce que cet enfant pense le plus personnellement et le plus secrètement ni sur ce qu'il vit.

  -  On court un risque sérieux de traumatiser l’enfant lorsque l’on coupe indûment la matérialité d’une relation significative pour lui. Et ceci, indépendamment de ce que nous venons de dire sur la gestion autonome des dimensions spirituelles de toute relation.

On ne devrait donc y recourir que pour des raisons graves - la destructivité attribuée à cette relation -, confirmées par des observateurs sereins et indépendants.

Un enfant a besoin de rencontres concrètes qui lui prouvent qu'il est aimé et important ... il a besoin de recevoir des petits plaisirs ... d'enrichir ses identifications au contact de la manière d'être de l'autre, d'enrichir ses informations au fil de petits dialogues vécus avec celui-ci, etc. ... 


Si on le prive de ces aspects concrets, on génère tristesse, sentiment de vide, colère !
Si en plus on le suggestionne pour qu'il dise qu'il est d'accord, il a une mauvaise image de lui, il se sent traître et lâche, vécus qu'il refoule et dénie parfois en se montrant le plus accusateur de tous ... mais à quel prix intérieur !

  - Il est important que quelques relations, les plus fondamentales pour l’enfant, soient stables et que celui-ci puisse se ressourcer indéfiniment en elles.

Mais au-delà, il gagne à vivre des relations diversifiées; personne, pas même un parent très engagé pour lui, n'a le droit de se poser en « Grand Tout ». La liberté d'aimer au pluriel, de s'intéresser aux gens, de se socialiser, doit être reconnue à l'enfant pour les enrichissements multiples qu'il peut tirer de ces contacts diversifiés, et, plus essentiellement, pour qu'il se sente libre de penser sa vie et de choisir.

Il n'y a pas d'obstacles de principe à ce que la famille restructurée concoure à la promotion de cet être relationnel. A chaque adulte, au moins lui, d'y être attentif et d'y oeuvrer ! En récompense de son travail, il verra souvent sa nouvelle famille se constituer plus ou moins vite en un « ensemble relationnel », un espace de vie suffisamment bien délimité, à l'intérieur duquel une « intimité ensemble » peut se développer, et où la dimension affective des relations prend de plus en plus d'importance [4]. Cet espace délimité n'en sera pas pour autant barricadé : il sera pourvu de portes de sortie par lesquelles s'encourage également l'existence de relations au-dehors.

Il existe néanmoins quelques risques spécifiques :

  - Bousculer le réseau relationnel tissé jusqu'alors par et pour l'enfant sans y faire attention, parfois, banalement, parce qu'il y a beaucoup de problèmes « importants » à résoudre. Par exemple, considérer comme insignifiantes les « amitiés d'école ou de rue » qu'un déménagement peut casser sans même qu'on en parle.
  - Ne pas tenir compte du besoin d'un repérage stable présent surtout chez l'enfant jeune et le laisser baigner dans trop de chaos mouvant, sans expliquer, rassurer, prendre le temps de lui montrer que beaucoup de ses références-clé persistent, au-delà de réorganisations formelles superficielles.
  - Disqualifier « l'ex » ou sa famille, sans faire attention à l'enfant qui écoute ; imposer à celui-ci des ruptures qu'il ne demande pas, en assimilant son vécu expérientiel à celui de l'adulte accusateur qui, lui, a toujours des raisons subjectives et souvent des objectives de se plaindre.
  -  Dans un contexte de séparation difficile, le fait qu'une mère n'entrave pas l'accès d'un enfant à son père lui demande parfois le courage d'éviter des récupérations subtiles : inutile, par exemple, qu'elle téléphone à son « ex » pour qu'il s'occupe particulièrement des devoirs de l'enfant si elle sait, par ailleurs, que ça l'agace et que ça n'a jamais été son souci ! Inversement, elle n'est pas obligée de rester passive si elle est persuadée que son « ex » dit du mal d'elle à l'enfant. Sans faire de l'inquisition au retour de chaque visite, elle peut signaler l'une ou l'autre fois à celui-ci, en termes adaptés à son âge : « Je te prie de considérer comme très contestable le mal qu'il te dirait de moi ; c'est sa manière de me voir; d'ailleurs, là dessus, tu peux me demander des explications si tu le souhaites ».

 

père et bébé
  - Imposer trop vite que se mettent en place des liens positifs ; ne pas signifier à l'enfant « Tu l'aimeras un jour si tu le veux » ; ne pas respecter un temps d'apprivoisement.
C'est le cas, par exemple, quand on fait pression pour qu'existent des liens positifs rapides entre les enfants, ceux de la mère et ceux du « nouveau ». Or un esprit fraternel ne se recrée que petit à petit, s'il y a accord implicite mais pas pressant des adultes à ce sujet, et s'il existe suffisamment de temps de cohabitation concrète [5]

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 FACILITER L'ACQUISITION DE LA CONFIANCE DE BASE



Remarquablement décrite par E. Erikson [2] , la « confiance de base » est cette réalité intérieure, déjà bien acquise vers l'âge d'un an dans de bonnes conditions relationnelles, qui confère à l'enfant sentiment de sécurité, de paix ... confiance dans le respect de son intégrité par son environnement ... certitude qu'il recevra la protection nécessaire en cas de danger.
Certes, un enfant n'est pas l'autre. De par leur seule nature, certains se sentent « naturellement » confiants plus vite et plus forts que leurs pairs : enfants au tempérament dit easy going, enfants potentiellement résilients, etc.
Néanmoins, la qualité de l'éducation et des relations quotidiennes contribue puissamment à l'installation de cette confiance de base, en référence aux attitudes plus précises que voici :

  - La qualité et la quantité de protection effectivement destinée à l'enfant ; plus il est petit, plus il a besoin de sollicitude et de vigilance pour écarter les menaces d'agression sur sa route. Au fur et à mesure qu'il grandit, il faut y ajouter des incitations à ce qu'il prenne en charge sa propre protection, au moins partiellement, pour ce qui est à la mesure de ses forces.
  - Une présence effective des adultes dans sa vie; présence discrète mais fiable qui « veille-sur », lui crée un environnement suffisamment secure, donne un coup de main à l'occasion et qui puisse servir de contenant, de pare-excitations quand l'enfant est trop débordé par ses propres pulsions.
Les parents doivent donc être suffisamment fiables et prévisibles : alors, l’enfant élargit progressivement son horizon temporel au futur ... et ose regarder avec confiance vers le passé pour en tirer des leçons constructives.

 


  -Une communication claire et authentique (11). 

 



  - L'absence d'intrusions gratuites dans la pensée ou le corps de l'enfant ou dans les biens matériels dont la propriété lui a été reconnue. L'enfant gagne en effet à ce que lui soit garantis le droit à un territoire matériel propre, d'extension variable au fur et à mesure qu'il grandit, ainsi que le droit à un territoire spirituel, c'est-à-dire une intimité.

Concrétisée de façon raisonnable, cette reconnaissance contribue puissamment à donner à l'enfant un sentiment de sécurité et de paix ; à travers la reconnaissance de son territoire, il vit une sérénité intérieure pour penser et programmer sa vie, pour développer des opinions personnelles et sa créativité ...
  - Une stabilité raisonnable de l'environnement, des conditions de l'espace et du temps, de l'organisation de la vie et des rites, ainsi que des liens.

Ici non plus, il n'existe pas d'obstacle de principe qui empêcherait la famille restructurée de déployer ces attitudes. Il lui revient d'être particulièrement attentive aux challenges que voici :

La disponibilité des adultes pour y assurer leur part de protection et de présence auprès de l'enfant n'est pas toujours optimale, vu les crises par lesquelles eux-mêmes passent. Parfois, ils trouvent des solutions pour mettre l'enfant à l'abri ( par exemple, chez les grands-parents ) ; parfois, ce n'est pas possible : certains enfants, résilients, apprennent à se débrouiller tout seuls ; d'autres, moins compétents, vivent davantage d'insécurité, souvent secrète, que dans des conditions ordinaires, mais personne n'y peut rien !

Quant à l'authenticité de la communication comme fondatrice de sécurité, elle est parfaitement réalisable si l'on veut bien y penser et s'y investir ! Mais on ne le fait pas toujours assez et bien des enfants sont involontairement abandonnés à de grands pans de silence : ils ne savent pas pourquoi les adultes se sont séparés, où ont disparus certains d'entre eux, qui est ce gentil monsieur qui vient dire bonjour à leur maman ou même de quoi leur avenir à eux sera fait !

Il revient donc aux parents et aussi à tous ceux qui vivent aux côtés de l'enfant de relever ce défi de l'information : se montrer disponibles aux questions et soucis de l'enfant, prendre des initiatives, insérer les informations dans un dialogue où l'on donne à l'enfant l'occasion de réagir, d'exprimer ses opinions et où l'on s'engage soi-même de façon personnalisée.

Nous n'en dirons pas plus à ce propos, déjà abondamment développé dans de nombreux autres articles et livres.

 

enfant pense (ter)

La non-intrusion constitue un autre défi délicat :



  - Sur le plan spirituel, elle est d'autant plus difficile à respecter que la situation reste tendue entre les « ex » voire, le cas échéant, avec les nouveaux partenaires. Et pourtant, dans ces circonstances plus que jamais, il est important d'accepter que l'enfant « garde pour lui », s'il le souhaite, les expériences qu'il fait quand il est dans « l'autre pôle », ce qu'il y vit et ce qu'il en pense ! 


  - Dans toute la mesure du possible, l'enfant appréciera également que l'on respecte ses biens matériels, par delà crises et remous. Autant à propos du territoire de vie privée qu'il s'est construit au fil du temps.

Même quand une famille n'est pas très riche et habite un espace restreint, même si alors il faut bien faire quelques concessions importantes, par exemple au niveau du partage des chambres (12) , les adultes doivent montrer qu'ils restent les garants d'un droit de l'enfant à la propriété : qu’ils protègent donc à l'occasion, contre l'invasion des autres, le fait que l'enfant conserve « sa » place à table ( ou devant la T.V. ), l'endroit où il range ses souliers, sans qu'on puisse lui faire de blagues à leur sujet ou, plus simplement encore, qu'il est parfois bon qu'on lui « fiche la paix ».

Une stabilité « suffisamment bonne » de l'environnement matériel et humain est une autre source de la confiance de base. Il est inévitable qu'elle soit compromise au coeur des crises qui scandent le processus de restructuration. Tant mieux au moins si l'adulte peut se souvenir que ces déstabilisations perturbent l'enfant et s'il peut décoder et tolérer les signes de cette insécurité infantile. Tant mieux surtout s'il peut aider l'enfant à s'exprimer à ce propos et trouver des paroles de réparation et d'espoir.

Par la suite, même quand les liens et l'organisation redeviennent plus paisibles, on gagne à éviter trop d'allers-retours aux enfants, parce que cette mouvance excessive réveillerait leur angoisse ou les empêcherait perpétuellement de bien organiser leur vie et de se donner dans des liens sociaux.

Par exemple, il est rarement souhaitable que des enfants très jeunes, avant trente mois quittent répétitivement leur endroit de vie principal pour des périodes trop longues, celles qui incluent au moins une nuit et où il y a rupture insécurisante du contact sensoriel avec leur(s) référent(s) maternant(s) habituel(s). Donc, oui à de petits contacts répétés avec l'autre parent et non au délogement !

Par exemple, nous ne sommes pas défenseurs acharnés de la garde alternée, malgré la modernité qu’elle connote et les bienfaits que d’autres lui attribuent : elle nous paraît souvent davantage au service des besoins affectifs des adultes et de leur incapacité à se départager, qu'à celui des intérêts de l'enfant.

 

 

Deuxième partie: L’autorité, la construction de l’identité et la sexualité.

 

 

  L’AUTORITE ET LE CONSENSUS. LE DEVOIR ET L’HEDONISME.

 

  - les conduites elles aussi s’organisent en référence à cette place ;
  - les transgressions sont rares et les sanctions, proportionnelles à leur intensité ;
  - la transgression ( ou l’apparition du désir de transgression des interdits ) entraîne le sentiment de culpabilité, en lien avec le conflit désir/interdit, ce qui renforce la conscience du poids des règles du groupe sur le sujet ;
  - le savoir est transmis verticalement ; cet ordre est accepté par les différents membres du groupe : leur sentiment d’appartenance et d’identité est renforcé quand ils respectent l’autorité ( ils assument leurs devoirs et jouissent de leurs droits ).

L’autorité ainsi acceptée a divers effets sur le développement :
  - elle favorise le contrôle pulsionnel en particulier par la mise en place de certains mécanismes de défense ( déplacement, sublimation ) ;
  - elle soutient l’intériorisation des instances ( Surmoi, Idéal du moi ) et des imagos, par la force de la présence de l’institution dans la vie de l’enfant ( hétéronomie, règles de civilité, hiérarchie, devoir, exigence d’une suspension de l’acte, mentalisation obligatoire ...) ;
  - le monde est constitué d’objets et de personnes différenciés et hiérarchisés auxquels les imagos font échos ( rencontrer le principal du collège n’est pas la même chose que rencontrer un professeur ) ;
  - la construction des rapports aux personnes est fondée sur l’altérité et sur leur place dans la hiérarchie ;
  - la problématique de la dépendance est faible car le sujet a acquis un sentiment de sécurité intérieur grâce à l’intériorisation d’objets internes rassurants ;
  - le conflit autour duquel se structure la psyché est le conflit intra psychique entre le désir et les interdits et limites posés par la société ( lois ). Ces derniers, intériorisés sous la forme du Surmoi, contraignent les pulsions du sujet, toute transgression ( ou désir de transgression ) conduisant au sentiment de culpabilité ;
  - les achoppements du développement conduisent à des pathologies du « trop » d’autorité ( névroses obsessionnelles, inhibition ...).

Répondant naturel de l’autorité, le sens du devoir, valeur centrale de la famille moderne, témoigne de la prééminence du collectif sur l’individu et vient renforcer les effets de l’autorité :
  - les exigences du collectif l’emportent toujours sur les besoins et désirs de l’individu ( on peut se sacrifier – sacrifier ses intérêts, voire sa vie - en faisant son devoir pour la société ) ;
  - les exigences du collectif imposent des idéaux qui sont des modèles proposés à chacun ;
  - ne pas satisfaire les exigences du devoir conduit au sentiment de honte ;
  - « Faire son devoir » renforce le sentiment d’appartenance à la société à laquelle le sujet appartient et participe du soutien identitaire ;
  - si l’excitation libidinale est réduite ( et très cadrée ) par le poids des exigences du devoir ( et l’omniprésence de l’autorité ), la problématique de la gestion de l’agressivité, elle, est centrale.

Nombreuses sont les conséquences sur le développement de l’enfant du devoir, valeur et donc objectif proposé aux membres d’une culture :
  - mise sous tutelle du principe de plaisir et accès facilité au principe de réalité par la présentation à l’enfant de la réalité du monde ( « Tu ne dois pas toucher aux prises de courant » ) et de la réalité sociale ( règles de civilités, devoirs des citoyens ...) ;
  - soutien à la construction des instances, le Surmoi construit sur le Surmoi parental ( et non sur les pratiques concrètes des parents ), ainsi que l’Idéal du moi, version socialisé du Moi idéal, relais des exigences sociales au sein de la psyché ;
  - légitimation du comportement en dernier ressort fondé sur les exigences du collectif médiatisées dans la psyché par le Surmoi et l’Idéal du moi du sujet, rappelées dans l’espace social par différents signes, signaux et indices ( par exemple, feux de circulation ) ;
  - les comportements initiés par le désir sont modulés par les résistances du réel et par les limites imposées par le Surmoi et surtout par les modèles proposés par l’Idéal du moi, l’écart entre le comportement réel ( ou projeté ) et l’idéal conduisant au sentiment de honte et de dévalorisation.
Au total, dans les espaces familial, social et psychique, la relation à l’autre est une donnée, elle va de soi pourrait-on dire, alors que la réalisation du désir est problématique.

La référence à l’autorité et au sens du devoir ainsi décrits demeure le pivot autour duquel s’articulent les familles que nous appellerons « modernes-traditionnelles ».
Chez elles, par délégation de l’Etat, le père reste investi de la fonction de chef du gouvernement familial :
  - il a une autorité qu’il exerce sans partage sur sa femme et sur ses enfants ;

 

paradoxes
  - une hiérarchie y organise les relations ;
  - l’obéissance de l’enfant découle de sa place dans la hiérarchie familiale et sociétale ;
  - la filiation paternelle y est établie par la fiction juridique de la paternité dans le mariage.


Ce type de familles constitue-t-il cependant une espèce en voie de disparition ?
On peut se le demander, car deux mutations des coordonnées de l’espace tant familial que social caractérisent la post-modernité :
  - la disparition de l’autorité pour organiser les relations et sa substitution par le consensus ;
  - le remplacement du devoir comme valeur pivot qui renvoyait au collectif et à ses exigences, par l’hédonisme qui découle de la prééminence donnée par notre culture au sujet et à l’individualisme [7]. 

Cela étant, nous rencontrons de plus en plus souvent des familles de toutes compositions chez qui les modalités de fonctionnement diffèrent nettement de ce qui vient d’être décrit : les relations entre les membres y sont organisées autour du principe de consensus et l’hédonisme y est une valeur centrale. Nous les avons appelées familles « contemporaines ou post-modernes ».



Dans ces familles contemporaines et en référence à l’idée de consensus :



  - les relations sont symétriques, entre égaux ;
  - l’individualisme fonde les comportements tant individuels que collectifs ; ces derniers sont organisés dans une relation à l’autre passant si possible par la persuasion, sinon par le rapport de force ( négociation dans un premier temps, puis recours à la violence si échec ) ; parfois, c’est une relation de séduction qui organise la relation, surtout si la relation est duelle ( c’est le cas notamment dans la famille monoparentale ) ;

 

individualisme
  - les conduites sont relatives : elles dépendent du contexte, de la relation affective à l’autre ou aux autres, des enjeux pulsionnels et du moment ; cette versatilité du comportement est présentée comme une expression de l’autonomie du sujet ;
  - en effet, l’autonomie ( # de l’hétéronomie : le sujet est la mesure de toute chose ) conduit à l’autoréférence ( démocratie radicale ) ;
  - les droits et devoirs de chacun sont révisables par la persuasion, la séduction ou le rapport de force ;
  - le savoir est essentiellement transmis horizontalement par les pairs, par les médias et par les aînés, mais pour ceux-ci dans une relation égalitaire ;
  - l’ordre du groupe peut toujours être contesté.

Ce changement introduit une mutation radicale dans la fonction, la place et l’identité du père. Ici, à l’égal de la mère, il n’est plus investi que de « l’autorité parentale » qui a perdu la dimension éducative ( avec la possibilité de sanction ) pour être restreinte à celle de la protection : pour faire faire quelque chose à l’enfant, le père ( ou celui qui en tient lieu, par ex le beau-père ) use d’une association variable de persuasion et de pouvoir ( rapport de force ), voire d’une dose de séduction ( le nouveau conjoint ), ce qui n’est pas sans danger développemental pour l’enfant, surtout de sexe opposé ( problème de l’effectivité de la prohibition de l’inceste ). Plus radicalement encore, la filiation paternelle passe par la reconnaissance ( acte volontaire ) et/ou par l’épreuve de la génétique.



Sur le développement et la structuration de la personnalité, le consensus a plusieurs conséquences :



Il soutient l’expression pulsionnelle : « Ma place n’est ni définie d’emblée ni stable dans le temps, je dois la conquérir et la garder  » :
  - il réduit l’efficacité des instances classiques, avec un Surmoi allégé ( light, qui ne gêne pas trop ), un Idéal du moi peu socialisé ( proche du Moi idéal de la première enfance ) fortement marqué par une dimension mégalomaniaque ;
  - il induit la mise en place de l’instance assertive [3] : l’identité du sujet se construit essentiellement sur l’affirmation de soi ;
  - le monde est constitué d’objets non hiérarchisés, aux valeurs relatives, tributaires de leurs caractéristiques et de leur valeur affective ;
  - les rapports aux personnes sont fondés essentiellement sur l’investissement affectif du moment, ce qui donne « consistance » à l’autre. En l’absence de cet investissement affectif, l’autre peut être instrumentalisé sans états d’âme au profit des intérêts du sujet ;
  - il se met en place une problématique importante de la dépendance car le sujet, faute d’objet internes solides, est tributaire de la présence concrète d’objets réels ;
  - le conflit central du sujet est le conflit entre le désir, légitimé par l’instance assertive, et le réel ( l’interdit est connu, mais sans effet sur la modulation des comportements   );
  - les achoppements du développement conduisent à des pathologies de l’absence d’autorité ( troubles du comportement ), ainsi qu’à l’attachement avec fréquemment des discontinuités du lien ( dépression, anxiété, états-limite ).

Néanmoins, si le système par consensus prive le parent de l’autorité conférée par l’institution, il n’exclut pas que ce dernier puisse acquérir lui-même une « autorité ». Celle-ci, – «  Supériorité de mérite ou de séduction qui impose l'obéissance, le respect, la confiance » d’après le Petit Robert - est due à ses capacités personnelles à régler les conflits, à présenter le réel à l’enfant, etc. C’est mieux que rien, certes, mais c’est quand même bien fragile, car voici l’autorité liée à la personne et non à l’institution ( elle n’est pas ou peu symbolique ) ... la voici donc affectée par les fluctuations de l’humeur et de la fatigue du parent ( lors des moments difficiles de la vie ), elle est donc référée à la pratique, au réel et non à un système symbolique hiérarchisé.
Lorsque ce sont des familles restructurées qui fonctionnant sur le mode du consensus, l’exercice de l’autorité nous paraît bien plus difficile que dans les familles modernes car l’équation personnelle de chaque parent ou tenant-lieu prend un relief tout à fait essentiel.



L’hédonisme est devenu depuis quelques décennies une valeur centrale de notre société, et comme telle, de la famille contemporaine :

 

hédonisme 


  - les besoins individuels tendent à l’emporter sur ceux du collectif ;
  - la recherche de sensations et de satisfactions individuelles devient dominante ;
  - la problématique du contrôle des comportements, et tout particulièrement des comportements agressifs, en réponse à la frustration est centrale ;
  - l’autre et le groupe deviennent persécuteurs quand ils ne satisfont pas ou ne permettent pas la satisfaction des désirs du sujet ;
  - réaliser ses désirs confirme l’individualisme, et l’impression que la société est comme un hypermarché dans lequel on trouve tout ce que l’on veut, sans pratiquement de contreparties ;
  - l’excitation libidinale est majorée : les publicités stimulent les désirs et puis poussent à la consommation à partir de ces désirs qu’elles ont elles-mêmes artificiellement fait monter ! Il y a une résonance entre principe de plaisir et promotion de l’hédonisme par la société.

Les conséquences de l’hédonisme sur le développement du sujet sont nombreuses :
  - la confirmation du principe de plaisir dans sa place centrale dans le fonctionnement psychique et la légitimation de l’exercice de ce principe pour fonder les comportements ( le couple « j’ai envie, j’ai pas envie » fonde l’essentiel des comportements ), d’où le développement de l’instance assertive : « Je fais ce que je veux, donc je suis » ;
  - faible efficacité du Surmoi sur la modulation des comportements du sujet. Cette instance se construit plus sur les pratiques concrètes des parents que sur le Surmoi parental ;
  - Idéal du moi peu socialisé ( dimension mégalomaniaque, proche d’un Moi idéal archaïque ) ;
  - la légitimation du comportement est en dernier ressort le désir du sujet ;
  - le monde est constitué d’objets concrets, libidinaux ( les personnes ) et d’objets sociaux à disposition du sujet pour la réalisation de ses désirs ( instrumentalisation de l’environnement ), il n’y a pas d’altérité ;
  - les comportements initiés par le désir puis l’Instance assertive qui prend en charge de les mener à bien sont tout au plus freinés ou modulés par les résistances du Réel externe ( conflits entre désirs et réalité externe ) ;
  - l’excitation libidinale est peu cadrée, et l’environnement médiatique la renforce.
Au total, dans les espaces familial, social et psychique, la relation à l’autre est devenue problématique, alors que la réalisation du désir est devenue peu conflictuelle : « Just do it ! » est un slogan publicitaire de Nike qui illustre fort bien le renforcement social de l’expression du désir.

Les familles restructurées peuvent s’avérer de type moderne au sens où elles fonctionnent autour de l’autorité comme principe organisateur des relations du groupe, mais elles peuvent aussi être de type contemporain au sens où l’hédonisme, l’individualisme, le soin apporté aux relations affectives et le consensus structurent son espace de vie.
Nous ne considérons pas le fonctionnement familial fondé sur l’autorité comme supérieur au fonctionnement contemporain, nous pensons qu’il est différent, a des avantages et des inconvénients. Les systèmes fondés sur l’autorité encouragent la soumission, favorisent l’intériorisation des interdits, le respect des règles et lois, facilitent l’organisation d’un Surmoi efficient, etc. ; les systèmes fondés sur le consensus favorisent l’initiative individuelle – ce qui est intéressant dans notre société -, développent l’art de la persuasion et comme tel, soutiennent la prise en compte du point de vue de l’autre, poussent à la négociation, mais ils développent aussi, lors de leurs impasses, l’exercice du rapport de force, et par là, l’usage d’une certaine violence apprise au coeur même de ces familles. Ces systèmes par consensus ne sont pas propices à l’intériorisation d’un Surmoi efficient, ils contribuent au développement du relativisme des valeurs ... toutes positions fort en accord avec le relativisme culturel actuel qui, préparent ainsi les sujets à la mondialisation et à cette culture de plus en plus relativiste et différentialiste.



  L'EXERCICE INFANTILE DE L'AGRESSIVITÉ, DE LA PUISSANCE ET DE L'AFFIRMATION DE SOI. 

 

enfant et locomotive 


Au fur et à mesure que l'enfant acquiert la confiance de base et que croissent ses capacités neuromotrices et intellectuelles, on le voit désirer conquérir le monde et y marquer son individualité (« processus dit d’individuation ») ; pour ce faire, il utilise son potentiel agressif gratuitement, pour marquer sa force et accroître son territoire ; il recourt également à l'agressivité en réaction aux frustrations ou aux menaces qui pèsent sur son intégrité physique ou psychique.
Au fil du temps, son aptitude à l'agressivité va se socialiser par apprentissage spontané, par identification aux aînés et en référence à l'éducation : si, comme toile de fond, l'enfant en bonne santé mentale cherche toujours à prendre sa place originale, il le fait de plus en plus en tenant compte du droit des autres à une vie digne, en négociant, en obéissant à l'occasion et en sublimant une partie de sa force agressive vers la réalisation de projets décalés de l’affrontement physique direct ( challenges sportifs, intellectuels, etc. ).

Pour soutenir ce vaste mouvement d'expansion de la vie physique et psychique, les éducateurs peuvent veiller à :

  - Reconnaître l'enfant comme un individu autre, séparé, gérant de mieux en mieux un projet de vie original au fil de son grandissement.
Défi pas trop difficile pour la famille contemporaine, que l'on présente à la fois comme individualiste et relationnelle. Le droit à la quête de soi y est reconnu et sa réalisation encouragée, comme étant de grande valeur. Marquet [4] estime fondamental le rôle de la famille dans la construction des identités personnelles, par le travail quotidien qui s'y opère de reconnaissance, de révélation et de consolidation des identités de ses membres : elle aide chacun à se réaliser, dans une voie de plus en plus autonome, et ce, entre autres, grâce à l'apport des autres : le travail du réseau relationnel familial soutient significativement la quête de soi.

  - Valoriser l'expression de soi et l'exercice par l'enfant de sa propre force : intention-clé, mais face à laquelle il est logique que beaucoup de parents s'avèrent quelque peu ambivalents : « Face à d'autres, soit, à l'occasion et sans excès ... mais face à nos exigences - toujours tellement pleines de bon sens ! - c'est quasi inconcevable  ».

  - Sensibiliser l'enfant à reconnaître une vraie place pour l'autre, égale en justice à celle qu'il prend pour lui ; le sensibiliser à négocier. Le témoignage de vie des adultes est ici fondamental.

  - Exercer une saine autorité, qui sache diriger et sanctionner si c'est nécessaire. Selon les circonstances, cette autorité fait respecter des Lois humaines fondamentales, auxquelles nous sommes tous soumis ( « Tu ne tueras point ... Tu n'étoufferas point l'autre, sous ton désir  » [inceste] ). Ailleurs, elle fait respecter de simples règles propres à la culture familiale ou à la culture sociétaire du lieu.

 

bien réfléchir la sanction


  - Dans le premier paragraphe, nous avons discuté de ces places contemporaines différentes faites à l’autorité et au consensus et des différentiations qu’elles introduisaient dans le développement [7]  ... ici, nous rappelons les bienfaits d’une dimension autoritaire « suffisamment bonne ».

Dans une famille restructurée, la prise en compte de l'individualité de chacun est parfois problématique, surtout lors des crises.

  - On doit donc bien veiller à ce que les enfants, notamment les plus petits, ne se retrouvent pas fondus dans la masse, cette dernière fut-elle provisoirement chaotique et peu contrôlable.

  - L'adulte devrait se donner le temps d'aller vers chaque enfant et de s'enquérir de ce qu'il vit, comprend et pense des mutations familiales en cours; et ceci, sans a priori, sans projeter sur lui des représentations toutes faites : « Leur sort est terrible, dans ces chaos » ou à l’inverse : « C’est une aventure tellement stimulante pour leur créativité ».

Si l'on accepte l'incertitude de la réponse, on constatera que ce que l'enfant vit est variable et souvent évolutif ;

  - Il ne faut pas faire la politique de l'autruche par rapport à l'inconfort, transitoire ou non, que certains éprouvent ; qu'on ne les oblige pas à dire que tout est idyllique, parce que les adultes, eux, voudraient tant réussir cette nouvelle étape et dénient, plus ou moins bruyamment, plus ou moins anxieusement, les problèmes qu'elle est susceptible d'amener.
Pensons, par exemple, à la coexistence souvent fluctuante d'enfants et d'adolescents issus de lits différents et à quel mélange mouvant de représentations mentales, de sentiments et de comportements elle peut conduire : ici, ce sera la menace et l'hostilité ... là, la joie, la complicité, la libération de pouvoir parler de ses problèmes à une copine de son âge ... il y aura des renforcements momentanés de l'alliance contre les adultes, et pourtant, à d'autres moments, une partie des soi-disant alliés aura besoin de vérifier qu'elle a toujours un lien privilégié avec son parent contre le clan des autres, etc.

  - Une attitude sage, alors, est de ne pas forcer le temps et de faire confiance aux capacités d'apprivoisement et aux besoins d'être reconnus et aimés opérant chez chacun. Au fil du temps, soit de nouveaux apprivoisements réciproques se font à la satisfaction de tous, soit les tensions deviennent moins vives et, sans s'aimer beaucoup, des sous-systèmes apprennent au moins à se respecter.
Aussi, mieux vaut ne pas imposer de gestes affectifs, ni de mots qui désigneraient statutairement le nouvel arrivant. Mieux vaut accepter que, au début, par conviction ou par protestation, son sentiment d'appartenance à la nouvelle famille ne soit pas très important. Et surtout, que l'on ne touche pas aux liens affectifs qu'il avait avec l'autre branche familiale, et aux modalités concrètes avec lesquelles il les gérait.

  - Tous ces actes de reconnaissance de l'individualité ne se confondent pas avec celle d'une sorte de toute-puissance, où l'enfant ferait et déferait à son seul gré ses liens affectifs et la gestion matérielle de ceux-ci. 

 

agressivité - on veut m'éduquer


Certains, parce qu’ils ont la juste intuition de la liberté excessive qu'on leur laisse ou/et le peu d'assertivité de leurs parents, voudraient abuser de leurs droits et aller et venir de l'un à l'autre comme et quand ils le veulent, en prenant le plus facile chez chacun. Ce n'est guère acceptable dans la perspective de l'éducation de leur socialisation. Les enfants gardent au minimum des devoirs de politesse et, plus fondamentalement, de reconnaissance filiale face à ceux qui les ont installés dans la vie et déjà éduqués (15)



Qu'en est-il alors de l'exercice direct de l'autorité dans la famille restructurée ? 

 


Lors des phases monoparentales de la famille, cet exercice n'est pas facile toujours et partout. A l'occasion, le parent tout seul, parfois désavoué par l'autre, peut être accaparé par trop de soucis ou trop fatigué que pour témoigner d'une autorité forte et cohérente. Réciproquement, l'enfant peut particulièrement lutter contre lui, en référence à son propre principe du plaisir ou pour écarter une emprise qu'il ressent à tort ou à raison comme excessive.

Les remèdes ne sont pas toujours simples. S'il ne réussit pas tout seul à renforcer son autorité, le parent concerné devrait demander de l'aide à un autre adulte, mais à qui ? La réponse dépend des circonstances. Voici notre ordre de préférence décroissant : un adulte de la tranche d'âge de la maman susceptible d'avoir l'oreille de l'enfant et accessible ( par exemple, un tuteur officiel, le parrain ou la marraine, un oncle ou une tante ...) ; les parents de la maman ; l’ « ex », pour peu qu'il se soit réinstallé des rapports de coopération suffisamment bons avec lui (16). 

Et par après, si la mère ou chaque parent « refait sa vie », il devrait se maintenir ou se reconstituer un exercice tranquille et raisonnable de l'autorité.

  - Chaque adulte proche devrait s'y engager ; pas seulement les parents, mais aussi les « nouveaux » surtout s'ils partagent le quotidien de l'enfant : tous ont vis-à-vis des « petits de l'espèce » des responsabilités générales de guidage et de protection.

  - Certes, le partage de l'autorité n'est pas toujours chose aisée, pas plus que la définition du contenu et des limites de la compétence de chacun.
Pensons, par exemple, au nouveau compagnon qui arrive après une phase monoparentale de deux, trois ans. Même si la maman l'aime, pas toujours évident pour elle de permettre que celui-ci prenne progressivement une place de co-éducateur qui ne se substitue pourtant ni à elle, ni au père des enfants. De son côté, le nouveau compagnon doit pouvoir demander cette place, voire la conquérir diplomatiquement, ni plus, ni moins, en faisant fi de l'ambivalence de sa compagne et en sachant la rassurer sur ses bonnes intentions : Ni « toute la place », ni « aucune », deux positions inverses qui s'avéreraient à terme tout aussi angoissantes et inacceptables pour l'enfant.
Quant aux enfants, soit par provocation, soit en référence à un mouvement naturel, ils peuvent garder tendance un certain temps à légitimer davantage leur parent et à lui obéir préférentiellement ... Au pire, le sabotage du « nouveau » est plus actif.
On devine quelle souplesse, quelle ténacité et quelle humilité sont parfois nécessaires entre adultes pour que le « nouveau » se fasse respecter, et contribue à faire respecter ce qui est fondamental, tout en apprivoisant l'enfant !

jolie petite fille

 


En plus, cette autorité partagée porte surtout sur le quotidien et les rites de la nouvelle famille ; par contre, quand il y a une décision spéciale à prendre pour l'avenir de l'enfant, le « nouveau » pourrait et donner son avis s'il le souhaite et savoir s'effacer face à l'autorité ultime du couple parental originaire !

  - Reste enfin à veiller à ce que cette autorité portée par plusieurs soit une autorité cohérente. Défi particulièrement délicat dans ces constellations bipolaires, mouvantes où persistent souvent quelques tensions entre les soleils principaux.

Bien sûr, il est « normal » que persistent des divergences d'opinions, au moins à propos des règlements et rites mineurs ; même dans une famille ordinaire, il est habituel que papa et maman ne pensent pas la même chose sur tout !

Bien sûr, il est logique que les enfants subtils remarquent ces différences et en jouent pour se donner davantage de plaisirs et affaiblir l'autorité parentale.

Aux adultes donc à faire preuve de lucidité et à s'entendre un minimum pour éviter les manipulations infantiles les plus franches et pour aider à une socialisation positive. S'ils ne savent pas faire de compromis autour de leurs différences, qu'ils ne se disqualifient pas mutuellement et éduquent plutôt l'enfant au sens du relatif : celui-ci devrait donc être invité à suivre les règles de là où il se trouve matériellement, ni plus ni moins, car ce sont elles qui ont du sens pour le propriétaire des lieux.



LORSQUE LES REMOUS DE LA RESTRUCTURATION COEXISTENT AVEC LA DYNAMIQUE OEDIPIENNE DE L'ENFANT.

 

Quelles sont, résumées sommairement, les principales composantes de cette dynamique ? L'affection que l'enfant destine à un de ses parents, souvent celui du sexe opposé, devient un désir amoureux : il voudrait être le partenaire de coeur de celui-ci, à la place de l'autre parent vécu, lui, comme rival.


Souvent ces désirs l'enchantent et le culpabilisent à la fois. Il s'en sort progressivement en s'identifiant au parent rival, en sublimant ses désirs les plus physiques et en déplaçant une bonne partie de ses désirs amicaux, sexuels et agressifs directs dans le monde social de ses pairs. C'est aussi une époque où l'enfant estime et aime sa propre personne, bien sexuée. Dans de bonnes conditions d'éducation, les parents, lorsqu'ils s'entendent plutôt bien, sont à même d'accueillir la présence des élans de l'enfant, amoureux et agressifs, d'interdire ses excès et d'amplifier sa confiance en son Soi sexué.

 

oedipe

Quoi qu’il en soit de nos conjonctures sentimentales d’adultes, nous sommes tous tenus vis-à vis de nos enfants et de nous-mêmes d’ :

  - Enoncer, rappeler au besoin, faire respecter et respecter la Loi de prohibition de l’inceste; elle dégage enfant ET parents des excès intergénérationnels : relations affectives érotisées et étouffantes, ainsi que relations agressives entre rivaux.

  - Enoncer et mettre effectivement en place les différences intergénérationnelles : les enjeux pour les enfants et pour les adultes y sont radicalement différents ; les premiers ne doivent pas intervenir dans les relations entre adultes, notamment celles de couple.

Cette injonction est plus positive qu’elle n’en a l’air : elle peut soulager l’enfant de bien des culpabilités irrationnelles, en le dégageant de la problématique du couple parental ; surtout, elle l’encourage à investir dans le monde de ses pairs et à exercer sa liberté pour choisir celles ou ceux qu’il va aimer d’amour !

   


Dans une famille restructurée, plusieurs chausse-trappes guettent tout le monde, surtout lors des remous du début et des transitions :

 



  - Certains enfants se sentent coupables de la séparation de leurs parents, entre autres lorsqu'ils entendent que c'est à cause d'eux et de leur éducation que des disputes éclatent. Ils imaginent parfois qu'ils ont réussi à éliminer le parent qui est parti et ont été choisis par l'autre en raison de leurs charmes. Cette préoccupation demeure le plus souvent non formulée, voire non consciente, et entraîne différents troubles du comportement ; ceux-ci expriment l'angoisse de l'enfant, sa peur de punitions en retour ou l'image ambivalente qu'il a de lui ( monstre et petit prince à la fois ). Souvent, les contacts avec le parent parti s'avèrent difficiles, si pas impossibles ; par projection, ce dernier s'entend parfois chargé de tous les maux : mais c'est bien la culpabilité de l'enfant qui rend compte centralement de cette aversion farouche.

  - D'autres enfants ne vivent guère ces scrupules de conscience, mais se laissent aller à leurs désirs oedipiens les plus centraux.

Nous avons déjà parlé de ces enfants qui deviennent les partenaires affectifs privilégiés d’un parent, voire ceux d'occasionnels dérapages sexuels. Nous y avons évoqué également la haine possible pour le parent parti. Elle est loin d'être toujours « soufflée à l'oreille de l'enfant » par le parent restant. Elle s'origine dans la culpabilité, nous venons de le dire, mais parfois aussi dans la jalousie, dans le sentiment tenace d'avoir été négligé au coeur des sentiments oedipiens qu'on vivait pour lui ! 
  - Après la séparation du couple parental, certains enfants sont parfois moins valorisés que leur fratrie à cause de leur sexuation : par exemple, ce sont des garçons, et l'on redoute ou voit vaguement en eux les héritiers de toutes les tares attribuées à leur bandit de père ! Pas étonnant alors qu'ils se dépriment et se mettent à correspondre aux prédictions négatives faites sur eux ...

  - Au fond, cette intégration de la dynamique oedipienne dans les mouvements de la restructuration est logique et inéluctable. Mais les parents, pris par leurs problèmes ou luttant contre leur propre solitude, n'ont pas toujours la lucidité d'y penser ni le courage d'y faire face (17). A leurs amis, à leurs proches et aux intervenants de première ligne de le leur rappeler au besoin, et d'écouter d'abord leurs sentiments et amertumes d'adultes. Puis il faut les aider à aider l'enfant comme on le fait lors de n'importe quel passage oedipien.



 L'ÉLABORATION DU SENTIMENT D'IDENTITÉ  ET LES PROJETS QUI EN DÉCOULENT



Au fur et à mesure que l'enfant calme en lui son « poulain fou oedipien » et que, entre autres, il s'identifie à son entourage, il construit un sentiment d'identité de plus en plus stable ; ce sentiment a une dimension sexuée sans se réduire à elle ; l'enfant reconnaît ses caractéristiques et ses ressources propres, ainsi que sa nature sexuée - fille ou garçon - et s'en réjouit ; il développe en même temps ce qui constituera de plus en plus ses valeurs ainsi que d'autres composantes idéales de son identité ( Moi-Idéal ).
En référence à cette identité qu'il se donne, l'enfant peut élaborer des projets personnels et utiliser ses ressources dans le travail pour les mener à bien.

Il est donc très important que les parents facilitent le processus d'élaboration de cette identité. Ils le font par exemple en :

  - s'offrant spontanément comme « modèles identificatoires » présents, stables et disponibles  ;
  - faisant part à l'enfant des caractéristiques et des valeurs qu'ils reconnaissent déjà en lui ;
  - ne bousculant ni ne rompant pas inutilement « l'histoire de vie » et les soubassements identitaires que l'enfant se construit depuis qu'il est tout petit.

 


Dans une famille restructurée, les adultes veilleront notamment à ce que :



  - L'enfant soit reconnu comme porteur d'une histoire de vie propre. La reconnaître c'est en connaître quelque chose et considérer que c'est significatif ; écouter ce qu'il en dit et respecter ce dont elle est tissée ; l'aider à la connaître, parce qu'elle imprègne ce qu'il pense et fait; et aussi en tirer des conséquences pratiques, c'est-à-dire interagir avec lui en tenant compte des données de cette histoire. La première application à ce propos concerne le respect des liens tissés par l'enfant dans le passé, thème que nous avons déjà débattu abondamment. En voici d'autres plus originales :

  - Même si la famille restructurée tient à se constituer en un ensemble vivant et à se donner une identité cohérente, elle gagne aussi à se « dé fusionner » à l'occasion et à reconnaître et concrétiser l'existence, en son propre sein, de sous-systèmes issus du passé. Par exemple, on peut imaginer des moments rituels de contact privilégiés entre chaque enfant et son parent : sortie au cinéma, excursion pour « rien qu'eux deux », etc ...

  - Il n'est pas rare que, avant l'étape actuelle, tel enfant ait reçu ou conquis un statut particulier. Par exemple : il était l’aîné ou le plus brillant par telle ou telle aptitude ... il avait conquis beaucoup d'autonomie pendant l'étape monoparentale de la famille, au point que la relation avec le parent présent était devenue comme symétrique [7]  ... ou encore, il avait beaucoup aidé son parent seul et s'était montré très efficace . 


Le réaménagement de la famille ne permet pas toujours qu'il conserve ce statut. Au moins, est-on suffisamment sensible à ce que celui-ci a représenté pour lui ? S'efforce-t-on d'en parler avec lui, d'atténuer les effets de la perte et de chercher des formules compensatoires, aptes à le consoler et à lui donner de nouveau le signe qu'il a toujours de la valeur ?

Pourtant et sans que cela soit antinomique, la nouvelle famille gagne à se constituer progressivement une identité globale propre, partiellement rénovée et cohérente. Qu'elle sorte dès que possible du chaos de la crise pour élaborer une organisation, des rites, une culture, pour se rassembler autour de quelques valeurs propres ... pour que les relations n'y soient pas balkanisées, sans rôles ni statuts.
Complémentairement à ses sous-systèmes, le corps moral de la famille restructurée doit se mettre en place lui aussi et se manifester concrètement.

Les enfants peuvent participer à cette nouvelle création : si toutes les familles ne peuvent pas déménager et se réinventer un nouveau lieu de vie, on peut cependant toujours procéder ensemble à des recompositions plus partielles de l'espace de la maison, de l'organisation du temps et de certaines habitudes de fonctionnement, qui marquent positivement l'existence d'une réalité nouvelle.

La construction n'en est pas toujours simple. D'abord, toute perspective de changement entraîne insécurités et résistances. Ensuite, tant qu'il n'y a pas remariage, on ne peut guère s'appuyer sur des solutions légales instituées, ni pour régler les petits problèmes du quotidien, ni pour indiquer les grands rites et valeurs nouveaux : pensons, par exemple, à ce petit problème qui est de donner un statut et une dénomination aux enfants de lits différents vivant sous le même toit.

 NOUS TERMINERONS EN ÉVOQUANT QUELQUES QUESTIONS RELATIVES À LA SEXUALITÉ. 

 

 

je pourrais en avoir des tas


Des activités sexuelles sont susceptibles d'exister entre mineurs qui vivent sous le même toit à temps complet partiel, quel que soit leur lien de sang. Pas d'angélisme à ce propos ! Elles existent déjà entre frères et soeurs dans les familles nucléaires d’origine et ici, l'on met en contact rapide des enfants qui n'ont pas beaucoup « d'empreintes » l'un par rapport à l'autre. [5, p.142]. Aux adultes donc d’être lucides ! Nous ne pouvons évoquer ces questions que de façon très succinte dans ce texte, mais nous nous renvoyons aux documents [8,9] où l’un de nous les y développe de façon beaucoup plus détaillée.

Les adultes peuvent réagir à l'instar de ce qui se fait dans une famille traditionnelle, c'est-à-dire :

  - N'encourager aucune sexualité dans ce groupe d’enfants qui vit ensemble au quotidien, mais ne pas dramatiser non plus la signification d'une bonne partie des activités sexuelles qui s'y développeraient quand même, comme par exemple les jeux sexuels entre petits, le plus souvent « normaux – développementaux ».

  - Interdire clairement la récidive de ce qui s'avérerait un abus ( violence ou tromperie intellectuelle ) ; sanctionner celui-ci; chercher à comprendre pourquoi il a eu lieu et remédier à ses causes profondes.

  - Que faire si, sans être pour autant amoureux, des mineurs, souvent préadolescents ou adolescents, s'avèrent s'être choisis librement comme partenaires de masturbations ou d'autres « éclates sexuelles » qui s'approchent de plus en plus des activités sexuelles adultes et peuvent être de longue durée ? La réponse est double : il s'agit d'abord, en tant que parents et qu'adultes éducateurs, de se situer fondamentalement par la parole, face à ces jeunes, pour s’énoncer quant à la valeur que l’on attribue à leur sexualité précoce. Même si on l'autorise ou la tolère dans son principe, il s'agit ensuite au moins de leur demander de se trouver dorénavant des partenaires extra-familiaux, parce qu'un groupe de type familial européen est fondé, entre autres, sur la non-pratique sexuelle entre membres cadets du groupe, surtout quand ils s'approchent ou atteignent la puberté. A noter que nous n'emploierons pas trop vite le mot d'inceste ici, certainement pas si les jeunes n'étaient pas du même lit, et même très parcimonieusement s'il s'agissait de fratrie ou de demi-fratrie. En effet, nous préférons réserver le terme quand il y a lien de sang proche, qu'il y a activités sexuelles, et surtout - essentiellement - qu'il y a amour possessif-exclusif entre les partenaires (18)

. 

  - Et si deux jeunes tombent profondément amoureux et cherchent alors à y intégrer des relations sexuelles ?

 

homosexualité ados


S'ils sont frères et soeurs ou demi-frères et demi-soeurs (19) , on doit parler d'inceste et prendre des mesures efficaces pour l'interdire, gentiment mais fermement ( il faudra souvent passer par des séparations matérielles ). S'il n'y a pas de lien de sang entre ces jeunes, on ne doit pas brader le mot « inceste », et apprécier au cas par cas la conduite à tenir en tenant compte à la fois du projet des amoureux et de la paix des sens des autres ...



NOTES




(3). Nous supposerons qu'il s'agit d'enfants issus du couple parental en question ou adoptés par lui. De loin en loin, il y a aussi des enfants en simple accueil familial ou d'autres issus en partie d'autres unions ( déjà demi-frères ou soeurs entre eux ).

(4). Mai 68 restera le signe fort d’un tremblement de terre sociologique dont le début est situé vers 1960.

(5). Qu’il n’y ait pas de confusion dans les qualifications : famille classique ou moderne, ou traditionnelle se réfère aux fonctionnements d’avant 1960. Famille contemporaine ou post-moderne aux fonctionnelles les plus typiques du 3e millénaire débutant.
(6). Dans la famille contemporaine où la natalité est moindre et commence plus tardivement, on a l’impression que le « projet enfant » est souvent mûrement réfléchi et raisonnablement positionné dans un programme de vie d’ensemble. Est-ce dire autant que l’enfant soit mieux aimé qu’à l’époque où c’était plus imprévu ?
(7). La perte de la mère n'est pas impossible, mais encore plus rare !
(8). Ce qui s'en suit est variable, du maintien d'un lien fort au désaveu de paternité, mais n'est pas toujours ni agréable à vivre ni sans créer de dommage psychique.
(9). Quand il ne se remet pas en couple homo, histoire d'une fois changer, modernité oblige ... et alors, c'est souvent plus dur et plus troublant à vivre par les enfants que ne le proclament les associations militantes homosexuelles ...
(10). L'âge le plus fréquent du jeune ici concerné est entre 12 et 14 ans. Il y a parfois plus jeunes et plus rarement plus âgés.(11). Communication optimale n'est cependant pas communication totale. On peut viser à protéger l'enfant d'informations choquantes, inutiles à son développement ou à tout le moins prématurées.

(12). Dans une maison de taille modeste, où plusieurs enfants débarquent en visite le week-end, il peut être inévitable que l'enfant plus permanent doive partager sa chambre ... mais, s'il s'agit de visites, même régulières, on pourrait officialiser qu'il s'agit toujours de sa chambre, et que les autres en sont des invités : de marque, sans doute, mais invités ... en leur donnant d'autres privilèges à d'autres moments.

(15). On ne peut néanmoins pas pousser à l'extrême cette logique de la reconnaissance filiale. De loin en loin, sans que l'enfant ne soit capricieux, ni n'obéisse à des suggestions grossières, on voit s'installer des aversions très farouches et persistantes à l'égard du parent parti : l'enfant, en son nom propre, ne parvient pas à lui pardonner quelque chose : le chagrin profond fait à sa mère ou à lui, l'humiliation qu'il ressent, etc ... Ici, il faudrait parfois pouvoir s'incliner et se résigner à suspendre la matérialité des visites.

(16). Il pourrait intervenir pour des problèmes mixtes, qui le concernent comme la maman : réalisation des taches scolaires, types et heures de « sorties », etc ...

(17). Evoquons, par exemple, une attitude aussi « innocente » qu'accepter régulièrement ou en permanence la présence de l'enfant dans le lit du parent parce que, le soir, chacun se sent seul et désire un moment de tendresse. La plupart du temps, il ne s'y passe rien de trouble dans le champ sexuel. Néanmoins, par la suite, à l'instar de la succion du pouce, cette « mauvaise habitude » est très difficile à déloger ; elle peut même contribuer à « endormir » la mère et à l'empêcher de chercher ailleurs ! Alors, le lit à deux ? Oui, le dimanche matin, comme chez tout le monde ...

(18). Si seul l'amour existe sans l'activité sexuelle, on parle de « climat incestuel ».

(19). On peut raisonner de même pour les amours homosexuels.

 


- Bibliographie - 



1. HAYEZ J.-Y.,
Destructivité chez l’enfant et l’adolescent, Dunod, 2e éd, 2007.
2. ERIKSON E. ,
Enfance et société, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1966.
3. MARCELLI D.,
Une nouvelle autorité dans la famille : l’enfant, Paris, Odile Jacob, 2003.
4. MARQUET J.,
Evolution et déterminants des modèles familiaux, (inédit), 2001.
5. VAN CUTSEM C.,
La famille recomposée, entre défi et incertitude, Coll. Relations, Eres, 1998.
6. ARENDT H., (1954)
La crise de la culture, Paris, Folio Essais, 2002.. LAZARTIGUES A.,
La famille contemporaine " fait " - elle de nouveaux enfants ? Neuropsychiatr. Enfance Adolesc. , 2001, 49, 264-276.
8. HAYEZ J.-Y.,
Sexualité normale et pathologique chez l’enfant, Perspectives psychiatriques, 1999.
9. HAYEZ J.-Y.,
La sexualité des enfants,  Odile Jacob,2004