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Spécificités de l’approche psychothérapique à l’adolescence

Pr C Mille

Professeur émérite, UPJV, Amiens, France)

 

         L’engagement d’un adolescent dans un travail psychothérapique individuel se heurte souvent à des obstacles multiples, liés certes aux incompatibilités inhérentes au processus d’adolescence, mais qui témoignent souvent des aléas du travail de séparation psychique ou des vicissitudes de la subjectivation. Les aménagements du cadre thérapeutique rendus nécessaires par les contraintes de fonctionnement psychique et relationnel des adolescents concernés ont été  proposés par des psychanalystes « sans divans », soucieux de prendre en compte la vulnérabilité narcissique de leurs jeunes patients, voire de mettre à leur service leurs propres capacités associatives. (E Kestemberg, R Cahn, J-L Donnet, Ph Jeammet, Ph Gutton).

Parfois seul un abord groupal s’appuyant au besoin sur des médiations culturelles permet de constituer un entre jeu/je au sens où l’entend R Roussillon, qui tente de théoriser une métapsychologie de la présence en tant qu'elle s’oppose à la métapsychologie de l’absence à laquelle les psychanalystes se réfèrent habituellement.

          Ph Gutton (1) considère l’adolescence comme « l’âge d’or » du traitement psychanalytique, dans la mesure où il s’agit d’une période d’intense activité associative, caractérisée par « une capacité remarquable à la pensée sans but », mais il faut bien faire avec la violence des scènes pubertaires, la force des exigences pulsionnelles et le « flottement des signifiants » qui en résulte.

L’abord psychothérapique à cet âge se donne bien quelques objectifs, tente de s’appuyer sur quelques leviers, mais rencontre de nombreux obstacles inhérents au processus d’adolescence, mais aussi aux positions parentales, à la nature de l’organisation psychopathologique sous-jacente comme aux réactions contre-transférentielles des thérapeutes. L’entreprise n’est pas sans risques et il importe que soit, réfléchi l’aménagement du cadre, et préconisé l’engagement des praticiens. Les médiations individuelles et groupales constituent souvent des modes d’abord précieux dans un tel contexte.

Les Objectifs

          Réduire les symptômes

Ph Jeammet (2) insiste sur la prise en compte des symptômes dont la persistance témoigne d’une résistance, voire d’un clivage propre à compromettre le travail psychothérapique. Or, le renoncement au recours aux conduites pathologiques confronte l’adolescent à une souffrance qu'il s’était efforcé de masquer, voire de dénier. Les affects anxio-depressifs qui ne manquent pas de surgir alors doivent être suffisamment tolérables pour qu'il ne soit pas tenté de s’accrocher au montage défensif qui le protégeait de tout ressenti douloureux. Ce sont probablement les patientes anorexiques (3) qui parlent le plus éloquemment de ce moment de difficile (re)confrontation à ce vécu pénible dans les situations relationnelles, vécu qu'elles étaient parvenues à évacuer en s’accrochant obstinément et exclusivement à leur désir de minceur et à leurs vœux d’abstinence. On ne saurait négliger les risques inhérents à l’édification d’une néo-identité autour de conduites dangereuses dont les patients finissent par revendiquer le maintien avec une certaine fierté, comme s’il s’agissait, faute d’autres moyens, de la seule possibilité à leur portée pour s’affirmer face à autrui et faire valoir leur différence

Aborder le nœud conflictuel

L’amorce d’un travail psychothérapique suppose que l’adolescent puisse accepter l’idée de l’existence en lui d’une conflictualité interne, en deçà des conflits ouverts ou latents avec son entourage, entrevoir le rôle joué par ses propres contradictions, tolérer l’ambivalence des sentiments chez chacun et reconnaître sa sensibilité exacerbée l’amenant à réagir de manière souvent préjudiciable pour lui dans certaines circonstances. La condition sine qua non est bien qu'il parvienne à prendre un peu de recul à l’égard des éprouvés qui peuvent le submerger dans les interrelations et les moments de solitude, qu'il se sente sujet de ce qui le touche, qu'il s’attarde un tant soit peu sur ce qui lui traverse l’esprit et que tout questionnement sur son implication ne soit pas vécu comme une intolérable mise en cause personnelle.

Relancer les processus d’identification et d’intériorisation

E Kestemberg (4) estimait que l’approche thérapeutique d’un adolescent devait « reposer sur une rencontre possible entre son besoin d’identification refoulé » et la capacité de l’analyste de s’identifier à lui. C’est de la qualité de cette rencontre identificatoire qu'un certain équilibre peut se rétablir en donnant à nouveau droit de cité à la libido objectale. L’enjeu est de taille, puisqu’il importe, pour reprendre une formulation de Ph Gutton (1), que les séances offrent des occasions renouvelées d’une réflexion « sur l’instance d’autrui dans le processus d’adolescence et le traitement », que le jeune patient puisse concevoir et admettre que la « conquête de soi » peut s’accomplir au travers d’un autre auquel est conféré le « statut d’autrui privilégié du sujet », autrui implicitement chargé d’accueillir la projection de ses objets internes, de figurer les instances infantiles qui le tourmentent et d’ouvrir ainsi un espace « de transactions et de traitement des complexes imagoïques » avec comme perspective ultime une potentielle « introjection assimilatrice secondaire ». Ce serait pour Ph Gutton la radicale « inadéquation du surmoi infantile » face aux « scènes pubertaires » qui expliquerait la « formidable exigence d’introjection de l’adolescent à l’endroit de toute figure de la tiercéité ».

Conforter le narcissisme

La menace de perte d’estime de soi est récurrente chez l’adolescent rencontré en pratique clinique, mais toute forme de réassurance narcissique directe serait malvenue (5). Seul l’intérêt indéfectible du thérapeute pour tout ce qu'il exprime, sa constance, l’accompagnement qu'il propose dans la découverte de son monde interne ont quelque chance d’avoir un certain effet sur son sentiment d’estime de soi. L’alliance thérapeutique ne saurait s’établir sans une validation par le thérapeute des préoccupations actuelles que se reconnaît l’adolescent, sans une certaine acceptation des positions qu'il tente de défendre, sans un certain respect, du moins dans un premier temps, de l’image qu'il souhaite donner de lui même aux autres. (4) C’est souvent à cette condition que l’établissement de la relation transférentielle ne sera pas trop menaçante pour son équilibre narcissique fragile, qu'il parviendra à « faire une place à autrui et à son influence possible, échanger et recevoir sans se sentir possédé » (2) tout en faisant preuve d’un peu plus d’indulgence à son égard.

Faciliter le réinvestissement de l’espace psychique

L’attention portée en séance à la moindre impression, fut-elle fugitive, la valeur accordée à toute ébauche d’hypothèse de la part de l’adolescent sur la possible origine d’un de ses éprouvés, la prise en compte de ses réflexions les moins « réfléchies » ne sont pas sans effet, et contribuent à élargir son espace de représentation, à relancer ses associations, voire à découvrir un plaisir de penser, de parler, d’échanger avec un autre « qui lui fait signe » (1), et qui l’invite à progresser dans l’exploration des contraintes de son fonctionnement psychique et relationnel. La naissance d’une certaine curiosité pour ce qui émerge d’inattendu, d’énigmatique en soi constitue toujours un pas décisif pour un adolescent piégé par un montage défensif rétrécissant son espace de représentation, et l’obligeant à restreindre son ouverture aux autres.

Les leviers

          Les premières rencontres

On sait combien elles sont décisives pour trouver un « terrain d’entente », poser les jalons d’un cheminement conjoint, fournir quelques indices sur la nature du travail qui pourrait se mener au fil des séances. Il faut bien que l’adolescent soit surpris par le caractère inédit du contenu des premiers échanges, mais aussi rassuré par l’établissement d’une juste distance relationnelle. Il redoute tout autant l’absence d’implication perceptible du praticien que ce qu'il perçoit comme des manœuvres de séduction ou des questions  intrusives. Or, pour citer J-L Donnet (6): « il arrive que nous pressentions dès le premier instant qu'il y a peu de temps pour « poser les billes », pour signifier adéquatement à tel adolescent à quoi et en quoi nous avons une chance de lui être utile ». Le thérapeute peut disposer de très peu de temps pour trouver le moyen de lui montrer qu'il ne s’est pas trompé d’adresse, que son entourage a bien fait d’entreprendre cette démarche qu'il redoutait, refusait par principe ou dont il n’attendait rien. Dans de tels cas de figure, il est illusoire de chercher à proposer un temps d’évaluation : le traitement commence d’emblée et n’a aucune chance de s’amorcer après une phase préparatoire.

          L’altérité comme source de changement

Ph Gutton insiste sur le fait que la constitution de la réalité interne et des instances psychiques comporte nécessairement ce qu'il appelle une certaine « clôture sur l’autre parental », alors que « le pubertaire » provoque une « formidable sensibilité à autrui » naturellement propice à une réouverture de l’espace psychique. Dans cette dynamique nouvelle, « l’altérité redevient la source du changement ». Il revient à l’analyste la responsabilité de « recevoir », accueillir, accompagner la demande d’altérité de l’adolescent. C’est précisément la relance du processus de subjectivation sous l’effet du pubertaire qui le rend autant sensible à ce qui vient de lui qu'à ce qui vient de l’autre.

Les obstacles

          Inhérents au processus d’adolescence

                    La difficile expression d’une demande de soins

L’adolescent affiche souvent une attitude blasée ou hostile face au « psy » qu'il a consenti à rencontrer sur l’insistance plus ou moins forte de ses proches. Il ne saurait d’emblée formuler une demande de soins en bonne et due forme, c’est à dire reconnaître sa propre insuffisance à remédier à son malaise actuel et la nécessité de s’en remettre à un autre supposé mieux placé pour comprendre ce qu'il en est pour lui. Faute de pouvoir tolérer et contenir sa souffrance dans son espace psychique, l’adolescent va l’exprimer de manière détournée, par le biais de plaintes somatiques, de mises en danger physique, de manifestations agressives ou de refus de la scolarité… C’est parfois la seule possibilité pour lui de circonscrire son malaise, mais aussi d’alarmer son entourage, de susciter une intervention salvatrice sans devoir la formuler explicitement. Il convient naturellement d’en tenir compte et de s’appuyer largement sur la demande relayée par les parents.

                             Les craintes de dépendance relationnelle

La démarche psychothérapique qui consiste à s’en remettre à un autre pour résoudre ses difficultés suscite l’espoir de leur résolution magique, mais aussi la crainte de soumission à la puissance de cet autre, soupçonné de profiter de son ascendant, pour établir un lien d’emprise. L’adolescent redoute de ne plus jamais parvenir à se passer de cette suppléance et de devoir se soumettre indéfiniment à cette forme de tutelle, au moment même où il revendique le droit de prendre son indépendance et de se défaire des liens infantiles vécus comme autant d’entraves à sa liberté. Mais, il entrevoit parfois aussi la tentation que constitue pour lui l’installation dans une dépendance régressive qui lui assurerait la sécurité à laquelle il aspire, le protégerait des affres du désir et des aléas relationnels. Une solution de compromis s’installe parfois dangereusement pour un adolescent qui investit les séances, semble s’intéresser au travail en cours, mais dont les symptômes s’aggravent. Le dispositif thérapeutique risque alors de renforcer les mécanismes de clivage déjà à l’œuvre.

                    Le rapport ambigu au langage

L’adolescent peut se sentir trahi par le langage qui échoue à rendre compte de la subtilité de ses ressentis. Il ne trouve pas les mots adéquats et peut trouver blessant que le thérapeute fasse preuve de beaucoup plus d’aisance que lui pour lui fournir les expressions qui lui font défaut. L’invitation à parler peut être vécue comme un diktat, comme un stratagème pour  avoir accès à son intimité, un moyen de le rendre transparent, de débusquer ses désirs inavoués. L’accent mis sur un lapsus, une répétition peut lui donner le sentiment d’avoir été pris en faute, et susciter culpabilité, honte ou colère (1). La trop grande valorisation du discours peut heurter son habitus « taiseux », les longs moments de silence peuvent à l’inverse activer un douloureux sentiment de vide intérieur.

                    Le poids de l’infantile

L’adolescent est pris « dans l’intensité et l’urgence de ses conflits actuels » (5) et tout rapprochement avec les conflits l’ayant opposé à ses figures parentales peut être cruellement ressenti comme une tentative de disqualification de ce qu'il croit savoir sur lui. Cette insistance sur le poids du passé vient activer le spectre d’une prédétermination de ses choix et contrarier les efforts qu'il déploie pour s’affirmer dans une identité nouvelle. Par ailleurs l’inachèvement du processus d’introjection de ses imagos parentales l’amène à demeurer au moins en partie dépendant des objets parentaux de sa réalité présente (5). Dans un premier temps, le patient trouve bénéfice au fait que le thérapeute s’efforce d’entendre dans les propos tenus l’adolescent déjà là, et évite de donner l’impression de ne s’intéresser qu'à l’enfant qu'il a été. Comme le souligne Ph Gutton : se centrer sur l’enfance, comme le font  inévitablement les parents, « est source de transfert négatif ».

          Inhérents aux positions parentales

                    L’absence d’alliance

Il arrive souvent que la demande d’aide formulée par les parents soit pressante : ils attendent, voire exigent une réponse urgente et rapidement efficace aux difficultés auxquelles ils sont souvent confrontées depuis plusieurs années. Ils déposent l’adolescent dans le bureau du « Psy » en refusant de se prêter eux même à une ébauche de mise en sens de ce qui se joue dans l’interrelation, sans interroger leur propre implication, sans s’intéresser à la nature du travail psychothérapique supposé s’instaurer. 

Les menaces pour leur équilibre

Les empêchements plus insidieux

Inhérents à l’organisation psychopathologique

                    Les difficultés finalement surmontables du passage adolescent

Elles se traduisent volontiers par des symptômes bruyants qui ont le mérite de mobiliser les ressources de l’entourage. L’éclosion d’une symptomatologie dépressive ou phobique chez un adolescent accentue certes de manière caricaturale sa dépendance  à l’égard de ses proches, mais elle  peut aussi, comme le suggère P Jeammet (8), lui fournir l’opportunité de poursuivre grâce à ce surcroît d’étayage son “travail d’élaboration et d’intériorisation”. P Blos (9) plaide pareillement pour ces moments de régression partielle permettant à l’adolescent de réexpérimenter une relation d’objet peu différenciée, régression qui pourrait lui permettre de “modifier les résidus traumatiques” et se mettre ainsi au service de son développement. Enfin certaines conduites transgressives et de défi sont à juste titre  comprises comme des provocations par les adultes tutélaires qu’elles obligent à réagir. Ainsi sommés de répondre “présent”(10), ils sont amenés à poser des limites à valeur structurante à l’adolescent qui, faute de répondant, cherche vainement les moyens de “s’autoproclamer adulte”. (11)

Les stratégies d’évitement  du passage adolescent 

Elles sont flagrantes chez “l’éternel enfant” qui reste ligoté par ses liens d’attachement et qui demande implicitement à ses parents de le protéger des jeux de l’amour et du hasard, “tel Ulysse se faisant attacher au mât de son navire”(12) pour résister au chant des sirènes. Ces stratégies souvent transitoires sont plus préoccupantes, quand elles aboutissent à une réclusion au domicile des parents pour se consacrer exclusivement à la musique ou aux jeux virtuels, mais aussi quand elles prennent, à l’inverse, la forme d’un éloignement radical des figures d’attachement. L’accrochage addictif à des substances, un groupe marginal ou une secte témoigne alors d’un repli régressif, repli d’autant moins réversible qu’il barre pour l’adolescent toute perspective d’engagement  dans un mode de relations plus différenciées.

                    Les impasses du développement

Elles traduisent pour M et E Laufer(13) une impossibilité pour l’adolescent d’intégrer le corps sexué à l’image de Soi. Elles se manifestent cliniquement par des attaques plus ou moins directes de l’intégrité corporelles et supposent le recours défensif prévalent au mécanisme de clivage. Ces tableaux s’apparentent beaucoup aux pathologies limites, (14) narcissiques, de la dépendance (15)(16) ou de la subjectivation(5) décrits par les auteurs français. Parmi leurs divers points communs au plan psychopathologique, ce sont les “risques” d’effondrement ou de confusion que font encourir au sujet les dérobades ou les empiètements de l’objet qui occupent une place centrale. Les craintes que suscite l’objet sont à la hauteur de la fascination qu’il exerce, fascination qu’accentue de manière vertigineuse “l’éprouvé pubertaire”(12). Les impasses sont inhérentes à la mise en œuvre d’aménagements défensifs redoutables visant, semble-t-il, à maintenir conjointement l’indifférenciation avec l’objet et l’individuation  du Soi, à s’abandonner au pouvoir de l’objet et à en  circonscrire l’étendue. Les  comportements “d’autosabotage” du passage adolescent, les conduites sacrificielles, les épreuves ordaliques  répétitives,  ne sont pas toujours suffisantes pour circonscrire les risques d’effraction psychotique.

Inhérents aux positions contre-transférentielles

On sait combien l’adolescent est particulièrement sensible dès la première rencontre à la personne même du thérapeute, à son aspect général, son âge, son sexe, ses vêtements, son regard, les inflexions de sa voix, ses attitudes corporelles... tout autant qu’aux mots qu’il prononce. Il supporte aussi mal un excès de neutralité, comprise comme de la froideur, qu’un excès de sollicitude qu’il  peut interpréter comme le reflet de la peur qu’il ressent lui même devant ce qu’il est (4). Le psychothérapeute navigue entre ces deux écueils qui ne sont pas sans lien avec certaines façons d’être des parents au quotidien. Ses questions, ses marques de satisfaction à l’écoute d’un matériel jugé intéressant, sa mine gourmande, friande de tout ce qui semble faire sens risquent d’accréditer une image de consommateur avide et insatiable qui “fait un plat de tout ce qu’on lui dit, plat dont il semble se repaître avec délectation. A l’inverse, son silence, son impavidité  ou ses incitations à poursuivre peuvent donner le sentiment que rien de ce qu’on lui dit ne le met en appétit, qu’il attend toujours du plus alléchant, qu’il faudrait extraire de soi  toute la” substantifique moelle” pour le rassasier. De manière trop symétrique, le thérapeute peut se sentir obligé de freiner l’appétence d’un adolescent “suspendu à ses lèvres”, prêt à “gober” toutes les interprétations, à boire comme du “petit lait” les moindres paroles et qui semble se délecter de ses séances. Plus souvent c’est le thérapeute qui doit s’efforcer d’alimenter la conversation, “se creuser la cervelle” pour pallier à l’inappétence de son patient qui ne desserre pas les dents, et d’une certaine manière, se résoudre à s’offrir lui même comme objet de consommation.

                    Le refoulement de l’adolescence

Les adultes fussent-ils thérapeutes gardent souvent « à l’endroit de leur propre adolescence des attitudes intérieures dont l’intégration » est selon E Kestemberg (4), plutôt insuffisantes, se traduisant par une certaine forme d’idéalisation rétroactive, ou à l’inverse par une prise de distance un peu méprisante. Le refoulement est encore à l’œuvre à l’égard des bouleversements de cette période, bouleversements dont la remémoration même dans un lointain après-coup, semble en mesure de  réactualiser le malaise ressenti. Ce défaut d’intégration pourrait être à l’origine d’interventions maladroites, défensives, tantôt trop précautionneuses, tantôt trop incisives, voire agressives.

                    L’adoption d’une position parentale

Dans les pathologies de la dépendance, l’analyste peut, selon Ph Gutton (1), être totalement soumis à « la logique du transfert » de l’adolescent qui l’installe dans une position marquée par une « parentification massive », qui l’amène ainsi à bâtir un projet parental pour lui, supposé pouvoir remettre en chantier « son être à façonner ». Peuvent en résulter des conseils, des mises en garde, des suggestions prenant valeur d’interventions correctrices particulièrement malvenues dans un tel contexte. Les offensives de charme de l’analyste sont autant à proscrire dans cette effervescence transférentielle où l’amour côtoie la haine, et l’érotomanie, la persécution.

Force est de reconnaître le rôle essentiel tenu par le contre-transfert qui est nécessairement « provocant » pour l’adolescent concerné, qui peut le  faire réagir négativement, mais qui l’amène souvent à saisir  l’opportunité qui lui est offerte d’expérimenter dans un cadre défini d’autres modalités d’échanges avec un adulte sensible à sa détresse profonde, plus en position de « codésirant » (1) que de référent et se montant prêt à tenir le cap dans la tourmente. Dans ce parcours chaotique les représentations que se forge le thérapeute sur son patient adolescent, y compris celles qui ne sont pas explicitées, ont un impact dont on ne mesure souvent l’importance que secondairement. Comme l’écrit Ph Gutton  (1) : « l’avenir de la cure dépend de la position contre-transférentielle dans laquelle il se trouve installé, voire jeté ».

                    L’accrochage à une hypothèse explicative

Dans certaines situations « peu parlantes », le thérapeute soucieux de mettre du sens, peut tenter de valoriser et d’exploiter le moindre indice fourni par le patient ou son entourage semblant mettre sur la piste  d’une situation qui a pu constituer une énigme pour lui. Ainsi cette patiente anorexique en vient à manifester sa colère à l’égard de sa « Psy » qui s’évertue à la convaincre du rôle joué, dans l’éclosion de ses troubles, par son supposé sentiment d’exclusion face à un frère et une sœur ainés ayant établi une complicité entre eux, complicité dont elle a pu se sentir douloureusement exclue. Elle se plaint de cette insistance sur cette veine explicative qu'elle est immanquablement incitée à exploiter à chaque séance, et qui lui donne le sentiment que ses propres hypothèses ne sont jamais prises en compte. J-L Donnet (19) évoque pareillement le secret familial « fonctionnant pour le psychanalyste comme source d’activité psychique intarissable », mais qui constitue aussi un objet encombrant « tendant à occuper tout le champ mental en saturant le besoin de causalité » au risque de paralyser le cours même des associations.

Les risques

Ils ont été préalablement évoqués, et  il importe ni de  les sous-estimer, ni de les surestimer. Leur dramatisation pourrait faire obstacle à tout engagement psychothérapique.

          La Rupture

Si on admet avec Ph Gutton (20) que « l’élaboration adolescens est adressée à un objet parental de transfert », on comprend la propension du jeune patient à développer un transfert intense et rapide dans la cure, mais aussi « sa non moins remarquable tendance » à interrompre ce mouvement en mettant un terme à cette relation trop chargée émotionnellement. Pour J-L Donnet (6) « la non-disqualification des actes à venir, en particulier des ruptures est la condition de leur symbolisation optimale », c’est à cette condition que les interventions du thérapeute ne seront pas comprises comme une injonction répétée à redevenir un enfant sage.

          Le Maintien d’une opposition tacite

La poursuite de la cure dans ce cas de figure amène souvent l’adolescent « à s’enfermer de plus en plus  et dans une attitude narcissique de refus et de mépris pour le thérapeute » (4). Le danger tient aussi au fait que le thérapeute peut être tenté de s’acharner à  fournir des interprétations à la Mélanie Klein, supposées vaincre ce transfert négatif, ou  de mettre lui même fin, avec une certaine brusquerie et sans dissimuler son découragement voire son irritation,  à ce qu'il estime être un simulacre de suivi. Le problème est que faute d’éléments  permettant de les valider ces interventions risques d’être vécues comme des attaques ou un rejet faisant écho à tout ce que l’adolescent a pu vivre ailleurs ou antérieurement et dont il est parvenu à susciter la reproduction au sein même de la relation « thérapeutique ».

          L’Aggravation de la symptomatologie

Comme on l’a vu, elle révèle l’accentuation du clivage au sein du moi et le rôle joué par l’expression symptomatique pour relativiser le pouvoir du thérapeute auquel le patient semble s’en remettre par ailleurs. Elle peut aussi être en lien avec la survenue de positions régressives (2) ou de dépendance quasi addictive aux séances qui en viennent à occuper toute la place pour l’adolescent mis en contact de fantasmes archaïques ou soumis à des bouleversements émotionnels difficiles à contenir sans le secours du praticien qui a contribué à les susciter.

Les aménagements du cadre

          Le travail préalable

L’idée d’une “propédeutique” conçue comme un travail de “mise en confiance”, voire d’explicitation préalable semble s’imposer.

 Des psychanalystes d’adolescents, ne privilégiant pourtant pas la référence à A Freud (21), et à la phase préparatoire qu’elle préconisait dans le traitement psychanalytique des enfants, en défendent l’utilité. Pour F Ladame (22), “le temps nécessaire à l’instauration de la cure peut-être variable”, mais il importe avant de s’engager plus avant que l’adolescent reconnaisse que “quelque chose de compulsif domine une partie de sa vie psychique”. J Bergeret (23) envisage une première étape de restauration narcissique avant que ne soient abordables les contenus œdipiens et pour que précise-t-il : “l’élaboration remplace peu à peu la compulsion d’abréaction”. Ph Gutton (1)  qui considère pourtant que “l’adolescence est l’âge d’or du traitement psychanalytique” attribue “une mission organisatrice”  aux premiers entretiens et  recommande un setting tout particulièrement protecteur, accueillant, prudent “pour qu’une création puisse s’y développer”. Il ne s’agit pas pour autant, précise-t-il, de dupliquer un projet parental supposé plus conforme à sa sensibilité. M Laufer, dont on connaît le plaidoyer pour un travail analytique intensif  dans le break-down à l’adolescence écrit : « plus l’adolescent est malade, plus la cure est souhaitable » mais il ajoute « moins elle est pensable » (13). Il estime qu'il faut inlassablement « convaincre, se convaincre, reconvaincre ».

          Le travail conjoint

La mise en place d’un dispositif thérapeutique bi ou pluri-focal est très largement préconisée

Ce dispositif vise à préserver le cadre, compte tenu des enjeux transférentiels en cause et de ses graves retentissements potentiels dans la réalité physique et sociale de l’adolescent concerné. La double prise en charge offre l’avantage d’introduire un tiers comme recours potentiel dans une relation duelle propice au déploiement d’un transfert passionnel, elle réintroduit un « espace de jeu » (24), permet une diffraction des projections, une différenciation des rôles. Elle ouvre l’opportunité d’une certaine « dissociation entre un investissement plus narcissique, celui du référent », et « un investissement plus ouvert à la pulsionnalité et à la conflictualisation, celui du psychothérapeute (1). Elle facilite également la prise en compte de la réalité concrète de l’adolescent en souffrance. S’engager dans un travail psychothérapique avec un adolescent, sans s’être assuré de la suffisante  qualité des liens avec ses proches est d’ailleurs considéré comme assez risqué (1).

          Les infléchissements du cadre

Se pose souvent la délicate question de l’articulation entre réalité interne et réalité externe dans le cadre même de la cure.

 Comme le souligne d’ailleurs J-L Donnet (6) : le « maniement technique de l’interface » entre ces deux réalités ne va pas de soi. Certaines dérogations au déroulement habituel des séances doivent être envisagées  quand « la situation analysante » (1) est en péril. Il peut être judicieux alors que le thérapeute organise un entretien familial, prenne l’initiative d’évoquer en séance les éléments rapportés par l’entourage, facilite la reprise du dialogue entre l’adolescent et l’équipe éducative qu'il met à l ‘épreuve par ses transgressions ou ses prises de risque, et  participe au besoin à une réunion le concernant. C’est, insiste Ph Jeammet (2) aux parents et au thérapeute qu'incombe parfois la responsabilité de dire clairement leur inquiétude sur les conduites pathologiques de l’adolescent qui évacue ainsi une souffrance qui n’a pas pu trouver d’autres voies d’expression plus adéquates.

L’engagement du psychothérapeute

Comme le rappelle Ph Gutton (1) : « l’engagement du psychanalyste anticipe régulièrement celui de l’adolescent et de sa famille », et de son point de vue il ne saurait y avoir d’établissement du transfert sans son intervention qui en facilite l’expression.

          La bonne distance relationnelle

La « formalisation du cadre » (1) implique certes qu'il soit défini en termes « d’espace et de temps », mais d’autres paramètres interviennent comme le sexe, l’âge, le physique, la tenue, la façon d’être, de parler, d’interagir du thérapeute, paramètres qui ne sauraient être codifiés et dont l’impact est assez peu prévisible d’un patient à l’autre.

                    Fréquence des séances

C’est en général la psychothérapie dite d’inspiration analytique, à raison de deux séances par semaine, qui est considérée comme la réponse la plus ajustée à l’adolescence : elle permet de mener un travail « en profondeur » (2), sans focaliser tous les investissements du sujet sur cette tâche. On ne saurait cependant, selon J-L Donnet (6) sous-estimer la portée d’autres manières de pratiquer. Il souligne le rôle tenu par les « remaniements topiques et économiques » à l’adolescence et fait l’hypothèse qu'un « équivalent dynamique de la cure-type » se trouve « potentiellement réalisable dans un certain nombre de psychothérapies brèves ou à séances espacées », à la faveur des « remarquables moments d’insight » qui peuvent se produire à cet âge. Ce n’est évidemment pas le cas dans les pathologies limites où le cadre, tantôt considéré comme trop lâche, tantôt comme trop rigide est l’objet d’un investissement très particulier et soumis à de fréquentes mises en cause.

                    Qualité du contact

Chacun s’accorde sur le fait que le thérapeute doit naviguer à vue en évitant le « Charybde » de la séduction et le « Scylla » de l’impassibilité risquant d’être comprise comme de l’indifférence (5). Il importe cependant qu’à l’occasion des séances, le psychanalyste assure une présence “palpable”: “ne restons pas silencieux, montrons, exhibons notre vigilance si particulière à la vie psychique sinon l’adolescent s’écartera de nous” écrit justement Gutton (1). Or comme on l’a dit, il s’agit bien de faire en sorte que cet intérêt  manifeste à la vie psychique dans toutes ses expressions ne soit pas vécu comme une appétence suspecte par l’adolescent,  et que nos interventions se démarquent clairement d’une attitude parentale et soient entendues comme foncièrement non moralisantes. De fait, le thérapeute est naturellement amené à décliner avec tact l’art de la conversation, de la  narration voire de la consolation (1) en mettant au service de son patient ses propres capacités associatives. Or, il n’est pas si simple de s’ajuster extemporanément à tout ce qui surgit en séance, en mettant de côté les schémas préétablis, les a priori théoriques, les présupposés qui sont autant de barrières érigées contre nos propres appréhensions. Pour E Kestemberg (4), le respect a priori des aménagements défensifs mis en et dans la mesure du possible place par l’adolescent n’est pas incompatible avec l’usage d’un « langage direct », dans la mesure où une attitude de trop grande sollicitude peut être vécue « comme le reflet chez le thérapeute de la peur » que l’adolescent  ressent lui même devant ce qu'il est.

                    Le sexe et l’âge du thérapeute

Pour Ph Jeammet (2) : « compte tenu du poids des phénomènes inconscients d’identification » et de la difficulté à l’adolescence « d’analyser les investissements de type homosexuel », le travail thérapeutique pourrait s’avérer plus facile à mener avec un praticien du même sexe que le patient. D’autres auteurs soulignent plutôt « le risque d’excès d’excitation dans le transfert avec un analyste de sexe différent » (5). On peut supposer que l’âge ainsi que  l’« habitus » du thérapeute rentrent aussi en ligne de compte pour amplifier ou amoindrir ce type d’effet et qu'on ne saurait s’en tenir à quelques idées préconçues.

Le lieu

L’accueil dans un cabinet libéral ou dans un CMP, un CMPP, une MDA, une consultation hospitalière n’est pas sans importance. Le mode de paiement, les éventuelles démarches administratives à accomplir, la qualité des locaux et de l’ameublement, la fréquentation de la salle d’attente, l’intervention d’autres professionnels introduisent toute une série de variables dont les effets sur le déroulement de la cure sont le plus souvent incertains, parfois surprenants.

          La mise au service du patient des fonctions psychiques du thérapeute (25)

                    Fonction de maintenance

Fonction de contenance

Les médiations

          Rétablir un espace d’entre je/jeu.

Dans ces formes nouvelles et récurrentes d’expressions psychopathologiques, où les agirs tiennent la première place, R Roussillon (31) soutient d’ailleurs qu’il ne s’agit plus seulement “d’entendre les traces du jeu potentiel qui n’a pas pu déployer ses virtualités symbolisantes”, mais bien d’accepter pour l’analyste de “s’aventurer dans un travail de reconstruction de ce qui historiquement dans les réponses de l’environnement premier n’a pas permis que ces potentialités se déploient”. Il lui faut bien, ajoute-t-il, “quitter les bords bien balisés de l’intrapsychique et/ou ceux encore repérables de l’intersubjectivité” pour se confronter “à la comportementalité et à l’interaction” avec le souci de les transformer en “jeux intersubjectifs puis représentationnels”. Quand on a affaire à « un impensable, un impensé, un irreprésentable », précise-t-il, il ne sert à rien d’attendre avec patience que ce qui « travaille le sujet » vienne au grand jour sous la forme d’une représentation accessible. Il importerait au contraire de prendre l’initiative pour construire  « la scène du lien ». Le travail de construction se présente « comme une spatule » que le patient va jeter/éloigner, que nous allons lui restituer sur un autre mode, qu’il va jeter à nouveau, tout en testant et mesurant la solidité du lien qui s’installe. Dans ce cas de figure, le thérapeute ne saurait se référer à  la symbolisation secondaire qui relève d’une métapsychologie de l’absence, mais à la symbolisation primaire qui ouvre à la nécessité d’une métapsychologie de la présence et de l’entre je, de la rencontre entre deux sujets, de l’effet de la réponse de l’un à l’engagement pulsionnel de l’autre, des effets des modalités de présence sur les formes d’élaboration de l’absence. Il ne saurait y avoir d’appropriation subjective sans cet entre je.

          Le psychodrame.

Pour E Kestemberg (4), le psychodrame analytique offre un cadre favorable au déploiement d’un travail psychothérapique avec les adolescents réfractaires à une approche individuelle. La fiction construite dans l’espace de jeu introduit une « distanciation par rapport aux affects ». La distribution des « fonctions entre le directeur de scène », chargé d’être « le témoin du moi », et les autres psychodramatistes » représentant les revendications pulsionnelles  contribue à mettre en représentation la conflictualité interne, à présentifier les divers personnages du « théâtre du je » (32). La liberté laissée dans le choix des rôles, leur inversion possible permet aux adolescents d’expérimenter différentes places, y compris celles de « ses imagos parentales ». La pluralité des adultes facilite naturellement la « dilution du transfert » et la décondensation des imagos primitives.

          Les thérapies avec médiation.

Les jeunes patients en peine de traiter psychiquement les contenus confus et énigmatiques qui les travaillent, trouveraient avec les médiations le moyen de les externaliser, de les transférer, de les amalgamer au matériel proposé. Ainsi transposés sur un support concret, maniable, reproductible, ces contenus seraient plus accessibles, plus faciles à « travailler». B Chouvier (33) souligne d’ailleurs le caractère paradoxal de cette expressivité grâce à laquelle un sujet parvient à révéler sa subjectivité en construisant un objet parfaitement extérieur et partageable.                     Les constantes de la médiation Elles ont été définies par R Kaës (34) et  participent probablement à divers titres aux effets thérapeutiques constatés. Le lien que la médiation rétablit entre la force pulsionnelle et une figuration, la représentation des origines qu'elle implique, la problématique des limites dans laquelle elle s’inscrit, l’obstacle à l’immédiat qu’elle constitue, le cadre spatio-temporel qu'elle suscite, l’oscillation entre créativité et destructivité qu’elle permet sont donc les six constantes qui sont autant de dimensions « spécifiant le travail de la culture » et dont on perçoit l’importance dans tout processus de soins médiatisés. Les mécanismes d’action Ils sont multiples et de registres divers. Le soutien de la transitionnalité et du déploiement d’un espace potentiel s’inscrivant  dans le prolongement de la créativité primaire constitue  l’« opérateur » (35) le plus fréquemment cité. La dimension réparatrice de l’activité de médiation est également valorisée dans la littérature sur ce sujet (36) (37). Les fonctions d’appareil à penser les pensées (38), de pare-excitation (39) (40), de contenant des angoisses primitives, d’objet transformationnel (41), ou de réanimation psychique (38) sont souvent évoquées. Les notions d’entre-je(u) et de métapsychologie de la présence défendues par R Roussillon (31) pourraient rendre compte du souci d’ouvrir un espace intersubjectif et de promouvoir quelques représentations partagées à partir d’interactions comportementales « hors jeu » qui surgissent dans le déroulement même de la thérapie avec médiation. Les interventions/réponses visent à mettre un peu de jeu là où il y a un risque d’affrontement stérile, à infléchir la transaction dans le sens de l’échange, à reconnaître l’invitation implicite à inventer la bonne réplique propre à rétablir une certaine complicité ludique. Le rôle du groupe. Le groupe assure par lui même une fonction de médiation entre adolescents et adultes. Il protège d’une confrontation trop frontale aux fantasmes de séduction ou d’emprise, et permet de « négocier autrement » (42) les transferts trop massifs. A l’adolescence, le sentiment d’appartenance à un groupe joue un rôle essentiel, groupe qui lui offre un « cadre contenant », qui l’aide à poursuivre son travail psychique de différenciation, et à remodeler son compromis identificatoire, tout en contribuant à conforter son narcissisme. Pour R Kaës (34), la fonction « médiatrice » du groupe est liée aux chaînes associatives qui s’y forment, et où chacun peut faire son marché pour y trouver les représentations qui lui manquent. Elle serait aussi plus concrètement  assurée par divers participants qui se chargent ou qui sont chargés des « fonctions phoriques » de porte-parole, porte-rêve, porte-idéal ou porte-symptôme (34).     Le but ultime du recours aux médiations Il pourrait être de maintenir une dynamique de soins, avec les patients les plus réfractaires, voire de les sensibiliser  à l’intérêt d’un engagement dans un travail psychothérapique individuel (43). L’atelier thérapeutique reste volontiers conçu comme un pis-aller, une étape transitoire, une occasion de prendre conscience de l’utilité d’un suivi, un prélude ou un préalable à un travail sur soi, l’accès à la parole demeurant la « visée suprême de la médiation. De l’avis du plus grand nombre, le « thérapeutique par surcroît » ne paraît pas assez fiable, pas assez solide pour faire l’objet d’une prescription supposée suffisante pour aider un patient à franchir de manière décisive un cap dans ses difficultés psychopathologiques. Or assez souvent, les adolescents souffrant de pathologies narcissiques,  de la dépendance ou de la subjectivation, durablement intolérants aux dispositifs psychothérapiques habituels   bénéficient incontestablement d’un dispositif thérapeutique avec médiations (44). La participation à des activités médiatisées, susceptibles de les intéresser, est de nature à les aider, à apaiser leurs craintes, à accéder à une coexistence pacifiée avec autrui, à conforter leur estime de soi et à renoncer au besoin d’affirmation de leur  autosuffisance ou de leur toute puissance. Ainsi engagés dans une co-créativité qui leur ouvre un espace potentiel, ils sont en mesure de s’appuyer sur cette nouvelle donne relationnelle pour sortir du piège de « l’incompatibilité narcissico-objectale » évoqué par Ph Jeammet (45). Au total, les diverses réponses à visée psychothérapique proposées à un adolescent en souffrance sont  soumises à l’éthique du praticien qui  a nécessairement le souci de se forger préalablement une représentation suffisante de ses contraintes de fonctionnement et des limites de son entourage. La mise en place d’un dispositif thérapeutique de ce type implique une prise de responsabilité du thérapeute qui ne saurait sous-estimer les aléas, voire les risques d’une telle entreprise, qui repose d’abord sur son propre engagement, sa « sensibilité élective à l’énigmatique en soi et en l’autre » (1), sa confiance dans le cadre instauré et  sa capacité à « survivre » psychiquement au doutes et aux attaques qui ne manquent jamais de survenir. Tout au long de ce parcours souvent chaotique et semé d’embûches, c’est probablement la vigilance du  psychanalyste à ses mouvements contre-transférentiels qui pourrait s’avérer essentielle avec le souci constant de maintenir une juste distance, une créativité suffisante et une ouverture à ses références tierces.   Bibliographie

 

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