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Introduction

La première adolescence (1constitue pour beaucoup d'entre nous un âge de la vie où le sentiment d'identité et les Idéaux de référence sont le plus malmenés, entre la perte des repères de l'enfance et les reconstructions plus solides qui suivront
 les 400 coups
Extrait du film les 400 coups (F.Truffaut, 1959) Antoine (J.-P. Léaud) a fugué pour se trouver seul face à la mer et assumer une nouvelle étape de sa vie, loin de la prise en charge par les parents.
Qu'ils vivent ce chambardement en le gardant, s'ils le peuvent, dans le secret de leur coeur ; ou qu'ils l'extériorisent, tantôt dans un chaos permanent, tantôt par un acte isolé au symbolisme plus ou moins opaque, les jeunes, à ce moment de leur existence, passent donc souvent par un kaléidoscope d'idées et d'affects d'insécurité, de négativisme tous azimuts et de révolte, de dépression ou d'exaltation.
figure01

Il s'en trouve donc un certain nombre à fréquenter nos consultations ou nos lits d'hospitalisation, amenés par des parents ou des familiers qui les en ont plus ou moins con
vaincus. Il est rare qu'ils nous arrivent autrement qu'avec une profonde ambivalence, partagés entre l'espoir d'être soulagés de leurs souffrances morales, le devoir d'obéissance aux adultes et la méfiance que leur inspirent à la fois notre possible intrusion dans leur monde intérieur; leurs fantasmes sur nos intentions normatives et la crainte de voir se dégrader leur image sociale : « Si les copains savaient ... »

Et même dans la minorité des cas où ils paraissent chercher spontanément de l'aide, ou adhérer vite et bien à l'idée de rencontres avec nous, que demandent-ils en réalité ? Est-ce principalement que nous les aidions à aller mieux et à assumer davantage leur projet de vie, comme nous aimerions les entendre nous dire, « avec leurs mots à eux » bien entendu ... ? Ou leur véritable mobile est-il ailleurs ?

Bernard ( treize ans ) ; parents séparés; contacts rares et difficiles avec son père; m'arrive après déjà douze mois d'invalidation scolaire ; il se montre tout de suite avide de me parler ; offrant un matériel abondant centré sur ses angoisses toutes plus archaïques les unes que les autres ; mais il aimerait aussi, plus subtilement et sans l'avouer, que je confirme son droit â rester dans le doux nid de la maison. Aurélie ( treize ans ) accepte de parler en présence de sa mère, mais c'est pour m'expliquer que celle-ci ne comprend rien à rien, qu'â son âge elle a bien le droit de fumer ; de flirter; de s'endormir quand elle veut ; elle attend de moi que je sermonne sa mère sur le champ.
Quand à David, que j'avais rencontré une première fois quand il avait douze ans pour des difficultés relationnelles liées à son insertion scolaire, s'il revient me voir tout seul trois ans plus tard « pour un problème personnel », et s'il me raconte, d'abord avec prudence et hésitation, qu'il s'est mis à draguer les messieurs dans des lieux publics, je comprends petit à petit qu'au fond, il est plus fier qu'ennuyé de sa bisexualité, qu'il vit celle- ci comme un signe d'exception, et qu'il voudrait bien m'entendre lui manifester mon admiration.

Bref, rien n'est simple pour nous, coincés que nous sommes entre le grand groupe de ceux qui ne veulent pas, ou guère, de notre intervention, et la minorité qui désire notre aide, mais pas nécessairement comme nous l'aurions souhaité. Comment donc les accompagner ? Qu'il me soit permis de mettre en exergue et de faire mienne une recommandation d'Henri Brunetière :

« Dès lors, que peut faire le thérapeute convoqué à ce moment ? Il n'est pas question d'engager ici un débat sur les théories, sur la puberté freudienne, sur l'adolescence annafreudienne ouwinnicotienne , mais simplement d'esquisser quelques remarques personnelles et simples, plus problématiques que dogmatiques ... »  (Brunetière, 1993)
J'aborderai d'abord le type de travail que nous pouvons proposer et son organisation ; puis, une fois ce type choisi, l'écoute de l'adolescent et de sa famille, et ses variantes.


I. Le type de travail proposé, son cadre et ses moyens.


 long fleuve
Extrait de « la vie est un long fleuve tranquille » (E. Chatiliez) Eh non, notre travail ce n'est pas de former des moutons qui bêlent Jésus revient ... D'ailleurs, Paul quittera bientôt le troupeau pour s'imprégner des odeurs corporelles de la fille Groseille ... dans les terrains vagues près de la Deule.
La grande diversité des problèmes supposés exister ; ainsi que celle de « l'état du moment » des demandes ou non-demandes de l'adolescent et de son entourage, en distinguant en outre pour chacune d'elles ce qu'il en est de l'avant-plan et de la profondeur devrait constituer un très puissant appel à notre créativité, invitée indéfiniment à construire du solide sur de l'incertain et du provisoire  (2) 
Je ne pense donc pas qu'un thérapeute prisonnier d'une ritualisation rigide de son offre puisse être très efficace face au groupe d'âge des adolescents : c'est en effet qu'il n'aurait pas gardé en lui suffisamment d'« adolescence intérieure », cette dimension qui, par définition, accepte de partir à l'aventure, avec angoisse ou exaltation, loin du nid douillet des certitudes (3) 



A) Flexibilité de l'organisation. 



Donc, mieux vaudrait que l'organisation de notre offre soit très flexible :

---- Ainsi pourrions-nous proposer des possibilités d'accompagnement ritualisées, conformément à notre système habituel de rendez-vous, mais avec des possibilités d'entretiens impromptus : de la sorte, nous nous adapterions au fonctionnement de beaucoup d'adolescents, fait d'un besoin d'actions et de réponses rapides avec, fréquemment, un sentiment d'urgence ... tout en veillant à ne pas devenir esclaves de leurs exigences d'immédiateté, ni, à l'inverse, à installer de la dépendance (De clerq,1997)
E. Kestemberg parlait déjà dans ce sens il y a vingt ans, elle qui réservait toujours du temps dans sa consultation « pour ceux qui s'intercalent », et bien des auteurs recommandent qu'à côté du système des rendez-vous, il existe une « structure d'accueil informelle » ( par exemple, Favre,1994)

---- A certains, nous parlerons clairement d'une psychothérapie individuelle à durée indéterminée (« C'est important qu'on réfléchisse ensemble régulièrement ... à qui tu es, à tes questions ... en y mettant le temps qu'il faut »); à d'autres, il faudra se borner à fixer le rendez-vous suivant, sans autre programmation des rencontres (4) 
Mais que le projet convenu ait été ou non inscrit dans la durée, certains adolescents s'y tiennent grosso modo tandis que d'autres disparaissent sans préavis, parfois après quelques séances intenses. Ces derniers donnent suite ou non, ou inconstamment, au courrier par lequel nous leur proposons de chercher à comprendre avec eux ce qui s'est passé ; éventuellement, ils refont un jour surface à notre consultation, parfois au bout de deux ans, souvent en vue du même petit tour de piste qu'ils ont déjà demandé et dont la brièveté leur convient très bien : cette volonté de maîtriser eux-mêmes la relation et de garder leur indépendance face à ce qu'ils ressentent comme une possible emprise de notre part, c'est cela aussi l'adolescence, et c'est loin d'être toujours pathologique en soi.

Ainsi David : après quelques séances où nous avons parlé de sa dimension homosexuelle, de sa gaucherie devant les filles, alors qu'il désire pourtant les rencontrer ; et après qu'il associe spontanément autour du caractère froid et autoritaire de sa mère, il vient me parler d'un rêve où il me voyait le traquant dans tout Bruxelles ! Après quoi il disparaît ... pendant un an et demi. Quand il revient, c'est sous prétexte de me demander un certificat attestant sa normalité psychique, certificat dont il aurait besoin pour un séjour à l'étranger. Nous passons trois séances à parler de ce problème ... puis je le perds de vue à nouveau ... quinze mois plus tard m'arrive une lettre en provenance des Etats-Unis, par laquelle il me demande de commenter son journal de bord où, en toute première page, il se compare à Cyril Collard son héros du moment.

---- Le rythme des rendez-vous peut aussi s'accommoder d'une grande flexibilité : pour certains jeunes et à certains moments, par exemple au plus fort d'une grande crise, on gagnera à prévoir des rendez-vous très rapprochés ( Brunetière,1993) ; mais parfois il faudra leur laisser du temps ( quinze jours - trois semaines ) pour réfléchir en paix à domicile ou/et expérimenter de nouvelles dispositions évoquées en séance ...

 ---- Autre problème à réactualiser à chaque coup : 

l'adolescent a-t-il intérêt à travailler individuellement avec un thérapeute ou avec le groupe familial ? Parfois on convient avec lui et, souvent, avec sa famille, qu'il s'engagera dans une thérapie - ou pour l'un ou l'autre rendez-vous s'adressant à lui seul, un autre thérapeute recevant en parallèle les parents. Même dans ce cas, on peut prendre des dispositions pour que, de temps en temps ou systématiquement, ces deux catégories de séance aient lieu au même moment et se terminent par un échange commun ; il n'est pas exclu d'ailleurs que, parfois, le moment « monogénérationnel » serve à préparer la table ronde. Sur ce système on peut encore greffer des séances familiales plus complètes, avec la fratrie.
Cette alternance de moments scindés et communs permet parfois des enrichissements insoupçonnables. Sans qu'il soit question de trahir l'intimité de quiconque, des questions-clés peuvent se relancer d'un sous-groupe à l'autre et être travaillées, soit directement lors des séances communes, soit en un temps ultérieur, par le destinataire de la question, en séance « monogénérationnelle »

Par exemple, en séance individuelle, Bernard raconte les angoisses intenses et incompréhensibles qu'il vit à propos de l'école, comme Si fréquenter celle-ci pouvait anéantir sa vie: il rêve qu'il est perdu dans des labyrinthes et couloirs sans fin qui débouchent sur des précipices ... ou encore, qu'à la sortie de l'école, tous les auto-bus ont disparu et qu'il ne pourra jamais rentrer chez lui. De fil en aiguille, on en vient à s'interroger sur les conditions de sa naissance. En séance familiale, la mère, interrogée à ce sujet avec l'accord de Bernard, raconte combien cette naissance fut dramatique. Cet élément nouveau est repris en séance individuelle et positionné comme source d'imprégnation traumatique. Une autre fois, en séance familiale, c'est la mère qui aborde la question des bénéfices secondaires dont, bien sûr ; Bernard n'a jamais parlé spontanément en séance individuelle: ceci me permet par la suite d'avoir des échanges avec lui sur la dimension « assuétude » de son comportement, et sur le courage dont il aura de toutes façons besoin s'il veut la dépasser. 

Dans d'autres cas, la thérapie n'a lieu qu'avec le groupe ou un sous-groupe familial, soit que le thérapeute l'ait conçu de la sorte, soit que l'on accède à une demande - estimée recevable - de l'adolescent ou/et de sa famille. Cette demande n'est néanmoins pas toujours formulée clairement : parfois, ce sont des pressions ou des résistances lors du travail individuel qui montrent qu'il faut reconvertir les options thérapeutiques ... la programmation d'une thérapie familiale est donc immédiate, ou dictée plus tardivement par les circonstances (5)

Christian ( treize ans et demi ), atteint lui aussi d'une sévère phobie scolaire, n'a jamais voulu venir qu'avec son père et sa mère, sans doute parce qu'il était anxieux mais aussi et surtout parce qu'il y avait comme un double message dans le chef de ses parents : à l'avant-plan, ils le poussaient à me parler tout seul, en sa qualité d'enfant-problème, et Christian s'ingéniait à leur résister ... ; à l'arrière-plan, le père, Bonne Mère dominatrice, lui faisait comprendre que lui seul pouvait être important dans la vie du jeune.

Après sa tentative de suicide, provoquée par son impression de n'avoir aucune importance, Sybille ( quatorze ans ) n'a très vite plus voulu du travail individuel qui la désignait trop comme déséquilibrée, ni même d'entretiens avec ses parents, entretiens programmés pour elle, et où elle ne quittait donc pas ce statut ... Il a fallu organiser des entretiens familiaux où l'on parle de façon plus large des relations difficiles entre elle et sa soeur, et entre parents et adolescents, pour qu'elle consente à nouveau à s'exprimer, comme un intervenant parmi d'autres.

 culpabilité
La culpabilité, la dépression, le sentiment de n'être rien ... partageable en famille ou pas ?
Et parfois, il y a place pour plus original encore :

Avec Xavier ( quinze ans ) et ses parents, on avance au coup par coup. La mère est une personnalité borderline, pas loin d'être paranoïaque. Le père, présent aux séances, est dans la vie un homme effacé. Xavier, fils unique, surdoué, se débat dans des protestations très hystériques et chargées d'angoisse pour trouver son identité et sa nouvelle place d'adolescent dans la famille. Souvent, en début de séance, il demande que son père soit présent et l'écoute exposer son débat intérieur. Ça peut aller très loin chez ce garçon confiant et crédule qui parle devant et avec son père de ses préoccupations tant religieuses que masturbatoires ; cela permet au père de reconquérir une certaine place aux yeux de son fils. Bien entendu, pendant ce temps-là, un autre thérapeute s'entretient avec la mère. Tout cela se termine par une table ronde, où chacun marche sur des oeufs ...

Et l'espace me manque pour exposer la place qui pourrait revenir, dans cette programmation sans cesse renouvelée, à la psychothérapie de groupe, ainsi qu'à l'hospitalisation longue ou brève, à l'intérêt à ce que cette dernière ait lieu en milieu psychiatrique ou en hôpital général, et, dans ce dernier cas, au choix d'un service de pédiatrie ou de médecine interne. Aucune de ces options n'est évidemment innocente.



B. Flexibilité des matériaux des séances.

 

Une discussion analogue peut se faire à propos des « matériaux » auxquels nous recourons en séance, pour que s'y disent et s'y saisissent bien les questions de vie de notre jeune client. Tous ne parlent pas, nous le savons bien, avec la fluidité des bons clients névrosés des psychanalystes d'adultes. Et même lorsqu'ils y arrivent, rien ne nous oblige à les écouter ronronner, sans intervenir : bien des psychothérapies se sont relancées à partir des « surprises » qu'y a introduites le thérapeute, parfois sans projet préconçu, parfois pour le simple plaisir de créer, d'introduire de la vie, si pas tout simplement de ne plus s'ennuyer : en y recourant occasionnellement, et sans jamais peser ni sur la réceptivité de l'adolescent à ce qui est proposé, ni sur le contenu de sa réponse éventuelle, le thérapeute prend la place d'un autre, vivant et créateur; d'un aventurier à même de casser la routine ... l'identification étant ce qu'elle est, cela peut donner un coup de pouce vers la vie !

Il m'arrive ainsi - le plus souvent - de respecter le flux naturel du discours verbal spontané de mon jeune client, mais parfois - surtout quand je m'ennuie - d'essayer de le rencontrer sur du plus vivant (« Tiens, que penses-tu de ceci ou cela ? Raconte-moi quelque chose de spécial ... de gai qui s'est passé depuis la dernière fois ... » Ou bien : « Il y a longtemps que tu ne m'as plus parlé de ton père et de toi ... », etc. Pour varier les matériaux, il m'arrive aussi de proposer, à faire sur place ou à la maison, avec ou sans consignes plus précises, un dessin, plus ou moins soigné, un texte à rédiger, le scénario d'un film ... Sur place, on peut aussi composer un texte à deux, une ligne pour chacun (Chevrier et Farcy, 1994); on peut encore proposer un psychodrame individuel dont le sujet est choisi par le jeune ou par le thérapeute, etc.



C. Que retenir de ce plaidoyer sur la flexibilité ?

 

Le fait qu'il n'existe pas de recette universelle ne nous autorise pas à faire n'importe quoi : la demande, verbalisée plus souvent par les adultes que par le jeune lui-même, doit toujours être soigneusement analysée. Ce qui est annoncé comme problématique est parfois largement intrapsychique, mais il peut être aussi au centre de bien des enjeux, familiaux ou/et institutionnels. Nous devons pouvoir deviner vite et bien cette part de chaque implication, personnelle ou non. A partir de quoi s'éclairera mieux, au moins dans un premier temps, la réponse à la question : « Pouvons-nous avoir un projet commun, thérapeute, jeune ou/et parents et peut-être institutions ? »
Ce projet, ce peut être une proposition de travail en commun, ou de non-intervention, totale ou partielle, selon ce que nous estimons le plus opportun. Il nous incombe ensuite de chercher un accord avec nos partenaires soit sur une action à entreprendre ensemble, soit sur une totale abstention, soit encore sur un travail avec une partie seulement de nos interlocuteurs. Une fois prise, cette décision doit être régulièrement réévaluée. Il demeure dans tout ceci une dimension aléatoire qu'il faut pouvoir assumer et annoncer comme telle (« Je prends l'initiative d'organiser des séances scindées puis regroupées avec Bernard et sa maman ( N.B. : le papa est parti et inaccessible ), et nous verrons ce que ça donne ; nous allons expérimenter ce projet, sans être prisonniers de notre décision »)
En procédant de la sorte, nous devons être attentifs à éviter deux écueils inverses :

  - Le premier, c'est de miser ; parfois sans en être conscients, sur un effet de suggestion : nous donnons quelques arguments pour persuader l'adolescent que quelque chose ne va pas chez lui, qu'il doit se laisser soigner, et nous nous contentons de son oui conformiste, pas vraiment difficile à obtenir d'un adolescent anxieux ... ou manipulateur ; mais, très vite, il s'avère qu'il a ressenti cela comme une violence ou une humiliation, et il sabote la suite du processus.
Pourtant l'ambivalence, l'incompréhension ou le refus initiaux et non clairement exprimés de cet adolescent auraient bien souvent pu être devinés ... et pris en compte, par exemple en actant que, pour le moment, il est dispensé en tout cas de venir seul en psychothérapie. Que faire ensuite ? Parfois ce sera la suspension totale de tout projet, quitte à refaire le point après trois mois ; parfois, nous proposerons aux seuls parents de poursuivre la réflexion avec nous ; parfois encore, après concertation avec nous, ceux-ci demanderont quand même au jeune d'assister à des séances familiales : il aura là l'occasion d'entendre les questions que se posent les adultes, sans qu'il soit obligé, lui, d'ouvrir la bouche ; lui demander cet acte d'obéissance, c'est autre chose que de le contraindre à reconnaître qu'il a besoin d'aide pour lui (6) 
  - A distinguer de la sorte la part reconnue au désir ou à l'obéissance, j'ai traité dans la foulée ce que j'appelais tantôt l'écueil inverse : en effet il ne s'agit pas non plus de laisser partir, « comme ça », des adolescents trop phobiques, trop dépressifs et négativistes ou trop méfiants, qui voient a priori dans l'aide psychologique un mauvais objet persécuteur : nous sommes en droit et en devoir d'insister quelque peu et de créer un cadre tel qu'ils soient mis en contact avec un thérapeute, en séance familiale ou individuelle. Après quoi, ou l'alliance thérapeutique se crée, ou il nous faut suspendre l'expérience.
 

II. A propos de l'écoute

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écouter combien ça peut parfois être chaotique, torturé et révolté à l'intérieur 

Notre attitude la plus fondamentale est faite d'écoute ... 
tout simplement : écoute de ce qui se cherche, écoute des désirs qui naissent ou sont déjà à l'oeuvre et de leurs éventuelles contradictions, écoute des idées et des valeurs, écoute des projets et des actes qui s'en suivent ... écoute de ce qui est simple et unifié, et de ce qui est conflictuel.
Ecoute patiente, qui manifeste à l'autre l'importance qu'il a à nos yeux, qui lui signifie qu'il est un homme, dans le combat qu'il mène pour bien vivre, dans ses allées et venues, dans ses moments d'exaltation et de découragement, et même qu'il est humain dans ses transgressions, transgressions symboliques, qui nous plaisent, mais aussi les autres, celles où il étale sa toute-puissance, son égocentrisme, son refus d'une vraie sociabilité.
Ecoute qui s'adresse à tous les partenaires en présence, l'adolescent lui-même, bien sûr; mais aussi son entourage ; celui-ci est convié à le laisser grandir sans pourtant que lui-même y perde la part plus précieuse de son projet propre ... ni tout son confort.
Ecoute qui part de la plainte - ce sera souvent celle des parents - et de la situation hic et nunc : « Au fond, pourquoi est-on là ensemble ? Qu'est-ce qu'on en attend ? Mais aussi, qu'est-ce qu'on en refuse ? » ... Attentes et refus qui renvoient à une certaine image que chacun a aujourd'hui de soi, de son entourage familier ; du monde ... image dont chacun peut arriver à parler avec nous, tout comme il peut réfléchir à ce qui en est la conséquence, les projets et les actes d'aujourd'hui, et à ce qu'on pourrait parfois faire pour l'améliorer.

Voilà donc décrit, en une esquisse bien sûr idéalisante, comment pourrait s'exercer l'écoute et sur quoi elle pourrait porter.
Certes, avec certains jeunes et certaines familles, il arrive que les choses se passent à peu près comme cela ... à peu près, parce qu'il faut toujours laisser place à l'inattendu et aussi être vigilant à l'égard de ce qui n'a peut-être pas été dit et dont il nous incombe de favoriser en douceur la venue.

En séance familiale, au fur et à mesure que ses angoisses de séparation s'affaiblissent, Christian s'en prend véhémentement à sa mère, qu'il accuse de le surveiller stupidement et de ne pas comprendre qu'il grandit. Peu à peu, nous remarquons qu'il file doux devant les positions du père, homme à la fois impressionnant et enveloppant. Tout doucement, nous amenons le père lui-même à parler de l'inconfort que génère chez lui la pseudo-soumission de son fils, et du sentiment de solitude qu'il ressent à ne pas vraiment rencontrer les autres. A notre demande, il nous parle de son père à lui, encore plus tyrannique, et de sa volonté de ne pas lui ressembler. Dans le même temps, Christian l'affronte et le conteste un peu plus, et a la joie de constater qu'il ne provoque pas de catastrophes.

 On peut se demander si cette intention fondamentale d'écoute revêt des caractéristiques spécifiques à l'adolescence. 

---- Une seule me semble l'être : c'est que, dans la grande majorité des situations, l'écoute doit s'adresser aux deux générations en présence, adultes et jeunes adolescents, avec une égale « importance intérieure » Ceci ne signifie pas consacrer chaque fois exactement autant de temps aux uns et aux autres ; il s'agit plus fondamentalement de vivre une disposition d'esprit en vertu de laquelle nous accueillons de manière égale le vécu des uns et des autres, et nous les aidons à s'en faire part dans la mesure qu'ils souhaitent ... disposition où nous reconnaissons aussi aux uns le droit de négocier avec les autres une part de place personnelle dans le marché de la vie.

Quand j'écoute les parents de Xavier, je me rends compte que ce que j'ai d'abord étiqueté « paranoïa » chez la maman, c'est bel et bien son immense crainte que n'importe quel étranger, et d'abord moi, lui prenne son petit et le malmène ... petit qu'elle a mis si longtemps à avoir, et pour qui elle rêve d'une place privilégiée près du Seigneur ... Quant à la passivité du papa, de démissionnaire qu'elle paraissait être, elle devient délicatesse d'un homme qui, pour respecter son engagement conjugal, ne trouve d'autre chemin que le silence tolérant.


 ---- Voici quelques autres caractéristiques de l'écoute qui constituent plutôt des nuances quantitatives propres à l'adolescence que de véritables spécificités qualitatives :

a) Il y a d'abord la patience ou, plus exactement, un équilibre à trouver entre, d'une part, l'acceptation patiente de ce qui vient et, d'autre part, l'expression d'encouragements, d'invitations discrètement répétées, pour que le sujet veuille bien exprimer ce qu'il y a de plus important en lui, un peu au-delà des défenses dictées par l'angoisse et par le principe du plaisir.

Je pense notamment à ces tout jeunes adolescents qui nous apportent, parfois très répétitivement, du matériel qui semble très externe, comme leurs prouesses au Nintendo ou au tennis, la description minutieuse d'un film, ou les actes successifs et anecdotiques d'une journée scolaire. Comme le disent et l'illustrent si bien Ricciardi et Sapio , il faut les écouter longuement, lire pour soi les symboles que nous croyons deviner dans leurs productions, nous garder de la moindre interprétation sauvage et, de loin en loin, par petites touches, proposer que les malheurs de Rambo dont ils parlent peuvent aussi arriver ; mutatis mutandis, à des jeunes comme eux, voire à eux-mêmes : des suggestions de ce type, au début, ils les rejettent plus souvent qu'il ne les reçoivent - mais écoutés avec bienveillance, ils se rassurent petit à petit et acceptent finalement d'entendre, ou d'y aller ; mine de rien, d'une question plus personnelle (Riccardi et Sapio, 1995) Et si rien ne se passe, si malgré les invitations du thérapeute à aller un peu plus avant - sur fond de patience, sans agacement - tel jeune semble rester enlisé dans l'anecdote, il appartient au thérapeute d'évaluer avec lui, à un moment donné, le sens qu'il y a à continuer la formule de travail existante ... sans le dénarcissiser en critiquant ses productions précédentes

 ordi cyber
écouter avec patience tout ce qu'ils racontent, parfois avec fierté, parfois pour éviter d'autres narrations plus difficiles

C'est également dans le contexte de cette dialectique « patience-encouragement » que nous pouvons évoquer le sort à réserver aux longs silences, colorés d'inhibition, de passivité ou/et d'opposition, ainsi qu'aux refus de répondre à certaines de nos questions. Dans un premier temps, il nous revient de les assumer et de les signaler comme des choix, posés parce que positivement importants pour l'équilibre du jeune et de sa famille : même dans un contexte d'inhibition, une dimension de « choix », au sens large du terme, gagne à être prise en compte. Néanmoins, les situer comme tels ne signifie pas que nous accepterons toujours qu'on en reste là : parfois, nous viserons à ce que se dépassent quelque peu certains retraits dictés par l'angoisse, la dépression, ou le principe de plaisir.

Par exemple, les parents de Christian, et notamment son père, ne se sont pas exprimés personnellement du premier coup : ils ont d'abord dit : « Vous allez nous demander de nous déboutonner, mais c'est pour lui qu'on vient » Je n'ai pas analysé cette non-demande dans ses significations les plus profondes ; j'ai plutôt commenté : « D'accord, et c'est bien pour lui qu'il faut faire un effort d'expression de soi, pour l'aider à en faire autant » ; puis j'ai été de l'avant.

Au début, les parents de Sybille disaient aussi :
« C'est pour elle que l'on est là », et c'est précisément de ce statut de « la » malade qu'elle ne voulait pas ! ... et il fallut donc les amener en douce eux aussi à parler de leur désarroi face à leurs adolescents, sans pour autant combattre de front leur déclaration de départ.

Cette insistance à aller un peu au-delà a néanmoins des limites : un silence qui persisterait malgré nos invitations doit vraiment être resouligné comme position de rééquilibration, d'affirmation de son identité par le sujet. Il faut donc « faire avec » pendant une période raisonnable, en réexaminant si la poursuite concrète de certaines parties du programme a encore du sens.

Christian, toujours lui, s'est entendu confirmer à plus d'une reprise, et face à ses parents, son droit à se taire, à n'avoir rien à dire, à ne pas vouloir m'accompagner en séance individuelle. Je lui ai dit plus d'une fois que c'était sa manière de signifier son grandissement, lui qui entendait ses parents mettre en cause leur propre « déboutonnage »

En fin de thérapie, en faisant le bilan de tout ce qui s'était passé, j'ai parlé du courage avec lequel il avait défendu son droit à l'intimité, et avec lequel il avait voulu réorganiser sa vie dans sa tête, sans aide externe. Ceci m'a valu un discret sourire amusé : cette reconnaissance de lui ne lui déplaisait pas !

b) Je voudrais dire quelques mots également de l'empathie. Elle aussi devrait s'adresser à tous (7) et s'exprimer assez intensément, tant par des attitudes non verbales que par des prises de parole.

Ces dernières prennent souvent la forme de « reflets », au sens rogérien du terme : ils occupent une place importante - souvent majoritaire - dans l'ensemble de nos interventions parlées.
A redire ce qu'il croit avoir entendu (« Au fond, pour toi, il est important de ..., tu n'aimes pas quand ..., tu as peur si ..., tu es révolté par ..., etc.), le thérapeute aide le jeune adolescent à s'identifier un peu mieux, à repérer certaines lignes de force en lui ... mais aussi et surtout, la bienveillance dont est imprégné le reflet l'encourage à croire davantage en sa valeur propre. La même chose vaut pour les parents !
A l'occasion, le thérapeute ne se limite pas à reprendre plus ou moins les mots par lesquels l'adolescent ou sa famille nomment leur propre expérience intérieure ; il se sert plutôt d'une métaphore, telle que la lui inspire sa créativité : ses vis-à-vis s'en montrent souvent friands (8si elle sonne juste ... reste alors à faire appel à leur propre créativité, et à retravailler l'image avec eux.

Je dis â Xavier, par exemple, qu'il me fait penser à une belle voiture de course qui se cogne aux murs d'un garage devenu trop petit ... Avec Sybille et sa soeur, pour évoquer la rivalité fraternelle, nous imaginons deux châteaux-forts attaqués tour à tour par un dragon, etc.

Il nous arrive aussi d'entrer dans le domaine de la « proposition interprétative » Néanmoins, à l'encontre de ce qui se passe en psychanalyse d'adultes, il est rare que l'on puisse s'accrocher alors à un mot, à un bout de phrase énoncé autour des avatars de la névrose de transfert. Il s'agit plus souvent de « propositions interprétatives » qui mettent en relation ce qui se passe aujourd'hui et ce que l'adolescent nous a déjà dit de son histoire, ou ce qu'il nous en a tu, mais que nous ne devinons que trop bien ! Au fond, il s'agit de mieux esquisser avec lui ce que pourrait être une « logique de vie » bien enracinée dans des expériences déjà faites, sans lui laisser entendre qu'il est totalement prisonnier de déterminismes : simplement, pour lui comme pour nous, il faut d'autant plus de courage et de lucidité pour dépasser certains choix et attitudes actuels que l'histoire de notre vie y « prédispose »
Qu'il soit clair néanmoins que ces moments de restitution d'un bout de sens ... ne signifient pas que l'on cherche à tout comprendre et à tout expliquer. Se comprendre un peu mieux, cela stimule l'adolescent ; mais être bien compris par un père la science, il déteste ! Quand il se plaint « Vous ne me comprenez pas », ce qu'il stigmatise c'est le manque d'accueil ; il ne demande pas pour autant à être emprisonné dans le cerveau de l'autre; vouloir tout comprendre, c'est aussi fuir l'angoisse que génère en nous l'incertitude, l'opacité du fonctionnement humain ... « L'adolescent ... qui déboulonne les statues, s'engage difficilement face au thérapeute qui, lui, paraît habiller d'un costume de certitude sa place et son discours » (Brunetière,1993) 

Avec David, qui ne sent pas de chaleur en lui lorsqu'il va vers les filles, nous avons beaucoup parlé des expériences « glaçantes » faites avec sa maman, elle-même dure et incapable d'exprimer ses affects - du moins dans le fantasme du jeune. Puis, je lui ait fait part de mon impression qu'il pouvait réussir ses relations avec les filles, mais sans disposer, au début, d'un modèle préalable et sans attendre tout de suite de s'y sentir inondé de bien-être.

Avec Bernard, en résonance à un des nombreux cauchemars où il se décrit comme étant tout seul, dans des labyrinthes sans fin, nous en venons à évoquer, non seulement le possible traumatisme de sa naissance auquel j'ai déjà fait allusion, mais aussi d'autres expériences relationnelles où il a eu l'impression de ne pas compter du tout : des parents qui se disputent sans retenue en sa présence, un père qui répète constamment qu'il veut vendre la maison, etc ... Je suis même frappé par l'analogie des termes employés par Bernard pour évoquer sa naissance : « Il ne passera pas » ... et ce qu'il dit dans la description de certains cauchemars  : « Il ne passera pas », à propos de l'autobus scolaire qui doit le ramener à la maison, et nous travaillons sur le mot lui-même.

En me basant sur ce que me disent les parents, à savoir qu'il n'y a que dix mois d'écart entre Sybille et Véronique et que la naissance de la cadette a été très insécurisante pour Sybille, l'aînée, je développe l'hypothèse de cette insécurité archaïque rémanente et, fort de l'assentiment et de l'écoute des deux soeurs, j'en fais un centre d'explication important de leur agressivité disproportionnée d'aujourd'hui. Bien sûr, tout ne peut pas être ramené à un événement de leur histoire, et je leur propose aussi, comme élément d'explication, des traits propres au caractère de chacune : l'intransigeance de Véronique, qui ne plie jamais quand son aînée la conteste, et la sensibilité maladroite de l'aînée, qui ne sait pas se faire respecter et se réfugie très vite dans son château-fort de souffrance.

Mais revenons à l'empathie : dans toutes ces interventions, au-delà d'un coup de pouce à la compréhension du sens, c'est au moins autant notre bienveillance de thérapeute qui est utile! Et dans ma pratique, l'expression de celle-ci dépasse parfois ce qu'en voudraient Rogers et les siens.

 simba effrayé
Extrait de Le roi lion (R ALLERS, 1994) Petit rugissement deviendra grand, Simba, et je suis DEJA admiratif de ton audace à l'exprimer devant moi

Certes, comme eux, je laisse très régulièrement filtrer un rien de tendresse et, à l'occasion, de plaisir ; à voir un petit d'homme se débattre avec la vie et chercher son chemin : je me sens comme un témoin amical d'une histoire qui n'est pas la mienne.
Mais de temps en temps, il m'arrive de m'engager un peu plus. Par exemple, je souligne : « C'est formidable que tu aies ça en toi, (ou en vous) », face à certaines originalités qui résonnent plus particulièrement en moi ou/et que j'analyse à tort ou à raison comme un atout dans sa (leur) vie. Il m'arrive aussi de dire, si je le ressens ainsi : « Ça me semble bien injuste, ce qui t'est (vous est) arrivé là » ; je sais bien qu'à parler ainsi, je quitte par moments les rives de la sacro-sainte neutralité thérapeutique : je m'engage émotionnellement, je partage, je contribue peut-être directement à renforcer certains vécus et attitudes : c'est que je pense que les adolescents, et probablement aussi leurs familles, peuvent bénéficier ; pour mieux aller de l'avant, de ce moment occasionnel de partage de leurs expériences.

A propos d'un partage verbal autour de l'impression d'injustice, Böszörmenyi-Nagy (1973) , auteur systémiste bien connu, a décrit l'intérêt qu'il pouvait y avoir à communiquer son opinion, pour autant que l'on ne vise pas à mettre de l'huile sur le feu en désignant sans précaution les bons et les mauvais : il propose donc de rester empathique à tous, et de montrer que, dans l'immense majorité des cas, chacun est à la fois victime et agent d'injustices, pas les mêmes bien sûr, et avec chaque fois des origines différentes dans l'histoire de chaque vie.

A l'inverse de ces occasions d'approbation, nous sommes parfois confrontés à des comportements de nos jeunes clients qui témoignent de l'opération en eux d'instances égocentriques, du pur principe du plaisir, de la toute-puissance sans quartier ; de la perversité, etc.
Certes, ils restent des hommes même quand ils sont sous l'emprise de ces forces : nous non plus, les thérapeutes, nous ne sommes pas d'une nature différente ! Néanmoins, lorsqu'ils nous confrontent au jeu de ces instances, ce n'est pas leur rendre service que de nous taire, comme si nous étions complices de cette dimension de leur réalisation de soi. Pour peu qu'une relation de confiance soit installée et que nous situions bien notre désapprobation comme s'adressant à une face seulement de leur personnalité, à laquelle ils ne se réduisent pas, nous pouvons la leur signifier à l'occasion : si nous comprenons la logique d'installation de forces « asociales » en eux, nous n'en considérons pas pour autant qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes quand ils les traduisent dans leur comportement.

En séance familiale, j'ai signalé à Aurélie qu'elle poussait à l'impossible ses revendications, et qu'il était structurant qu'elle rencontre la force de sa mère sur son chemin ... en miroir, j'ai fait observer à celle-ci qu'il me paraissait utopique de vouloir tout contrôler : il me semblait plus sage de s'en tenir à quelques règles importantes. J'ai fait part aussi de mon impression que la confiance faite à un adolescent n'est pas de l'ordre du tout ou rien ; elle s'apprécie plus dans son attitude face à des valeurs essentielles, qu'en vertu de son degré d'obéissance à toutes les règles.

Avec Bernard, j'ai fini par parler des risques qu'il se faisait courir à écouter trop massivement et son angoisse et son désir de confort à la maison, sans jamais faire d'effort pour se remettre debout : je le lui ai dit, sans le forcer à quoi que ce soit, et j'ai ajouté qu'il était seul à pouvoir décider de ce possible courage à réinvestir la situation scolaire.

III. Avons-nous une responsabilité au-delà de l'écoute?

 skaterboy

Jusqu'où va l'accueil des prise de risques ? Quand commencent-ils vraiments à s'avérer destructeurs

Je viens de faire observer que le thérapeute ne pouvait pas rester indifférent lorsque l'adolescent ou sa famille s'engageaient dans la voie de la destructivité et même, qu'il pouvait ne pas accepter telles quelles des positions récurrentes de laisser-aller; sous l'égide du principe du plaisir ; et encourager plutôt ses vis-à-vis à donner le meilleur d'eux-mêmes. Mais il s'agit bien, alors, du meilleur d'eux-mêmes : en fin de compte, il revient à chacun de penser ce qui est bon pour lui, puis de tenter de le réaliser sur la scène de la vie.
Face à quoi, si le sujet est un mineur d'âge, les responsabilités respectives de la famille et du thérapeute se différencient :
  - Il est normal, en effet, que la famille s'efforce d'inculquer au jeune - en espérant qu'il les fera siennes - certaines idées et valeurs ; elle peut même - et, jusqu'à un certain point, c'est son droit - exiger de lui des comportements dont le bien-fondé ne saute pas spontanément aux yeux de l'adolescent.
  - Mais au thérapeute, il n'appartient pas d'agir de la sorte, hormis l'éventuelle confrontation déjà évoquée à une importante destructivité. Son rôle est d'éclairer chacun sur ses propres choix et de les accepter ; puis, le cas échéant, d'éclairer l'adolescent et la famille sur les luttes d'influence qui les opposent, sur la manière de chacun de les gérer et sur les suites qui peuvent en résulter.Cette non-directivité, face au débat intérieur et à la difficile construction de soi du jeune est, chez moi, une position très radicale, même et surtout quand les enjeux sont importants. C'est ma manière de respecter sa nature d'humain et son droit à créer lui-même sa vie en décidant entre autres jusqu'à quel point il tiendra compte de son environnement social : je me limite à l'éclairer sur ses choix et sur les conséquences sociales et familiales probables de ceux-ci.

Par exemple, je ne donne pas de conseil à David face à la dimension homosexuelle qui se développe en lui.

Je ne demande pas davantage à Sybille et à Véronique d'arrêter de se battre, même si je fais part de mon impression que l'ennemi qu'elles croient identifier est surtout la prolongation d'un fantasme archaïque.

Une application particulière de l'abstention, c'est la résistance aux sollicitations à l'arbitrage qui nous sont assez souvent adressées. Bien des adolescents nous prennent pour des alliés, tout prêts à soutenir leurs exigences auprès de leurs parents. La réciproque est tout aussi fréquente. Or, accéder à ces demandes, c'est souvent tout stériliser à court terme, ou à tout le moins installer la dépendance pour la famille et pas mal de stress inutile pour le thérapeute.

Ainsi Christian, au fur et à mesure qu'il entre dans son adolescence, supporte de plus en plus mal le mélange de sollicitude et de contrôle qu'il croit percevoir chez sa mère ; celle-ci ne reconnaît plus son petit, mais ne change rien à sa manière de faire à son égard. Je leur parle donc du désir qu'ont les adolescents de s'affirmer et de leur angoisse, de leur révolte face au pouvoir des femmes-mères. Je parle du désarroi de celles-ci, de leur peur de ne plus être aimées, ou/et de perdre leur puissance lorsque l'oiseau s'envole du nid. J'évoque aussi ce difficile métier de parents, où il faut changer plusieurs fois dans une vie la perception que l'on a de sa descendance. Toutefois, je ne propose pas de solutions concrètes et immédiates.

Mais cet excellent principe de l'abstention pourrait bien amener des effets pervers, s'il était appliqué comme une panacée :
  - J'ai déjà souligné qu'il m'arrivait d'applaudir; à titre personnel, à certaines manières d'être et de faire que je trouvais positives, mais que, à l'opposé, je ne pouvais pas rester indifférent face à la destructivité ni à l'installation persistante dans le principe du plaisir.
Dans un ordre d'idées voisin, parce qu'il engage aussi une destructivité involontaire, s'abstenir de parler n'est guère souhaitable non plus lorsque les uns - souvent les parents (9) - demandent aux autres - généralement les jeunes - des performances scolaires ou comportementales dont ils sont psychologiquement incapables. Sans interdire vraiment - tel n'est pas notre mandat social - sans nous arrêter de chercher à comprendre, nous pouvons néanmoins indiquer quand, à notre sens, ces demandes sont excessives, et les effets négatifs qu'elles entraînent.
  - S'abstenir de diriger la vie de l'adolescent ou de sa famille ne justifie cependant pas qu'il faille se taire chaque fois que l'on croit tenir une idée intéressante.

 cercle des potes

Extrait du film Le cercle des poètes disparus (P. Wier, 1984) LE PROFESSEUR Keating (Robin Williams) croyait la tenir, son idée intéressante : que chacun trouve et réalise sa rime ... mais voilà, ça ne s'est pas avéré sans risques

Nous pouvons toujours y aller de nos suggestions, non dans le sens de « jouer sur la suggestibilité d'un être pour diriger sa vie » mais bien dans celui de « faire une suggestion » c'est-à-dire proposer avec chaleur une idée à laquelle on croit, en reconnaissant à l'autre la liberté d'y adhérer ou non : des « suggestions » de ce genre, il m'arrive d'en faire quand l'idée m'en vient, comme des coups de pouce, des encouragements, des invitations à l'action, que je discute avec mon interlocuteur ... Et puis, advienne que pourra, puisqu'en principe, j'ai reconnu à leur destinataire son droit à sa liberté d'appréciation et de mouvement.

Par exemple à Nathanaël ( quatorze ans ), qui se disait « embêté » de la distance qui s'installait entre lui et son père - séparé de son épouse - j'ai suggéré de lui écrire une lettre où il ferait part de ses sentiments profonds.

Ces bouts de suggestions portent donc souvent sur ce qui est déjà prédécidé, mais que l'on n'a pas encore eu le courage de mettre en acte ; il arrive qu'on aille quand même un peu plus loin :

A Xavier qui dramatisait tant ses masturbations, et ne pouvait pas s'empêcher, par sa bruyance, et de punir ses parents, et de leur montrer qu'il était activement sexué, j'ai suggéré qu'il adopte d'autres bruyances pour marquer sa place, et par ailleurs qu'il médite et fasse sien le concept de « plaisir solitaire »

IV. De quelques corollaires de l'écoute


A) Dans beaucoup de thérapies, 



surtout celles de soutien et les entretiens familiaux, nous proposons des informations au jeune et à sa famille : elles portent sur le fonctionnement de l'être humain et de ses groupes de vie, sur l'organisation sociale, ou sur certains types de comportement possibles et sur leurs conséquences éventuelles : dans ce dernier cas, elles sont parfois très proches des « suggestions » que je viens d'évoquer ; la différence pourrait résider, non dans la forme extérieure, mais dans l'intention consciente du thérapeute : là, il veut encourager, ici, il veut « simplement » enrichir les matériaux à la disposition du système cognitif du sujet.

A mi-chemin entre l'information et le reflet rogérien, une intervention particulièrement utile, apaisante et stimulante pour le narcissisme d'un jeune adolescent, c'est de lui « montrer » - comme nous disons -, c'est-à-dire de reconnaître, d'acter qu'il est bel et bien pris dans ce que l'on pourrait appeler les grands débats de la vie, les grands mouvements de l'humanité ... que ça a une dimension passionnante - parfois dans les deux sens du terme - ... et que c'est autre chose et bien plus intense que quand il était enfant : maintenant, il est traversé de questions essentielles qu'il élabore mentalement avec bien plus de lucidité qu'autrefois; à parler de la sorte, on ne ridiculise pas l'adolescent, comme quand on insinue que ses problèmes ne sont jamais que ceux de « sa crise », gênante mais pas bien sérieuse.

 Pelle le conquérant

Extrait de Pelle le conquérant (Bille August, 1988) Eh oui, en début d'adolescence, on fait parfois des choses étranges, comme ici Pelle qui fouette son meilleur pote, à la demande de celui-ci ... et pourtant, on est toujours dans le débat humain ...

Bien sûr, le thérapeute qui s'exprimerait ainsi doit avoir la chance de le vivre comme tel, c'est-à-dire de trouver vraiment important et passionnant cet âge de la vie où un jeune apprend - largement tout seul - à faire quelque chose de son agressivité, de sa sexualité, de ses idées sur lui et sur le monde ... et où il réénonce donc progressivement son identité, ce qui est important pour lui, ce qui fait valeur dans sa vie ...

Combien de fois n'ai-je donc pas dit : « Ce que tu vis là, c'est un grand problème auquel nous, en tant qu'humains, sommes confrontés ... et nous devons chacun trouver " notre " solution » Combien de fois n'ai-je pas fait référence au groupe des pairs, qui avait à passer par un cheminement très proche ... : à parler ainsi je veux lui signifier que ce qu'il vit est non pas « normal » - avec l'horrible nuance réductionniste du terme - mais « naturel », au coeur de la nature humaine et du voyage de la vie, même si, sur le moment, ce peut paraître angoissant ou désespérant.

C'est ainsi aussi que j'ai parlé à Xavier de la masturbation, en lui signalant que ce problème du sort à réserver à son énergie sexuelle se posait à bien des adolescents de son âge. De même, Bernard et Christian m'ont entendu dire que, pour beaucoup de ceux qui se trouvaient entre l'enfance et l'adolescence, se posait la question de partir vite, sans trop se retourner, ou alors de s'attarder, d'avoir peur et d'être triste, etc ...

Et paradoxalement, même si je lui dis qu'il est un humain parmi les humains, je ne nie pas la part d'originalité qu'il revendique. A lui qui annonce souvent : « Je suis seul de mon espèce et je suis normal », en se référant à l'acception « pas-malade, pas-monstre » de ce terme, il me semble que c'est ce que je lui confirme, et que c'est bien là le coeur de notre destin à tous !



B) Cette application un peu particulière de l'information, 



que l'on pourrait appeler « confirmation d'humanité », me conduit à parler davantage de l'intention de rassurance et d'autres manières encore de la concrétiser.

Vouloir rassurer ce jeune, qui cherche sa voie à nos côtés, peut être bien utile pourvu que ça n'aille pas jusqu'à le bercer d'illusions sur l'exceptionnelle valeur de son être, ni sur un quelconque angélisme du monde.

L'objectif se limite donc à ce qu'il croie mieux - ou continue à croire - à sa valeur unique, en assumant qu'il n'est ni parfaitement compétent, ni parfaitement bon. Il s'agit aussi de lui montrer qu'il vit bien dans un monde ni parfaitement aimant ni parfaitement protecteur : il peut certes compter sur son entourage, mais jusqu'à un certain point au delà duquel il est seul.

Cette intention de rassurance réaliste ne le convaincra pas ipso facto comme la bonne vieille méthode Coué : il faudra donc écouter longuement les raisons qu'il a de ne pas se sentir content de lui ni rassuré par les autres, puis l'informer de nos éventuelles différences de perception à ce propos, tout en sachant nous incliner parfois, face à l'intensité avec laquelle certains peuvent « s'accrocher » à une mauvaise image d'eux-mêmes et du monde.

Quelles sont dès lors les interventions susceptibles de contribuer à une rassurance réaliste ?

  - D'abord et avant tout, c'est dans notre investissement d'eux et notre acceptation de porter leur souffrance avec eux, qu'un jeune et sa famille lisent le plus sûrement la valeur qu'ils ont pour nous ;

  - De même, notre écoute empathique et, paradoxalement, notre respect de leur liberté, en rassurent aussi beaucoup sur les compétences que nous leur reconnaissons (10)

  - Il n'est pas rare que l'angoisse du jeune ou de sa famille porte davantage sur ce qu'il va devenir que sur sa valeur du moment : n'est-il pas menacé de mort? Ou en train de devenir fou ? Ou monstrueux ? Alors, l'intervention que j'appelle « confirmation d'humanité » peut faire coup double, en rassurant sur la valeur d'être et en atténuant les angoisses les plus immédiates.

Par ailleurs, dans le champ des informations, nous pouvons parfois proposer une hypothèse d'explication d'un geste apparemment absurde ou/et inquiétant, ce qui peut rassurer quant à l'improbabilité d'une désorganisation plus grande.

Nous avons déjà décrit de telles hypothèses, à propos de Sybille et Véronique ( traumatisme de l'arrivée de la cadette ), et à propos de Bernard ( traumatisme de sa propre naissance )

A l'occasion, il n'est pas inutile non plus de parler du temps que peut durer la problématique qui s'exprime douloureusement aujourd'hui (11) : 

Par exemple, dire et redire, à tel adolescent gravement déprimé, en plein ciel noir, et même si l'on semble parler dans le désert, que la durée probable de son mal peut aller de quelques mois à un an, après quoi son plaisir de vivre reviendra ... : cette évaluation ponctue à la fois la gravité que l'on reconnaît à son problème, et peut introduire une place pour l'espérance.

Avoir dit à la famille de Christian, sur base de mon intuition quant à la dimension oedipienne-conflictuelle de sa phobie scolaire, que celle-ci l'invaliderait probablement pendant un an, a constitué un repère encourageant pour eux : lors du bilan final, ils m'ont redit qu'ils avaient vécu ces paroles comme une des interventions les plus positivement marquantes de la thérapie.

Dernière illustration, qui a déjà rendu bien des services à des jeunes anxieux, dépressifs ou en conflit quant à la dépendance et à l'indépendance : il s'agit de discuter avec eux et leur famille la proposition que voici :

« Accepter de grandir psychologiquement n'implique pas ipso facto que l'on coupe le lien qui unit aux parents et notamment que l'on quitte la maison familiale » Il y aurait intérêt à méditer cette idée, dont on peut penser aussi bien qu'elle est vraie et fausse. Quant à moi, je préfère qu'un jeune adolescent anxieux la fasse sienne : si, à ce moment de son âge, il veut grandir - dans ses opinions, par exemple, ou dans une certaine autonomie de gestion de sa vie quotidienne - mais sans quitter la sécurité du nid familial, et si ses parents en sont d'accord, pourquoi le menacer en agitant l'équation « grandir partir » ? Plus tard, le temps fait son oeuvre, et le choix rassurant de ses treize ans ne sera plus nécessairement le sien à dix-huit ans ...


C) Enfin, au terme de ce tableau en demi-teintes

 

de notre identité de thérapeutes, je proposerai une dernière touche de couleur, qui se superposera partiellement à celles de l'écoute, de l'information et de la rassurance :

Nous sommes confrontés à la tâche passionnante de reconnaître le grandissement du jeune et de le lui signifier. Même si ce grandissement connaît des allers et retours et semble parfois se figer, beaucoup de questions que se pose le jeune tournent autour de lui-même aujourd'hui et demain, et de la gestion de l'angoisse, de la dépression ... ou du sentiment de toute-puissance qui s'en suivent.

Ici encore, c'est essentiellement par la qualité de notre écoute qu'il se sentira reconnu; j'ai déjà signalé que cette écoute allait jusqu'à prendre acte calmement de ses silences et de ses refus d'être là.

Accessoirement, d'autres petits gestes à son adresse contribuent à cette reconnaissance du grandissement. Je cite, dans le désordre :

  - Lui demander son avis sur tel événement dont on est témoin à deux, lui et nous ; faire appel à son aide - mentale, essentiellement - pour résoudre tel problème matériel ou humain dont nous n'avons pas actuellement la solution.

  - Lui demander de participer financièrement à sa thérapie, du moins si nous pensons que cela a du sens pour lui. Personnellement, je n'en fais pas un système : même pour le paiement de sa thérapie, le jeune reste dépendant de ses parents et je crains qu'un « paiement symbolique » lui apparaisse parfois comme un jeu gratuit ; quoi qu'il en soit, il faut pouvoir évoquer cette question de l'argent.

  - Sans faire violence à des angoisses qui s'avéreraient insurmontables, mais en bousculant un peu le confort, le principe de plaisir, lui demander parfois des prises de distance par rapport à sa famille, sous forme de séances distinctes, parce que nous avons « besoin de réfléchir avec lui seul » Parfois même, nous pouvons stimuler un peu les parents à ce sujet : « Tiens, puisque vous ne pouvez-pas le conduire à telle heure, ne pourrait-il pas prendre le train tout seul ? »

  - Enfin, tout simplement en parler; parler du grandissement, et avec les parents, et avec le jeune; en séance de thérapie familiale, se servir sur le champ de petits événements ou d'échanges verbaux spontanés (« Christian, tiens-toi bien ») et les analyser en termes de prise en compte ou non du grandissement.

  - On pourrait allonger cette liste de ce qui ne représente jamais que des concrétisations d'un état d'esprit.

Conclusions

 



Au terme de cet article, il me semble avoir décrit un « sentier de navigation » plutôt étroit, aux méandres souvent inattendus, mais somme toute passionnant à parcourir, pour qui a un regard positif - une sorte de tendresse amusée et néanmoins respectueuse - pour cet âge de la vie.


Méandres inattendus ? J'ai beaucoup insisté sur l'importance de la flexibilité et de la créativité, surtout autour du cadre et des outils de travail - jusqu'à et y compris la succession des interlocuteurs, parents et/ou adolescent.

Mais cette adaptation des formes s'accompagne d'une grande rigueur de l'attitude profonde, autour de quelques intentions clés que nous connaissons très bien : écoute d'une souffrance, d'un cheminement intérieur, de désirs qui se cherchent ..., renvoi du sujet à soi-même, pour définir son projet ..., refus courtois d'entrer dans le jeu de ses demandes dans le Réel (« Transgresse avec moi ..., décide pour moi ... », etc.), humilité et incertitudes partagées avec lui ..., rassurance discrète, en ce qu'il est bien un « frère humain » dans ce qu'il vit, etc.

L'article insiste également sur la place conjointe réservée à la souffrance et aux demandes des parents : elle fait l'objet d'un égal investissement, et des moments sont prévus pour que l'adolescent et ses parents se communiquent ce qu'ils se veulent les uns aux autres, et négocient un projet commun, fût-ce, de loin en loin, un projet de séparation. 

 

Notes

(1) Quelles sont les limites de la première adolescence ? L'espace manque pour les discuter en détail, et je me tiendrai donc à un schéma. J'y propose la courbe d'évolution, dans la durée, de l'équation suivante :

figure02

 


Il faut ajouter à ce schéma que, quel que soit leur âge biologique,

  - certains restent toujours dans la zone de l'enfance ( identité très dépendante de la famille d'origine ) ;

  - d'autres « sautent » quasi immédiatement de l'enfance à la seconde adolescence ( identité très vite autonome ) ;

  - d'autres encore restent longuement empêtrés ... et parfois définitivement, dans leur première adolescence. 

(2) Une intervention peut s'avérer provisoire, et néanmoins solide, engagée, clairement énoncée au moment où elle se fait ; provisoire, dans mon acception, fait référence à la durée, pas à la consistance ! 

(3) Par ailleurs, comme aucun d'entre nous ne possède à lui seul une créativité tous azimuts, il est souvent bien utile de travailler en équipe, de manière à permettre la plus grande diversification possible des réponses. 

(4) Les premiers sont plutôt les adolescents dépressifs, anxieux, névrosés ... les seconds, les adolescents pris dans des conflits relationnels, voire (pré) psychotiques. 

(5) Le chemin inverse existe également : adolescent ou parent(s) à qui l'on propose une tranche de thérapie individuelle (ou conjugale) qui s'ajoute à une thérapie familiale en cours ou s'y substitue. 

(6) Il n'est même pas exclu, bien que ce soit rare, que ses parents lui demandent de se rendre à des séances individuelles, non pour se faire soigner, mais pour entendre le thérapeute parler et explorer avec lui si la prolongation de ces séances a du sens ou non : parfois, dans ces conditions, une relation se noue, et parfois non ! 

(7) Ceci confirme donc l'intérêt qu'il y a à travailler à deux thérapeutes, l'un centré sur l'adolescent et l'autre sur les parents ... encore faut-il que leur coopération soit effective, et que des rivalités sauvages ne leur fassent pas perdre le sens de l'objectivité lorsqu'ils comparent leurs points de vue. 

(8) Pas toujours cependant : certains détestent cette tournure d'esprit, qu'ils trouvent infantile. Leur protestation doit être exploitée sur le champ pour passer à leur « vraie » histoire et à leurs « vraies » questions. 

(9) Mais cette appréciation quantitative est peut-être indue : après tout, les adolescents, eux aussi, ne demandent-ils pas souvent à leurs parents trop d'impossible perfection ? N'avons-nous pas intérêt à attirer leur attention sur cette démesure, et à les inviter à un certain deuil ? 

(10) A ce sujet un problème délicat se pose avec les plus anxieux de nos clients : c'est vis-à-vis d'eux que les informations et suggestions que nous avons déjà évoquées peuvent être les plus abondantes, sans néanmoins se transformer en direction de leur vie. A nous de les encourager suffisamment pour qu'ils nous disent ce qui est vraiment important pour eux : ensuite on peut leur faire des suggestions qui le concrétisent ... si vraiment il ne leur en vient pas l'idée. 

(11) Le piège, alors, pourrait être que la famille se mette à croire à l'unique vertu du temps qui passe. Il faut donc assortir cette invitation à l'espérance d'une autre, qui parle de la nécessité des moyens à mettre en oeuvre, et d'une autre encore, qui veille à ce qu'on ne demande pas au jeune plus ni moins que ce qu'il peut donner, dans la lente mouvance du temps. 

Et si le résulat, un jour, c'est ceci, cela vaut la peine d'être présent lors de leus moments difficiles ...

 

Bibliographie

 


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