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 . Une occultation qui a la vie dure


Cet article parle de la sexualité des enfants avant l’achèvement de la puberté à l’exclusion des adolescents.

 La réalité de la sexualité infantile a été révélée et « normalisée » par Freud.

 

Sous son impulsion et passées quelques hésitations, son existence n’est plus mise en question dans les textes scientifiques sur l’enfance, à quelques exceptions obscurantistes près.

 Par ailleurs dans le discours social commun, on parle beaucoup de sexe et du droit au moins pour les majeurs à mener la vie sexuelle de leur choix si elle n’est pas antisociale et donc, entre autres, si elle se déroule entre partenaires consentants et sexuellement majeurs. Le même discours a tendance à considérer les adolescents comme plus sexuellement déchaînés qu’ils ne sont. Histoire de les aspirer vers les « libertés » des adultes ou de leur vendre tout de suite quelques produits sulfureux !

Mais pour ce qui est de la sexualité avant la puberté, ce même discours social reste presqu’aussi discret qu’avant l’époque freudienne. Certes on pense que les enfants doivent être informés et les manuels dits d’éducation sexuelle pullulent mais, à quelques exceptions près, leur message est toujours « La sexualité, c’est très chouette, mais c’est pour beaucoup plus tard ! » ; de loin en  loin, une timide allusion à la masturbation est quand même susceptible de s’y pointer (si j’ose dire…). Et les autres manifestations de la sexualité des enfants ne continuent à surgir dans le discours public que via quelques excès ou scandales : les victimes des pédophiles, les violeurs en culotte courte et autres suceuses et suceurs dans les cabinets des écoles maternelles !

 

Les parents et éducateurs participent à ces représentations et aspirations sociales où le refoulement  prédomine toujours

 

Certes, ils ont moins tendance à culpabiliser outrageusement leurs enfants autour des premières expressions de leur sexualité ; certes, ils se donnent une mission d’information ( un certain nombre d’entre eux en tout cas, et alors parfois avec trop de détails prématurés) Mais dans leur vision des choses, les exercices pratiques doivent se limiter à d’occasionnelles masturbations et à l’un ou l’autre jeu du docteur entre blondinets qui se découvrent. S’ils tombent sur du plus hard, c’est le retour de la colère et de la répression[1], comme si c’était ipso facto profondément choquant et inquiétant. Et leurs jugements deviennent vite simplistes : ils définissent un acteur coupable – l’aîné ou/et le garçon – et de pures victimes – le cadet, la fille …-.

 

3. Et les psychothérapeutes?

 

Une minorité se dégage de ces paradoxes socioculturels et parle de sa sexualité avec l’enfant sur un mode clair, authentique et serein. Mais la majorité silencieuse y reste probablement empêtrée !

Par exemple, c’est le grand silence de leur part. Si aucun matériel sexuel n’apparaît (quasi-) explicitement et spontanément dans les productions de l’enfant, ils s’abstiennent d’en parler eux aussi ou pire, ils ne pensent même pas que des questions sexuelles peuvent traverser et perturber l’enfant en secret.

Ou alors, s’ils sont confrontés à du sexuel par hasard ou suite à une question ou à une révélation émanant des parents, ils posent un premier acte d’écoute mais au fond, ne savent pas bien comment réagir. L’écoute et l’aide au déploiement avortent vite et sont remplacés par des considérations moralisatrices « plaquées ».

Par les temps qui courent, où l’on parle parfois à tort et à travers d’abus sexuel même entre mineurs, trop de thérapeutes procèdent à la même analyse réductrice que les éducateurs : les faits sexuels qu’on leur raconte sont nécessairement des abus qui ne peuvent se produire qu’entre auteurs  agresseurs ( les garçons, les aînés, ceux qui aiment l’aventure et « l’éclate » ) et  victimes ( les filles, les plus jeunes, ceux qui ont l’air d’être des innocents, passifs et sans désirs sexuels ) Analyse renforcée par les commentaires des protagonistes eux-mêmes qui mentent facilement pour s’éviter des ennuis : Le plus petit comprend très vite qu’il doit accuser le plus grand ! Je ne dis pas que l’abus sexuel n’existe jamais entre mineurs, mais on le déclare bien trop indûment, court-circuitant des notions importantes comme le plaisir partagé, l’ambivalence et le doute. Et alors, bonjour les dégâts pour le soi-disant abuseur lorsqu’en plus il fait partie d’un pays où les professionnels souffrent de « signalite aiguë »… 

Je vous propose donc d’analyser plus sereinement et plus en détails d’autres chemins d’accompagnement de la sexualité des enfants. J’y procéderai en faisant appel à ma propre expérience thérapeutique, à nombre de lectures et conversations entre collègues et à de nombreux courriels que m’envoient des parents, des éducateurs et même directement des jeunes [2].

Pourquoi?

 

L’enfant a une vie sexuelle : Depuis la maternelle, où il découvre la sexuation de son corps et la différence des sexes, jusqu’à la préadolescence où commence une quête spécifique de l’érotisme et des techniques sexuelles, en passant par l’école primaire, âge des premiers défis et des expérimentations sexuelles scientifiques, assez souvent pratiquées en petit groupe – de la vraie science contemporaine, quoi ! –.

Chez beaucoup ce déploiement de la sexualité s’intègre bien à l’ensemble du développement, mis à part quelques moments d’incompréhension et d’angoisse plus aigües : premières observations de la différence des sexes ; conséquences imaginées d’une pratique sexuelle auto-évaluée trop hardie ; entrée dans le monde sulfureux de la pornographie, etc.

Par ailleurs, les enfants contemporains reçoivent énormément d’informations sur les choses du sexe et leurs connaissances techniques sont plus précoces et détaillées que ne l’étaient les nôtres ; mais ils ne comprennent pas toujours bien toutes ces données qui leur tombent dessus et se font régulièrement des hypothèses et des théories erronées et angoissantes. Enfin ils rencontrent assez souvent sur leur chemin l’une ou l’autre « épine sexuelle » [3] c’est à dire une agression sexuelle isolée et objectivement mineure, mais qui peut être momentanément bouleversante. On peut penser que ces enfants majoritaires n’ont pas besoin que leurs thérapeutes fassent spécialement attention à leur sexualité s’ils n’en parlent pas, sauf lors des quelques passages plus difficiles que je viens d’évoquer. Oui peut-être, mais une sorte de clin d’œil rassurant qui leur communique « Je sais que ça fait partie de ta vie et c’est très bien ainsi » est de nature à maintenir et à renforcer leur confiance dans leur « Soi-sexuel » 

Et surtout par ailleurs d’autres enfants, (très) tracassés par des événements de leur vie sexuelle, peuvent très bien le dissimuler : ils ne montrent pas qu’ils ont besoin d’aide et alors nos incitations délicates à parler sexe peuvent les encourager à ouvrir la porte. Et il en existe des sources de tension autour de la sexualité ! J’en évoquerai quelques-unes au paragraphe III/II, celles où l’enfant a été activement auteur de ce qui pourtant le perturbe. Et y a encore tous ces enfants victimes d’abus plus graves, qui ont régulièrement l’art de mener une double vie et de garder le silence. 

Enfin, des faits sexuels sont régulièrement révélés dans le décours de thérapies ou font l’objet d’une demande de consultation, notamment parce qu’ils ont bouleversé les adultes : ici aussi il faut pouvoir accompagner avec justesse !

 

 Penser la sexualité de l’enfant 

 

Ce qui m’a toujours semblé essentiel, c’est de me représenter que, parmi toutes les dimensions qui le constituent, l’enfant est sexuel. Et c’est une dimension fondatrice de sa vie, en complément et en contrepoint de son agressivité. Il est sexuel tant via des intérêts, des questions, des pratiques et des fantasmes très physiques - sexuels au sens populaire du terme ! – que via toutes les sublimations de son énergie sexuelle, qui forgent le bouquet de nuances de sa capacité d’aimer. Mais de ces sublimations, il ne sera pas question dans ce texte. Je m’en tiendrai au sexuel physique stricto sensu !

Et je le redis, je trouve important  de le penser comme tel : Si l’enfant ne donne aucun signe suspect à son propos, le plus probable est que sa sexualité se déroule selon une trajectoire normo-développementale. Mais en est-il heureux ? Se pose-t-il quand-même l’une ou l’autre question transitoirement insoluble ? Arrive-t-il à vivre sa sexualité en restant « suffisamment [4] bien » dans un cadre social ? Ces questions il m’arrive de me les poser au sein de mon attention flottante … Plus encore, il n’est pas absolument certain que l’absence de signes veuille dire absence de souffrance. Alors pourquoi pas un petit « coup de sonde » de loin en loin ?

Enfin, ne puis-je pas m’aveugler sur des signes que je ne veux pas voir ? Quand je dois faire des hypothèses sur la signification de comportements  mystérieusement évocateurs d’un mal-être, est-ce que je fais entrer des causes sexuelles au rang du possible ?  Refus de fréquenter l’école, refus de continuer tel sport ; adulte dont l’enfant déclare qu’il ne l’aime pas, qu’il est méchant ; autant pour un frère ou une sœur aînée ; fléchissement scolaire,  signes nouveaux d’angoisse et de culpabilité, somatisations, retour d’énurésie … ou au contraire, disparition inexpliquée du domicile et autres dissimulations racontées par les parents, etc. Le sexuel peut se donner à voir par bien des indicateurs inattendus : il suffit d’y penser !

 

  Comment j’en parle

 

 Je vise corollairement à être explicite

 

 : J’interviens occasionnellement dans le discours et les productions spontanées de l’enfant pour lui indiquer que je devine  l’existence d’une vie sexuelle chez lui : c’est d’abord reconnaître que le voyage de la vie est naturellement émaillé de moments sexuels positifs, agréables et que c’est très bien ainsi. Mais aussi et quasi-inévitablement, que l’enfant peut parfois se poser de bien angoissantes questions en les gardant secrètes parce qu’il croit qu’elles sont mauvaises, stupides ou que l’adulte ne l’écoutera pas.

Par petites touches épisodiques, je fais un clin d’œil à l’enfant ou j’exprime ma curiosité et ma tendresse pour ce sexuel susceptible d’opérer, sans qu’il se sente obligé d’en confirmer l’existence ni à fortiori de le détailler : il peut le faire s’il le veut çad s’il pense que ça va lui faire du bien. Je suggère donc l’alternative du dialogue à tous ces enfants qui ne parlent pas spontanément et dont je rappelle qu’ils peuvent relever de trois grandes catégories : enfants dont la sexualité se développe normalement mais qui passer par des moments angoissants ou subir des épines sexuelles ; enfant dont la sexualité voulue et active a des dimensions préoccupantes et enfants victimes d’abus graves. Et avec ceux pour qui des faits sexuels ont été révélés, il s’agit aussi d’y aller franchement et sereinement.

S’il s’agit d’un enfant « tout-venant », ces encouragements restent épisodiques : une ou deux fois pendant la phase de consultations diagnostiques… une fois toutes les quelques séances pour les enfants en thérapie. Karl Léo Schwering qui me connaît bien m’a proposé de témoigner de ma pratique concrète qu’il considérait comme originale dans ce domaine. Mais vu la centration de l’article, un biais de lecture pourrait être que vous imaginiez que je passe mon temps professionnel à ne parler que de « ça [5] » Ce qui n’est évidemment pas le cas !

 

Je ne souhaite pas faire une énumération ordonnée et exhaustive de mes interventions et je m’en tiendrai à quelques illustrations. Avec un enfant « tout-venant » il m’arrive de temps en temps de :

 

---- Attraper au vol et exploiter les références explicites des plus jeunes au sexe, au pipi ou au caca, à la saga des bébés, au sein des mamans, etc. Références qui apparaissent autant dans leurs discours que dans leurs dessins et autres productions de leur imagination (par exemple, déshabiller plutôt rudement une poupée « pour voir ») C’est l’occasion de manifester mon empathie et d’exprimer ma curiosité : « Et comment on sait que c’est une fille ? Et son zizi il est plus grand ou plus petit que celui de son papa ? Est-ce qu’il tient bien ? »  Enfin, nous confrontons nos savoirs : le sien, largement infiltré par son imagination et  teinté d’anxiété et le mien, plus objectif, plus serein et pas sur-Moïque pour un sou ; Ainsi, face à un enfant de 6 ans qui reconnaît sa participation à un touche-pipi d’allure banale, je pose encore l’une ou l’autre question, en lui précisant qu’il a le droit d’y répondre ou non : Qu’a-t-il pensé de son activité après coup ? Y a-t-il des choses qu’il n’a pas bien comprises ? Qui l’inquiètent  d’autres enfants font-ils parfois ce genre de choses ? pourquoi les enfants le font-ils ? Que disent souvent les parents s’ils le découvrent ? Pourquoi les parents parlent-ils comme ils parlent ? Etc.

Mêlée à la discussion, par petites touches et en résonance à ce que l’enfant exprime, je propose aussi mon opinion ; en mettant tout ensemble ce pourrait être dans ce genre de situation : « Oui, les enfants aiment parfois toucher à leur zizi ou à leur quiquine ; ils aiment parfois le montrer à un ami ou à une amie ; certains trouvent cela très gai ; et  leur ami(e) doit être d’accord aussi, sinon c’est mal » 

 ---- Plus tard dans leur vie, commenter un dessin qu’ils ont fait par un « clin d’œil » du côté du sexuel : « Tiens, ce sont les nénés ou les fesses d’une madame ? » puis-je demander innocemment à propos d’un nuage bilobé. Réponse la plus fréquente : un éclat de rire et une négation (à juste titre !) Mais je leur ai indiqué que, face à moi, il était permis de penser et de s’exprimer comme sexuel.

De la même manière, si nous construisons une histoire à deux, je peux évoquer un bout de scénario sexuel : « Mm … il est dix heures du soir, peut-être que le papa et la maman vont aller faire l’amour … Au fait, tu sais ce que cela veut dire faire l’amour ? Raconte-moi ce que tu sais » Ici aussi, c’est la fermeture ou l’ouverture présente dans le discours de l’enfant qui dicte la suite, depuis « OK. Mauvaise idée, on invente autre chose, jusqu’à la description par l’enfant de ses comportements d’espionnage

Je profite parfois aussi des petits héros des dessins et des histoires pour introduire par personne interposée l’idée de la masturbation, de jeux sexuels et même d’agression sexuelle, avec leur cortège de sentiments et de questions intérieures  diversifiés : « Peut-être qu’elle aime bien et qu’elle pense aussi qu’elle ne peut pas, que c’est mal… ». Selon le répondant de l’enfant, je laisse tomber rapidement ma suggestion, je reste dans le contexte de l’imaginaire (« Que diraient les parents s’ils découvraient le jeu sexuel ou la fréquentation de pornographie du jeune héros ? ») ou j’associe ses réponses à la réalité des enfants en général voire de lui en particulier : « Ces choses-là peuvent-elles arriver pour du vrai ? Te sont-elles arrivées à toi ou/et se passent-elles encore aujourd’hui ? Comment le vis-tu ? » 

---- (Poser à l’enfant des questions (plus) directes sur la signification de certains mots (ses injures obscènes favorites, par exemple) ; sur des événements sexuels du monde dont il entend probablement parler (les femmes violées dans les guerres, la saga Strauss-Khan, etc.) ; sur ce qu’il connaît déjà à propos du sexe (par exemple ce que ses parents ou ses copains ou sa grande soeur lui ont raconté)( par ex., un tel me dit n'avoir jamais rencontré sur internet quelqu'un qui lui a demandé de sucer sa bite...)

---- Demander si, selon lui, les enfants peuvent déjà avoir une vie sexuelle : il répond probablement « Non » mais je n’en reste pas là : « Quoi, tu crois que les enfants ne jouent jamais avec leur (zizi ou quiquine) ? Tu crois que tes copains ne vont jamais voir un site pornographique ? Qu’on ne parle jamais de sexe à la cour de récréation ? »

 Si j’ai des doutes sur la signification d’un comportement stressé ou replié sur soi de l’enfant et si j’ai assez de contact positif avec lui, il m’arrive de lui demander s’il est ou avait été agressé sexuellement, en faisant valoir que cela concerne un certain nombre d’enfants.

 ----Si l'enfant est intéressé par du dialogue sur le sexe, mais que c’est quand-même difficile pour lui de trouver ses mots et pour moi de ne pas recourir à des verbalisations abstraites ou moralisantes, le recours à des jeux de rôle peut grandement faciliter le dialogue. J’y reviendrai tout de suite.

 

 Et il y a alors les fois où s’est produit un événement sexuel concernant directement l’enfant et dont il n’aurait peut-être pas parlé s’il n’avait pas été révélé au grand jour et si donc, souvent, il n’avait pas secoué la communauté adulte.

 

 Quatre situations-types : l’enfant est l’auteur indéniable de l’expérience et celle-ci est soit de nature abusive, soit connotant le consentement des participants éventuels ; il en est l’auteur probable, mais il nie sa participation ou en tout cas sa responsabilité ; il se présente comme victime d’une agression mais on peut garder des doutes à ce propos ; il est très probablement une vraie victime plus ou moins traumatisée.

 

Ici aussi, grande diversité dans l’accompagnement thérapeutique de ces situations. Je me limiterai à celles où l’enfant est auteur et non clairement victime [6] en proposant un guideline standard, à adapter selon les circonstances : 

  1. Tout au long du processus, il est essentiel que nous vérifiions ce qu’il en est de notre sérénité ! Bien écouter, bien comprendre, puis émettre des idées personnelles sur le sens, le Permis et le défendu, le désir de transgresser qui habite la plupart d’entre nous voire le Bien et le Mal, c’est parfait. Mais quand nous parlons trop vite ou que nous nous taisons trop longtemps, c’est souvent que des émotions ont pris le pouvoir en nous sur ces expériences qui ne laissent jamais indifférents ! A travailler donc avec soi-même, en équipe ou avec un bon superviseur. Pour ma part je trouve toujours consternantes les interventions rapides américaines figurant dans les séries télévisées « Tu n’es responsable de rien … tu n’es coupable de rien » Tout comme à l’inverse, les graves accusations-passages à l’acte (« C’est de l’inceste », à propos de banals jeux ou explorations sexuels dans la fratrie [7  ], etc.)

 

  1. Il est souvent fructueux de faire accompagner l’enfant la première fois par un adulte proche de lui, bien au courant des faits et suffisamment serein. Si c’est possible en outre, du même sexe que l’enfant (son père pour un garçon) Dans cette première rencontre, je demande à l’adulte de raconter le plus gros de l’expérience jugée problématique et les commentaires et réactions qui ont suivi. Je ne m’adresse à l’enfant que pour quelques commentaires et précisions en appui du discours de l’adulte. Je me fais donner des détails et je réagis parfois en nuançant ou en dédramatisant si je le puis.

 

  1. Je reçois ensuite l’enfant seul [8] et je commence souvent par parler d’autres choses avec lui : son quotidien, ses intérêts, sa vie en famille, ce qu’il souhaite …  Je lui demande souvent aussi de faire un dessin de son choix, qui s’avère souvent chargé d’agression des faibles par les forts,  de violence et de mort: c’est que,pour le moment, le Sur-Moi tonne au-dessus de sa tête et qu’il ne sait pas non plus de quel bois je vais me chauffer. J’essaie alors déjà de dédramatiser le poids des transgressions éventuelles commises dans le dessin, d’en chercher le sens et de le reconnaître et d’atténuer la cruauté des sanctions méritées. En procédant ainsi, je veux lui montrer que je m’intéresse à l’ensemble de sa personne sans le réduire à l’événement sexuel dont il est l’auteur et qui lui est reproché.

 

  1. Ce deviendrait néanmoins un évitement de ma part et une source de méfiance et d’incompréhension pour l’enfant si je ne proposais pas dans la même unité de temps une centration sur l’expérience sexuelle problématique [9].

Dans ce contexte qui n’est pas celui de la médecine légale, j’aime mettre l’enfant à l’aise en lui montrant que je n’ai pas peur des mots (ni des choses …) et que je ne vais pas le massacrer si nous nous mettons à en parler. J’amorce donc la pompe ( si j’ose dire ) en reprenant ce que j’ai entendu de la part du parent accompagnant : « Donc, ton papa m’a dit qu’ils vous avait trouvés tout nus dans ta chambre, ta cousine et toi … et il a même eu l’impression qu’elle avait ton zizi dans sa bouche … c’est bien ça qu’il a dit … c’est bien ça qu’il a vu ? »

J’invite alors l’enfant à  « entre dans mon discours » et à dire avec ses mots à lui ou à nuancer « le factuel central » Il va s’en suivre un va-et-vient entre l’évocation du factuel, celle des émotions et réactions qu’il a provoquées et une recherche du sens que revêt pour l’enfant les actes qu’il a posés. S’il essaie de se déresponsabiliser, comme c’est souvent le cas (« C’est un autre qui m’avait dit … c’est elle qui a voulu ») j’accueille d’abord sans commentaire ce premier mouvement et je continue mon exploration en mêlant à sa description mes encouragements, mes reflets empathiques et petit à petit mes idées : « Pourquoi les enfants font-ils parfois cela ? Comment les parents le vivent-ils ? Qu’est-ce que j’en pense, moi ? » 

Si l’ambiance s’alourdit, après dix … quinze minutes de centration spécifique, je lui propose de parler à nouveau d’autre chose, et nous  revenons plus tard ou lors d’une consultation ultérieure sur la thématique sexuelle. 

  1. Pour soutenir la parole de l’enfant, je m’appuie souvent sur le dessin, le jeu avec quelques petits personnages (marionnettes, Playmobil, etc.) et plus encore sur les jeux de rôle.

Dans ceux-ci, j’ai l’habitude de prendre pour commencer le rôle d’un enfant analogue à mon jeune vis-à-vis et concerné par une expérience sexuelle proche de ce qu’il a vécu, et je lui propose à lui de prendre le rôle d’un docteur chez qui ses parents ont envoyé l’enfant-acteur (donc, moi !) consulter pour ça. Mon rôle me permet d’exprimer des émotions difficiles à verbaliser ; Depuis « J’ai honte » ou « Je n’ai pas envie de parler avec ce docteur » jusqu’à « Je me sens coupable » ou « Ca m’a fait plaisir … après tout, qu’est-ce qu’on me reproche ? »

Le jeu de rôles me permet aussi de raconter des faits délicats (par exemple une sodomie, un acte de zoophilie, une exhibition à un tout petit...) et de poser des questions sur la sexualité infantile, sa réalité, son sens et son cadre … En face de moi le « docteur » réagit, me pose lui aussi des questions et me donne des réponses toujours très intéressantes. Elles sont souvent de type durement Surmoïques ; mais pas toujours : certains enfants, jouant le rôle de l’adulte, émettent  tout de suite des idées très justes, hédonistes ou égocentriques sur la sexualité ; d’autres font preuve d’une grande ignorance ou naïveté. Après nous échangeons les rôles et finalement nous discutons : je fais des commentaires sur ce qui s’est échangé dans le jeu de rôle et j’essaie de transmettre des informations et de proposer des valeurs à propos de la sexualité, essentiellement celles qui me semble correspondre aux Lois naturelles : par exemple, la sexualité ne doit jamais faire souffrir le partenaire éventuel, notamment en faisant pression ou violence sur lui ; c’est une aventure ou/et un plaisir partagés où l’on s’occupe aussi du bien-être de l’autre ; elle se pratique entre gens du même groupe d’âge et du même statut générationnel ; c’est nous qui devons commander au plaisir et pas l’inverse, etc …

J’entraîne aussi l’enfant à faire la différence entre la transgression des Lois naturelles et celle des règles : par exemple, s’il y a eu un jeu sexuel librement consenti et découvert à l’école, les instituteurs ne seront pas contents et sanctionneront, parce que le geste posé va contre leurs règles. Ce n’est pas pour autant que c’est vraiment mal, mais c’est imprudent : mieux vaut donc respecter les règles ou se montrer très prudent si on les défie !

 

 Dans une telle ambiance, une majorité d’enfants finit par communiquer clairement et significativement.

 

- Mais pas tous : Les enfants se bloquent ou se montrent très hostiles dans environ 20 % des cas et aucun dialogue ne s’installe même avec beaucoup de patience. Alors il m’est arrivé de parler devant l’enfant à un tiers personnage  virtuel fort analogue à lui, sans lui demander le moindre répondant : « Je voudrais que tu écoutes et surtout que tu ne me répondes pas ; je vais parler avec ( telle marionnette ) : on disait que c’était une fille de onze ans, qui avait demandé à son petit cousin de huit ans de jouer avec son zizi. » Dans d’autres cas, je repère s’il existe un parent (ou un autre adulte proche) suffisamment serein et je parle avec lui en présence de l’enfant de ce qui s’est passé et de ce que j’en pense.

- Dans d’autres cas, l’enfant parle mais je le soupçonne de mentir sans savoir jusqu’à quel point, par exemple en minimisant sa responsabilité (« C’est l’autre qui a voulu. ») Je suis donc dans le doute, qui peut être irréductible. L’espace me manque pour expliquer comment je travaille dans cette ambiance de doute, mais je l’ai fait dans l’article Ados auteurs d’abus ou de pseudo-abus   [10] : au paragraphe III, j’y propose une étude de cas fictive où le doute demeure entier.

 

  Accompagner dans la durée 

 

Evoquer avec l’enfant sa sexualité immédiate, c’est déjà important pour son bien-être ; mais au-delà, nous gagnons  à situer les idées ou les actes de l’enfant dans une trajectoire d’ensemble, et à  le positionnant prudemment parmi les grandes catégories développementales de la sexualité. Il peut s’ensuivre des dialogues et des attitudes pédagogiques ou psychothérapeutiques plus précisément adaptés à son type de sexualité du moment et à sa personne.

 

Dans un coin reculé d’une cour de récréation, un petit groupe assiste à la mise en bouche du zizi d’un des acteurs. La signification plus profonde de cette expérience peut être variable et très différente d’un enfant à l’autre : curiosité et expérience scientifique ;  identification aux adultes, avec une pointe de défi ; éventuellement quête érotique précoce ; besoin de dominer, de soumettre ; passage à l’acte qui veut liquider un traumatisme, etc.

 

Il nous faut néanmoins bon sens garder : c’est lorsque des adultes sereins [11] sont préoccupés eux aussi que le diagnostic doit prendre le temps de s’approfondir pour renvoyer à des structures. Mais dans la majorité des cas,  l’activité sexuelle qui scandalise pourtant les éducateurs directs semble beaucoup plus normale aux yeux d’un observateur « neutre » : par exemple un jeu sexuel ordinaire chez un enfant qui donne tous les signes d’aller bien. Alors, nous pouvons nous en tenir à une investigation plus légère côté enfant et aider davantage les éducateurs à comprendre leurs émotions et la raison d’être de leurs interventions.

 

  1. Quelles investigations ?

 

Des investigations plus approfondies qui nous amènent à mieux comprendre sont toujours théoriquement possibles. Pratiquement, c’est autre chose : les sources potentielles d’information que je vais énumérer peuvent être ignorantes, rapidement crispées par l’angoisse ou la méfiance, mensongères … ou lucides ou collaborantes. Pas toujours facile  d’aboutir !

 Différentes sources pourraient permettre de mieux se représenter ce qui s’est passé, ce qui se vit et comment s’organise la sexualité de l’enfant : 

---- L’enfant lui-même, dont je viens de décrire comment l’aider à s’exprimer. Nous pouvons encore lui demander comment lui est venue l’idée de faire ce qu’il a fait, d’où il l’a appris et encore si d’autres l’ont invité ou forcé à des activités sexuelles. Etait-ce la première fois ou d’autres pratiques ont-elles déjà eu lieu ? Que connaît-il de la sexualité ? A-t-il des questions ou des préoccupations à son propos ? Comment évalue-t-il ce qu’il a fait ? Comment les adultes y ont-ils réagi  et qu’en a-t-il pensé ?

---- Des témoins adultes peuvent rendre compte de telle ou telle scène sexuelle. Il importe de leur demander d’être très précis : ce qu’ils ont vu ; ce que l’enfant leur a dit ; comment ils ont réagi ? S’ils ne sont pas témoins ou interlocuteurs de première ligne, attention aux déformations et interprétations qui s’infiltrent très vite ! La narration précise des faits est alors gênée par leur conformisme ou son inverse ou par des émotions  fortes ; donc cela vaut souvent la peine de chercher à avoir accès à un témoin de première ligne.

---- Plus les témoins sont familiers de l’enfant, plus ils peuvent donner des informations élargies : Ont-ils observé préalablement des indicateurs de la sexualité de l’enfant qui les ont intrigués (comportements, questions, commentaires, etc.) Ont-ils pourvu à  son éducation sexuelle  ou/et existe-t-il parfois des échanges d’idées autour de la sexualité ? Que pensent-ils de la sexualité des enfants ? Dans leurs souvenirs, y a-t-il eu des événements saillants liés à leur propre sexualité d’enfants ?  Comment ont réagi leurs parents ? Ces événements peuvent-ils influencer la manière dont ils vivent et parlent  aujourd’hui de la sexualité ?

 ---- Plus largement, une meilleure connaissance de la personnalité de l’enfant permet de faire des hypothèses raisonnables sur la manière dont il gère sa sexualité. Mais attention aux corrélations trop précises et aux simplismes !

Certes un enfant habituellement égocentrique, dominant et hédoniste mettra plus probablement en œuvre qu’un autre une sexualité sans scrupules où il soumet son « partenaire » Mais des enfants réputés bien équilibrés émotionnellement peuvent vivre des mauvaises passes où ils s’égarent : vengeance contre un cadet surprotégé par les parents et qu’ils veulent salir par la sexualité … suggestion via Internet et épisode de zoophilie le mercredi après-midi, dans la solitude de l’appartement partagé avec un si gentil chien, etc.

 Au terme d’une première phase d’investigation nous devrions pouvoir nous faire une idée plus précise sur : ce qui s’est passé concrètement et d’éventuelles expériences sexuelles préalables ; comment les adultes y ont réagi ; ce que l’enfant pense et vit à propos de tout cela ; une esquisse de son cheminement sexuel, du sens et des valeurs que revêt pour lui la sexualité, de ses éventuelles angoisses, culpabilité et confusions d’idées.

C’est néanmoins une perspective idéale : même avec de l’expérience, je n’ai pas pu toujours y voir plus clair ni sur les faits, ni a fortiori sur leur inscription dans une structure. Il nous faut donc parfois continuer à accompagner l’enfant et à veiller sur lui dans l’ignorance ou dans le doute. Mais ceux-ci n’empêchent pas ipso facto une prise de parole et de décisions responsables par les éducateurs de l’enfant et par ses thérapeutes[12].

 En tous cas, notre niveau de vigilance doit s’intensifier sans s’effriter dans la durée si nous pensons nous trouver face à du préoccupant : la répétition est possible, même après promesses déchirantes ; et pour un psychopathologue, la répétition -même une seule fois repérée après 4 mois !- constitue toujours un signal préoccupant : elle indique que quelque chose est davantage fixé dans la structuration sexuelle et la personnalité de l’enfant.

 

 Les principales catégories de fonctionnement sexuel infantile

 

 Nous pouvons souvent retirer de la démarche diagnostique la certitude raisonnable que l’enfant se situe dans l’une des sept catégories de structuration et de gestion de la sexualité que j’ai recensées au fil du temps [13]. Elles ne positionnent pas  l’enfant victime d’une épine sexuelle ou d’un abus plus grave, mais celui qui a désiré et planifié le geste sexuel qu’il a posé. Il existe des critères pour distinguer prudemment et sans certitude absolue ce qui relève de chaque catégorie

 L’espace me manque pour  exposer  ces catégories en détail. Je l’ai fait dans le livre

La sexualité des enfants (Odile Jacob, 2004), à la lecture duquje vous renvoie. Je le fais aussi de façon assez détaillée dans l’article  "Développement de la sexualité consentie chez l'enfant et l'adolescent". Les voici résumées :

 

  1. Dans 65 à 80 % des cas, les activités repérées relèvent tout simplement d’une progression parfois un peu erratique mais fondamentalement normale de la sexualité. Je n’oublie pas pour autant que « normal » ne veut pas dire étale 14] et que de francs dérapages transitoires peuvent faire partie d’un développement « suffisamment bien » normal, porteur de l’espérance d’une vie sexuelle épanouie, agréable et sociable : tel enfant s’égare quelques semaines du côté de la zoophilie ; tel autre, porté par l’ambiance d’un petit groupe, participe à la brutalisation sexuelle d’un plus petit ; un autre s’introduit transitoirement des goulots de bouteille et autres objets dans l’anus … Et puis ils retrouvent leur liberté intérieure, leur sociabilité et des chemins sexuels plus habituels. 
  1. 15 à 25 % des actes révélés s’expliquent principalement sans le primat de l’angoisse ou de la culpabilité en ce inclus paradoxalement angoisses et culpabilité qui portent sur la sexualité elle-même : vérifications plus ou moins brutales sur soi ou sur d’autres, compulsions masturbatoires, inquiétudes sexuelles excessives, etc. 
  1. 10 à 15 % des actes repérés sont le fait d’enfants hédonistes, peu socialisés, peu empathiques, qui ont une sexualité sans retenue aux formes précoces et abondantes. Ils fréquentent parfois volontairement des plus âgés ou des adultes et peuvent ne pas reculer devant l’abus si on leur résiste. 
  1. Viennent alors des facteurs d’explication nettement plus rares (1 à 3 % des actes repérés pour chaque catégorie ci-dessous) :

 

  Enfin, pour mémoire vu leur rareté, lorsqu’existe un trouble significatif de l’identité sexuée, l’enfant peut adopter des activités sexuelles qui nient sa sexuation objective et se rapprochent des comportements attribués à l’autre sexe (par exemple, un sissiboy très adepte des plaisirs anaux (« passifs ») qui s’offrirait à des pédophiles vers ses dix-onze ans)

 

  Les fonctions du psychothérapeute et de l’éducateur face à la sexualité de l’enfant

 

Pour accompagner une croissance suffisamment bonne de la sexualité de l’enfant, les fonctions respectives des psychothérapeutes et des éducateurs (parents, enseignants, etc.) sont en partie identiques et en partie différentes. 

 

  1. Ce qui est identique

     

- Commencer par  nous introspecter : comprendre comment les expériences sexuelles et les messages reçus au cours de notre histoire de vie peuvent influencer nos attitudes aujourd’hui ; faire preuve d’esprit critique face aux messages de la science et de la culture contemporaines sur la sexualité des enfants ; réfléchir au sens de la sexualité pour nous, aux valeurs et anti-valeurs qu’elle véhicule ; faire résulter de tout cela des idées claires et personnelles sur le développement de la sexualité de l’enfant et sur son cadre social.

- Ecouter l’enfant ; manifester de la sollicitude pour ses idées et préoccupations sexuelles obvies ou dissimulées ; l’aider à déployer ses idées et à avoir un projet dans le champ de sa sexualité.

- Améliorer les informations dont l’enfant dispose et partager des idées personnelles avec lui : ici, l’éducateur se donne souvent le droit d’être plus insistant, de désirer faire passer chez l’enfant sa vision du monde, ses attentes et des valeurs qui lui sont chères en espérant que l’enfant les reprenne à son compte ;  mais en sachant s’arrêter à temps, donc sans faire violence. Le thérapeute, lui, est habituellement plus discret : quant à enrichir les informations de l’enfant, il s’efforce souvent d’abord que cela se fasse à partir de la curiosité, de la créativité et de l’intelligence de celui-ci. Quant au partage de sa vision du monde ou de ses valeurs, c’est sur la pointe des pieds qu’il y procède parfois, pour montrer à l’enfant l’engagement de sa personne, en parlant alors en référence à sa subjectivité, en proposant sans imposer !

- Protéger l’enfant ; éducateur et thérapeute souhaitent le faire énergiquement face au danger grave (par exemple, un abus sexuel) Au-delà, ici encore, la position du premier est souvent plus active et intense que celle du second : le thérapeute accepte davantage que l’enfant se confronte aux conséquences désagréables mineures de ses propres choix et à nombre d’épines de la vie.

- Veiller à ce que l’enfant respecte les  Lois naturelles auxquelles tout le monde est soumis : interdiction de la destruction de l’autre et de ses biens matériels ; interdiction de la prise de possession incestueuse de l’âme de l’autre ; maintien de la sexualité dans un cadre monogénérationnel. J’y ajoute pour ma part l’interdiction de la destruction importante de soi (par exemple via une dégradation physique ou morale significative propre à nombre d’addictions et de perversions)

Il est donc nécessaire d’indiquer à l’enfant qu’il ne peut pas faire souffrir les autres dans le domaine sexuel (violence physique, prise de pouvoir verbal, tromperies cruelles, etc.)  Mais il n’est pas rare qu’il faille vraiment l’y éduquer ! Certains enfants, surtout les dominants, les hédonistes ou les peu socialisés ne se rendent pas toujours compte spontanément de la vraie gravité de la violence sexuelle : sans sensibilisation éducative, ce n’est pas plus grave : pour eux qu’une insulte ou un coup de poing. Certains grands enfants ne se rendent pas compte non plus qu’ils doivent laisser en paix les beaucoup plus jeunes et notamment les moins de cinq-six ans pour les plus de sept-huit ans : ces tout petits vivent dans un monde où la vraie activité sexuelle partagée n’a pas place (par exemple, un jeu sexuel typique des huit-douze ans) ; ils sont néanmoins très suggestibles et peuvent alors faire des choses qu’ils ne veulent pas foncièrement, puis  s’en trouver très perturbés. Il faut donc les laisser entre eux, occupés tout au plus à faire quelques comparaisons sur la différence des sexes et pour les plus hardis, l’une ou l’autre exploration des orifices naturels.

Les moyens de promouvoir le respect des Lois naturelles sont variés et n’impliquent pas ipso facto que le thérapeute sorte de l’engagement de confidentialité qu’il aurait pris.

 

 II. Ce qui est spécifique aux éducateurs 

 

Ceux-ci sont directement responsables de veiller à une socialisation de l’enfant qu’ils jugent satisfaisante : l’essentiel en est le respect des Lois naturelles que je viens d’évoquer ; mais en plus de celles-ci les sociétés, les cultures, les écoles et les familles  créent nombre de règles mineures qui n’ont rien à voir avec les Lois naturelles. Souvent propres à leurs entités, parfois partagées par d’autres, souvent plutôt stables mais non immuables, elles définissent des codes de conduite congruents aux aspirations des groupes qui les édictent.

Dans une large mesure, les éducateurs en sont les gardiens, conservateurs de celles qu’ils ont instaurées directement et parfois plus critiques par rapport à celles dont ils ont hérité. Selon les cas, ils sont rigides et intraitables ou ouverts aux éventuelles protestations et suggestions émanant des enfants et prêts à les modifier. Mais ils en sont les gardiens et estiment que les respecter suffisamment bien fait partie de la socialisation.

Par exemple, l’école annonce « Pas d’activité sexuelle partagée dans nos murs [16] » En soi, si les partenaires transgressant cette règle sont consentants, cela n’a rien à voir avec les Lois naturelles … mais c’est le règlement local : si les éducateurs sont cohérents, ils doivent veiller au respect de ce qu’ils ont interdit avec explications et sanctions à la clé. Mais s’ils sanctionnent, ils ne devraient pas dire « Vous avez fait quelque chose de mal » (ce qui renvoie à la transgression des Lois naturelles) mais plutôt « Vous avez fait quelque chose d’imprudent en défiant nos règles »

Hélas, volontairement ou non, ils sèment régulièrement de la confusion des idées et de la culpabilité indues à ce propos, confondant la « mauvaise action » et l’action simplement « transgressive-défiante » contre la règle mineure [17].

 

 III. Ce qui est spécifique aux psychothérapeutes 

 

 De mon point de vue, le thérapeute se trouve dans une position radicalement différente par rapport aux règles mineures des groupes dont il est informé (par exemple, le jeu sexuel à l’école) : il n’a pas la responsabilité directe de les faire respecter. Il n’est pas non plus invité à en rire, à l’instar d’un adolescent contre-dépendant. Sa mission, c’est d’amener l’enfant  à réfléchir  à l’attitude qu’il  choisit [18] d’avoir face aux règles et à poser ensuite des comportements voulus personnellement, en en anticipant bine les conséquences.

Par exemple, l’enfant a quand-même fait un jeu sexuel à l’école et  s’est  fait prendre. Au thérapeute de s’enquérir : Que s’est-il passé précisément ? Comment le comprendre ? Pourquoi avoir transgressé la règle ? Peut-on grandir sans transgresser ? Comment réagissent les gardiens des règles quand ils constatent une transgression ? Et toutes les autres questions et idées déjà évoquées sur la nature et le sens de la sexualité infantile. Et enfin, qu’est-ce que  l’enfant anticipe de faire à une prochaine occasion ?

A penser et à m’exprimer de la sorte, j’espère  aider  celui-ci à faire la différence entre ce qui est bien et mal d’une part, et de l’autre ce qui est imprudent et téméraire, défiant ou prudent et conforme aux attentes  du groupe : pour ce qui est de son attitude face aux règles mineures, à lui de choisir où il va se positionner à l’avenir en y réfléchissant bien, sans moralisation ni pression émanant de ma personne. 

 

 NOTES

 

[1 *  J’estime néanmoins qu’un niveau de répression modéré gagne à exister dans le chef des éducateurs à l’égard des plus jeunes : « Tu es trop petit pour déjà… » Du moins si cette répression ne s’accompagne pas de violence, de culpabilisation excessive ou de chantage affectif. En effet, son territoire sexuel, l’enfant doit le conquérir, et le plus souvent par devers l’assentiment des adultes !

[2]  Vous trouverez ces courriels et mes réponses dans le menu

Echanges interactifs de courriel Leconcept d’épine sexuelle est détaillé dans le livre

La sexualité des enfants (Odile Jacob, 2004) p p160 et sq. 

[4] Ceux qui me connaissent savent combien j’affectionne cette expression créée par D. W. Winnicott : il disait que la vraie Bonne mère n’est jamais que celle qui est « suffisamment bien bonne » ( Winnicott, 1974 ) Autrement dit que l’excès nuit au bien et que la perfection est impossible. Pour ma part, j’applique cette expression à beaucoup de situations humaines. 

[5]  Eh oui, le bon vieux « Ca » freudien, repris dans le même sens par la culture populaire ! 

[6] Au demeurant, le processus d’accompagnement de l’enfant victime et celui de l’enfant auteur sont largement analogues !

[7]  A propos des activités sexuelles dans la fratrie, j’en ai distingué trois catégories que je décris dans le livre La sexualité des enfants, Odile Jacob, 2004, p.146 et sq. Le vrai inceste peut exister, structurellement parlant,  mais constitue de loin la catégorie plus rare.

[8]  S’il s’agit d’une consultation générée par la problématique sexuelle révélée, j’accueillerai l’enfant deux, trois fois avant une nouvelle séance de mise en commun avec les parents. Je reste juge, selon la nature de ce que j’entends, de ce qui restera ou non confidentiel. Si je l’ai promis, il faut m’y tenir ! Si l’enfant était déjà en thérapie, j’en aurai consacré une séance à recevoir l’adulte et l’enfant comme c’est décrit. Puis la thérapie reprend son cours. Il existera peut-être à bref délai une nouvelle séance de mise en commun parent(s)-enfant, mais en m’en tenant à ce qui a été convenu dans les engagements généraux à propos de la confidentialité.

[9] D’où la nécessité de réserver suffisamment de temps pour cette consultation princeps : une heure trente me semble un minimum. Brusquer les choses en n’allant plus au rythme de l’enfant n’a jamais fait avancer le dialogue. 

[10 Hayez J.-Y., Ados auteurs d’abus ou de pseudo-abus, Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence,  2010, 58-3, 112-119. .

^11] Par exemple nous,  psychothérapeutes, sommes souvent plus sereins que les éducateurs directs de l’enfant confrontés à ses sex-aventures. Mais gardons nous de généraliser !

[12] Je le redis, le doute persiste parfois et ne devrait pas paralyser la parole ni l’action : cfr foot-note 10.  

[13] Ces catégories constituent néanmoins comme des pôles d’une figure géométrique polyédrique ; dans les faits, nombre d’enfants peuvent être positionnées dans le polyèdre, donc « entre » des pôles extrêmes ; et ces positions sont susceptibles d’évoluer lentement dans la durée ! 

[14] Je n’oublie pas non plus l’imprécision relative et les connotations subjectives du terme normal et de ses frontières.

[15]  Pour plus de détails, voir l’article Actes pervers isolés et perversions sexuelles chez les enfants

[16]  Elle ne va pas jusqu’à interdire les comportements individuels dans la solitude des WC, un des lieux d’élection de la masturbation pour les plus grands.

[17]  J’en parle avec plus de détails dansiLa sexualité des enfants (op. précité) p 231 et sq. .

[18] Choisit ? Les impulsions vraiment irrésistibles sont très rares !