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                                                                                         Paru dans l' Encyclopédie Médico-chirurgicale. Psychiatrie, 37-204-H-10, 1999, Paris, Elsevier.c la collaboration juridique de D. Vrignaud

Sur le terrain, l'abus sexuel revêt de nombreuses formes cliniques, répond à des motivations très variées, et est susceptible de traitement diversifiés, adaptés à chaque situation. Nous devrons donc nous limiter à décrire quelques modalités principales, en faisant appel à la créativité du lecteur pour comprendre et prendre en charge ce qui s'en écarte.



1. Définition et limites du champ étudié. 



Nous référant à Kempe [7] , par « abus sexuels sur mineurs d'âge » nous entendons l'implication dans des activités sexuelles, surtout par des adultes qui y recherchent principalement leur plaisir personnel, de mineurs d'âge encore immatures et dépendants, c'est-à-dire incapables de comprendre suffisamment le sens de ce qui leur est proposé et donc d'y donner un consentement éclairé. Celui-ci est souvent altéré par les limitations cognitives du mineur, qui répond à la sollicitation à partir de ses propres besoins et de ses références vécues. Il l'est aussi par la contrainte que fait peser l'adulte dont le mineur dépend ou se sent dépendant : celle-ci brouille sa lucidité et réduit l'autonomie de ses réponses.

 



On peut catégoriser les abus sexuels selon de nombreux critères. Il est classique de distinguer l'inceste abusif et l'abus sexuel externe (acte de pédophilie) selon que l'auteur de l'abus est un parent du mineur ou un étranger à sa famille; toutefois ce dernier est souvent un familier du mineur.

En plus des adultes, des adolescents, voire des enfants, peuvent, eux aussi, exercer des violences sexuelles sur des personnes de tous âges et notamment sur des plus jeunes qu'eux (1). Pour la majorité d'entre eux cependant, ce moment de violence s'inscrit dans le contexte d'un développement psychologique tumultueux ou de conflits affectifs en quête d'exutoire. Et la réaction de l'entourage oriente grandement leur évolution.

Quant à la description des activités engagées, on peut se référer aux spécifications du droit pénal; on doit cependant se garder d'attribuer automatiquement à une progression des délits en gravité pénale une même valeur en « gravité vécue »



2. Le fonctionnement psychologique des protagonistes de l'abus

 

2.1. Les agents directs de l'abus : 



Le plus fréquent de tous, c'est le parent (2) incestueux insatisfait de soi, habité par des sentiments d'infériorité et d'échec, notamment en matière sexuelle, et qui cherche en l'enfant une compensation, une illusion de réussite. L'ensemble de sa famille est souvent comme lui, triste et dépressif, replié sur soi. Après, on trouve le parent incestueux « fusionnel », qui veut prolonger indéfiniment son vécu œdipien trouble d'enfant où il a lui-même baigné au moins dans une ambiance incestueuse. Puis, il y a les besoins impérieux de plaisir ou/et de pouvoir qui jaillissent de familles chaotiques, où les pulsions de chacun n'ont jamais été vraiment socialisées. Enfin, il y a les parents abuseurs tout-puissants, tyrans domestiques pour qui l'enfant est une chose taillable et corvéable à merci.

Les pédophiles peuvent être porteurs des mêmes caractéristiques psychologiques : insatisfaction de soi qui va jusqu'à la carence affective ... toute-puissance qui peut aller jusqu'à la prédation et à la destruction meurtrière. Plus souvent que chez les parents incestueux, on trouve chez eux des structures perverses.

Tant les agents de l'inceste que les pédophiles apprennent à reproduire les premiers plaisirs expérimentés et deviennent dépendants de leur objet, à l'instar des alcooliques (dynamique d’assuétude)



2.2. L'enfant entraîné dans l'abus.

 

Dans la majorité des cas, c'est « n'importe qui » quant à sa structure psychologique, et il est légitime de lui reconnaître le statut de « victime », car il n'a été ni provocateur, ni fondamentalement coparticipant aux plaisirs que connaît l'abuseur. Dans une minorité de cas, il existe cependant des enfants carencés affectifs, avides de transgressions, ou/et pervers ou déjà pervertis, qui consentent à ce qui leur arrive, y trouvent du plaisir, voire provoquent l'adulte : à remarquer néanmoins que, pour exister, cette catégorie d'enfants a droit à l'éducation et ne peut en aucun cas être déclarée principale responsable de l'abus!



2.3. Les témoins silencieux. 



Il est assez rare que l'abus ne soit strictement connu que de l'agent direct et de l'enfant : lors d'inceste, la mère - ou d'autres familiers - savent partiellement, et adoptent une position de déni, par crainte ou/et par dépression. Quant au pédophile, il n'est pas rare que son entourage soit intrigué par son attraction pour les enfants, mais ne cherche pas à en savoir plus, voire le couvre par la suite.



3. Les signes qui évoquent et/ou révèlent l'abus

  

Dans la plupart des situations, c'est un faisceau d'indicateurs qui, par leur convergence, finissent par induire chez les intervenants une « intime conviction » qu'un abus a eu lieu. Celle-ci n'est que rarement de l'ordre de la certitude absolue et objective, à partir du traumatisme physique constaté et investigué.

Nous ne décrirons que ceux des indicateurs qui émanent directement de l'enfant, étant bien entendu que tant les autorités judiciaires que les équipes psycho-sociales ont à investiguer d'autres témoignages dans l'entourage de l'enfant.

- Un premier groupe évocateur, ce sont des signes comportementaux, malheureusement peu spécifiques et à interpréter en référence à la culture de la famille de l'enfant et de sa société. Au début, on peut retrouver les manifestations d'un syndrome de stress post-traumatique (3) (surgescences d'angoisses, troubles du sommeil, ...) [5]. Il existe souvent aussi des signes de dysrégulation sexuelle marquée soit par une inhibition excessive (peu fréquent), soit, souvent, par une érotisation des attitudes et des conversations ainsi que par l'étalage de connaissances sexuelles inappropriées pour l'âge. Au fil du temps, il est fréquent que s'installe un « syndrome d'accommodation » : l'enfant se robotise, clive sa souffrance et s'en détache à l'avant-plan, mais sa joie de vivre est altérée.

 

Plus de deux ans après la cessation d‘un abus par son père, Cindy ne peut toujours pas représenter le corps d‘une fillette en entier ; elle limite à la tête, marquée par des taches chaque fois que « la petite fille fait quelque chose de mal »

- Le discours du mineur sur l'abus constitue l'indicateur-clé si l'entretien avec lui est réalisé dans des conditions de grande rigueur. Dans la majorité des cas, les révélations sont tardives. Chez les enfants en âge préscolaire, elles se réalisent de façon accidentelle, innocente ou encore sous l'effet d'un stimulus évocateur (par exemple, l'enfant mimant une scène sexuelle avec une poupée ou invitant un familier à reproduire certains gestes, dans des circonstances analogues à celles de l’abus).

Les enfants plus âgés et les adolescents sont plus secrets, plus prudents, voire ambivalents; leurs révélations sont intentionnelles et destinées à un confident estimé digne de confiance.

Pour beaucoup de mineurs, l'évocation verbale de l'abus ne se fait pas sans affects (principalement autour de la honte d'être découvert et de l'angoisse d'être sanctionné ou de trahir un secret). Cet embarras est souvent visible et modifie la dynamique et le contenu du discours.

L'examen physique devrait être systématique et rapidement effectué s'il y a eu relation sexuelle récente, pour sa part contributive au diagnostic. Il devrait être mené de manière telle qu'il participe au processus de ré humanisation du corps non respecté et/ou blessé de l'enfant.



3.2. Les diagnostics différentiels. 



- Si l'on se réfère au comportement de l'enfant, beaucoup de ceux qui présentent les signes d'un stress chronique post-traumatique sont agressés répétitivement par d'autres sources traumatiques qu'un abus sexuel : tous méritent néanmoins la sollicitude de l'adulte témoin de leur souffrance.

Une sexualité compulsive, grinçante, trop ostensible, peut-être le fait de certains enfants névrosés, tout comme son inverse : pudeur et inhibitions anormales. Certains enfants hypersexualisés - très hédonistes - le sont parce qu'ils sont élevés dans une ambiance très laxiste, sans plus. Certains enfants d'âge préscolaire sont très « pulsionnels » et peuvent faire des offres sexuelles à l'adulte sans autre raison que leur organisation développementale du moment.

- Si l'enfant a spontanément révélé les faits, et que l'on se pose la question de la crédibilité de ses dires, on doit se souvenir que, dans la population générale, il n'y a que 3 à 8% de fabulations et mensonges, qui sont surtout le fait de certaines catégories, le plus souvent repérables par les interviewers spécialisés : enfants très jeunes, psychopathes, jeunes adolescents quelque peu carencés affectivement ... Le pourcentage de non-crédibilité atteint facilement 50% lorsque c'est un parent qui amène l'enfant, surtout un très jeune, dans le cadre d'un litige conjugal.



4. Les conséquences de l'abus

 

Toute maltraitance sexuelle laisse une trace dans l'histoire du sujet, mais comme chaque évolution est unique et sous la dépendance de multiples paramètres, il s'avère bien délicat d'en définir le destin à long terme, depuis la destruction persistante et diffuse de l'être jusqu'à la cicatrisation. Certes, médecins et psychothérapeutes rencontrent des troubles structuraux et leurs manifestations comportementales les plus variées (angoisses diffuses, dépression, troubles des conduites, tentatives de suicide, ...), qu'ils peuvent attribuer pour une part au moins à l'abus. Mais la majorité des anciennes victimes ne consulte pas et c'est probablement parmi celles-ci qu'existe le plus de résilience. Beaucoup d'auteurs estiment que la destructivité de l'abus est d'autant plus grande et persistante que l'organisation préalable de la personnalité du mineur est déjà problématique ; il existe une grande différence d'âge avec l'abuseur et/ou un lien de parenté avec celui-ci ; il en va de même si, depuis toujours, l'abuseur a avec l'enfant une relation de domination tyrannique; la contrainte a été forte; l'abus a duré longtemps ou/et a été fréquent ; les effractions corporelles y ont été nombreuses; l'abus a eu lieu au domicile de l'enfant ; l'enfant a rencontré silence, indifférence ou incrédulité quand il a appelé à l'aide; la soi-disant prise en charge ultérieure n'a été qu'un leurre : reproches et/ou absence de protection de la part de la famille ou manque d'engagement de celle-ci dans le processus thérapeutique, « seconde victimisation » du fait des institutions.



5. Les interventions de remédiation. 

 

Selon les pays, elles sont essentiellement ou principalement soit judiciaires, soit socio thérapeutiques, le judiciaire n'intervenant par la suite que si nécessaire ; il s'en suit une coexistence clivée ou une coopération de ces deux Instances.

Pour la commodité de l'exposé, nous décrirons séparément ce qu'il en est des objectifs et du travail de chacune d'elles.



5.1. L'intervention judiciaire. 



5.1.1. Principes du Droit français en la matière : ses interactions avec la société (D.Vrignaud) (4).

 

En matière de sexualité, le nouveau Code Pénal reprenant les différentes évolutions depuis le Code Napoléon, s'écarte résolument de toutes notions morales ou religieuses quant à la définition des infractions à caractère sexuel. De fait, seule une sexualité s'exerçant sur autrui en l'absence de consentement réel ou éclairé (atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans) ou contre le consentement d'autrui (agressions sexuelles) est susceptible de trouver une qualification pénale et une sanction publique.

Cette approche du comportement criminel constitutif d'un trouble à l'ordre social constitue l'unité profonde du droit de sanctionner et le seul critère du droit pénal.

Depuis une quinzaine d'années, la Justice Pénale est, en France, fortement interpellée pour sanctionner l'auteur et, peut-être, réparer la victime d'abus sexuels et notamment d'abus sexuels commis sur des mineurs dans leur milieu de vie naturel. C'est dans ce contexte de pénalisation que le signalement et la judiciarisation, obligation à laquelle ne sont pas tenus les professionnels soumis au secret professionnel, obère l'obligation générale d'aide, assistance et protection à toute personne en danger.

Cette pression politico-sociale repose non, sur une augmentation établie de ce type de crime, mais sur une modification des représentations de l'enfant et de la famille et illustre le délitement des responsabilités politiques et familiales au profit d'un mode de résolution pénale du trouble créé. Au-delà du comportement constitutif de l'infraction, les éléments liés à l'éventuelle dangerosité de l'auteur ou la qualité de la victime interviennent dans le traitement pénal du criminel. Ainsi les circonstances de minorité et le lien de dépendance psychoaffective existant entre l'auteur et la victime conduisent-elles à une forte aggravation des peines encourues et prononcées.

Par ailleurs, les mesures de sûreté ou d'obligation de soins sont-elles de plus en plus spécifiquement applicables aux délinquants sexuels. La fonction rétributive de la peine fait place à une fonction sécuritaire, réparatrice, voire thérapeutique. Les risques de confusion entre la sphère publique (sanction d'un comportement abusif) et la sphère privée (accessibilité aux soins, à la réparation, voire au pardon) sont très présents et remettent en cause la fonction première du droit : Séparer.



5.1.2. Fonctionnement sur le terrain 



Là où l'on se centre sur l'intervention judiciaire, l'on considère que le devoir d'assistance à personne en danger passe nécessairement et rapidement par un signalement aux autorités répressives au moins des cas avérés, si pas déjà des suspicions. Ces autorités se chargent des investigations nécessaires et visent essentiellement l'obtention d'aveux, si les faits s'avèrent fondés, et la sanction pénale du coupable. La protection de la victime est censée être obtenue via l'emprisonnement du coupable et l'effet dissuasif de la peine. On se réfère donc à l'idée que la confrontation à la loi de la cité est inéluctable et ne peut être faite que par l'Instance judiciaire ; elle constituerait du même coup un rappel de la Loi symbolique pour tout le monde et une première réparation pour la victime [2]. 

Les autorités répressives n'ont pas la responsabilité statutaire des interventions socio thérapeutiques dont nous parlerons par la suite : il leur arrive donc, soit de les ignorer, soit de faciliter la mise en place de certaines de celles-ci, comme la thérapie des abuseurs emprisonnés. En vertu du principe démocratique de présomption d'innocence, nombreuses sont les situations où ces autorités répressives se doivent de prononcer un non-lieu, faute de preuves tangibles suffisantes à leurs yeux ; par exemple, entre autres, actuellement le statut de preuve légale reconnu à une parole d'enfant reste aléatoire.

Les autorités répressives associent inconstamment les Tribunaux pour mineurs à leur action. Elles devraient pourtant le faire plus souvent, et en tout cas, si elles-mêmes prononcent un non-lieu dans le cadre d'un doute. En effet, les Tribunaux pour mineurs ont le pouvoir de protéger le mineur, même dans les cas où les poursuites répressives sont abandonnées.

Même s'il peut paraître « normal » et séduisant de s'adresser aux autorités judiciaires répressives, dans ces cas où les délits commis apparaissent ignobles, il ne faut donc pas perdre de vue les limites liées à leur action (5)



5.2. Les interventions socio-thérapeutiques : synthèse des méthodes et objectifs. 

 


Nous allons en exposer les principaux en distinguant, quelque peu artificiellement, une phase à visée d'évaluation diagnostique, puis une autre à visée de traitement. « Traitement » doit être pris ici dans l'acception très large de management : il se répartit en interventions sociales et en rencontres de paroles.
Les objectifs des équipes psycho-sociales - restauration des personnes et des liens - sont largement différents de ceux des autorités judiciaires - récolte de preuves et sanction pour les autorités répressives, protection de l'enfant en danger pour les Tribunaux pour mineurs -. Toutefois, la forme externe de leurs interventions, voire une petite partie des objectifs, peut parfois être identique (6). 



5.2.1. La phase d'évaluation diagnostique 



- L'enfant qui a commencé à parler ou à montrer sa souffrance, a besoin de se sentir « pris » dans une ambiance de bienveillance, d'intensité dans l'investissement de sa personne, et d'efficacité dans l'organisation des institutions qui prétendent l'épauler ( E-R-M ) : toutes conditions nécessaires à ce qu'il ne se rétracte pas, parfois définitivement, par angoisse et désespoir [10]. 

- S'il y a première révélation, faite ou soi- disant faite à un premier confident de fiabilité variable, elle doit être vérifiée rapidement par une Instance spécialisée et compétente ( E-R-M ) L'évaluation par celle-ci sera soignée, détaillée, non traumatisante pour l'enfant et menée en référence à des techniques modernes : canevas d'entretien ad hoc [8] , appliqué néanmoins avec souplesse eu égard à la dynamique affective et aux intérêts spécifiques de chaque enfant; analyse du discours de celui- ci via des grilles validées [10]  ; prise précoce en vidéo au moins d'un entretien-clé, etc. ...

Dans la perspective des actions psycho-sociales futures, l'évaluation porte aussi bien sur la connaissance détaillée des faits et la crédibilité de l'enfant (E-R-M) que sur la personne de celui-ci et les ressources et faiblesses supposées à sa famille et son environnement (E-M) La démarche évaluative inclut de facto l'enfant, et, au-delà de lui, l'environnement qui le connaît bien, ainsi que sa famille ( éventuellement E-R, pour les faits, et E-(R)-M pour la connaissance des personnes )



5.2.2. La phase de traitement : les interventions sociales

 

- La plus systématique consiste à protéger l'enfant contre toute récidive de l'abus (E-R- M) et, si possible, contre les pressions négatives dont il pourrait être l'objet (E-M) Elle passe parfois par un éloignement de l'enfant, souvent par un réaménagement du quotidien et des attitudes, convenu avec ses parents, et toujours par une vérification soigneuse de ses nouvelles conditions de vie.

- En cas d'inceste, un écartement transitoire de l'abuseur vise les mêmes objectifs et a valeur de sanction négative (E-R-M); celle-ci peut néanmoins être négociée par les seules équipes psycho-sociales, sous la forme d'actes de réparation consentis par l'ex-abuseur.

- Les familles défavorisées doivent recevoir l'aide socio-matérielle dont l'absence avait peut-être prédisposé à l'inceste.

- Enfin, en cas d'inceste (7) , il est utile d'encadrer la famille par un « petit groupe de vigilance continuée », formé de l'un ou l'autre familier et professionnel, avec une double intention de solidarité/soutien et de vigilance [1]



5.2.3. La phase de traitement : les rencontres de paroles 

 


- Quant à leur statut, celles-ci sont soit des psychothérapies, demandées d'emblée ou après un certain temps, par tel individu ou (sous-)groupe familial mêlé à l'abus, soit des entretiens demandés par les intervenants. On peut adjoindre à ces derniers les entretiens de contrôle psycho-social, demandés par les autorités répressives pour suivre le devenir des abuseurs libérés.

- Quant à leurs objectifs, psychothérapies et entretiens visent indistinctement l'écoute empathique; le partage d'idées et d'informations ( sur la sexualité, la culpabilité, la Loi et la liberté, etc. ...); une réénonciation des interdictions fondamentales; un entraînement plus efficace à la protection de soi ou/et des autres, ou à la discipline de soi ( pour l'abuseur ) ; un encouragement à la réalisation du potentiel positif, humainement acceptable, présent en soi; et, en cas d'inceste et dans la mesure de ce qui est acceptable pour chacun, une restauration de l'estime envers les autres membres de la famille.

- Quant aux partenaires qu'ils incluent, dans les cas d'inceste, on gagne souvent à procéder graduellement : d'abord thérapies ou entretiens individuels ( pour l'enfant abusé, le ou les parents non-abuseurs, l'ex-abuseur ((8) , la fratrie ), puis entretiens destinés à des dyades fonctionnelles ( enfant abusé-parent non abuseur; couple d'adultes, etc. ...), pour arriver à des entretiens avec toute la famille nucléaire ( si l'ex-abuseur y collabore positivement et si l'enfant abusé l'accepte ), voire avec la famille et son groupe de vigilance continuée ( cf. supra ) Parallèlement, des thérapies de groupe pour enfants, pour ex abuseurs, etc., peuvent rendre d'appréciables services.

- Quant aux méthodes et représentations de l'être humain dont elles s'inspirent, ces rencontres de paroles gagnent souvent à se référer à plusieurs écoles de pensée : par exemple psychanalyse ou/et néo-rogérianisme lorsque l'on se centre sur l'écoute ; cognitivo-behaviorisme lorsque l'on informe ou/et que l'on demande des modifications comportementales, systémique lorsque l'on travaille les liens familiaux et sociaux, etc. ...



5.3. Applications d'un traitement psycho-social initialement seul à l'œuvre 



5.3.1. Révélation d'un inceste à un tiers extérieur à la famille

 

Supposons qu'après des mois, si pas des années de silence, un enfant finisse par révéler à un tiers que son père abuse de lui. Ce confident de première ligne (9) écoute l'enfant, le soutient et le rassure sur le fait qu'il va être aidé; il considère comme sa responsabilité de répondre dans la durée à la confiance de l'enfant et interpelle donc rapidement une équipe psycho-sociale spécialisée dans la lutte contre la maltraitance. Celle-ci analyse d'abord minutieusement le contexte de la demande (enjeux, conflits éventuels, ...), puis reçoit l'enfant pour un (ou plusieurs) entretien(s) de révélation, destiné(s) à ce qu'elle s'imprègne d'une conviction sur les faits ou au contraire en élimine raisonnablement la possibilité. Outre la constitution de cette conviction et l'approche de la personnalité de l'enfant et du fonctionnement de sa famille, l'équipe doit se faire une idée sur une « capacité protectrice » de l'enfant émanant de la famille et/ou des institutions que l'on mobiliserait (P+, ?, -) ainsi que sur une capacité de la famille à collaborer à un programme d'aide psycho-social (C+, ?, -)

Dans ces cas d'inceste, les équipes font l'hypothèse raisonnable qu'un peu moins de 20% des familles s'avéreront par la suite ouvertes à la collaboration et capables de protéger l'enfant contre la récidive (C+ P+), 60% arriveront, spontanément ou sous contrainte institutionnelle, à une certaine protection contre la récidive mais sans collaboration profonde à un traitement (C- P+) et un peu plus de 20% seront estimées incapables de collaboration et de protection (C- P-).

Pour les familles (C+ P+), l'équipe psycho-sociale elle-même se confronte aux parents, et cherche à obtenir la reconnaissance des faits et à stimuler le désir de fonctionner « plus humainement à l'avenir » Si l'adhésion de la famille se vérifie stablement elle applique le traitement déjà décrit.

Si la famille fonctionne d'emblée ou se replie dans la catégorie C- P+, l'équipe fait appel aux autorités judiciaires (10) (répressives ou/et centrées sur le Tribunal des mineurs) et s'efforce de constituer avec elles une véritable coopération.

 

Par la suite, la répartition du travail entre les deux Instances sera variable, chacune ayant ses priorités. Il est probable cependant que, dans le cadre de l'aide contrainte, des intervenants psycho-sociaux resteront chargés d'entretiens de paroles avec tel ou tel membre de la famille, voire son entièreté : si les résistances opposées à ces tentatives de dialogue sont intenses, on parlera de denial work [4]. Dans d'autres cas, la confiance finit par s'installer et de vraies demandes d'aide peuvent surgir.

Il arrive enfin que l'équipe acquière l'intime conviction que, si elle était interpellée, la famille en question fonctionnerait dans la catégorie C- P-, et même que la situation de l'enfant s'aggraverait. Dans ce contexte, il est d'ailleurs fréquent que celui-ci demande à se soulager en parlant, mais supplie qu' « on ne fasse rien »

Face au cruel dilemme éthique qu'elles éprouvent alors, certaines équipes recourent quand même au signalement judiciaire : toutefois, si leur spéculation avait été fondée, les résultats sont bien plus souvent stériles que positifs. D'autres optent pour un « non-interventionnisme actif » [6]  : différemment de la confrontation à la famille ; contact maintenu avec le mineur, voire avec l'un ou l'autre membre du réseau social de la famille; recherche patiente d'une éventuelle porte de sortie ...



5.3.2. Suspicions ou certitudes d'inceste référées par un parent-témoin 



A côté des parents fiables dont nous ne parlerons pas, nous distinguons :

- Certains parents qui vivent une « signification dramatisée » [6]  ; parents globalement honnêtes, mais anxieux et suggestibles qui donnent une interprétation excessive à certaines attitudes de leur partenaire.

- D'autres, surtout dans les situations de conflits graves liés à la séparation, qui apparaissent s'être emparés du corps et/ou du discours de l'enfant. Ils sont amoraux, au moins dans ce champ ou/et porteurs de problèmes émotionnels variés, et bien souvent sous l'emprise des membres de leur famille d'origine.

Quoiqu'il en soit, dans la démarche évaluative, mieux vaut s'abstenir d'un premier entretien réunissant ce parent témoin et l'enfant. L'équipe rencontre d'abord celui-là séparément et explore sa fiabilité. Puis, selon le degré d'intensité de sa conviction, elle rencontre l'enfant dans la perspective de recueillir une parole qui lui soit personnelle. Ce qui s'en suit est variable pour peu que la conviction de l'équipe gagne en intensité, la suite de la prise en charge devient similaire à ce qui est décrit dans le paragraphe précédent. Dans les cas inverses, on n'abandonne pas pour autant l'enfant victime d'un excès d'emprise, et on associe souvent l'autre parent, suspecté à tort, au processus d'aide.



5.4. Le traitement en cas de pédophilie. 



Le traitement de l'enfant abusé dans ce contexte et de sa famille s'inspirent fort de ce qui a déjà été esquissé. En outre, il faut examiner si des traits plus structuraux de carence affective, de désir de transgression, voire de perversion, n'existent pas chez cet enfant et n'appellent pas un traitement spécifique.

Le traitement spécifique du pédophile présente de nombreuses difficultés, surtout lorsque son comportement est chronicisé. D'abord, en cas de pédophilie, l'immense majorité des équipes psycho-sociales signale la situation aux autorités judiciaires répressives. Si celles-ci estiment les faits fondés, une partie du traitement a donc lieu en prison, puis est susceptible de rester sous contrôle judiciaire après libération. Veillons alors à ne pas appeler trop vite « psychothérapies » les éventuels entretiens de nature psychologique qui ont lieu dans de telles conditions, à ne pas les présenter comme des gages de libération : nous prônons un large clivage du travail psycho-social et de la démarche propre des autorités judiciaires, tout en espérant que celles-ci facilitent la mise en place de celui-là.

Quant à ce travail, sa possible réussite est inversement proportionnelle à l'intensité du noyau structural pervers ou/et de la dynamique d'assuétude du pédophile : dans les cas peu ou moyennement graves, il faudra souvent combiner psychothérapies (ou entretiens!) d'introspection et d'autres d'inspiration cognitivo-behavioriste, et, si possible, constituer un petit groupe de vigilance continuée dans l'entourage du pédophile.

Pour les cas les plus graves, hélas et actuellement nous devons faire un pronostic d'incurabilité, et donc les garder écartés de la société, ou assortir leur éventuelle libération d'un contrôle social très strict de leurs fréquentations voire de l'acceptation par eux d'une médicamentation anti-androgénique ...

Enfin, si le pédophile fait l'objet d'un non- lieu de la part des autorités judiciaires, voire s'il échappe à toutes poursuites, assez rares sont ceux qui, torturés de l'intérieur, s'adressent spontanément à un thérapeute : à celui-ci, alors, à faire preuve de déontologie - il ne peut pas s'engager au secret professionnel absolu ! - et de modestie : redisons une fois encore que la combinaison de plusieurs sources d'inspiration psychothérapeutique est souvent la seule voie vraiment payante.



5.5. « Simples » suspicions émanant de professionnels de première ligne. (11)



Soit un comportement suspect (signes de stress post-traumatique ; moments de dysrégulation sexuelle) remarqué par l'instituteur de l'enfant. Les institutions socio thérapeutiques spécialisées recommandent alors souvent que :

- L'adulte-témoin fasse preuve d'une grande discrétion (ne pas effaroucher l'enfant ; ne pas convoquer intempestivement le parent témoin; ne rien ébruiter), qu'il fasse vite part de ses suspicions à une équipe psycho-sociale spécialisée et qu'il se constitue alors un petit groupe d'évaluation.

- Celui-ci peut prendre des dispositions pour approcher et « apprivoiser » l'enfant : observation plus fine et entretiens qui, à travers des histoires racontées ou plus directement, évoquent progressivement la possibilité de l'abus et des craintes et résistances probablement éprouvées à l'idée de le révéler ... et encouragent l'enfant à être vrai.

- Le groupe d'évaluation peut également interpeller, toujours discrètement, d'autres témoins de la vie de l'enfant et de sa famille et partager ses préoccupations avec eux. Dans certains cas, il peut décider d'y inclure le parent estimé non-abuseur.

- Selon que cette collecte d'informations progresse vers une révélation claire et fiable, le maintien de la suspicion, ou la diminution ou la disparition de celle-ci, le groupe peut se constituer un chronogramme qui planifie son action : appel ou non aux autorités judiciaires, confrontation ou non à la famille, maintien ou non d'un contact avec le mineur (tels sont les trois grands axes, non organiquement liés les uns aux autres, au long desquels il lui faudra s’organiser)



6. En guise de conclusion : impasses et effets pervers possibles 

 

- D'abord, on peut s'interroger sur l'énorme intérêt contemporain de tous pour l'abus sexuel sur mineurs d'âge. Les motivations officielles à y faire face, c'est-à-dire à combattre un mal particulièrement injuste, ne sauraient tout expliquer, pas plus que des considérations superficielles sur le sensationnalisme des média, le voyeurisme des masses ou l'activisme démonstratif des politiciens.

On doit également s'interroger sur l'Inconscient collectif, et le retour d'un Sur-Moi répressif sélectif, après deux ou trois décennies de libéralisme sexuel tous azimuts. On doit penser aussi aux intérêts commerciaux en jeu, dirigés vers des cibles que, sur d'autres continents, on nomme des survivors, perpétuels consommateurs de soins. Enfin, l'on peut se demander si cette focalisation sur une des misères spécifiques de l'enfant ne cache pas tout ce que, par ailleurs, on ne fait toujours pas pour lui ; symétriquement, la désignation d'un bouc-émissaire de choix, le pédophile, empêche de penser à bien d'autres sources d'insatisfactions sociales !

- Ensuite, on peut mettre en question une présentation fréquente de l'abus sexuel comme un drame limité à deux acteurs : d'une part, un agent adulte, sorte de « monstre » à qui la société ne parle plus, et dont elle veut oublier l'ambivalence, la culpabilité et la part de richesses humaines qu'il porte souvent avec soi ... d'autre part, un enfant, toujours pure victime et destiné à rester traumatisé à vie ! Or, même si tous les enfants doivent être éduqués et ne peuvent jamais porter la responsabilité principale de l'abus, tous ne sont pas de pures victimes! Par ailleurs, beaucoup cicatrisent leurs plaies, surtout s'ils sont écoutés et efficacement aidés.

En outre, dans cette présentation dyadique, on veut oublier la coresponsabilité fréquente d'un entourage indifférent ou enclin à la politique de l'autruche. Comme on veut oublier que les institutions judiciaires ou/et psycho-sociales sont assez souvent à l'origine d'une « victimisation secondaire » parfois plus cruelle que les dégâts de l'abus [9 ]

- Enfin, nos sociétés ont misé sur la remédiation à l'abus par la mise en place d'institutions « lourdes » Qu'elles soient judiciaires ou psycho-sociales, nous nous confrontons toutefois à la pauvreté de leurs moyens quantitatifs, qui les condamnent à ne gérer que le « sommet de l'iceberg » Bien que nos propositions laissent provisoirement en suspens de très délicates questions d'appréciation des critères, n'est-il pas temps de revoir notre politique, en ne destinant à une prise en charge centrale par les institutions spécialisées que les cas les plus graves ou/et les plus récidivants? Quant aux autres, bien plus nombreux, il faudrait les laisser aux mains d'institutions plus légères, plus directement accessibles, formées et soutenues par les institutions spécialisées; et il faudrait relancer la solidarité sociale pour que, en réseau, davantage de soutien émane des milieux de vie eux-mêmes.

 

NOTES

 

1). Rappelons-nous cependant que la majorité des activités sexuelles entre mineurs ne participent pas de l'abus ( jeux sexuels, d'initiation, passions amoureuses, ...)

(2). Père ou tenant-lieu de père ; oncle ; grand-père et, plus rarement, leurs équivalents au féminin. A noter que l'inceste dans la fratrie - fréquent - pose de multiples problèmes d'interprétation, que nous ne pourrons pas développer par manque de place : parfois proche d'un inceste parental - vu le statut de l'agent le plus actif -, parfois proche d'une sexualité pédophilique brutale, parfois jeu sexuel - ou/et amoureux - librement et bilatéralement consenti.


(3). Il existe cependant des exceptions à la baisse à cette ambiance émotionnelle tendue : les très jeunes enfants qui ont été confrontés à des expériences sexuelles sur un mode ludique, des enfants plus âgés qui peuvent se montrer maîtres d'eux et capables d'une communication affectivement neutre et détaillée. Il en existe aussi, plus rarement, à la hausse, chez de très jeunes enfants violentés et qui se seraient sentis menacés de destruction totale.


(4). D. Vrignaud, Substitut Général près la Cour d'Appel d'Amiens.


(5). Soyons réalistes : peu de cas poursuivis sont vraiment sanctionnés, et l'enfant se trouve souvent renvoyé à l'horreur de l'abus, avec le sentiment d'inutilité de sa seule parole; quand sanction pénale il y a, elle est parfois très - trop ? - lourde, et le sort psychologique ultérieur des protagonistes n'est pas assez pris en compte ; certaines interrogations et/ou confrontations en Justice sont parfois traumatisantes pour l'enfant ; il n'y a pas assez de coopération entre autorités répressives, Tribunaux pour mineurs et équipes psychosociales, etc.


(6). Lorsque ce sera le cas, nous indiquerons par les abréviations (E-R) une intervention et/ou un objectif qui peut être commun aux équipes psycho-sociales et aux autorités répressives. Les abréviations (E-M) désignent ce qui est commun aux équipes psycho-sociales et aux Tribunaux pour mineurs. Enfin, les abréviations (E-R-M) font référence à ce qui est commun aux équipes psycho-sociales et au monde judiciaire.


(7). L'abuseur pédophile pourrait également en bénéficier dans son propre environnement.


(8). A son sujet, le modèle décrit par J. Frenken nous semble un excellent paradigme [3] 

(9). Dans notre contexte, nous supposons que des programmes d'informations et de prévention ont sensibilisé les intervenants de première ligne ( instituteurs, médecins généralistes, ...) à tenir de telles positions ; ils les ont aussi invités à rester actifs, ou à tout le moins vigilants, dans la suite du processus.


(10). Elle ne le signale cependant pas dans la précipitation, mais après avoir constitué une solide documentation ( entretiens de révélation ) qui, au fond, est de nature à faciliter la tâche des autorités judiciaires. Celles-ci, inévitablement, doivent procéder à des vérifications spécifiques, entre autres des dires de l'enfant, mais pourraient le faire sans multiplier indéfiniment les interrogatoires, et en permettant que l'enfant soit accompagné du confident de son choix.


(11). Les tenants du modèle judiciaire signalent parfois leur simple suspicion, ce qui, par la suite, introduit inévitablement davantage de violence faite à l'enfant pour obtenir, peut-être, sa part de révélation.


Bibliographie 



[1]. BARUDY J.,
La douleur invisible de l'enfant, 
Erès, 1997, 219-239.

[2]. BLOT M.,
La fonction répressive dans le traitement judiciaire des abus sexuels intrafamiliaux, 
in Gabel M., Lebovici S., Mazet P., éd. Le traumatisme de l'inceste, Paris, PUF, 1997, 177-188.

[3]. FRENKEN J.,
Treatment of incest perpetrators : a five-phase model, 
Child abuse and neglect, 1994, 18-4, 357-366.

[4]. FURNISS T.,
The multi-professionnal handbook of child sexual abuse, 
London, Routledge, 1993, 278-315.

[5]. HAESEVOETS Y.-H.,
L'enfant victime d'inceste, 
Bruxelles, De Boeck Université, 1997, 91-140.

[6]. HAYEZ J.-Y., de BECKER E.,
L'enfant victime d'abus sexuel et sa famille : évaluation et traitement, 
Paris, PUF, 1997, 244-253.

[7]. KEMPE H.,
Sexual abuse : another hidden pediatric problem, 
Pediatrics, 1978, 62, 382-392.

[8]. MARIAGE C.,
Guide de l'entretien avec l'enfant, Paris, dossiers du CNEF, Ministère de l'Intérieur, 1992.

[9]. MARNEFFE C.,
Les abus sexuels de l'enfant : prétexte à un retour de la répression sexuelle, Acta psychiat. belg., 1995, 358-368.

[10]. VAN GIJSEGHEM H.,
L'enfant mis à nu. L'allégation d'abus sexuel. La recherche de vérité, 
Montréal, Ed. du Méridien, 1992, 15-32 et 67-100.

 

 

 

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