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Gestion de la confidentialité et de la demande du secret dans les psychothérapies et les consultations psy

  Chapitre publié Secrets de famille, confidentialité et thérapies, 41-56 in Secrets et confidents au temps de l'adolescence ( sous la dir. de ) A. Braconnier, C. Chiland, M. Chaquot ), Ouvertures psy, Paris, Masson. 

Résumé: Nous parlerons de façon générale du respect de la confidentialité dans les psychothérapies et les autres consultations psy.  respect est très large dans les psychothérapies individuelles structurées comme telles et se gère avec souplesse vis-à-vis de la famille nucléaire dans les autres consultations du champ infanto-juvénile

Nous nous centrerons notamment sur les fois où soit le mineur, soit un ou les deux parents demandent explicitement qu’un secret soit gardé. Nous discuterons de ce qui se passe selon que le thérapeute adhère ou pas à leur demande, sans quasi-jamais leur faire la violence d'une révélation forcée. Seule l'imminence d'un danger grave légitime éventuellement celle-ci.

Summary: We will speak in a general way about the respect of confidentiality in psychotherapy and other psychology consultations. This respect is very broad in individual psychotherapy structured as such and is managed with flexibility with regard to the nuclear family in other consultations in the field of children and youth.
We will focus in particular on the times when either the minor or one or both parents explicitly request that a secret be kept. We will discuss what happens depending on whether the therapist agrees or not with their request, without almost ever doing them the violence of a forced disclosure. Only the imminence of a serious danger may legitimize this..  

I - Il existe deux catégories de situations thérapeutiques où il est essentiel que soit très largement garantie la confidentialité entre le thérapeute et son vis-à-vis

 confident smiling child

 

 Ce sont les psychothérapies individuelles d'adultes, qui ont été dénommées et convenues bilatéralement comme telles. Ce sont aussi les psychothérapies individuelles d'adolescents aux mêmes conditions.


Ici, la garantie de confidentialité, souvent explicitement évoquée en début de traitement et vécue comme telle par le client, est une condition importante pour qu'il se sente « chez soi » face au thérapeute et pour qu'il s'engage avec confiance : notamment pour beaucoup d'adolescents jeunes, constater que le thérapeute donne et tient sa parole peut les interpeller positivement, les engager à s’ouvrir de leurs vraies questions et les encourager à se donner le droit de se mettre des limites. Une sorte de « téléphone arabe » fonctionne entre eux et ils devinent qui sont les intervenants aptes à tenir leur langue et ceux qui se précipiteront vers le bavardage en équipe, les rapports écrits et autres signalements.

A.- Des rencontres avec les parents ont cependant le plus souvent lieu, en présence de l’ado en règle générale, mais c’est pour dire que la thérapie suit son cours et que je ne peux rien en dire. Il reste bien - des thèmes que les parents tiennent à aborder, avec régulièrement une petite pique pour me faire comprendre que l’ado ne va pas si bien que ça, qu’il est dur à vivre à la maison et qu’il me manipule peut-être ; mais au moins les parents ne se sentent pas délaissés.        


B - Garantir la confidentialité dans un module psychothérapeutique ne signifie pas que nous ne croyons pas à la valeur de la communication. Mais c'est au client de décider ce qu'il va communiquer ou non, et d'y procéder par ses propres moyens. Corollairement, son thérapeute individuel peut l’inviter à réfléchir en séance aux risques et à l'intérêt de communications bien ciblées, et éventuellement l’y encourager.

C - Ce respect n’a rien à voir avec une quelconque position d’approbation si pas de complicité par rapport aux transgressions que l’adolescent viendrait à raconter. Ceci aussi, il faut le lui faire comprendre : il vient travailler chez moi pour réfléchir, se sentir heureux de vivre et faire des choix judicieux. Ses transgressions font partie du développement, mais ce qu’il en raconte est objet de réflexion et pas de plaisir partagé !

D - Et si elles sont graves et destructrices, contre les Interdits fondamentaux, il nous faut signifier que c’est mal, lui demander d’y renoncer et travailler à ce qu’il y parvienne.

Ce travail en direction du renoncement aux transgressions graves, de même qu’aux comportements significativement dangereux, inclut-il que le thérapeute doive passer outre cette si précieuse confidentialité ? Certainement pas ipso facto ! Trois conditions doivent être réunies pour s’y résoudre, conjonction bien rare sur le terrain : 

---- Le thérapeute estime que le jeune est à l’origine d’un danger grave et rapproché, qu’il fait peser sur autrui ou sur soi par un comportement transgressif ou dangereux.
 Estimation faite la plupart du temps à partir d’un dialogue avec son jeune client ; plus in constamment, s’y ajoutent ou s’y substituent des préoccupations émises par des tiers ou le fruit des observations du thérapeute (par exemple perception d’une ambiance suicidaire, d’une forte culpabilité avec inhibition …) Il en fait part au jeune et essaie d’abord d’en parler avec lui, bien sûr ! 

---- La menace rapprochée d’un grand danger ne peut pas se réduire significativement à partir de la réflexion menée au cours de la thérapie.

 ---- Enfin, le thérapeute pense que les personnes ou les institutions qu’il alertera seront plus efficaces que lui et donc éloigneront la menace. Il ne s’agit pas de passer une patate chaude pour le seul plaisir de se mettre à l’abri.


E- Garantir très largement la confidentialité ne signifie pas donc pas s'emprisonner dans le silence. Corolairement aux transgressions graves,  il existe bien d’autres sources de danger grave où l’on peut raisonner de la même manière.   .

II - La majorité des activités des professionnels opérant dans le champ infanto-juvénile n'est cependant pas constituée par les deux modules précités :

 Ils opèrent bien plus souvent dans des consultations à visée diagnostique, des guidances parentales, des entretiens thérapeutiques relativement peu formalisés avec des enfants ou des adolescents, seuls ou avec des familles. Ils mènent également des thérapies familiales strictement identifiées comme telles, et des thérapies individuelles bien formalisées avec des enfants jeunes, jusqu'à l'entrée dans l'adolescence


Dans tous ces contextes, il nous paraît plus sage d'élargir les frontières de la confidentialité et de prévoir une large circulation d'informations dans la famille nucléaire , c'est-à-dire entre tous ceux qui sont liés par des liens affectifs naturels (ou d’alliance)  puissants, qui doivent vivre au quotidien les uns avec les autres et ont la responsabilité directe d’élever l’enfant.
Pourquoi raisonner ainsi ?

  secrets de soie 01

Secret de soie         

 A - Parce qu'il nous semble souvent enrichissant que, au sein de la famille nucléaire, chacun connaisse les grandes lignes de ce que vivent les autres à son propos : il peut alors s'expliquer, s'adapter, négocier ou changer en connaissance de cause. Dans ces structures où est censée régner une certaine sollicitude des uns pour les autres, il nous paraît même souhaitable que chacun connaisse les grandes lignes de ce que vit chaque autre en général ... autrement dit, que chacun identifie bien qui sont ses partenaires de vie et ce qui les meut : les interactions qui s'en suivent nous paraissent pouvoir être davantage respectueuses de tous, du moins dans la mesure où chaque protagoniste le veut.
Que l'on ne se méprenne cependant pas sur la portée de cette proposition : elle indique une tendance statistiquement intéressante. Il ne s'agit pas de l'appliquer systématiquement et à l'aveugle :


Par exemple, là où règne une profonde hostilité à l'égard d'un membre de la famille, il est souvent plus utile d'écouter celle-ci et ses raisons d'être, que de donner trop vite des infos sur le membre en question.

En outre, chaque membre de la famille peut s'y opposer s'il le trouve important, et le thérapeute garde un pouvoir d'appréciation quant à l'intérêt et au contenu de chaque retransmission.   


L'idée maîtresse, c'est que soient retransmises les grandes lignes de ce que chacun vit et pense et non le détail des expériences ou des fantasmes dont il a parlé au thérapeute ni le contenu précis de ses dessins et de ses jeux en séance. Un droit à l'intimité des contenus expérientiels demeure ... C'est seulement les grands mouvements intrapsychiques qui habitent chacun dont il est souvent structurant qu'ils soient connus par les autres.

B - L'attitude inverse serait que le thérapeute garantisse explicitement la confidentialité à chaque vis-à-vis individuel (du moins lorsqu'il est sorti de l'étape diagnostique inaugurale, et qu'il a prononcé le mot « traitement » ou « thérapie »       )
Certains le font sereinement, en référence à des valeurs (autour du droit à l'intimité, notamment face au soignant) et à leur conception de la thérapeutique : nous les respectons, mais je ne partage pas cette façon de penser.
Pour d'autres, et surtout lorsque c'est à l'enfant jeune qu'ils font cette promesse, il s'agit de la rationalisation de leur contre-transfert, peu reconnu comme tel : besoin de former une dyade protégée avec l'enfant ; besoin d'être le seul confident important ; rivalité avec les parents ou avec d'autres professionnels, etc. ...       
Pour notre part, nous sommes persuadé que la majorité des enfants jeunes       n'en demandent pas tant et sont même angoissés - si pas culpabilisés - par ce souhait  de silence émanant de l'adulte qui crée une situation artificielle : au fond, ce à quoi ils font confiance, c'est à la bienveillance et à la capacité soignante du thérapeute ( Boutte, 1996 ) ; certes, ils n'aimeraient pas que celui-ci les angoisse ou leur fasse honte en exposant sans nécessité leurs fantasmes et leurs anecdotes expérientielles ; de là à penser qu'ils lui interdisent de raconter les grandes lignes de ce qu'ils vivent et de ce qui les préoccupent, je ne le crois pas.   
Remarquons enfin qu'une fois qu'on a fait la promesse de confidentialité, il faut tenir sa parole, et que de ce fait on se sent souvent dans l'impasse : reste à tordre sa promesse, d'une manière ou d'une autre, pour que tel élément important soit quand même retransmis sans que cela en aie l'air.

C - Dans notre état d'esprit - assurer l'existence d'une retransmission familiale des vécus les plus importants - nous invitons les membres de la famille à l'aventure de la parole sans trop gloser autour de la confidentialité. En cours de route, nous les encourageons à se transmettre les uns aux autres ce « plus important » ou/et nous organisons des entretiens familiaux de « transmission facilitée », moments où ce sera eux - de préférence - ou nous - s'il le faut - qui procéderont à la retransmission. 

Les refus de retransmission      

 Néanmoins, la liberté humaine étant ce qu'elle est, tout ne se passe pas toujours ainsi : en cours de route, tant l'enfant ou l'adolescent que ses parents peuvent demander explicitement que restent secrètes certaines choses qu'ils viennent de dire.(ex, le statut d’adopté de l’enfant…le fait de fumer parfois du cannabis…)
Les raisons de leur refus sont très variées et gagnent d’abord à être bien comprises:          

 - Parfois, la demande de secret n'a que très peu à voir avec son contenu : c'est l'application d'une manière d'être habituelle vis-à-vis de l'autre, qui se répète à travers bien des signes ; par exemple, l'enfant est toujours vécu comme « trop petit pour » ( ici, pour savoir ) ... ou encore, l'enfant pense toujours que ce qu'il fait est mal et mérite d'énormes punitions.
 - Ou alors, ce à quoi la demande vise centralement, c'est d'avoir une alliance privilégiée avec le thérapeute et de faire emprise sur lui
 - Mais parfois aussi, c'est bien le contenu du secret qui est estimé destructeur s’il venait à être révélé, en référence à d'autres expériences déjà faites avec celui qui ne sait pas, ou en vertu d'une sorte d'idée a priori de sa vulnérabilité.  

De toutes ces raisons d'être du secret, mieux vaut nous imprégner d'abord, les goûter en quelque sorte, sans a priori, avec une bienveillance flottante, en leur donnant leur chance de nous convaincre ou non.

 A. si nous nous rallions au point de vue du demandeur, tout devient simple. Autant si c'est lui qui se rallie sincèrement au nôtre : tout au plus faudra-t-il parfois l'aider un peu pour bien passer le cap de la révélation.

B. Dans d'autres cas, nous vivons une profonde incertitude quant à l'intérêt du maintien ou de la levée du secret. Continuer à réfléchir avec les demandeurs de celui-ci - sans faire de cette centration un thème obsédant -, observer et écouter les exclus sans rien brusquer, discuter avec des collègues ... peut nous aider à faire le moins mauvais pari.       

Philippe ( treize ans ) est dysthymique de longue date, avec, tous les dix-huit mois environ, un épisode dépressif majeur. Sa relation avec sa mère est tendue ; l'on sent dans le chef de celle-ci une certaine ambivalence à l'égard de son fils, auquel elle semble préférer sa sœur cadette.
La maman est à nouveau enceinte « par surprise » ; elle hésite, réfléchit avec nous, décide de garder le bébé ... puis il y aura une fausse couche, dont elle mettra des mois à nous dire que c'était un avortement et à exprimer sa honte et sa culpabilité à ce propos , et à nous demander de garder le secret... Mais « C'était au-dessus de mes forces ... et puis, on a déjà tellement de difficultés avec Philippe ! Si le bébé allait être comme lui !»
Philippe ne sait rien de l'avortement ... Officiellement, sa mère a été très affectée par la fausse couche. Quelques mois après, en séance de thérapie, il dessine une maman-bateau qui attaque son petit bateau qu'elle n'aime pas, et l'envoie au fond de la mer ... De quel petit bateau s'agit-il ? Et que faire ?

 C. Restent alors toutes les fois où les détenteurs du secret veulent maintenir celui-ci contre notre avis, qui voit l’intérêt positif de la révélation ( p. ex ; beaucoup de secrets autour de la filiation). 


----- C.1 Dans la majorité de ces cas, nous gagnons à décider de mettre notre avis en suspens et d'accepter leur choix sans céder à l'impatience, ni au passage à l'acte ( Epelbaum, 1995 ) 

 Nous nous efforçons plutôt de maintenir le dialogue sur ce qui a rendu nécessaire l'édification et le maintien du secret ( G. Diatkine, 1984 )  
C'est qu'en effet le maintien et le maniement de celui-ci « signe » la relation entre le détenteur et les autres : pour celui-là gérer son style relationnel comme il l'entend est chose très importante ( Mairesse, 1988 ) Habituellement, il ne se justifie pas d'imposer de l'extérieur un changement important - réel et symbolique en l'occurrence - au mode relationnel voulu par le détenteur : il se sentirait dépossédé, non seulement de son secret, mais aussi de son droit à gérer sa vie, et les conséquences pourraient en être  négatives ( rupture de la relation thérapeutique, dépression, décompensation psychosomatique ...) 
  

---- C.2 Comment réagir alors si le thérapeute a l'impression que l'exclu « tourne autour du secret » dont la connaissance lui est officiellement interdite ?

Lorsque le secret est maintenu, le thérapeute qui se trouve face à l'exclu du secret est dans une position analogue à celui-ci ; l'exclu doit se construire face à un mystère qui lui fait de l'ombre, mais qu'il lui est interdit d'explorer clairement ; le thérapeute sait, mais ne peut rien dire de ce qu'il sait.       

Il doit garder le silence, s'il s'y est engagé, mais de façon non pesante, avec un léger clin d'œil bienveillant qui signifie : « Ton idée ( ou ta question ) n'est ni stupide, ni mauvaise ... mais je ne puis rien te dire en réponse »        
Si, sur cette base, l'exclu se hasarde à des hypothèses concrètes sur ce qui a pu se passer, on peut, sans prendre parti, échanger avec lui des idées générales sur les phénomènes humains qu'il met en jeu ( « Ça peut arriver que des adultes se suicident, etc. Quelles en sont les raisons et les conséquences possibles pour eux et pour leur famille ? ») Néanmoins, c'est plus souvent dans des productions imaginaires et symboliques que l'autre montre qu'il progresse dans son questionnement, et ceci, d'autant plus qu'il est plus jeune. Et on peut parfaitement l'y rejoindre aussi !

 

 Et ici, si l'on a la conviction que l'exclu connaît « presque » le secret, on peut en tenir informés les parents et les relancer. Lorsque le secret est éventé, ou révélé finalement par les parents, on peut encore parler avec le jeune des motivations qui poussaient ceux-ci à ce long silence et de ce qu'il en ressent. On peut également parler des raisons que le thérapeute a eu de garder le silence, lui, et des éventuelles conséquences sur la relation de confiance. 

 
 -----C.3 Il existe une exception impérative à ce choix d'alignement : il est impensable de maintenir un secret dont l'existence entraîne un danger grave pour autrui et dont on estime que la révélation l'atténuerait ou le supprimerait.      


-------C.4ne autre exception, rare elle aussi et plus discutable, est constituée par les secrets dont on a la conviction que le maintien conduit le processus thérapeutique à une impasse totale.(p.ex., une mère a confié sous le sceau du secret qu’elle a un amant, et les deux parents viennent en guidance…un enfant ne sait pas qu’il a été adopté…) On peut alors mettre fin à celui-ci en invoquant un prétexte secondaire, sans trahir le secret.  

Mais il faut y regarder à deux fois avant de prendre cette décision, qui consiste souvent à laisser l'enfant seul pour gérer son angoisse impuissante : rester présent à ses côtés, tout en signalant aux parents notre différence de point de vue avec leur choix, peut s'avérer moins désespérant pour l'enfant.

 

Discussion autour d’un cas fictif   dans une prise en charge familiale

 petit photographe

Des parents consultent à propos d'un adolescent dépressif et même suicidaire. Deux thérapeutes, A et B, les accueillent, essaient de comprendre ce qui est en jeu, puis conviennent d'une formule de travail souple : il y aura des séances de réflexion avec les parents et le jeune (ou avec toute la famille nucléaire) avec A + B; des séances monogénérationnelles pour les parents et A ; et d'autres pour l'adolescent et B. A et B conviennent aussi de se concerter régulièrement, totalement (secret partagé) (8) , entre autres pour planifier chaque fois l'organisation des quelques séances suivantes.


I - Les objectifs et les conditions du travail ont été présentés à tous de façon légère et claire. Pas de discours pesant et menaçant, mais quelques mots simples : « Il est important de se parler ... ( pour l'adolescent ) : de mieux comprendre ce qui se passe en toi ... ( pour les parents ) : de mieux comprendre ce qui se vit face à lui et comment bien l'accompagner ... il y aura des rencontres communes et d'autres séparées ... celles-ci serviront aussi à préparer ce qu'on dira aux autres ( c'est-à-dire à ceux qui en sont absents ) ; on essaiera de leur retransmettre un résumé de ce que l'on vit vraiment. »
A présenter les choses de la sorte, implicitement, la confidentialité protège la famille nucléaire, mais n'isole pas chaque individu dans une bulle artificielle au sein de celle-ci. A noter que, dans la formule thérapeutique choisie, nous ne considérons pas que l'adolescent soit inscrit dans une thérapie individuelle bien formalisée  : la confidentialité des entretiens avec lui n'est donc pas une obligation par rapport au reste de la famille nucléaire.
De là à dire que B ne tiendra pas compte de l'intérêt d'une intimité et d'une habituation de cet adolescent au respect de son intimité, il y a un pas à ne pas franchir ...        


Il nous semble possible de proposer tout cela simplement et sereinement, comme condition implicite d'un mieux-être, et dans le cadre d'une espérance qu'on a sur celui-ci. On peut permettre aux parents et à l'adolescent de réagir brièvement à la proposition, mais sans les angoisser inutilement. Et puis, on gagne à continuer sans tarder l'aventure de la parole déjà amorcée les premières séances.    

Il - Imaginons alors que les parents aient un secret - par exemple, le grand-père paternel s'est suicidé, et l'adolescent n'est pas sans évoquer le caractère de son aïeul -, et penchons-nous sur le travail accompli par le thérapeute A et ces parents, en séances monogénérationnelles.

A - Une première éventualité est que les parents ne fassent pas part spontanément de leur secret, mais que son existence infiltre tant leur manière d'être spontanée que leurs discours : aspects dépressifs inexpliqués ; faux-fuyants ; inhibitions, refus ou rationalisations d'évitement au moment de certaines évocations, etc.
Un thérapeute expérimenté peut avoir la puce à l'oreille, c'est-à-dire pressentir qu'un non-dit lourd les habite et qu'ils n'osent pas l'aborder.
Selon ce qu'il ressent de ses vis-à-vis, et selon son tempérament et ses habitudes de travail propres, ce thérapeute peut attendre ou poser l'une ou l'autre intervention plus active destinées à faciliter l'évocation redoutée.
Au rang de ces dernières, certains abordent carrément la question : « J'ai l'impression que quelque chose vous pèse, et que vous ne vous permettez pas de le dire » D'autres sont plus allusifs, et évoquent les raisons d'être des résistances (« Parfois, on n'aime pas aborder certains thèmes : on a peur d'avoir honte, ou d'apporter de la destruction dans sa famille, ou de ne pas être loyal ...  ») Il peut être utile, ensuite, d'esquisser une information sur ce qui se passerait après évocation : voir se dégonfler des fantasmes inquiétants; trouver de meilleures solutions ; conserver l'estime du thérapeute ; voir plus clair dans ses sentiments par rapport à certains, etc. ...

B - L'étape suivante peut donc être que les parents révèlent le secret qu'ils détiennent avec gène et angoisse, et ajoutent immédiatement « C'est un grand secret ... »
Dans d'autres cas, la révélation est spontanée, soit parce que les parents n'en pouvaient plus, soit parce qu'ils veulent tout de suite contrôler le thérapeute en en faisant un allié dans la connaissance ... et le maintien du secret.
Quoiqu'il en soit, il est hautement souhaitable que le thérapeute conserve sa sérénité par rapport à cette nouvelle étape de sa relation aux parents.
Sérénité quant au contenu du secret : N'a-t-il pas choisi sa profession, in fine, pour soulager les autres de leurs malheurs moraux ? L'évocation d'un de ceux-ci, quel qu’horrible qu'il paraisse, ne devrait-elle pas être vécue comme le prélude à un travail de libération de ce qui enchaînait ?
Sérénité aussi quant à la dynamique nouvelle qui vient de s'installer : au-delà de ce que lui indiquerait parfois un fantasme anxieux archaïque, le thérapeute n'est pas prisonnier de ce qui vient de se passer : il a à réfléchir, comme il se doit, et de préférence en compagnie de celui qui vient de révéler ; et puis, il garde intact son pouvoir de décision. Même si, de facto, il décidera souvent de s'aligner sur les souhaits du détenteur du secret.
S'il conserve sa sérénité, le thérapeute n'entendra probablement pas monter en lui quasi-immédiatement et impérativement l'idée : « Il faut que le jeune  le sache » Lorsqu'elle est très urgente, cette idée est probablement la rationalisation de vécus contre-transférentiels variés (autour de la rage à se sentir exclu, par exemple ... ou autour du refus de se sentir possédé)        

 - Qu'est-ce que ça représente, pour eux, de connaître ce qu'ils connaissent ?  Est-ce que ça a changé quelque chose en eux ? Dans leur manière de voir le monde ? Et dans ce qu'ils vivent par rapport aux protagonistes de l'expérience au cœur du secret ? Etc. ... 
 - Qu'est-ce que ça représente, pour eux, de le garder secret ? (Par rapport à leurs enfants, au monde extérieur, etc.)   
Leur silence se fonde-t-il plutôt sur un a priori (des angoisses; une conception personnelle des frontières intergénérationnelles ou des valeurs en éducation) ou sur une observation de l'enfant, de sa sensibilité et de ses réactions face à certains types d'information ... 
 - (Et surtout dans la mesure où il y a eu révélation spontanée) Comment se sentent-ils juste après avoir fait part du secret ? Qu'est-ce que ça représente de l'avoir dit à leur thérapeute ? Qu'attendraient-ils de lui, si tout se passait exactement comme ils le souhaitaient, etc. ?

Lorsqu'ils encouragent ces déploiements, peu de thérapeutes restent cantonnés à une stricte position d'écoute. Beaucoup partagent des idées personnelles (informations, suggestions ...) en écho à ce qu'ils sont occupés à entendre.    
Certaines de ces idées restent centrées sur le vécu propre des parents. Par exemple, le thérapeute peut échanger avec eux autour de l'inéluctabilité des fautes dans nos vies humaines : ceux qui en commettent se réduisent-ils à celles-ci ? Y-a-t-il possibilité de pardon ? Y-a-t-il héritage et dette pour les générations suivantes ? Comment se répare-t-on ? Sur quoi la société devrait-elle fonder son estime pour une famille ? Etc. ... Il peut échanger aussi autour de la dépression, de la maladie mentale, du suicide et de ce qu'il induit chez les survivants, etc. ... D'autres idées échangées peuvent concerner la communication du secret ou son maintien.   
A l'instar de celle des parents, ces idées des thérapeutes sont susceptibles de s'appuyer sur des a priori ( par exemple autour de la valeur de la communication ) ; elles peuvent également se fonder sur des phénomènes observés et prudemment interprétés : par exemple, des comportements de l'adolescent exclu semblent évoquer l'angoisse face au mystère ; il fait des allusions verbales plus ou moins claires, etc. ...        

D - A échanger de la sorte sereinement et sans précipitation, il peut s'en suivre plusieurs issues :    

1. Nous pouvons finir par penser qu'il n'est pas important que l'enfant apprenne certains secrets de la bouche de ses parents, voire qu'il vaut mieux qu'ils se taisent, parce qu'ils exercent alors leur droit à l'intimité ; dans le même ordre d'idées, il est parfois préférable que l'enfant en conquière la connaissance par ses propres forces ( par exemple, particularités de la généalogie, sans tabous « mortels » qui pèsent sur certaines d'entre elles ) : vouloir tout dire à l'enfant - par exemple vouloir le gaver d'informations sexuelles - procède parfois d'un désir de maternage tout-puissant !
2. Dans d'autres cas, nous vivons une profonde incertitude quant à l'intérêt du maintien ou de la levée du secret. Continuer à réfléchir avec les parents - sans faire de cette centration un thème obsédant -, observer et écouter l'enfant sans rien brusquer, discuter avec des collègues ... peuvent nous aider à faire le moins mauvais pari. (Cft supra la vignette clinique de Philippe)

  1. Ailleurs, les échanges avec les parents les convainquent de lever le secret. Encore faut-il :

    * Ne pas se précipiter et vérifier que leur motivation est bien devenue personnelle (pas par conformisme et pour nous faire plaisir !)
    * Parfois, aller jusqu'à préparer le moment de la révélation (par exemple via jeu de rôles), voire y assister et fonctionner comme facilitateur.
    * Reparler par la suite de ce qui s'est vécu autour de la révélation : à propos du contenu du secret, à propos du silence longtemps gardé, etc. ... Aider à dissiper les malentendus résiduaires ... y procéder avec l'enfant et les parents, ensemble ou séparément.

    4. Restent alors les fois, majoritaires, où les parents veulent maintenir le secret contre notre avis, avec des motivations variées et variablement mobilisables (peur, conviction profonde, honte rémanente, etc.). Nous avons déjà parlé précédemment de la conduite à tenir alors :
     Lorsque le secret est maintenu, le thérapeute qui se trouve face à l'exclu du secret est dans une position analogue à celui-ci ! 

 

 Partage de confidences ou/et d'un savoir entre un thérapeute et les professionnels non thérapeutes en place pour gérer la même situation

Il s'agit ici de la collaboration du thérapeute avec les enseignants, les travailleurs sociaux, voire les médecins traitants.   

A. Ici, le thérapeute est partagé entre un devoir de discrétion et de protection de l'intimité de ses clients , et le souci que ceux-ci soient bien compris et pris en charge dans le réseau qui les accompagne; ce souci peut parfois lui donner envie de parler d'eux, comme il croit les percevoir.
D'autant plus que si ses collègues non thérapeutes se réfèrent trop strictement à une « modélisation institutionnelle », la créativité de tout risque d'en prendre un coup : enfants et familles trop étiquetés et accompagnés de façon mécanique et immuable        .

B. Il est donc souvent utile d'encourager le client à s'exprimer lui-même par ses propres forces dans le réseau, quitte à organiser des tables rondes qui facilitent ces moments d'expression    .

C. Complémentairement, si le thérapeute se sent lui-même invité de l'intérieur à « dire quelque chose » du client aux autres intervenants, il peut s'aligner alors sur l'idée des « grandes lignes » et sur les procédures exposées dans le paragraphe I.

Néanmoins, ici, il est essentiel d'en discuter préalablement et explicitement avec ledit client, quel que soit son âge. Il donne son accord ou non, et l'on peut raisonner alors comme dans le paragraphe I ; en cas d'accord, notamment, il faut vraiment s'en tenir aux « grandes lignes » On veillera également à parler avec humilité, en évoquant des hypothèses que l'on échafaude, la possibilité de faire erreur ... plutôt qu'en amenant triomphalement des certitudes !       

D. Si règne cette ambiance de discrétion, il convient de prévenir l'installation de sentiments d'exclusion ou d'infériorité chez l'intervenant qui ne serait pas mis dans ( la totalité de ) la confidence.

C'est souvent un « état d'esprit d'équipe » qui maintient la confiance des individus : reconnaissance de la place de chacun et de la compétence de ses fonctions ; existence de moments de rencontre et d'échanges en cours de travail, où chaque parole est prise au sérieux et sert à toute la communauté, etc.        

. Partage du savoir entre co-thérapeutes    

La majorité des auteurs plaide pour qu'existe un « secret partagé » qui permet une meilleure connaissance du malade et de son entourage, et donc des soins plus judicieux et plus coordonnés ( Olivarès, 1992 )

On n'est pas pour autant obligatoirement dans le monde du tout par rapport au rien. En voici l'un ou l'autre exemple :  

A - souvent, la règle est : « Nous sommes susceptibles de tout nous dire entre thérapeutes », mais, de facto , c'est le temps dont on dispose et le jeu des associations libres, qui modulent la quantité des retransmissions. Quand on a adopté cette règle du secret partagé, il est hors de question d'accepter en cours de route une demande de confidence dont serait exclu le collègue Si ces demandes se présentent, il s'agit de les entendre, d'en chercher le sens, et de dire sereinement pourquoi elles sont inacceptables, quitte à annoncer que la persistance dans l'exigence contraire entraînerait la fin de la prise en charge ;

 

Françoise Dolto : que pensent nos grands maîtres de la légèreté avec laquelle, parfois, nous sortons de la confidentialité ?
B - néanmoins, le fait que deux thérapeutes se communiquent tout, alors qu'ils travaillent tantôt en entretiens scindés, tantôt en entretiens conjoints, ne signifie pas qu'ils vont ipso facto tout rapporter en entretien commun. Ils ne le font que s'ils le trouvent judicieux, en tout ou en partie.

C- Une attitude inverse et convenue à l'avance peut parfois s'avérer structurante : c'est surtout le cas dans des thérapies d'adolescents et de leurs familles, où les thérapeutes des uns et des autres sont différents et où se succèdent des moments scindés et des moments de mise en commun : alors on peut concevoir que les thérapeutes respectifs choisissent de ne rien se dire en l'absence de leurs clients - hormis situation de danger. S'il en est ainsi, les moments de mise en commun sont vraiment des moments de construction d'un savoir commun, pour toutes les personnes présentes, à partir du dialogue « hic et nunc » 

BIBLIOGRAPHIE

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