3.2.1 Enfants&ados "normaux" ou préoccupants; fonctionnements psychiques

Articles qui décrivent des aspects normaux ou préoccupants  du "fonctionnement psychique" des enfants et des adolescents . Description de quelque situations familiales ou sociales difficiles pour eux. 

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ARTICLES PLUS ANCIENS : Ils faisaient partie de mon enseignement universitaire jusqu'en 2007-2008 ;leur aspect est parfois un peu vintage mais j'assume toujours l'essentiel des descriptions qui y sont faites:  Anorexie mentale de l'adolescent ; Carence affective (ou trouble de l'attachement) / Causes et signes ;  Carence affective (ou trouble de l'attachement)/ Les soins; restaurer la confiance de base) Crise d'adolescence "normale" ;  Enfant de 0 à 6 ans: développementy affectif ;  Imag ination de l'enfant ;Névrose ou troubles névrotiques chez l'enfant et le préadolescent (lire note 1) ; Psychoses de l' adolescent ; Psychoses de l' enfant et du préadolescent 

Note 1: Les anglo-saxons ont voulu faire disparaître le concept et le terme "Névrose", de la nomenclature..pourtant, des conflits intra-psychiques insolubles continuent à habiter l'enfant, avec leur cortège de refoulement, de mécanismes de défenses et de symptômes invalidants... Modéliser la névrose permet de planifier un traitement adapté....

 

Ados, angoisses et covid; études de cas d'un ado stressé et d'une ado porteuse d'angoisses de mort 

 

Quand nous pensons « adolescents », nous nous focalisons trop sur ces jeunes bruyants, trublions, transgresseurs, en marge de la société. Cette population fait les choux gras de la littérature et des médias ; en ce temps de pandémie, les plus âgés d’entre eux, unis aux jeunes adultes, se conduisent parfois de façon provocante voire antisociale. S’en suit la tentation commode de considérer tous les jeunes comme des vauriens !
Ce sous-groupe « fascinant » est pourtant bien minoritaire. La majorité silencieuse passe le cap de l’adolescence sans trop de remous, avec une petite crise par-ci par-là. Et existe aussi le sous- groupe inverse des ados mal dans leur peau, sans bonne estime de soi, dépressifs ou/et anxieux : ils vont faire l’objet de deux vignettes cliniques. 

Henri, perpétuellement stressé.  

 


I. Présentation générale.    

 

Henri (16ans et demi) me consulte depuis 2ans et demi, à raison en moyenne d’une séance tous les 15jours. Pour parler simplement, c’est un éternel stressé, qui prévoit le malheur, l’échec, l’agression ou la disqualification de sa personne en référence à mille broutilles de la vie quotidienne. Évidemment, de loin en loin, ses raisons de se sentir anxieux sont davantage objectives : par exemple, après une année de travail avec moi, il a fallu le réorienter vers des études plus accessibles, parce que la matière scolaire de l’époque excédait ses capacités intellectuelles, d’où cauchemars , ruminations sans fin lors de l’endormissement, maux de ventre et autres malaises à l’école. Il en a été tenu compte en le réorientant.

         
En 45 ans de carrière, j’ai rencontré une cinquantaine de ces enfants et adolescents des deux sexes qui relevaient tout-à-fait de l’appellation  « stressés » -en l’occurrence, grands et perpétuels stressés- même si elle paraît manquer de scientificité (1). En me référant à  une esquisse sur la genèse de l’angoisse, je suis persuadé que l’équipement psycho-physiologique résultant du génome joue ici un rôle important : les zones et circuits cérébraux générant l’angoisse sont très développés chez ces jeunes stressés.
 Quant aux facteurs socio-familiaux défavorables,  au moins un parent est souvent lui-même « un stressé », qui transmet un héritage génétique et éducationnel inextricablement mélangé !

Pour ce qui est de la résurgence de ce que j’ai appelé des « scories » de traumatismes anciens ou de conflits intrapsychiques, c’est plus inconstant.

 Ici Henri, enfant unique, vit en famille monoparentale. Le père a déserté le foyer avant l'accouchementvie. Henri a l’air de s’en accommoder mais n’a hérité de ce côté-là d’aucune force masculine ! La maman est une personne douce, effacée, sans beaucoup de contacts sociaux. Elle prétend néanmoins être moins anxieuse que son fils, et tous les deux se sentent bien – disons le moins mal en ce qui concerne Henri- dans leur cocon familial. Henri a quelques amis, avec qui il sort de temps en temps ; il est même vaguement amoureux d’une fille « déjà prise ». Mais il préfère rester à la maison, aimant dessiner et élever de tout petits animaux e en terrarium ou en aquarium : crabes, hippocampes et autres phasmes ou blattes du Vietnam.

II.Les ravages du corona.

A peine améliorées ses préoccupations scolaires, voici Henri confronté à l’ interminable saga du corona ! Les messages sociaux à son propos ont été et sont encore fluctuants, riches en contradictions. Toile de fond: les médias avec leur compulsion au sensationnel dramatique. Les enfants et les jeunes y ont été positionnés en tous sens : asymptomatiques ou peu malades...non-contagieux ou pouvant apporter la mort... irresponsables avec leurs fêtes qui colportent le virus un peu partout. A l’école, les ado belges doivent porter le masque en classe et dans les bâtiments, mais pas nécessairement entre eux, en récréation. Bref, de quoi faire « flipper grave » un stressé, qui ne peut se raccrocher à rien de sûr pour organiser stablement sa défense.

 Et c’est bien ce qui s’est passé chez Henri: dès février 2020, il va à la pêche aux informations noires, rumine beaucoup et prévoit un avenir dramatique pour lui et son entourage. Très vite, il me confie « Je n’en peux plus... je commence à désespérer ». Il tient vaille que vaille à l’école jusqu’au confinement du printemps 2020, en évitant largement le contact avec les autres, et en inspectant obsessionnellement des indices de maladie, sur lui et sur sa maman. Le confinement l’arrange, en quelque sorte, en tant que technique d’évitement, mais il continue à ruminer. : « En plus, il y a d’autres maladies qui viennent de Chine, comme la peste bubonique, et puis quoi encore ». Certains de ses petits animaux meurent, n’est-ce pas le virus ? «  Mes crabes sont morts dès que je les ai mis à l’eau. Vous êtes sûr que le virus ne peut pas être dedans ? » . La perspective d’une rentrée scolaire en mai (2) fait encore monter son angoisse : « Je stresse beaucoup...j’aimerais tellement avoir une rentrée normale... Je croyais que le vaccin serait pour novembre...  J’ai beaucoup peur pour ma maman ».

III. La psychothérapie de Henri

A. L’accompagnement : Organisation et principes généraux.

         
Henri habite à 100 km de ma consultation. Il bénéficie donc, de façon bien organisée, de deux vidéo - séances par mois, et d’ une séance en présentielle tous les 3-4 mois. En outre, de façon spontanée, il m’envoie approximativement un courriel hebdomadaire dont le contenu est très diversifié ( de ses montées impromptues d’angoisse à ses derniers résultats scolaires, à ses va et vient amoureux, jusqu’à des photos de ses petits animaux). Et je lui fais toujours une réponse rapide, souvent brève, selon la bonne tradition d’Internet.

    . 
1. S’agissant d’ un mineur, on gagne à coupler un travail familial ( ou/et scolaire) avec le travail individuel. Au début, j’ai donc reçu quelques fois la maman , avec ou sans Henri, mais je me suis rapidement limité à lui signaler ma disponibilité, sans plus : j’avais en effet face à moi une personne tranquille, modeste, pas bien riche mais contente de son sort et de son fils. Mis à part qu’elle ne constituait pas vraiment un modèle de force et d’extraversion, elle ne débitait pas non plus de mises en garde inutilement anxiogènes, et elle ne s’opposait pas à la créativité ni aux moments d’affirmation de soi de Henri.

2. Henri n’a reçu aucune médication de soutien (4) soit que cela ne s’y prêtait pas, soit qu’il n’a jamais voulu : je pense qu’il avait peur de l’invasion des médicaments en lui, comme de tant et tant de choses.

3. Je ne gère pas de façon stéréotypée tous les thèmes de stress que j’entends énoncer par Henri. Certes, face à la majeure partie d’entre eux, le seul objectif valable est de les combattre et de générer chez Henri un meilleur contrôle par sa raison. Mais pour quelques-uns, plus réalistes dans leur appréciation et du danger,  il me faut plutôt soutenir et améliorer l’efficacité adaptative de Henri. Un exemple, à mi-chemin entre l’invasion par l’imaginaire et la possibilité de changements réalistes : avant la rentrée scolaire prévue en mai 2020,    on ne parlait peu des masques, mais de sa propre initiative, Henri avait imaginé d’en porter un à l’école et d’affronter les éventuelles moqueries de ses copains. Je l’ai donc encouragé à tenir bon dans son projet, en référence à sa prudence, et nous avons fait quelques jeux de rôle préparatoires à l’affrontement à des copains malveillants.

4. Un dernier principe : sans qu’il s’agisse d’une découpe obsessionnelle du temps, je veille habituellement à ce que le contenu du dialogue avec un jeune stressé ne se centre pas sur le stress ( ses tenants et aboutissants... sa gestion) davantage que 2/5e du temps passé ensemble.

Les 3/5e du temps, nous parlons d’autres thèmes importants pour lui, importants dans la vie sociale ( « Comment ça va avec les filles ? »), voire de tout et de rien. Et donc, quand Henri se centrait trop longtemps sur son stress, je l’amenais à parler dessins, petits animaux, attitudes des copains à l’école, filles, etc. Ce rite me paraît déjà thérapeutique : j’  indique au jeune qu’il ne m’intéresse avec son stress qu’à temps partiel (mais réel) et qu’il gagnerait à se centrer sur d’autres domaines de la vie plutôt qu’écouter indéfiniment son angoisse. J’y reviendrai. 

B. L’accompagnement  des angoisses les plus irréalistes.

Il s’agit ici de la méthode destinée à gérer cette partie des idées très largement issues de la seule imagination pessimiste de Henri, soit complètement irréalistes ( « la peste bubonique n’est pas loin »), soit très improbables (« tous mes copains vont de suite me contaminer...maman pourrait mourir si elle a la maladie ») 

         
Je saisis au vol, à un moment quelconque, une composante de cet interminable énoncé, de préférence une qui se dit à répétition : « Tiens, Henri, tu dis souvent que...tu m’as déjà dit que... »

         
Quelles sont les étapes du dialogue qui s’en suit?   

1. Une écoute active, à la fois première étape et « fond d’ambiance » permanent. Elle permet à Henri de déployer plus précisément (5) ce qui lui fait peur, en se sentant respecté quand il y procède : « Raconte-moi en détails ce qui t’inquièterait, si…?  Qu’est-ce qui pourrait arriver si un copain te contaminait ? Qu’est-ce que tu penserais alors? Qu’est-ce que tu vivrais? Essaie de faire un petit clip vidéo dans ta tête, comme dans YouTube, et de me le raconter : qu’est-ce qui se passerait si ? ».
Cette écoute, réelle et proactive, invite le jeune à aller plus loin en introspection que le jeu de sa seule spontanéité, qui se limite à des titres généraux (« J’ai peur que les autres me contaminent ») A être encouragé de la sorte, Henri développe vite des thèmes comme : la maladie grave ou la mort de sa mère ; la disparition d’une partie du mone; la solitude ; l’abandon dans un univers froid et hostile…. 

2. Éventuellement, une invitation faite au jeune pour se souvenir et évoquer des moments expérientiels analogues dans son histoire de vie : « A-t-il pu exister avant, quand tu étais plus jeune, des expériences que tu as faites ou dont tu as été témoin, et où tu as déjà vécu des choses analogues : la crainte de la mort, la solitude, la crainte qu’on te fasse du mal... ». La réponse n’est pas toujours oui mais le détour mérite d’être fait.

Dans ce cadre, Henri a évoqué le décès, vers ses 11 ans, de sa grand-mère maternelle qui s’occupait beaucoup de lui et encore la méchanceté d’une partie de sa classe à son égard en 3eme primaire.

Ces séquences sont précieuses à écouter, et l’on peut proposer au jeune l’idée qu’ aujourd’hui il est particulièrement sensible, sur le qui- vive,  entre autres parce que ces souffrances passées font encore un peu mal, et qu’il ne voudrait surtout pas les revivre.         

3. Toute l’ambiance de ces deux premières étapes est imprégnée d’intérêt bienveillant, de respect pour l’altérité de Henri, d’empathie... tous vécus qui gagnent à s’énoncer explicitement de temps en temps, histoire que le jeune se sente important et normal « Tu fais partie de ces jeunes qui sont très sensibles, qui réfléchissent beaucoup à ce qu’ils sont et deviennent. C’est une richesse...mais ce n’est pas drôle à porter tous les jours ».

4. En tant que thérapeute, j’ai le droit et le devoir de me différencier de mon patient, d’exprimer mon altérité, de lui faire part de mes hypothèses, mes connaissances, mes idées, parfois mes convictions et mes valeurs personnelles . C’est le grand volet de droite du dyptique qu’est le livre de la psychothérapie, celui de gauche étant le volet de l’écoute active (6).
Se dire, prendre sa place d’humain différent, mais pas n’importe comment : il ne s’agit pas ici d’imposer un savoir ni des règles, mais bien de se proposer, avec bienveillance et humilité, dans le cadre d’un dialogue où chacun a à donner et à recevoir de l’autre       
Face à un jeune stressé, cette énonciation de soi revêt quelques nuances spécifiques:

4.1. Le désir le plus spontané du thérapeute (7)-presqu’un réflexe-, c’est de s’attaquer vite fait à une bonne partie des informations que rumine le jeune, les erronées ou les exagérément pessimistes. Gentiment, mais sans équivoque. Au mieux, il propose au jeune de faire appel à sa raison plutôt qu’à ses émotions : « Réfléchis, Henri, y a -t-il un gros risque que tu ramènes le virus à la maison, si tu es prudent comme tu me le dis? Et les petits risques qu’on ne domine pas vraiment, n’est-ce pas la même chose pour toutes les maladies qui se transmettent ? ». Au pire, l’adulte énonce ce qu’il croit être la réalité objective ; et il peut se montrer des plus affirmatifs pour combattre croyances carrément fausses ( dans un autre domaine : « sur ce coup-là, Henri, je ne pense pas comme toi, c’est impossible qu’un élève échoue si, comme toi, il est normalement intelligent et s’il travaille »).        


Écueils possibles de cette attitude de contr’ information :         
-la précipitation :le jeune n’ a pas encore terminé sa première phrase que, sans empathie, porté par les émotions de celui qui veut sauver, le soignant lui a déjà matraqué ses bonnes explications soi-disant rassurantes.   
-La disqualification plus ou moins subtile : le jeune est critiqué, si pas culpabilisé, pour penser ce qu’il pense ( «  Ce n’est pas si grave, quand même. Comment peux-tu avoir autant peur? »)      

Malheureusement, même bien gérée, l’apparente efficacité de cette attitude s’effrite rapidement au fil du temps.   
Seules quelques fausses croyances avérées passent à la trappe, et encore ! Pour ce qui est des craintes autour du « pas très probable » le Moi anxieux de Henri, passé maître dans l’art de semer le doute, revient vite lui souffler à l’oreille « Pas très probable , ce n’est quand même pas impossible ».Et il réoccupe le terrain de la pensée, voire des geste conjuratoires.

Pourtant , avec certains jeunes, on ne trouve pas mieux qu’écouter patiemment, puis contr’informer et les aider à réfléchir. Le pire pour eux, c’est quand le soignant s’en lasse et finit par leur faire comprendre que, faute de solution significative, ils sont encombrants dans sa consultation. 

C. Provoquer une saine auto- agression

Je détaille maintenant une intervention plutôt originale, où j’ai clairement provoqué Henri à « mener une grande bagarre contre les excès de son Moi-anxieux ». Je la présenter en un exposé chronologique synthétique, alors que sur le terrain elle se propose bien davantage par petites touches.

 Première étape : modéliser sommairement et de façon imagée ce qu’est une personnalité stressée : « En toi, Henri, dans ta personne, il y a au moins deux Moi : ton Moi anxieux et ton Moi raisonnable , ou plutôt raisonnant correctement, et toi avec qui je réfléchis maintenant, tu es le « Moi-pilote » ». Même en vidéo-consultation, j’ai utilisé deux marionnettes pour figurer ces deux dimensions en lui . Je leur ai fait faire des jeux de rôles, d’abord comme un marionnettiste qui anime seul ses personnages, puis en demandant à Henri de jouer un des rôles.

J’ai pu illustrer de la sorte, de façon vivante, que le Moi anxieux n’est utile que jusqu’à un certain point, face à des dangers objectifs. Au-delà, il devient autodestructeur : il souffle nombre de fausses croyances pessimistes à l’oreille du Moi raisonnant ; il entraîne spontanément des réponses intérieures et comportementales dysfonctionnelles, qui l’auto- alimentent et lui font prendre de l’ampleur.

 Je fais même dire à la marionnette « Moi anxieux », en ricanant : « Ce qui m’intéresse, c’est de prendre le pouvoir sur ta vie, c’est que tu sois à moi…je vais te soumettre, te persécuter pour que tu obéisses sans discuter».
Il n’a pas été difficile d’intéresser Henri à cette présentation vivante, où il était question de sa liberté ou de sa soumission !

Ensuite, marionnettes aidant,  nous avons diversifié les jeux de rôles, en mettant en scène des dialogues imaginaires entre les deux « Moi : Le Moi raisonnant , joué par Henri ou par moi visait d’abord à négocier et à tranquilliser le Moi anxieux . Mais force a été de constater que c’était impossible : comme pour le Terminator du film, celui-ci avait toujours le dernier mot. Par exemple, il jouait cyniquement sur les probabilités « Pas très probable Henri, mais pas impossible…tu as bien raison de ne plus sortir…attends encore quelques jours avant de changer d’avis… » A d’autres moments , toujours parlant en tant que Moi anxieux , j’adopte un autre angle d’attaque, en cherchant à déstabiliser la confiance dans le thérapeute « Henri, c’est ce docteur Hayez qui veut prendre du pouvoir sur toi…Fais semblant de lui dire lui, et puis que son truc ne marche pas… Ne crois pas ce psychiatre, Henri, ce n’est pas lui qui paiera les pots cassés » Mon but, en jouant l’avocat du diable, est d’en arriver à la constatation que vouloir discuter avec le Moi anxieux, c’est un combat perdu: il est diaboliquement perfide. Ce qui est plus efficace, c’est le mettre en fuite avec de l’eau bénite, l’eau bénite étant ici une inondation de pensées positives.

Pour y arriver,  Henri dispose d’une force intérieure, d’une volonté, d’un certain pouvoir de décision et d’affrontement, mais il ne pense pas assez à en faire usage au bon moment :c’est son Moi agressif qu’il doit mettre au travail. Sous son égide, il s’agit de faire et de répéter l’exercice que voici :      
- Où qu’il soit, dès qu’il se sent incommodé par une corona -angoisse (ou une autre angoisse sans fondement !), il n’a pas le droit de tenter de se raisonner, mais le devoir de hurler immédiatement « dans sa tête », pour chasser le démon, des insultes comme : « Va te faire foutre, saloperie, tu n’es pas mon ami, tu ne veux pas mon bien

- Immédiatement après, Henri doit faire venir en lui une pensée positive de son choix et la méditer. Méditer, cela veut dire non pas se donner une sorte de flash mental, mais s’accrocher à l’idée et la laisser se déployer et dérouler lentement en soi. Il peut aussi penser à une action positive et l’initier sur le champ.

Henri suggère alors lui-même: un film ou une série TV agréable,  des airs de musique (qu’il peut se rejouer mentalement); un moment de dialogue avec un copain; une démarche amoureuse vers sa presque copine; des bons moments passés avec ses petits animaux ou à sa table de dessin; etc. Et je l’exerce devant moi au processus d’une méditation, au moins 10-15 minutes, bien au-delà d’un simple flash évocateur.             
Je prends même l’initiative de lui signaler l’opportunité de pensées positives érotiques, ici aussi en amorçant une histoire « Imagine que tu es sur une île du Pacifique, presque seul sur une plage naturiste...Tu te promènes... Une fille de ton âge bronze sur la sable, nue elle aussi...Elle ne t’a pas vu, elle se lève…Bon,  je te laisse le soin de continuer l’histoire sans moi si elle t’intéresse, mais lentement, en prenant to temps ! »[9]. Henri sourit et nous passons à d’autres exemples.

Si, en cours d’évocation, le diable ressort de sa boîte, il faut de nouveau lui hurler dessus, et reprendre la méditation là où elle en était.

Motivation et compliance

J’ai pris le temps de discuter et d’encourager la motivation de Henri, non pas à moins souffrir, mais à passer pour cela par les exercices que je lui proposais. En effet, cette « kinésithérapie de l’esprit » peut porter ses fruits...si le patient y croit et l’applique raisonnablement et fidèlement, 2,3 mois avant que le flux d’ idées anxieuses indues s’étiole significativement.

 Et c’est là le hic ! Des résistances se lèvent souvent et se mélangent: une rébellion de principe, avouée ou non, pour ceux qui sont jaloux de leur liberté ; l’angoisse de l’inattendu, du changement ; le doute face à ce qui peut paraître farfelu...         
En outre, tout symptôme est susceptible d’avoir une fonction, destinée à soi-même (auto protectrice) ou à l’entourage : la provocation a l’air de l’attaquer au cœur - en vue d’un meilleur bien-être, certes - mais c’est une intuition, une promesse du thérapeute, qui peut insécuriser le patient. 
Au début, il est donc important de réfléchir avec le jeune à ce qu’il pense de la proposition, d’en détailler les enjeux avec conviction (être progressivement quitte des excès du stress, mais moyennant un travail mental exigeant) et, in fine de le laisser choisir : faire ou ne pas faire un pari, mais pas à moitié : à fond et au moins deux mois !


Un autre piège fréquent,  c’est l’effritement rapide : le patient essaie une fois ou deux à la maison, ça marche à moitié, puis il se décourage. Au thérapeute donc à reparler du projet les fois suivantes, à vérifier ce qui s’est passé, à insister pour que l’engagement soit fort et persévérant. Et ceci néanmoins, avec souplesse et habileté. Pour revenir à la charge plus tard s'il l'estime opportun, ou changer de stratégie thérapeutique lorsque le patient n'accroche pas à ses propositions. Il ne faudrait pas que le thérapeute s'obstine à son tour dans une attitude obsessionnelle paralysante!

D. Evolution

Henri m’a fait confiance. Il a apprécié le partage de savoir que je lui proposais, et il s’est lancé dans les exercices tout juste décrits. Son stress a progressivement diminué et sa participation à la vie sociale, tout en demeurant prudente, est plus étendue. Comme je lui avais commenté que le protocole pouvait être appliqué dans toutes les applications où son stress n’avait rien de raisonnable, il s’en est servi aussi à d’autres occasions et c’est son niveau de stress en général qui s’est réduit.

Même à l’automne 2020,  il n’a pas manqué un seul jour d’école, ni même dû aller « souffler » à l’infirmerie pour du corona -stress.

Nous avons encore parlé de toutes sortes de choses et j’ai pu partager avec lui bien des dimensions sympathiques, parfois inattendues ou touchantes, de son histoire de vie et de son monde imaginaire.

 

Fin novembre 2020, Henri, qui ne m’a plus rencontré depuis trois semaines, m’envoie ce courriel (textuel!) :«Bonsoir, nous allons bien, j ai eu un mille patte géant il y a une semaine, et il y a 2 semaine j ai eu un silure de verre, c est une sorte de poisson transparent où on peut voir son squelette, je vous enverrez des photos dès que possible. Comment vous allez, vous ? amitiés … ». Quelle joie! De la sollicitude sociale, du concret positif décrit, et aucune référence à l’angoisse ! Je lui réponds en m’intéressant, moi aussi , à ses bestioles. D’ici quelques semaines, s’il n’y fait toujours aucune référence, je sais que je lui demanderai : « Et que deviennent tes inquiétudes sur le corona? ».

Et en mai 2021, quand je mets le point final à l’article, je reçois un autre courriel, encore positif, mais où de l’angoisse resurgit : «  Bonjour, excusez moi de ne pas avoir donné de nouvelles depuis un moment, je vais bien, ma maman aussi et les petites créatures que j'éberge aussi, je parle beaucoup avec mes amis sur discord, c'est un espèce de réseau social que je trouve sécurisé…j'ai quand-même peur de rater mon année même si je travaille bien, c'est assez stressant, surtout qu'il y a des profs qui mettent la pression et qui nous donnent beaucoup de travail...sinon vous et votre femme allez bien ? » (orthographe bien améliorée, ou bon correcteur google ??)

Il retourne penser entre l’imaginaire et le réaliste, car ce qu’il dit de la pression mise par les profs existe bien en Belgique et Henri n’est pas vraiment Pic de la Mirandole…Je vais donc gérer avec lui ! 

E. En guise de conclusion: Le politically correct

La provocation proposée à Henri sort de l’orthodoxie de nombre de psychothérapies. En effet, je m’ en prends directement à un symptôme important,  en invitant le jeune à y réfléchir et à le combattre. Pourtant, la plupart des écoles de psychothérapie mettent en garde contre les attaques frontales, notamment quand elles sont précipitées et disqualifiantes: elles n’engendreraient chez le patient qu’un surcroît de résistances, si pas de détérioration.

Souvent, mais pas toujours! Lorsque ces interventions sont faites avec joining, c'est-à-dire en parvenant à faire sentir au patient le profond respect du thérapeute pour ses motivations profondes et pour sa vision du monde elles peuvent se révéler efficaces(Andolfi 1987, Panichelli 2013), Elles conviennent notamment à certains cas « arides » où d’autres tentatives pharmaco- et psychothérapeutiques n’aboutissent pas.

Pa r exemple, ce protocole pourrait être utilisé comme ressource pour accélérer la sortie de dépressions,  pour combattre les Tocs et même les addictions, au moins là où le patient veut s’en sortir, souvent avec ambivalence : ici, au Moi anxieux se substitue le Moi plaisir devenu « Moi tyran », qui utilise à tour de bras un « Moi pervers, tricheur, bien mis en scène par la marionnette « diable ») .

 Nier l’existence de cette alternative, parce qu'on se conformerait à des mises en gardes souvent justifiées, ce serait passer de la science -avec ses incertitudes- à l’idéologie, avec ses fausses convictions généralisantes.

« J’ai très peur de le transmettre à mes grands-parents »

      
  En mai 2020, une collègue médecin m’envoie un courriel pour me faire part de sa préoccupation à propos de Laura, sa petite-fille :    
«…Aujourd'hui ma petite-fille, 16 ans, assez sensible, s'angoisse à l'idée d'attraper le Covid-19. En fait , elle n'a pas peur pour elle mais bien de nous le transmettre. Je l'ai rassurée en disant que vu les précautions que nous prenons (nous ne voyons pas nos enfants et petits-enfants ou alors à distance, etc.), il n'y a pas de risques pour nous. Mais j'aimerais qu'elle puisse voir ses "potes" qui ont beaucoup d'importance pour elle sans s'angoisser ni se culpabiliser. Quand elle se trouve dans une situation où les règles sanitaires ne sont pas suivies, elle se stresse et se culpabilise mais surtout pour nous et pour notre génération . Alors si tout le monde se culpabilise , où va-t-on ?

Ma question est: que puis-je dire à ma petite fille pour l'apaiser et la déstresser? »


Quelques pistes pour apaiser.

 

           Je me suis limité à échanger des idées en vidéo-consultation avec ma collègue.

 Je lui demande de me présenter Laura et elle me fait le portrait d’une adolescente intelligente,  bien adaptée socialement, sensible et fort liée à sa famille.


Comment ma collègue a-t-elle réagi aux propos anxieux de sa petite-fille? Eh bien, avec la spontanéité un peu (trop) rapide centrée sur le bon sens : « Laura ne devrait pas (trop) se préoccuper si elle se montre prudente et évite même de rencontrer ses grands-parents pour le moment ».   J’adhère positivement à cette réaction et je le dis à ma collègue, gardant pour moi mes doutes sur la profondeur et la durée en efficacité de ce type d’informations se voulant rassurantes.

Je lui propose ensuite quelques pistes de dialogue complémentaires, lorsque l’occasion se présentera :         

A. Inviter Laura à déployer avec plus de détails ce qui la préoccupe, et se montrer empathique - sans plus- face à ce qui sera entendu : « Que pourrait-il se passer si (nous étions contaminés par un des jeunes de la famille)?  Qu’en penserais tu? Comment le vivrais tu? Qu’imagines-tu que nous penserions, nous ? Etc.… ».

         
Pour peu que Laura ressente bien le désir et la capacité d’écoute, sans peur, de son interlocuteur, cette invitation pourrait aboutir à ce qu’elle évoque le spectre de la mort. A accueillir avec empathie mais aussi échanger autour de la mort : p ;ex., son inéluctabilité, sa centration assez habituelle et naturelle sur les plus vieux, qui doivent laisser la place à leur descendance, après avoir rempli leur rôle dans la transmission du génome de l’espèce humaine ; la réalité de la survie spirituelle : « nous resterions très vivants dans ton cœur, et, si un au-delà existe, toi dans le nôtre, etc. ».   


Cet échange touche ma collègue qui, spontanément, sort de sa mémoire un souvenir probablement significatif : quand Laura avait 11ans (arrivée de l’adolescence) , pendant plusieurs mois, elle a eu de sérieuses difficultés à s’endormir, sans jamais pouvoir (vouloir ?) expliquer pourquoi. J’exprime l’hypothèse que c’est un âge où les jeunes les plus sensibles sont particulièrement inquiets de cette séparation psychique de l’adolescence qui s’amorce, de la mort à venir de leurs proches et de leur propre solitudee dans la nudité vulnérable de leur second accouchement à la vie.

B. Signaler encore plus explicitement le regard bienveillant et empathique que la grand-mère porte sur sa petite fille, sans vouloir rien « rectifier » à ce moment-là : « Tu fais partie du petit peuple des ados sensibles, prévenants, délicats, et je te remercie pour cette sollicitude que tu as pour nous. Et les gens sensibles vont parfois loin dans les questions qu’ils se posent, en imaginant des choses tristes et peu probables que les autres n’imaginent même pas[10]».

C. Dans le cadre des échanges verbaux avec Laura, sa grand-mère peut encore, à l’occasion, aborder d’initiative deux autres thème de réflexion :

         
---- Le premier est moins évident qu’il ne paraît : Ce n’est pas le jeune qui contamine ses grands-parents, c’est le corona! Il est peut-être niché dans le corps ou sur les vêtements du jeune,  et c’est bien lui qui agresse, et pas le jeune, qui désire surtout transmettre son affection ! Nous avons alors à assumer que, même prudents, nous ne sommes pas tout-puissants. Notre mortalité veut que nous transportions toujours un peu de mort avec nous et, à l’occasion, elle s’abat sur ceux que nous aimons : de quoi se sentir tristes, mais pas coupables !

---- L’acte d’amour le plus fondamental que Laura peut poser pour ses grands-parents,  c’est de leur montrer qu’elle est heureuse, qu’elle s’épanouit et donc qu’elle a une vie sociale avec des gens de son âge. C’est comme cela, radicalement, que les grands-parents penseront qu’ils ont réussi leur coup procréateur et leur profond désir d’enfant. Ce n’est pas si Laura, en se calfeutrant, essaie de rendre impossible une mort inéluctable, inscrite dans l’ordre de la nature.

 Notes

[1] Puisse le DSM-V me pardonner d’avoir désiré parler simplement, phénoménologiquement, en zappant le concept « d’anxiété généralisée » et ses critères primaires et secondaire. « Stressé », ça parle à chacun  

[2] Rentrée qui n’a finalement pas eu lieu pour les adolescents belges

[3] La méthode de travail décrite ici n’est pas spécifique au corona -stress ; elle peut être transposée à bien d’autres situations où des mineurs sont lourdement stressés. Je pense aussi aux angoisses apparemment plus ciblées, mais qui s’accompagnent de Tocs.

[4]  On recourt parfois ici à des inducteurs du sommeil ou à des benzodiazépines - retard lors des périodes où l’angoisse déborde.

[5] Je vous renvoie à la lecture du texte :  Un suicide et des interventions de crise (Hayez, 2014). J’y propose d’écouter les enfants à trois niveaux : le concret, le factuel qu’ils connaissent ou imaginent ; ce qu’ils (en ) pensent ; comment ils le vivent.

[6] Je me suis abondamment exprimé sur ce point dans le chapitre :

 L'engagement de soi du pédopsychiatre ou du psychothérapeute     (Hayez, 2014bis)

[7] Ce désir de contr’informer rapidement est partagé par tous ceux qui éduquent ou soignent l’enfant ou le jeune : parents, enseignants, etc. Ils ne supportent ni ses supposées erreurs cognitives, ni les émotions qui y sont liées (« Tu ne dois pas être triste…ce n’est pas de ta faute…ce n’est pas grave, tu ne dois pas avoir peur… »)

[8] . Ce type de médias est tout à fait acceptable par un grand adolescent et même par un adulte.
Je remplace au besoin les marionnettes par des feuilles de papier sur lesquelles j’ai esquissé un personnage humain. Je n’en fais évidemment pas une utilisation ludico-comique comme avec un enfant. Elles me servent simplement de support figuré, très peu mobile, soit pour proposer une explication, soit pour procéder à un jeu de rôles. En présentiel, il n’est pas nécessaire que le patient tienne une marionnette en mains : il suffit qu’il parle en jouant le personnage que représente celle-ci.

[9] Je ne me sens pas pervers et je ne fais en rien l’apologie de la pornographie ni de de la masturbation. Je veux simplement montrer à Henri que, parmi d’autres applications, l’érotisme lui aussi peut faire partie des pensées positives. Après tout ne s’agit-il pas ici de mettre en scène imaginaire une des facettes de la pulsion de vie ?  

[10] Si Laura avait bénéficié d’une psychothérapie, son thérapeute aurait pu lui proposer de faire un lien vers ses troubles de l’endormissement à 11 ans, où elle ruminait peut-être déjà ses premières questions existentielles.

 

 

 

 



                                                          


Texte réalisé le 15/03/2022


En exergue de ce texte, je désire exprimer mon sentiment d’horreur et ma profonde tristesse à propos de la violence qui se déchaîne en Ukraine. Une fois encore, la loi du plus fort va très probablement s’imposer pendant un certain temps. Puisse cette douleur nous encourager à défendre patiemment nos valeurs de fraternité et de démocratie. Elles finiront par l’emporter !


Mes propos concernent centralement les enfants jusqu’à six ans, mais l’on peut s’en inspirer pour leurs aînés, notamment les plus sensibles et les plus introvertis.

Dès trois ans, les tout-petits « attrapent au vol » et mémorisent des expressions verbales inhabituelles dites par leurs proches, surtout si elles sont chargées d’émotions, comme l’angoisse, la tristesse ou la colère:  « Ça y est, c’est la guerre… Des gens comme nous, c’est terrible… Et tu as vu les petits enfants dans le métro? Poutine est fou… Pourvu que ça n’arrive pas chez nous! ». Et autant, dans une certaine mesure, pour les images de la TV.    
Ils se pénètrent de ces termes et de l’émotion des adultes, d’abord sans y comprendre grand-chose, leur imagination palliant à leur ignorance, souvent de façon noire : « Poutine, ne serait-ce pas de la mauvaise grenadine ? Et les réfugiés, des tas de chats agressifs qui se cachent dans les recoins de la maison, comme Minou s’y réfugie parfois? Et n’y a-t-il pas des gros camions menaçants sur le chemin de l’école, comme j’ai vu dans une ville à la TV? ».

En grandissant, leurs connaissances concrètes, factuelles s’enrichissent et ils savent ce qu’est la guerre, mais ils ont encore mille questions secrètes sur ses enjeux et ses liens possibles avec eu : « J’ai peur que vous soyez plus là ; j’ai peur des tanks sur les pistes de ski », finit par dire un petit garçon de cinq ans, interrogé par ses parents suite à des cauchemars tout récents…                                   
Pourtant, spontanément,  ils gardent secrètes leurs idées et opinions les plus « sérieuses », les plus personnelles. Pourquoi ? Parce que, ils le savent d’intuition, le statut social des tout-petits, c’est de se taire à propos des choses sérieuses, censées ne pas les intéresser. S’ils ouvrent la bouche, on ne les écoute pas, on leur dit plus ou moins gentiment qu’ils sont trop petits ou l’on se moque d’eux. D’autres ont peur de faire de la peine à leurs parents avec leurs questions. Les plus jeunes ont même peur que leur pensée soit magique, c’est-à-dire qu’ils provoquent l’occurrence concrète d’un événement redouté du seul fait d’en parler.    


Pour beaucoup, c’est donc le long silence sur toutes ces idées qui les préoccupent et, sauf occurrence de vrais drames, le temps qui passe, avec ses nouvelles sources d’information, finit par éclaircir et dégonfler ces nœuds d’angoisse. Peut-être pourrions-nous néanmoins les débarrasser plus rapidement de ces inutiles fardeaux !                                   
Les plus sensibles, eux, montrent qu’ils sont envahis par des angoisses nouvelles: difficultés d’endormissement, cauchemars, résurgence de l’angoisse de séparation, refus sociaux inattendus, nervosité et irritabilité à la maison, etc.                
Quelques-uns exorcisent leurs angoisses par des dessins et des histoires de mort ou par des jeux guerriers à la récré. Il est même important pour leur développement qu’ils s’y identifient en alternance aux « bons » et aux « méchants ».

 

 A l’instar d’une partie des familles et des écoles qui s’y emploient déjà très bien,  comment accompagner au mieux ces soucis souvent secrets des tout-petits ?   
L’essentiel, c’est d’accepter qu’ils existent chez beaucoup ! Et donc nous pouvons d’abord veiller à leur épargner la confrontation à ces mots et images inquiétantes qui ne les impliquent en rien, surtout si celle-ci est inattendue, non commentée et répétitive - c’est la répétition du quasi-identique qui finit par faire effraction en eux !- Et donc, attention aux images de la TV, à notre langage quand ils sont censés jouer à côté, et même à l’ambiance de vie quotidienne, positive ou insécurisée, que nous véhiculons pour le moment !  


Mais c’est comme pour le corona : malgré nos précautions, il est inévitable que, ici et là, des graines de mots, d’images et d’émotions inquiétantes pénètrent leur espace psychique. Gardons donc les yeux et les oreilles bien ouverts ! Les plus audacieux en diront peut-être quelque chose, directement à nous, en parlant entre eux ou dans leurs jeux, évoquant plus qu’à l’accoutumée des batailles, la mort, la disparition « C’est moi Poutine…Tu es mort, je t’ai tué…Son papa, il est à la guerre…On se cache sous la table, c’est à cause des bombes ». Signes à saisir au vol pour entamer le dialogue !

Pour la majorité, celle des silencieux, nous pouvons amorcer la pompe à un moment de la vie familiale estimé intéressant, qui sera bien limité dans le temps : «Qui a entendu le mot guerre? Ukraine? Qui sait ce que cela veut dire? » Pour les moins évolués verbalement, on peut même imaginer que papa et maman se parlent à table à leur intention mais sans s’adresser directement à eux, en se limitant à quelques mots simples ! 

Lorsque les tout-petits sont encouragés à parler et sont écoutés avec patience et bienveillance, nous serons souvent stupéfaits et même émerveillés de découvrir ce qu’ils savent déjà, pensent et imaginent à tort ou à raison sur des sujets graves !        
C’est d’un dialogue dont ils ont besoin, et pas d’une séance d’information ! Nous sommes invités à les écouter patiemment, en allant à leur rythme, en les aidant à déployer leur point de vue subjectif, et en réfrénant ce maudit réflexe qui veut critiquer tout de suite, rectifier les erreurs de connaissance, protéger et consoler à toute allure et à tout prix, en étouffant du même coup la poursuite de leur expression verbale.
Après, quand ils nous auront bien fait comprendre leur vision de la guerre, avec les sentiments et les questions qu’elle entraîne, il est encore temps de partager avec eux des éléments de notre savoir et quelques émotions et questions que nous vivons, nous aussi. Nous pouvons également rectifier en douce certaines erreurs ou fausses croyances qui les habitent, quand elles leur font du tort, sans les assommer pour autant de la toute-puissance de notre savoir : Si Louise a peur que des méchants soldats attaquent la maison familiale, qu’elle explique d’abord de quoi il s’agit pour elle : prenons-la au sérieux et assurons-la que bien d’autres enfants (et quelques adultes ?) ont aussi ce genre de peur! Et puis, nous nous devons d’ajouter avec assurance qu’il n’en sera rien et que nous resterons bien là, près d’elle, pour la protéger des dangers !     


Certains qu’il n’en sera rien? Le petit enfant doit pouvoir s’appuyer sur un savoir authentique mais simplifié, à la mesure de ses capacités cognitives et émotionnelles. Une discussion plus élaborée, qui évoquerait de faibles probabilités inquiétantes sème la confusion en lui, voire l’amène à s’accrocher mentalement à l’inquiétant-improbable. Lui épargner quelque temps cette part de discussion, ce n’est pas lui mentir, mais le respecter !
Lors de la crise du corona, j’ai rencontré trop de petits enfants confus, agités et hyperangoissés parce que surinformés : trop de détails, trop d’abstractions, trop de probabilités autour des risques variables, qu’ils étaient incapables de hiérarchiser avec sérénité !

Réaction de mme le Dr Lalinon-GBano, du Bénin, au printemps 2022

C'est un très beau texte, sensible, philosophique, personnel, que j'ai beaucoup de plaisir à joindre à mon article:

 

Le Pr. Jean-Yves Hayez, par ce texte, exprime son sentiment d’horreur et de profonde tristesse à propos de la violence qui se déchaîne en Ukraine. Cette situation où le plus fort du moment s’impose aux populations qui en subissent les conséquences, surtout les plus vulnérables. Il nous convie à puiser au cœur de cette douleur, des forces pour défendre patiemment nos valeurs de fraternité et de démocratie. Il nous demande de garder l’espérance au cœur, dans la foi que nos valeurs humaines l’emporteront sur la violence... un jour.

Je n’ai pas connu de contexte de guerre, mais je peux comprendre profondément ce que vit le professeur Hayez.

Je viens de recevoir une jeune personne, 18 ans. Elle est partie, mais elle est toujours là en moi. Hésitante, fragile ; elle tâtonne au cœur de sa vie. Elle est de milieu modeste. Il y a 15 ans, alors qu’elle n’avait que 3 ans, sa mère est décédée. Dans la foulée, alors que son père les amenait à l’école sur sa moto, elle et son frère aîné, une voiture débouchant à vive allure les ramasse et les laisse pour morts...

Elle n’est pas morte, mais elle porte les séquelles des deux coups de la mort qui a arraché sa mère et l’a raté de justesse. Elle a depuis toujours des douleurs fortes dans la poitrine et de violents maux de tête. Mais la précarité matérielle n’a pas permis une prise en charge médicale systématique. Massage, automédication, elle est souffreteuse. «Je tombe tout le temps malade et quand les douleurs sont fortes, je ne peux rien faire. J’ai eu le CEP en 2019 (12 ans) mais je n’ai pas pu progresser. Actuellement, mon père boit beaucoup, et quand il est ivre, il ne se contrôle pas. Je suis placée chez une mémé...»

La mort a frappé. Quelqu’un a heurté avec violence... Des situations similaires et récurrentes sont décrites par les enfants et les jeunes que nous écoutons, où les enfants et les jeunes sont victimes de grandes violences liées aux personnes, aux situations ou aux événements : viols, abus sexuels, maltraitances, trafics, morts violentes des parents, violences conjugales, persécutions spirituelles ou mystiques... Auxquelles s’ajoutent les petites phrases distillées dans l’atmosphère de la maison par les adultes.

«J’ai pleins de choses dans ma tête. Parfois je suis sûre que ça va exploser. Si au moins ça explose tout d’un coup je peux me reposer. A quoi je sers ici ? Pourquoi le malheur s’acharne sur moi ? C’est peut-être moi qui apporte le malheur. Mon papa est alcoolique, éméché... Quel est le prochain malheur ? Pourquoi je ne suis pas morte ? ...»

Traumatismes... Séquelles... Angoisses. Très grande tristesse Désespérance au sujet de sa propre vie.

Elle égrène les mots un à un. Ils sortent difficilement de son corps apathique.

Nos tout-petits et la guerre. Nos tout-petits sont parfois submergés, épuisés par des guerres quotidiennes : obstacles, handicaps, luttes, et tous ces environnements nocifs qui pénètrent les enfants, les adolescents et les jeunes. L’imaginaire devient alors le refuge qui leur permet de construire un monde meilleur, magique, ineffable ; de s’évader de ce corps endolori, maltraité, détesté...

Le statut des tout-petits, c’est de se taire. Face à des situations qui s’imposent à eux pendant longtemps, alors qu’ils sont vulnérables, et qu’ils savent qu’ils ne seront pas écoutés, qu’ils n’auront pas raison, qu’ils risquent de provoquer un cataclysme en parlant... Ils gardent silence avec les fantômes qui les hantent où les fées qui les font rêver. Rêveries et ruminations encombrent certains et les rendent absents au monde présent, en classe, à la maison... D’autres se surinvestissent dans une activité, dessin, sport, études... Certaines idées noires ressassées vont nourrir des envies suicidaires...

A partir de ma pratique professionnelle avec les enfants, les adolescents et les jeunes, je peux attester des impacts psychiques des guerres et conflits sur les enfants. Les guerres armées comme les guerres quotidiennes mettent les tout-petits à l’épreuve et peuvent menacer leur épanouissement. Ils sont au front ! Tous les enfants de tous les pays sont sensibles, fragiles ou vulnérables et méritent que les adultes leur épargnent des processus guerriers. Qu’il soit en Afrique, en Asie, en Australie, en Amérique ou en Europe, chaque enfant plongé dans une guerre mérite qu’on lui donne la parole, qu’on l’écoute, qu’on l’accompagne au mieux. Chaque enfant plongé dans la guerre mérite que l’on tire la sonnette d’alarme. Toutes les guerres nous déshumanisent. Il n’y en a pas de propres et de sales.

A tous les enfants au cœur d’une guerre j’aimerais tant dire que «Des méchants ont attaqué un pays loin d’ici ; ils ne vont pas venir chez nous.» Mais je ne puis le dire, car je sais que la guerre est de leur quotidien, même si elle n’est pas reconnue par les autres. Mais aussi parce que je n’en suis pas sûre du tout que les méchants ne viendront pas chez nous... Il y a des puissants qui décident du moment de la guerre, des bonnes guerres et des mauvaises... Je puis par contre dire aux enfants, et le leur manifester par ma présence empathique, mon accompagnement et mon investissement personnel que nous espérons que demain sera meilleur, que nous travaillons qu’il ne soit pas pire, et que nous les accompagnerons autant que faire se peut vers le bout du tunnel.

Ce sont nos valeurs humaines et nos forces intérieures ; notamment notre relation à une transcendance qui nous soutiennent et font de nous des piliers, des tuteurs de résilience... Pour aider l’autre à devenir malgré les entraves. Nourrir d’affection, panser les diverses plaies, être avec.

L’espérance est notre carburant, voire notre moteur.

 

Alors, oui à la simplification. Oui à la parole rassurante qui ne prend pas en compte des probabilités trop faibles pendant un temps indéterminé. Non, je ne suis pas certain à 100% que la guerre n’arrivera jamais chez nous. Mais à l’heure actuelle, je rêve de construire avec les petits un savoir commun que je résumerais comme suit : « Des méchants ont attaqué un pays très loin d’ici. Ils ne vont pas venir chez nous. Nous allons les gronder très fort parce qu’ils ne peuvent pas, c’est mal ! Papa et maman (excusez-moi d’être un peu traditionnel…) vont toujours rester près de toi, et te protéger ».   
Si j’avais quatre ans, il me semble que semblable échange m’aiderait à passer une nuit tranquille !

 

 

 Ce texte reprend un exposé fait le 09/11/09 aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, à Namur, lors de la journée d’études organisée par l’association des professeurs émérites, pour célébrer le 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin.
Il a ét publié en 201O dans le revue d’études scientifiques des FUNDP. 

 

Pour cet enfant de la rue, sniffer de la colle dans la plus parfaite indifférence, une autre manière d’être derrière le mur 

 

Lorsque l’enfant va bien 

 

L’enfant en bonne santé mentale est clairement « social »

 

Il est même bio-psycho-social. « L’autre » fait régulièrement partie de sa vie, plus ou moins intensément, via de multiples types d’interactions. L’autre s’introduit  même dans son psychisme, sous forme de paroles ou d’images expérientielles qui ne sont parfois que de bons ou de mauvais souvenirs, mais parfois aussi de profondes sources d’influence pour orienter sa vie d’enfant. En bonne partie d’ailleurs, ces sources d’influence intériorisées ne restent pas en lui comme des « corps étrangers parasites » … elles se transforment en lui, elles deviennent une partie de son identité : ainsi s’opère la transmission psychique intergénérationnelle, au moins aussi puissante que la génétique.

Extrait de la guerre des boutons, (Y. Robert, 1961) Comme c’est gai d‘attaquer en bande, euh dépouillée de tout artifice, ceux du village d’en face !

Inversement, l’enfant en bonne santé mentale peut également se passer de la présence des autres externes une partie de temps de sa vie, et ceci d’autant plus qu’il grandit. 

Il sait et aime faire des retours sur soi, tout seul pour penser, méditer, rêver, imaginer. Il sait s’occuper sans aide pour jouer, se distraire, se faire plaisir, voire même, de plus en plus, pour effectuer un travail scolaire. Il apprécie souvent de se débrouiller tout seul et – petit retour vers l’autre – beaucoup aiment que cela se sache et se respecte. Le grand pédiatre et psychanalyste anglais Winnicott faisait même de cette dimension de l’aloneness (2) un indicateur important du bon développement affectif de l’enfant. 

Ainsi dans la vie réussie de celui-ci comme dans les nôtres, existe-t-il des allers-retours, une dialectique entre le désir d’être en société et celui de jouir de son intimité. Les autres externes sont régulièrement recherchés, comme source d’affection, de savoir, d’aide, de sécurisation, de plaisir partagé. En même temps, l’enfant qui va bien est de moins en moins naïf : il sait que le monde extérieur n’est pas entièrement bon, et qu’il y a des autres dont il faut se méfier, voire qu’il faut combattre. Vivent la force et la prudence ! Et à d’autres moments, il a envie d’être seul, évoluant dans un jardin secret ou en tout cas discret dont lui seul possède la clé : le petit doigt de sa maman ne sait donc plus tout … 

 Une première catégorie d’enfants préoccupants

Ce sont ceux qui, sur des durées significativement longues, ne peuvent pas se passer de la présence externe des autres.  C’est le cas, par exemple, des enfants :

- Perpétuellement anxieux, ne supportant pas les petites séparations de la vie ( par exemple lors de l’endormissement ) ou imaginant des agressions ou des abandons partout. 

- Possessifs, exigeant d’être « tout », souvent pour un parent de leur choix, ne supportant pas qu’un tiers vienne partager la relation. Jalousie féroce et durable tant envers les enfants cadets, que – s’il est un garçon – envers son père ou le nouveau compagnon de sa mère. 

 

- Passifs à l’extrême : ils ne prennent jamais d’initiative, ni pour leurs loisirs, ni pour leur scolarité. « Il faut » s’asseoir de longues heures à leurs côtés, vivre à leur place, être élève à leur place. 

- Et l’on rencontre aussi des ados qui ont besoin de s’étourdir en permanence avec des copains et des amis plus ou moins stables, parce qu’ils ne supportent pas la solitude, l’incertitude de vivre, les moments de tristesse inhérents au déroulement du temps. Bah, faire la fête en permanence avec les autres, c’est déjà mieux que se noyer tout seul dans l’alcool ou les drogues, même si, bien sûr, vodka et joints circulent régulièrement dans ces joyeuses bandes festives.

 

Dans la majorité de ces situations où l’appel fait à l’autre est excessif, ce dernier non plus n’a pas su et ne sait parfois toujours pas jouer un rôle de renforcement de l’individualité créatrice de l’enfant : il s’est laissé trop faire par celui-ci plutôt que de le renvoyer à lui-même. Parce que lui-même anxieux, parce que lui-même en manque affectif et en recherche de consolation, parce que lui-même trop sûr de lui ou autoritariste l’adulte, ici, s’est imposé comme une nécessité dans la vie de l’enfant. 

Et une fois que trop de symbiose s’est créée, pas facile qu’un tiers - un professionnel de l’enfance par exemple - invite à remettre de la distance sans faire peur ni donc sans créer une solide résistance bilatérale au changement. 

 La catégorie inverse : les enfants derrière le mur

 

Comme pour la catégorie précédente, je ne parlerai ici que des enfants qui s’y replient pour de longues durées.

En tant que comportement transitoire, c’est beaucoup plus commun. Tout parent intuitif sait que « quand quelque chose ne va pas » nombre d’enfants se réfugient quelques jours … une semaine ou deux … derrière un mur : ils s’isolent, deviennent plus taiseux, moins créatifs et sont souvent de mauvaise humeur. Signal d’alarme quasi infaillible que les adultes attentifs et disponibles décodent bien. 

Certains problèmes somatiques peuvent-ils entraîner des retraits significatifs et longs ?

 

 A. Les enfants gravement malades, éventuellement en phase terminale, n’ont plus toujours assez d’énergie ou/et souffrent parfois trop pour bien communiquer. Si nous voulons bien les accompagner, avec la délicatesse que requiert leur état, il ne faut cependant pas sous-estimer l’importance des facteurs psychologiques qui emmurent, comme le, la colère rentrée contre l’injustice du sort et l’impuissance des adultes, l’impression ou la peur d’être abandonné, une contrainte intérieure – ou un désir – vers le non-dit, en miroir des non-dits des adultes ( on ne parle pas de la mort ! ), le désir de rester en soi-même, de penser et de rêver pour soi, dans ce qui reste d’un jardin personnel inaccessible aux adultes.

 B. Les jeunes souffrant d’un retard mental important ont des instruments de perception et d’expression de soi très déficients. Leurs familiers savent néanmoins bien qu’ils restent sensibles aux expériences vécues et désireux et aptes à communiquer, mais avec leurs pauvres moyens ( un sourire … un gémissement … un relâchement ou une crispation corporelle à bon escient )

 C. Les enfants et adolescents souffrant d’autisme ou d’un trouble approchant, dits du spectre autistique, ont des relations sociales presque nulles, incomplètes ou erratiques. Dans les formes les plus avérées, de graves dysfonctions neuropsychologiques les empêchent de comprendre, en un tout synthétique, tous les éléments d’information que leurs organes sensoriels perçoivent. Donc, pas de représentation mentale de synthèse et à fortiori pas d’intelligence sociale, c’est-à-dire pas d’idée de ce qui se passe dans le psychisme de l’autre, de ses intentions non-dites et de ses sentiments. Pas ou peu de capacité d’exprimer de façon globale ce qu’il pense, ce qu’il demande, ce qu’il éprouve : ça sort erratiquement, sans cohérence ; un certain nombre n’a d’ailleurs même pas accès au langage.  

A partir de cette grande difficulté de communication, on déduit un peu vite que le jeune autiste « vit dans son monde » et n’a aucun intérêt pour l’autre. Voire ! C’est bien plus d’une incapacité douloureuse qu’il s’agit. Celles et ceux qui vivent au quotidien avec eux savent combien ils peuvent être sensibles à quelques personnages familiers et à quelques rites relationnels bien répétitifs. 

 

 

Dans le film What’s eating Gibert Grape ? (L. Hallström, 1993) Leonardo de Caprio joue admirablement le rôle d’un autiste adolescent de haut niveau. Apparemment capable de se débrouiller seul pour les petits gestes de la vie quotidienne. Mais voilà, son grand frère avait pris l’habitude de l’essuyer et de le sécher après le bain du soir. Un soir, le grand frère a un rendez-vous amoureux et fait promettre au petit de se mettre en pyjama. Las, quand il rentre, quelques heures après, le jeune autiste, tout recroquevillé, est occupé à claquer des dents dans la baignoire dont l’eau est glacée : il attendait son frère.

 D. Lors d’une autre redoutable maladie mentale, la schizophrénie, un large repli angoissé sur soi est de règle ; les contacts avec autrui se raréfient et deviennent étranges et erratiques. La schizophrénie est très rare avant quatorze-quinze ans ; elle apparaît plutôt lors de la seconde adolescence, sous forme insidieuse et moins fréquemment, via une crise princeps tout de suite impressionnante. Très probablement sous le jeu de déséquilibres neurochimiques, le système de pensée du jeune s’effrite significativement et vole même parfois en éclats : confusion mentale ( perte des repères, de l’identité, de la généalogie ), jusqu’au franc délire et aux hallucinations.

Dans ce contexte, la rencontre avec l’autre devient très difficile. Le délire ou le pré-délire fait que celui-ci n’est plus « reçu » pour ce qu’il est vraiment. Hormis quelques cas marqués par l’érotomanie, l’autre est souvent perçu de façon négative, comme un persécuteur potentiel, et le jeune l’évite et se barricade dans ses angoisses psychotiques. Il s’y barricade : c’est l’issue de loin la plus fréquente. L’issue inverse où il attaque, jusqu’à tuer les ennemis concoctés par son délire, est beaucoup plus rare, même si la Belgique en a très vraisemblablement connu une illustration particulièrement horrible en 2009 dans une crèche à Termonde. 

Quant aux parents et autres familiers, ce que vit le jeune schizophrène à leur égard est imprévisible. Il lui arrive de les mettre purement et simplement au rang des personnages hostiles. Dans d’autres cas, il peut rester attaché à certaines personnes et le montrer maladroitement.

Djibah (seize ans) vit en institution résidentielle. Diagnostiqué schizophrène, fantasque, solitaire, passant sa vie à d'invraisemblables bricolages à la Bettelheim, ayant le rendement intellectuel d'une première année primaire, il ne pose cependant pas de problèmes majeurs pour gérer son quotidien et se montre plutôt affectueux avec les éducatrices. Arrive dans le groupe Raymond ( douze ans ) qui attire vite l'attention sur lui. L'humeur de Djibah s'assombrit ; si Raymond est sur son chemin, il le bouscule sans ménagements. Une nuit, l'éducateur de veille est attiré par des cris perçants : Djibah a marqué le ventre de Raymond par trois longues estafilades au cutter, qui restent heureusement superficielles. Écarté provisoirement du groupe, il y reprendra sa place et l'on s'y montrera davantage attentif à son « message ».   

Les souffrances bio-psycho-sociales 

       

 Bien plus souvent que ces atteintes surtout organiques, ce sont des conjonctions défavorables de forces opérant dans les dimensions organique, intrapsychique et sociale constitutives de l’être de l’enfant, qui l’amènent à vivre derrière un mur. Il peut le faire de façon globale, diffuse ou aller s’y abriter à certains moments et lors de certaines thématiques de sa vie. En voici quelques exemples :

 A. Les grands enfants et les adolescents peuvent vivre des dépressions claires et nettes, à l’instar des adultes. Peut-être des composantes endogènes, des prédispositions génétiques y sont elles à l’œuvre. Mais on découvre souvent aussi chez eux la peur de grandir et d’entrer dans l’adolescence, l’impression que la vie sociale et l’avenir sont absurdes. D’autres encore vivent très mal des échecs répétés, notamment sentimentaux. Les parents n’ont pas toujours commis de lourdes fautes éducatives, loin de là, mais ils ont à faire à des enfants hypersensibles.

La perte d’énergie, la perte de pétillance et de créativité, les idées noires, jusqu’aux idées suicidaires, l’isolement social, l’angoisse et l’irritabilité sont quasi toujours au rendez-vous. Lisez à ce sujet l'article : La lourde dépression de Jonathan  

 

L’image finale du film les 400 coups (F. Truffaut, 1959) Antoine a fugué et se retrouve seul, face à la mer … ce jeune, rejeté par sa famille, trahi par sa mère, ne se laisse pas vraiment aller à la dépression.

B. D’autres enfants doutent en permanence de leur valeur: « Manque de confiance en soi … mauvaise image de soi … sentiments perpétuels d’infériorité » : voilà comment les adultes qui les observent les (dis)qualifient. Parfois la source principale du problème réside en eux-mêmes : ce sont des enfants prédisposés au pessimisme et à la culpabilisation de soi, qui ont erronément interprété des signes de leur entourage ou des expériences nouvelles : « Ne plus être le préféré de l’instituteur comme l’année passée, c’est bien la preuve que je suis un con »

Parfois, il n’y a pas de fumée sans feu ; l’on constate alors que des membres importants de leur entourage manquent d’amour à leur égard ou les disqualifient plus ou moins subtilement. Et puis, ces enfants s’introspectent et évaluent comme négatifs les comportements inadaptés qui expriment pourtant d’abord et avant tout leur mal-être : un cercle vieux rigide s’enclenche alors ! 

Sur le terrain de la vie quotidienne, voici donc des enfants moroses, peu créatifs, grincheux, vite mécontents. Quand ils essaient quand même de réaliser une performance, ils la ratent souvent par maladresse ou découragement. Ils se plaignent beaucoup, de tout et de rien, et ont avec les autres des relations difficiles sur fond de revendications et de mauvaise humeur ; ils indisposent tout le monde, le perçoivent bien et finissent par se retirer sur une île déserte, parfois dans une inaction entrecoupée de velléités, parfois avec un hobby qui les sauve vaille que vaille du désespoir de ne rien valoir.

 C. D’autres enfants vivent une honte intérieure tenace. Elle est éventuellement couplée à la culpabilité ( s’ils ont l’impression que c’est eux qui ont commis une faute ) et à la peur : peur d’être jugés, agressés ou exclus.

La honte, c’est la crainte d’être exposé, nu et ridicule et d’être montré du doigt par les autres qui se moquent ou se proclament déçus. 

 

 

C’est un « vécu » en recrudescence, aujourd’hui où l’image est reine, où l’on n’arrête pas d’être vu – souvent sans le savoir – et susceptible d’être exposé au jugement des autres, à leur admiration … ou à leur risée ! 

Honte pour la famille : honte d’être pauvre et sans les mêmes fringues que les autres, honte d’avoir une mère alcoolique, un père en prison, un frère très retardé mental …

Honte pour soi : avoir fait des choses vraiment mauvaises (l’abus sexuel d’un petit par exemple), mais aussi avoir les oreilles décollées…ou la maladie des tics ; être trop intello ou trop bête pour la moyenne du groupe des autres : tout peut être source de honte, en ce siècle de peoplisation où l’on demande de plus en plus à l’enfant de briller et d’avoir un rendement maximal. 

Il est évident que la honte coupe de la joie d’aller vers les autres (à l’école, au sport …) et amène l’enfant à trouver mille prétextes pour ne pas les fréquenter. A l’adolescence, cette coupure peut s’accompagner d’anesthésies compensatoires ( dépendance à l’ordi, alcool, rogues …) 

Malheureusement, un certain nombre de ces jeunes porteurs de « la honte » sont particulièrement maladroits dans leurs rapports avec les autres, qui remarquent d’autant plus vite des différences soi-disant à la baisse qu’ils n’auraient peut-être pas aperçus autrement. Alors, les premiers deviennent vite les boucs-émissaires des seconds. Ce phénomène de bouc-émissairage entre jeunes semble en recrudescence, notamment dans les écoles secondaires. Il n’est pas bon d’y être un « rej » (rejeté) Alors, brimades, vexations et même harcèlement à domicile (merci la technologie) s’abattent sur la victime. Peut-être d’ailleurs les bourreaux sont-ils eux-mêmes mal dans leur peau, plus rejetés par un monde hostile qu’ils n’en ont l’air, mais allez le leur faire comprendre ! Et les victimes, honteuses et terrorisées, mettent souvent des éternités avant d’oser parler !

 D. Enfin, l’existence d’angoisses de longue durée conduit souvent aussi au silence et à un certain isolement. Plus les enfants vieillissent, plus ils savent taire ce qu’ils vivent.

Que peut-il se passer en effet lorsque, d’aventure, ils sont maltraités ou agressés sexuellement, une fois ou à répétition, et lorsque, spontanément ou sous suggestion, ils se mettent à penser que, s’ils parlaient, leurs agresseurs pourraient se venger ou leurs familles vivre des catastrophes ?

Et autant s’ils sont rackettés … Ou encore s’ils se sont mis eux-mêmes dans des embrouilles favorisées par les temps modernes (dettes ; images sulfureuses sur Internet ; mauvais coup collectif …) 

Il y a de grandes chances pour qu’ils se taisent, longuement ou définitivement. Et pour qu’ils essaient de donner le change et de mener une double vie, mais où manquent la pétillance, la joie, la spontanéité, le contact facile et détendu avec les autres.

Ils s’y réfugieront d’autant plus facilement que leur famille est elle-même en cause ou ne leur donne pas de bons modèles de communication authentique ni de protection, surtout dans les moments difficiles. 

 Jeter des ponts : notre responsabilité d’adultes

 

Impossible de passer en revue tout ce que nous pourrions dire et faire pour bien accompagner et l’enfant en souffrance derrière son mur et souvent, sa famille. Je m’en tiendrai à énoncer quelques principes :

 Pour et en nous-mêmes, accepter de nous représenter l’existence possible d’une souffrance morale chez l’enfant.

 

Ne pas nous en tenir à une angélique imagerie d’Epinal, qui n’a jamais correspondu à la réalité : celle de l’enfant insouciant, toujours heureux de vivre et reconnaissant envers ses parents, innocent, ingénu, échappant aux soucis du monde.

Aucun enfant n’y correspond, pas plus les enfants étiquetés comme défavorisés que  nos propres  enfants et petits-enfants au sourire si désarçonnant.

L’enfant est très sensible aux remous émotionnels et à l’adversité qu’il rencontre. Il pense sa vie, pas toujours avec réalisme, plus souvent avec angoisse, fruit de son imagination du moment, qu’avec des lunettes roses innocent. En secret, il n’est pas rare qu’il se persuade qu’on ne l’aime plus, que ses parents vont l’abandonner ou qu’il va aller en prison pour une peccadille. 

Sachons donc l’écouter sans a priori, sans vouloir le reprendre ou le consoler trop vite parce que nous ne pouvons pas supporter la partie noire de son monde intérieur. A la question « Que penses-tu de … ? » « Que ressens-tu quand … ? », il devrait avoir le droit de répondre ce qui est vraiment en lui, quelle qu’en soit la tonalité. 

S'arrêter près de lui

 L’enfant qui souffre moralement le donne souvent à voir. Pour qui sait s’arrêter et le prendre en considération sans a priori, les signes sont nombreux, si pas toujours spécifiques : changements « à la baisse » dans son style de vie, fléchissement scolaire, ainsi que de la qualité de ses activités préférées ; sentiments nouveaux d’angoisse, de tristesse ; colères nouvelles et inattendues ou irritabilité diffuse ; appauvrissement des                              relations sociales, fuite des adultes, isolement, etc …

 

Dans le film Pelle le conquérant (B. August, 1988) Pelle et son papa, misérables exilés économiques au Danemark, se soutiennent mutuellement comme ils peuvent. Pourtant, à douze ans, Pelle quittera son père, après avoir gravement serré sa main pour aller faire sa vie en Amérique.

 Sachons donc aller vers lui avec délicatesse et lui faire savoir que nous sommes toujours là, désireux qu’il se sente bien, prêts à l’écouter s’il souhaite parler de quelque chose de difficile.

Et s’il parle, soyons ouverts à ce qu’il va dire : le centre de sa souffrance n’est pas nécessairement ce que nous imaginons !                                                     

 

 S’il accepte un tant soit peu notre présence, la patience constitue une vertu essentielle : aller à son rythme ; commencer à parler de choses et d’autres qui l’intéressent ; l’apprivoiser ; suggérer doucement telle ou telle source possible de soucis, que nous croyons deviner et dont il ne parle pas spontanément ; ne pas lui faire violence s’il se tait (3). 

Tout cela, je le redis encore, sans jamais blesser sa manière spontanée de parler ni le contenu de ses dires ! Si un enfant se sent coupable d’avoir subi passivement une agression sexuelle, écoutons-le d’abord humblement parler de sa culpabilité ; aidons-le à en déployer les tenants et les aboutissants ; ajoutons « C’est comme cela pour toi, c’est comme cela que tu le vis » Plus tard, il sera toujours temps de nous différencier respectueusement : « Tu sais, moi, je vois les choses autrement » C’est tout autre chose que de lui asséner : « Tu ne dois pas te sentir coupable » presqu’avant qu’il ait ouvert la bouche.

Si tel enfant est dépressif, à l’instar de Jonathan, il a besoin d’une présence soutenue, discrète et effective, à travers laquelle il constate que nous ne le laisserons jamais tomber. Ici aussi, il faut écouter : écouter son silence parfois très aride, ses idées noires, voire ses idées suicidaires ; l’aider à les déployer et à les exprimer, de sorte qu’il ne se sente pas seul à les porter, avec la honte et l’angoisse de les vivre dans le silence.

Et puis, pour lui comme pour l’enfant qui se sent coupable, nous avons le droit et le devoir de nous différencier,  mais délicatement, en évoquant nos idées sur le sens de la vie, sur les capacités que nous lui reconnaissons mais auxquelles il n’est plus sensible maintenant, ou encore sur le fait que toutes les dépressions se terminent tôt ou tard et que du ciel bleu finit par revenir.

Pas de promesses faciles

 

 Quand nous tentons de soulager la souffrance morale d’un enfant, soyons attentifs à ne pas lui faire de promesses faciles, de celles que nous ne pourrons pas tenir. Il n’est pas toujours possible de lui enlever la source de ses soucis : ses parents continuent à se chamailler, son instituteur reste anormalement dur avec lui, sa maladie de Gilles de la Tourette ne s’améliore pas beaucoup.

Certes, il est souhaitable que nous mettions d’abord de l’énergie à améliorer ces sources mais sans lui dorer la pilule, comme par exemple quand nous lui proposons des stratégies d’adaptation qui n’en sont pas.

L’enfant a d’abord et avant tout besoin de présence et de vérité, davantage que de fausses solutions qui n’anesthésient que notre mal-être d’adultes !

La délicatesse

 

Tous les enfants ne donnent cependant pas tous leurs soucis à voir. Plus ils vieillissent, plus ils sont capables de mener une double vie où ils gardent de lourds secrets pour eux, parfois même définitivement.

Les fois où, longtemps après, le secret est éventuellement éventé et l’abcès crevé, ayons au moins la décence de ne pas leur faire reproche du long délai qu’ils ont mis à parler.

Il s’agit plutôt d’écouter les bonnes raisons subjectives qui les ont poussé à se taire comme ils l’ont fait. Et donc,  de nous mettre en question : les aurions-nous vraiment aidé s’ils nous avaient fait la confiance de parler plus tôt ? Est-il  exceptionnel que nous nous réfugions une de ces bonnes hypocrisies d’adultes où, finalement, son problème reste entier et où nous nous donnons la bonne conscience d’avoir aidé ( des tranquillisants pour l’enfant plutôt que de nous affronter vraiment à tel enseignant imbuvable … ) ? Toutes les sources d’agression externe sont-elles vraiment réductibles ?

Enfants séducteurs et enfants ternes

 

 Lorsque nous sommes responsables de l’éducation de groupes d’enfants (à commencer par les fratries) soyons attentifs au pouvoir d’attraction, d’accaparement mental si pas de séduction qu’exerce le sous-groupe d’enfants à la fois sociables et extravertis.

Au détriment des autres, qui indisposent par leur comportement perturbé et n’attirent que de l’attention négative sur eux, mais aussi et encore davantage au détriment des introvertis, des taiseux, des moroses, ceux qui n’ont pas tout de suite des qualités pétillantes, tous les enfants derrière le mur dont j’ai parlé dans cet exposé. Ils se font oublier. 

Le temps étant une denrée à durée déterminée, les autres en mangent une bonne partie et il n’en reste plus pour ces enfants « rase-les-murs » ou derrière le mur. Et alors, le cercle vicieux s’aggrave. L’inattention des adultes nuit à leur stimulation mentale et les persuade encore un peu plus qu’ils sont sans valeur. 

Ce qui ne signifie pas que notre mission éducative soit de transformer tous les enfants que nous accompagnons en un peuple d’extravertis. Dans la diversité du monde, chacun a sa place : vivent donc aussi les introvertis, les méditatifs, les rêveurs, ceux qui gèrent volontiers l’aloneness … pour peu que nous ayons pris nos dispositions pour qu’ils se sentent bien dans leur état, en leur montrant toute la valeur qu’ils ont à nos yeux. En gardant intact l’investissement de leur personne et la relation avec eux. 

 

En guise de conclusion

 

Favoriser la sociabilité de nos enfants, ce n’est pas les inciter à s’investir dans une grande quantité de relations superficielles, comme pour les « amis » que l’on se fait sur Facebook.

C’est plutôt les inciter à vivre une confiance suffisamment bonne et réaliste dans ce qu’ils peuvent attendre de leurs proches et du monde.

C’est aussi les encourager à être bons, à avoir le cœur ouvert, rempli de sollicitude pour autrui.

C’est encore les encourager à utiliser une bonne partie de leurs ressources pour construire davantage d’humanité. 

Et tous ces objectifs, ce n’est pas par des moralisations ni par des règles que nous les atteignons. C’est bien davantage par notre témoignage de vie, assorti à l’occasion de dialogues et de commentaires authentiques. 

Notes 

  1. Aloneness et non loneliness.
  2. Toutes ces composantes de la communication sont détaillées dans l‘ouvrag:
  3.   La parole de l'enfant en souffrance  J.-Y. Hayez, E. de Becker,  Dunod, 2010. 

 

 

 

 

 



 En décembre 2019, deux suicides ont endeuillé la communauté pédopsychiatrique des cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. D’ abord une jeune psychiatre, quelques mois à peine après sa certification. Puis Noah, un jeune de 16 ans résident en hôpital d’adolescents, et apprécié de ses pairs pour son côté « thérapeute ». Dans les 2 cas, le suicide était tout à fait inattendu et avait pris une forme brutale.                           
Début janvier 2020, j’ai donc souhaité écrire les quelques mots qui suivent, dans le cadre d’un débriefing collectif avec mes collègues. 

La mort inopinée d’un jeune.

I. La plupart d’entre nous ressentent la mort d’un enfant, d’un adolescent ou d’un jeune adulte comme une agression du destin, plus scandaleuse, plus incongrue, plus blessante que celle d’un ancêtre. Elle déconcerte et angoisse, car elle n’était pas dans l’ordre prévisible des choses.

 C’est encore plus traumatisant quand elle est brutale, non- attendue, « inopinée » (1) Et c’est encore plus choquant si elle ne se présente pas comme inéluctable : mort de Jo Van Holsbeeck ou des bébés de la crèche de Termonde, suicide, mort par accident, surtout s’il est consécutif à une prise de risque inconsidérée (alcool...).
Dans la représentation sociale, ce premier temps du cycle de la vie, surtout à partir de l’adolescence, se dessine comme celui de l’ efflorescence de la pulsion de vie et d’amour,  celui de la force, de la fête et des transgressions joyeuses, celui des folles espérances dans le lendemain et de la créativité originale. Représentation sociale réductrice, certes, qui fait l’impasse sur la possible souffrance morale des jeunes, mais non sans quelque valeur statistique : elle convient « suffisamment bien » (2) à plus de la moitié des jeunes plus de cinquante pour-cent de leur temps de vie. Et quand le grand dragon noir de la mort plonge sur le groupe pour emporter un membre dans ses serres, ça brise toute la représentation, et pas seulement sa dimension excessive illusoire/Epinal.

 Pourtant, cognitivement, nous savons bien que « Nous ne connaissons ni le jour ni l’heure ». Mais beaucoup, qui se croient en bonne santé, ne se sentent guère concernés par la question de leur mortalité ou n’y pensent que fugacement, par exemple quand décède un proche âgé.

II. En résulte -t-il du traumatisme psychique durable ou, au contraire, une leçon de vie positive à long terme ? 
Pour beaucoup d’entre nous, ni l’un, ni l’a u tr e !      Pendant quelques semaines, nous avons quasi tous vécu « Je suis Charlie » et puis, passé le temps de la tristesse, de l’angoisse ou de l’indignation, les habitudes et les croyances anciennes sont venues nous réhabiter : impression d’être suffisamment en sécurité, d’être suffisamment efficaces pour vivre bien et longtemps : la force de vie a fait ses cicatriser le trou créé dans le tissu social par la plongée du dragon.

Peut-être quelques -uns en conservent-ils plus durablement un ’’enseignement positif « suffisamment bon » : gérer sa propre vie plus prudemment...mieux contrôler ses consommations…communiquer... ne pas garder pour soi son propre mal-être... se montrer plus attentif et plus solidaire des autres...

Quelques-uns seulement sont plus longuement marqués : ils se font des reproches personnels plus ou moins fondés et j’y reviendrai dans l’alinéa consacré au suicide, « un acte qui fâche et qui culpabilise ». Même dans d’autres types de mort brutale, ce vécu pénible et durable peut envahir tel ou tel proche (ex, parent qui se reproche sa démission face aux sorties « arrosées » de son ado mort sur la route).
 Ceux-là et quelques autres encore ne feront jamais - ou jamais vraiment - le deuil du jeune disparu. Je me souviens de cette maman d’un ado suicidé qui avait demandé une thérapie pour comprendre et qui me répétait si souvent « Et ne croyez surtout pas que vous allez me guérir de ma peine ». Je lui répondais « Je ne veux pas vous guérir. Je souhaite vous écouter, être présent, pour que vous soyez moins seule avec votre peine. Votre peine, c’est aussi l’alliance que vous perpétuez avec votre fils ».  

Le suicide, un acte libre ?  

I. Veillons d’abord à ce que cette idée ne constitue pas un moyen de nous en tirer à bon compte (3)!

Certes, dans un vrai suicide, il n’y a pas de contrainte externe directe. La personne a vraiment décidé de poser l’acte autodestructeur qui lui paraissait la chose la plus importante à faire, avec des motivations très variées.
Pas toujours sans hésitation ni ambivalence : mais finalement les forces « pour » l’ont emporté sur les forces « contre » avec suffisamment de répétitivité et de stabilité que pour se donner le courage des derniers pas (4) 
Donc, la décision, la personne la prend librement...

II. Mais qu’en est-il de sa lucidité ??
Le plus souvent, les idées du suicidant ne sont plus objectives, c’est à dire ne sont plus totalement en phase avec la réalité matérielle, familiale et sociale qui l’entoure et elles n’anticipent pas correctement ce que pourrait être son propre futur (5). Ce brouillard est parfois (largement) provoqué par un déséquilibre organique : bipolarité, psychose à l’origine d’un flash délirant anxieux ou paranoïaque…. Il est, plus souvent encore, (largement) psycho-social : dépression, certitude de ne rien valoir, vécu de solitude totale, d’être au bout du rouleau, angoisse d’être ce que l’on est (homosexuel par exemple), angoisse de s’opposer au projet des parents, désespoir d’une rupture sentimentale, d’une trahison, etc...


Et nous sommes alors en droit de penser « S’il -elle-s’était laissé-e approcher et connaître mieux, nous aurions peut-être pu contribuer à lui redonner le goût de vivre, par notre solidarité, notre présence, nos paroles, nos médicaments... ». Hélas, nous savons aussi que bien des candidats au suicide ont l’art de se renfermer sur eux-mêmes, de fuir la famille ou le groupe et, pire encore, de dissimuler soigneusement leur désespoir et leur projet!



Le suicide, un acte qui fâche et qui culpabilise

I. Voilà bien un apparent paradoxe ! Souvent, les proches de la personne qui s’est suicidée se sentent confusément ou clairement fâchés : elle les a bien laisser tomber ; elle n’a peut-être pas voulu de leur main tendue ; elle leur a soigneusement dissimulé son projet, etc...

Et il n’est pas rare que cette colère même les culpabilise, comme s’ils n’avaient aucun droit d’agresser un mort !      
Peut-être, pour s’apaiser, peuvent-ils se souvenir du manque de lucidité si fréquent qui a présidé au geste fatal. Par contre, s’ils sont convaincus que, par sa mort, la personne suicidée a voulu - entre autres- les agresser, il est bien possible qu’ils voient juste ; une dimension agressive dans le suicide n’est pas si rare ! La colère alors ressentie est en partie légitime, mais ne devrait pas empêcher les survivants de se mettre en question, de balayer devant leur porte et d’assumer la part possible de responsabilité qu’ils ont eu dans les manques ressentis par le mort. Je vais parler tout de suite de la gestion de la culpabilité « objective » qui pourrait en résulter.

II. La culpabilité concomitante quasi- réflexe ressentie par tant et tant de proches n’est pas toujours liée à cette possible colère : tel jeune ado a maudit cent fois son père et le découvre pendu à la poutre du garage. Une adolescente harcelée à l’école finit par se supprimer. Un membre d’un groupe, solitaire et difficile à vivre, est plus ou moins laissé à l’écart, là où il a l’air de se complaire, mais finit par s’ouvrir les veines…

Et donc, si la culpabilité surgit, commençons par écouter ce qu’elle nous raconte !

A un pôle, il est possible qu’elle ait des composantes tout à fait irrationnelles, et que nous n’ayons objectivement rien (6) à nous reprocher : nous avions bien remarqué le mal-être d’un proche, nous avions essayé de lui parler, avec un peu d’insistance amicale, et il n’avait pas voulu de nous ! Notre culpabilité alors, n’est pas davantage rationnelle que la « faute » du messager de mauvaises nouvelles, que l’on mettait à mort dans les civilisations antiques.
Espérons donc que nous assumerons de ne pas être tout-puissants, et que ce vécu pénible s’éteindra tout seul.

Au pôle opposé, il se peut aussi que nous nous reprochions plus objectivement certaines attitudes : indifférence, rejet, mépris, manquement plus grave encore… Il est stérile alors, de nous voiler les yeux comme le proposent naïvement les nord-américains (« Tu n’es responsable de rien... »). Assumons plutôt que l’un de nos actes ou omissions ou de nos propos a pu contribuer au suicide, en résonance négative avec la sensibilité et les soucis personnels de celui qui est passé à l’acte.

Quand je me suis trouvé face à une situation analogue - celle d’avoir blessé quelqu’un injustement, irréversiblement, et en perdant le contact avec lui- l’important pour moi a toujours été de l’assumer, de me pardonner, et de réparer le dégât occasionné par une manière d’être plus attentive et plus sociable.

Le plus dur, me semble-t-il, c’est lorsqu’on a provoqué l’irréversible du suicide sans le vouloir. Je pense notamment à ceux et celles qui ont initié une rupture amoureuse que l’ex- n’a pas pu supporter, jusqu’à se suicider. Théoriquement, on ne devrait éprouver ici que la culpabilité irrationnelle du premier pôle. Mais le survivant concerné se souvient alors de bien d’autres manquements dont il a été responsable : il gagnerait à les assumer et les gérer comme la culpabilité du second pôle. 

Efficacité et limites de l’éducation et des soins. 



I. Le suicide d’un patient est très souvent ressenti comme un échec douloureux par l’équipe de professionnels qui l’accompagnait. L’équipe se sent brutalement triste, fâchée et coupable, comme décrit plus haut : elle se reproche de ne pas avoir mis en place une vigilance et une protection efficaces, d’avoir manqué de lucidité pour repérer des signes avant-coureurs…Et au moins autant, de ne pas avoir trouvé les bonnes paroles ou attitudes qui auraient pu persuader le patient de rester en vie... tout en respectant sa liberté d’être.

Il lui faut assumer ces vécus pénibles et en parler, entre soi ou ailleurs. La soi-disant sérénité immédiate, revendiquée par certains thérapeutes face au suicide d’un de leurs patients, du déni, m’a toujours semblé constituer en bonne partie l’autosuggestion et du bluff : si attachement il y a, même dans le cadre de la neutralité bienveillante, c’est affaire de la pulsion de vie, pas de celle de mort, et cette séparation brutale et non annoncée est douloureuse, angoissante, culpabilisante dans la grande majorité des situations (7)  : pour ma part, je n’ai jamais si mal dormi que les quelques nuits où je savais l’un de mes jeunes patients dans une passe suicidaire non- théâtrale, avec refus de toute hospitalisation. Je faisais alors le choix de lui parler souvent, avec même la liberté de m’appeler sur portable jour et nuit, en sachant combien sont illusoires les murs des collectivités censées protéger.      Le drame que vient de vivre le service résidentiel qui accueillait Noah, et qu’à déjà vécu tout hôpital psychiatrique, en est bien l’illustration.      

II. Et au fur et à mesure que l’on assume, de quoi gagne-t-on à se souvenir ?


A. Pour ma part, je trouve important de ne pas confondre les notions d’échec et de limites.  

 
1. L’échec, c’est quand nous sommes responsables d’un drame ou d’une stagnation (dans le domaine des études, par exemple) alors que cela aurait pu être évité : nous avons manqué de courage, de générosité, d’investissement positif et sincère de l’autre ; nous ne nous sommes pas formés, alors que nous l’aurions pu ; nous avons fait semblant d’être très compétents, alors que nous savions bien que nous ne l’étions pas, etc. Dans une telle ambiance bureaucratique, où nous étions loin de donner le meilleur de nous-mêmes, des drames peuvent se produire, tel le suicide.

 Et puis ? Je vous renvoie encore à ce que j’ai écrit plus haut sur la culpabilité : même si, ici, elle est objective,  il est toujours possible de l’assumer, puis de se pardonner en s’améliorant significativement. 

2. Bien plus souvent, dans une équipe qui travaille correctement, ce n’est pas à l’échec que le suicide confronte, mais bien à la limite : l’efficacité des éducateurs et des soignants, toute réelle qu’elle soit, ne sera jamais toute-puissante. Nous n’aurons jamais un contrôle total sur les pensées et les motivations des autres, et c’est très bien ainsi. Même dans les dictatures extrêmes, seule l’apparence des peuples est faite de pseudo-conformisme !  
Plus haut, j’ai regretté que la liberté de la majorité des suicidants n’était plus éclairée par une lucidité « suffisamment bonne ». Et j’ai ajouté qu’il était de notre devoir de parler, de parler sincèrement et intimement, en allant au bout de nos convictions, pour modifier l’analyse que fait le futur suicidant des données de sa vie. Mais nous savons bien que nombre de patients, notamment des ados, refusent ces rencontres de paroles, même quand elles sont parfois un peu dissimulées dans des ateliers et autres activités de groupe. Et nous savons aussi que nous ne convaincrons pas tous ceux avec qui nous parlons. Et donc, que d’autres suicides continueront à se penser et à se préparer dans le secret des chambres ou dans les divagations d’Internet. Surveiller et tenter de protéger davantage, pour qu’une mauvaise passe s’éloigne ? Sans doute, mais même alors... Alors, si le suicidant réussit son coup, paix à son âme mais que la nôtre la retrouve aussi, la paix, une fois passé et digéré le choc douloureux !                                        

B. Et je terminerai par une note d’espérance, à laquelle je crois profondément :

S’il nous faut assumer avec humilité nos limites, nous pouvons nous réjouir aussi de ces nombreuses fois où nous avons vraiment aidé nos patients à mieux vivre. Partie de hasard favorable, peut-être, parce que nous nous étions présents pour leur tendre la main au pire d’une mauvaise passe. Mais pas seulement cela ! Notre respect, notre investissement de la personne qui souffre, notre patience qui tient bon, l’utilisation judicieuse de nos compétences, issues en partie de l’entretien de nos connaissances, tout cela et bien d’autres facteurs encore portent souvent des fruits, des petits ou des suffisamment bons. Sans vouloir nous mettre de la pommade pour nous rassurer, cette part d’évaluation positive devrait nous inviter à persévérer, à continuer à croire dans nos merveilleux métiers ! 

 

. Le psychiatre, plus fou que ses malades ? 


Nous n’empêcherons pas de ricaner celles et ceux qui ne nous aiment pas ! Qu’importe !

Pratiquer la psychiatrie, pour moi, c’est consacrer une partie de ce que je suis au service de mes patients : mes idées, mes questions, le fruit de mon histoire de vie, mes sentiments, mes valeurs... Il n’y a rien dans cet ensemble qui ne soit authentique. Ce n’est pas un rôle que je joue ! Serais-je pour autant une sorte de « Moi hors d’atteinte » épargné par les doutes, les souffrances, les failles, les possibles déséquilibres organiques cérébraux de mes « frères et sœurs humains ». Nullement ! Un jour, comme nous tous, j’ai été recruté et considéré comme apte à entrer dans la profession, parce qu’il semblait aux décideurs que l’ensemble de ma santé mentale était « suffisamment bonne » et que j’avais quelques dispositions spécifiques. Mais j’aurais parfaitement pu dissimuler mon mal-être, ou ne pas être conscient que ses germes grandissaient lentement en moi. Et puis, les hasards de la vie et de l’évolution individuelle ultérieure apportent leur lot de bonheurs, de souffrances et de points de déséquilibre. Et croyez-moi, je sais de quoi je parle : après le traumatisme psychique d’un attentat, que je n’avais pas voulu regarder en face, j’ai payé pendant quelques années un lourd tribut à la souffrance du corps et de l’esprit, et la solidarité de mes collègues m’a permis de mettre entre parenthèses mes fonctions le temps qu’il fallait.

Et alors ? Alors, n’ayez pas peur de ce que vous êtes ! Assumez vos richesses, qui vous permettent d’exercer votre métier, mais aussi vos failles qui sont et resteront dans le chemin. Faites pour vous-même ce que vous encouragez vos patients à faire : que vos failles et vos souffrances ne constituent pas de pénibles secrets ! Faites attention les uns aux autres ! Communiquez ! Dites votre disponibilité à vos collègues et amis. Insistez un peu si vous les sentez à la dérive. Demandez de l’aide : vous trouverez bien un « frère ou une sœur » psychiatre ou psychothérapeute capable de confidentialité et mieux à même de vous écouter à ce moment-là de sa vie. 



Que le chant et la poésie servent de conclusion.

                                        
Je vous propose, pour terminer, un lien vers deux magnifiques chansons, peut-être un peu trop pessimistes, mais bon... :
         Félix Leclerc évoque la douleur de la séparation dans :

« Le petit bonheur » https://www.youtube.com/watch?v=IOmZ_pF_XFI


         Georges Brassens a mis en musique un superbe poème de Louis Aragon :

 « Il n’y a pas d’amour heureux »         https://www.youtube.com/watch?v=SccKLmENjpk                                                   

 

 

 Très amicalement          

Pr. Jean-Yves hayez

 

 

(1) Étymologiquement : on ne l’avait pas « pensé », on n’avait pas pu se faire une opinion anticipative quant à sa probabilité.

(2) Celles et ceux qui me connaissent savent que j’apprécie beaucoup cette locution de Winnicott, que je trouve adaptée à mille phénomènes humains. Il disait que la vraie bonne mère n’est jamais que celle qui est « suffisamment bonne ». Donc, la perfection n’est pas de ce monde et des failles se mélangent toujours à nos richesses.( D.W. Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1974).

(3) Et pour se consoler, en déniant  leurs doutes, certains psy ajoutent: « Et moi, fondamentalement, je dois respecter la liberté de l’autre ».           

(4) Comme on ne peut jamais généraliser, il existe bien quelques adolescents - en grande majorité eux - très impulsifs, agités, parfois désinhibés par un médicament, qui peuvent passer à l’acte de façon quasi-irréfléchie, poussés par une émotion momentanée très pénible.

(5) Ici aussi, il existe quelques exceptions : immolation par le feu pour des raisons politiques ; évasion par la mort d’un camp de concentration ; Montherlant qui se tire une balle dans la tête pour ne pas vivre sa propre déchéance cérébrale….

(6) Rien ou quasi-rien : on peut toujours regretter de ne pas avoir été parfait….Mais let’s remember Winnicott….

(7)  L’une ou l’autre fois dans ma carrière, il m’est néanmoins arrivé de penser, face à des patients adultes irréductiblement isolés socialement, indéfiniment très malheureux, impuissants à se remettre debout, qu’il eût été préférable pour eux qu’ils se suicident. Sans jamais émettre la moindre suggestion dans cette direction, bien sûr ! Et ceux-là ne l’ont pas fait.         

 

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 Les Instances à l'oeuvre 

 

A - L'adolescent prend distance de ses parents, ses premiers objets d'amour, parfois sans qu'il lui en coûte beaucoup, et parfois en se faisant fortement violence. De la sorte, il fuit comme il peut ses désirs incestueux ou ceux de rester un bébé dépendant 

. En même temps, une autre catégorie de pulsions et de désirs en lui, son agressivité, sa toute-puissance, le pousse à s'opposer plus que jamais à eux ... et s'en écarter peut également constituer, paradoxalement, et une manière de s'opposer, et une manière de soulager la culpabilité que fait monter en lui l'exercice de sa violence.

On devine sans peine l'ambivalence qui sous-tend cette distanciation, et les allers et retours qui la concrétisent ...

Par ailleurs, s'il s'active bien à partir du nid familial, il ne trouve pas tout de suite des objets de remplacement satisfaisants, ni dans le monde de ses pairs, ni dans la société où il tente d'abord de dénicher d'autres figures parentales, mais cette fois choisies par lui.

Donc, moments de « vide » d'objets, amenant dépression et angoisse... et culpabilité aussi, car il n'est pas toujours fier de ses pulsions ni de ses actes et on lui fait bien sentir qu'il est mauvais pour un oui pour un non en confondant ses défis et de vrais actes antisociaux.  

B - Son corps change ... sa mentalité aussi ... il est traversé par des sentiments nouveaux, des idées qu'il reconnaît à peine, des émois sexuels ... parfois, il peut diriger vers ce « Soi-changeant » un amour et une estime positifs et même, par moments, intenses ( moments d'exaltation narcissique ) ... mais parfois, il s'évalue lui-même comme un minable, un con ou  un monstre ( de laideur ou/et de malignité ) ; cette mauvaise image de soi est à l'origine d'angoisse, de dépression ou/et d'auto-agression. Cette dernière prend parfois la forme détournée de provocations négativistes  spectaculaires. 

C - Son intelligence devient plus introspective, mais cette introspection doit travailler sur un « Soi nouveau et inconnu ... », en même temps aussi qu'il se méfie d'autres sources de référence, ou qu'il ne les déniche pas tout de suite : donc crise plus ou moins profonde du sentiment d'identité ; vide ou bouleversements mouvants dans l'Idéal du Moi : tout un temps, il a de la peine à repérer et nommer qui il est, et ce qui est important, idéal pour lui. 

D - Peut-être aussi l'adolescence est-elle traversée par des phénomènes cérébraux qui constituent des complications autonomes supplémentaires.

On pense tout de suite, à ce propos, aux mécanismes diencéphaliquo-hypophysaires à l'origine de la production des hormones sexuelles. Celles-ci ont un effet, non seulement sur les changements sexués du corps et sur l'activation sexuelle, mais aussi sur les comportements en général.

Mais il existe peut-être d'autres phénomènes cérébraux. Par exemple, régulation diencéphalique fluctuante de l'humeur, même, chez l'adolescent normal, cycliquement prédisposé à la dépression ou à l'excitation hypomaniaque dérégulation dopaminergique qui explique en partie les alternances activation  excessive - passivité.

 

 .Expression clinique de la crise d'adolescence 

 

A - Chez beaucoup

 

 en réponse à ces remaniements somatiques et intrapsychiques, on devine bien quels seront les signes de la crise, mouvants et polymorphes : se chercher par rapport à ses parents, à d'autres substituts parentaux de référence, à ses pairs et à soi-même, avec beaucoup d'aller-retour, de tumulte et de versatilité ... fluctuer dans ce que l'on aime ou que l'on hait, ce que l'on trouve important ou dérisoire et dans les signes qu'on donne pour l'exprimer ... passer par des cycles de dépression ou de surestimation de soi, d'angoisse, d'hyperactivité ou de passivité, d'agressivité ou de débordements affectueux, etc. 

 

Chez certains, cette crise d'adolescence peut prendre des allures encore plus spectaculaires. 

 

En voici quelques exemples : 

- Déprime d'installation brutale, souvent très démonstrative, en même temps qu'il claque les portes et ne se laisse pas approcher. 

- Accès de mauvaise humeur bruyante, tous azimuts (contestation impertinente ou haineuse gratuite... emportements envers la fratrie... crises de nerfs : néanmoins, franchit rarement le seuil de la violence physique dangereuse) 

- Bouffées d'angoisse (jusqu’à la crise de panique ..., la nosophobie intense) 

- Dysmorphophobie obsédante (DSM-: peur d'une dysmorphie corporelle) 

- Adhésion à des croyances qui changent une partie de son identité et s'expriment très ostensiblement (par exemple envahit sa chambre, et parfois même la maison, avec ses références et insignes liés à telle mouvance culturelle adolescente ... voire à l'extrême- droite, au satanisme ou au mysticisme religieux ; n'admet aucune discussion à ce Sujet …) 

- En outre, rarement, l'adolescent peut faire part d'expériences vécues qui évoquent encore plus directement la folie, sous forme d'une dépersonnalisation mineure. Par exemple, il raconte que parfois, il ne se reconnaît plus ... ou qu'il sent ses pensées s'échapper, ou qu'il voit ses mots se matérialiser et s'écraser contre un mur ... ou alors, que- dans sa tête, sa pensée se complique et s'enchevêtre ..., ou encore qu'il a des impressions de télépathie, de télé portage, etc. ... 

C - Le plus souvent, ces phénomènes excessifs et inquiétants rentrent dans l'ordre au fur et à mesure que le sentiment d'identité s'affermit et que la mouvance des investissements de personnes se stabilise à nouveau. 

 

Évolution et pronostic 

 

En règle générale, la « crise d'adolescence » se résout en quelques mois à deux, trois ans : l'adolescent reconquiert un « sentiment d'identité » et des investissements objectaux plus stables ; il se redonne un projet de vie qui le satisfait personnellement (cfr. l'adage : « un temps pour comprendre ... un temps pour expérimenter ... un temps pour conclure ») Il en va souvent ainsi, même si l'expression de la crise avait été bruyante et inquiétante. 

Souvent mais pas toujours.

Il est déjà arrivé que ce que l'on voulait considérer comme une crise d'adolescence « appuyée » ait constitué les prémisses d'une vraie psychose que l'on ne voulait pas regarder en face. Face aux crises les plus dérangeantes, les plus inquiétantes, voici quelques indicateurs de bon pronostic : 

- Activités sociales non compromises : à certains moments, il est comme fou mais, plus souvent il fréquente ses amis, continue son sport favori... Pour la fréquentation de l'école, c'est un peu moins certain mais quand il dit ne pas pouvoir y aller, on a une impression de manipulation. 

- Les « messages » de son comportement restent logiquement décodables pour l'entourage. 

- Sa fonction autocritique reste présente comme toile de fond même si elle est débordée dans de rares occasions. La majorité du temps, il sait bien qu'il ne devient pas fou, et il peut l'affirmer tranquillement. 

 

 Accompagnement de la crise d'adolescence

 

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A- La « présence à l'adolescence » à laquelle sont invités les parents d'abord, d'autres adultes ensuite (enseignants ...) comporte beaucoup de composantes non-spécifiques. 

Nous nous limiterons à insister sur la fonction structurante de : 

- La patience, la tolérance face aux tâtonnements et manières de s'exprimer d'un être qui se cherche.

Tolérance n'est cependant pas démission : on ne peut pas lui reconnaître le droit, ni de « pomper l'air » des autres exagérément, ni de se mettre vraiment en danger, ni de se livrer à des actes vraiment antisociaux. 

- Le respect : rien de plus humiliant que de sourire de lui, de lui dire qu'il « faut qu'il fasse sa crise » 

- L'encouragement : lui parler positivement de son avenir, réinstaller discrètement la confiance dans ce qu'il vaut et l'espérance qu'il  pourra se réaliser. 

- La disponibilité au dialogue, sans imposer jamais celui-ci : être prêt à parler avec lui de la vie, de ses et de nos questions existentielles, de nos valeurs et de nos incertitudes ... 

Dans ce cadre, la vie continue, les tempêtes finissent par se stabiliser, et un projet par se redéfinir ... tout seul. 

B - S'il est invité à donner son avis,  à arbitrer, ou à rendre à nouveau sage l'adolescent déchaîné, le psy consulté peut dialoguer avec les parents pour qu'ils oeuvrent comme l'indique A. ; si l'adolescent est demandeur de rencontres avec lui, il peut y appliquer directement les grands principes que nous venons d'esquisser.

Les rares fois où il doute (c’est-à-dire là où il pense que la crise d'adolescence pourrait se transformer en pathologie plus grave), il lui revient d'être vigilant dans la « solitude », par exemple en intensifiant les rencontres, mais sans tout de suite alarmer les parents ou/et le jeune sur ses doutes.