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 Introduction

Je vais décrire trois statuts à l’œuvre dans le cadre général de cet ouvrage, celui de l’accompagnement, par la société, des personnes censées en avoir besoin. Je décrirai aussi les relations interpersonnelles ou interinstitutionnelles liées à ces statuts.

 Je parlerai d’abord du statut des mandants, qui confient un mandat à un mandataire, pour que celui-ci mène une action envers un bénéficiaire (ou utilisateur) Cette action inclut une ou des dimensions comme : l’éducation quotidienne, l’instruction, l’hébergement, les soins, l’animation culturelle, sportive, de loisirs, l’aide sociale, l’exécution d’un jugement, etc.

Souvent, les trois statuts sont portés par des personnes ou des institutions distinctes. Mais pas toujours ! Il peut arriver que le bénéficiaire soit aussi le mandant. Par exemple, des parents et un adolescent s’adressent de commun accord à un centre de santé mentale pour des soins. Ce centre est leur mandataire, et ils se situent donc en amont et en aval.

A quelle place trouve-t-on habituellement les parents d’un mineur d’âge ou les proches d’un adulte bénéficiaire ? C’est très variable. Parfois, ils sont les seuls mandants de l’action à venir. Ailleurs, ils en sont les bénéficiaires  au même titre que l’individu officiellement désigné. Ils peuvent encore être et mandants, et co-bénéficiaires (par ex., via des thérapies ou des actions sociales qui visent toute la famille) Ailleurs encore, les parents sont délibérément mis à l’écart des processus engagés ou ne les connaissent que comme témoins, sans responsabilité ni pouvoir dessus. Il n’est même pas impossible qu’ils se trouvent contraints de participer à l’action du mandataire, au même titre que leur enfant. 

 TERMINOLOGIE ET DÉFINITIONS

 Mandat, mandants et mandataires  

une délégation par laquelle le détenteur d'un pouvoir - le mandant - « passe », délègue celui-ci à un autre - le mandataire - en vue d'un objectif et le plus souvent pour une durée définie. Le mandataire se voit investi des droits et devoirs liés à ce pouvoir.

Selon les cas, le mandat se confie oralement, solennellement ou non, ou par écrit ; le mandant dispose de son pouvoir d'office ou dans le cadre d'un premier mandat, dont il est lui-même le mandataire. Le déléguer ne signifie évidemment pas que le mandant soit dépossédé de son pouvoir : simplement doit-il veiller, sur le terrain, à ne pas reprendre de la main gauche ce qu'il a passé de la main droite.

 

Dans les mandats, il existe deux niveaux d'étendue et d'intensité très différentes : 

---- D’abord, via les Pouvoirs publics, notre société nous mandate, nous les professionnels, pour soigner, juger, soutenir socialement, protéger, instruire, etc. Elle nous agrée et nous paie éventuellement pour le faire, et le contrôle qu'elle exerce pour vérifier notre adéquation est des plus variable : nous parlerons ici d'un mandat général ou social ou de premier niveau. 

---- Des parents, de leur côté, mandatent un internat d'éducation ; un magistrat (1) mandate un expert ou une équipe sociale pour l'aider à instruire les problèmes d'un jeune ou à exécuter son jugement (2). Un jeune lui-même s'adresse à une équipe de prévention, directement disponible aux adolescents : au sens large du mot, il la mandate, partiellement et souvent transitoirement, pour assumer avec lui la part de pouvoir qu'il a déjà sur sa vie : ici, nous parlerons de mandat strict ou interpersonnel ou de second niveau. 

ainsi un premier mandataire, chronologiquement parlé,  mandate au besoin d’autres types de professionnels en aval s’ils sont utiles au bon accomplissement de ses objectifs : il est à la fois mandataire et mandant, et la cascade peut continuer.

Il existe aussi fréquemment des co-opérations (3)  de mandats différents et censés être complémentaires au service de la même personne ou de la même famille. 

Les Pouvoirs publics, eux-mêmes mandataires de la Nation pour appliquer la Constitution et les Lois, mandatent des Juges pour mineurs ; ceux-ci, à leur tour, mandatent des intermédiaires sociaux spécifiques et agrées (4) pour appliquer leurs jugements ; ceux-ci font de même avec un service bénéficiaire organisé pour accueillir de jeunes délinquants. Les professionnels de ce service, de leur côté, peuvent en mandater d'autres, externes et spécialistes de secteurs précis de l'éducation : psychothérapeutes, enseignants, dirigeants sportifs, etc. Reste à espérer que, dans tout ce processus, les parents et le jeune seront associés autant que possible aux décisions qui se prennent. A tout le moins, qu’ils restent suffisamment informés, avec le respect d’une hiérarchie dans les informations reçues : au sommet de celle-ci, que veut le juge ? Qu’attend-t-il d’eux ?

 

Il n’est pas rare non plus que la même famille « bénéficiaire » se retrouve aux mains de mandataires différents, mais dont les objectifs sont identiques ou très proches : famille mandante qui, de sa propre initiative consulte simultanément des services de soins spécialisés, un neuropédiatre et un pédopsychiatre par exemple, mais qui travaillent dans l’ignorance mutuelle ou la rivalité…famille « cas social » prise en charge par une nuée de services sociaux, chacun n’ayant d’ailleurs que peu de temps à lui consacrer, etc. 

Au fil du temps, il existe encore parfois des changements, voire des dérives inacceptables dans la nature même des statuts (mandats, mandataires ou récepteurs de l ‘accompagnement mis en œuvre)!  

 Des parents réputés marginaux confient librement leur bébé à une pouponnière ou à un service de pédiatrie,  mais s'ils veulent le reprendre à la maison, il se peut que cela leur soit refusé, par exemple, par un organisme social de supervision, dont la décision dépasse alors parfois les limites de son mandat, ou par un magistrat, après que l’organisme ait signalé que le bébé était en danger. (Le mandat de la pouponnière devient alors « judiciaire ») 

Ces superpositions et mouvances créent parfois bien des confusions et conflits de compétence.  Chez les parents, c’est souvent le sentiment d’injustice, la colère impuissante, la méfiance qui se radicalise face à tout ce qui se prétend « institution pour vous aider ». Quant à l’enfant, trop souvent, on ne lui explique pas grand-chose : les trois semaines de placement qu’on lui avait annoncées pour l’hospitalisation de sa mère dépressive devienne t trois ans…et s’il se replie sur soi, s’il se méfie des adultes ou n’au aucune motivation scolaire, on dira encore que c’est à,  cause de la mauvaise qualité des liens précoces !

 

c’est  le plus souvent au prix d’un  investissement authentique et fort que les plus démunis verront se restaurer le sentiment de leur valeur (5). On évoque parfois le risque qu'à  procéder ainsi, les professionnels à l’oeuvre pourraient être créateurs de dépendance et de passivité. Mais cette objection n'est-elle pas plutôt une justification de la bureaucratie des objecteurs ? 

Le psy qui assure la psychothérapie de soutien d'un jeune, n'est pas tenu de renvoyer celui-ci : « Taka te débrouiller (avec ton éducateur, ton juge, tes parents) pour faire valoir tes requêtes. Moi, je ne suis pas là pour ça » En réfléchissant bien à ce qu'il fait, et en dosant judicieusement ses « coups de main », il peut parfois en faire plus, c'est-à-dire aider à ce que la porte d’autres adultes s'ouvre vraiment pour écouter la parole du jeune. Il en va de même pour l'aide sociale apportée à une famille dans ses démarches matérielles et administratives.  

 ou encore, si le pragmatisme le recommande, tout mandataire qui remplit correctement son premier mandat officiel, est en droit d’y ajouter des missions annexes, sous mandats complémentaires, à la demande des bénéficiaires ou de sa propre initiative et avec l’accord de ces derniers.

 Ces adjonctions, issues d'autres interrelations, d'autres jeux de demandes et de réponses, peuvent s'avérer positives pour tous, pour autant que : 

- Le mandat officiel initial continue à être rempli.

- Les missions annexes sont accomplies, elles aussi, en tenant les engagements pris à leur sujet : ( ce qui suppose qu'elles aient été préalablement annoncées et convenues ) Remarquons que le même réceptionnaire peut être « obligé » pour le mandat officiel et libre pour les missions annexes !  J’y reviendrai par la suite.

- La mise en place de ces missions annexes ne crée ou n'aggrave pas d'autres dysfonctionnements sociaux.

 

Une institution résidentielle qui prendrait trop intensément en charge les parents d’un bénéficiaire pourrait peut-être, involontairement ou non, disqualifier ou concurrencer d'autres intervenants plus statutairement chargés de le faire, 

A ce propos, je recommande de faire preuve de souplesse et de pragmatisme, sans préconiser « le rôle pour le rôle.», car l'être humain en difficulté se restaure à partir de liens interpersonnels de confiance. 

Si une famille a exclusivement et irréductiblement confiance en une équipe, elle devrait pouvoir travailler avec celle-ci, même au-delà du mandat officiel de l'équipe, rempli lui aussi.  Nouvelle étape à envisager sans arbitraire : un nouveau mandat peut être conclu et de nouveaux contrats passés.

 

 Les contrats 

1.2.1 Passer un contrat 

Dans mon acception du terme, les contrats  sont des conventions passées entre les deux premiers ou les trois partenaires des mandats ( mandants, mandataires et utilisateurs ), par lesquelles ils s'engagent à suivre des procédures et/ou à poser des actes intermédiaires qui rendent possible et prévisible l'accomplissement du mandat ( Galbai, 1991, p. 475 ) Les contrats portent davantage sur les procédures que sur les objectifs du mandat : il est possible que ceux-ci aussi soient négociés et convenus, mais je n’ n’emploierai pas le terme  « contrat » à leur propos.

 Ecrits ou oraux, les contrats gagnent à être explicites : il s'avère souvent dangereux de croire que certains actes ou démarches « vont de soi », sans qu'il soit besoin d'en parler ; une fois acceptés, chacun engage sa « parole d'honneur » soit à les respecter, soit le cas échéant, à en dénoncer l'impossibilité ultérieure, expérience faite sur le terrain, et sans transgression préalable.

Il peut se produire que l'engagement contractuel ne soit pas discuté puis décidé par tous les partenaires du mandat. Le plus souvent, ce sont les  réceptionnaires obligés (voir 1.3)  qui sont mis à l’écart ou qui, eux-mêmes agressifs prétendent« n'en avoir rien à cirer » : même alors, il est très important qu’ils soient bien informés et que, de leur côté, mandants et mandataires se sentent tenus par les engagements pris !

Il est possible, et même fréquent, que les contrats se modifient au fil du temps : ce devrait toujours être après renégociation au moins entre mandant et mandataire. Quant au réceptionnaire obligé, on peut procéder comme cela vient tout juste d’être décrit.

 

Lorsqu'une famille manque souvent les rendez-vous que lui propose ou impose une institution, plutôt que de laisser croître l'irritation et le sentiment d'échec, mieux vaut essayer de comprendre, ne pas programmer l'impossible, relancer la situation vers le mandant, programmer l'avenir en donnant une place différente à la famille. A ne pas le faire, c’est nous qui devenons maltraitants avec la famille 

 

1.2.2.  Respecter un contrat

 

Tout, sauf facile que de s’en tenir aux termes d’un bon contrat. Je pense par exemple aux psychothérapeutes qui travaillent en institution résidentielle, ou, plus généralement, qui exercent dans le cadre général d’une aide contrainte.  Ils subissent régulièrement des pressions ou des séductions pour en dire un peu trop sur les bénéficiaires de leur travail. Peuvent s’en suivre des  collusions progressives entre intervenants, qui se parlent entre eux d'une famille ou d'un bénéficiaire au-delà de ce qui a été convenu et sans leur rendre compte de leurs conversations.  Les champs respectifs du secret professionnel partagé et de ce qui restera confidentiel gagnent à être bien délimités, puis respecté ! (Hayez, 2001) 

 Tels que je viens de les définir, les contrats constituent des engagements réalistes et contraignants entre les personnes qui en conviennent.

Ils n'ont rien à voir avec le résultat de ces pressions, exercées sur des jeunes ( ou d'autres catégories de bénéficiaires ) que l'on oblige de facto, sans qu'ils puissent vraiment le dénoncer, à se déclarer d'accord avec un vaste programme, en signant un protocole d’adhésion : ersatz de contrats, où par exemple, tel jeune doit promettre de devenir un élève politically correct pour pouvoir rester dans son école, alors qu'on le sait très rebelle : il s'agit plutôt ici d'illusions normatives, dont un examen attentif montre bien que le jeu est faussé !

 

Liberté et contrainte 

 

1.3.1. Introduction 

 

Les relations de travail entre mandant et mandataire, et celles entre mandataire et bénéficiaire peuvent être librement consenties ou imposées par contrainte.

Ainsi les parents disposent-ils de l’autorité parentale et ont-ils le droit (et parfois aussi le devoir !) de contraindre leurs enfants dans le cadre d’une visée éducative visant le bien-être de ceux-ci. S’ils se montrent trop dysfonctionnels à ce propos, ces enfants eux-mêmes ou d’autres témoins peuvent s’en plaindre, et des Instances sociales peuvent finir par se substituer à l’autorité parentale (7), mais le mineur, lui, restera à évoluer dans le cadre d’un pouvoir éducatif qui peut le contraindre. Dans les limites de ses fonctions, l’école participe aussi à ce « pouvoir éducatif », par délégation implicite des parents. Autant pour d’autres milieux de vie que fréquenterait l’enfant : club de sport, internat, etc.

En dehors de telle autorité éducative parentale, avec ses possibles délégations, aucune contrainte ne peut s’exercer sur un citoyen s’il n’y a pas eu jugement qui le rend possible. J’y reviendrai tout de suite.

 

1.3.2. Entre mandant et mandataire

 

1.3.2.1. Le mandataire est souvent libre d’accepter ou de refuser la mission que lui propose le mandant, du moins celui de second niveau. Il le fait en fonction de ses propres convenances, de sa disponibilité, d’un accord au niveau des objectifs poursuivis et des moyens à employer. Il le fait aussi après avoir vérifié auprès du bénéficiaire potentiel (et de sa famille) si son intervention est susceptible d’être intégrée positivement. Vérification consistant parfois en une période d’essai. Ainsi un hôpital pédopsychiatrique accepte-t-il ou non de soigner un adolescent perturbé lorsque sa famille mandante lui en fait la demande.

Un bémol néanmoins, face à cette idée de liberté : Il faut se souvenir aussi des mandants de premier niveau, des mandants généraux de la société. Celle-ci agrée et subsidie les mandataires potentiels en fonction de compétences qui leur sont reconnues et d’une quantité de travail prestée : Si la réponse d’une institution était toujours « Non », elle disparaîtrait rapidement du champ de l’offre.

Il en va de même si cette institution agit abusivement par rapport à ses engagements généraux et particuliers. Des systèmes de contrôle et d’inspection existent, et toute institution agréée a donc des comptes à rendre. 

Si une école spécialisée expulse trop facilement des adolescents difficiles, par exemple de jeunes autistes davantage anxieux-agressifs au fil du temps, elle pourrait finir par avoir des ennuis avec le Ministère subsidiant.

 

1.3.2.2. Quelques mandataires se trouvent néanmoins largement obligés d’accepter les mandats que leur confient des envoyeurs spécifiques, pour peu que la demande corresponde à leurs compétences et dans les limites de leur disponibilité en place et en temps. Ainsi les institutions résidentielles d’Etat destinées aux jeunes délinquants doivent elles accepter ceux que les juges leur envoient. Il en va de même pour les services ambulatoires spécifiques qui font exécuter les travaux d’intérêt général. Autant pour les sections hospitalières agrées dans le cadre de la loi sur la protection des malades mentaux.

Ces obligations ne sont pas sans créer des frictions occasionnelles, car ces institutions obligées estiment parfois qu’elles sont saturées pour telle sous-catégorie de bénéficiaires potentiels, ce que l’envoyeur n’a pas toujours à l’esprit, et il n’est pas toujours possible de négocier : des rapports de force se déploient régulièrement ! 

Il y a quelques années, les éducateurs des institutions d’Etat pour jeunes délinquants ont entrepris diverses actions sociales (grèves, etc.) parce qu’ils se disaient dépassés par les jeunes résidents à la fois auteurs de délits et émotionnellement perturbés (genre, états-limite de la nomenclature psychiatrique francophone)

L’Etat belge a vite pris peur, a chipoté avec la législation, et a créé quelques nouvelles sections psychiatriques pour les accueillir, fermés mais sans que cet enfermement n’ait à passer par la loi de protection sur le malade mental … 

 lourdement étiquetés (pré-schizophrènes ; borderline, etc.) et recensés du côté de la psychiatrie. Au grand dam des associations de défense des droits des enfants ! Comme quoi, dans une démocratie, les contraintes qui pèsent (ici, le devoir d’accepter des délinquants) ne sont pas toujours intangibles et immuables …

 

1.3.3. Entre mandataire et bénéficiaire

 

1.3.2.1. Il existe quelques situations où le mineur se conduit comme complètement libre de sa démarche, et donc, où l’autorité parentale est mise entre parenthèse voire rejetée. Et ceci, avec l’accord tacite de la société qui considère que, dans des circonstances précises, il vaut mieux qu’il en soit ainsi : le mineur en question sous la responsabilité éducative de la communauté. 

Pensons aux adolescents qui s’adressent directement aux services sociaux, psychologiques ou de santé liés à leur école. A ceux qui consultent des centres de planning familial. Plus fondamentalement d’ailleurs, la déontologie médicale reconnaît le doit) la confidentialité aux mineurs d’âge, dès qu’ils sont à même de réfléchir de façon responsable (8). En Belgique, il existe aussi l’un ou l’autre service « droit des jeunes » où ils peuvent aller chercher conseil, information, médiation, et même hébergement transitoire en cas de fugues. 

Dans quelques autres contextes, la permission octroyée par les parents peut être très vague, au plus une formalité : par exemple, fréquentation d’AEMC, de services de loisirs et de culture pour jeunes.

Le jeune peut encore prendre des initiatives en son nom personnel, en s’adressant à des services qui prendront rapidement contact avec sa famille pour y voir plus clair et la mettre en travail : par exemple, il peut se plaindre auprès d’une équipe spécialisée dans la lutte contre la maltraitance, auprès du service d’aide à la jeunesse, etc.

 1.3.3.2. Dans la majorité des situations traitées dans ce chapitre, il existe néanmoins un accord entre les parents et le mineur pour accepter librement l’action du mandataire. 

La place des parents dans ce processus est variable, comme je l’ai signalé dans l’introduction générale.

Il faut néanmoins bien s’entendre sur le concept. Il ne s’agit pas toujours de l’opérationnalisation d’un désir personnel et immédiat !

Cet intéressement immédiat et conjoint ne s’exerce que dans une partie des situations dites « libres »

Ailleurs, le mineur peut se montrer réticent au début, par exemple, pour « aller voir un psy » Celui-ci devra donc tenter de l’apprivoiser, et, s’il n’y arrive pas, l’opposition de fait que continue à manifester le mineur empêche la poursuite d’un travail direct avec lui. 

Ailleurs encore, c’est à l’égard des parents que doit s’exercer cet exercice d’apprivoisement. Par exemple, la famille est convoquée par le service d’aide à la Jeunesse suite à l’absentéisme scolaire d’un jeune. Tous sont invités à collaborer à un projet réalisé en propre par le SAJ, ou nécessitant des mandats en aval. Dans un certain nombre de cas, la famille a l’intelligence de collaborer, dans la perspective d’un mieux-être ou/et pour s’éviter des ennuis à venir que le SAJ agite sous son nez. Dans d’autres, l’opposition persiste et qui s’en suit est variable : rien, ou un effritement des rendez-vous qui est un échec non avoué, ou la déclaration par le service social d’un état de danger inacceptable qui fait passer dans la catégorie ci-dessous.

 

1.3.3.3. La société peut imposer l’action de mandataires envers un mineur, voire envers ses parents, mais exclusivement par jugement. Le juge, ici, est donc le mandant princeps. Pour désigner l’action du mandataire qu’il délègue, on emploie souvent le terme « aide contrainte » Je l’utiliserai donc, avec quelques synonymes (par exemple, hospitalisation sous contrainte ; entretiens obligatoires, ou obligés)

L’action entreprise l’est toujours dans la perspective d’un mieux-être du mineur : on peut donc continuer à évoquer qu’il en est le bénéficiaire, mais « bénéficiaire obligé » (Nous parlerons aussi d’utilisation obligée ; de client obligé)

L’aide contrainte s’exerce essentiellement dans les structures que voici : 

- Le mineur commet des délits, traités selon leur gravité par la police locale, le Parquet ou le Juge pour mineurs. Ici la contrainte peut s’exercer sur le mineur, mais pas sur sa famille (9). 

- Le mineur est réputé être en grand danger, et ni lui, ni sa famille ne collabore à l’amiable à un projet susceptible f’améliorer la situation. En Belgique francophone, on a diablement compliqué et retardé la réponse efficace à cette problématique : en effet, hormis les cas de grande urgence (10), tous les intervenants (et les familles) qui se trouveraient préoccupés doivent d’abord s’adresser au service d’aide à la Jeunesse, et c’est seulement si celui-ci n’arrivait pas à faire bouger les choses que lui, et lui seul, peut s’adresser au Tribunal de la Jeunesse, qui a encore la latitude de se saisir ou non. S’il se saisit, il en droit d’exercer une contrainte, tant sur le mineur que sur ses parents. Je l’avoue, il m’arrive de regretter l’époque d’avant 1980, celle où le juge pour mineurs avait directement la main les situations de danger qui lui étaient référées par les parents ou les professionnels de l’enfance. A l’époque, la jeune de douze ans en décrochage scolaire, en fugue répétée, traînant avec des adultes non-recommandables, pouvait être rapidement prise en mains, admonestée voire placée par un Père social bien identifiable. Aujourd’hui, après moultes et moultes palabres et marmelades sociales où « l’on veut qu’elle soit d’accord », et qui ne débouche sur rien, il faut deux ans pour qu’elle arrive peut-être au Tribunal dans un état bien plus piteux ! 

- Le mineur souffre d’une maladie mentale avérée, qui le rend dangereux pour lui ou pour autrui, et il refuse d’être soigné. Alors, il est facile de saisir le Juge de la Jeunesse et celui-ci peut décider de faire appliquer la législation sur la protection des malades mentaux. S’en suit une contrainte sur le malade (le plus souvent hospitalisation), mais par sur son entourage.

 

N.B. Lorsque les bénéficiaires potentiels sont des adultes, le droit de contrainte existe aussi à propos de la première et de la troisième application qui viennent d’être passées en revue : les délits et la maladie mentale dangereuse avec refus de soins. Dans cette dernière application, en Belgique, le Juge des mineurs est remplacé par le Juge de paix.

 

 QUELQUES SITUATIONS-TYPE

Le Tribunal pour mineurs prend une mesure de contrainte contre la volonté des parents

 

- Il  peut s'agir d’une  phase explicitement judiciaire susceptible de succéder à une situation précédemment gérée à l’amiable   : les intervenants déclarent le mineur  en danger parce que lui, ou/et sa famille n’acceptent pas l’aide à l’amiable et que la situation leur semble vraiment préoccupante : Négligence surtout intentionnelle, maltraitance, ruptures scolaires ou comportements difficiles répétés d’adolescents, fugues avec fréquentations plus que douteuses, etc. Ici le Tribunal entérine le constat de danger fait le plus souvent par le SAJ (11) ou par d’autres professionnels non spécifiques en cas de grande urgence, et il prend une mesure contraignante, par exemple en confirmant et en judiciarisant un placement préexistant. 

- Dans les autres cas, les instances judiciaires interviennent d’autorité pour placer un mineur  auteur de délits, ou un adulte en mauvaise santé mentale qui se met gravement en danger. D’autres mesures contraignantes qui ne font pas sortir ce mineur de sa famille peuvent être prises également.

Cette intervention judiciaire peut constituer une alternative constructive si les autorités judiciaires fonctionnent rapidement, énergiquement, en toute indépendance d'appréciation et de jugement,  en se concertant avec le réseau et en tenant par la suite la parole donnée...

Par cette pratique, et les parents, et l'éventuel professionnel référent perdent leur qualité de mandant qu'assume désormais le seul magistrat. 

A quoi nous montrer attentifs ?

 

2.1.1. Dans le chef de l'éventuelle institution (12) qui réfère le cas à la Justice.

 

Il n'est pas souhaitable qu'une institution, parce que phobique ou en recherche de pouvoir à n’importe quel prix, agite sous le nez des parents la menace  non suivie d'effet d'en référer « au Juge » pour cause de non-collaboration : cette « peur du gendarme » s'évanouit bien vite, et l'institution voit vite son autorité spécifique et sa crédibilité bien effritées. La judiciarisation doit être faite « au bon moment », réfléchi de part et d'autre, le plus souvent après en avoir prévenu une fois les parents et tenu compte de leurs réactions verbales et comportementales à cet unique préavis. 

Une belle illustration en est fournie, en Belgique, par les équipes spécialisées dans la lutte contre la maltraitance (physique, sexuelle...) Elles craignent à juste titre de judiciariser intempestivement parce que le pouvoir judiciaire a parfois, soit la main trop lourde, soit au contraire une tendance à innocenter les suspects, sans prendre en compte la pertinence de preuves indirectes (13). Elles s'imposent alors par leur seule autorité morale, au moins pendant une période brève, pour protéger l’enfant par exemple à l'hôpital, ou dans des centres spécifiques d’accueil de crise,  même contre le gré des parents. Puis, à court terme, elles cherchent à dialoguer et à convaincre la famille de reconnaître les faits et de se mobiliser. Evidemment, cette première intervention, où l'équipe ne s'appuie que sur sa seule ascendance morale, ne peut se prolonger que si les parents acceptent rapidement de collaborer au projet de l’équipe. 

Nous regrettons donc qu'existent des judiciarisations - passage à l'acte - (pour se venger du dernier « mauvais coup » des parents), tout comme nous déplorons dans le chef d’autres institutions la négation de leurs limites, qui les amène à ne jamais déférer un  cas à un Tribunal : elles préfèrent mentir, faire du chantage ou accepter que rien ne progresse plutôt que de se soumettre à une autorité externe.

 

2.1.2. Entre l’éventuelle institution de référence et le magistrat, au moment de l’interpellation de celui-ci.

 

Evitons la bureaucratisation des relations, les pertes de temps et les clivages : rendez-vous et démarches perdus dans le brouillard écrit des agendas,  magistrat qui se croit obligé de reprendre à zéro le travail diagnostique que d'autres ont déjà fait, etc. A l'inverse - et c'est encore pis - il arrive que le Tribunal refuse d'entendre le signal d'alarme que lui adressent pourtant des spécialistes (14) !  Certes, tout magistrat doit conserver l'indépendance de ses appréciations. De là à ignorer l'urgence et la valeur de l'appel, fait par des professionnels réputés expérimentés, au supplément d'autorité sociale et au droit de contrainte qu'il représente, c'est bien regrettable !

Corollairement, l'institution qui réfère se désengage parfois trop vite, en tirant sa révérence dès qu'elle a signalé une situation à risque. Pourtant, sa responsabilité envers le jeune concerné et sa famille ne cesse pas ipso facto après sa prise de position directive – protectrice : par exemple, on gagne très souvent à ce que cette institution soit présente lors de la table ronde de « passage » chez le magistrat, pour se ré expliquer devant tous ; Il n'est même pas exclu que l'on puisse encore recourir à ses services ultérieurement ; plus fondamentalement, elle ne doit pas s'abriter derrière l'illusion que tout va devenir efficace de par son seul appel fait au magistrat ou le début de mise en œuvre de celui-ci : sa responsabilité de protection persiste, face à des bénéficiaires démunis qu'elle a investi, aussi longtemps qu'elle n'est pas sûre de l'efficacité des programmes qui vont suivre.

 

En voici un exemple vécu plusieurs fois. Dans un petit village, un petit garçon d'une dizaine d'années est soupçonné d'être maltraité par son père, homme violent et marginal qui vit dans un baraquement isolé et trash, à la sortie du village, et qui a déjà eu beaucoup d'ennuis avec les voisins. L'instituteur avertit une équipe spécialisée : on va interroger l'enfant à l'école, et celui-ci, avec beaucoup de réticence, reconnaît vaguement les faits. On entre en contact avec la famille, qui les nie avec véhémence. L'enfant, pendant ce temps, est toujours à son domicile ! On alerte le Parquet de la Jeunesse  qui fait procéder à une enquête. Après quelques semaines, il déclare  que les faits ne sont pas suffisamment établis et donc que la Justice ne peut rien faire. , Et c'est l'effritement, l'enlisement, le mélange de bonne conscience et de culpabilité vague chez tous, qui conduit à l'immobilisme.

 

De telles pratiques sont encore plus communes autour d’allégations d’abus sexuel signalées au parquet, lorsqu’il n’y a ni aveux, ni preuves matérielles, mais seulement le discours de l’enfant et l’indignation d’une partie de ses proches. Pour peu que l’enfant soit jeune et pis encore, si l’on est dans le contexte d’une séparation parentale, la suspicion judiciaire est de mise et c’est bine trop souvent le parent référent qui est taxé d’être un parent aliénant-avocats du suspecte soufflant avec véhémence l’idée à l’oreille des enquêteurs.
 Dans tous ces cas voici l’enfant bien abandonné, si pas accusé d’être aliéné ou fabulateur ! Nous pensons que l'équipe de référence, si elle a la confiance de l’enfant, devrait continuer à soutenir et à aider comme elle peut ! Parfois même, en jouant de façon sage et responsable un rôle de  conscience sociale courageuse, en interpellant tout le monde, en faisant monter une crise, en redisant : « Ça ne va pas comme ça, nous nous en tirons tous à trop bon compte »

 

 2.1.3. Entre l’éventuelle institution de référence et les parents, au moment de l’interpellation du magistrat. 

 

 Rappelons encore l'intérêt de prévenir les parents (et souvent, le mineur d'âge lui-même) du projet de saisine judiciaire. Ce principe n'admet d'exceptions que si cette information préalable risque de mettre le mineur en grand danger (par exemple : parents marginaux qui disparaissent avec leur bébé sans laisser de traces, ou enfant maltraité et restant à domicile, sur qui la pression parentale augmente considérablement) : Ici, il faut parfois hospitaliser ou placer l'enfant provisoirement à l'insu des parents ou sans leur accord. Dès que le séjour est judiciarisé, en accord avec le magistrat, nous pouvons et même souvent devons réglementer et surveiller les visites, etc. ; mais, même alors, il faut nous expliquer très tôt avec les parents, c'est-à-dire dès que l'enfant est en sécurité, et ce sont des personnes moralement et statutairement fortes, sereines et sûres d'elles qui doivent leur parler.

 Il nous revient de présenter la démarche de judiciarisation de façon positive, comme une protection forte donnée à tous les membres d'une famille pour que des dysfonctionnements systémiques ne s'expriment plus, et pour que chacun se redonne les moyens de donner de nouveau le meilleur de soi-même. Nous pouvons évoquer rapidement une visée de  réunification ultérieure de la famille si l’idée s’anticipe comme réaliste.  Donc, pas comme de la pommade, administrée à n’importe quel prix pour calmer la frustration et la colère de la famille. Pas non plus comme si la vie en famille était toujours synonyme de bonheur et de réussite. Certaines familles restent très psychotoxiques.

 J’ai déjà montré que les institutions qui réfèrent ne doivent pas disparaître ipso facto du champ de l'aide et de la communication ; Inversement, il ne faut pas s'obstiner non plus : certains bénéficiaires et leurs familles refuseront désormais de travailler avec ces intervenants. A eux alors d’accepter de s'effacer en laissant une trace significative du travail effectué.

 

2.2. Une institution résidentielle est mandatée par le pouvoir judiciaire.

 

Côté mineurs d'âge, elle a donc à gérer des délinquants et/ou des cas psychosociaux estimés en danger et où l’aide à l’amiable n’a pas fonctionné.

Des raisonnements  analogues peuvent s'appliquer aux mineurs obligés par jugement de fréquenter des centres ambulatoires (15), ou aux majeurs placés judiciairement en institution psychiatrique.

 

A quoi nous montrer attentifs ?

 

2.2.1. Mal préciser les objectifs, les mandats et les contrats conduit à ce que chacun y aille de son propre arbitraire, et donc que le programme devienne dysfonctionnel : alternance d'assoupissement, d’initiatives intempestives et de passages à l'acte, dans le chef du magistrat, du service de protection judiciaire ou de l'institution, avec disqualification réciproque des intervenants et incitation involontaire faite à l’utilisateur d'un fonctionnement « hors conventions », hors la loi si pas franchement  délinquant dans certains domaines.

 

2.2.2. Le mandant, dans ce cas le magistrat, peut s’avérer inerte, peu accessible, se reposant trop sur ses mandataires pour l'exercice de l’éducation, du contrôle social et des sanctions. En Belgique francophone, cette anomalie a même été favorisée légalement, en conférant de trop grands pouvoirs à mon sens à un mandataire spécifique, formé surtout de travailleurs sociaux, et que l’on appelle le service de protection judiciaire. Or dans l’imaginaire du public, le référent, le vrai père social, c’est bien le juge !!! Et son inaccessibilité, légalisée pour d’obscurs motifs politiques  affaiblit encore dans le chef du jeune et de sa famille l'idée qu'existe une véritable vigilance et force sociales, avec des personnes-clé et bien identifiables  désignées pour l'exercer (Hayez, 2007, p. 51 et sq. ;).

 

2.2.3. Lorsqu'une institution accepte de s'occuper d'un bénéficiaire dans le cadre de l’aide contrainte, ce n'est pas seulement à cause de son mandat général, c'est aussi parce qu'elle le veut bien. Même si elle doit respecter les contrats convenus ! Il est donc lâche et stérile de s'en tenir à « Tu es ici parce que ton Juge - ou tes parents - l'ont voulu » Que l'institution énonce son opinion personnelle à ce sujet s'avère souvent fécond, même lorsque celle-ci n'est pas identique à celle d'autres, notamment des mandants : ce peut être le point de départ d'un débat d'idées éclairant, et l'expression d'un droit reconnu à chacun d'être porteur de ses opinions !

 

2.2.4. Le mandataire ne devrait pas s'emparer du jeune bénéficiaire de l’aide, oubliant et la famille de celui-ci et le mandant, ou à tout le moins réduisant au strict minimum les relations avec eux. Le texte ci-dessous le rappelle (Hayez, 1987, p.90) :

 

« ... On aborde ici un domaine extrêmement complexe car inévitablement les limites des compétences, de la liberté de décision et du pouvoir du jeune, de sa famille, des intervenants psychosociaux et du magistrat sont floues : il existe des zones de « no man's land » ou, plus exactement, de « many mens’ land » où personne n'est vraiment en faute s'il prend une décision ; ce disant, nous ne visons pas à mettre le juge en position impériale, et à devoir demander humblement sa permission chaque fois que l'on inscrit un jeune dans un atelier créatif.

Mais l'impérialisme existe souvent en sens inverse : l'intervenant « oublie » qu'il existe un juge,  détenteur de la  responsabilité ultime. On fait comme s'il n'était pas là, ou comme s'il allait être automatiquement d'accord avec des décisions, même importantes, prises « à l’étage d’en dessous »

Parfois même, on ne le tient pas vraiment au courant des événements importants de la vie du jeune... »

Par contre, on se sert parfois de lui, comme on le ferait du Père Fouettard. C’est notamment le cas pour procéder à des signalements impulsifs, lorsqu’il y a eu activités ou  passage à l’acte des jeunes en matière sexuelle. Abus ou pas abus, le (la) jeune impertinent(e) qui se livre à une activité sexuelle avec d’autres, surtout s’il est habituellement difficile, a toutes chances de se retrouver devant le Juge. Ainsi se met en place la traçabilité de la vie sexuelle des pauvres.

Fondamentalement, il ne nous semble jamais structurant pour un jeune de lui laisser oublier qu'il a un juge : c'est le positionner dans une relation « duelle », comme le consommateur-consommé d'institutions toutes-puissantes, c'est aussi et surtout lui laisser croire que l'on peut mettre entre parenthèses les lois de la société et la paternité symbolique du juge qui les représente, et qu'on peut se laisser aller dans des relations plus affectives, plus arbitraires, où beaucoup - si pas tout - est redéfini à partir de « problèmes », du mal-être, de l'immaturité indéfiniment soignée, ou encore à propos d’une volonté de résister qu’il faut mater à tout prix.

 

2.2.5 Il n'est même pas toujours souhaitable de se retirer dans une tour d'ivoire dont serait exclu le magistrat, voire d’autres institutions mandatées  même pour gérer des parties psy du programme d'intervention.  A méditer, surtout lorsque l'institution mandatée est un centre ambulatoire d'aide psychosociale. Les conflits déontologiques et éthiques autour de la confidentialité ne peuvent pas se résoudre par des simplismes rapides !!  Le texte ci-dessous le rappelle (Hayez, 1990, p. 230) :

« ... Certains thérapeutes exigent de se retirer dans une tour d'ivoire absolue pour assurer leur part d'intervention re médiatrice. Ils le font même si la situation est à haut risque de passages à l'acte dangereux ( par exemple, certaines formes de délinquance juvénile violente ; constellations familiales où existe un enfant battu, un parent alcoolique ou psychotique, une suspicion d'inceste ) A procéder ainsi, ils ont quelques chances d'aider quelque temps une famille motivée, mais ils laissent le juge et ses autres mandataires immédiats seuls, aux prises avec l'angoisse de gérer une situation explosive, sans savoir s'ils font bien ; lorsque les risques s'accroissent,  juge et mandataires proches oublient la promesse  faite de laisser la thérapie se dérouler dans l'intimité, et téléphonent au thérapeute pour lui demander conseil ; si l'on a décidé de créer une situation thérapeutique à secret professionnel garanti, il est logique qu'ils s'entendent répondre « non » ; mais alors leur frustration et leur angoisse montent, et il peut prendre une décision brutale ; alors, curieusement, on voit le thérapeute sortir de son mutisme, pester et protester contre l'impulsivité aveugle des autres !

Il nous semble que l'erreur, ici, est cette illusion du thérapeute qui croit pouvoir prendre à lui tout seul une famille dangereuse sous son aile : qu'il impose ce point de vue à un magistrat et à ses mandataires proches, ou que ces derniers soient tout à fait d'accord, voire demandeurs de cette organisation de la prise en charge, le résultat est le même ; Les circonstances rendent dangereux un contrat de ce type, où chacun est « coincé » dans une promesse qu'il a faite !

A notre sens, un secret professionnel total est un leurre, si pas un choix pervers, avec des familles réellement dangereuses ; il faut y regarder à deux fois avant de les priver de la protection sociale que représente l'autorité du magistrat... » )

 

2.3. Les parents - ou la famille - sont mandants 

 

 Nous sommes alors dans le contexte de l’aide volontaire. Dès lors, institution est doublement mandataire (à l’égard de la famille et de la société ) ; le bénéficiaire, souvent un mineur d'âge, est « obligé » Quant à son état d’esprit, il est d’accord, hostile ou ambivalent. Les conflits de loyauté sont à prendre en compte. 

Il s'agit par exemple du placement d'un adolescent émotionnellement perturbé en internat thérapeutique (hôpital psychiatrique, service résidentiel pour jeunes (16)), ou encore de placements pour difficultés relationnelles ou sociales lorsque le jeune ou sa famille se sont adressés directement à une agence psychosociale officielle mandatée ad hoc.

 

A quoi nous montrer attentifs ?

 

 2.3.1 Tout « partenaire obligé » qu'il soit, le jeune utilisateur est le premier concerné par ce qui se met en place en principe à son bénéfice. Il s'agit donc de lui reconnaître le statut de sujet : l'écouter sans réserve ; suivre ses initiatives et projets dans la mesure du raisonnable ; l'informer des mesures directives que l'on envisage à son égard, accepter ses réactions et modifier éventuellement ce qui peut l'être. Certaines institutions veillent à ce qu'un professionnel soit son référent privilégié et s'efforce de voir le monde avec ses yeux à lui : cet  adulte référent constitue certainement un soutien et en partie un  avocat qui veille sur ses intérêts ; il participe aux tables rondes, entretiens ou thérapies familiaux en se donnant comme mission de représenter ce bénéficiaire ou/et d'amplifier sa voix.  A d’autres moments, le référent essaie plutôt de le raisonner, de l’aider à réfléchir, à s’adapter à  ce qu’il est inéluctable d’accepter. On peut se référer ici au concept de « thérapeute 2, dans les dispositifs de thérapie scindée décrits par G. Ausloos. 

.Il nous faut veiller encore à ce que n'existent pas de malentendus ni de confusions quant aux objectifs de chaque Instance engagée dans le mandat de prise en charge : scolarisation, traitement, changements sociaux, hébergement. La complémentarité parfaite est rare ! Encore faut-il que les différences soient reconnues et « parlées », et ne se transforment pas en importantes contradictions qui rendent impossible le travail de l'institution.

 Lorsque l'institution résidentielle d’accueil ne constitue qu'un des intervenants professionnels parmi d’autres dans une prise en charge complexe, nous avons déjà insisté sur l'importance de la coordination et de la délégation entre intervenants. 

Voici une illustration de l'incoordination  au quotidien  : lorsque le bénéficiaire change d'institution, la suivante ne se soucie pas toujours assez du travail et des expériences vécus dans la précédente ; elle préfère parfois dire « On tourne la page, on recommence à zéro »  Cette déclaration toute-puissante et naïve constitue un excellent renforçant positif des « mauvais » comportements du bénéficiaire : il comprend vite qu'il lui suffit de se rendre indésirable pour se faire expulser, puis être à nouveau accueilli naïvement ailleurs.

L'attitude inverse, qui serait de persécuter le bénéficiaire avec des étiquettes et des dettes de plus en plus lourdes, n'est évidemment pas plus constructive. Il s'agit donc de trouver un juste équilibre dans la transmission des informations, en en faisant part au bénéficiaire, par exemple lors d’une table ronde de passage ! 

Se coordonner, c'est néanmoins ne pas céder à la tentation du vaste commérage des intervenants, où le droit de la famille et/ou du bénéficiaire à une part d'intimité ne serait plus jamais pris en compte : nous avons un devoir de discrétion  au moins face aux éléments du discours  dont la connaissance par d'autres n'est pas indispensable à l'aide globale ; ceci devrait être convenu dans les contrats préalables, et respecté ensuite !

 

2.3.2.  Pour remplir son mandat,  l'institution d’accueil a le droit de veiller à ce que lui soient reconnus et octroyés les moyens nécessaires.

Cette revendication ne s’exprime pas toujours avec assez d'acuité ; beaucoup d'institutions se contentent trop souvent de préciser leurs exigences face au bénéficiaire, sans trop définir leurs besoins face à la société ; Il est regrettable qu'elles ne proclament pas toujours assez fermement qu'elles sont sous-équipées – réalité fréquente ! - et donc qu'elles n'atteindront probablement pas les objectifs généraux que la société attend qu'elles réalisent.  

 

2.3.3 Une fois le bénéficiaire accueilli, le fait qu'il soit difficile à vivre, n'autorise pas l'institution à retourner le jeu et à y aller de sa toute-puissance. Que de fois n’avons-nous pas eu à constater que des institutions spécialisées pour jeunes « caractériels » les excluaient tôt ou tard quand ils se montraient « trop » caractériels. Alors, face à l ‘aridité vécue au quotidien tout est prétexte à exclusion : gare au moindre zizi sorti de sa loge, ça devient vite un redoutable abus ! 

Ceci n’exclut évidemment pas que l’institution se montre claire et demande au bénéficiaire entrant d’accepter de suivre certains rites et règles qui permettent à l’institution  de maintenir son identité, et au groupe accueilli, sa sécurité : travailler, réguler ses relations sexuelles selon ce qui est convenu, prendre des médicaments, etc.

Mais la réponse à l’inadaptation et à la rébellion prolongées ne se trouve pas tout de suite au niveau de l’exclusion !

 

 NOTES

 

1. J’emploierai indifféremment les termes Juge de la jeunesse (en application en Belgique francophone) ou juge pour mineurs (terme de référence en France et plus internationalement)

2.  En Belgique francophone, on a créé un service d’exécution spécifique, le service de protection judiciaire, par lequel le magistrat doit passer obligatoirement pour exécuter son jugement, dont il ne rédige d’ailleurs plus que les orientations générales. Ce service dispose alors d’un grand pouvoir pour, en cascade, choisir les instituions qui vont intervenir. C’est donc toujours stricto sensu le mandataire du juge, mais doté d’un fort pouvoir d’initiative.

3.  Co-opération ne doit s’entendre ici qu’au sens étymologique chronologique du terme : Opération simultanée. La co-opération fonctionnelle (coordination, collaboration), c’est encore autre chose !

4.  C'est du moins la procédure en Belgique francophone, où le juge doit passer par un service de protection judiciaire, disposant d’une large autonomie pour l’exécution. C’est ce service qui met en route les chaînons mandataires suivants, comme les institutions résidentielles ; dans d'autres pays, cette étape intermédiaire n'existe pas. 

5. J’ai défendu cette idée de l’authenticité de l’engagement dans l’article « Pédopsychiatrie sociale » (Psychothérapies,  2010, ou  ainsi que dans le livre écrit avec E. de Becker,

La parole de l’enfant en souffrance (2010) 

6.   Dans l’ouvrage  La destructivité chez l’enfant et l’adolescent  (Dunod, 2007, 2e éd.) j’ai défendu l’idée d’un permanent, personne de référence stable et librement choisi, au bénéfice de tant et tant d’adolescents nomades (p. 77 et sq.) 

7.   Ils en ont alors été déchus par jugement, ou à tout le moins interdits de contact avec l’enfant dans le cadre d’un jugement. 

8.   Pratiquement cependant, aucun médecin ou psychothérapeute ne met en place de traitements de longue durée dans un tel contexte, surtout si c’est manifestement contre le souhait des parents. Cette réticence est provoquée autant par des considérations financières que par l’angoisse des affrontements à venir. 

9.   Il y a bien en Belgique une tentative récente pour imposer aux parents négligents de participer à des groupes de réflexion éducative, mais elle a rapidement avorté. Par ailleurs – et ce n’est pas un petit bémol – les parents peuvent se voir obligés par une procédure civile à réparer financièrement les dégâts causés par le mineur ! 

10.   Pour les grandes urgences – par exemple, un bébé en danger dans un service de pédiatrie – tout intervenant peut saisir directement le Tribunal de la Jeunesse. Mais l’action entreprise par celui-ci n’a d’autonomie que pour une durée provisoire. Endéans les quinze jours, il doit informer le SAJ qui a toute latitude pour décider s’il reprend le cas en mains ou s’il le laisse judiciarisé ! 

11. En Belgique francophone, hors les cas de grande urgence, seul ce service social d’Etat a accès au parquet de la jeunesse en cas de danger, pour demander la mise en œuvre du tribunal de la jeunesse

12.  Institution ici au sens large du terme : le SAJ souvent, mais dans l’urgence, un centre de santé mentale, un pédiatre, etc.

13.  Je pense par exemple à l’interview d’enfants surtout jeunes, même faits en suivant d’excellents protocoles validés scientifiquement, qui sont trop peu pris en compte par nombre de magistrats

14.  Un exemple parmi d’autres : Un psy réfère dans l’urgence un adolescent qu’il sent en grand danger, et le tribunal renvoie rapidement le cas au SAJ, pourtant bien moins spécialisé que le premier référent

15.  En Belgique francophone, il peut s'agir de centres chargés d'aide socio- éducative spécifique (par exemple, les centres d'orientation éducative), ou d'équipes qui imposent des mesures de réparation (travaux d’intérêt général : les S.P.E.P.,  services de prestations éducatives et philanthropiques) 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

GABBAI P., 1991 : Evolution des relations avec les parents dans une institution psychiatrique, Neuropsychiatrie de l'enfance, 1991, 11-12, p. 469-475.

HAYEZ J.-Y. : De quelques confusions de rôle dans le champ de la délinquance juvénile, Neuropsychiatrie de l'enfance, 1987,35 (2-3), pp. 85-100.

HAYEZ J.-Y. : Dimensions institutionnelles de la prise en charge des enfants maltraités et de leur famille, Revue trimestrielle de droit familial, 1989/4 pp. 351-365.

HAYEZ J.-Y. : Mandat ou contrat : confusion ou structuration des rôles dans le champ de la délinquance juvénile, Déviance et société, 1990-14-2, pp. 223-241.

HAYEZ J.-Y. : L'institution résidentielle : ce qui peut et ne peut pas changer, Sauvegarde de l'enfance, 1991, 1, pp. 109-125.

HAYEZ J.-Y. : Secrets de famille, confidentialité et thérapies, 41-56  in  Secrets et confidents au temps de l'adolescence (sous la dir. de) Braconnier A,  Chiland C., Choquet  M., Coll. " Ouvertures psy. ", Paris, Masson.

HAYEZ J.-Y. : La destructivité chez l’enfant et l’adolescent, Paris : Dunod, 2è éd., 2007

HAYEZ J.-Y. : Pédopsychiatrie sociale : enfants placés en institution pour « cas sociaux », Psychothérapies, 201O, XXX-3, 135-142

HAYEZ J.-Y., de BECKER E. : La parole de l’enfant en souffrance, Paris, Dunod, 201O