BELGIQUE

Début décembre, Laura, une adolescente de 12 ans originaire de Durbuy, met fin à ses jours. Dans la lettre laissée à ses parents, elle explique avoir été victime de harcèlement. Ce genre de cas tragique est malheureusement fréquent. Est-il possible de détecter le harcèlement chez le jeune? Comment peut-on l'aider? Faut-il punir les harceleurs? Nous avons posé ces questions à Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre, docteur en psychologie et professeur émérite à l'UCL, et à Emmanuel de Becker, psychiatre infanto-juvénile à l'UCL.

Des signes pas toujours visibles

Les deux spécialistes s'accordent sur le fait que l'enfant montre parfois des signes de mal-être. Ce n'est cependant pas toujours le cas. "On peut les remarquer à condition d'être très attentif, explique le docteur Hayez. Un enfant qui a des problèmes montre quand même moins de joie de vivre, il n'a plus la spontanéité qu'il a d'habitude". Il ne s'agit pas non plus un signe spécifique au harcèlement. "Il peut aussi avoir un soucis à l'école, avoir reçu un mauvais point ou fait une bêtise, continue-t-il.

Le docteur de Becker parle aussi de symptômes psychosomatiques. "Cela peut être des douleurs abdominale, des maux de dos et de tête. Mais cela peut aussi être une parole qui montre que l'enfant est en difficulté de sociabilisation en disant 'je n'ai pas de copains', 'je ne veux plus aller à l'école, je veux rester à la maison' ".

Ces signes sont visibles, selon le docteur Hayez, plus d'une fois sur deux mais il arrive aussi que l'enfant ne laisse rien paraître, comme avec Laura, la jeune adolescente de Durbuy. Emmanuel de Becker confirme: "Cela peut arriver que quelqu'un porte une énorme souffrance et montre une forme de conformisme par rapport à ce qu'on attend de lui. Il y a des individus extrêmement subtils qui peuvent cacher ce qu'ils ressentent".

Le dialogue, premier pas vers les solutions

Pour Jean-Yves Hayez, il faut instaurer le dialogue dès le plus jeune âge. L'enfant pourra ainsi plus facilement évoquer ses problèmes vers l'adolescence. "Je crois qu'un jeune gagne à avoir l'habitude que, quand  il communique quelque chose de difficile, on l'écoute sans le critiquer et on va chercher des solutions avec lui". Un bon dialogue familial permettrait donc à l'enfant de s'exprimer plus facilement. Toujours selon le pédopsychiatre, l'adulte ne devrait pas hésiter à expliquer à son enfant quand quelque chose le préoccupe. "Il ne faut pas tout raconter, mais dire 'quelque chose ne va pas'. L'adulte gagne en authenticité auprès de l'enfant"

Si le docteur de Becker considère le dialogue comme étant primordial, il met l'accent sur un autre aspect. "Ce principe, aussi bien pour cette problématique que pour d'autres, c'est de ne jamais culpabiliser. La culpabilisation est hautement dommageable et contre-productive". Il lui semble essentiel d'écouter l'enfant et de chercher une solution avec lui, sans culpabiliser le jeune. "Au lieu de dire 'pourquoi tu n'as pas d'amis' ou 'pourquoi tu ne veux pas aller à l'école', il faut plutôt dire qu'on perçoit une difficulté et qu'on va essayer, avec lui, de comprendre ce qui ne va pasIl faut être vu comme une personne ressource, continue le psychiatre, et non comme une sorte de sage qui a réponse à tout. L'adulte se met à la disposition du jeune pour comprendre et pour qu'ils essayent ensemble de trouver une solution"

Emmanuel de Becker précise aussi qu'une présence silencieuse peut parfois aussi être bénéfique. Autre fait important : il faut éviter de dire à l'adolescent 'moi j'aurais fait comme ça'. "Cette phrase a souvent bonne intention mais il se dit 'moi, je n'y arrive pas, je suis nul' et va se sentir dans une situation d'échec et d'impuissance, ce qui va encore plus diminuer son estime de lui".

 

L'isolement, premier ennemi de la victime

Quand on demande aux deux psychiatres quel est le principal problème des victimes de harcèlement, leur réponse est unanime : l'isolement. "Ce qu'on n'arrête pas de dire dans les messages de prévention, et ce à quoi je crois aussi, nous explique le docteur Hayez, c'est que le jeune ne doit pas rester seul". Selon lui, on peut estimer qu'entre 8 et 10% des adolescents sont victimes de harcèlement. Il faut donc les encourager à trouver une personne de confiance, à qui ils expliqueront leurs problèmes. "L'agresseur le sait, il isole sa victime pour avoir la mainmise dessus, ajoute Emmanuel de Becker. Le seul conseil que je peux donner c'est de trouver une personne ressource, un parent, un ami, un voisin de confiance ou un enseignant, et lui demander de l'aide". 

Les harceleurs souvent d'anciennes victimes

Il est souvent difficile de déterminer quelle sanction donner aux harceleurs. Pour nos deux spécialistes, il faudrait plutôt dialoguer avec ceux-ci. "Ce sont souvent des ados qui eux-mêmes ne sont pas bien dans leur peau, nous explique le docteur Hayez. Quand on a une mauvaise image de soi, on peut compenser en développant une pulsion agressive".  S'il faut donc rencontrer et aider ces harceleurs, il est cependant important de sanctionner le comportement répréhensible. "Il faut marquer le coup pour rappeler les règles de convivialité, continue Jean-Yves Hayez. Ils ont besoin d'une sanction mais aussi de compréhension, leur comportement harceleur est aussi le signal d'un mal-être". 

Pour le psychiatre infanto-juvénile, il faut de nouveau responsabiliser sans culpabiliser. "On n'est pas harceleur pour rien, surtout en tant qu'enfant ou adolescent." Comme son collègue, il pense que l'agresseur peut avoir été, ou toujours être actuellement, victime de harcèlement. Il existe cependant un autre type de harceleur, moins fréquent. "On peut avoir affaire à quelqu'un qui aime faire souffrir les autres. C'est ce que nous, psychanalystes, appelons "jouissance", c'est à dire des jeunes qui prennent un plaisir intense à détruire les autres". Ces agresseurs n'ont pas la capacité de se mettre à la place de l'autre, de comprendre qu'ils lui font du mal, ce qui est essentiel pour nous faire progresser dans la société. Dans ces cas-là, les professionnels de la santé s'appliqueront à humaniser et à sociabiliser l'adolescent.