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Texte publié dans la revue Santé mentale au Québec, ( 2008, XXXIII-6,209-215 ).

Le texte de Madame Cyr m’a semblé être d’une grande richesse, sereine et nuancée, et j’en partage les idées les plus fondamentales. Pour l’essentiel, je vais donc parler « comme en écho » à ce qu’elle avance. De ci de là, je me différencierai d’elle à propos de quelques applications qu’elle tire de ses idées. 

 Prendre en compte les besoins mouvants de l’enfant

Dans les cas de loin majoritaires où l’on accepte que l’autorité parentale s’exerce conjointement, voici les principaux critères dont on devrait tenir compte pour mettre en place les modalités de son hébergement :

 

Le nourrisson, puis le tout petit enfant ont besoin de constituer un lien fort avec une « figure d’attachement ».

 

Il s’agit d’au moins un adulte, qu’ils « reconnaissent » pour exercer à leur égard une fonction de maternage intense. Si cet attachement se développe bien, un processus d’intériorisation et de constitution d’un « bon objet interne permanent », processus qui dépend tout autant des fonctions cognitives, s’en trouve accéléré et gagne en qualité. Au fur et à mesure que le temps passe, l’enfant acquiert une grande confiance en soi, dans sa valeur d’être aimable, une confiance diffuse dans le monde et, paradoxalement, il peut supporter davantage de discontinuité dans la présence de ceux qui l’investissent et s’occupent de lui, notamment dans celle de sa figure d’attachement. 

A partir de quatre, cinq ans, l’enfant jeune et bien sécurisé peut même supporter sans dommage psychique majeur la mort matérielle de sa figure d’attachement principal, parce que, spirituellement celle-ci habite en lui et qu’il ne confond plus mort de l’autre avec grave danger immédiat pesant sur lui ni abandon. 

Concrètement, qui est cette figure d’attachement dont l’enfant a besoin ? Le maternant principal, spontanément reconnu comme tel par le tout petit. Dans  nombre de familles, cela reste la mère, le père, lui, se mettant un peu à l’arrière plan les quelques premières années de la vie. Dans d’autres, c’est le père, ou un grand-parent ou un substitut parental. Dans d’autres encore, c’est le père et la mère conjointement, parce que, dans le quotidien du tout petit, ils se partagent harmonieusement et abondamment le  maternage . Ce qui est essentiel, c’est que le nourrisson  ne se sente jamais menacé par trop d’absences ou par d’autres signes négatifs quand il est occupé à constituer son lien d’attachement et qu’il est encore très centré sur l’externalité de la figure d’attachement.

 

  Au delà de la mise en place de l’attachement, un processus cognitif très important de « mise en mémoire affective » des personnes externes fonctionne lui aussi.

 

Son noyau dur, c’est la qualité de l’intelligence et de la mémoire de l’enfant. Plus périphériquement, jouent des facteurs comme : la stabilité et la sérénité dans les liens affectifs importants ; une bonne ritualisation des allers et retours dans la vie quotidienne ( prévisibilité ) ; la qualité de la communication verbale avec l’enfant, etc. Il en résulte qu’il acquiert progressivement une représentation mentale forte et stable quant à « la permanence de l’objet ». C’est souvent bien installé vers trois ans, trois ans et demi ; alors, en dehors d’événements spéciaux toujours difficiles à intégrer, l’enfant est convaincu que, quand une personne investie par lui – d’amour ou de crainte -, disparaît de son champ de vision, cette personne continue à exister et qu’il est donc très probable qu’il la reverra. Il arrive même que cette certitude soit trop forte, trop illusoire et lui fasse nier la réalité de la mort, ou même celle des manques plus longs dans la séparation. 

Plus cette certitude est en passe de s’installer, plus l’enfant est en mesure de supporter des absences plus longues, en comprenant bien le sens des commentaires qu’on lui fait : « Tu ne verras pas maman pendant trois dodos, et jeudi, tu la reverras de nouveau ». Avec des limites néanmoins : après une semaine où il n’aurait plus eu de contact matériel avec un parent bien investi –surtout si c’est la figure d’attachement -, un petit enfant de trois, quatre ans va s’insécuriser, penser qu’il s’agit d’une séparation grave, peut-être définitive, et qui le menace lui aussi, et son sentiment basal de sécurité en prendra un coup ! Peut-être un petit coup de téléphone intermédiaire, ou un contact webcam, atténuent-ils son angoisse, mais ne justifient quand-même pas de longues vacances avec un seul parent avant plus ou moins cinq ans !

 

 

  L’enfant gagne à continuer à bénéficier d’un apport affectif et éducatif de valeur de son père et de sa mère, après leur séparation.

 

Au moins lorsqu’il y a doute sur cette qualité, une Instance officielle devrait évaluer ce qu’il en est, par exemple d’année et année, et en tirer des conséquences sur le droit d’exercice de l’autorité parentale et les modalités de l’hébergement de l’enfant. Sans faire preuve ni d’angélisme, ni de défaitisme. 

Il est vrai que la séparation du couple a parfois pour effet « d’ouvrir les yeux et le cœur » d’un parent ( plus souvent le père ) : il s’en trouve stimulé à exercer effectivement une fonction parentale jusqu’alors négligée ou exercée en dilettante. Encore faut-il que l’enfant, être libre et non objet consommable, reconnaisse ce changement ! Même si l’idée de cette « conversion » est dure à avaler par l’autre parent, il faut l’aider à assumer que c’est possible … et potentiellement mieux pour l’enfant. 

Il est vrai encore que l’hébergement alterné peut contribuer à éviter la désaffectation du lien par un des parents, celui qui serait trop réduit à la portion congrue,  ( de nouveau, de facto, souvent le père ). 

A l’inverse, évitons l’ingénuité : j’ai vu trop de situations où, sur le terrain, l’hébergement alterné exigé n’était pas honnêtement désiré, dans toutes les responsabilités qu’il connote, par un des parents ( une fois encore, statistiquement plus souvent le père ).  Surfant sur la vague contemporaine de l’égalitarisme, il l’avait demandé dans l’espoir de réduire ses frais financiers, ou pour nuire au bonheur de son ex-conjoint, ou en référence à une psychologie égalitariste rigide : une fois l’enfant chez lui, il était confié principalement à des gouvernantes ou des grands-parents. Or c’est bien de son parent dont l’enfant a besoin, et pas de constater que – peut-être comme depuis toujours – ce parent ne s’intéresse pas concrètement à lui. 

D’autres situations sont presqu’aussi dures à vivre. Par exemple, les deux parents s’engagent  concrètement chacun dans leur part d’hébergement, mais dans un contexte de grande rivalité : rivalité pour que l’un ne jouisse jamais d’un demi-pouce de droits de plus que l’autre ; rivalité pour « posséder » l’enfant, etc. Alors la vie quotidienne est émaillée de disqualifications de l’absent, et de rigidité dans le partage, qui n’est plus au service des besoins de l’enfant ! 

D’autres encore, prônent la garde alternée parce que, une alternance sur deux, ils redeviennent libres de leurs mouvements, sans le poids de l’enfant à garder. Un peu triste pour celui-ci, alors, de vivre qu’il encombre – par exemple quand se produit un événement imprévisible qui amène un parent à faire des heures supplémentaires ! -. Il est toujours le petit prince, lui dit-on, mais à condition que ce soit à mi-temps.

 

  Après séparation, l’enfant doit continuer à bénéficier d’une bonne coopération parentale, une « co-parentalité » effective. 

 

Un indicateur parmi d’autres : plus il est petit, plus est importante le « qualité du passage ». L’idéal, c’est que la mère le passe avec plaisir et confiance dans les bras du père, avec un petit commentaire verbal positif en plus. Et réciproquement ! Pas toujours facile, bien sûr, quand il s’agit du partenaire adulte dont on vient de se séparer ! A chaque parent donc de se souvenir qu’il est important pour l’enfant de pouvoir bénéficier des apports spécifiques de son père et de sa mère, les deux fondements de sa filiation. 

Au delà du moment du passage, tant mieux si le parent chez qui l’enfant séjourne peut évoquer de temps en temps l’autre au moins avec politesse et si possible un peu plus, voire y faire un appel occasionnel pour une aide éducative ou autre. Et s’il n’est pas possible qu’il aille jusque là, tant mieux au moins si ce parent est discret, et donne implicitement à l’enfant le droit de penser en paix et d’élaborer les sentiments qu’il souhaite à l’égard de l’autre parent.

 

 

Cette co-parentalité « suffisamment bonne » n’existe vraiment que dans une minorité des cas. Dans ceux, les plus nombreux, où persistent des tensions d’intensité modérée, la perspective d’un hébergement alterné n’est pas à exclure pour autant. 

 

Mais que faire s’il persiste entre les parents séparés des conflits vifs et durables où, le plus souvent l’enfant est pris en otage ? 

 

On ne devrait en tout cas jamais se représenter l’hébergement alterné comme une mesure susceptible d’éteindre ces guerres pas loin d’être totales. Je n’ai jamais connu de réconciliation au nom de l’enfant dans le chef d’adultes qui étaient arrivés à se détester : au contraire l’enfant a toujours été pris en otage, écartelé, prié de prendre parti … d’une façon involontairement cruelle. 

Pour autant, est-ce une mesure à exclure quand les conflits sont vifs et interminables ? Selon moi, oui ! D’abord parce qu’elle est souvent sabotée et donc à l’origine de conflits et d’escalades judiciaires de plus en plus venimeuses. Ensuite, même si l’enfant obéit, j’ai l’impression qu’il est confronté à davantage de moments d’expression des conflits et de commentaires acerbes dans cette formule que dans d’autres où un des parents a de facto des responsabilités plus grandes et plus longues dans le quotidien. Mais je ne défends pas ma position à outrance ; car de toute façon, dans ces cas, c’est l’enfer pour l’enfant, quelle que soit l’option choisie. ; 

J’aurais préféré que ma position soit aussi celle de Madame Cyr, ce qui ne semble pas être le cas puisque dans les dix dernières lignes de son article, elle dit qu’il peut y avoir discordance entre co-parentalité et garde alternée, mais qu’alors il faut de solides mesures de médiation.

 

 Le domicile des deux parents doit être géographiquement ( très ) proche

 

 quand on installe un hébergement alterné, de sorte que le tissu social dans lequel l’enfant s’insérera de plus en plus soit homogène et stable. A vérifier, même quand l’enfant a trois ans, car les adultes accepteront difficilement de déménager par la suite, au seul nom de nouveaux besoins sociaux d’un enfant qui grandit.

 

 Last but not least, jusqu’à quel point laisse-t-on l’enfant s’exprimer au sujet de ses propres lieux de séjour

 

et, les fois où il opte pour le faire de façon réfléchie – pratiquement, après l’entrée à l’école primaire -, jusqu’à quel point tient-on compte de ses éventuels souhaits ? S’il est indécis ou veut partager son temps entre ses parents et que les autres conditions favorables sont réunies, c’est simple ! Mais au-delà ? Que fait-on s’il a une nette préférence pour rester avec un de ses parents ? Ou une franche aversion, qu’il peut motiver, pour l’autre ? ou si un ado, jusqu’alors en résidence alternée, dit qu’il en a marre de traîner ses valises de l’un à l’autre ?

 Quelques guide-lines qui s’en suivent

 Je prendrai surtout en considération les séparations précoces, avant que l’enfant n’ait trois ans, c’est à dire à une époque où le tout petit n’a pas encore acquis suffisamment « la constance émotionnelle intérieure de l’objet ». Je raisonnerai à partir de la figure d ‘attachement, en distinguant trois pôles de situations : 

 Première catégorie, ( 15 à 20 % des situations ) : Avant la séparation, un lien d’attachement profond était occupé à se constituer avec les deux parents : 

Ici, on doit commencer par viser le maintien de contacts très fréquents avec les deux parents, si possible avec des moments de passage souriants. Intensité ne signifie néanmoins pas strict égalitarisme ! Tant mieux en outre si les alternances sont prévisibles et en bonne partie ritualisées, et bien commentées. Avant trois ans, il ne devrait pas exister d’absence de l’un pendant plus de quarante-huit heures. Une période de vacances annuelles d’une semaine, tout au plus, avec l’un ou l’autre petit signal envoyé alors par l’absent, ce qui ne veut pas dire du harcèlement téléphonique. Après trois ans, les durées d’alternance peuvent s’allonger. On devrait néanmoins attendre quatre ans révolus pour mettre en place le classique « semaine-semaine » et si on ne le peut pas, l’absent devrait ici encore donner un petit signal. Dans le même esprit, pas de longues vacances ( un mois ) avant cinq ans ! 

Deuxième catégorie, la plus fréquente ( 50 à 60 % des situations ) : Un lien d’attachement privilégié se constitue avec un des parents

( pour ne pas nous compliquer la vie, imaginons que ce soit avec la mère ). Le lien avec l’autre parent est bon et important pour le devenir de l’enfant, mais au moment où survient la séparation, il est moins intense, ce deuxième parent, ici le père, est un peu en retrait par rapport à la figure d’attachement principale. 

L’essentiel est que l’enfant ne se sente pas menacé dans la consolidation de son lien d’attachement, tel qu’il était concrètement, avant que n’existe une bonne internalisation de la figure principale. Donc, avant trois ans,  trois ans et demi , le séjour principal de l’enfant devrait se dérouler chez sa figure d’attachement principale. On veillera bien sûr à des contacts suffisamment  nombreux avec l’autre parent, si possible avec du sourire au moment des passages.  Si ceux-ci sont crispés, peut-être une personne neutre et investie par le tout-petit peut-elle se charger du passage. Pour les durées, cfr la catégorie précédente. 

Après trois ans, trois ans et demi, si les deux parents ici concernés souhaitent une garde alternée, on peut l’organiser comme décrit dans la catégorie précédente. Néanmoins, eux - … comme nous ! … - pouvons nous souvenir que cette option n’est pas la seule garante du bien de l’enfant : un hébergement dissymétrique, tel qu’il existait majoritairement jusqu’il y a peu, n’altère pas ipso facto l’importance du parent qui voit moins souvent son enfant : c’est surtout une affaire de confiance en soi dans le chef de ce parent, ainsi que d’ouverture d’esprit et de respect des sentiments de l’enfant dans le chef du parent gardien principal. 

Si les deux parents ne sont pas d’accord à propos de l’hébergement alterné, mais que leur relation, pour tendue qu’elle soit, reste digne et correcte, le juge appréciera où réside la moins mauvaise décision, entre autres, en écoutant l’enfant quand celui-ci grandit. Les mesures prises judiciairement devraient pouvoir être réévaluées, par exemple de deux ans en deux ans. 

S’il y a désaccord sur la mesure avec conflits lourds et permanents, j’ai déjà exprimé nos réticences à propos de la garde alternée  Pour y recourir quand-même, il faudrait avoir à faire à un grand enfant qui le demanderait lui-même avec persistance, envers et contre tout. 

Troisième catégorie ( 20 à 25 % des situations ) : Un parent constitue une figure d’attachement. L’autre ne s’occupe guère de l’enfant, voire vit en relation négative avec celui-ci. 

Il n’est néanmoins pas impossible que, après la séparation, cet autre parent demande un hébergement alterné. On devrait de toutes manières raisonner comme dans la  première catégorie en ce qui concerne  le temps nécessaire à la sécurisation de l’attachement. Pendant cette période de transition, s’il le souhaite, les visites de l’autre parent pourraient être relativement fréquentes, brèves, et se dérouler préférentiellement en présence de la figure d’attachement ou d’un autre adulte bien investi par l’enfant ( un grand-parent par exemple ). 

Par la suite, si le second parent insiste pour prendre davantage de place auprès de l’enfant via un hébergement alterné, l’appréciation de la conduite à tenir est des plus délicate : il faut se donner d’excellents moyens pour apprécier la sincérité de sa motivation à s’engager personnellement. S’il existe de lourds conflits entre les parents, ou s’il existe une forte aversion du chef de l’enfant, ce devrait plutôt être non !

De toute façon, si on met en place la mesure, c’est plus que jamais un pari, et il faut se donner la possibilité de la réévaluer, par exemple après six mois, puis d’année en année. 

Lorsque les séparations sont plus tardives, les discussions détaillées qui précèdent contiennent suffisamment d’indications pour se composer la conduite à tenir au cas par cas.