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François Hollande

 

 

Définir ce qu’est le temps ? 


Opération de l'esprit bien hasardeuse, presque impossible ! Si je m'en réfère à Merleau-Ponty, Minkowski et d'autres philosophes, le temps, [2] c'est nous, chacun de nous, nous tous ensemble et les choses de l'univers. Nous sommes un espace et aussi un temps à l'état naissant, en train d'apparaître. ( Minkowski : Mon Moi se confond dedans sans se renoncer )

Nous sommes aussi temporalité, ce qui induit davantage l'idée d'une durée, d'un écoulement [3 ]. Alors q dans le monde objectif, spatial, saisi par les organes des sens, il n'y a que des " maintenant ", nous savons cependant que le passé et l'avenir, sans constituer des données perceptibles, n'en sont pas moins des réalités existantes, terminées ou potentielles, et sont parties de notre nous [4], dans ueracines et nos projections. On saisit donc le temps, entre autres, par sa progression, son écoulement vers un avenir indéfinissable … Masse d'un devenir imprévisible, insaisissable [5].

 Comprendre l’Instance Temps.

fillette méditative

 

 

Doté de sa conscience réflexive, l’être humain va tenter de se débrouiller, de comprendre et même de dominer jusqu’à un certain point la réalité mystérieuse du temps ¨[6].

 ---- Noussommes un Réel-conscient du temps : notre conscience par rapport au temps et à la durée- durée en générale et notre durée à chacun- est immanente. Elle s’exerce par des pensées et des actes de remémoration ou des projections dans l’avenir. Elle s’exprime par lelangage,  ses signes et symboles, ce qui permet d’insérer les autres dans l’appréhension que chacun a de sa propre durée.

 ----Dans l’ordinaire de notre quotidien, assez habituellement, nous faisons une sorte de synthèse intuitive d’une « temporalité en transition » : maintenant et ce qui vient juste de se passer et qui est en train de s’accomplir. Synthèse, et intuition d’un mouvement qui se déploie, et que nous pouvons goûter optimalement en vivant notre vie et en la pensant quelque peu intuitivement, davantage qu’en voulant construire intellectuellement la synthèse elle-même. 

----Mais nous dépassons régulièrement cet « ordinaire » :

- Notre pensée aime  revenir en arrière et se raconter le passé dans ce qu’il a eu de particulier ( Aulagnier (1983) : Nous reprenons le temps, vécu dans un passé plus ou moins lointain et définitivement perdu, dans une histoire qui le parle et le remet dans un discours vivant )

famille

 

 

- Nous aimons et devons aussi anticiper, planifier, imaginer vers l’avant et conjecturer sans avoir la capacité d’une prévoyance rigoureuse ( Fonction d’anticipation/imagination qui attribue aux faits et actions à venir des analogies avec le passé ; il n ‘existe guère de « pure » création : le héros le plus fantasmagorique a des cornes ou des vêtements comme le diable du passé,  etc. )

 ---- Dans les sociétés et les cultures occidentales [7], on découpe le temps et la temporalité en séquences standardisées, scandées par des chiffres qui indiquent des moments et des durées repérables par tous de façon contraignante ^8 $« Quand il est midi à Bruxelles, il est 6 heures à New York ; l’hiver occidental commence le 21 décembre et dure trois mois »« Tu dois travailler chaque soir 1 h 30, entre 17 heures 30 et 19 heures »

On peut parler d’une représentation et d’une organisation du temps officieladministratif. Indispensable instrument réel autant que « symbole social », le temps officiel sert de repère inéluctable pour structurer nos conduites tellement interdépendantes et organiser la vie commune avec suffisamment de prévisibilité et de coordination, sans sombrer dans le chaos : Mieux vaut donc que nos montres soient à l’heure. Même la grande majorité des ados sont d’accord la-dessus, eux qui doivent se présenter à des rendez-vous avec leur copine. Ils n’ y sont peut-être pas à l’heure, mais au moins  ils  la connaissent et savent ce qu’ils font !

 

 

III. Une autre manière de se retrouver dans le temps, c’est de lui donner des applications à la fois spatiales, et marquées par l’affectivité, les dynamiques relationnelles.

le temps qui passe

 

Qualifications au demeurant plus ou moins enchevêtrées et superposées.

 ---- C’est ainsi que nous mettons en placele temps , en Occident, est largement influencé par le temps industriel, marqué par l’obligation de productivité, le rendement financier, la consommabilité ( Zarifian (2001) : il existe une captation économique du temps humain )

Notre temps social est compressé, rapide, pressé et bousculé par beaucoup de choses à faire en peu de durée. Il est très organisé, sans fantaisies, pas loin d’être rigide.

Nous ne nous donnons donc plus guère l’autorisation de passer du temps à ne rien faire, à  rêvasser ; même l’ado contemporain, plus souvent que d’être couché sur son lit à écouter de la musique, a tendance à se scotcher à son ordinateur pour y vivre les vagabondages de son esprit

jeune à l'ordi

 

 

Nous ne nous donnons plus guère de temps pour la méditation, la poésie, l’art – la création artistique, aujourd’hui est organisée dans des stages payants -. Nous n‘avons plus beaucoup de temps à passer gratuitement les uns avec les autres, en intergénérationnel : temps pour écouter babiller les petits enfants ou radoter les vieux, temps pour visiter les morts, que nous compactons dans les centres de crémation. 

« … Nombre d’enfants apprennent donc très tôt et même trop tôt qu'ils vivent dans une société férue de productivité où « le temps c'est de l'argent », où le temps social, celui du travail l'emporte sur tout, où les loisirs sont considérés comme de l'oisiveté, cette mère de tous les vices, où il faut travailler plus pour gagner plus, où le faire et l'avoir l'emportent sur l'être.  Pas question de perdre du temps précieux : le travailleur qui produit, fabrique, crée, agit, fait quelque chose de bien, d'utile, de rentable ne se laisse pas entraîner par des sollicitations qui le détourneraient de ses objectifs. 

Enfants ou adolescents ont donc l'habitude d'entendre des remarques en forme d'injonction paradoxale sur tous les tons, à la maison, à l'école, dans les espaces périscolaires, de la part d'une figure d'autorité s'impatientant devant leur lenteur désinvolte et affichée : « Allez ! Surtout, ne te presse pas ! Prends ton temps ! » C'est un rappel à l'ordre dont tout écolier sait l'importance : Adieu,  bain tiède où il se prélassait : Le temps social, ce temps découpé, codifié et imposé à tous selon des règles admises auquel chacun, se rallie sans discuter s'il veut prendre sa place et sa part dans la communauté, n'attend pas. Pis encore :

On n'ampute pas le temps social au profit du temps privé, et inversement on ne laisse pas envahir temps privé par le temps social. Ainsi peut-on gagner du temps, en étant plus disponible et plus libre pour faire ce que l'on doit faire au moment où on le fait ... » (Sibertin-Blanc, 2006) 

---- Nous nous référons aussi à un temps que nous appelons personnel ou privé

Il est consacré à des choses décidées par celui qui le  vit selon sa propre conception du temps : projet qui se déroule à son rythme, rêve, loisirs … plaisirs. C’est la sa différence essentielle avec le temps social commun. Pour le reste il peut se dérouler dans l’anarchie, la fantaisie … ou l ‘organisation, parce qu’y a été créé un nouvel ordre parallèle du temps. 

Il peut se vivre individuellement, en petit groupe, en famille …

Le temps personnel peut être vécu publiquement, mais il existe  aussi un temps intime, non partagé avec les autres. 

---- Anne Courtois (2002) évoque encore le temps culturel, espaces/durées d’organisations fortes de la vie culturelle, avec ses fêtes, ses rites qui sont des transitions vers d’autres phases de la vie sociale et individuelle.

---- Et il y aussi le temps familial, caractérisé par des cycles qui s’enchevêtrent ( cycle : notion d’irréversibilité et de périodicité … ) et aussi par des rituels ( stéréotypées, répétitifs ) qui ouvrent la porte vers d’autres avenirs. 

----  Un concept d ‘un tout autre ordre est celui du temps vécu

le temps passe

  

Nous nous référons par-là à l’expérience, l’éprouvé interne du temps : L’intuition mêlée d’affects qu’en a le sujet … la sensation du temps ( cfr, plus haut, l’idée que spontanément nous faisons une synthèse de « brèves durées transitoires » : un peu de passé, le présent, un peu d’avenir )

Il n’est pas du tout modulable sur le temps officiel : la même durée objective, relue en  temps vécu, peut paraître interminable ou passer  à la vitesse de l’éclair.

 

 Il me paraît raisonnable d’éduquer le petit enfant à repérer et comprendre le temps officiel,

celui des horloges, et à en tenir compte pour régler de larges secteurs de sa vie. Autant pour le temps social et culturel, dont la connaissance se transmet encore plus par le témoignage de vie des parents que par des paroles. Eh non, papa et maman ne font pas tout ce qu’ils veulent ! Ils sont pris et partie-prenante de nombres de contraintes, qui les occupent des durées plus ou moins précises, avec des horaires qui les scandent. Ils ne peuvent guère dire bien souvent : « C’est mon temps à moi ! » Eh bien, pour le petit aussi, il y a le temps de l’école, celui des devoirs, puis le temps bien codifié - et payé - dédicacé aux sports ou à sa culture … 

Ce secteur de l’éducation fonctionne  plutôt bien. Précocement, à partir de cinq-six ans, beaucoup s’identifient en partie au fonctionnement des adultes et organisent leur vie, en gardant cependant le désir de se ménager davantage de temps personnel que ceux-ci. 

A l’adolescence notamment, va augmenter  la proportion de ceux qui investissent  davantage  un temps privé et vécu quasi limité au présent; ils détestent entrer dans des planifications, un cadre où l ‘avenir est bien organisé  et éludent les questions du genre « Quand vas-tu … ? »  ( cfr infra)

 

Une partie non-négligeable des enfants est intéressée, voire fascinée par ce qui se raconte sur le temps passé où se trouvent leurs racines et, au fond, une partie d’explication du pourquoi ils vivent. On retrouve pêle-mêle dans cette catégorie les fantaisistes amateurs de dinosaures, ceux qui raffolent des histoires racontées par leurs grands-parents ou ceux encore qui, via Internet, deviennent des érudits dans l’histoire de la mythologie, celle des armes, des instruments de musique, de la seconde guerre mondiale ou des empereurs romains. Beaucoup, sans s’en rendre compte, sont à la recherche de réponses à une énigme plus personnelle sur le sens, dont la réponse pourrait être inscrite dans leur généalogie.

A l’opposé, d’autres sont davantage fascinés par des questions et des représentations sur ce que sera l’avenir. Plutôt que lire les philosophes et les sociologues, les voici plutôt occupés à faire fonctionner leur imagination à travers mangas et autres récits de science-fiction.

 

Il faut espérer que les adultes en position d’éducation ne se montrent pas les esclaves-zombies du temps social

 

sachant le critiquer, le remodeler et surtout s’en dégager pour se réserver de vrais temps personnels, seuls ou en famille.

 

la vie est belle

 A. Tout comme eux se dégageraient de l’esclavage du temps social, qu’ils en dégagent leurs enfants aussi ! Et donc, qu’ils ne fabriquent pas des enfants houspillés par le temps, embarqués dans des courses folles, énervés, fatigués, obligés de nécessairement occuper leur tempsqui n’a plus de libre que le nom par trente-six activités à faire entrer dans quatre cases, sans permettre à aucune de rester vide.

Qu’ils aident l’enfant à se donner du temps personnel qui soit authentique, et pas la ré infiltration sournoise du temps social des adultes dans le temps soi-disant privé de l’enfant, via stages et autres cours de tennis suggérés voire imposés. 

Certes, il faut aider l’enfant à occuper son temps de loisir par certaines activités structurées, mais il faut reconnaître aussi la valeur du temps vraiment pour lui, dont l’occupation relève de ses seuls choix, et qui peut être consacré à la rêverie, à la passivité et à l’ennui.

 

 B. Il est tout aussi souhaitable qu’ils gardent suffisamment de temps libre pour leurs enfants et leurs adolescents.

Temps libre qui n’est pas un temps prêté, et qui ne sera donc pas rattrapé. Donc pas parce que Belgacom a inventé une technique d’enregistrement TV pour passer en différé le match Anderlecht-Standard.

Pas principalement du temps pour faire une activité prédéfinie, mais du temps pour être ensemble. Jouir ensemble de la vie, d’un moment de détente. Se parler et s’écouter, sans chercher à solutionner des questions qui n’ont même pas été posées.

Trop d’enfants et d’adolescents sont laissés trop seuls, parce que les adultes sacrifient tout leur temps à la vie économique et sociale. Les jeunes nous donnent une formidable leçon de sociabilité à ce propos, en se branchant énormément les uns sur les autres pour se parler via les multimédias, souvent de tout et de n’importe quoi, et c’est très bien ainsi.

 

 

  1. Il est bon alors que les adultes sachent aligner leurs pas sur ceux de l’enfant ; Avancer à son rythme, où la pensée est souvent plus lente, plus concrète, plus limitée en vocabulaire, plus fantaisiste aussi … Ah, prendre le temps de s’asseoir à côté de l’enfant, de regarder et de goûter un dessin qu’il a fait, de l’écouter raconter vraiment ce qui s’est passé à l’école, sans vouloir qu’il accélère, ni avoir au bout des lèvres  la critique avisée de celui qui sait … Prendre le temps de rêver, avec l’enfant sur les genoux, que l’on berce ou que l’on masse doucement, pour le plaisir d’être ensemble.

 

 

  1. Les adultes peuvent encore se montrer accueillants et patients face aux enfants rêveurs, quelque peu anarchistes dans leur organisation du temps, pas pressés de vieillir. Bien sûr, on ne peut pas ne pas les frustrer du tout, on ne peut pas ne faire aucune pression pour qu’ils adhèrent, au moins un peu, à la logique des temps sociaux. Mais on peut le faire avec une certaine tendresse pour ce qu’ils sont, sans les disqualifier, et en se mettant des limites dans les exigences que l’on aura à leur égard. Que le monde reste bien composé et de poètes et de businessmen !

 

  1. Reste enfin aux adultes à assumer qu’il n’existe pas de solution rapide à tous les petits et grands problèmes qu’ils se posent. Comme le disait Watzlawick« Le remède, l’illusion du remède, la lutte acharnée vers un remède sont parfois bien pire que le mal » ( Watzawick et al., 1972 )Dans nombre de situations, il faut accepter la vie comme elle se déroule, avec ses données d’équipement du moment. Ce n’est pas en criant sur un hyperkinétique qu’on le rend plus calme. Ce n’est pas en multipliant les tentatives de rééducation de l’ l’énurésie primaire que l’on rend plus vite à l’enfant la maîtrise de sa vessie.

Quant à la petite rêveuse de sept ans bien plus intéressée par le jeu que par l’étude, peut-être faut-il rappeler aux adultes concernés la consigne hélas trop peu suivie du ministre Nollet [9] « Pas de devoirs à domicile » !

école jadis

 

 

Nollet n’avait peut-être pas tort et donc, s’il y en a quand même – un peu, espérons-le -, on ne peut pas lui éviter ce moment de travail, mais peut-être le lui faciliter, quitte à lui donner l’une ou l’autre réponse, et l’on devrait garder infiniment de patience pour la soutenir, d’espérance sur le fait qu’elle va grandir toute seule, et de tendresse pour ses investissements ludiques. Espérons donc que les adultes cesseront d’être des adultes impatients, en attente de résultat et de rendement rapide pour tout et n’importe quoi.

 

 

Ma réponse sera prudente. Ce serait commode, parce que j’écris un article sur le temps, de  répondre « oui » et de  présenter certaines pathologies que nous connaissons déjà avec le rapport au temps comme fil conducteur central. Je serai plus modeste et je vous présenterai plutôt celui-ci comme un symptôme, un indicateur qui peut être douloureux et qui figure dans des ensembles. Au lecteur de voir également si ce peut être considéré comme de la psychopathologie ou, simplement, comme des moments douloureux mais somme tous normaux dans des évolutions qui ne sont jamais sans épines.

 

 

  1. Difficultés cognitives à comprendre la notion du temps

 

◊ Les tout petits ne maîtrisent pas bien la notion de durée et commencent par confondre « plus tard » ou « quelques dodos » et « jamais » Inversement, ils ne saisissent pas bien tout de suite non plus l’irréversibilité et le définitif de certaines réalités, comme la mort.

 

◊  Antonin ( dix ans ) souffrait d’un grave syndrome d’Asperger, et était malade d’angoisse quand il entendait métaphores appliquées au temps, indéchiffrables pour lui notamment quand on évoquait sa vitesse vécue variable ou quand on annonçait qu’il s‘écoulait. En outre, en langue française, « temps » s’applique aussi au climat, avec son cortège de métaphores : De quoi l’achever !

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  1. Celles et ceux qui hyper investissent le temps immédiat, présent

 

  1. Végéter dans le présent

 

Parce que, pour eux, c’est la forme la plus congruente de leur « projet » de vie

« Projet » qui, précisément, n’en est pas vraiment un pour le moment !  Il s’agit principalement d’adolescents, et une dimension d’opposition aux injonctions parentales peut s’adjoindre à leur « choix » quant au sens de la vie : Pas d’anticipation pour organiser le « sérieux » de leurs soi-disant obligations, quelques petits projets autour de moments de plaisir proches, mais labiles, inconsistants … investissements parfois enthousiastes, mais labiles, inachevés face aux efforts à accomplir ou à une autre idée plaisante qui leur traverse l’esprit … recherche de satisfactions immédiates … ou oisiveté sans planification, souvent en petit groupe ... ou alternances oisiveté/actions peu réfléchies. Ils détestent programmer, prendre des engagements à moyen ou long terme, au grand désespoir de leurs parents ; ils se laissent aller à l’imprévu et sont vraiment incapables de dire ce qu’ils feront après-demain ( Baranès, 2001 )


  1. Etre incapable d’attendre

 

 

Ces enfants n’acceptent pas qu’il « faut souvent du temps » pour obtenir un résultat : Temps de l’effort, du travail, de la création…Ou temps lié à l’indisponibilité momentanée du parent fournisseur, voire de l’objet convoité.

Ils ne savent pas planifier, différer, penser à autre chose, fantasmer en se consolant, renoncer parfois ni même se donner le temps des efforts intermédiaires, dont la visibilité n ‘est pas tout de suite liée à un beau résultat tangible. Ils consomment impatiemment ou alors se mettent en colère, plutôt que penser, rêver, imaginer, méditer.

( Minkowski, 1933, p. 74. « Ils ne peuvent pas accepter cette réalité spatio-temporelle de l’horizon insaisissable … C’est que, si on peut organiser ses forces pour aller vers lui, on sait qu’on ne l’atteint jamais … » )

Ce sont de grands impatients colériques et s’ils ne progressent pas on dira d’eux  que ce sont des enfants-roi.

C’est un comportement largement appris, à partir de la démission des parents, immédiate ou par épuisement ...

 

 

  1. Les enfants qui veulent ralentir, voire suspendre l’écoulement du temps

 

  1. S’accrocher au temps présent, source de tant de plaisirs

 

Certains enfants sont ambivalents à l’idée de grandir et de vieillir. Certes, le prestige lié à l’aînesse les intéresse, ou encore le fait d’être reconnus autrement, avec davantage de considération par leur entourage

Mais  vieillir c’est aussi devoir travailler, prendre des responsabilités sociales ; c’est avancer vers la mort, la perte de ses parents et de soi ; c’est perdre les plaisirs cocoon-bébé d’aujourd’hui. Tant de petits plaisirs sont liés au temps présent voir passé. !

Ces enfants expriment alors leur ambivalence d’une manière ou d’une autre et on a bien tort de ne les réduire qu’à une facette d’eux-mêmes ( « Ils veulent rester petits » )

 

Ø                 Certains petits ( première et deuxième primaire  ) ne veulent pas abandonner leur organisation personnelle, ludique du temps et « se mettre au travail »

 

 

Beaucoup d’entre eux feront  plus tard le deuil de ce désir de rester dans le plaisir et accepteront de travailler à l’école pour savoir et grandir. Ils ont surtout besoin d’empathie et de patience, en attendant que ça passe. On peut voir ce phénomène aussi à l’entrée en secondaire .J’en parle davantage dans l’article Problèmes scolaires, une petite recension phénoménologique»( § II. Ces enfants qu’on dit jouettes)

 

Ø                 Enfants qui acceptent volontiers de grandir, mais, qui pourtant ne veulent pas perdre le plus agréable de leur présent et conservent en eux, souvent inconsciemment, quelque chose de petit :

 

◊ Un rituel, un nounours pour dormir, une habitude d’enfance, le biberon auquel on tient longtemps.

◊ Un comportement, un fonctionnement psychophysiologique immature sur un mode plus inconscient : certaines énurésies primaires.

 

N.B. Ne voit-on pas non plus des jeunes ( adultes ) qui veulent concilier les deux contraires ? Le temps de l’autonomie et des conquêtes, et le temps du cocooning familial : les Tanguy.

 

  1. L’avenir, source de terreur ou de dépression : ceux qui voudraient arrêter le temps

temps qui passe

 

 

Espérance illusoire que l’on rencontre notamment autour de la pré adolescence et de l’entrée dans l’adolescence. Elle est symptomatique des dépressions, phobies scolaires et autres angoisses ( de séparation ) de fin de scolarité primaire. Elle se réalise aussi, comme motivation principale ou complémentaire, dans une partie des anorexies mentales des adolescents, surtout celles à tonalité plus dépressive :

 

Ø                  Peur de sa propre adolescence, trop présentée dans les médias comme temps du déchaînement

Ø                  Peur d’être comme obligé de quitter sa famille ; peur de la mort des parents ; peur de sa propre mort

Ø                  Peur d’un monde extérieur hostile ; peur de l’incertitude et des agressions de l’avenir. Peur de ne pas être à la hauteur, face aux pairs et aux adultes : ne pas trouver sa place dans le monde des adultes … s’y sentir étranger, vulnérable au milieu de celles et ceux qui ont su franchir le pas.

 

A titre d’illustration, je vous invite à lire l’article-étude de cas «  La lourde répression de Jonathan »

 

N.B. Dans nombre de dépressions, la personne affectée « sort du temps » ou, à tout le moins, le temps ( vécu ) se ralentit, paraît interminable, épais, sans saveur, menaçant, sans sens. La vie s’échappe par des trous froids du temps. Il n’y a plus ce que Bergson appelait un élan vital fort, qui crée un avenir de l’ordre de l’œuvre qui s‘ébauche, et non plus du brouillard inconsistant. Le sujet sort du cycle tension anticipatrice – création de l’œuvre – détente.

Ainsi certains ados dépressifs se persuadent-ils de plus en plus du non-sens de la vie, perdant leur élan vital créateur et passant le temps à ne rien faire sans joie, à fumer, écouter du heavy metal ou s’anesthésier dans des jeux vidéos ultra-violents.

 

ILL. Nathan ( onze ans ) vit mal le départ inattendu de leur père, bon père jusqu’alors, mais qui a quitté la maison pour une jeune femme. Moins d’un an après, un bébé consacre le nouveau couple. Depuis lors, le mal-être de Nathan s’est encore accru. Il est irritable, il en veut à sa mère de ne plus être assez jolie, ses résultats scolaires chutent, il tourne en rond à la maison. A l’école il est inattentif, et il me raconte qu’il passe de longs moments à des rêveries vides, à ne penser à rien, à s’évader de son psychisme vers du rien. Il n’est donc plus dans l’élan vital plutôt organisé où il serait conscient d’un temps bien vécu

 

III. Ceux qui résistent à l’ordre social ( ou familial ) résistent entre autres au temps social

 

Le problème est cependant plus vaste que le seul rapport au temps. Le temps n’est qu’un indicateur, c’est tout l’ordre social qui peut être en question. On est dans le vaste monde des enfants perpétuellement rebelles, les enfants ou adolescents-roi. En ce qui concernent les directives qui portent sur l’organisation du temps : « ... Enfants en guerre permanente avec le temps social, ses exigences, ses codes, ses conventions, ce sont d'incorrigibles retardataires pour écouter, apprendre. Ils ne  comprennent pas le sens des sermons, des punitions qu'on leur inflige, et mettent en échec les remédiassions cognitives ou les psychothérapies les plus poussées, vécues comme tentatives d’enrégimentement permanent à l'ordre souverain du temps social.

Ils perdent et ils se perdent, ils s'obstinent à jouer quand il faudrait travailler, ils ne sont jamais à l'heure. Sans doute aussi prennent-ils à la longue plaisir à se faire attendre, désirer, à subir les regards vindicatifs des autres tout en restant en marge des conventions.

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Un mode de fonctionnement s'impose peu à peu à eux comme une seconde nature : ils ne parviennent plus à se réconcilier avec le temps social ni d'ailleurs à profiter du temps personnel, privé ou intime. Leur chambre est « en chantier », leurs éventuels projets sont désordonnés et avortent et les parents renoncent à leur imposer quoique ce soit. S’ajoute alors en eux un vécu dépressif et abandonnique contre lequel ils vont élaborer des défenses redoutables : attaquer tout ce qui de près ou de loin rappelle le temps social, le temps des autres avec leurs normes … (Sibertin-Blanc, 2006)

 

N.B. Les enfants qui fonctionnent à l’inverse sont-ils moins préoccupants ? Enfants « normativisés » par le temps social, qui sautent joyeusement dans leur slip à 6 h 55 et ouvrent tout seuls leurs cahiers à 16 h 45 juste après le goûter.

Cela peut aller jusqu’au conformisme contraignant de ceux qui ne goûtent plus la valeur « repos – inactivité – oisiveté » Ils doivent toujours « occuper leur temps », faire quelque chose, anticiper. Ils ne se laissent plus jamais aller à goûter le moment présent. 

 

 

 

L’être humain, porteur de toute sa complexité, porteur des mille nuances de ses pensées, a certainement besoin de temps. Temps pour méditer et penser en paix. Pour saisir qui il est, se connaître et se reconnaître. Pour s’évaluer tout seul, sans la pression des autres, pour peser le pour et le contre de ses choix. Pour tâtonner, évaluer tel ou tel changement. Temps pour penser un projet, ses principes et les détails d’organisation qui lui sont inhérentes.

Ce temps de la méditation lui est-il encore reconnu ? De ce qui précède, il y a de quoi douter, mais aussi de quoi lutter pour revalider ce temps de la nécessaire réflexion.

L’être humain a aussi besoin de temps pour souffler, récupérer, se reprendre, se refaire, s’amuser.

Il a également besoin d’être respecté dans les différents temps ( social, personnel, familial … ) qui structurent sa vie.

 

  1. L’organisation de la Santé Publique contemporaine reconnaît-elle l’importance de ces temps de méditation et de ressourcement ?

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Certainement pas complètement, en tout cas. La tendance est à presser les gens, au nom du rendement.

Les mères jeunes accouchées peuvent résider de moins en moins longtemps en maternité. En chirurgie, l’hospitalisation de jour se substitue de plus en plus aux quelques jours de repos post-opératoires, et pas seulement parce que les techniques sont moins agressives.

Paradoxalement, les patients sont de plus en plus bombardés d’informations hyper détaillées, à l’Américaine, mais on ne se donne pas le temps de vérifier ce qu’ils en ont compris et les questions qu’ils posent vraiment, et ils sont pressés de prendre des décisions rapides.

Quant au temps de l’enfance, temps de fragilité et d’immaturité, il est régulièrement malmené lui aussi. On donne parfois trop d’informations trop détaillées et trop de pouvoir de décision aux enfants très malades, au nom de la démocratie et des libertés individuelles, plutôt qu’en sachant continuer à les protéger, en décidant pour eux à leur occasion. On enferme parfois aussi indûment de très jeunes adolescents dans des directions de vie qui les séduisent momentanément comme, par exemple, en autorisant dès douze ans les traitements hormonaux de celles et ceux qui se sentent transsexuels à cette époque de leur vie.

 

  1. Fonctionnement de la Santé Publique dans le champ de la santé mentale et en référence au temps. 

 

 

Commençons par saluer cette particularité administrative belge, bien positive, qui consiste à prévoir le remboursement de psychothérapies prestées par des psychiatres en fonction du temps qui y est consacré, et en ayant prévu des unités de temps suffisamment conséquentes. Cette mesure n'a pas l'air menacée. Pas pour le moment, mais ...

L'ambiance générale est quand-même, ici aussi, plutôt à rechercher le compactage, la réduction et la rentabilisation maximale du temps. Un certain nombre de démarches psychothérapeutiques sont donc promotionnées, qui visent à réduire rapidement des symptômes gênants plutôt qu'à mobiliser lentement des structures, qu'elles soient intra psychiques ou relationnelles.

Pour obtenir cette mobilisation, il faut du temps : temps pour une écoute patiente, pour comprendre e qui est en jeu, pour atténuer des conflits, temps pour laisser les personnes réfléchir et peser le pour et le contre, pour tâtonner et pour faire des expériences à la maison … Mais qui ose encore le revendiquer comme essentiel ? Qui ose  encore  se lancer sereinement dans des aventures psychothérapeutiques à durée indéterminée, ou donner à des enfants qui en ont vraiment besoin deux ou trois rendez-vous par semaine, le temps qu’il faudra … en croyant qu’il peut être efficace, mais d’un autre type d’efficacité !

Ce temps de la  longue méditation ensemble est discrédité. Une nuée de chercheurs d’inspiration anglo-saxonne, d'obédience béhavioriste et organiciste, nous disent que les thérapies introspectives de longue durée ne servent à rien et que seule, la combinaison des médicaments et de techniques cognitivo-comportementales en six semaines amènent des « significative improvements » Six semaines, comme par hasard, ce sont les Unités de durée remboursées par les compagnies d'assurances d'Oncle Obama.
Soyons donc vigilants pour que nos prêtres administratifs tout juste rentrés du Québec et de Boston ne viennent pas gâcher par des exigences à durée limitée notre droit de réfléchir en profondeur, sur le chemin de la vie, avec les enfants, les adolescents et leur famille.

 

 

 

  1. Prendre « notre » temps lors des interactions avec l'enfant ou ses parents

 

  1. Face à l'enfant, qui a son rythme pour vivre et pour comprendre, et ses angoisses ou sa méfiance quant à nos intentions, nous sommes invités à nous donner du temps.Celui nécessaire à l'apprivoisement. Le temps pour marcher mentalement et affectivement au rythme de notre jeune vis-à-vis. Celui de nous immerger dans son style de vie et de dialogue.
    Prendre le temps qu'il faut pour nous intéresser vraiment au quotidien et au monde intérieur de l'enfant et pour lui « montrer » qu'il est important pour nous : Comment se déroule sa vie, à la maison, à l’école, avec ses copains ? Que fait-il pour s’amuser ? Comment se passent ses repas, le moment de la mise au lit ? Qu'est-ce qui l'intéresse vraiment, lui ? Veut-il savoir quelque chose de nous ? Et peut-être, qu'est-ce qui l

 

Certes, cette manière  sereine et rassurante  de lui « consacrer » du temps, pour faire connaissance et s’imprégner l’un de l’autre ne peut pas se transformer ni en évitement phobique plus ou moins bilatéral, ni en stagnation dans le principe du plaisir. Ni, paradoxalement, en vague menace, lorsque le temps passé à parler de tout et de rien  se transforme dans l’imaginaire de l’enfant en une épée de Damoclès ( «  Autour de quel pot redoutable ce M. tourne-t-il ? Que me veut-il, à la fin ? »)  Si les parents consultent c'est qu'eux au moins  se posent des questions sur l’enfant. Le moment venu, quand une première alliance est faite, il nous revient de mettre ce questionnement  sur la table du dialogue…et ce n'est pas souvent l'enfant qui le fait spontanément. Avec des mots adaptés à son âge, il doit entendre « Qu’est-ce qui a amené tes parents à venir me consulter ? Que t’ont-il dit à ce sujet ? Que comprends-tu et que penses-tu, toi à ce sujet ? Trouves-tu aussi qu’il existe un problème, chez toi ou entre tes parents ( certaines personnes) et toi ? Ou non ? Explique, raconte ton point de vue… »
Et ainsi la durée de la séance se déroule-t-elle en va-et-vient entre des moments consacrés à l'enfant en général, à ce qui l’intéresse lui et d'autres, consacrés à ses supposés problèmes, les uns rebondissant vers les autres.

B. Au fil de ces dialogues, éventuellement soutenus par des jeux, des dessins, des jeux de rôle, nous sommes régulièrement invités à prendre le temps de nous taire. 
Pas facile ! Nous sommes si souvent impatients, faisant les questions et les réponses à la fois, ayant du mal à imaginer que l'enfant puise avoir et exprimer une pensée personnelle.
Et pourtant... ça reste un formidable ferment de créativité, notre silence, quand il ne constitue pas un procédé commode !
Silence parce que nous sommes nous-mêmes occupés à penser, à méditer, et que nous n'avons pas tout de suite « la » bonne idée. Heureux, finalement, tous ces adolescents à qui j'ai  dit « Je ne sais pas tout de suite quoi te répondre, c'est bien compliqué ce que tu me racontes là » !
Temps du silence aussi parce que nous voulons mettre notre vis-à-vis en crise de réflexion et d'expression « C'est à ton tour de dire ce que tu penses ou ce que tu veux ! » Si cette invitation silencieuse est faite sans agressivité ni menace, amicalement, comme un signe de confiance, avec l'un ou l'autre encouragement... eh bien, l'enfant attrape souvent la proposition au vol, et exprime des idées ou des questions étonnantes en bon petit philosophe-scientifique,  observateur de la condition humaine.
Certes, les plus timides, les plus prudents et les plus désemparés commencent souvent par répondre « Je ne sais pas » Mais il nous est possible ne pas tomber dans le piège et les inviter à aller plus loin « Cherche encore... Tu ne sais peut-être pas, parce que tu n'as pas vu, mais que te dit ton imagination ? » Sans bien sûr jamais transformer cette pression amicale au déploiement de sa pensée en une sorte de bras de fer où l'enfant serait obligé de dire ce qu'il ne veut pas.

 

 

Quant à certains enfants, voire adolescents particulièrement évitant, nous pouvons les recevoir en compagnie d'un parent accompagnateur, quelques minutes au début d'une séance individuelle ; et demande aux deux « Comment s'est passée la semaine de ( l'enfant ) ? Y a-t-il un événement, quelque chose de particulier que je gagne à connaître ? » Après, nous faisons sortir le parent, sans nécessairement nous conformer à explorer tout de suite ce qu'il vient de dire. Mais au moins, nous possédons un élément d'information dont nous pouvons discuter si nous le jugeons utile.


  1. Nous gagnons à vivre le mêmetype de rapport au temps face aux parents. 

    Certes les parents contemporains sont devenus plus exigeants en matière d'information et de consignes précises et efficaces. Nous ne pouvons pas ignorer cette nouvelle culture, sans néanmoins être les esclaves de leurs impatiences. En effet :

    - Nous avons besoin de temps pour bien comprendre et choisir la bonne hypothèse ou la bonne idée à leur proposer, et ceci gagne à leur être signifié, courtoisement mais clairement.
    - Prendre le temps de visiter métaphoriquement leur maison familiale, ou l’album de photos de vie de leur enfant, c’est une démarche qui empêche d'avoir le nez collé au problème, et font penser tout le monde à d'autres idées, attitudes et ressources, meilleures génératrices de bien-être.
    -  Enfin, il nous faut accepter la persistance d’un certain nombre de problèmes quasi comme ils se présentent aujourd’hui, en misant sur le temps qui s’écoule lentement pour faire mûrir des fonctions psychophysiologiques, la mentalité ou les besoins affectifs de l'enfant ou encore des  composantes des interrelations familiales. S'activer prématurément est stérile : Le problème persiste ou s’aggrave et l’ambiance familiale se plombe de culpabilité, de sentiment d’échec et de rancœur.[10]

 

ILL. Anthony ( huit ans ) présente depuis ses trois ans une maladie de Gilles de la Tourette de plus en plus visible, dont il ignore le nom et pour laquelle, par désespoir et ignorance, ses parents le houspillent beaucoup.
En entretiens séparés, après que j'ai été à l'écoute de leurs questions et émotions, ils gagnent beaucoup en tolérance et se réhabituent à regarder en face de qualités morales d'Anthony.
J'apprivoise doucement celui-ci grâce à une petite marionnette Bob l'Eponge, à l'origine de différents jeux de rôles. Bob se sent parfois mal parce qu'il est différent des autres : il a le corps carré et est tout jaune.
Alors ce n'est pas toujours facile avec les copains. Un soir, Bob (joué par moi) demande à sa maman ( jouée par Anthony ) pourquoi il est ainsi. « M : Papa jette un pot de peinture sur toi le soir ; B : Pourquoi il fait ça ? ; M : Parce qu'il ne t'aime pas » Bob (toujours joué par moi) vérifie l'information auprès de son papa ( Anthony a pris ce second rôle ) et celui-ci nuance « C'est parce que t'es trop moche sans peinture »Et moi dans le rôle de Bob, de protester de ma valeur, face à mon papa et, dans un autre jeu de rôles, face à mes copains.

Bob l'éponge et ses parents

 


Je me donne le temps de rester dans cet imaginaire bien symbolique, sans faire d'interprétation sauvage sur la réalité d'Anthony, en acceptant le vécu douloureux de Bob l'Eponge tel qu'il est.

 

La séance suivante, Anthony me dit qu’il n’a pas été à l’école parce qu’un fil électrique était cassé ( N.B. Je vérifierai : c’était vrai ! ) Je lui fais dessiner l’événement et il me représente un dessin des plus symboliques : l’école ( le lieu de la connaissance, le cerveau ) avec un gros fil cassé. Il me vient donc l’idée  un nouveau jeu de rôles où Bob l’Eponge va chez le docteur ( Anthony ) « Docteur, j’ai parfois des tics ; ma tête bouge beaucoup et j’ai peur que des fils cassent dedans. Est-ce que ça peut arriver ? » Mais, Anthony, ému, fait irruption hors du jeu et du rôle du docteur et s’écrie « Et moi ? » Et moi ? Fidèle à moi-même, je lui demande ce qu’il en pense, puis je nuance la représentation qu’il me donne.

 

Et ainsi, sans brusquer son rythme, petit à petit, Anthony met-il en scène ses représentations et questions les plus douloureuses et existentielles.

 

  1. Penser le cadre temporel des psychothérapies

    Trois remarques à ce propos :

    A. Nous avons parfois été trop passifs ettrop démissionnaires en acceptant que, pour des durées indéterminées, le temps des séances avec un enfant se passe à n'importe quoi, à ce qu'il joue et dessine sans plus,  en ne sachant pas ou plus trop bien pourquoi il vient, habité qu’il est par le principe du plaisir ou par des conduites d'évitement.   Ou incapable de s'introspecter au moins un peu, intuitivement. Ailleurs, c’est nous qui n'avons pas voulu comprendre que la psychothérapie individuelle n'aurait pas un rôle central dans la résolution du problème, comme avec certains autistes ou énurétiques primaires.
    Il nous revient donc d'être plus humbles et exigeants.

 

En considérant nos psychothérapies comme un temps d’expérimentation ; en prévoyant des moments de réévaluation systématiques de l'offre et de la demande, par exemple de six en six mois ; et en ne les maintenant que si elles conduisent au mieux-être de l'enfant ou de sa famille.

B. La prise en charge de certaines problématiques graves et douloureuses demande beaucoup de temps. Je pense par exemple aux états dépressifs graves, aux manques de confiance en soi importants et bien ancrés dans l’être, à la passivité et aux conduites d'échec liées à des conflits intra psychiques, aux troubles de l'attachement ou encore aux relations familiales marquées par la démission des parents et au développement d'une psychologie d'enfant roi chez l'enfant.
Ici, il faut pouvoir assumer et supporter avec nos vis-à-vis que les choses n'avancent que très lentement, dans les sens d’une amélioration de fond, voire plus modestement d’une meilleure adaptation au problème existant. S'entendre dire « Ca ne va toujours pas »« Ca ne sert à rien » ou « J'ai encore un nouveau TOC, je vais vous le raconter », sans se déprimer soi-même, sans s'angoisser, et surtout sans s'activer en cherchant des solutions externes  qui ne constituent  trop souvent qu’une manière de passer commodément une patate chaude. On en trouvera une belle illustration dans l’article étude de cas déjà cité « La lourde dépression de Jonathan »

 

  1. La nécessaire souplesse du rythme des séances 

    Nous sommes parfois trop rigides à ce sujet, par exemple en programmant  strictement des séances hebdomadaires et à heure fixe. Tant mieux donc si nous n'avons pas « bourré » notre agenda au point de rendre impossible la souplesse.
    Quand Jonathan allait mal, c'est à dire pendant très longtemps, je l'ai reçu deux à trois fois par semaine. Il est vrai qu'alors le logiciel Skype, une webcam et un micro m'ont permis d'y arriver, sans imposer une pénibilité ingérable pour sa famille, comme pour beaucoup de familles contemporaines.
    Cela m'arrive de temps en temps d'annoncer « Je désire te revoir » ( ou vous revoir ) plus tôt que prévu » parce que mon vis-à-vis est en crise ou occupé à réfléchir à un thème très important, mais que l'horaire du jour ne permet pas de mener à un terme raisonnable.
    L'inverse est vrai également : Je diffère le prochain rendez-vous ou j’espace le rythme des séances, parce que je fais confiance à la créativité du jeune ou de sa famille ou encore que je veux leur indiquer que c'est eux qui doivent travailler à la maison, sans le filet de ma tutelle rapprochée.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Aulagnier P.,  Temps vécu histoire parlée, Topique. Revue freudienne
 1983, 13:3131, 5-14

Baranès J.-J., Les adolescents au présent, Enfances§Psy, 2001, 13-1, 93-100

Courtois  A., Le temps familial, une question de rythmes ? Thérapie familiale, 2002, 23-1, 21-34
Minkowski E., Le temps vécu, Le quadrige, Paris : PUF, 1933

Ricoeur P., Le temps raconté, Le courrier de l’UNESCO, 1991

Sibertin Blanc Daniel, Prendre le temps, Conférence inédite, VIIIe journées du réseau de psychiatrie de liaison Nord-est de la France et Belgique, 2006

Watzlawick P.,  Beavin J., Jackson D. Une logique de la communication, 1967, Norton, trad. Seuil, 1972  
Zarifian P., Temps et modernité : le temps comme enjeu du monde moderne, Paris : L’harmattan, 2001.

 

Mots clé

 

TEMPS, temps vécu, durée, psychothérapie, thérapie, suspension du temps.

 

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Notes

 

 

[1]  Jean-Yves Hayez, psychiatre infanto-juvénile, docteur en psychologie, professeur émérite à la Faculté de médecine de l’Université catholique de Louvain. Courriel :    Site web : www.jeanyveshayez.net

 

 

 

[2]   Evoquons E.  Minkowski, s’inspirant de Bergson : Masse fluide ; océan mystérieux autour de Moi, en moi, partout. Phénomène primitif, qui ne se laisse pas cerner par la pensée discursive qui, entre autres, met en place des « successions » ( de sentiments, d’acte-représentation du temps kaléidoscopique ) ( Minkowski, 1933 )

 

 

[3]   L’idée de l’écoulement est très liée à celle du temps : Héraclite employait la métaphore du fleuve où l’on ne se baigne jamais deux fois. Bergson : la durée s’écoule, du moins celle que nous vivons, dont nous avons l’intuition, avec une constante organisation ( et inorganisation ) vivante. Idée d’un élan vital qui crée l’avenir devant nous, sans qu’il soit totalement prévisible.

 

 

[4]   Heidegger dit que le temps est indispensable pour expliciter l’être ( « interprétation des signes laissés par le temps pour bien comprendre l’être » ) … Mais, plus banalement, c’est aussi la position des psychothérapeutes et, de facto, intuitivement de bien des êtres humains lorsqu’ils s’adressent aux autres.

 

 

[5]   Zarifian (2001) : On ne devrait pas dire « l’enfant devient homme », mais « il y a du devenir de l’enfant à l’homme – la réalité c’est le devenir »

 

[6]   P. Ricoeur dit que le temps humain est toujours un temps raconté. Il y a une expérience culturelle du temps, qui se met en forme par et dans toutes sortes de relais symboliques, dans les récits historiques  ( Ricoeur, 1991 ) J’ajoute : «  et aussi dans les mises en scène de science-fiction dont tant de jeunes sont friands : ils cherchent à maîtriser un temps à venir non exempt d’épines »

 

[7]   La « conception » du temps n’est pas la même dans toutes les cultures …

[8]   Temps « objectif », construit par l’homme, mesuré par des conventions ( qui s’appuient en bonne partie sur les cycles naturels )

 

[9] Fugace ministre de l’éducation en communauté française de Belgique fin du siècle passé, ce brave écolo tenta de faire passer par décret l’interdiction de donner du travail scolaire à domicile aux enfants. Hélas pour eux, le poids des traditions étant ce qu’il est, et notre siècle ayant horreur de toute autorité, sa croisade resta lettre morte

[10] Lisez sur mon site la page Echanges interactifs de courriel  (www.jeanyveshayez.net/28echcou-htm) Vous verrez comme j’y recommande souvent la patience à ces parents qui m’écrivent à propos des troubles du sommeil, énurésies primaires, hyper kinésies et autres immaturités développementales de leur enfant

 

 

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