En cliquant sur "J'ai compris!", vous acceptez les cookies nécessaires au bon fonctionnement de ce site web.

 

Je vous propose deux articles  complémentaires :

 

 ARTICLE UN :URGENCES PEDOPSYCHIATRIQUES

 

Résultat de recherche d'images pour "urgence pédopsychiatrique"



 INTRODUCTION

 

Les parents ou/et l'entourage de l'enfant ont parfois un grand sentiment d'urgence face à la manière d'être de celui-ci, qui a changé, souvent ( très ) rapidement :

 - dans une direction qu'ils estiment très inquiétante, jusqu'à inclure parfois, à leurs yeux, un risque vital ... en tout cas un risque de désorganisation grave de sa santé ou/et de la famille ou/et de l'environnement;
 - face à quoi ils ne trouvent pas de coping satisfaisant, à partir de leurs propres ressources;
 - et pour laquelle ils demandent une réponse thérapeutique - ou en tout cas protectrice - immédiate et efficace.

Les soignants interpellés partagent occasionnellement ce sentiment d'urgence; ils ont tendance alors, à dire que l'urgence est objective! Plus souvent cependant, ils sont rassurés quant au pronostic à moyen terme en ce qui concerne le sort de l'enfant et de tous, mais ils savent néanmoins qu'ils doivent répondre avec respect au sentiment vécu par les parents, ne fût-ce que pour éviter l'escalade d'angoisse et le doctor'shopping.

Il est rare que ce soit les soignants eux-mêmes qui tirent le signal d'alarme de l'urgence; c'est le cas, notamment, à propos de ce qu'ils appellent les " urgences silencieuses " : comportements nouveaux de retrait, dont la signification leur semble très dangereuse. Avant l'adolescence, il est très rare que ce soit l'enfant tout seul qui frappe à la porte d'un professionnel pour faire part d'une urgence qui le concerne (par exemple : révélation d'une maltraitance physique ou sexuelle).



 LES CATEGORIES D'URGENCE 



Nous avons regroupé schématiquement les différentes catégories d'urgence dans le tableau 1.

 - les colonnes détaillent quelques grandes modes d'expression qui apparaissent à l'avant- plan; les signes présentés par chaque enfant peuvent être présents dans plus d'une colonne à la fois;
 - les rangs renvoient à quelques grandes structures-types, individuelles ou/et socio- familiales, qui peuvent être à l'origine de la décompensation clinique; l'enfant, ici aussi, peut relever d'un ou de plus d'un rang;
 - les chiffres (1)(2) etc. ... figurant dans les cases du tableau sont commentés ci-après.

 



 Tableau 1.


(1) L'enfant qui fait à répétition des douleurs péri-ombilicales psychogènes peut souffrir un beau jour d'une crise d'appendicite ... ne l'y laissons pas mourir!

(2) Chez l'enfant, le délirium (DSM) ou confusion mentale aiguë (appellation traditionnelle) est provoqué par :

 - des infections cérébrales, méningées ou des intoxications du cerveau par des toxines infectieuses,
 - des déséquilibres métaboliques, e. a. des troubles de la glycémie (diabète) ou des troubles ioniques,
 - des altérations neurologiques : tumeurs, hématomes, etc.
 - des intoxications (par ex. alcool, café, divers médicaments) ou/et des sevrages (alcool, sédatifs). C'est cependant plus rare chez l'enfant pré-pubère.

Les symptômes les plus fréquents du délirium sont :

 - Une grande confusion mentale, une pensée très incohérente et dispersée, une grande difficulté à fixer l'attention.
 - De l'onirisme, voire des délires et hallucinations mouvants.
 - Des troubles neuropsychologiques variés (e. a. attention, mémoire récente, écriture)
 - Eventuellement, des moments d'obnubilation de la vigilance, une altération du rythme " veille- sommeil ".
 - Eventuellement, nervosisme, agitation, " dés ordonnance " des gestes.
 - Aspect fluctuant de la symptomatologie.

(3) Pour mémoire, de rares psychoses sont susceptibles d'éclater brutalement, après des prodromes discrets et eux-mêmes de durée très variable. Il s'agit de bouffées délirantes ou troubles psychotiques brefs (DSM.; durée inférieure d'un mois- psychoses aiguës du CFTMEA), des troubles schizophréniformes (DSM. durée entre 1 et 6 mois), voire des V.E.O. schizophrénies (DSM.; VEO = " very early onset " = avant la puberté; durée de plus de 6 mois). A noter que comme, les premiers jours, on ne peut pas préjuger de la durée de l'épisode, et que les symptomatologies sont très semblables, on cotera souvent, pour commencer " absence de diagnostic provisoire sur l'axe I ". Rétrospectivement, c'est la durée de l'épisode ainsi que la restauration ou non ad integrum, qui permettra de proposer une classification diagnostique plus précise. En principe, quelques signes cliniques subtils différencient un peu ces états psychotiques aigus des déliriums. Par ex., s'il s'agit de psychose, la capacité d'attention est meilleure, la pensée, quoique délirante, est moins dispersée dans l'incohérence; les fluctuations de la symptomatologie sont moins fortes; l'obnubilation de la vigilance et les troubles veille-sommeil, moins forts également. L'hétéro- anamnèse est éventuellement évocatrice (par ex., événement traumatique qui précède un épisode psychotique bref ... prodromes de retrait social, d'angoisses, de bizarreries dans la schizophrénie ... ingestion d'un toxique dans le délirium). RAPPELONS TOUTEFOIS QU'IL EST INDISPENSABLE d'hospitaliser brièvement tous ces enfants et de faire une mise au point organique rapide.

Enfin, il existe deux autres décompensations psychotiques ou fort semblables à la psychose d'apparition rapide, voire brutale, mais pour lesquelles le diagnostic est souvent plus aisé :

 - une crise de manie, avec des symptômes analogues à ceux qu'elle revêt à l'âge adulte, l'irritabilité et la violence se substituant néanmoins souvent à l'euphorie. Dans ce cas, avant la crise, l'enfant est déjà souvent repéré pour son comportement instable, peu contrôlé, imaginatif ou/et anxieux. La crise n'en constitue qu'un moment d'exacerbation. Très rare avant la pré puberté !
 - Un " trouble psychotique partagé " (DSM. - " folie à deux ", dans la nomenclature francophone) est susceptible, lui aussi, de s'exacerber momentanément. Mais le diagnostic n'est pas difficile : l'enfant, basalement fragile et imaginatif, vit depuis longtemps sons l'influence d'un parent psychotique qui, lui-même, se détériore probablement momentanément.

 - N.B. Une bouffée psychotique hystérique est également susceptible de se présenter à partir de la grande enfance. Sa forme externe ressemble largement au trouble psychotique bref; d'ailleurs, les psychiatres américains ne lui réservent pas une catégorisation spéciale. Dans une perspective plus structurelle, on remarque cependant - ou on croit remarquer - une " unité symbolique " plus forte du délire ... comme un message intentionnel entre l'inconscient, la simulation ou/et le jeu (" Devine-moi sans que je l'avoue ").

(4) Les attaques de panique sont susceptibles d'exister chez l'enfant, souvent comme moment d'exacerbation d'un état anxieux chronique basal, marqué déjà par l'hyper anxiété à propos de tout et de rien, l'angoisse de séparation ou/et le refus scolaire. (DSM. : Trouble panique ... avec ou sans agoraphobie). Elles sont caractérisées par les signes neurovégétatifs intenses de l'angoisse, accompagnées par la peur intense de mourir (ou ses équivalents : devenir fou, perdre tous ses contrôles, tous ses repères). Elles s'accompagnent inconstamment de " pavor nocturnus ".

(5) La conversion somatique stricto sensu est une dysfonctionnalité brutale d'une partie du système locomoteur ou sensoriel, qui est atteint dans une " unité symbolique ", de fonctionnement, et non dans une unité anatomique. Quand elle existe, elle est souvent le fait d'enfants à structure hystérique, mais pas toujours (par ex., conversions - paralysies chez certains phobiques).
Inversement, tous les enfants hystériques ne présentent pas des conversions, et certains d'entre eux génèrent un vécu d'urgence à partir d'autres manifestations que les conversions. Par ex., ils peuvent présenter des crises excito-motrices, de la tétanie, ou encore des bouffées psychotiques (cf. supra)

 ATTITUDES STRUCTURANTES

 Assurer une fonction " contenant " forte. 



 - " Contenant " de quoi ? De l'angoisse de l'entourage, et de ceux des débordements de l'enfant susceptibles d'être dangereux : débordement par ses émotions ou/et par ses comportements à risque.
 - Comment ? Disponibilité pour écouter, informer, calmer; entretiens à haute fréquence (plusieurs fois par semaine) qui se veulent des entretiens d'écoute et de recherche, plus que des entretiens-solutions.
Générosité dans l'investissement de soi. Capacité de " chercher avec " l'enfant, les parents, le réseau ... chercher ce qui peut calmer le jeu, redonner confiance, apaiser les émotions les plus exacerbées.
Capacité de repérer le danger objectif et d'en prémunir enfants et parents.
 - Toutefois, il est essentiel d'éviter de créer une dépendance de la famille par rapport au psy, ce qui pourrait se produire avec des personnes peu sûres d'elles, peu structurées, hystériques, captatives ou encore à la recherche d'une porte de sortie externe à leurs conflits ... Il convient donc de cadrer la rencontre en se situant dans un réseau d'intervenants, d'éviter l'illusion en situant les limites du changement possible ( par ex.~, ne pas promettre une non-récidive de TS ) et surtout de renvoyer la famille à sa propre créativité : une famille aux urgences n'est pas pour autant sans idée.



 Détecter les éventuelles causalités organiques et y remédier. 



 - Attention notamment aux agitations non ou peu compréhensibles, susceptibles de signer un délirium.
 - Même s'il s'agit d'une décompensation que l'on estime psychosomatique, le corps " en état de vibration " a droit à une sollicitude énergique : diagnostic, sédation de ses dysfonctions ...



 Calmer le jeu, couper court à l'escalade des émotions qui se renforcent réciproquement. 



 - Cr ce qui a déjà été dit à propos de la fonction " contenant ".
 - Attitude personnelle (ou de la petite équipe de soignants) sobre, mesurée, contrôlée, programmée.
" Programmée " ne signifie pas que l'on trouve toujours tout de suite tout ce que l'on pourrait faire, on peut se donner le droit de se retirer pour réfléchir, pour se concentrer ...
 - Montrer que l'on veille au moins à lutter énergiquement contre l'éventuel danger de mort; réserves dans toute la mesure du possible à propos de celui-ci.
Par exemple, un jeune enfant anorexique sera régulièrement " checké " sur le plan organique, et nourri de façon parentérale si son poids descend en dessous d'une limite dangereuse : il faut en parler à l'avance avec les parents (et, dès que possible, avec l’enfant).
 - Faire sortir les accompagnants les plus agités (si l'enfant le supporte, sinon renforcer leur contrôle de soi).
 - Prévoir éventuellement des mesures de séparation : dans la famille élargie, en home d'accueil social, en hôpital pédiatrique ou pédopsychiatrique ...
 - Eventuellement aussi, médication neuroleptique ou/et sédative.



 Protéger l'enfant contre les sources de danger, les maladresses, les débordements émotionnels ou/et les éléments désorganisateurs internes graves. 



 - cf. qui précède, à propos du " jeu à calmer ".
 - Mise en route rapide d'entretiens individuels, avec l'enfant, dont la dimension d'écoute exerce une fonction apaisante; promesse que l'on va veiller " avec lui ", pour réduire les menaces qui pèsent sur lui.
Entretiens familiaux? Oui, peut-être, prudemment, expérimentalement : ne le poursuivre que si on leur évite une dimension d'affrontements rigides.
 - Si les parents ne trouvent pas tout seuls des réaménagements structurants d'attitude, ne pas hésiter à donner quelques conseils, voire quelques consignes précises, destinées à empêcher les maladresses les plus manifestes.
En étudier le devenir par la suite, en les réintégrant dans la méthodologie plus usuelle des guidances

.

Se coordonner rapidement avec l'éventuel réseau d'intervenants

 

déjà en place et dont les membres travaillent déjà sur l'urgence, chacun de son côté. 
 - C'est essentiel pour éviter que la famille reçoive des consignes incohérentes; se répartir les tâches entre intervenants et, dans la mesure du possible, harmoniser le langage.



 CHRONOGRAMME DES ENTRETIENS 



Il n'est pas différent de ce que nous avons déjà évoqué dans le syllabus consacré au diagnostic et au traitement. Simplement, existe- t-il des " nuances circonstancielles ".



 Etape centrée surtout sur l'écoute. 



On insistera notamment pour que l'enfant et la famille nous informent sur :

 - ce qu'ils attendent du système de soins; l'identité d'éventuels autres intervenants occupés à travailler le même problème au même moment, et les éventuelles nuances dans leurs attentes dirigées simultanément vers ces collègues;
 - l'histoire du problème que l'enfant présente aujourd'hui; ce qui a déjà été fait pour y remédier, pourquoi cela a apparemment échoué.
 - la représentation qu'a chacun du problème actuel; l'éventuel événement déclenchant qui a provoqué son exacerbation (... à ce propos, il faut pouvoir insister fermement; la non- découverte de cet événement peut finir par être actée, mais appauvrit probablement l'efficacité thérapeutique : il faut pouvoir le dire!).


 Etape des propositions thérapeutiques.

 

 - Nous avons déjà signalé que quelques gestes protecteurs, face à ce qui est le plus dangereux, pouvaient se conseiller vivement, si pas être exigés fermement, au cas où les parents ne les auraient pas trouvés tous seul
 - Au-delà de ces " balises " et pour éviter une dépendance rapidement stérile, il reste important que les parents - voire l'enfant - demeurent en position de " chercheur ", et que le professionnel mette la main à la pâte pour chercher avec eux, ni plus, ni moins.

Il peut s'avérer important de scander les entretiens 

par des récapitulations verbales bien stables de ce qu'on pense être en jeu, ainsi que du projet thérapeutique. La haute fréquence des entretiens a souvent quelque chose d'apaisant, si les soignants n'y expriment pas surtout ... leur propre incohérence anxieuse. Les options thérapeutiques gagnent à être expérimentées d'emblée, même si elles ne donnent pas tout-de- suite le résultat miraculeux espéré : rien n'est pire que le passage de l'une à l'autre dans la précipitation.



ARTICLE DEUX : URGENCES EN  PEDOPSYCHIATRIE

 

 

F. GOAREGUER (1) et J.-Y. HAYEZ 

Paru dans Louvain Med. 117: 293-307, 1998 

Résultat de recherche d'images pour "kim de gelder"

Kim De Gelder, dit le joker, très vraisemblalement en crise schizophrénique quand il tue des bébés d'une crèche
 

Introduction.



La " proclamation " de l'urgence est sous-tendue par l'angoisse, le sentiment qu'un grand danger va arriver et qu'il convient d'y offrir une réponse immédiate et précise [1][2][3] 

Ce qui confère à cette urgence son caractère psychiatrique, c'est la nature du danger pressenti qui risque de menacer, de perturber ou de ravager l'équilibre psychique chez un individu ou dans un système ( l'angoisse de devenir fou, de perdre la " raison " est ici très grande et renvoie à la pulsion de mort, et même à une réelle possibilité de mort ). L'individu principalement intéressé par ce bouleversement est, pour ce qui nous occupe, un enfant (3). Ce qui justifie l'intervention d'un professionnel spécialisé de la santé, ici en l'occurrence le pédopsychiatre (4), c'est l'incapacité du système (concerné par la vie quotidienne de l'enfant, voire par un premier niveau de soins qu'on lui donne) à maintenir son homéostasie.

Ceci risque d'arriver de plus en plus dans une société où le service d'urgences des hôpitaux généraux et les médecins généralistes reprennent, dans bien des cas, les rôles jadis assumés par la " famille élargie " [4]. Cette dernière est en effet trop souvent éloignée, dispersée, négligée. On n'y fait plus référence. L'industrialisation, l'avancée technologique, les nouvelles exigences de travail exacerbées par la menace du chômage, la densité de population dans les villes, ... tout cela a contribué à agrandir le fossé des générations, l'incompréhension, l'incommunication, l'isolement, l'indifférence et les tensions, voire le malaise, qui en découlent. De manière caricaturale, on pourrait dire que la tranche active et rentable de la population est isolée, exploitée et pressée par les exigences de rendement, tandis que l'on tente de résoudre le " problème " que représentent les autres (ou plus simplement qu'on les néglige). La société, en développant des services d'aide, d'accueil, d'assistance, les homes, les crèches... et les services d'urgences, ne fait que tenter de remédier au marasme qu'elle a engendré. Combien de situations de crise, voire véritablement d'urgence ne sont pas imputables à ces tensions que nous énoncions plus haut et dont l'origine socio-familiale directe ou indirecte peut être identifiée?

La question qui vient juste après est de savoir ce qui est une fausse ou une vraie urgence. Mais ici, la particularité de l'abord psychiatrique est justement de considérer comme référence, souvent (5) , la subjectivité du patient plus qu'une soi-disant objectivité du soignant et d'adopter une position de base de non-savoir qui permet bien souvent d'ouvrir le champ de cette subjectivité et de favoriser une créativité capable de dépasser le vécu de crise (et si toute crise n'est pas forcément une urgence, toute urgence, nous semble-t-il, peut être considérée comme une crise [1], c'est-à-dire une occasion unique de changement). Il n'y a donc pas de vraies ou de fausses urgences. De là découle que tout sentiment d'urgence doit être pris au sérieux et traité comme tel au départ [3]. Cela évite dans bien des cas une banalisation qui ne fait que conduire au doctor's shoping.

Cependant, on peut considérer qu'il existe des risques plus ou moins importants dans la réalité qui font établir une gradation entre, par exemple, la tentative de suicide, l'initiative anorexique, la tentative de fugue et le refus scolaire. Cela n'en diminue pas pour autant le caractère urgent de chacune de ces entités pathologiques (tout comme en médecine somatique on verrait en urgence aussi bien une luxation du pouce qu'un infarctus du myocarde).

La demande d'intervention en urgence chez l'enfant se fait la plupart du temps par l'environnement direct du patient, mais il arrive que celui-ci ne demande rien. C'est aussi une particularité singulière de l'urgence psychiatrique de l'enfant, notamment dans les cas inquiétants de nouveaux retraits (maltraitance, stress post traumatique, psychose débutante ...). L'erreur à ne pas commettre serait de ne pas les considérer en urgence. Il s'agit "d'urgences silencieuses" [5]

L'intervention précoce du pédopsychiatre devant une situation pathologique jugée urgente comporte en outre de nombreux avantages comme d'éviter la " prise en masse " du symptôme qui risque alors de se structurer et l'apparition de bénéfices secondaires qui risquent de ralentir le travail du thérapeute [6]
Cela permet aussi d'arriver à un moment de crise où les défenses se sont momentanément abaissées et laissent s'exprimer des " choses " ( vécus, idées, sentiments, secrets ...) qui ne s'exprimeront peut-être plus par la suite [1][2] - [3] - [6]

  

Les urgences pédopsychiatriques "oubliées".


Pour ce chapitre nous nous inspirerons largement de C. Vidailhet [3] dont nous partageons les impressions concernant l'abord des urgences pédiatriques en Belgique. A l'occasion, nous nous contenterons d'y ajouter l'une ou l'autre réflexion.
Nous constatons malheureusement que le sujet des urgences psychiatriques de l'enfant n'a été que peu abordé, jusqu'ici, dans la littérature (tant dans les traités de psychiatrie que dans les articles de revues scientifiques).
Cela ne veut bien sûr pas dire qu'il n'y a pas d'urgences en psychiatrie de l'enfant. Cependant, il existe des phénomènes susceptibles de nous aider à comprendre ce vide apparent.
C'est le cas, d'une part, de la tendance naturelle qu'ont les gens, face à une urgence dont la présentation est vaguement ou bruyamment organique, à faire appel à un généraliste ou à avoir recours au service d'urgence d'un hôpital général, où un pédiatre, dans le meilleur des cas, verra l'enfant. Ces services disposent trop rarement d'un pédopsychiatre de garde, prêt à intervenir.

Plus radicalement, il existe même souvent une sorte de refus d'admettre que l'enfant puisse être en véritable détresse, un besoin de croire à l'enfant bien choyé qui ne peut souffrir que de petites choses (cf. p. ex., le très long refus de prendre en compte la douleur des nourrissons). Nous pouvons faire, ici aussi, référence à ce que nous disions plus haut sur le malaise social pour tenter d'expliquer la négligence des enfants, citoyens peu encombrants dont les cris portent peu à conséquence sur l'équilibre des pouvoirs de l'adulte.
D'autre part, lorsque l'expression d'un problème psychiatrique chez l'enfant se fait par le biais de somatisations (comme on le voit souvent), la dimension psychiatrique n'est pas toujours perçue. Une telle dimension est parfois niée par le généraliste ou le pédiatre qui se trouve moins à l'aise devant cet aspect de la prise en charge. Elle peut même être niée par la famille de l'enfant pour qui l'approche somatique constitue quelque chose de plus évident, ou de plus rassurant.
En effet celle-ci évite, par-là, l'éventuelle remise en question délicate d'un certain mode de fonctionnement, et restaure, via la visite chez le médecin ou l'hospitalisation, l'image de bons parents qu'elle demande souvent de renforcer (surtout dans un moment pareil où ils n'échappent pas au sentiment de culpabilité).

A l'inverse, certaines urgences somatiques vraies constituent un tel traumatisme psychique qu'une intervention pédopsychiatrique peut s'avérer nécessaire, mais est encore bien souvent négligée ou tout simplement oubliée.
Je pense ici aux grands brûlés, aux victimes d'attentats ou de catastrophes (naturelles ou pas), mais aussi à tous les enfants que la maladie ou l'accident confronte à l'idée de la mort (la leur ou celle d'un proche), ainsi qu'à tous ceux dont les hospitalisations ou les interventions à l'hôpital se multiplient et finissent par revêtir un caractère traumatique répétitif qui les met dans un état de panique insurmontable à l'arrivée du personnel soignant.

Il existe aussi des demandes d'hospitalisation accompagnées ou non de " syndrome de Münchausen par procuration " dans des services de pédiatrie à la veille de week-ends de retour chez un parent divorcé soupçonné, à tort ou à raison, de maltraitances ou de négligences diverses. De telles urgences devraient être portées systématiquement à la connaissance de pédopsychiatres et ce n'est malheureusement pas toujours le cas.

D'autre part, la peur de la culpabilisation, du jugement par un psy qui devinerait les aspects les plus noirs de la personnalité, ou la peur d'une folie contagieuse ou encore celle de la disqualification professionnelle ou sociale imputable à la visite chez le psy, sont autant de raisons fantasmatiques mais néanmoins suffisantes pour renoncer à aborder une problématique sous un quelconque angle psychiatrique.
Dans le chef des autres médecins, il existe également des raisons de masquer l'aspect psychiatrique de certaines urgences. En effet, dans les universités de médecine, l'enseignement et la sensibilisation à la psychiatrie sont souvent insuffisants [7]. Cela explique l'agacement et même parfois une certaine agressivité, voire un rejet à l'égard de ce qui est psychiatrique, qui ne signe qu'un sentiment d'angoisse, de manque de formation, de débordement, ou d'isolement face à un problème vécu comme insurmontable, ou mystérieux, échappant à une entière rationalité.

L'abord de l'urgence psychiatrique a des raisons d'être différent et même parfois opposé à celui des urgences somatiques, ce qui n'exclut pas la collaboration (6) .
C'est aussi chez les psychiatres eux-mêmes qu'il faut voir une certaine réticence à considérer qu'il existe des urgences dans leur pratique. Surtout lorsqu'il s'agit d'une pratique psychanalytique.
L'urgence suppose, effectivement, une action rapide et précoce que certains imaginent également courte. Ceci paraît être aux antipodes de l'approche psychanalytique classique.
Cependant, J.-M. Dupeur [2] nous explique que les consultations thérapeutiques analytiques en urgence sont, non seulement possibles, moyennant quelques adaptations, mais encore qu'elles " évitent la " prise en masse " d'une symptomatologie plus lourde et des bénéfices secondaires qui y sont attachés " [2, p. 127]

D'autre part, notons que l'urgence psychiatrique devrait être abordée avec toutes les ressources de la psychiatrie actuelle (systémique, comportementaliste, analytique, biologique, ...) et l'action d'autres intervenants sociaux et médicaux.
Quant à la rareté relative des rapports de littérature scientifique concernant les interventions urgentes en psychiatrie de l'enfant, nous pouvons lui opposer la grande fréquence d'interventions urgentes au sein d'Institutions Médico-Pédagogiques, voire d'hôpitaux psychiatriques. Mais celles-ci ne stimulent pas toujours les chercheurs, car elles sont malheureusement considérées comme d'intérêt mineur pour la collectivité.
On n'entrevoit dès lors que les urgences psychiatriques de l'enfant qui surviennent dans un cadre familial, lorsque celui-ci se sent débordé et décide de faire appel aux services d'un pédopsychiatre plutôt qu'à ceux du généraliste, du pédiatre ou encore d'intervenants sociaux ou judiciaires [8]. Et en un second temps, on perçoit celles où ces intervenants décident de recourir au pédopsychiatre après réflexion et après avoir vaincu leur a priori, angoisses, et autres barrières psychologiques qui les en séparent.
Il n'est pas étonnant, de ce fait, que nombre d'auteurs fassent état de la rareté de l'urgence psychiatrique de l'enfant.

On est en droit de se demander également si une sectorisation plus efficace ne serait pas de nature à modifier les chiffres en même temps que de créer une véritable prévention (Centres de crise spécialisés, équipes se déplaçant à domicile, ...).
En Belgique, nous déplorons aussi la rareté des services hospitaliers pédiatriques ou pédopsychiatriques acceptant des enfants de moins de 15 ans souffrant de problèmes mentaux en vue d'une hospitalisation brève, comme le soulignait le Professeur Appelboom dans une interview dans le journal " Le Soir " paru le 10 mars 1998
Or, ces hospitalisations brèves s'avèrent parfois un recours bien utile, comme nous le verrons plus loin, à condition, bien sûr, de ne pas verser dans l'exagération des urgences poubelles [7]

A ce propos, rappelons qu'il est important que les intervenants médico-sociaux ne brandissent pas le drapeau de l'urgence pour précipiter ou brusquer sciemment et à des fins personnelles, l'action des collaborateurs. Cela se voit encore trop souvent. Et c'est en galvaudant ainsi le terme d'urgence que l'on crée des réactions d'opposition, de méfiance, de négation, voire de banalisation ou de dénigrement à l'égard de toutes les demandes d'intervention en urgence, même les plus sincères. 

 

Significations globales, structures et catégories étiopathogéniques.



Nous venons d'aborder les urgences psychiatriques de l'enfant qui risquent d'échapper à l'intervention du pédopsychiatre. Voyons maintenant ce qui constitue indéniablement l'objet d'une pratique pédopsychiatrique en urgence.

Nous nous risquerons d'abord à vous proposer un tableau très pragmatique, fruit de notre expérience clinique plutôt que d'un recours strict aux nosographies (voir page précédente).





Ce tableau offre une classification, avec des colonnes détaillant quelques grands modes d'expression qui apparaissent à l'avant-plan et des rangées qui renvoient à quelques grandes structures-types, individuelles ou/et socio familiales, qui peuvent être à l'origine de la décompensation clinique. La symptomatologie d'un même enfant peut se retrouver dans une ou plusieurs de ces rangées et/ou colonnes. Ceci est dû à l'extraordinaire multiplicité des cas de figures rencontrés dans ce contexte et qui justifient d'ailleurs une perpétuelle réflexion et une pratique du cas par cas.

Les chiffres (1, 2, 3 ...) figurant dans ce tableau feront l'objet d'un commentaire ultérieur.

Commentaires du tableau.

1) L'enfant qui fait à répétitions des douleurs péri ombilicales psychogènes peut souffrir un beau jour d'une crise d'appendicite ... ne l'y laissons pas mourir!

2) Chez l'enfant, il existe donc des crises de delirium (DSM) [9] ou confusion mentale aiguë (selon les dénominations plus traditionnelles francophones). Elles sont provoquées par : 

 • des infections cérébrales, méningées ou des intoxications du cerveau par des toxines infectieuses,
 • des déséquilibres métaboliques, e. a. des troubles de la glycémie ( diabète ), des troubles ioniques, ou une thyréotoxicose, • des altérations neurologiques: tumeurs, hématomes, etc.,
 • des intoxications ( p.ex. après ingestion inadéquate d'alcool, de café, de divers médicaments... voire de drogues ou inhalation de produits volatiles ) ou/et des sevrages ( alcool, sédatifs ). C'est cependant assez rare chez l'enfant pré pubère.

Les symptômes les plus fréquents du delirium sont :

 • une grande confusion mentale, une pensée très incohérente et dispersée, une grande difficulté à fixer l’attention
 • souvent nervosisme, agitation, " dés ordonnance " des gestes,
 • de l'onirisme, voire des délires et des hallucinations mouvants
 • des troubles neuropsychologiques variés ( e. a. troubles de l'attention, de la mémoire récente ou de l'écriture ),
 • éventuellement des moments d'obnubilation, des altérations de la vigilance, du rythme veille/sommeil,
 • toute cette symptomatologie a un aspect plutôt fluctuant.

Il convient de garder à l'esprit un diagnostic différentiel complet et de travailler en équipe avec des pédiatres et des généralistes et, dans toute la mesure du possible, en salle d'urgence générale.

3) Pour mémoire, de rares psychoses sont susceptibles d'éclater brutalement après des prodromes discrets et eux-mêmes de durée très variable. Cela peut être un trouble psychotique bref (DSM  - durée de moins d'un mois), un trouble schizophréniforme (durée comprise entre 1 et 6 mois), voire une V.E.O. schizophrénie (DSM ; VEO = "ver early onset" = avant la puberté; durée plus de 6 mois). Mais rien ne permet, sur la seule base de l'observation des premiers symptômes, de faire la distinction entre ces trois types de psychose ni même entre une psychose et un delirium. En tout cas, l'attitude devant un tel enfant est d'hospitaliser d'urgence le plus brièvement possible et de faire un rapide check up organique, en même temps que l'exploration psychologique.

Il existe deux autres décompensations psychotiques OU PROCHES MOMENTANMENT DE LA PSYCHOSE d'apparition rapide, plus rare, mais pour lesquelles le diagnostic est plus aisé :

 • la crise de manie qui, chez l'enfant, revêt plus de violence et d'irritabilité que d'euphorie. L'enfant étant souvent repéré pour son comportement instable, peu contrôlé, imaginatif et/ou anxieux, ce dont la crise n'est qu'une exacerbation,        RARE AVANT LA PUBERTE
 • un trouble psychotique partagé (7) (« folie à deux " du DSM ), qui se voit inconstamment chez un enfant fragile et délirant vivant sans protection chez un parent psychotique, surtout si celui-ci est isolé.

4) Les attaques de panique sont susceptibles d'exister chez l'enfant, souvent comme moment d'exacerbation d'un état anxieux chronique basal, marqué déjà par l'hyper anxiété à propos de tout et de rien, l'angoisse de séparation ou/et le refus scolaire (DSM IV trouble panique ... avec ou sans agoraphobie). Il y a une certaine comorbidité avec l'anxiété et la dépression. Il n'est pas rare de rencontrer des antécédents familiaux de ce type. Ces attaques sont caractérisées par des signes neurovégétatifs intenses, typiques de l'angoisse, accompagnés par une forte peur de mourir (ou ses équivalents : devenir fou, perdre tous ses contrôles, tous ses repères, ne plus être). Elles s'accompagnent inconstamment de " pavor nocturnus ". Les crises ont tendance à se répéter et à se compliquer progressivement de phobie scolaire et d'agoraphobie. Ces enfants vont en salle d'urgence. Ils sont souvent âgés de 8 à 10 ans et leur crise dure 15 à 20 minutes. Les premières crises sont rarement reconnues comme telles par l'entourage.

5) La conversion somatique stricto sensu est une dysfonctionnalité brutale d'une partie du système locomoteur ou sensoriel, qui est atteint dans une " unité symbolique ", de fonctionnement, et non une unité anatomique. Cela relève souvent d'une personnalité hystérique mais pas toujours (inhibitions locomotrices de certains phobiques). Inversement, les enfants hystériques ne s'expriment pas toujours par des conversions (crises excito-motrices, tétanie, voire épisode psychotique bref sont également possibles). 

 

Abord de l'urgence en pédopsychiatrie : spécificités



Il y a une grande variabilité dans les situations rencontrées et une réflexion au cas par cas s'impose. Ceci tient du fait que nous avons à traiter avec des sujets humains et même des ensembles de ces sujets en interrelations complexes. Cependant, l'urgence elle-même doit se définir et répondre à des critères énoncés au début qui contribuent à cerner quelques points communs dans la présentation et nous permet donc de rassembler quelques grandes lignes générales pratiquement communes à la plupart des situations d'urgence psychiatrique de l'enfance rencontrées.
Nous citerons donc l'importance de détecter les éventuelles causes organiques et d'y remédier, d'assurer une fonction " contenant " forte, de calmer le jeu, de protéger l'enfant contre les sources de danger, et aussi de se coordonner rapidement avec l'éventuel réseau d'intervenants déjà en place.
Tout ceci se réalise au cours d'étapes distinctes et successives dans le temps. Une première étape est surtout centrée sur l'écoute. Vient ensuite une étape centrée sur la retransmission de quelques impressions. Et enfin nous pouvons aborder l'étape des propositions thérapeutiques.

Nous allons à présent illustrer  les différents points cités ci-dessus.



 • Repérer les causes organiques 



Tout d'abord, nous l'avons déjà souligné, il est nécessaire d'établir, d'emblée, un diagnostic différentiel complet concernant les éventuelles causalités organiques afin d'y remédier; nous pensons spécialement aux agitations peu ou pas compréhensibles pouvant signer un délirium, ainsi qu'aux décompensations que l'on estime psychosomatiques. Dans ce dernier cas, même s'il s'agit bien de cela, le corps, lui aussi " en état de vibration ", a droit à sa part de sollicitude déterminée: diagnostic, sédation de ses dysfonctions ( comme par exemple les douleurs et les spasmes ) ... Rappelons-nous aussi que toute détresse somatique s'accompagne bien souvent d'une détresse psychique, liée ou non à l'affection somatique ( problèmes socio-familiaux concomitants ) qu'il est parfois utile de prendre en charge de manière spécialisée, surtout pour les plus petits [10]. Il est important de redire à quel point la pédopsychiatrie de liaison a ici toute sa place dans un contexte d'urgence [1][3] - [7] - [11] - [12]



 • Assurer une fonction " contenant " 



De manière générale, parce que le sentiment d'urgence est lié à une forte angoisse devant laquelle il importe d'assurer une fonction " contenant " forte [1]. Il faut notamment se montrer disponible pour écouter, informer et calmer. Cela nécessite des entretiens longs et à haute fréquence (plusieurs fois par semaine) dans un endroit tranquille [3]. Ces entretiens se veulent d'écoute et de recherche, plus que des entretiens-solutions. Il s'agit, en effet, de " chercher avec " l'enfant, les parents, le réseau, de chercher ce qui peut calmer le jeu, redonner confiance, apaiser les émotions les plus exacerbées. Mais il faut aussi très vite repérer le danger objectif et en prémunir enfants et parents (déliriums, altérations et cercles vicieux psychophysiologiques).
La disponibilité est un point central [1] - [7], mais toutefois, il est essentiel d'éviter de créer une dépendance de la famille par rapport au psy, ce qui pourrait se produire avec des personnes peu sûres d'elles, peu structurées, hystériques, captatives ou encore à la recherche d'une porte de sortie externe à leurs conflits... Il convient donc de cadrer la rencontre en se situant dans un réseau d'intervenants, d'éviter l'illusion en situant les limites du changement possible ( par exemple, ne pas promettre une non-récidive de TS ) et surtout, de renvoyer la famille à sa propre créativité : une famille aux urgences n'est pas pour autant sans idée.
Il est, par ailleurs, important, pour C. Vidailhet [3, p. 1133-1134] " d'évaluer le rôle des parents dans la dynamique de recours à la psychiatrie d'urgence, de reprendre leur histoire personnelle, celle de leur couple, la façon dont ils se perçoivent dans leur fonction parentale et de les situer dans le réseau des répétitions intergénérationnelles ".
L'urgence constitue, pour elle, un temps qu'il faut prendre pour " laisser parler et parler ", et pour " favoriser l'expression des conflits et la symbolisation. Il faut mettre à profit cet instant pour rétablir la communication et les échanges momentanément rompus entre l'enfant et son environnement sans disqualifier l'un ou l'autre. Il faut aider à la reprise des relations socio-familiales, porter un autre regard afin d'éviter le cycle infernal: provocation-exclusion ", ..., " l'urgence psychiatrique ne peut se concevoir que dans sa dimension relationnelle." ([1] aussi).

Il existe une certaine souplesse quant aux personnes pouvant assister à l'entretien. Cela peut être l'enfant seul, un ou ses deux parents, l'enfant et ses parents, ou encore la famille au sens large. Mais il faut éviter de poursuivre des entretiens collectifs si ceux-ci ne mènent qu'à des affrontements rigides. Il convient également de faire preuve d'un certain "bon sens". Par exemple, lorsqu'il s'agit d'un traumatisme lié à une agression, il est très important de ne pas remettre la victime traumatisée en face de son agresseur une nouvelle fois. Cela constituerait un deuxième traumatisme pourtant bien évitable.



 • Calmer le jeu 



La fonction contenant, décrite ci-dessus, est une première mesure en vue de calmer le jeu. Mais pour être efficace, il convient d'en adopter d'autres. A commencer par une attitude personnelle (ou de la petite équipe de soignants) qui se doit d'être sobre, mesurée, contrôlée, et un peu programmée.
Ceci ne signifie pas que l'on trouve toujours tout de suite ce que l'on pourrait faire. On peut se donner le droit de se retirer pour réfléchir, pour se concentrer, ...
Quoi qu'il en soit, il faut toujours montrer que l'on veille au moins à lutter énergiquement contre l'éventuel danger de mort. Par exemple, un jeune enfant anorexique sera régulièrement surveillé sur le plan organique et nourri de façon parentérale si son poids descend en dessous d'une limite dangereuse : il faut en parler à l'avance avec les parents (et dès que possible avec l’enfant).

Il faut parfois couper court à l'escalade des émotions qui se renforcent réciproquement.
C'est ainsi qu'il arrive de recourir à d'autres mesures encore comme de faire sortir les accompagnants les plus agités si l'enfant le supporte ou sinon de renforcer, chez eux, le contrôle de soi. Dans certaines circonstances, il peut être nécessaire de prévoir des mesures de séparation (dans la famille élargie, en home d'accueil social, en hôpital pédiatrique, ou pédopsychiatrique [K]) [13], quitte à se départir d'une neutralité bienveillante [1]. Il arrive également que l'on ait recours aux médications neuroleptiques et/ou sédatives (8) . Mais il faut se rappeler du danger des réactions paradoxales aux benzodiazépines chez les enfants ainsi que de la nécessité d'éviter autant que possible chez eux la piqûre de sédatif, qu'ils risquent de ressentir comme une punition, les adultes étant seulement capables d'être plus violents pour le contenir et non pas pour l'aider à trouver une autre solution que l'affrontement [14]

Nous devons nous rendre compte, malheureusement, que " la tradition thérapeutique (9) en pédopsychiatrie empêche parfois l'emploi de médicaments dans certains cas où ils auraient pu contribuer à une amélioration plus rapide de l'état du patient " ([12], p. 652-653 ). Il nous appartient donc de redevenir plus nuancé.



 • Protéger l'enfant des dangers 



Notre rôle essentiel dans ce cadre de l'urgence est bien sûr avant tout de protéger l'enfant contre les sources de danger. Nous venons d'entrevoir, plus haut quelques mesures qui vont dans ce sens. Mais nous inclurons également dans ces dangers les maladresses ainsi que les débordements émotionnels et/ou les éléments désorganisateurs internes les plus patents et les plus graves. Voilà pourquoi les entretiens individuels avec l'enfant sont à mettre en route rapidement à côté des entretiens familiaux. Ces entretiens individuels ont une dimension d'écouter qui exerce une fonction apaisante. La promesse que l'on va veiller " avec lui ", pour réduire les menaces qui pèsent sur lui est un message essentiel à faire passer.
Des conseils aux parents ou même des consignes précises et provisoires destinées à empêcher les maladresses les plus manifestes, sont les bienvenus surtout si ceux-ci ne trouvent pas tout seuls des réaménagements structurants d'attitude.
Cela implique bien évidemment que nous nous assurions du bon suivi de ce qui a été mis en place.
Il peut s'avérer important de scander les entretiens par des récapitulations verbales bien stables de ce qu'on pense être en jeu, ainsi que du projet thérapeutique. La haute fréquence des entretiens a souvent quelque chose d'apaisant, si les soignants n'y expriment pas surtout ... leur propre incohérence anxieuse. Les options thérapeutiques gagnent à être expérimentées d'emblée, même si elles ne donnent pas tout de suite le résultat miraculeux espéré: rien n'est pire que le passage de l'un à l'autre dans la précipitation.
Dans une situation vécue comme urgente, les intéressés sont en droit d'attendre de nous des mots et des actes. Mais les mots et les actes que nous allons leur rendre ne doivent pas être des " passages à l'acte ".



 • Se coordonner avec le réseau d'intervenants

 

Les consignes auxquelles nous faisions allusion se doivent d'être cohérentes. C'est pourquoi nous devons nous coordonner le plus vite possible avec l'éventuel réseau d'intervenants dont les membres (et notamment le généraliste) travaillent déjà sur l'urgence chacun de son côté. Il est d'ailleurs utile de savoir ce qui a été fait par la passé et d'en évaluer l'efficacité afin d'orienter au mieux la recherche commune des solutions. Il nous paraît également important d'évaluer aussi la demande de ces autres intervenants [1]
A partir de là, il convient de se répartir les tâches et, dans la mesure du possible, d'harmoniser le langage.
Nous pensons que la collaboration et l'utilisation d'un réseau d'intervenants coordonné sont ici, plus que jamais, indispensables à l'efficacité thérapeutique.

 

En guise de conclusion



Devant une urgence psychiatrique chez un enfant, l'approche spécialisée nous paraît indispensable [7] - [12], non seulement pour la spécificité du diagnostic mais aussi pour celle des modalités de prise en charge immédiate et du suivi.
D'autre part, les divers intervenants ( généralistes, pédiatres, infirmiers, éducateurs, travailleurs sociaux ) gagneraient à être informés, voire formés, ce qui n'est pas toujours ( de leur propre aveu ) suffisamment le cas [3] - [7] - [12], afin d'assurer le plus adéquatement possible une collaboration efficace dans la prise en charge des urgences psychiatriques de l'enfant. Dans ce domaine, il est à craindre qu'on ne manque inévitablement de consensus.
Et enfin, comme le souligne Ida Ropstad [12, p. 648], " face à l'urgence, la pédopsychiatrie peut développer de nouvelles compétences quant à l'intervention thérapeutique ". Il existe d'ailleurs différentes stratégies mises en œuvre récemment pour faire face aux urgences psychiatriques de l'enfant (analystes [6], systémiciens [4], interventions ambulatoires, centres d'aides par téléphone, à l'hôpital, services spécialisés, jardin d'enfant thérapeutique [15])



 Notes. - 



(3). Nous tenterons ici de limiter autant que possible le sujet des urgences psychiatriques à l'enfant, c'est-à-dire à un sujet humain dont l'âge est inférieur à celui de la puberté que nous fixerons arbitrairement à 13 ans.
(4). Nous disons pédopsychiatre par simplification. Souvent, il travaille en équipe multidisciplinaire (psychologues, médecins généralistes et spécialistes, travailleurs sociaux ...) où les fonctions de chacun sont complémentaires
(5). Souvent et non toujours, car il existe des cas où l'impression objective prévaut ou se mêle à la subjectivité (p. ex. le delirium).
(6). Notamment dans les cas (passionnants) d'urgences psychosomatiques (p. ex. décompensation d'un asthme, d'une dermatose, d'un ulcère lors d'un stress ...)
(7). C'est très rare au-delà de 9-10 ans.
(8). Dans le cas de l'attaque de panique, par exemple, on peut avoir recours à l'imipramine à raison de 25 mg 2x/j, et au propranolol (Indéral(r)), qui est un bêta bloquant, à raison de 40 mg 2x/j.
(9). Cette tradition se justifie dans notre discipline par la difficulté qu'il y a à concilier le travail avec le sujet, la verbalisation de ses souffrances, le recours à ses capacités auto créatives ... et la médication qui remet le patient en position de soumission à un traitement qu'il peut fantasmer comme réducteur de sa personne à un ensemble de phénomènes chimiques plus ou moins bien compris. Le médicament risque aussi de lui donner l'illusion qu'il peut faire l'économie de certaines remises en questions, d'une réflexion plus profonde sur sa dynamique de crise, sa capacité à la surmonter, à faire certains deuils ..., parce qu'il attribue à ce médicament le pouvoir magique de résoudre à lui tout seul tous les problèmes de l'existence. On sait aussi à quel point la pensée magique associée à la prise de médicaments est associée à la toxicomanie et au suicide. Pensons quand même aux traces de notre intervention que nous aurons laissées à l'enfant lorsqu'il sera devenu adolescent. De plus, il est vrai que les enfants réagissent parfois très mal aux psychotropes. Et s'il se présente par exemple un torticolis spastique chez un jeune enfant, il est probable que toute approche psychiatrique ultérieure soit stigmatisée. Il en est de même pour les réactions paradoxales aux benzodiazépines.

Et enfin, bien que cela sorte un peu du cadre de cet exposé, rappelons le danger de mettre des médicaments pourvus d'effets indésirables graves (antidépresseurs tricycliques par exemple) entre les mains d'adolescents suicidaires. On se le permet davantage avec des enfants plus jeunes, d'autant que, dans ce cas, l'administration est le plus souvent le fait des adultes (parents, éducateurs, personnel soignant). 


Bibliographie



1. APPELBOOM-FONDU J., GUILLON M.-S. - L'urgence psychiatrique en hôpital pédiatrique. Neuropsychiatr Enfance Adolesc 44 (8): 337-342, 1996.
2. DE CLERCQ M. - Urgences psychiatriques et interventions de crises. Chap. 13, De Boek Université, pp. 119-130.
3. VIDAILHET C. - La pédopsychiatrie aux urgences d'un hôpital d'enfants. Arch Pediatr 2: 1131-1134, 1995.
4. KAHN J.-P., WITKOWSKI P., LAXENAIRE M. - Peut-il y avoir une définition médicale de la crise familiale? Can J Psychiatry 34/4: 316-319, 1989.
5.MAZET PH., BOUQUEREL G., MILLIER CL. - Urgences psychologiques et psychiatriques chez l'enfant et l'adolescent: spécificité et diversité des situations et des réponses possibles. Sem Hop Paris 57 (15-16): 815-820, 1981
6. DUPEU J.M. - Urgence en clinique infantile? La question des consultations thérapeutiques analytiques. Psychiatr Enfant XXXV, 1: 127-156, 1992.
7. POUGET R., VISIER J.-P., CASTELNAU D. - Gardes et urgences en psychiatrie et en psychologie médicale ( Adultes et enfants ). Ann Med Psychol ( Paris ) 137 (6-7): 673-680, 1979.
8. ROSSINELLI G., LOISEAU B., MAFFRE T., ROSENTHAL C. - Emergencies in pediatric psychiatry. Soins Psychiatr 158-159: 32-35, 1993.
9. DSM IV, IV is et V.
10. ZURBRUGG R.P., THOMI R., THOMI M., STAGER C., GANDER B. - Current trends in Swiss hospital pediatrics ( including pediatric surgery ). Increasing importance of collaboration with child psychiatry. Helv Paediatr Acta 40 (4): 317-330, 1985.
11. BENSOUSSAN P. - Le garagiste, l'ogre et l'enfant : l'accueil des tout petits aux urgences psychiatriques. Psychiatr Franc XXIV/2, pp. 43-51, 1993
12. ROPSTAD I. - Etude rétrospective de 31 enfants et adolescents hospitalisés d'urgence en psychiatrie dans un hôpital norvégien. Ann Med Psychol ( Paris ) 146 (7): 648-654, 1988.
13. FLAVIGNY H. - Réponses en urgences aux traumatismes psychiques et aux troubles de comportement des adolescents : urgences psychiatriques et/ou centres de crise? Psychol Med 16, 8: 1407-1410, 1984.
14. HUYN CHI D., HAYEZ J.-Y. - Les urgences psychiatriques de l'enfant. pp. 122-139. Bruxelles. Cercle Médical St-Luc 1987-1988.
15. KNAUER D. - La crise et l'urgence en psychiatrie infantile, une alternative pour y répondre à travers le jardin d'enfants thérapeutique. Cah. Psychiatr. Genevois n° 4, 1988, pp. 81-96.