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Ceci constitue le texte de la conférence faite  le 22 mars 2012, à l’occasion de la journée d’étude : « Quel est l’âge de visite des lieux de mémoire tels Breendonk ? »

Pour les lecteurs non belges, Breendonk est l’un de ces endroits abominables ou les nazis ont gravement maltraité, torturé et exécuté leurs victimes, juives ou prisonniers politiques.

 

 

Il s’agit donc de réfléchir à la présence d’enfants et d’adolescents dans des mémoriaux dédiés aux souffrances injustes des êtres humains lors des guerres ou des génocides. Breendonk est traité comme paradigme. Ces visites confrontent les jeunes visiteurs à des images ou des récits très éprouvants, mais elles ouvrent à un travail de mémoire, qui leur fait prendre conscience de ces racines douloureuses, et à  un travail de réflexion sur le sens des conflits, les droits de l’homme, la dignité humaine, etc … 

En quoi les droits des enfants sont-ils concernés par ces visites ?

Le texte qui suit le montrera. Rappelons simplement en préambule que : 

- L’article 14 de la convention internationale des droits de l’enfant dit qu’il a droit à une liberté de pensée, de conscience et de religion : Encore faut-il fournir à sa pensée et à sa conscience en formation des éléments pour l’enrichir. 

- L’article 17 parle de son droit d’accès à l’information, et de notre devoir d’adultes de diffuser une information qui présente une utilité sociale, spirituelle et culturelle pour l’enfant et qui peut promouvoir son bien-être. Et justement, n’est-ce pas viser à donner davantage de plénitude et de maturité à son humanité, que de l’ouvrir à la compréhension de ces réalités douloureuses, et malheureusement toujours présentes dans l’aventure humaine ? 

- L’article 29 indique que l’éducation (entendez ici celle promue par l’école) doit inculquer à l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; C’est bien ce respect décidé personnellement qui est visé ici, à travers la prise de conscience de moments où il a grandement été bafoué !                             

Rendre accessible le mémorial de Breendonk  à des enfants à partir d’un certain âge suppose que nous ayons répondu à trois questions : Que voulons-nous leur éviter ? Quels résultats positifs en attendons-nous ? Comment préparer et accompagner leur visite ? 

 

 ◊ Que ce qu’ils voient et entendent « passe au-dessus de leur tête » On les verrait alors s’ennuyer, se fatiguer rapidement et s’énerver. Ou encore, leur imagination de jeune enfant s’emparerait du lieu de visite et le transformerait en jeu de guerre. 

◊ Que, trop laissés à eux-mêmes, ils dénient le malaise et l’angoisse qu’ils éprouvent en adoptant des comportements de déni, bruyants et dissipés. 

 ◊ Qu’ils soient d’emblée hostiles à la visite et le manifestent par de la mauvaise humeur et par du sabotage plus ou moins déclaré. (1)

◊ Nous voulons éviter enfin qu’ils ne se trouvent excessivement traumatisés par leur visite.

Le premier des droits de l'enfant, qui n'est pas décrit explicitement dans la convention internationale des droits de l’enfant, est celui à l'enfance, à une certaine insouciance, à la confiance dans l'adulte et dans la société (avec le droit aux bêtises qui en résulte). Bien sûr, l'éducation progressive à la réalité du danger et du mal est nécessaire. Mais la confrontation trop précoce à des réalités insoutenables pourrait dégrader l'enfance.

S’ils se trouvaient trop traumatisés, s’identifiant massivement aux victimes impuissantes, ils manifesteraient rapidement du désespoir, de l’angoisse et même une sorte de culpabilité irrationnelle. Leur sommeil pourrait en être altéré avec de biens vilains cauchemars. Les plus jeunes pourraient même se mettre à penser que le monde est décidément horrible et que de mystérieuses menaces pèsent toujours sur leur tête aujourd’hui.

On peut largement prévenir ces stress excessifs en choisissant bien les publics de jeunes visiteurs et en veillant particulièrement à la qualité des contenus proposés à leurs sens et à leur réflexion. J’y reviendrai tout à l’heure.

 

Notons par contre qu’un peu de traumatisation, pas intentionnellement voulue comme telle et survenant au bon moment, cela fait partie de la vie. Notre devoir n’est pas d’élever nos enfants en vase clos, comme si le monde qui les entoure était une image d’Epinal. Il est bon qu’ils se sentent parfois un peu tristes ou inquiets à cause de la méchanceté des hommes, qui est une réalité ! Ces émotions pénibles, si elles ne sont pas trop précoces ni trop envahissantes, peuvent les aider à mieux s’adapter et à construire des mondes différents !

 

 Quels résultats positifs espérons-nous ?

 

Essentiellement, que la visite d’un mémorial enrichisse le savoir des jeunes visiteurs. Qu’elle enrichisse leurs connaissances sur la vie, les relations humaines avec leurs richesses et leurs risques, hier, aujourd’hui et demain. Et que ce savoir nouveau intègre des souvenirs justes à leur mémoire vivante et active ; qu’ils aient donc une connaissance sensible du livre des racines qui les ont directement porté pour beaucoup, ensemencées parfois du sang de leurs prédécesseurs.

Leur visite participe enfin de l’accomplissement du devoir de reconnaissance : c’est une manière forte pour eux aussi, les jeunes,   de  rendre hommage à ces disparus. 

Partant,  nous pouvons nous représenter schématiquement deux niveaux de savoir : 

◊ Le premier porte sur les faits, une première analyse de leur raison d’être  et une première évaluation morale : Comment ça s’est déroulé ? A cause de quoi ? Etait-ce bien ou mal ?

Au-delà des faits, ce premier niveau permet donc déjà d’ouvrir à la connaissance de réalités mi-concrètes, mi-abstraites comme : le racisme, le besoin de pouvoir à tout prix, la méchanceté des hommes, qui se déchaînentage en groupe,  etc … Et du côté des victimes, il intègre aussi : le désir de résister, de rester debout et de protéger les autres au nom de valeurs supérieures ; la force de se taire, face à la torture et donc l’héroïsme de certains, mais aussi de la compréhension sans jugement pour ceux qui flanchent dans ces horribles conditions, etc. 

 

◊  Le second niveau de savoir, lui, est élaboré de façon personnelle, avec une capacité de se distancier des convictions du groupe ou de celles des adultes. Il relève d’un travail plus fin de l’intelligence réflexive et critique et de la conscience morale individuelle. 
C’est un savoir qui porte sur le sens même de l’existence : le sens de l’homme, celui du groupe, celui de l’humanité. Et donc aussi comment participer à l’aventure humaine, aujourd’hui et demain, en intégrant entre autres les leçons du passé ?

En référence à ce savoir plus abstrait, celui des idées, des hypothèses et des valeurs qui se dégagent des faits, le jeune ici concerné peut travailler mentalement sur des thèmes comme : le pourquoi des guerres, et leurs enracinements dans les besoins économiques, le sentiment de menace et d’humiliation, le besoin de pouvoir, etc. ; les raisons d’être du racisme ; l’imprévisibilité du fonctionnement humain, qui peut parfois faire se déchaîner le sadisme et ailleurs l’altruisme, jusqu’au don de sa vie ; le principe même et les stratégies de la résistance, qui porte le risque de la souffrance d’innocents otages ; l’obéissance des subalternes aux ordres, ses limites, la place d’une ultime responsabilité individuelle ; la possible existence de mécanismes qui garantissent mieux la lucidité et l’éthique de nos pensées et de nos projets ( je pense pour ma part que l’expression démocratique des idées et des décisions reste le meilleur de ces mécanismes ) ; etc.

 

... ai 13 traumatisme psychique ...

 

Pour éviter effectivement ce que nous voulons éviter et pour atteindre des résultats de premier niveau, nous pouvons ouvrir les portes de Breendonk aux enfants en fin d’études primaires (6e et même 5e), s’ils sont d’intelligence normale et sans perturbation affective significative. Pourquoi ? 

- L’état contemporain de la circulation des informations fait que ces enfants sont informellement préparés -  parfois même mithridatisés – pour se pénétrer mentalement de la violence du monde et de la mort sauvage : ils ont déjà perçu et métabolisé de multiples expériences analogues à ce qu’ils vont voir, mais qui se déroulent souvent dans des pays lointains ; ils ont même eu connaissance de loin en loin du déchaînement du mal ou de la folie tout proches ( Kim de Gelder ; Marc Dutroux ; la tuerie de Liège… ) Ils ne vivent donc plus en vase clos. 

- A onze, douze ans, leur personnalité dispose également d’une consistance, d’une force intérieure et d’un pouvoir d’adaptation qui  leur permet de faire face à des imprévus tristes, frustrants ou menaçants, pour peu que nous les aidions à réfléchir et que nous contrebalancions le négatif perçu par des notes d’espérance. Les plus sensibles et les plus émotifs seront peut-être transitoirement bouleversés, mais pas détruits par le désespoir, et le plus important, c’est de les aider à s’exprimer et de parler avec eux. J’y reviendrai tantôt aussi. 

- A onze, douze ans, les enfants adorent s’identifier aux aînés, notamment en se donnant des thèmes de connaissance plus habituellement réservés aux adultes. Donc si nous nous montrons attentifs à leur présence et leur parlons de sujets « sérieux » ou délicats, ils se montrent intéressés et surtout réceptifs.

C’est  un âge d’or pour faire de l’information sexuelle, pour parler du SIDA, du tabac ou des drogues, mais aussi pour aborder la question du Mal dans le monde, et pour leur parler de l’intérêt de se donner une mémoire qui plonge dans l’Histoire (2).

- A onze, douze ans enfin, c’est l’apogée de l’intelligence de type « chercheur scientifique concret » « ingénieur en herbe » qui aime opérer sur les réalités tangibles de la vie et les maîtriser.

L’enfant est curieux, aime faire des expériences et  comprendre pour de vrai en dépassant les schémas de ses connaissances puériles, celles des dessins animés et celles qui sortent toutes cuites de la bouche édulcorante de papa et de maman. Il vagabonde déjà tout seul et parfois secrètement dans des zones souvent désignées comme « Enfants non admis » (3). 

En mettant ensemble tous ces éléments, nous pouvons en déduire que les enfants de cet âge peuvent être bien réceptifs à ce que nous leur présentons dans un mémorial et l’assimiler sans s’en trouver excessivement blessés.

Leur curiosité, leur besoin de comprendre peuvent même les amener au-delà des « Comment ? » vers un premier niveau de « Pourquoi ? » : Par ex., quelles étaient les motivations les plus apparentes des protagonistes dont on leur a raconté l’histoire ?

 

 2.Les adolescents des classes supérieures du secondaire

 

Si nous visons à faire se prolonger la visite par une réflexion sur le sens de l’aventure humaine, il faut être patients et attendre la fin des études secondaires (5e et 6e humanités, éventuellement la quatrième)

C’est alors que l’intelligence des adolescents se transforme en profondeur : au-delà du maniement du réel concret, ils aiment maintenant créer des idées, des abstractions, des hypothèses et travailler dessus ; ils aiment peser le pour et le contre de l’adhésion à une conviction, une valeur, une attitude…

Vers 16-17 ans, ils aiment se faire des opinions personnelles indépendantes et parfois contredépendantes de celles du maître, des parents ou même des amis de Facebook. Opinions personnelles qui incluent souvent le pourquoi des événements c’est à dire leur sens intentionnel ou leur absurdité. Opinions qui incluent souvent aussi une évaluation : « C’est bien ou mal, c’est utile, c’est con, etc …  » A travers ces énonciations singulières, ils se reconstruisent leur identité, leur style de vie et leur identité idéale : « Qu’est-ce que je ferais, moi, à leur place, si j’étais au top de ce que je désire être ? » 

Dans un tel contexte, leur faire visiter un mémorial peut les intéresser et porter les mêmes fruits que pour les enfants plus jeunes. Mais au-delà, la discussion peut se prolonger en famille, en classe ou sur leurs écrans : Qu’est-ce que j’en pense, moi ? Qu’est-ce que je trouve innommable ou positif dans ce qui s’est passé ? Jusqu’où les choix d’une nation ou d’un être humain peuvent-ils aller ? Y a-t-il encore des risques de dérapage aujourd’hui ? Quelle humanité est-ce que je veux construire ?

Le fait de partager une même humanité avec tant la victime – ou le héros- que le bourreau confronte les jeunes à une réalité qui ne leur est pas familière, réalité de l’inachevé humain et du combat perpétuel en chacun entre le meilleur et le pire. 

En conclusion de ce paragraphe, à chaque communauté familiale, scolaire ou autre de réfléchir au type d’objectif qu’elle veut atteindre. En tenant compte que la probabilité est faible pour qu’un jeune visite deux fois le même mémorial à quelques années d’intervalle. Le monde est tellement passionnant à découvrir, et le besoin de sensations neuves et inattendues est tel qu’il ne revient pas souvent deux fois au même endroit.

 

 

 

Pour que la visite porte tous ses fruits, mieux vaut qu’elle s’intègre dans un projet ! 

◊ Un projet commence par ceci : que les adultes qui accompagnent, au moins eux, soient personnellement intéressés par l’idée, donc qu’ils ne le fassent pas bureaucratiquement dans le cadre de je ne sais quelle obligation scolaire ! Lire la lettre écrite par Guy Mocquet à ses parents parce qu’on la trouve magnifique d’humanité, cela a beaucoup de sens. Le faire parce que Nicolas Sarkozy l’a exigé, c’est à  tout le moins contre-productif !

Si l’adulte est motivé, il essaie souvent de faire partager sa motivation aux enfants (4). Il pense aussi à mettre en place une information préalable, par exemple sur la seconde guerre mondiale et l’occupation. 

◊ En outre et plus précisément, surtout à l’intention des plus jeunes, nous devons préparer la visite et évoquer l’un ou l’autre moment dur de celle-ci, sans nous y réduire ni les dramatiser indûment : « Vous verrez de vrais poteaux d’exécution, où des prisonniers ont été fusillés. »  Un seul exemple « sinistre » peut suffire, au milieu de quelques autres plus « paisibles »  Puis laisser un petit temps pour les questions et les réactions des enfants. 

◊ Nous pouvons encore repérer les enfants les plus sensibles et les plus émotifs et leur accorder une attention particulière, notamment pour qu’ils s’expriment suffisamment par la suite.

Nous pouvons même envisager que l’un ou l’autre réputé particulièrement fragile soit dispensé de la visite. Mais ce n’est pas un choix facile et il faut écouter l’avis de l’enfant et y regarder à deux fois avant de ne pas en tenir compte. En effet son image sociale risque d’en prendre un coup s’il n’ose pas accompagner sa fratrie ou ses condisciples. Si c’est une école qui organise la visite pour des enfants de fin de primaire, elle peut envoyer une information écrite aux parents, qui ne dramatise pas la difficulté émotionnelle potentielle mais ne la nie pas non plus, et laisser les parents décider de la participation ou non de leur enfant. 

◊ Une discussion et des processus très analogues peuvent se concevoir à propos de la provenance ethnique des élèves. En ces temps de brassage des populations, pas impossible qu’un groupe-classe comporte des européens et des non-européens, des juifs et des non-juifs, voire même l’un ou l’autre allemand. Sur papier, il est possible de dialoguer avec ces jeunes pour leur faire comprendre que :

- ce qu’ils verront n’est qu’une illustration de phénomènes universels et toujours actuels ;

- nous ne sommes pas responsables des fautes qu’ont commises nos ancêtres et aucune Nation n’est exempte de fautes graves dans son Histoire : aux suivants à en tirer les leçons et à se conduire de façon sociable ;

- nous pouvons prévoir que de jeunes juifs pourront être particulièrement bouleversés par ce qu’ils vont voir et  requièrent donc l’empathie du groupe.

 

 Ca, c’est sur papier ! Dans les faits, si l’ambiance de la classe est positive et propice au dialogue, nous pouvons déjà en parler là. Il faudra peut-être aussi rencontrer préalablement tel jeune individuellement ou tel sous-groupe. Une discussion personnalisée avec les parents concernés peut également s’avérer très utile. 

◊ Lors de la visite, le matériel proposé aux enfants et aux adolescents doit avoir été très bien pensé. Au point peut-être de proposer un circuit spécial à leur intention.

L’on sait en effet que l’impact traumatisant d’une expérience est en corrélation avec la vision, avec un excès d’images choquantes (autour de la souffrance ou de la mort violente) surtout si elles sont présentées brutalement. Il faut donc introduire graduellement aux images aux images  plus choquantes et en limiter le nombre et même les ultimes degrés d’intensité. Par ex., je ne suis pas certain que la visite de la salle de tortures du fort doit figurer dans le circuit « Ecole primaire » Sans pour autant les supprimer toutes ; ce qui serait contraire à l’intention restant valable de marquer la mémoire de ces enfants et adolescents par des images portant sur le mal humain. Mais le mal est violent, destructeur et l’approcher ne laisse pas toujours indemne. 

A côté des images noires, il faut en montrer d’autres, aussi concrètes mais plus positives, portant sur des éléments plus neutres de la vie quotidienne, ou sur l’entraide, la solidarité, la petite fleur qui pousse dans l’herbe derrière les poteaux d’exécution. Dans le même ordre d’idées, on gagne aussi à  raconter quelques histoires positives aux enfants : comment des prisonniers ont réussi à s’évader, à narguer leurs gardiens, à s’entraider, etc. Il est essentiel de leur rappeler aussi comment la guerre a fini et comment les méchants ont été punis. 

 

Illustration de mon propos, magnifiquement issue des ressources qu’ont les jeunes pour se reconstruire rapidement : Monsieur Van der Wilt, conservateur du fort de Breendonk, me racontait un comportement caractéristique d’adolescents visiteurs : arrivés à l’air libre après visite des zones internes du fort, plutôt sinistres, certains aiment escalader l’extérieur du fort jusqu’à son sommet, malgré une rangée de barbelés dissuasifs. Dans le cas présent, je pense qu’il s’agit davantage que d’un banal comportement de défi : Ces adolescents s’évadent symboliquement, ils s’identifient à la victime qui se libère de ses entraves et se met debout, triomphante, sur le symbole du Mal qu’elle terrasse. J’espère donc que les adultes continueront à fermer les yeux jusqu’à un certain point et n’enlèveront pas leur rouleau de barbelés : la vie sociale n’est pas sans risques ! 

 

Les enfants  seront soulagés par cette part d’apports positifs, et les ados heureux qu’on ne veuille pas leur  matraquer lourdement et exclusivement une leçon d’horreur, pour qu’eux se comportent bien. Si nous ne veillons pas à ces apports positifs, beaucoup de jeunes s’identifieront à des victimes impuissantes et martyrisées. Si nous y veillons, ils croiront que le Mal existe mais n’est pas systématiquement le plus fort, et que l’être humain a des ressources pour protéger sa vie ou en tout cas sa dignité. 

◊ Pendant la visite et plus les enfants sont jeunes, plus il est important qu’ils circulent en petits groupes chaque fois accompagné d’un adulte. Celui-ci peut exercer une fonction que les psychanalystes appellent « contenant » ou « pare-excitation » Il constitue une force qui empêche les émotions les plus désordonnées de se donner libre cours et de se renforcer dans la caisse de résonance du groupe. En outre, il peut commencer sur le champ un dialogue avec le groupe. 

◊ Après la visite, la réflexion et le dialogue avec le groupe gagne à se prolonger en deux et parfois trois temps : 

-- v Endéans les 24 ou 48 heures (5) procéder à ce qu’on appelle aujourd’hui un débriefing : « De quoi vous souvenez-vous ? Qu’est-ce qui vous a frappé ? Qu’en pensez-vous ? »L’adulte qui anime ce débriefing doit à la fois laisser de la place à l’expression des enfants et des adolescents, mais aussi s’engager personnellement avec ses idées et ses émotions à lui et à l’occasion, discrètement, délicatement, après avoir écouté son jeune public, en s’efforçant de rectifier l’une ou l’autre fausse croyance. 

 

         Quelques commentaires de mes petits-fils (onze et douze ans) peu après la visite :

 

 

« Je me demande ce qu’on aurait fait si on avait été à leur place » Après vérification, « leur » concerne bien les deux statuts opposés. Et l’un ajoute même spontanément : « Oui, quand on parle maintenant, c’est facile, on dit qu’on n’aurait pas obéi, mais pour du vrai on ne sait pas »

- (En commentant la salle de tortures) : « Je ne comprends pas pourquoi ils ne s’arrêtaient pas quand ils entendaient les gens crier »

« Est-ce qu’il y en a qui ont demandé pardon ? »

- « Mais nous aussi, on s’est vengé ; on a fait comme eux, quand on les a fusillés après la guerre »

- Etc. : De quoi ouvrir de passionnants dialogues ! En évitant une erreur usuelle : l’engagement de l’adulte ne signifie pas qu’il doive avoir réponse à tout. Nous pouvons parfaitement nous engager en répondant à l’occasion : « Moi non plus, je ne comprends pas » ou parfois « Je ne sais pas. Ta question est bonne, mais je cherche aussi en moi quelle pourrait être la réponse » 

--  Y revenir une semaine plus tard : « Certains ont-ils encore pensé à notre visite ? Y a-t-il de nouvelles questions ? De nouvelles idées ? » Ce second temps est éventuellement bref, mais donne l’occasion aux plus introvertis, aux plus réfléchis ou aux plus anxieux d’exprimer à nouveau leur cheminement mental. 

--  Troisième temps éventuel : Prolonger la réflexion par d’autres travaux sur la guerre et par une première réflexion sur les droits de l’homme pour les plus jeunes et par des questions existentielles telles qu’elles ont été évoquées plus haut par les aînés.  

 

Notes 

 

1 Ce risque n’est pas une vue de l’esprit. Il se manifeste de temps en temps, par exemple avec des adolescents d’école juive qu’on oblige à des pèlerinages de mémoire à Auschwitz et autres lieux, sans discuter suffisamment  leurs motivations. On sait que les ados détestent se sentir obligés, même et surtout lorsque les attentes des adultes sont fortes.

2. Je préfère cette périphrase un peu lourde à l’expression Devoir de mémoire, que je n’apprécie guère

3.  Je pense par exemple à leurs connaissances en matière de techniques sexuelles et de pornographie.

4.  Il n’y réussit cependant pas toujours. Surtout s’il s’agit d’adolescents, mieux vaut acter qu’il en reste des « pas intéressés » ou des hostiles, plutôt que de les presser à déclarer du pseudo-conformisme. Il vaut d’ailleurs probablement mieux dispenser ces ados de la visite, quitte à leur trouver une alternative sociale au moment de celle-ci si l’on est dans le cadre d’une école. 

5.  Pas vraiment dans l’autocar ou la voiture de retour, ou il vaut mieux laisser les jeunes décompresser et se relâcher !