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 Albert Einstein, un vrai cancre à l'école

 

Définitions et descriptions

 C’est HP qu’il faut dire aujourd’hui et non plus « surdoués » et encore moins « d’intelligence précoce » Va savoir pourquoi !

Première remarque à ce propos : dans certains milieux économiquement favorisés, l’appellation « facile » HP constitue une nouvelle coquetterie à la mode : les  mères [2]murmurent volontiers d’un air entendu à leurs amies, belles-sœurs et médecins « Je crois bien qu’il est HP » ( en sous-entendant « Eh oui, et c’est moi c’est moi qui ai fabriqué cette merveille » L’enfant concerné n’est pas censé écouter, mais est pourtant à portée de voix. Ce faisant, si celui-ci est abusivement positionné comme tel, elles procèdent à une surévaluation dont ces effets désastreux.

 Et qu’en est-il alors des autres, les vraiment surdoués, celles et ceux dont nous avons le devoir de reconnaître que, parmi toutes leurs qualités humaines, ils ontune intelligence au fonctionnement original et nettement supérieure à la moyenne ( par exemple, et bien que ce ne soit pas le seul critère, un QI supérieur à 130-135 ) 

Pas de racisme à l’envers à leur égard, en ignorant leurs besoins et aspirations spécifiques ! De mon expérience clinique avec eux, j’ai retenu six groupes de phénomènes :

 A. Certains enfants et jeunes très reconnus et vantés par un ou leurs deux parents pour leur brillance intellectuelle se conforment à ces attentes et font eux aussi de leur rendement intellectuel ou des grands objectifs de leur vie. Souvent alors, - mais pas nécessairement - au prix d’un certain dessèchement social et d’un faible intérêt pour tout ce qui est plaisir.

 B. Plus souvent cependant, les jeunes HP trop pressés, harcelés, priés de briller, vantés par leur famille devant des tiers n’aiment pas trop ce rôle de la poupée savante, où ils se sentent comme possédés, privés d’un projet personnel … On les voit alors protester, désinvestir leurs études et s’adonner à des alternatives plus ou moins transgressives où se révèle toute leur intelligence !

 C. Sans aller jusqu’à exprimer leur narcissisme de façon éclatante et insupportable pour l’enfant, certains parents lui proposent de facto une vie intellectuelle trop sérieuse, trop absorbante, sans beaucoup de plaisirs ( autre que celui d’étudier ) Et alors, l’enfant peut « saturer «  Il peut trouver parfaitement injuste de lire la déception dans les yeux  de ses parents parce qu’il ramène une fois 88 % sur son bulletin au lieu de 95 %. Ici aussi, ne se sentant pas reconnu dans sa réelle bonne volonté mais qui a des limites, l’enfant peut stresser, se décourager avec une mauvaise image de soi ou/et saboter d’une manière ou d’une autre son parcours scolaire.

 

Dans le même ordre d’idées, il arrive que l’on fasse sauter une ou deux années scolaires à un enfant qui fondamentalement n’en veut pas, mais qui finit par céder à la pression. Ses raisons se fondaient sur sa peine à quitter ses amis ou/et aussi  sa peine à quitter le monde davantage de plaisir constitutif des années antérieures.

Ce qui se passe ensuite est variable. Certains finissent par se soumettre et se conformer. 

Mais d’autres continuent à en vouloir à leurs parents, le leur expriment éventuellement verbalement : ( « Vous avez volé une année de ma vie. » ) sabotent leur vie scolaire en tout ou en partie, se conduisent de façon impertinente ou transgressive et « se débrouillent » souvent pour doubler une année scolaire, donc annuler la mesure à laquelle ils avaient pseudo-consenti.

 

ILL. Mathias ( treize ans ) surdoué et encore fort « jouette » souffre passablement en seconde secondaire. Il ne parvient pas à s’adapter aux exigences de méthode de ses profs, mais surtout, il n’aime pas trop l’idée de déjà travailler « sérieusement » Et donc, il oublie son matériel, manque de soins, donne des réponses approximatives, etc … Comme, en thérapie, il me dit croire en la réincarnation, et que – évidemment - je lui demande en qui il aimerait se réincarner, si jamais ça existe, il me fait successivement trois réponses étonnantes, aux antipodes de la gloire par le travail ou le pouvoir. D’abord, il aimerait être un éphémère ( je pense qu’il a eu l’intuition du signifiant mais à l’avant-plan c’est bien de ces libellules papillonnant brièvement au printemps qu’il parle … ) puis il voudrait être Rocco Cifredi ( sa puberté étant occupée à le démanger ) et enfin Bob Marley. Célébration face à moi du principe du plaisir alors que, me dit-il « je suis comme un coureur sur lequel on a parié un milliard ; je travaillerais mieux si on n’avait parié qu’un euro ! »

 

 D. A l’inverse, j’ai connu aussi l’un ou l’autre enfant HP qui ne faisaient l’objet d’aucune attention particulière, ni à l’école, ni à la maison. Soit parce que ses potentialités n’avaient pas été reconnues, soit par négligence, soit par position idéologique ( surtout de l’école :« Ils doivent être traités exactement comme les autres. C’est ça la justice sociale. » ) Pire encore parfois, leurs schémas de pensée, leurs méthodes originales peuvent non seulement ne pas être reconnues, mais même activement contrecarrés, parce que constituant une affirmation de soi vécue comme insupportable par l’adulte ou, plus banalement, parce qu’elles ne correspondent pas aux méthodes officiellement prônées en classe. C’est alors que ces enfants et ces jeunes se ferment, s’évadent dans leurs rêveries, se mettent à détester activement l’école, voire passent à des actes anti-sociaux ; Pas tous des Mesrine à venir, mais quelques-uns, quand-même …

 E. Dans un ordre d’idées cousin, il y a celles et ceux qu’on reconnaît comme brillants, mais dont on accepte que, à la maison, ils aient fini leurs devoirs et leçons en cinq minutes … et puis c’est le jeu. Ils n’acquièrent donc aucune stratégie, même personnelle, pour étudier, aucun sens de l’effort et du travail. En première et deuxième secondaire, ça passe encore, sur leur lancée. Et puis, en troisième, c’est la catastrophe, car la matière devient plus abondante et plus difficile, et ils n’ont aucune patience pour rester  assis à leur table de travail le temps qu’il faut et aucune méthode pour l’assimiler. Evolution malheureusement assez fréquente!

 F. J’ai rencontré aussi quelques cas, dont deux très graves, de ce que l’on appelle aujourd’hui « la dépression existentielle des surdoués » C’est un tout autre problème, que je cite pour mémoire, car il ne me semble pas centralement lié à des attentes dysfonctionnelles des parents ( ou de l’école ) sur le rendement académique. Ici, le fonctionnement psychique du jeune devient auto-persécuteur en début d’adolescence, en ne pouvant pas s’empêcher de poser des questions existentielles fondamentales auxquelles le jeune ne trouve passivement pas de réponses satisfaisantes :  Quel est le sens de ma vie ? Quelle est ma place sur la terre ? Que m’arrivera-t-il une fois mes parents morts ? Etc. 

Cette dépression touche davantage des jeunes très intelligents, investissant beaucoup leurs fonctions intellectuelles, introvertis, socialement réservés, sensibles et peut-être un peu trop protégés pat leurs familles, les parents ayant donné l’impression qu’ils seraient toujours là en cas de coup dur ( mais voilà, ils vont mourir un jour, n’est-ce pas ! ) L’invalidation scolaire qui s’en suit peut être de longue durée. Je vous suggère à ce propos de lire  l’article-étude de cas « la lourde dépression de Jonathan »

Dans mon livre Psychothérapies d'enfants et d'adolescents, publié en 2014, je reviens beaucoup plus en détails sur l’évolution de Jonathan (chapitre 3) et sur celle de Camille 11 ans (chapitre 2)

 

 Quelles attitudes me semblent-elles fonctionner positivement [3]face à l’enfant surdoué ?

 

 

 A.Reconnaître verbalement l’existence de son intelligence hors norme, réalité quantitative et connotant le plus souvent des particularités qualitatives » ( ce qui inclut, au moins une fois, la réalisation d’un testing de qualité ) Le reconnaître face à lui et en parler avec lui. Répéter cette reconnaissance « de temps en temps, à bon escient, quand c’est adapté au contexte, quand c’est questionné socialement ou scolairement. Pas comme une obsession quotidienne, qui ferait de cette intelligence le centre du monde.

 B. Positionner cette intelligence comme une qualité intéressante parmi d’autres :

L’ensemble est réparti inégalement et aléatoirement entre les êtres humains. Parler des autres compétences et qualités, et aussi des manques de l’enfant, en référence auxquels il a particulièrement besoin des autres.

 C. S’enquérir auprès de l’enfant de la manière dont il vit cette particularité de sa vie : provoque-t-elle des pensées et des sentiments en lui ? Comment souhaite-t-il la gérer ? Attend-il quelque chose des autres dans ce domaine ? Comprend-il que ce statut de son intelligence ne l’aide pas nécessairement à s’adapter aux exigences de l’enseignement en classe ?

 

 

Extrait de Ordinary people, R. Redford, 1980 : Quand l’intelligence sensible et lucide conduit au bord du suicide !

 D. Mettre au clair les attentes des parents et, si indiqué et possible, les faire évoluer : l’idéal serait qu’ils demandent à l’enfant de faire de son mieux, et surtout de trouver ses motivations à lui face à la vie, et de viser à être heureux. Se concerter avec l’école pour comparer les attentes et si possible élaborer un projet commun.

 E. Alimenter suffisamment bien les capacités cognitives de l’enfant, dans toute la mesure du possible en concertation avec lui, et sans vouloir faire de sa vie un interminable goulag centré sur travail intellectuel. Cette alimentation peut se réaliser à partir de nombreuses sources : 

◊ - En concertation avec l’école, lui proposer des tâches supplémentaires à résoudre pendant les heures de classe, présentées comme des challenges, des défis ( c’est mieux que de savoir qu’il s’ennuie et mijote peut-être Dieu sait quelles horreurs en tête ; c’est mieux aussi que de l’entendre tout le temps répondre le premier, coupant ainsi la confiance de ses condisciples en soi ) 

◊ - S’il est preneur, lui en proposer aussi quelques-uns à la maison ( par exemple l’apprentissage d’une langue, éventuellement avec un prof ; encourager sa curiosité scientifique en le mettant en contact avec des livres appropriés ; l’encourager à fréquenter une partie de son temps libre des clubs ludiques et « intellos » à la fois : clubs de jeux d’échec and co ; clubs de scientifiques juniors … ) 

◊ - Eventuellement et si l’idée ne le heurte pas, lui faire sauter une ou deux années d’école : je préfère cette formule, qui sauvegarde une certaine mixité sociale, à celle de la création d’écoles spécialisées où les surdoués se retrouveraient entre eux [4]. 

  1. Quoiqu’il en soit de ces « compléments alimentaires cognitifs », l’école et la famille sont en droit d’exiger de l’enfant HP des attitudes ainsi qu’un temps de travail au moins identique à celui de la moyenne des autres élèves de sa classe.

J’ai dénoncé plus haut les risques liés à l’absence d’exigence. Et donc « Comme tous les autres enfants de cinquième primaire, tu es prié de travailler ( 45 minutes ? ) chaque jour à la maison … Tu as déjà fini tes devoirs. OK ( et pas : OK, bravo, quel incroyable génie ! ), que vas-tu faire d’autre, les 40 minutes qui restent, pour t’occuper l’esprit ? »

 FOn peut également encourager l’enfant à conserver une part de vie sociale et récréative significative. Donc, qu’il ne se réduise pas à fonctionner comme « un cerveau sur pattes » Tout en tenant compte de ses aspirations et traits de caractères : il ne se sent peut-être pas sportif, ni enclin au scoutisme ou au louvetisme. Soit ! Ces récréations pour beaucoup ne doivent pas devenir d’horribles corvées pour lui. Mais la vie sociale, ce peut être autre chose : avoir un seul bon ami et lui consacrer du temps ; chatter sur Internet et s’amuser à des jeux vidéos ; aider un plus jeune à faire ses devoirs ; participer à un club ludique ou scientifique/amusant intergénérationnel, etc.

 G. Il est également important que des adultes proches de l’enfant soient disponibles précocement dans sa vie pour parler avec lui et se situer personnellement par rapport à ses opinions et interrogations.

L’enfant en général et lui en particulier apprécie beaucoup ces moments de partage d’idées. Il est néanmoins des plus toxiques de les assortir lourdement de commentaires du type : « Mais c’est incroyable comme il pense déjà à son âge à des choses que même la plupart des adultes n’imagineraient pas. » Répété dix fois, à l’intention de tante Ursule en visite, ce commentaire est ressenti comme une récupération exaspérante-infantilisante par l’enfant et coupe son désir de communiquer ce qu’il pense par la suite. Il ne veut pas passer pour un animal savant. 

J’ai évoqué plus haut les ravages que pouvait provoquer la « dépression existentielle » des surdoués. Nous pouvons peut-être les prévenir ou les contenir en leur indiquant qu’il est possible de vivre sans désespoir en se posant des questions dont toutes seront loin d’être résolues, mais en se construisant ci de là un sens personnel à sa vie, même marquée d’incertitudes et de finitude.

H.Enfin, on peut également parler valeurs avec lui et avec son entourage, je veux dire valeurs liées à l’existence de son intelligence. En ce qui me concerne, j’ai déjà partagé avec eux  les convictions que voici : 

◊ - L’existence d’une intelligence supérieure ne légitime nullement que l’on puisse mépriser les autres - les moins doués -, ni chercher à les dominer ou à les rouler à longueur de temps par le jeu subtil de ce pouvoir intellectuel. Au contraire, l’intelligence peut être utilisée dans une perspective de respect et de justice, et pour aider les autres à s’élever. 

◊ - Cadeau de la vie, l’intelligence devrait se mettre au service de la communauté, au moins à temps partiel  pour y introduire davantage de savoir,  compétence et d’humanité.

 

 NOTES

2.Freud avait découvert que l’enfant ( surtout le garçon pensait-il à l’époque ) pouvait constituer pour sa mère comme un prolongement phallique de la mère. Cet orgueil toujours illusoire dans sa démesure, en voici une belle illustration de la part de celles qui voient des HP partout dans leur descendance ! 

[3]  Fonctionner positivement ? Donc, dans mon travail de terrain, j’essaie que s’installe le plus complètement possible la check-list que j’énumère ici en en parlant avec les parents, l’école, et le jeune directement. Les actions et attitudes qui y sont décrites ne sont certes pas toutes sous la responsabilité directe ou unique du psy. 

[4]  En Belgique, une école secondaire réputée les accueillir préférentiellement les garde néanmoins mélangés à d’autres élèves, et le même programme scolaire – plutôt exigent – est proposé à tous. L’un ou l’autre adulte est plus particulièrement chargé de dialogues spécifiques avec ceux de ces jeunes HP qui le souhaitent. Aux grandes récréations ; il existe une salle « club » où ces élèves peuvent se rendre pour lire, faire des jeux de société « cérébraux », se retrouver entre eux … quoique chacun puisse toujours y amener l’un ou l’autre invité non HP. Cette formule me semble tout à fait digne  d’intérêt : des moments « HP » mais pas une permanence !