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Secrets d’enfants et d’adolescents ; secrets de famille ; secrets positifs ou destructeurs 
 

Résumé : L’article définit le secret (individuel) détenu par l’enfant ou l’adolescent, et le secret familial. Il discute la dynamique qui y est liée. Il passe ensuite en revue les secrets que l’on peut considérer comme positifs, les destructeurs, et ceux dont on doute de l’effet sur la personne

Abstract: The article defines the (individual) secret held by the child or adolescent, and the family secret. It discusses the dynamics involved. It then reviews the secrets that can be considered positive, the destructive ones, and those whose effect on the person is questionable      

 
Ce texte a été publié dans la revue Enfances § Adolescences, 2001, 2, 113-130. Excellente revue belge de la sociéte belge francophone de psychiatrie infantile et des disciplines associées.
 

jyh mysterieuse petite fille

  Définitions       

L'étymologie du terme secret renvoie à la racine latine cerno : tamiser les bonnes graines et séparer les mauvaises, distinguer, discerner un objet du reste, le vrai du faux. Secernere revêt la signification de séparation, mise à part, conservation écartée du reste, cachée, tandis que dis-cernere renvoie davantage à l'idée de voir, distinguer, décider (dé-cret), et ex cernere à l'idée de rejet, d'expulsion : le terme excrément y trouve son origine ( Levy, 1976 ; Mairesse, 1988 ; Epelbaum, 1995 )

 

A. Nous proposons donc comme définition : « Un secret (2)est un savoir individuel ou collectif, pouvant porter sur n'importe quoi, savoir qui est caché à beaucoup, et dont les détenteurs se sentent ou non le pouvoir de disposer »  (3) 
Définition dont nous assumons qu'elle n'est pas parfaite :   
 - ainsi, s'il est vrai qu'un secret est un savoir, il arrive que celui-ci ne soit pas conscient ( secret refoulé ) tant sa représentation consciente serait traumatisante. On dit alors parfois qu'il existe une lacune laissée en soi, de par la présence ... et la non-accessibilité du secret à la conscience ;   
 - en principe, le secret peut porter sur n'importe quoi : c'est le savoir de la chose, et non la chose, qui le constitue. Néanmoins le contenu est souvent « investi » par son détenteur : eu égard à son histoire et à son contexte actuel, il constitue une réalité importante à ses yeux ( Bok, 1983 ) Et il imagine que, pour les autres aussi, le contenu du secret a de l'importance : par exemple, il peut les détruire ou leur donner trop de pouvoir ...,
 - lorsque l'individu croit avoir la libre disposition du secret qu'il porte, l'idée de le communiquer est néanmoins souvent source d'angoisse, voire de culpabilité. Dans d'autres cas, l'individu ne se sent que le dépositaire et le gardien d'un secret qui ne lui appartient pas : par exemple, être le seul à savoir que son meilleur ami a le SIDA; quoi qu'il en soit, on voit combien le secret, paradoxalement, participe à la vie relationnelle ...

B. Parmi tous les secrets, il y a ceux que l'on appelle secrets de famille : nous entendrons par là des éléments d'informations que se sont appropriés un ou quelques membres de la famille, en excluant activement les autres de leur connaissance (4) ( Miermont, 1987 ; Benoît & al., 1988 )     


L'information en question porte souvent sur des éléments du passé, d'un parent, d'un grand-parent ou d'un descendant lointain, voire « de la famille » comme telle. Il peut s'agir d'une transgression, d'une rupture avec les normes familiales, mais aussi d'une maladie vécue comme inavouable ( psychose, suicide, violence pathologique ), ou même de l'échec douloureux d'une entreprise ( faillite )... Le secret peut concerner aussi le passé de l'enfant ( surtout sa filiation : insémination artificielle ; père biologique autre, etc. ) Mais il peut porter également sur le présent ( relation extra-conjugale d'un parent ; difficultés financières; maladie de l'enfant ou d'un parent ; transgression actuelle de la loi ... ) ( Selvini, 1997 )

        Souvent l'expérience recouverte par le secret est source de honte, de culpabilité, de modification négative de l'image de soi ou/et de la famille. Même s'ils n'en ont pas été les agents directs, elle donne l'impression à ceux qui savent qu'eux ou/et leur famille sont menacés, ont une tare ou/et une dette à payer à l'humanité, à des victimes identifiées, voire à leurs propres enfants ...    

Ainsi défini, le secret de famille est susceptible de bien des variantes et notamment :
 - quant à son contenu, aux affects et représentations mentales qu'il génère et quant à la dynamique qu'il induit chez ses détenteurs : utilisation à des fins de pouvoir et de régulation des relations; autoprotection ou/et protection des autres, etc.


Autoprotection ? Elle peut aller jusqu'à « essayer d'oublier ... chasser au fond de sa mémoire », s'interdire d'évoquer jusqu'avec ceux qui savent aussi. Dans certains cas, il y a même un véritable refoulement, avec les issues ultérieures qu'on lui connaît : de la réussite à l'échec en passant par le retour travesti du refoulé ;

            

 - quant à l'identité des détenteurs eux-mêmes : certains secrets sont connus d'un individu seul : l'épouse sait qu'elle a un amant ; le père a découvert un drame honteux dans sa famille d'origine et le garde pour lui, etc. D'autres sont connus des deux parents ou des enfants (5)  : par exemple, l'aîné se drogue ; le grand frère et sa jeune soeur ont des relations sexuelles. Ailleurs, il existe une alliance entre un enfant et un parent ( l'enfant parentifié ... celui dont on abuse sexuellement ... celui qui connaît les avatars sentimentaux de sa mère ... ) Et il y a encore d'autres combinaisons, qui incluent la famille élargie ( par exemple les grands-parents ou des personnes étrangères ) ;
 - quant à la manière dontle secret a été connu : par hasard, en référence à une curiosité elle-même secrète, par transmission explicite, etc.


Secrets « positifs » çàd contribuant à la   maturation

 

 secrets de fille

 .
 La possession de certains secrets et la dynamique qui s'enclenche autour d'eux peuvent s'avérer maturantes pour la construction du psychisme individuel, et pour la santé du fonctionnement familial.

  1. Autour de quatre ans, l'enfant découvre qu'il lui est possible de retenir une information, souvent à partir d'un petit désir qu'il a comblé tout seul ou d'une petite bêtise qu'il dissimule avec succès, même si c'est au prix d'une certaine angoisse il réalise ainsi intuitivement ce qu'est un secret et donc ce qu'est « l'intimité », l'existence d'une vie privée. C'est une découverte d'une énorme importance : à travers ses petits secrets non éventés, il mesure sa capacité à penser tout seul et de façon originale, et à mettre des barrières efficaces autour de son Moi intime ...
    Encore faut-il qu'il comprenne qu'il a le droit d'utiliser cette capacité, c'est-à-dire qu'elle ne constitue pas, par principe, une transgression à l'ordre normal de la vie psychique.

 Les parents jouent un rôle important soit pour maintenir une confusion angoissée à ce propos, soit pour faciliter sa sérénité. Mais même de bons parents ont leurs faiblesses, et il leur arrivera de contester à l'occasion un droit à la dissimulation quitte, à d'autres moments - où ils seront moins concernés - à s'en féliciter. Il persiste donc une part de conquête que l'enfant doit faire tout seul : « Je suis capable d'avoir des pensées privées, secrètes ... et j'en ai le droit : d'ailleurs, c'est bien comme cela que les grands fonctionnent et je suis d'une même nature humaine qu'eux  » Cette revendication, cette conquête d'un territoire propre, fait partie du grandissement. Winnicott parle de la nécessité d'un self secret : « Au coeur de chaque personne, il y a un élément de non-communication qui est sacré et dont la sauvegarde est très précieuse » ( Winnicott, 1970 ) Le philosophe Haarscher ajoute : « La revendication d'une sphère " secrète ", privée, dans laquelle l'Etat ne peut intervenir qu'exceptionnellement, est à la base des droits de l'homme » ( Haarscher, 1999, p. 7 ) Sinon, c'est le cauchemar décrit par G. Orwell dans « 1984 ».        

2.Corollairement, le recours au mensonge est inéluctable dans certaines circonstances : mensonge par omission - « Je ne sais pas » -, voire altération intentionnelle des faits (6)   

Sans aller jusqu'à proposer qu'on institue un véritable « droit au mensonge », admettons que l'enfant y recoure à l'occasion, au moins pour se protéger ... même si cette manière de s'adapter à l'autre apparaît parfois douloureuse et culpabilisante à celui-là même qui l'utilise.     

Nous-mêmes, thérapeutes, pouvons y être mêlés : pensons à ces cover stories dont nous suggérons l'utilisation aux enfants, dans certaines circonstances, pour protéger leur narcissisme. Ce sont par exemple des situations d'enfants hospitalisés en pédiatrie pour abus sexuel et qui doivent répondre quelque chose à leur compagnon de chambre ... ou celles d'enfants de retour à l'école après une longue phobie scolaire, qui doivent s'en expliquer avec leurs pairs.     

3. Posséder un secret confère souvent une impression ou/et une réalité de pouvoir :
 - ainsi, le petit enfant peut vérifier qu'il n'est pas constamment sous l'omniprésence du « petit doigt qui connaît tout » puisque tel secret qu'il s'est efforcé de garder le coeur battant, tel mensonge inventé pour ne pas le divulguer, n'ont pas été remarqués par son entourage. 

Plus tard, quand il sera davantage sûr des limites de la perspicacité des autres, il n'en jouira pas moins de disposer d'un trésor de connaissances qui est hors de leur portée ; il s'amusera même éventuellement à lever un coin du voile ... jeu parfois bien compliqué, rarement avoué, peut-être même pas conscient : pensons à ces adolescents qui laissent traîner leur courrier intime, les traces d'un joint ... actes manqués et culpabilité ou/et maîtrise subtile sur le parent, avec les nerfs de qui ils jouent ?

Et puis, même quand il décide de confier son secret à quelqu'un - sa maman, son meilleur ami -, c'est encore lui qui en aura décidé ainsi et choisi son interlocuteur.

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Toute cette joie à se sentir puissant n'empêche pas la coexistence occasionnelle d'idées ou de sentiments plus négatifs : l'enfant n'est pas toujours sûr de la légitimité de son pouvoir et s'en sent coupable ...;

 - et encore : dans un groupe ( scolaire, tribu, etc. ) le fait que tel secret ne soit connu que par quelques initiés leur confère une identité propre et un pouvoir symbolique : le simple fait de connaître les mots de passe et l'endroit où est caché le trésor du groupe trace les frontières de celui-ci, et indique un champ spécifique de connaissance, qui est comme l'envers des normes et savoirs communs ... En outre, il existe parfois une dimension bien réelle de pouvoir, qui installe le détenteur du secret à un niveau hiérarchique privilégié ( par exemple, connaissance des secrets des plantes ..., connaissance du secret de l'identité de Saint-Nicolas, partagé par les parents et les enfants aînés, et non transmise aux petits ... ou, en plus moderne, connaissance des sites et salons porno d'Internet, où l'on imprime les photos osées dont sont exclus les petits ... )        

4. Le partage des secrets et leur défense en commun, entre initiés, concourt à la régulation des liens affectifs : dire un secret, c'est un cadeau que l'on tait à « l'ami sûr » ; un secret commun unit les amis et rassemble une partie de leurs forces contre l'extérieur. « Garder le secret » constitue aussi une épreuve, révélatrice de la qualité de l'attachement : quand il n'en est pas capable, l'ami d'hier est rejeté ... mais recevra peut-être une nouvelle chance demain. 

  1. Notons enfin l'importance de conquérir des savoirs nouveaux, comme (7)« arrachés » à ce qui est vécu comme le trésor secret de la connaissance aux mains d'autrui ( souvent l'autre génération, le parent ) : pensons par exemple aux ruses et à l'efficacité des jeunes hackers sur le Net (8); une fois conquis, ce savoir est lui-même souvent repositionné comme un savoir secret, tout au plus partagé jubilatoirement avec un petit groupe de pairs ... Tels sont les secrets sur les origines, la filiation, la sexualité, la mort (9)  ...       

    6. Dans une autre perspective, entre parents et enfants cette fois, il arrive aussi que le non-partage d'un secret soit structurant : ainsi en va-t-il lorsqu'il ne concerne en rien l'enfant, mais bien la vie privée des parents et notamment leur vie sentimentale ; dans ces conditions, et si en outre l'existence du secret n'empoisonne pas l'atmosphère commune, ne pas en parler à l'entant, voire lui répondre « Ça ne te regarde pas » peut constituer en un acte sain d'établissement des limites intergénérationnelles.

D'autres fois, le maintien du secret exerce un effet protecteur de l'angoisse et de la dépression: c'est le cas lorsque les parents parviennent à cacher un gros souci qui les concerne, eux. Plus encore, qui pourrait jurer que l'ignorance par l'entant de certaines réalités sombres qui le concernent, 1ui (10) , est toujours psychotoxique ? N'est-ce pas un slogan abusif que d'affirmer « Il sait toujours » ? Ne vaut-il pas mieux s'aligner sur son besoin d'être ou de ne pas être informé, qui est variable et fluctuant, et que l'on devine par signes ? ( Hayez & al., 1995 ) 

Secrets destructeurs

Inversement, dans d'autres situations, le contenu du secret est à l'origine d'influences négatives qui pèsent sur les exclus et souvent sur les détenteurs.

---- C'est d'abord le cas pour certains secrets de famille tels que nous les avons définis.

Par exemple, les parents sont insécurisés par le contenu et les enjeux du secret qui absorbent mystérieusement une bonne partie de leur énergie ; ou encore, ils en sont déprimés, culpabilisés, ou vivent des sentiments d'infériorité.Leur comportement général en porte les marques ils doivent taire des démarches mystérieuses ; ils imposent des interdictions de fréquentation - ou vivent de la haine pour d'autres familles - sur un mode apparemment incompréhensible ; ils s'isolent ; l'ambiance à la maison est pesante ; de larges silences nstallent : en tache d'huile, on parle de moins en moins d'autres vécus ; corollairement, on met en place des mensonges, des mythes familiaux rigides qui imposent une image idéalisée de la famille.
L'enfant exclu du secret subit cette ambiance : il assiste à ces comportements mystérieux et se fait rabrouer quand il interroge. Son angoisse peut s'en trouver accrue : il échafaude alors des fantasmes à visée explicative encore plus terribles que s'il savait. Il peut participer aussi à la dépression de tous et vivre vaguement que sa famille est tarée, sans bien savoir pourquoi ; il peut vivre aussi la blessure narcissique et le sentiment d'intériorité typiques de ceux qui se devinent exclus d'un domaine important.
Sa curiosité intellectuelle peut subir les effets de l'interdiction de la quête du savoir : dans les pires cas, face à ses premières questions qui lui sont renvoyées comme des transgressions, l'enfant censure son désir de savoir ( Diatkine, 1984 ) D'autres devinent en partie, parce que le secret a suinté ( Tisseron, 1996 ), mais pensent que ce savoir est mauvais et ne peuvent ni le posséder ni le partager ils s'inventent donc des malentendus anxiogènes ou/et posent des comportements bizarres, symboliques, qui sont la suite logique de ce qu'ils ont compris et qui ont peut-être aussi une très timide fonction d'appel. Les plus fragiles, probablement prédisposés cérébralement, se construisent des idées délirantes dans le cadre de décompensations schizophréniques. Pour quelques-uns enfin, une façon moins négative de vivre quand même leur curiosité intellectuelle consiste à développer une passion hautement symbolique ( archéologie, génétique, psychanalyse, etc. ) 

 Harry Potter chambre des secrets

En voici quelques exemples :
 - enfant « chargé » de honte et de culpabilité parce qu'issu d'une filiation illégitime ; enfant inquiétant, qui pourrait en vouloir à ses parents et les rejeter s'il savait un jour ( par exemple, qu'il a été adopté dans des conditions commerciales troubles, ou malgré l'interdiction des grands-parents ) ;       
 - projections négatives faites sur l'enfant : par exemple, il est le seul garçon de la famille, ou/et il est impulsif, ou/et il a certains traits physiques qui évoquent irrésistiblement le grand-père délinquant dont il est interdit de parler ... A voir fonctionner l'enfant, on revit pourtant des affects et des questions, refoulés ou conscients, liés à ce grand-père; on interpelle l'enfant comme s'il en était le fantôme ; petit à petit, l'enfant a une certaine prescience du secret : « Le mensonge qui est constitué en secret se transmet grâce aux règles qui empêchent sa révélation ... parce qu'elles sont de plus en plus parlantes, de plus en plus évocatrices » ( Ausloos, 1987, p. 73 ) Par la suite, surtout à l'adolescence, il pourrait être tenté par un passage à l'acte, dont la signification la plus radicale lui échappe, et échappe même souvent à sa famille, quel que soit le symbolisme dont l'acte est chargé ( Miermont, 1987 ) ;        
 - demande subtile faite à l'enfant pour qu'il « répare le destin » : par exemple, il doit fonctionner comme on imagine que l'aurait fait le frère mort dont on ne peut pas parler ( cfr. le concept de délégation de Stierlin. S'il réussit sa délégation, la famille est soulagée ... mais lui ? S'il la rate : dette de loyauté et troubles divers )     

---- Les influences négatives peuvent encore émaner d'autres types de secrets, qui se vivent aussi dans la famille, sans répondre strictement à la définition du secret de famille  .

Secrets troubles qu'un adulte veut partager avec un enfant.

Ce sont souvent les circonstances qui poussent à ce « partage », parce que l'enfant a été un témoin encombrant : « J'ai volé notre voisin ; tu le sais mais tais-toi » ; « Ne dis jamais à l'expert des Assurances que c'est toi qui as provoqué l'incendie«  ; « Tu m'as vu avec cet homme ... ne le raconte pas à ton père »  
Il est plus rare qu'un adulte veuille initier gratuitement l'enfant à une vision du monde faite de tricheries, voire en faire un complice actif de ses exactions.     
Les résultats de ces manoeuvres sur l'enfant sont variables : 
 - les rares fois où elles sont intentionnelles et répétées, il n'est pas exclu qu'il finisse par s'identifier à l'adulte et par se pervertir lui-même ;
 - plus souvent l'invitation de l'adulte, unique, traumatise l'enfant ; si le secret concerne nettement quelque chose que l'enfant identifie comme « mal », il peut se sentir aussi mauvais que l'adulte, comme corrompu par le simple fait de savoir ( Tisseron, 1996 ) A tout le moins crée-t-on chez lui un conflit intra-psychique ;
 - on prête à l'enfant une puissance qui n'appartient pas à sa génération, et dont l'exercice peut lui apparaître et exaltant et angoissant-culpabilisant ;
 - dans certains cas, on exacerbe son complexe d'Oedipe de façon trouble ( être l'allié d'un parent contre l'autre )
On devine alors le malaise, l'angoisse et la culpabilité qui peuvent s'en suivre durablement ainsi que la perte de confiance dans les adultes de référence. Certains enfants s'y enlisent. D'autres s'en remettent, en se sentant peut-être un peu plus seuls et un peu plus désabusés : sans doute est-ce cela aussi grandir, c'est-à-dire assumer la non-perfection des parents ... D'autres encore finissent par refouler les scrupules de leur conscience, et par se donner le droit de fonctionner eux-mêmes à l'occasion - ou habituellement - hors normes. 


-Secrets gardés par les enfants sur certaines de leurs exactions, qu'ils estiment très graves.     

Certes, les enfants en bonne santé psychique se donnent progressivement le droit de garder des secrets, même à propos de leurs « bêtises » Mais, quand le secret porte sur une transgression autoévaluée comme (très) grave, ils peuvent vivre beaucoup d'angoisse et de culpabilité, non seulement autour de la transgression mais aussi de leur silence. Mieux vaudrait dès lors qu'ils trouvent le courage de s'en ouvrir à un confident ... en espérant que s'en suivra, soit une remise en place de leurs idées autour de la pseudo-gravité de leur acte, soit un pardon et une possibilité de réparation. Sinon, comme le dit Tisseron (1996) « Le secret devient un fait pathologique lorsque nous cessons d'en être le gardien pour devenir son prisonnier »


-Secrets imposés à l'enfant par un tiers agresseur.        


Les arguments auxquels l'agresseur recourt pour obtenir le silence sont divers : menaces physiques, apitoiement ou/et menaces morales ( suicide de l'agresseur par ailleurs aimé ... éclatement de la famille ... peine de la maman si elle venait à savoir ), mais parfois aussi séduction, et confusions créées dans les idées et les valeurs.     
Aux thérapeutes à « apprivoiser » ces enfants qui, souvent, montrent indirectement qu'ils portent un lourd fardeau : il faudra travailler avec délicatesse sur les résistances, l'ambivalence, l'angoisse de l'enfant à parler, parfois en utilisant des supports imaginaires ( histoires racontées ) ( Hayez et de Becker, 1997, p. 259 et sq. )

 

 confident smiling child         

Enfin, il nous arrive d'être incapables de prédire

que l'enfant se sentira mieux ou pire selon qu'il est mis au parfum ou reste exclu d'un secret, u'il soit ou non concerné dans le contenu de celui-ci :

 par exemple, son père biologique n'est pas le père qui l'élève, mais l'entente des parents qui l'élèvent est bonne et ils n'ont pas spontanément envie d'en parler, etc.  


En fin de compte, nous ne sommes sûrs de la nocivité du silence que dans quelques situations extrêmes. Par exemple :  
 - l'inhibition douloureuse de tous, issue de l'existence d'une réalité permanente pesante, de l'ordre du non-dit pour les détenteurs, et du secret menaçant pour les exclus ; 
 - les projections négatives ou les demandes de réparation du destin qui portent intensément sur l'enfant ;   
 - la culpabilisation active de l'enfant qui cherche à savoir ; le mensonge actif et répété par rapport à sa quête de vérité persistante.
Mais souvent, c'est beaucoup plus incertain ...

 NOTES

(2) On pourrait d'ailleurs distinguer les vrais secrets des « savoirs discrets » ( par exemple : « J'ai été à selle ce matin ... je ne le chante pas sur tous les toits ») et des « non-dits » ( informations connues par tous, mais dont on ne parle jamais, souvent parce qu'on redoute la destructivité qui s'en suivrait ) Les « secrets de Polichinelle », eux, ne sont considérés comme secret que par l'un ou l'autre de ceux qui en détiennent le contenu. Ainsi le veut leur naïveté ou leur narcissisme tout le monde connaît l'information, mais on ne leur en parle pas.  
(3) Dans sa définition, G. Ausloos insiste davantage sur la volonté de dissimulation, qui s'exerce tant par le silence des mots que par la non-apparence des signes indirects : « Elément d'information non transmis, que l'on s'efforce consciemment, volontairement de cacher à autrui, en évitant d'en communiquer le contenu, que ce soit sur le mode digital ou analogique » ( Ausloos, 1987, p. 64 )       
(4) Nous n'incluerons pas dans notre définition les non-dits que tout le monde connaît dans la famille mais sans communiquer à leur propos, et dont on ne parle pas à l'extérieur ( par exemple, l'alcoolisme du père )

(5) L'ensemble des enfants ou un sous-groupe précisément concerné.
(6) Piaget, par exemple, signale qu'il en est fait un usage « normal » et fréquent à partir de quatre ans et demi pour protéger son self et être quitte des parents (« Ce n'est pas moi, c'est mon frère qui l'a fait »)
(7) Comme ? c'est parfois une impression purement subjective ... et néanmoins structurante. C'est parfois une réalité.
(8) Certains parents empêchent cette quête du savoir par l'enfant, comme s'ils voulaient en rester les seuls détenteurs ou/et dispensateurs. Cette attitude « conservatrice » conduit parfois à de la surinformation ( par exemple en matière sexuelle ), ce qui, loin de libérer l'enfant l'infantilise ... Mieux vaut souvent que ce soient comme des frottements accidentels, des événements de la vie ( le silence gêné d'un parent, son incongruité émotionnelle, une allusion ) qui déclenchent chez l'enfant une démarche de conquête.

(9) Une jolie illustration en est donnée, au cinéma, dans le film de fiction Stand by me ( B.Reiner, 1987 ) : initiation de préadolescents à la connaissance de la mort, mais aussi à ce que sont les turpitudes d'adultes apparemment fiables ( l'institutrice ) ... et donc, mort de la naïveté de l'enfance. Dans le même ordre d'idées, dans le dessin animé Le roi Lion, Simba et Nalla partent à la découverte interdite du territoire noir.

10) Par exemple : un mauvais état de santé physique des origines de vie particulièrement dures chez un enfant adopté peu curieux, etc.

(12) Clients individuels ou familles nucléaires cfr. § II.
(13) Client individuel enfant ou/et sa famille, etc.

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