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PREAMBULE


Nous sommes conscients que les attitudes pédagogiques que nous allons décrire constituent par leur ensemble un modèle idéal ... à nos yeux. Il ne nous semble pas imaginable qu'il soit appliqué dans toute sa rigueur, mais au moins pourrions-nous réduire la distance qui nous en sépare, comme nous le faisons pour d'autres références idéales. Et puis, ce modèle serait-il parfaitement mis en oeuvre, qu'il ne garantirait pas pour autant une efficacité maximale dans la prise en charge des actes antisociaux: on pourrait imaginer, au mieux, d'être plus efficace dans 20 à 25 % des cas, mais il continuerait à exister un certain nombre de jeunes, rebelles à toute approche pédagogique.

I. QU'APPELONS-NOUS UNE TRANSGRESSION? QUELLES SONT LES TRANSGRESSIONS QUI « MERITENT » UNE REACTION DES ADULTES?



A. Un enfant ou un adolescent transgresse une règle lorsqu'il fait sciemment ce que les personnes qui ont du pouvoir sur lui, lui ont dit être interdit. Ces personnes sont ses parents, les responsables des communautés sociales qu'il fréquente et les pouvoirs publics qui fixent les règles sociales générales.

Dans le cadre de cet article, nous nous centrerons implicitement sur les transgressions antisociales importantes : vols, actes de vandalisme, atteintes au corps d'autrui.

Les transgressions peuvent revêtir bien des significations, qui se mélangent dans le même acte ou se répartissent selon les différents jeunes et leurs différentes transgressions. En soi, elles n'ont pas ipso facto de signification psycho - ni sociopathologique : il nous semble normal - voire souhaitable - qu'un jeune qui se sent fort, confiant en soi, conteste certaines règles dont on l'entoure, et les transgresse : c'est à partir de tels refus, de tels défis que les sociétés changent et que les personnalités s'affirment. Il ne nous semble guère compatible de croître avec un sentiment d'identité bien affirmé et d'accepter l'obéissance à tout : toutes les lois ne sont pas fondamentalement bonnes. Elles risquent toujours d'avoir une dimension arbitraire, liée à une époque, un temps, la pression d'une majorité et, à notre sens, les injustices familiales ou sociales peuvent être combattues par les actes si la parole et la souplesse de chacun ne suffisent pas à les ébranler. Mais nous allons même plus loin, en considérant comme signes de bonne santé psychique certaines transgressions gratuites, qui auront cependant comme caractéristique de ne pas détruire gravement le bonheur ni les biens d'autrui. Cette affirmation de notre part ne connote pas pour autant que l'adulte éducateur doive rester chaque fois sans réactions à leur égard, mais nous refusons de leur prêter une signification psychopathologique.

Par contre d'autres transgressions signent l'existence de composantes psychopathologiques ou immatures chez celui qui les pose. Elles se répartissent selon trois axes principaux :

   - elles compensent des sentiments d'infériorité, de dépression, d'angoisse; ce sont les symptômes de conflits névrotiques;

   - elles sont le fait de personnalités faibles, suggestibles, impulsives, incapables de résister au chaos et à l'intensité de leurs pulsions, et aux sollicitations de leur entourage ou/et de la société de consommation;

   - elles sont le fait de personnalités gauchies, hédonistes, qui ont placé leur intelligence et la force de leur être au service de leur envie d'avoir et de jouir ( personnalités délinquantes, dont la volonté de toute-puissance se distille subtilement plutôt qu'elle n'explose ).

B. Lorsque l'adulte est confronté à la transgression, bien malin est-il si, à partir de sa forme extérieure, il peut deviner ce qu'elle signifie principalement, du moins si cet adulte est le compagnon de la vie quotidienne du jeune ( parent, éducateur ou enseignant ) : certaines compensations sont secrètes et celui qui les réalise peut donner toutes les apparences de l'équilibre émotionnel. ... Un enfant immature, qui résiste souvent mal aux chocs de ses impulsions, peut aussi avoir des zones de bonne santé psychique, l'amenant à expérimenter sa puissance en ne disant pas «  amen » à tout. Aussi, pour savoir s'il faut réagir ou non à la transgression, voudrions-nous proposer deux règles toutes simples : c'est de ne pas se paralyser en arguant de la recherche préalable des significations, même si celle-ci demeure un acte important ... et de ne pas se montrer non plus systématiquement rigide : un jeune a besoin de gagner, de temps en temps, et il faut pouvoir, soit fermer les yeux, soit lui signifier que l'on a vu, mais que l'on accepte de perdre sans intervenir. Pour peu du moins que ses transgressions mineures ne se multiplient pas trop, ou qu'il ne commette pas de transgressions franchement destructrices. A être massivement interventionniste, on déclenche surtout des réactions persécutoires et l'on provoque le retour de ce que l'on ne voulait pas.

II. PRINCIPES-GUIDES D'UNE REACTION PEDAGOGIQUE



Notre, réflexion rejoint les idées d'A. Fettweis et J. Van den Bossche ( Evolution récente de la législation belge de défense sociale, in Revue du droit pénal, 1967-1968 ) : « ... Une seconde disposition tout à fait heureuse est celle qui consiste à ne plus assimiler aux «  irresponsable » des anormaux parfaitement conscients de leur faute et chez lesquels le sentiment de la responsabilité personnelle doit être fortifié. Il n'y a pas lieu d'enlever le caractère de peine à la sanction dont ils sont l'objet. Mais il faut que ce soit une sanction thérapeutique ...».

A. Cette réaction s'adresse à tous les jeunes : les grands axes que nous allons décrire, peuvent s'appliquer aussi bien à un jeune «  normal » à partir du moment où son entourage familial et social a décidé qu'il dépassait les limites du supportable et qu'il fallait donc se confronter à lui, qu'à un jeune immature, névrosé, délinquant ou psychotique.

B. Cette réaction est globale : elle essaie de repérer les significations de l'acte posé et, à partir de là, de contribuer à la maturation de la personnalité et à l'amélioration de son environnement. Simultanément, elle s'adresse directement à l'acte, avec un objectif de dédommagement et de réparation qui, à l'avenir, pourrait modifier le système adaptatif du jeune et lui donner l'envie de poser des actes meilleurs. Mais si cette réaction se veut globale, nous trouvons cependant important que ces deux objectifs, qui visent respectivement les significations et l'acte, ne se mélangent et ne se confondent pas, ni dans l'esprit du jeune et de son entourage, ni dans celui des intervenants. Donc, autant lorsque ceux-ci exposent leurs intentions que lorsqu'ils les concrétisent, ils doivent très soigneusement les différencier et les détailler :

1. Dans la mesure où ils veulent mûrir ou guérir certains éléments de la personnalité du jeune et améliorer son environnement, ils proposent, à lui et à son entourage, des psychothérapies, des interventions sociales ou scolaires et des actions pédagogiques nouvelles ( par exemple une façon plus fine de le valoriser ).

2. Corollairement, s'ils ont décidé que les actes posés par le jeune dépassaient le supportable, ils confronteront aussi sa transgression à l'existence de la réalité extérieure : pour cela, sans le moindre jugement moral, sans vouloir comprendre maintenant le pourquoi et risquer d'excuser l'acte posé, ils demanderont un dédommagement des dégâts provoqués, matériels et/ou humains, qui soit proportionnel à l'état des forces du jeune. Parfois, ce sera quantitativement moins, mais ce ne sera jamais ni insignifiant ni désespérant.

3. Chaque fois que c'est possible, ils invitent en outre le jeune à « réparer » le tort commis. «  Réparer », c'est une action d'une tout autre nature que le dédommagement qui vient d'être invoqué. « Réparer », c'est croire que l'on a en soi des forces positives - et pas seulement des forces destructrices - et accepter de les mettre en oeuvre, d'une façon ou d'une autre, au service d'autrui; en faisant en outre, de préférence, le lien mental entre l'acte constructif posé et l'acte de destruction, qu'il cicatrise. Parfois, la réparation se limitera à accepter intérieurement que le dédommagement auquel on a été initialement contraint à un sens positif et que le mener à bien est un acte juste et utile. Parfois, elle ira plus loin : le jeune mettra en oeuvre ce qu'il y a de bon en lui, parce qu'il y a été invité par un adulte important à ses yeux et dont il a remarqué qu'il en avait besoin. Parfois même, ce sera encore plus gratuit.

4. Dans l'un ou dans l'autre cas où l'on est raisonnablement certain que le jeune était libre intérieurement de poser l'acte destructeur auquel il s'est livré, il peut également entendre une désapprobation morale, surtout si elle est prononcée par un adulte qu'il investit positivement.

C. Redisons encore qu'une des modalités les plus importantes d'un tel programme, qui vise à la fois les causes et l'effet, consiste à ne pas installer de confusions quant aux objectifs poursuivis. Le jeune peut à la fois et avoir besoin d'aide et la recevoir, et d'autre part être quand même sanctionné et désapprouvé pour l'issue-transgression qu'il s'est donnée. Si cette sanction négative n'existe pas, l'entourage du jeune risque paradoxalement de le conforter dans l'idée de la transgression, puisque c'est alors que son environnement se montre compréhensif et soutenant! Corollairement, il faut aider le jeune à faire la différenciation de ces intentions : « On a remarqué que tu ne te sentais pas bien et on va essayer de ...», et, par ailleurs : « On n'est pas d'accord avec la façon que tu as trouvée pour te sentir mieux ... ou pour te signaler à nous. »

Autre confusion à éviter : ce ne sont pas de nouveaux comportements sociaux, plus adaptés, qui dédommagent vraiment une trans- gression. On entend parfois dire : « Nous tournons la page sur ce que tu as fait, mais tu dois trouver du travail ... ou bien tu dois retourner régulièrement à l'école. » N'est-ce pas là semer l'idée que le travail ou l'école, c'est une sorte de punition, de sanction négative de la transgression? Pour notre part, nous préférons dissocier les éléments du programme et, face à l'adolescent immature, désoeuvré, qui n'aurait pas résisté à la tentation de la délinquance, réagir de la façon suivante :

   - Quant à la transgression elle-même : « Tu dois dédommager le tort que tu as causé ... ( dans telle proportion ) ... avec de l'argent dont tu me démontreras que tu l'as gagné de façon honnête. »

   - Parallèlement, s'il se montre raisonnablement intéressé et collaborant, on peut mettre en place un programme de soutien plus large, dont un des constituants soit son autonomie, son insertion dans le monde scolaire ou du travail, mais pas pour dédommager! Peut-être comprendra-t-il spontanément qu'il doit travailler s'il lui faut procéder à un certain remboursement honnête de ses dégâts, mais nous ne pensons pas que la pression vers le travail doit être faite explicitement par celui qui s'occupe de sanctionner l'acte-transgression. (  Celui-ci peut se limiter à contrôler les moyens mis en oeuvre.)

III. APPLICATION DE CES PRINCIPES SUR LE TERRAIN



Nous nous limiterons à décrire la partie du programme d'accompagnement par laquelle on se confronte directement à l'acte-transgression. Les autres parties, par lesquelles on s'efforce de soulager les tensions et de soutenir la maturation du jeune, ont déjà été développées dans beaucoup d'autres articles et ouvrages.

Si l'on se trouve dans des conditions d'équipement favorable, mieux vaut que des personnes différentes garantissent les différentes parties du programme, par exemple le travailleur social et le magistrat. Sinon, la même personne, par exemple un parent, doit se montrer extrêmement vigilante pour ne pas vivre et transmettre des confusions au moment où elle poursuit et explique des objectifs différents. L'identité des personnes engagées est de première importance, quelle que soit la partie du programme concernée.

Un ordinateur ne réussira jamais à être efficace, même s'il appliquait très scrupuleusement un programme riche de possibilités : celui-ci doit être garanti par des gens « qui comptent » aux yeux du jeune : nous y reviendrons.

A) Comment réaliser le dédommagement 

1. Le contexte 

   - Lorsqu'elle est décidée, la réaction de «  l'institution des adultes » doit être effective : une réaction, ce ne sont pas seulement des paroles de menaces : « Ça doit cesser ... c'est la dernière fois que ... si tu continues, ça va barder ...». Peut-être que des paroles de désapprobation et un avertissement verbal préalable ont du sens, mais certainement pas dix avertissements préalables ... de rien du tout, qui contribuent surtout à ridiculiser l'adulte. Une fois programmé, l'acte qui est la sanction logique de la transgression doit être installé et mené à son terme. Nous y reviendrons par la suite.

   - La réaction des adultes doit se placer à un moment bien choisi : si elle arrive trop tôt, dès que le jeune fait un pas de travers ... Si on lui saute tout de suite dessus, on risque de déclencher une réaction persécutoire, et d'exacerber le besoin de contestation. Si elle arrive trop tard, le jeune croit à sa toute- puissance et à son impunité.

Il n'est cependant pas possible de préciser avec rigueur quel est ce « bon moment ». Un critère est la destruction objective causée à la société; un autre critère est le degré de tolérance des adultes concernés, qui varie d'un environnement à l'autre : ils ne doivent pas faire semblant d'accepter des actes que foncièrement ils ne tolèrent pas, par lesquels ils se sentent révoltés, bouleversés; par contre, ils peuvent se gêner un peu pour le jeune, en le lui signifiant à l'occasion : « Ça ne m'amuse pas vraiment, ce que tu as fait, mais je l'accepte cette fois-ci, parce que c'était peut-être important pour toi de le faire. »

   - La réaction doit être coordonnée entre les différents membres de l'« institution des adultes ». Dans certains cas, seuls les parents sont confrontés à la transgression. Dans d'autres, des tiers y sont mêlés ( par exemple le jeune a volé dans un vestiaire à l'école ). Ailleurs, un magistrat s'occupe déjà du jeune, parce qu'il a commis des transgressions antérieures, ou pour d'autres raisons. Par « coordination des adultes » nous voulons dire que :

   Les adultes ne doivent pas contredire les positions les uns des autres. Si, au moment où le juge dit : « Tu dois être puni pour ce que tu as fait », les parents engagent un combat pour qu'il n'en soit rien, avec l'aide d'avocats, on démontre au jeune que la loi est quelque chose d'aléatoire et d'inconsistant, et qu'il peut continuer à transgresser : il aura toujours des protecteurs. On peut comprendre cependant que des parents cherchent à atténuer jusqu'à un certain point les rigueurs de la loi, si celle-ci est excessive. Mais ils doivent pouvoir suspendre leur mouvement de protection lorsque celle-ci devient annulation. Paradoxalement, l'inverse existe aussi : le jeune peut parfois constater avec amusement que le juge renvoie ses parents lorsque ceux-ci, désemparés, viennent requérir son supplément d'autorité.

   Les adultes doivent donc essayer de se concerter, de négocier, et de tomber d'accord sur la gravité des actes qui méritent leurs réactions et sur la nature de celle-ci. S'il n'est pas possible qu'ils harmonisent leurs points de vues, ils doivent y regarder à deux fois avant de réagir de façon intempestive; à le faire, ils pourraient bien contribuer à émousser le sens de la loi chez le jeune.

   Les adultes ne doivent pas réagir en se cachant les uns des autres. Par exemple, après un vol au vestiaire, certains parents « arrangent ça », en exigeant éventuellement un dédommagement de la part du jeune, mais en se cachant du directeur de l'école et en remettant anonymement une enveloppe dans sa boîte aux lettres : l'effet positif de leur geste est à moitié raté! Ils ont montré au jeune que des protections existent pour éviter les conséquences les plus désagréables de l'acte posé. Ils lui ont montré qu'il n'existait pas vraiment de risques, à part la colère paternelle bien connue et finalement inoffensive. Mieux vaudrait qu'ils aient pu sacrifier leur respectabilité sociale!

  Tous les adultes ne sont cependant pas tenus de faire la même démarche simultanément. C'est déjà très bien si l'un d'entre eux prend l'initiative de lancer et de contrôler le dédommagement et que les autres le soutiennent, discrètement ou en silence, même si leurs sentiments spontanés sont plus inquiets, ou plus protecteurs.

   - La réaction des adultes doit suivre de près l'acte-transgression : quand on a décidé de réagir, il faut le faire rapidement après l'acte posé, de sorte que, dans le temps, le jeune puisse faire un lien entre la cause et l'effet : cette proposition peut paraître évidente mais n'est cependant pas simple à réaliser, par exemple lorsque l'institution judiciaire doit être informée et s'ébranler! Il faut aussi parler en termes clairs et fermes, de sorte que le jeune mesure que l'adulte sait ce qu'il veut et tiendra bon. La ténacité, ce n'est cependant pas l'escalade de colère et d'agressivité, où l'on s'emporte de plus en plus. La note à payer peut être annoncée clairement mais contrôlée de façon plutôt neutre. L'adulte ne doit pas nécessairement s'engager émotionnellement dans le processus, mais plutôt rester en position tierce où il garantit que la réalité existe bien, sans que sa propre peau à lui soit meurtrie dans l'aventure : « Je regrette mon vieux, mais tu dois maintenant assumer les conséquences de ce que tu as fait ... Et voici comment ... »

2. La nature du dédommagement 

Le contenu du dédommagement devrait avoir un lien puissant avec ce que la transgression a détruit. Dans les cas les plus simples, on peut demander de rendre à la victime ce qui lui a été volé, ou de reconstruire ce qui a été abîmé matériellement. Mais ce n'est pas toujours possible.

Ainsi, l'expérience montre que beaucoup de victimes ne veulent absolument pas faire la connaissance de leurs agresseurs. Or, dans certains cas de vandalisme par exemple, si un tiers s'interpose entre la victime et le jeune, pour rendre une somme d'argent à titre de dédommagement, l'effet positif est moins puissant que si le jeune en avait pu restaurer ses dégâts de ses mains. S'il est regrettable qu'il ne puisse pas le faire directement, nous comprenons cependant les réticences émotionnelles des victimes! Donc, le dédommagement devrait parfois se déplacer vers des tiers, c'est-à-dire d'autres membres de la société qui ont besoin d'aide et dont on veillera à ce que le statut soit proche de celui de la victime. Avec une probabilité d'efficacité encore moindre, on peut recourir également à des actions sociales, générales ou philanthropiques (« nettoyer » un parc public, etc.).

Ailleurs, les dégâts causés ont été énormes ( par exemple incendie volontaire qui a coûté plusieurs millions ), et il ne s'agit pas de désespérer le jeune en lui demandant de rembourser exactement ce qui a été détruit. Le dédommagement doit être proportionné aux forces du jeune : ni « symbolique », ni inhumain. Le but n'est pas d'accroître les sentiments de révolte et l'envie de se venger de la société, mais de modifier à l'avenir les objectifs d'adaptation du Moi.

Notons au passage que la loi belge devrait revoir les applications du concept de responsabilité civile : actuellement, ce sont les parents qui doivent payer pour les mineurs. Dans la mesure où il s'agit des sommes énormes, ce sont eux qui sont acculés, donc deviennent désespérés, donc rejettent le jeune, ou alors ils trouvent des solutions « délinquantes » ( par exemple prouver que le mineur est irresponsable ), auxquelles le jeune est associé, ce qui lui démontre une fois de plus que la loi est inconsistante et contournable. De toute façon, même dans des cas plus bénins, le sentiment d'impunité du jeune sort renforcé de l'aventure : ses parents paient pour lui, et ce peut même devenir l'objectif de certains d'entre eux : faire « cracher  » les vieux, pour se venger!

Idéalement, si l'on n'émet que des considérations psychopédagogiques, la responsabilité civile devrait incomber au mineur, avec dédommagement proportionné à ses forces et le reste du remboursement devrait être pris en charge par des compagnies d'assurance, qui pourraient considérer cette amputation modeste de leurs marges bénéficiaires comme une de leurs actions socioculturelles préventives et philanthropiques.

Peut-être pourrait-on d'abord demander au jeune concerné comment il compte dédommager ses propres dégâts et, s'il se montre réaliste dans son évaluation, s'aligner sur la proposition qu'il fait. Encore faut-il mesurer, et l'honnêteté, et la part d'efforts que lui coûte la solution qu'il propose ( prendre de l'argent sur le carnet d'épargne garni par les parents, c'est souvent inopérant! ).

3. Le contrôle de la réalisation du dédommagement 

Ce contrôle fait partie intégrante du programme, et doit être régulièrement effectué : il ne suffit pas qu'un jeune s'engage à dédom- mager, encore faut-iI vérifier la manière dont il le fait. Voici quelques réflexions à son sujet :

   - Un contrôle n'est pas une escalade sadique, une montée progressive d'énervement, voire de haine; c'est un rappel ferme et imperturbable de ce à quoi le jeune s'est engagé, suivi d' une réaction logique, positive ou négative, selon que ses efforts sont conséquents ou inconsistants.

   - Un contrôle est donc suivi d'effets. Si le jeune remplit ses engagements, ces effets seront constitués par les encouragements et félicitations de l'adulte. Si c'est l'inverse, il faut qu'existe une porte de sortie-sanction, à laquelle on recourt à un moment prévisible de part et d'autre. Dans les cas graves, ce sera par exemple le placement en institution fermée, qui reprendra le programme de dédommagement où il a été laissé, voire le dessaisissement prévu par la loi belge.

   - Si plusieurs personnes accompagnent le jeune et parviennent à se coordonner, par exemple le juge, le travailleur social et les parents, on peut imaginer que l'une d'entre elles se charge principalement du contrôle et l'exerce de façon ferme, mais encourageante, tandis que les autres se centrent sur d'autres paramètres pédagogiques et sociaux, et soutiennent également le jeune pour qu'il tienne bon dans l'exécution de son dédommagement.

   - Le contrôle doit faire en sorte qu'un résultat soit obtenu, et doit donc s'exercer aussi longtemps qu'il le faut. Cette idée d'une durée parfois longue et d'une constance dans la demande des adultes est très importante et pourtant bien difficile à réaliser. Par exemple, lorsque le jeune est placé en institution, on ne pense pas toujours à associer celle-ci à la démarche; ou alors, elle n'a pas les moyens de superviser directement le programme de dédommagement; parfois même, on se heurte à son indifférence ou à son hostilité à ce sujet. Et autant lorsque le jeune change de milieu de vie : le nouveau milieu résidentiel a souvent tendance à dire : « On tourne la page ... on te refait confiance »; or, même si ces raisons sont compréhensibles, à procéder ainsi on a déjà convaincu plus d'un jeune de forcer franchement la note quand ses affaires vont mal quelque part, pour se retrouver blanchi ailleurs!

B) Comment stimuler la réparation? 

Rappelons que la nature de la réparation est fondamentalement différente de celle de dédommagement : la personne qui veut réparer se reconstruit narcissiquement; elle reprend confiance dans les forces « bonnes » qu'elle détient, et les met en jeu. Celle qui dédommage se résigne ou accepte de payer les conséquences réelles de ses actes, ni plus, ni moins.

1. Parfois, l'idée de réparation vient toute seule aux jeunes; malheureusement, lorsqu'ils se proposent de la concrétiser, certains adultes préalablement blessés par eux, ou particulièrement orgueilleux, les renvoient; or, lorsqu'ils tirent la tête de la sorte aux jeunes, en les désespérant, ces adultes les rejettent dans le monde de la transgression. Nous recommandons au contraire que ces réparations spontanées soient accueillies et mises en valeur autant que faire se peut : « Je suis content de ce que tu me proposes; tu sais faire des bêtises, mais tu sais aussi les faire oublier en te conduisant correctement ... » Cependant, dans la mesure où ces propositions spontanées des jeunes sont d'intensité modeste - des gestes en quelque sorte - elles ne peuvent pas remplacer les dédommagements exigés par ailleurs, qui sont plus conséquents; ce n'est possible que quand elles présentent une ampleur suffisante, susceptible d'en faire des dédommagements.

2. Chez d'autres jeunes, l'idée de la réparation n'est pas spontanée, mais l'on a parfois trop de pudeur à la proposer. Certes, ce n'est pas à la portée de n'importe qui : quand on s'y risque, pour ne pas passer pour une dame patronnesse en mal de naïveté, il faut que l'on soit raisonnablement certain d'être important aux yeux du jeune, mais si l'on a ce statut, alors il est bien regrettable que l'on ne stimule jamais son pouvoir de réparation.

Cette stimulation consiste d'abord à faire appel à lui, quand on en a besoin personnellement : «  Ça me ferait plaisir si tu me rendais tel service ...  ». Dans cette perspective, les adultes les plus intéressants à fréquenter sont ceux qui ne sont ni autosuffisants, ni exploiteurs. L'adulte autosuffisant n'imagine jamais qu'il pourrait vraiment avoir besoin d'aide, surtout si ce sont les jeunes qui le proposent. L'exploiteur, par contre, passe sa vie à demander des services, en appelant souvent responsabilités les inévitables corvées qu'il vaut mieux partager dans une communauté et en faisant la part belle à sa propre paresse à lui.

Lorsque le terrain est préparé, lorsque le jeune s'est habitué à rendre service, positivement, à cet (ces) adulte(s) qu'il investit, lorsqu'il s'est entendu commenter à l'occasion : « Tu vois ... tu es capable de détruire ... mais tu es également capable de construire ... et donc tu peux réparer ... tu peux regagner l'estime que l'on avait pour toi ...», alors, on pourrait encore proposer à ses forces constructives des objectifs plus précis, plus directement réparateurs : par exemple l'on s'efforce de faire adhérer le jeune, de l'intérieur, au bien fondé du programme de dédommagement exigé de lui.

Ailleurs, il s'agira d'encourager un geste symbolique : écrire une lettre d'excuses à la victime, lui envoyer des fleurs, etc. Mais un geste symbolique, non seulement n'est pas suffisant mais, pour utile qu'il soit, pourrait semer la confusion s'il restait isolé (« Un rien suffit à réparer »). On invitera donc aussi le jeune, quand l'occasion s'y prête, sans insister lourdement sur le fait que c'est son devoir, à poser un geste altruiste, un geste social, un service à l'égard de plus démunis ... Tant mieux si l'adulte qui l'y invite participe lui aussi à l'accomplissement de ce geste et si le jeune n'en est que le compagnon : l'impression d'authenticité, d'utilité sociale n'en sera que plus grande.

C) Le jugement négatif 

Nous sommes bien conscients que l'idée d'émettre un jugement de valeur négatif n'est plus à la mode, et pourtant nous pensons que les pédagogues ont parfois tort de l'éviter : il peut être juste et efficace qu'un être humain éprouve une culpabilité partielle pour un acte destructeur qu'il a sciemment et volontairement posé; parmi d'autres forces opérantes, ce sentiment de culpabilité constitue une étape vers le changement. Encore faut-il que le jugement négatif qu'on lui exprime se pose sous certaines conditions :

   - Qu'il soit émis par un adulte « signifiant » pour le jeune : de préférence un adulte investi affectivement et éventuellement un adulte dont le rôle social est reconnu; pas par quelqu'un que le jeune ignore et méprise, et qui se couvrirait de ridicule par son jugement moral.

   - Qu'il ait comme corollaire, à d'autres moments, que l'on réinsuffle de l'espérance au jeune : aujourd'hui il mérite d'être blâmé, mais dans d'autres circonstances, il mérite également d'être félicité.

   - Qu'il ne soit pas rapide et superficiel. Des comportements peu soutenables, voire horribles, peuvent avoir pour origine un conflit psychopathologique incoercible, tel que leur auteur est invinciblement poussé à les reproduire; mais ils peuvent être aussi le fruit de la libre volonté d'une personne, qui désire faire souffrir, jouir, conquérir un maximum de territoire vital : la souffrance mentale existe, même derrière des actes apparemment délibérés, et le Bien et le Mal existent aussi : celui-ci se définira différemment selon la culture d'appartenance de celui qui tente de le situer, philosophe, sociologue, psychanalyste ... Peut- être les psychologues pourraient-ils le désigner comme un libre parcours accordé, en toute connaissance de cause, alors que le sujet était libre de ses décisions, à celles de ses pulsions, érotiques ou agressives, qui provoqueront directement ou indirectement la destruction d'autrui. Ce qui est compliqué, c'est que, la plupart du temps, nous ne sommes des sujets, ni gravement malades mentalement, ni étonnamment libres : nous avons bien quelques conflits psychiques, peu ou moyennement, qui nous donnent d'autrui des images vaguement déformées, ou nous poussent un peu vers certaines issues pulsionnelles ... mais la liberté d'appréciation et d'adaptation de notre « Moi » n'est pas nulle : parce que nous avons trouvé une manière d'être et de faire efficace ou agréable, nous voulons la recommencer et l'amplifier.

Notre destin et nos conflits nous poussaient vers certaines routes, en excluant d'autres, auxquelles nous n'aurions jamais songé ... et notre liberté, notre jouissance, nos sentiments de puissance nous font aller de plus en plus loin sur la route ébauchée : c'est bien pourquoi il est infiniment compliqué, mais peut-être pas inutile, de faire la part des choses, et d'apprécier la proportion respective de déterminisme et la part de liberté intérieure qui provoque nos actes.

   - Que le jugement ne procède pas d'un unilatéralisme naïf. Même si la responsabilité de quelqu'un est engagée dans un acte, même s'il a accepté de faire mal délibérément, souvent, il est stimulé par des provocations, par la participation volontaire ou involontaire de ses proches dans le processus : oui à une évaluation systémique des déterminismes et des responsabilités, non à la vengeance indéfinie sur un bouc émissaire apparemment plus odieux.

   - Que le jugement porté éventuellement sur un acte, ou sur un moment de la vie d'une personne, ne conduise pas à la culpabilisation massive et au rejet global de celle-ci : c'est cela qui tue. Au-delà de la parole de désapprobation, qui est parfois justifiée, c'est le désespoir entraîné par tout ce qu'elle connote (  mépris, rejet ...), qui est diablement toxique pour l'avenir : certains s'y noieront, d'autres feront pis qu'avant, pour ne pas le ressentir, et défier ceux qui les provoquent.

Après la désapprobation, après ses conséquences partielles éventuelles ( par exemple, une frustration inévitable une séparation temporaire ou définitive avec l'enfant ...), il y a place pour l'espérance à insuffler, pour la réparation à proposer, pour la présence amicale qu'il faut continuer à assurer, si l'autre en veut encore bien ...

   - Enfin, il ne suffit pas de désapprouver quelqu'un, et de lui faire la morale pour qu'il modifie son comportement. Encore faut-iI accompagner ce qui se passera par la suite, en assurant à ses côtés une présence plus bienveillante que persécutante et en travaillant à ce que naissent des conditions de vie plus confortables, qui le pousseront moins à récidiver.

IV. SUR QUI S'APPUYER - POUR REALISER CES DIFFERENTES PARTIES DU PROGRAMME



Idéalement, les parents devraient garantir l'ensemble de ce programme en première ligne et être éventuellement soutenus par des psychologues et des travailleurs sociaux lorsqu'ils traversent des passages délicats et par le magistrat lorsque le jeune en arrive à poser des actes antisociaux importants.

Ces différentes personnes devraient se concerter et prendre des rôles complémentaires tels que, par leur ensemble, ils garantissent que la loi sera davantage respectée, les dégâts commis remboursés dans la mesure du possible et aussi, que le jeune soit soutenu dans des efforts difficiles et continue à'avoir confiance en sa valeur.

Pratiquement, des pièges nombreux vont surgir sur la route de cet ensemble de personnes : nous en avons déjà évoqué l'un ou l'autre, notamment l'inconstance de l'exigence de dédommagement : quand le jeune est transféré d'un lieu de vie à un autre, son nouveau milieu a tendance à « tourner la page », ce qui peut être une incitation à l'instabilité, puisque celle-ci conduit à annuler l'exigence d'efforts désagréables.

Par ailleurs, les transgressions sont souvent partiellement liées à des attitudes parentales inadéquates et, s'ils ne sont pas soutenus au point de mieux comprendre le sens de leurs attitudes préalables et de les remettre en question, les parents risquent de reproduire bien vite ce qui s'était pourtant avéré précipiter le passage à l'acte : démission, absence de témoignage de valeurs, complicité secrète ou non, sabotage par l'une des attitudes de l'autre, excès d'exigences, surprotection et gavage, etc. Il faut d'abord tenter de modifier auprès d'eux ce qui peut l'être. Par ailleurs, nous savons très bien que les efforts de psychologues et de travailleurs sociaux à les mobiliser ne sont pas toujours couronnés de succès!!

Dans les cas assez nombreux où l'on est raisonnablement certain que les parents ne s'ébranleront pas, la concertation évoquée précédemment n'est pas possible. Le pronostic en devient plus défavorable, mais pas désespéré : plutôt que de jouer les naïfs et de se montrer faussement confiants dans l'aide que donneront les parents, mieux vaut alors mettre cartes sur table et expliciter à tout le monde - eux compris - que, dans ce champ-là, on ne compte pas sur leur appui : ils ont de bonnes raisons émotionnelles pour ne pas s'ébranler pour le moment. C'est à d'autres membres du réseau à prendre, en tout ou en partie, la responsabilité d'organiser le dédommagement et même de stimuler les forces de réparation du jeune, en lui rappelant régulièrement qu'il a encore moins de facilités qu'un autre, vu l'inertie ou l'hostilité de ses parents à l'égard de ses idées, et en analysant si c'est possible comment la famille s'y prend pour les contrecarrer.

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