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Lenfant "est" son corps et en même temps, celui-ci constitue, pour le sujet enfant qui s’introspecte et pilote ce qu’il est, un « objet », un lieu où s’investissent mille fonctions.En voici quelques exemples :

 

  L’enfant entretient avec son corps un rapport de curiosité et de connaissance :

 

 

 Lieu bien visible, audible et palpable, surprenant, grouillant de vie, source de phénomènes qui échappent parfois à la volonté,tant son propre corps que celui des autres sont d’abord pour l’enfant lobjet dune grande curiosité scientifique : il en comprend progressivement la composition et le fonctionnement par l’observation, par la comparaison de soi avec les adultes ou avec ses pairs : « On a tous un nombril, alors, mais à quoi ça sert ? », « Ooooh, ma petite cousine dans son bain, elle a pas de zizi ». Il écoute les autres et les messages des média. Il lit éventuellement encore quelque peu, ou va surfer sur Internet pour glaner de l’information. Il fait de multiples expérimentations, et finalement réfléchit beaucoup pour décrire, classer, synthétiser et induire des hypothèses ou des lois de fonctionnement.  

 

Tout ceci ne se fait pas sans grands moments d’angoisse, face à un inconnu désarçonnant – le sang qui coule ; ce qui fait mal – ou face au résultat inattendu d’une expérience. Mais en fin de compte, les découvertes sont passionnantes.

 

ILL : Lilou ( seize mois ) debout toute nue dans sa baignoire fait tout à coup pipi. Elle peut observer pour la première fois ce jet qui lintrigue et linsécurise à la fois. Soudain, cest la grande panique, car toute cette eau dans la baignoire, serait-ce elle qui a fait tout ça ? Peut-elle sy noyer ? Est-ce que son corps nest pas occupé à se dégonfler comme un ballon ou à se dissoudre?

Elle hurle pour quon la sorte, en sauvant néanmoins du déluge les deux petits jouets avec lesquelles elle sébattait. Sa maman la calme, puis lui montre et lui explique que leau coule du robinet. Un peu inquiète toujours, Lilou veut bien reprendre son bain.

 Au long de ce voyage de  prise de possession intellectuelle du corps, trois grands défis attendent  chaque enfant : 

  1. Assumer la différence des sexes, principalement son aspect somatique au début. Il travaille intensément là-dessus entre ses quatre et ses six ans, faisant intervenir plusieurs opérations :  il faut généraliser « Cest toutes les filles qui sont faites de la même manière, et pas seulement ma petite sœur qui serait une erreur de la nature » ; il faut comprendre qu’il s’agit d’une différence, autour de l’intériorité ou de l’extériorité des organes, et pas d’une déficience d’un sexe par rapport à un autre ; il faut faire sien le principe que la sexuation, c’est solide, chevillé au corps et irréversible ; enfin, pour les vrais curieux, c’est à dire pour le  grand nombre, reste à résoudre la question de lorigine et de la finalité : Pourquoi est-on différents dans certaines zones du corps ? A quoi cela sert-il ? Pas seulement à garnir et à faire pipi ?

Par la suite, durant l’enfance et l’adolescence, l’enfant aura encore l’occasion d’intégrer que la différence des sexes, c’est aussi du psychologique ; du masculin et du féminin, avec, cerise sur le gâteau, leur distribution irrégulière chez chacun.

 2.Appliquer au corps lidée piagétienne de  « permanence de lobjet ». Le corps reste le même, quelles que soient les manipulations ordinaires de la vie quotidienne. Aucune magie ne peut en détacher, en rajouter ou en transformer une partie : tout enfant de sept ans  est presque complètement totalement sûr qu’il ne peut pas endurer pour du vrai les malheurs de Pinocchio!

L’enfant y intègre cependant un savoir sur la croissance, sur la maladie et l’accident,  mais en tant que phénomènes naturels ou événementiels, et pas en tant que coups de magie   : on perd ses dents de petit parce qu’on grandit, et pas pour avoir jadis mordu le sein de sa maman ou le bras d’un rival. 

3. Le troisième défi amène à intégrer un savoir plus triste et pour certains plus douloureux. Entre ses huit et ses dix ans, l’enfant va prendre conscience de luniversalité de la mort, c’est à dire de la condition mortelle de son corps à lui et du corps de ceux qu’il aime. Certes, depuis ses quatre-cinq ans, il commençait à apprivoiser le concept de la mort ; il avait même fini par comprendre que c’était une destruction irrévocable du corps, et non plus une sorte de voyage réversible dans un univers parallèle. Mais maintenant, il découvre qu’elle le touchera, lui aussi et qu’elle emportera ses parents. Beaucoup d’enfants mettent rapidement à distance cette idée – « La mort, cest pour quand on est très vieux » -. Mais quelques-uns, les plus sensibles, connaissent d’énormes angoisses là-autour, surtout en période de problématique affective associée. Quelques autres, solitaires, désespérés ou terrorisés par leur environnement, commencent à caresser l’idée de se donner la mort et peuvent même passer à l’acte ; connaître, c’est aussi se donner le pouvoir d’actions bien conçues : chaque année quelques accidents domestiques ou de la circulation constituent en fait des suicides ou des tentatives de suicide de l’enfant, déniés par l’entourage.  

Quant aux enfants en phase terminale de maladie, la prescience de leur propre mort est variable, mais ceux qui y pensent sont parfois bien seuls, parce qu’ils ne veulent pas faire de peine à leurs parents en leur en parlant – un des derniers cadeaux qu’ils pensent pouvoir leur faire ! - et les soignants ne sont pas toujours ni matériellement ni émotionnellement disponibles pour interroger délicatement leurs pensées ou capter leurs allusions.

 

 Le corps sert au pouvoir

 

 Un pouvoir sur le corps 

Dès leur plus jeune âgeune bonne partie des enfants en bonne santé aiment montrer quils ont le pouvoir de décider du fonctionnement de leur corps.

Un bébé de six mois peut déjà détourner prestement la tête quand s’approche la cuillère de panade. Par la suite, il fera des histoires pour résister à toutes sortes de gestes de nursing, la mise sur le pot par exemple. 

Pendant la période de lécole primaire, beaucoup  deviennent passablement plus raisonnables à ce propos. Ils posent davantage des  choix sociables, tout en ayant beaucoup mieux concocté maintenant l’idée que leur corps est leur propriété. Finie, l’époque préscolaire où les enfants croyaient que leurs proches avaient tous les droits : « Viens te faire câliner sur mes genoux  va faire un bisou à ta tante ». S’il leur arrive encore d’obéir contre leur gré, c’est parce qu’ils cèdent à la force, tout en pestant in petto et en pensant que l’on abuse d’eux.

Ces considérations portent parfois sur des matières graves, comme l’abus sexuel : l’enfant d’âge préscolaire considère comme normal qu’on dispose de son corps, surtout si l’on utilise la pseudo-gentillesse. L’enfant plus âgé sait que l’on a abusé de ses droits, de son territoire, de son intimité, toutes les fois où il n’est pas d’accord pour participer à une activité sexuelle, mais il peut se soumettre par peur et garder le silence par culpabilité.

J’ai toujours encouragé les parents à reconnaître ce droit de propriété, assorti à un droit de plus en plus large de gestion, pour peu qu’elle soit conviviale et qu’elle ne mette pas ce corps en danger. Plus encore : dire aux enfants que c’est un devoir qu’ils contribuent à faire respecter leur corps. 

Un pouvoir par le corps

 

A ladolescence notamment,  réaffirmer son pouvoir via le corps, et souvent un pouvoir de contestation, redevient prisé par beaucoup. Ça peut aller de l’affirmation de soi originale et amusante, puis de la transgression encore mineure jusqu’à d’énormes provocations, actes antisociaux ou manifestations psychopathologiques. 

Citons pêle-mêle : les revendications en matière d’habillage, d’alimentation, de sommeil ; les entraînements sportifs démesurés ; les aléas de la compliance médicamenteuse chez les malades chroniques, notamment les diabétiques ; les plaisirs plus ou moins abondants, licites et secrets que l’on fait goûter au corps, par les consommations de produits divers, la sexualité tous azimuts, etc. ; les conduites téméraires à plus ou moins grand risque ; les piercings et autres scarifications ; l’anorexie ; le suicide qui a parfois lieu surtout pour s’affirmer, définitivement, dans une zone où très peu osent aller, etc.

Et c’est aussi souvent le corps qui est utilisé dans les actes d’agressivité et de violence, comme instrument d‘exercice de celles-ci. 

ILL. Je reçois Arnaud ( quinze ans et demi ), dont j’ai demandé qu’il soit accompagné par son père. Je ne l’avais plus vu depuis deux ans, eu égard à son excellente évolution. Arnaud a présenté depuis sa tendre enfance un autisme de haut niveau dont l’évolution a été lente, mais remarquablement positive. Aujourd’hui, il fréquente un lycée d’enseignement général et est parmi les premiers de sa classe de 4ième. Quelques séquelles lui demeurent cependant : un regard évitant, de rares amis, une hypersensibilité à la moquerie, un peu de mal à comprendre les métaphores … .

Le motif de la consultation c’est que son père s’alarme parce que, depuis quelques mois, Arnaud, jeune homme habituellement bien élevé, s’est déjà bagarré physiquement , et pas un peu, avec des jeunes de son âge. Je découvre vite que ces bagarres ne sont pas sans motif : ce sont des jeunes qui l’ont provoqué, insécurisé ou humilié de façon banale. Arnaud me dit lui-même : « Maintenant, c’est nouveau, je me lâche». Je l’aide à bien comprendre les stimulus déclencheurs : au fond, il n’est pas encore tout à fait complètement sur qu’il n’est pas idiot ; d’ailleurs, pour faire rire les autres, il aime parfois faire l’idiot, mais quand on lui renvoie le mot à la figure, alors, ça explose … . Je l’invite à considérer son agressivité comme une force positive en lui, je le félicite parce qu’il l’exprime, mais je l’invite à trouver des formes socialement acceptables, qui ne le mettent pas dedans ( des gros mots plutôt que des gros coups ). Mais ce que je veux montrer tout simplement par cette illustration, c’est combien peut être importante pour un jeune la découverte du pouvoir corporel qu’il a en soi : « maintenant, c’est nouveau, je me lâche » … . 

Dans ces revendications d’autogestion du corps, nous trouvons toujours opérantes une ou les deux dimensions de l’agressivité ( lien avec dossier thématique ) : une dimension gratuite de conquête joyeuse, inflative, de toujours plus de puissance et une dimension défensive, d’autoprotection, contre des menaces réelles ou imaginaires : Que leur veut vraiment leur mère, à ces jeunes ados, à courir derrière eux avec une écharpe quand il fait froid ? Les ligoter à nouveau, bien sûr ! Alors, il faut taper le poing sur la table pour bien montrer qu’on reste propriétaire [  Laufer, 2000 ]. 

ILL. Dans le beau film de P. Weir « Le cercle des poètes disparus » ( 1989 ), le suicide du jeune Neil peut se comprendre de la sorte. Les symboles auxquels recourt le cinéaste à ce moment du film sont admirables. Après une dernière altercation avec son père dune intrusion étouffante et sans la moindre protection de sa mère inconsistante, on voit Neil se dénuder, face à un paysage glacé, et se revêtir de la couronne qui représente la réalisation de son Soi artiste [2], avant de se donner la mort.

 

 Pouvons-nous accepter que grands enfants et adolescents réclament   un droit de propriété sur leur corps ? 

 

 

 

Oui, dans le sens où nous n’avons pas à en user et à en abuser pour notre seul pouvoir ou plaisir. « Mon corps, cest mon corps », chantait la pionnière des chansons québécoises portant sur la prévention de l’abus sexuel, début des années 1980. 

Oui, à condition que la gestion reste fondamentalement sociable : pas de destructions de soi et des autres, bien sûr ; pas de provocations choquantes non plus : l’ado doit se laver, même si quelques uns aimeraient bien s’affirmer et se protéger par leur puanteur. Mais vous devinez bien les limites floues qu’un tel principe introduit : pour du piercing modéré … Ou pour trois joints hebdomadaires, qui décide ? 

Oui, à condition qu’un « statut de l’enfance » soit pris en compte : plus on est jeunes, moins on est lucides sur tous les enjeux, moins la liberté intérieure est capable de choix à long terme … donc, avec une intensité dégressive dans le temps, les parents ont un droit d’ingérence pour de bonnes causes : par exemple, exiger un nombre d’heures de sommeil raisonnable. Ici aussi, vous devinez bien les conflits d’appréciation qu’un tel principe peut générer. Ils font partie de la vie. 

Plus fondamentalement encore se pose la question : « Chacun est-il le propriétaire exclusif de son corps ou l’usufruitier, prié par l’Aventure de la Vie de gérer un capital corporel et affectif qui lui a été attribué? » Si tel est le cas, il pourrait bien avoir des comptes à rendre à la Vie, in fine, c’est à dire à la communauté qui la représente, sur la manière dont il a fait fructifier ou dilapidé son capital.

 

 

C’est très intuitif  vers deux ans, âge où une sorte de fierté jubilatoire primitive habite déjà l’enfant ; il aime les productions qui  sortent de son corps, les bruits, les jeux de sa voix, les excrétions, tous signes de la puissance de son usine.

Son corps est plus dans l’action que devant le miroir.  L’enfant de deux, trois ans aime faire mille cabrioles et singeries, trotter loin de sa maman sans se retourner, prendre des risques, se dépenser et se dépasser physiquement, car il croit son corps invulnérable ;  il n’a pas encore reçu assez de chocs en retour de la réalité externe pour assimiler la  prudence. 

Vers quatre-cinq ans, cet amour est toujours là, mais plus réfléchi et identifié par l’enfant comme tel : l’enfant peut dire qu’il se trouve beau, se réjouir de qualités physiques ou morales qu’il trouve tout seul ou qu’on lui reconnaît, apprécier de porter des jolis vêtements et d’autre parures 

 Les parties sexuées de son corps deviennent elles aussi l’objet de son amour et de sa fierté,  immédiatement chez la grande majorité d’entre eux. Chez quelques filles, c’est parfois précédé d’une petite période d’hésitation,  dépitées qu’elles sont alors de ne pas avoir la même garniture visible et sautillante que leurs petits frères. Mais, aujourd’hui, dans les familles où les parents sont eux-mêmes « bien dans leur corps » , cet occasionnel petit dépit ne dure pas bien longtemps : les filles comprennent vite la différence et l’égale valeur de l’intériorité ou de l’extériorité des organes sexuels.

Complémentairement, autour de leur cinq-six ans, on voit aussi quelques petits garçons envieux ; ils voudraient rester garçons, certes, mais aussi avoir ce qu’ont les filles : les seins des grandes, les bébés dans le ventre, et tous ces beaux atours portés par leur maman, leur grande sœur et les dames clinquantes, affichées  partout dans les médias : les voici donc exigeant de recevoir des poupées, portant vêtements et parures des filles, parfois au grand dam des parents inquiets pour l’avenir de l’identité sexuée de ces petits gourmands de tout. 

 

A l’âge de l’école primaire, l’investissement positif du corps se poursuit chez le grand nombre : beaucoup de garçons l’incarnent surtout dans les prouesses de leur musculature, et les filles, dans le soin de leur look, destiné à recevoir sur elles le regard des autres. Pour une minorité, le mélange du masculin et du féminin en chacun est plus subtil. Il existe donc des filles qui, en s’assumant et en aimant bien être filles, montent plus haut aux arbres que les garçons, et des garçons très attentifs à leur look, auquel ils donnent une touche un peu féminine – bracelets ras de cous et anneau à l’oreille aidant -, tout en s’assumant comme de vrais garçons. Attention donc aux simplismes et aux préoccupations superflues sur l’identité sexuée et sur les orientations sexuelles à venir : ce n’est qu’en écoutant le sujet se dire, dire ce qu’il aime et n’aime pas en lui, notamment autour de sa sexuation, que l’on peut se faire une religion plus sûre. 

 

Ensuite, pour beaucoup [3] d’adolescents, le corps demeure une dimension importante de l’être. Il s’agit d’en enregistrer et d’en assumer les mutations sexuelles primaires et secondaires, ainsi que les mutations générales. Leurs réactions  face à celles-ci sont des plus variables : indifférence ou sérénité qui accepte le cours naturel de la vie, joie à grandir, mais parfois aussi des sentiments négatifs.

Ce que l’on constate chez beaucoup, ce sont des fluctuations à rythme et à succession irrégulière : pendant quelques semaines, deux, trois mois, il y a une phase que l’on pourrait appeler raisonnable, oui, ça peut arriver, même aux ados ; puis une phase d’exaltation et d’exultation : le corps et ses parures sont très valorisés et exposés bruyamment au regard censé admiratif des autres. Et puis, c’est la phase de grand doute, de repli du corps sur soi, où l’ado, peut-être parce qu’il vient d’être critiqué par un pair important à ses yeux – donc un double, détenteur de beaucoup de vérité à ses yeux – l’ado donc se sent le plus con et le plus moche du monde. Heureusement qu’alors il y a les baladeurs MP3 avec, pour les garçons, la masturbation consolatrice et pour les filles, le chocolat, pour se redonner le courage de sortir du lit où l’on végète dans la morosité.

 

Et quand le rapport est négatif ? 

  

 Il y a d’abord les angoisses, vécues à l’état pur ou mêlées à d’autres sentiments. Je décris dans un autre article les angoisses à propos d’une intervention médicale surtout chirurgicale. Il s’intitule

Soins dentaires et petits soins intrusifs chez l'enfant: aspects psychologiques

 D’autres enfants ont des inquiétudes irrationnelles pour leur santé en général ou à l’idée de telle maladie précise. Ils s’inspirent assez souvent d’un problème existant dans leur famille, qui les a impressionnés. Ils ont donc tendance à l’hypocondrie, avec des comportements de vérification plus ou moins obsessionnels (TOCS). Quelques adolescent(e)s ont des peurs sexuelles sans fondement objectif : avoir attrapé le SIDA, être enceinte … cette angoisse est parfois simplement provoquée par une imagination débordante, mais elle peut constituer , aussi une sorte d’autopunition, avec sous-jacente, la culpabilité d’avoir posé des activités sexuelles estimées transgressives. Enfin, la préoccupation anxieuse peut se mêler à la honte, dont je vais parler tout de suite, à propos de problèmes précis : Prototype : taille du pénis ou des seins. 

 B.Et les souffrances narcissiques? 

 

Il s’agit d’enfants et encore plus d’adolescents qui disqualifient leur corps, en tout ou en partie. C’est assez souvent en résonance avec des attitudes de l’entourage, mais pas nécessairement toujours. L’enfant s’évalue négativement, en est triste, perd de l’estime pour soi, et est honteux à l’idée de s’affronter aux autres, qu’il évite plus ou moins. Dans les cas les plus graves, il peut être très préoccupé, jusqu’à l’obsession, et fuir tout contact (phobie sociale)

Sa disqualification porte sur :

Ÿ         Une partie précise du corps : une cicatrice, les oreilles, le nez, les organes génitaux…

Ÿ         La taille ( le plus souvent parce qu’elle est petite ) ; le poids ( l’anorexie peut s’installer, si coexistent d’autres facteurs, comme une forte ambivalence vis-à-vis des parents ).

Ÿ         Le corps en général, jugé « moche, con ». Attitude transitoire chez beaucoup d’ados … mais parfois beaucoup plus chronique, souvent dans le contexte de la rivalité fraternelle : l’enfant a ici l’impression qu’on lui préfère sa fratrie. 

    C La haine pour soi ? Encore plus que se disqualifier, que mépriser leur corps et que vivre des sentiments d’infériorité, certains enfants rejettent activement ce corps qu’ils vivent comme un « mauvais objet ».

Il peut s’en suivre des actes d’auto agression masqués. Masqués parce que vécus inconsciemment ou parce qu’il ne veut pas que l’entourage les reconnaisse trop vite comme tels. Ou des actes d’auto agression clairs et nets :

Vêtements négligés ou repoussants ; manque d’hygiène et de soins pour le corps ; auto mutilation, scarifications multiples ; piercing multiples ; certaines conduites négativistes à risque, jusqu’à tenter certains types de TS ou de suicides réussis (souvent violentes : ils cherchent à détruire ce corps qu’ils haïssent)

Cette haine de soi est souvent en résonance avec une attitude analogue chez un ou les deux parents, qui vivent eux aussi l’enfant comme « mauvais objet ». On la voit p. ex. s’installer chez un certain nombre d’enfants battus, avec, en plus et inconsciemment, la mise en place d’un mécanisme masochiste.

Mais parfois l’enfant se trompe, en tout cas sur l’intentionnalité de ses parents. 

Par exemple, tel préadolescent devient négativiste, avec des idées de mort, peu après la séparation de ses parents qui lui a fait perdre sa place de petit prince chéri à temps plein : il me dessine un corps dénudé, bardé de griffes, occupé à se suicider d’un coups de revolver sur la tempe.  

Ce cas n’est pas unique, j’en ai vu bien des autres  où la haine de soi était principalement lié à une hypersensibilité maladive et pessimiste de l’enfant, et où les parents mettaient en vain beaucoup d’énergie à tenter de le valoriser. 

ILL : A neuf ans, Arthur souffre moralement beaucoup de son hyperkinésie. Il est rejeté par tous les autres et constamment réprimandé par ses professeurs. Son agressivité va en croissant : il cogne de plus en plus sur ceux qui le critiquent, selon ladage bien connu : « un mauvais objet ne peut se conduire que de façon mauvaise », avec un peu dimpulsivité organique qui ly prédispose en plus. Après trois ans de traitement où se combinent Rilatine, séances individuelles, guidance des parents et dialogue avec la nouvelle école vers où on lavait sagement réorienté Arthur, celui-ci est redevenu confiant en lui, souriant et performant ; il est tellement content de laide reçue que, pour me dire au revoir à la fin de sa dernière séance de thérapie, il me modèle en plasticine un splendide symbole phallique, à faire pâlir denvie le David de Michel-Ange. 

D.   Le trouble de l’identité sexuée, en ce inclus sa forme la plus extrême qu’est le transsexualisme et la volonté transgenre, constituent une autre manière de ne pas aimer son corps, ici, dans ses caractéristiques sexuelles. L’enfant voudrait avoir les attributs de l’autre sexe jusqu’à penser, dans le cas du transsexualisme, que son corps d’aujourd’hui est une erreur de la nature et n’exprime pas son identité profonde. Je parle en détails de ce trouble dans le livre

la sexualité de l'enfant. 43 et sq, et p. 123   et sq.

 

 Amour ou haine du corps, image du corps et estime de soi

 

Les sentiments que l’enfant éprouvent pour son corps concernent le corps réel, externe. Mais il existe une représentation interne permanente de ce corps, en partie consciente, en partie inconsciente. Elle est modelée par l’intelligence de l’enfant, par ce qu’ils croit percevoir ou entendre dire de son corps, et par les sentiments qu’il éprouve pour celui-ci. Mais, au niveau de la genèse des sentiments , elle est à la fois conséquence et cause : c’est, comme pour un boomerang, à partir de cette représentation que se remodèlent les sentiments ; réciproquement cette représentation, travaillé par la raison, l’imagination et les affects, c’est-ce que les psychanalystes appellent « l’image du corps » : la subjectivité de l’enfant la crée et la remanie à l’envi, à partir de mille expériences personnelles et relationnelles qui concernent le corps - ou le discours sur lui - : expériences plaisantes, déplaisantes, douces, anxiogènes, énigmatiques, à travers lesquelles l’image s’écarte de la réalité anatomique et se charge de symboles.

 

 L’amour et l’estime pour le corps - ou leur inverse - constituent une partie importante et originaire de l’estime de soi - ou de son inverse -. On parle aussi de bonne ou de mauvaise image de soi. Au début de la vie, l’appréhension de Soi par le petit enfant n’est pas loin de se réduire à son Soi corporel . Quand on demande à un bambin de 20 mois « Où il est, Quentin ? », il répond, jubilant en se frappant la poitrine «  ». Là, c’est le lieu du corps dont il vient tout juste de saisir l’entité . Quentin ne différencie pas encore très bien Quentin psychique et Quentin corporel.

 

Petit à petit, l’enfant va  découvrir qu’il est un au-delà du corps. C’est-à-dire qu’il a une pensée, une capacité de projet, un petit « Moi - ingénieur », des qualités morales et des défauts, un caractère … constitutifs d’une autre dimension de Soi pour lequel il aura aussi de l’estime ou de la honte.

Mais, dans de nombreuses conditions de bonne santé mentale - les plus usuelles dirons-nous - les deux vont ensemble : l’enfant apprécie son corps et apprécie ce qu’il est spirituellement.

A l’inverse, quand il y a une forte haine pour soi, c’est souvent son Soi corporel et spirituel qui sont concernés.

Dans certains cas encore normaux, et surtout au fur et à mesure du vieillissement, certaines dissociations sont possibles : Tel grand enfant ou ado pense « bof » de son corps objectivement ingrat, mais se rattrape en développant ses qualités spirituelles. 

Notes

 

  1. Sa couronne m’avait fait penser aussi à la couronne d’épines du Christ, porteuse de tant de souffrances non dites ! 
  1. Pour beaucoup ? J’emploie souvent cette expression ! On ne peut pas généraliser, en sciences humaines cliniques ; et ce que vivent les minorités n’est pas ipso facto pathologique, et mérite d’être écouté et pris en considération. Il y a donc une minorité d’ados qui n’attachent à leur corps qu’une importance irrégulière et faible, ou alors qui ne l’engagent émotionnellement que dans une zone précise ( le sport par exemple ).