3.2.2 Enfants&ados; problèmes éthiques et droits

Droits de l'enfant? Problème éthiques? Problèmes sociaux autour de l'enfance?Je vous propose d'abord une synthèse:

 

... enfant seul 713 9ai ...

DROITS DE L'ENFANT EN BELGIQUE FRANCOPHONE AU 3e MILLENAIRE 

Je vous invite également à lire l'interview audio de l'émission radio de la RTBF «  Et Dieu dans tout ça  » du 15 novembre 2009. Sous la direction de Jean-Pol Hecq, nous avons discuté des :

 DROITS DE L'ENFANT EN BELGIQUE FRANCOPHONE .

Nous étions trois intervenants, Jean Pol Matot, responsable de la pédopsychiatrie à l'Huderf, Anne Hersovici, sociologue et moi-même.

 Les droits du mineur belge sur son corps: que dit la loi?

En 2014, j'ai procédé à une recension complète des droits du mineur sur son corps. Les responsables de la CODE m'y ont aidé : LES MINEURS ONT-ILS LE DROIT DE DISPOSER DE LEUR CORPS ? 

Ce qui était écrit là était valable...en 2014....mais les législations vont vite...nos législateurs souffrent même de législatite suraigüe....je ne suis pas sûr de la validité à long terme du texte ! Par exemple, en 2018, la loi sur les transgenres a stipulé qu'un jeune de 12 ans pouvait déjà changer de prénom, et un de 16, changer officiellement de sexe; accompagné de ses parents ou d'un tuteur ad hoc. Et en 2018, la loi vient d'abaisser à 14 ans le droit à avoir des relations sexuelles consenties, avec partenaire de 19 ans maximum  

Viennent ensuite des articles sur des  thèmes plus précis:  

 

A PROPOS DES BEBES MEDICAMENTS

UN CADEAU? MAIS IL A DEJA TOUT

      Petit interview sans prétention donné à la RTBF

 

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CANNABIS, ADOS ET CHIENS PISTEURS

        De grâce, gardez vos chiens loin des écoles... 

FORMES CONTEMPORAINES DU DESIR-PROJET D'ENFANT

       Comment nos désirs et attentes contemporaines sur l'enfant contribuent à le subjectiver ou à l'aliéner dans notre désir d'emprise.

 

 

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ENFANTS DISPARUS ET OUBLIES

ECOLE A DOMICILE

    Forum de midi de la RTBF radio en mars 2015: Le nombre d'enfants scolarisés à domicile va croissant. Pour écouter le document audio,  cliquez ici

EUTHANASIE DES MINEURS D'AGE

          Forum de midi de la RTBF radio. Pour écouter le document audio,   cliquez ici 

EXCLUSION D UN JEUNE HORS D UNE INSTITUTION

Quand le "remède" est pire que le mal : jeunes exclus (de l'école, de la maison d'enfants) après une transgression grave...

LA FESSEE: QUAND LE CAPITAINE HADDOCK S'EN MELE

FILIATION ET MIGRATION

Relations entre les liens de parenté et de filiation et le projet de migrer

VIVRE AVEC UNE PERSONNE PORTEUSE D'UN HANDICAP 

HYPERSEXUALITE DES ENFANTS

  Forum de midi de la RTBF radio. Pour écouter le document audio, cliquez ici

MEDITATION SUR LA MALTRAITANCE

L'AFFAIRE D'OUTREAU ET SES DURS ENSEIGNEMENTS 

RESEAUX DE SOINS: ASPECTS ETHIQUES ET DEONTOLOGIQUES

SECURITE : ENTRE PROTECTION ET PRISE DE RISQUES

SOINS INTENSIFS PEDIATRIQUES : ASPECTS ETHIQUES

 

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 Extrait du film : Ma vie en rose (A. Berliner, 1997)

 MINEURS TRANSGENRE : CRITIQUE DE LA LEGISLATION BELGE 2018 

          Méditation sur la législatite anarchico-aigüe dont souffrent nos politiciens

LA VULNERABILITE DE L'ENFANT

 



En mars 2009, la revue Repères de l'Ecole des parents et des éducateurs, m'a confié la rédaction de son éditorial.



2009 commence à peine : nous avons été choqués par le drame de Termonde. Juste après, une bande d'ados vandales qui va effrayer les élèves de l'athénée d'Alleur en plein repas de midi, et puis deux autres qui s'exercent au painting ball dans une autre école, dans la région de Charleroi ! Et juste au moment de mettre en pages, c'est la tuerie de Stuttgart, pour se donner enfin le sentiment d'exister et d'être reconnu ! Voilà pour le spectaculaire, qui reste exceptionnel dans son horreur ou sa bruyance stupide !

sécurité-avions


Mais à côté, que d'agressions dont on ne parle pas, plus discrètes ou mineures dans leurs résultats tangibles, mais parfois fort traumatisantes psychiquement : rackets, vols à l'arraché, propositions sexuelles brutales, scènes de violence domestique, insultes ou remarques radicalement injustes venant des autres, des profs, des parents eux-mêmes. Le monde dans lequel grandissent nos enfants n'est décidément pas sans embûches ni épines !

Néanmoins dans notre société belge riche et bien organisée au bénéfice du grand nombre, la vie est plus souvent positive que source d'agressions. Les enfants reçoivent largement leur dû en amour, en protection, en stimulations, en biens matériels ... Notre société est plutôt pacifique et bon enfant.
Ce n'est pas chez nous que le gouvernement obtiendrait facilement de la population, comme si c'était là une attitude citoyenne, la délation des plus misérables, par exemple ceux qui n'ont pas de papiers. Ça, c'est pour les fans de théo frenken, Marine le Pen et Berlusconi.


Même si des émotions fortes de peine, d'angoisse et de vindicte nous assaillent lorsqu'on s'en prend aux plus faibles autour de nous, il nous faut à la fois les accepter et les maîtriser et planifier l'éducation et l'organisation sociale en référence à notre raison.

Et que me dit la mienne ? Que notre première responsabilité reste de montrer à nos enfants qu'il fait bon vivre chez nous. Que vivre, prendre son envol, se donner de l'autonomie, c'est chouette. Que la vie n'est pas absurde, comme le pensait le jeune tueur de Stuttgart, mais qu'on peut y réaliser mille beaux projets, auxquels on tient, et être reconnu par eux. Que vivre, c'est parfois prendre des risques et aller à l'aventure et donc les parents, même anxieux, ne doivent pas se donner l'illusion de contrôler tous les agissements, risques et imprudences de leurs bambins via filtres parentaux, portables avec GPS incorporés et autres webcams dissimulées dans les pots de fleurs.

Ma raison me dit encore que, dans cet espace de vie que nous ouvrons à nos enfants, il nous revient de les encourager et de les entraîner à être lucides, forts et efficaces.
Lucides ? Qu'ils apprennent à décoder : les intentions des autres, les messages des médias, ceux d'Internet. Qu'ils apprennent à évaluer les risques qu'ils prennent : lorsqu'ils affirment leurs opinions, lorsqu'ils partent à l'aventure, lorsqu'ils font étalage de leurs richesses au nez de ceux qui se sentent exclus, etc.
Forts et efficaces ? D'abord et avant tout, en ayant confiance dans le fait qu'ils peuvent l'être. En ne disqualifiant pas d'un air entendu leurs stratégies spontanées d'auto-défense. En Allemagne quelques ados ont sauvé leur vie en sautant par la fenêtre ou en descendant d'une échelle : bravo pour leur pouvoir d'initiative et leur énergie ! Une puéricultrice stagiaire en avait fait autant à Termonde, en prenant un bébé avec elle.

En nous réjouissant quand ils savent prendre leur place, en en remettant d'autres à la leur, même si c'est parfois à nos dépens : de temps en temps, nous les méritons bien, les « non », et les protestations qu'ils nous opposent.

Une autre responsabilité délicate à gérer, c'est la qualité de notre accueil face à leurs confidences et à leurs demandes d'aide :

  - Ecouter d'une oreille attentive et sans à priori les confidences qui nous embarrassent ( le grand fils de nos voisins et amis, qui les « embête » de façon trouble ; l'instituteur qui a vraiment l'air de ne pas supporter notre jeune hyperkinétique ...)

  - Chercher avec eux quelle est la meilleure stratégie pour réduire la difficulté du moment : jusqu'à quel point vaut-il mieux qu'ils se débrouillent seuls ? Jusqu'à quel point devons-nous nous engager à leurs côtés, voire à leur place ? Attention aux réflexes trop rapides dans ce domaine !

solidarité


De façon plus diffuse, « sociétale », toutes nos communautés de vie ont besoins de solidarité. Que nous veillions les uns sur les autres et surtout sur les plus faibles. Que nous nous donnions le droit d'aller vers celui qui a l'air de souffrir tout seul. De demander à celui qui semble menacé s'il n'a pas besoin d'un coup de main. Que nous n'acceptions pas l'exclusion, à tous les âges de la vie : c'est cet engagement de chacun pour l'autre, cette place donnée par chacun à l'autre qui, radicalement, renforce la sécurité d'une société.

Faut-il franchir un pas de plus et investir en moyens matériels supplémentaires de sécurisation dans nos crèches, nos écoles ? Je n'en suis pas convaincu. C'est aller contre notre culture, plutôt ouverte et accueillante. Nous vivons dans un pays où existe bien un portail de sécurité à l'entrée du Palais de Justice le plus massif qui soit. Mais il ne fonctionne pas, ou il suffit de passer à côté ! Quel superbe symbole  !

En outre, ces moyens techniques sont largement inefficaces : voyez ce qui se passe dans des sociétés qui essaient d'être plus sécurisées, comme les USA : c'est là, qu'ont lieu les actes de violence les plus graves. Ces moyens ne font jamais qu'exciter les plus pervers et les plus rusés à les ridiculiser, comme des défis à abattre.
Je préfère donc que nous misions sur des attitudes, celles de solidarité que je viens d'évoquer. Un peu plus de vigilance non-naïve, sans doute ! Et encore, donner de l'importance à tout le monde, de manière à ne pas générer des exclus qui crachent la haine du haut de leurs 17 ans !

Et donc pour boucler la boucle, je reviens à l'idée d'une société belge dans laquelle il fait bon vivre. Ce n'est vrai que statistiquement bien sûr !
Je n'oublie pas les familles qui vivent dans la précarité et la pauvreté, dont la proportion ne cesse de croître. Ni les sans papiers et leurs enfants qui continuent souvent à faire l'objet de traitements indignes des droits humains. Ni tous ces enfants et adolescents trop seuls, physiquement ou moralement, dans la semi-indifférence d'adultes occupés à se donner le droit d'être eux-mêmes. Eux aussi, ont bien besoin de solidarité pour les protéger des mêmes agressions que tout le monde, mais aussi pour s'entendre reconnaître une valeur au quotidien.



En février 2009, l'hebdomadaire Le ligueur de la ligue des familles m'a demandé de réagir au drame de Termonde

( pour mémoire, fin janvier 2009, à Termonde, un jeune de 19 ans, vraisemblablement schizophrène a brutalement attaqué une crèche et y a tué deux bébés et une adulte )

Termonde : dites à vos enfants que vous les protégez

 

Des images d’enfants et d’adultes en pleurs, des peluches, des fleurs, des bougies, quelques mots balbutiés par les uns et les autres sur l’horreur de qui s’est passé et des commentaires de journalistes qui n’en finissent plus de tourner sur eux-mêmes. Et nous, parents, nous sommes là face au petit écran avec nos enfants qui nous interrogent du regard et qui ont peur. Comment les rassurer, leur promettre qu’ils sont en sécurité, que personne ne rentrera dans l’école, le club de sport, la garderie pour leur faire du mal ? 

″Rien qu’à voir sa tête, on voit bien qu’il est méchant!″ ″Faut le tuer! Sur la chaise électrique! Comme ça, il souffrira!″ ″C’est quoi, une puéricultrice ?″ Dans cette cour de récréation, ce lundi, après le carnage de Termonde, les commentaires des jeunes élèves vont bon train. Une question revient, permanente: ″Pourquoi il a fait ça ?″ Et d’aucuns pensent à leur crèche, devenue celle d’un petit frère, d’un voisin… Une crèche de village où l’on entre sans sonner, la porte toujours ouverte. N’est-ce pas dangereux?

Mettre des mots sur des émotions

 

Adultes comme enfants, nous sommes tous horrifiés, bouleversés, un peu ou beaucoup inquiets suivant notre situation familiale. Nous nous ressentons impuissants face à de tels malheurs, de tels comportements. Que faire? Que dire à nos enfants ?
Certains d’entre eux, spontanément, ont dit leurs émotions et nous ont questionnés: ″J’ai peur. Et pourquoi la police n’a pas arrêté l’homme qui tue les bébés?″ D’autres ne parleront pas sans que nous les invitions, sans doute parce qu’ils ont besoin de savoir que ce qu’ils ont dans la tête nous intéresse. À la maison comme à l’école, aidons-les à dire, à exprimer des sentiments difficiles, ceux qui nous font parfois un peu honte, comme l’effroi, l’inquiétude, la colère, la haine aussi: ″J’ai envie de le tuer…″ Si les plus jeunes ont entendu ce qui s’est passé à Termonde, s’ils n’en parlent pas mais qu’ils nous semblent inquiets, proposons-leur un dessin, une autre manière de sortir ce qu’ils ont sur le cœur. 
Nous pouvons partager avec nos enfants ces sentiments que nous éprouvons tout autant qu’eux sans en rajouter ou se complaire dans le malheur. Inutile, voire même nocif, d’écouter un journal parlé ou télévisé en boucle, de ressasser les mêmes affreuses nouvelles. Vraisemblablement, plus nous voyons les mêmes images et entendons les mêmes informations, plus elles risquent d’impressionner. Ou de provoquer, par exemple, des cauchemars.

Leur dire de ne                                                                                                pas avoir peur

 

Nous devons donc tout faire pour écouter, entendre le questionnement et y répondre, tant bien que mal, avec les mots qui correspondent à l’âge de l’enfant en face de nous: ″Cet homme est malade, malade dans sa tête. Il est fou !″ À des plus âgés, on peut essayer d’expliquer davantage un aspect de certaines maladies mentales: ″ll ya des gens qui entendent des voix qui n’existent pas. Et ces voix, que personne d’autre n’entend évidemment, leur disent par exemple qu’ils doivent tuer…″
 

Nous devons aussi tenter de rechercher des informations les plus justes possibles pour nous aider à corriger les idées qui s’emballent, ici ou là: ″Non, l’homme n’a pas tué tous les bébés de plusieurs crèches. Il a été arrêté par les policiers″. Aux plus petits, affirmons très clairement: ″Papa et Maman sont toujours là, ils te protègent″. 
À tous, expliquons que le meurtrier est un hors-la-loi, qu’il sera jugé, puni, emprisonné. Ajoutons que ″les tueurs de bébés ne courent pas les villes, il en existe, c’est vrai, mais c’est exceptionnel″.
Les crèches doivent être protégées, bien sûr, mais il nous faut aussi dire à nos enfants qu’une crèche ou une école ne peuvent pas devenir château fort ou bunker. Le danger n’est pas partout, tout le temps, ils peuvent vivre sans crainte de rencontrer un tueur au coin de la rue. Réfléchissons aussi avec eux à comment ils peuvent se défendre, agir au cas où… ″Je sais bien où il faut taper pour me défendre, conclut, rassurée, une Marion de 11 ans, et je courrais plus vite que lui″.


 
Pas de vie sans risque

 

Petit à petit cependant, il nous faut leur apprendre que le risque zéro n’existe pas, qu’on ne peut jamais tout prévoir, ni malheur ni bonheur. Le risque fait partie de la vie, qu’il enrichit aussi. Garder des enfants sous cloche ne leur permet pas de devenir autonomes et leur confirme, en quelque sorte, que le danger est partout. Comment s’épanouir si on a peur de tout?
  
La tuerie de Termonde mène encore, pour les plus grands des petits, à une discussion sur les valeurs et la peine de mort. Augustin, 8 ans, a commenté à sa manière son inutilité: ″Si on tue celui qui a tué, après quelqu’un d’autre tuera aussi celui qui a tué l’autre et il n’y aura plus personne sur la Terre″.

Émotions exprimées, questions posées, réponses ébauchées… ne dépassons pas les demandes de nos enfants. Certains tourneront plus facilement la page, d’autres voudront peut-être connaître la suite de cette tragique histoire.  
À nous alors à suivre, avec eux, les informations données (Lire aussi notre page 19 du cahier Actu jeunes qui décrypte le rôle des médias à propo de ce terrible fait divers).

Enfin, dans les cours de récréation des plus jeunes, un nouveau "méchant" risque d’apparaître et les institutrices entendront leurs élèves jouer "au tueur de bébés". Une manière pour les gosses de vaincre angoisses ou inquiétudes.



 

 
 
Article co-écrit par :
 
Professeur Didier MOULIN, pédiatre, chef de service associé au Service des Soins Intensifs et des urgences aux Cliniques Universitaires Saint-Luc ( Université Catholique de Louvain ).

Professeur Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre, docteur en psychologie,
 
et publié dans  Ethica clinica, 1997, 7,16-20.

Les soins donnés aux enfants admis en unité de soins intensifs sont le résultat ou l'effet d'une activité humaine que nous décrirons brièvement (2). 

Les unités de soins intensifs ont été inventées pour obtenir la survie de patients dont la vie est menacée par la défaillance aiguë et réversible d'une ou de plusieurs fonctions vitales. La réversibilité de la défaillance est un a priori méthodologique qui ne se concrétise pas toujours. Ainsi dans un lieu déterminé de l'hôpital sont réunis des compétences humaines et des moyens matériels. Des spécialistes de " l'art de soigner " ( les infirmières ) et de " l'art de guérir " ( les médecins ) sont organisés pour accueillir et soigner jour et nuit, chaque jour de l'année, des patients présentant une défaillance vitale. Nous les appellerons dans cet article les soignants. Ils disposent d'un matériel de surveillance et de traitement performant et coûteux. Ils combinent leurs compétences et leurs efforts pour permettre la survie et obtenir soit la guérison, soit une amélioration significative de la santé des patients qui leur sont confiés.

Ces lieux de soins où sont accueillis des patients en danger de mort sont des lieux d'émotions ressenties très fortement. Celles-ci font " sortir d'eux-mêmes " comme l'étymologie le suggère, se mobiliser, se révéler les personnes concernées : patients, parents et soignants.

Toute action interroge ses acteurs sur leurs obligations ou devoirs. Nous essayerons donc de répondre à la question : que devons nous faire et comment devons nous agir lorsqu'on nous demande d'admettre et de soigner des enfants en unité de soins intensifs ? Quelles règles devons-nous nous imposer ? A quelles lois devons-nous obéir ?

Une autre façon de formuler ces questions consiste à s'interroger sur les valeurs mises en jeu - qui peuvent être promues ou mises en péril - dans l'action. La valeur fondamentale ou ultime est l'être humain lui-même, fût-il un enfant ; bien sûr pas un être humain seul et survalorisé parce que fragile ( enfant et malade ) ou parce qu'investi par le corps médical, mais un être humain égal aux autres ( dissemblable ) avec les liens et les dépendances qui contribuent à sa singularité et à sa richesse.

Des questions existentielles liées aux précédentes interpellent à propos du " prix " d'une vie humaine. jusqu'à quel point s'acharner pour maintenir la vie biologique ? Qu'est-ce qu'une qualité de vie minimale justifiant de grands moyens ? Quelle quantité de dépenses reste acceptable pour une vie particulière face aux besoins sociétaux et aux besoins du monde ? Nous n'aborderons pas ici ces questions analysées dans un autre article (3). 

Dans la pratique des soins intensifs, comment essayer de respecter chaque personne particulière ? La première démarche passe par sa rencontre q est indispensable et qui cependant ne va pas de soi dans le contexte particulier de l'organisation et de la technicité. La rencontre comme première valeur est déjà applicable au tout petit enfant. C'est dans la manière d'être avec lui, de le nommer, de lui parler qu'on lui manifeste qu'il existe.

Les soins de santé, même dans une unité de soins intensifs, sont l'occasion ( qui doit être saisie ) d'une rencontre avec le patient emille. Dans cette relation d'un type particulier, où les rapports de force sont très déséquilibrés, les balises utilisées pour respecter la personne sont la (re-)connaissance des droits fondamentaux ( human rights ) du patient comme ceux des membres de sa famille, et le souci qu'ils sont bien pris en compte. Nous envisagerons les droits à l'intégrité et à la dignité, ceux à l'autonomie et à la vérité. Ils seront analysés du point de vue de l'enfant, de ses parents et des soignants.
 

l'intégrité de la personne et sa dignité



Les processus morbides qui entraînent l'admission en unité de soins intensifs et les techniques de diagnostic et de soins qui y sont pratiquées mettent en évidence de façon spectaculaire combien il demeure délicat d'assurer l'intégrité de la personne et sa dignité. La maladie ou l'accident compromettent l'intégrité corporelle et le plus souvent l'intégrité psychique. A l'intérieur de celle-ci, entre autres, le projet de vie, le plus souvent le projet parental pour l'enfant mais aussi le projet personnel de l'enfant lui-même selon l'âge, sont mis en écueil.

Paradoxalement les techniques diagnostiques et thérapeutiques utilisées en soins intensifs vont tenter de restaurer finalement ( in fine ) l'intégrité du patient - ou ce qu'on peut en récupérer ... tout en ignorant, et même en agressant celle-ci momentanément parce que, dans une large mesure, il n'y a pas moyen de faire autrement : apparemment, en tout cas ; même si l'intention de nuire n'est pas là, cela ressemble à une agression.

Fantasmatiquement, c'est parfois encore pire : cela peut être vécu comme une persécution, un acte de malveillance, un acte de toute-puissance hautaine, universitaire (" Mon enfant est un cobaye pour la recherche. "). Nous ne pouvons pas faire autrement : un certain nombre de nos techniques sont franchement invasives, elles violent le corps du patient. Ainsi par exemple, intervient la ventilation artificielle, motif principal d'admission en soins intensifs qui nécessitera l'intubation endotrachéale et très souvent une sédation forte de l'enfant. Ensuite le patient est objectivé ( chosifié ) organe par organe ( morceau par morceau ) pour étayer un diagnostic fonctionnel précis et élaborer la stratégie thérapeutique la plus adéquate. Et même nos techniques ont parfois l'air de violer l'esprit : nous ne pouvons pas tenir compte des idées anxieuses ou découragées du moment, qui voudraient qu'on n'aille pas plus loin.

Ces méthodes de soins ont démontré leur efficacité pour maintenir la vie, préalable à la restitution de l'intégrité personnelle dont la santé. Comment, tout en utilisant ces techniques indispensables si on raisonne en terme de survie, préserver la dignité de la personne ? Comment, tout en négligeant de fait l'intégrité de l'enfant dans le but final de permettre à cette intégrité de vivre, ne pas oublier le projet de vie c'est-à-dire la projection dans le futur de ce patient particulier ? Voilà exprimé un premier défi qui peut apparaître comme un paradoxe.

Si l'on considère le respect de la dignité comme la reconnaissance du caractère unique et particulier de chaque personne, la réponse dans le cadre des soins est donnée au moins partiellement par la personnalisation de ces soins, qui sont adressés à la personne dans tout individu. Nous évoquerons la présence des soignants, leur interrelation et interaction avec le patient, l'emprise de l'enfant sur le milieu humain et physique, l'image de soi pour chacun des acteurs. Nous prendrons comme illustration l'accompagnement de l'enfant mourant (4). 

La première démarche de personnalisation devant l'enfant en danger vital ou qui va mourir consiste d'abord à être là. Une présence non seulement rendue nécessaire par les devoirs des tâches techniques et les règles du métier, mais une présence qui consiste à accompagner ( cheminer ensemble ) même dans ces circonstances les plus difficiles.

Cela consiste à être là, présent, et d'autant plus que la vie apparaît plus fragile, moins prometteuse d'avenir, de bénéfices futurs. Etre là de plus en plus lorsque apparemment, objectivement, il y a de moins en moins de raisons strictement techniques d'être là, parce que la technique échoue, parce que l'objectif initial se perd. La présence même silencieuse dans le dénuement le plus grand, c'est-à-dire face à la mort qui s'en vient, est une façon de maintenir jusqu'au dernier moment le patient comme être humain à part entière, comme personne dans le monde des vivants avec toute sa dignité ( sa dimension d'homme ) préservée, même si le corps et son fonctionnement suggèrent la déchéance ( mot cruel et cru s'il en est, s'agissant d'un être humain ). Le rôle des soignants devient surtout à ce stade de donner de l'humain, cstà-dire de donner de soi, ce qui pour le patient équivaut à recevoir de l'autre. Le plus souvent, la présence du soignant ne sera ni sourde ni muette. Elle sera accueillante, à l'écoute des questions et même des projets (5)

Le questionnement de l'enfant risque d'être muet, et révélera l'inquiétude et l'angoisse ; celles-ci peuvent être interprétées comme un besoin d'espérance, comme une demande de solidarité. Toute fuite par un processus inconscient d'évitement favorisera l'angoisse, empêchera l'enfant d'espérer, c'est-à-dire d'attendre et de pouvoir attendre quelque chose des autres.

Les demandes ou les projets de l'enfant en danger vital sont une façon pour lui d'essayer et de réussir au moins partiellement, d'avoir prise sur les autres, sur les choses, sur le futur même hypothétique et réduit. Ses projets seront à son échelle enfantine. Il s'agira de s'entendre raconter l'histoire préférée, d'entendre la musique connue, d'obtenir tel objet familier, voire, si les forces le permettent encore de réaliser tel jeu avec parfois tel compagnon bien désigné. Ce pourra être de maintenir le projet scolaire avec ses défis qui sont autant de possibilités de prendre sur le temps, d'essayer de le maîtriser. C'est ce que tout être humain s'efforce de faire mais à un autre rythme de vie, dans une autre échelle de temps.

Cela sera parfois dans un contexte plus tragique pour l'équipe soignante d'investir un enfant désinvesti par des parents terrorisés par le chagrin ou l'angoisse au point qu'ils n'osent plus se confronter à l'enfant, ou même ayant anticipativement fait le deuil de leur enfant, c'est-à-dire ayant accepté la perte de l'enfant alors qu'il est toujours là.

La présence des soignants est aussi active, mais d'une nature très discrète comparée aux examens et soins spectaculaires, lorsqu'il s'agit de soigner le corps dans son apparence. L'habiller, le coiffer, être complice de la coquetterie, préserver l'intimité et la pudeur, agir avec politesse et discrétion, voilà autant de gestes, d'attitudes qui signifient que cet enfant fait partie du monde des humains, ce qui lui maintient ou lui confère sa dignité. Les soins à l'enfant qui vient de mourir procèdent de la même démarche fondamentale de respect et de reconnaissance de la dignité individuelle.

Malgré la perte d'intégrité provoquée par la maladie ou l'accident, malgré le fait que la " désintégration " est aggravée par la technicité propre à la discipline des soins intensifs, la dignité du patient, c'est-à-dire sa dimension humaine ( son humanité ), peut être préservée voire parfois agrandie dans une rencontre personnelle et interactive de grande intensité, tant quantitativement que qualitativement.

 

L'autonomie de la personne et la vérité



L'autonomie de l'enfant qui dépend de ses parents illustre de façon exemplaire une facette fondamentale de la liberté humaine : le fait qu'elle se joue dans la relation avec les autres et dans l'interdépendance. Cette autonomie est limitée par la maladie ou le handicap et certainement par une admission en soins intensifs. En réalité, elle va surtout changer de nature, et donc persister tout en créant sous la contrainte et dans des circonstances pénibles de nouveaux liens et de nouvelles dépendances.

S'il est vrai que la liberté présente notamment un aspect subjectif et qu'elle se vit donc, entre autres, dans " la tête ", le psychisme ( liberté de penser, de désirer, de se définir ), on peut faire l'hypothèse et envisager pratiquement que la part d'autonomie qui est préservée chez le malade pourra être rendue active en étant nourrie par la vérité. La liberté de penser au coeur de chaque individu, même malade, ne peut s'épanouir que dans la vérité ; la tromperie ou le mensonge l'étoufferaient. Cette vérité naît dans un dialogue vrai qui sous entend que ce que pense l'autre est reconnu valable et respecté.

La part de liberté réellement vécue dans le rêve et dans le jeu chez l'enfant a toujours quelque chose d'interpellant. Pour concrétiser sa liberté de penser - surtout quand on la reconnaît - l'enfant, en quelque sorte, l'applique dans ses rêves et ses jeux. C'est une constatation courante dans les pires situations créées à travers l'histoire et la géographie. Par exemple, lors de l'émission de la télévision belge Bla-Bla, en août 1996, des enfants en séance de thérapie ont trouvé seuls que, dans leur prison, Julie et Mélissa (6) jouaient. En soins intensifs, dès que le confort procuré par l'absence de douleur est assuré, on est toujours surpris par la capacité de jeu et d'invention émanant de l'enfant.

Il serait néanmoins injuste et réducteur de ne situer la liberté qu'au niveau psychique. II doit y avoir, pour nous tous, une liberté d'agir dans une certaine mesure ; les libertés étant confrontées et trouvant leurs limites dans la rencontre de la liberté des autres. La liberté plus réduite chez l'enfant n'est cependant pas nulle même en soins intensifs et les parents et les soignants gardent un devoir d'éducation, c'est-à-dire celui de guider la liberté de l'enfant.

La liberté d'action des parents sera aussi confrontée à celle des soignants ; en effet en unité de soins intensifs, il n'auront pas le pouvoir de définir l'action précise. Celle-ci sera le résultat d'une décision prise par les soignants. Très souvent et chaque fois que cela est utile ou nécessaire, cette décision se prendra au terme d'une négociation dans un dialogue ouvert ; parfois il s'agira d'un compromis lorsque le dialogue engendre la confrontation. Les exemples sont nombreux pour documenter ces situations. Certaines familles envahissantes vont interférer avec les soins et les rendre inadéquats pour l'enfant ; certains parents incapables de maîtriser leur émotion et leur chagrin vont accabler leur enfant qui s'efforcera, lui, de les soutenir alors que ses forces sont réduites ; ces familles seront gentiment invitées à espacer leurs visites et à les rendre plus bénéfiques pour l'enfant. D'autres parents auront des demandes inappropriées qui ne peuvent être qu'exceptionnellement rencontrées et dans des circonstances précises et définies ; ainsi des demandes d'euthanasie ou d'acharnement thérapeutique alors que tous les soins à visée curative sont devenus objectivement " futiles ".

Le dialogue en unité pédiatrique de soins intensifs passe par l'accueil des parents et sera amorcé à partir de leur questionnement inquiet. Les réponses seront bien sûr objectives et concrètes lorsque l'information précise est demandée. Celle-ci et une certaine compréhension sont nécessaires à l'usage d'une " autonomie responsable ", c'est-à-dire qui émane vraiment de la créativité, du projet existentiel des parents, à présent mieux informés, mais dont on espère qu'il prenne en compte les besoins de chacun : enfant, parents eux-mêmes, soignants. On espère donc qu'il en sortira des décisions utiles, ainsi que des adaptations indispensables de la vie courante.

On sera cependant attentif au fait que les questions des parents et les réponses des soignants dans les domaines techniques peuvent constituer un refuge dans un domaine plus intellectuel, plus abstrait de façon à éviter d'aborder les sentiments et l'émotion des différents intervenants. Cette attitude, quoique bien compréhensible, peut être cependant une façon de refuser la réalité qui s'impose et risque alors d'interférer avec cette autonomie que le médecin se doit d'essayer de préserver voire de valoriser chez ses interlocuteurs.

Une autre dimension du questionnement très technique des parents, tout comme des réponses très pratiques des soignants, correspond à la connaissance, à la vision de plus en plus scientifique, mécanique de l'homme. Il s'agit là d'un deuxième travers propre à notre société qui concourt à aveugler sur les vraies questions liées à l'action de soigner. Quel est le sens des soins ? Au service de quel humain veulent-ils être ? Quelle quantité d'énergie humaine, financière ... est-il juste d'investir pour tel petit humain en particulier ?

Les questions sans cesse répétées seront toujours révélatrices d'angoisse, d'un besoin d'espoir et de solidarité. Manifester de la compréhension pour les questions cachées, accuser réception du message particulier de l'anxiété, sera source d'apaisement, de tranquillité procurée par le fait d'être entendu et peut-être compris.

Les réponses aux grandes questions qui concernent la survie, la mort, le handicap, seront vraies, c'est-à-dire émises dans un climat de vérité ouvert à une certaine incertitude, ce qui correspond toujours à la réalité. Le piège est de vouloir rassurer à tout prix, en réponse à l'angoisse qui interpelle et qui appelle de façon pressante l'apaisement. Rassurer via le mensonge, par exemple en banalisant la situation, sera finalement source de désespoir, de perte de confiance, à un moment où, justement la confiance dans l'autre a un effet tellement fondamental. On peut répondre à l'angoisse plus fondamentalement en assurant que l'on fera tout ce qu'il faut jusqu'au bout ; que l'on sera présent et vigilant ; que l'on n'est pas incompétent, mais " compétent limité ", face à la vie biologique qui se fissure. Mais on assumera, de sorte que tout ce qui doit se passer, se passe le plus humainement possible. Tout sera mis en oeuvre pour qu'il y ait le moindre inconfort possible ; la douleur sera combattue et le plus souvent supprimée, l'asphyxie avec sa composante d'énorme détresse physique et psychique sera prévenue. Les soignants seront présents et attentifs, grâce à quoi, si l'enfant doit partir, il partira " plein " des autres, et donc sans angoisse d'abandon.

Mentir aboutirait par contre à empêcher de faire face à la réalité qui pourtant devrait s'imposer ; ne pas permettre de vivre la mort de l'être cher, de l'accompagner, de lui faire ses adieux. Ce serait rendre impossible la mise en place d'une vraie espérance, non pas l'illusion que la mort ne viendra pas, mais la certitude qu'elle n'est pas le néant, la fin de tout ; qu'elle peut être transcendée par la poursuite d'une vraie vie : vie de l'esprit, vie de l'autre, vie de la présence spirituelle. Dans les cas où la mort est inévitable, l'espérance que l'on veut contribuer à générer n'est pas de l'ordre du mensonge ; elle consiste à aider à croire que la présence au malade dans les moments les plus difficiles de sa vie a du sens, est quelque chose de positif, est un cadeau précieux pour lui. On peut donc aider à faire un passage vers la mort moins traumatique, moins dramatique. En effet si on définit l'espérance comme " le sentiment qui fait entrevoir comme probable la réalisation de ce que l'on désire ", en informant explicitement, on permet à celui qui vit l'espérance de modifier son action en réorientant ses désirs vers la réalisation, la concrétisation d'une nouvelle vie à organiser où la présence physique et concrète de l'enfant ne sera plus. C'est souvent aussi permettre aux parents de répondre à l'attente du mourant, c'est-à-dire celle de s'en aller en paix, aimé, vivant dans les coeurs et les mémoires, soulagé, laissant à son tour les autres apaisés. Le lien interhumain survit à la mort du corps, " celui qui part, part avec le plus précieux de moi, et le plus précieux de lui reste en moi ".

Parler vrai ne consiste pas seulement ou surtout à donner la vérité objective ou scientifique et d'ailleurs illusoire des résultats d'examens, des diagnostics toujours conventionnels et des pronostics souvent incompris, surtout dans le contexte émotionnel du moment. Parler en vérité, c'est permettre de poser les questions essentielles, et donner le temps nécessaire aux réponses. C'est aussi souvent, donner quelque chose de soi : nos émotions, nos idées intimes à propos de cet enfant qui s'en va ou de cette famille qui souffre ; l'impuissance, la tristesse, le sentiment d'injustice que nous éprouvons ; l'admiration, l'émotion positive que nous ressentons face au courage de l'enfant et de sa famille ; les questions que nous nous posons sur le sens de la vie. L'information sera facile à donner, mais faire prendre connaissance de la situation, nécessite en somme que les parents renaissent avec (" connaissent ") un nouveau projet, dans lequel s'inscrit ce nouvel enfant malade, handicapé ou dont le corps sera définitivement absent.

Les interrogations importantes se rapportent au projet de vie qui porte l'enfant et dont les parents l'ont doté ; il s'agira pour ceux-ci d'envisager un enfant différent, de modifier un projet auquel ils tiennent. Ensuite cet enfant, partiellement étrange(r), pourra souvent être réadopté, tel qu'il est, avec les richesses qui lui restent et les manques que la maladie a induits. II pourra même souvent être réadopté, dans son agonie - que les parents ne ressentiront plus comme une agression ou une condamnation d'eux-mêmes - et dans la mort de son corps. Cette réadoption arrivera au terme d'une double réflexion douloureuse, sur les possibilités personnelles d'accueil devant l'imprévu difficile et parfois surhumain, puis sur la nécessité vitale, c'est-à-dire porteuse de vie, de refaire un projet aimant, respectueux de l'enfant appelé de par sa nature à plus d'autonomie et de liberté. Si ces questions peuvent être posées devant la possibilité du handicap majeur, c'est que simultanément dans l'unité de soins intensifs la survie est liée au maintien ou à l'augmentation de moyens humains et matériels exceptionnels qui doivent être mis au service de l'enfant présent sans oublier l'adulte à venir. Il faudra si possible faire en sorte que le futur puisse être porté plutôt que supporté par des adultes aimants qui devront un jour s'effacer devant l'adulte de demain.

Malheureusement, cette " réadoption " d'un enfant différent n'est pas toujours possible. Certains parents ne peuvent pas y arriver et ceci, pour les raisons effectives les plus diverses : blessure narcissique intolérable, incapacité à aimer sans réciprocité, dépression, honte, sentiment de culpabilité. Ou alors, elle n'est pas tout de suite possible : les parents ont besoin d'un temps de maturation plus grand pour leur réflexion. A l'équipe alors, de se substituer à eux, provisoirement ou définitivement, auprès de l'enfant qui a toujours besoin de présence humaine, mais à elle de le faire sans juger : continuer à pouvoir accueillir ou comprendre ces parents-là aussi, amène parfois à ce qu'ils décrispent leurs positions. D'autre part, ce serait une illusion au moins, une tromperie au plus, de se référer au caractère enfantin du patient pour justifier une thérapeutique agressive alors que la perspective de survie ou la qualité de celle-ci sont devenues dérisoires, rendant la thérapie réellement futile.

Donner le temps nécessaire aux réponses qui dépassent les possibilités personnelles de chaque individu et donc de chaque parent et de chaque soignant, c'est aussi parfois permettre que la réflexion s'approfondisse par un dialogue entre les membres de l'équipe de soins, voire avec les membres d'une cellule d'aide à la décision éthique dont le regard plus distant et moins immergé émotionnellement, pourra être utile.

Les questions et les réponses sont complexes et variées, plus nombreuses et plus riches que les règles ou les lois qui peuvent guider, aider dans le cheminement vers une vérité qui sera faite et partagée par la plupart des acteurs. C'est aussi mettre en oeuvre son autonomie que d'user ensemble de sa liberté mise au service d'un enfant aimé et investi, projeté dans un avenir le plus humain possible. L'usage de la liberté consiste à s'engager, parfois dans des chemins excessivement ardus.

- Notes. - 


2. La rédaction de cet article n'aurait pas été possible sans une longue expérience partagée dans l'action et la réflexion avec toute l'équipe infirmière et médicale des soins intensifs pédiatriques, avec celle de pédopsychiatrie qui a joué tout au long ce rôle d'observateur critique et bienveillant, de même qu'avec les kinésithérapeutes, les aides-soignantes et administratives et les membres de l'équipe pastorale. Qu'ils en soient tous ici remerciés.

3. D. MOULIN, " Financement et éthique. Comment préserver la solidarité lorsque les ressources sont limitées ? ", in Louvain Médical, décembre 1997.

4. J.-Y. HAYEZ, D. CHARLIER, S. CLÉMENT DE CLETY, D. MOULIN, J.-F. VERVIER, " L'enfant en risque de mort à brève échéance : la prise en charge de sa personne ", in Arch. Pédiatr., 1995, 2, 589-594. pour voir le texte

5. Le questionnement parental sera envisagé au paragraphe " L'autonomie de la personne et la vérité " ( voir infra )

6. n.d.l.r.: Pour nos lecteurs non-belges, il faut préciser que les prénoms Julie et Mélissa renvoient à une r affaire datant de 1996 : deux fillettes belges enlevées et séquestrées par un pédophile ont été retrouvées mortes dans une cave aménagée par leur bourreau. Cette affaire a terriblement marqué le peuple belge et continue d'avoir des répercussions majeures en Belgique, notamment concernant l'organisation de la justice.



 

 

 







Chapitre paru dans l'ouvrage collectif " Le sens de l'homme" (sous la dir. de Putallaz F.X. et Salamolard M.), 2006, éd. Saint Augustin.

 

Sur cette importante question, voici deux points de vue relativement différents, mais que nous croyons complémentaires, celui d'un pédopsychiatre, Jean-Yves Hayez, et celui d'un philosophe, Jean-Michel Longneaux. Une brève synthèse, par l'éditeur, s'efforcera de montrer l'articulation de ces propos.

Jean-Yves Hayez : les risques


Au printemps 2005, en Angleterre, un Tribunal a autorisé légalement la procréation de bébés désignés « médicaments » par les médias. Bébés conçus au terme de manipulations techniques compliquées, dans le but de sélectionner la composition cellulaire de leurs tissus, avec l'espoir que des prélèvements faits sur eux puissent être greffés à un grand frère ou à une grande sœur très malade, et peut-être sauver leur vie.

Dans d'autres pays, comme la Belgique, c'est le vide juridique, mais la pratique existe plus ou moins discrètement et sporadiquement.

De tels projets et pratiques suscitent en moi de fortes préoccupations éthiques. Ils comportent trop de risques pour la santé psychique de ce nouvel enfant que l'on va procréer pour la circonstance, et même pour ses parents !

Ils ne sont pas sans risques non plus pour le regard social que l'être humain pose sur lui-même et sur les tout-petits de la communauté. Tout au plus pourrait-on les considérer à certaines conditions comme un moindre mal (1) 

Une évaluation devrait s'effectuer au cas par cas, en profondeur, discrètement, dans l'intimité de la famille avec l'aide éventuelle d'un psychiatre ou/et d'un éthicien spécialiste de ces questions. Ce que je déplore clairement, c'est le besoin de légiférer à tout crin, qui amène parfois les personnes concernées à faire l'économie d'une pensée personnelle profonde et celle d'une interpellation de leur conscience morale : « Si c'est permis par la loi, c'est que c'est bien, donc on y va ! » Pis, l'existence de lois a l'effet provocateur d'amplifier des phénomènes.

D'un autre côté, il y a la mise en exergue par les médias de ces problématiques de santé marginales et douloureuses : des parents témoignent publiquement, de reality shows en débats plus distingués, d'autres conçoivent des projets auxquels ils n'auraient pas pensé tout seuls, d'autres encore ne se savent plus comment réagir face aux idées contradictoires des experts qui s'expriment en tous sens sur les écrans.

Signe de cette médiatisation, le slogan choc « bébés-médicaments » devrait être banni de notre vocabulaire !



L'humain et la technique

 

Mes préoccupations portent d'abord sur les rapports entre l'être humain et les prouesses techniques, fruits des technologies contemporaines.

Qui commande encore à qui ? N'acceptons-nous pas de plus en plus d'être conditionnés, soumis face à des innovations techniques de tous ordres qu'on nous présente parfois, et même souvent, comme des constituants indispensables de notre bonheur ?

Par exemple, les nouveaux moyens médicaux augmentent significativement la durée de vie dans les pays industrialisés mais, pour un certain nombre de personnes âgées, quel sens cela a-t-il encore ?

Face au raz-de-marée technologique, la seule position réaliste est-elle de démission et de soumission ?

Certes, le combat contre les machines qui s'emballent restera des plus ardus, mais faut-il l'abandonner ? Ne serait-ce pas, du coup, déclarer vaines d'autres grandes campagnes mondiales: la lutte pour la paix, contre le sida ou le tabagisme, celle d'Amnesty International pour les droits de l'homme dans le monde ou le combat des altermondialistes ?

Dans l'interview qu'il accorde à l'hebdomadaire Télémoustique (2), le Dr Yvon Englert, professeur d'éthique et de déontologie à l'Université Libre de Bruxelles, déclare, à propos des enfants clonés : « [...) Je crois qu'on ne pourra pas empêcher que cela se fasse un jour ou l'autre dans le monde [...) et ce sera tout à fait un être humain à part entière. [...] »

L'étonnant n'est pas qu'il reconnaisse à l'enfant cloné une essence humaine, c'est plutôt qu'il ne s'insurge guère et qu'il ne proclame pas plus fermement le devoir qu'a toute l'humanité de résister efficacement à cette aberration.

La haute technologie n'est-elle pas occupée à engendrer des savants fous ? Parce que des moyens fascinants existent, les savants ne deviennent-ils pas dépendants de leurs outils ? Pris par leur désir de haute performance à peu près a n’importe quel prix, certains médecins pourraient alors réduire les humains qu'ils manipulent à des sources de cellules ou à des masses tissulaires, et oublier ainsi cette réalité mystérieuse de la transcendance de la vie humaine sur la matière. Ils pourraient oublier aussi de bien évaluer la qualité globale de la vie qu'ils créent ou maintiennent biologiquement. Les médecins ne se substituent-ils pas parfois trop à la réflexion des parents, à leur capacité et à leur droit ultime de décider ? La question est complexe. Il est normal que les médecins informent les parents des possibilités nouvelles amenées par les nouvelles techniques.

Mais s'en tiennent-ils vraiment là ? A supposer qu'ils aient informé en un langage accessible et bien compris, s'en tiennent-ils ensuite au projet d'aider les parents à bien réfléchir, à peser le pour et le contre, à évaluer les risques, à évaluer ce que signifie au quotidien la qualité ultime de vie qu'ils pourraient mettre en place ?

Je ne suis pas sûr que ce sont toujours les (futurs) parents qui, après avoir bien pesé le pour et le contre, veulent réellement avorter de tel fœtus handicapé, garder en vie tel prématuré de 600 gammes, passer par huit essais d'implantation en procréation assistée, etc. N'est-ce pas souvent le corps médical qui leur présente subtilement ces options comme étant la chose à faire ?

Enfin, chercheurs et médecins omettent régulièrement d'inscrire et de discuter leurs projets et leurs nouvelles acquisitions dans une conception mondiale de la santé publique. Les prouesses mises au service d'enfants et de familles de pays industrialisés ont des coûts exorbitants, alors que l'on ne trouve pas l'argent nécessaire pour répondre aux besoins de santé élémentaires des enfants de la majorité de la planète.

Ce n'est là qu'un cas d'injustice criante dans les rapports économiques Nord-Sud, mais il est particulièrement désolant. Les médecins, héritiers du serment d'Hippocrate, ne devraient-ils pas être les premiers à s'en inquiéter ?



Préoccupations éthiques plus précises

 

Après ces considérations générales, je vais énumérer cinq préoccupations plus directement liées à notre sujet. Les trois premières sont comme des taches impressionnistes qui se superposent partiellement. Il en va de même pour les deux dernières.



Mettre au monde l'enfant pour lui-même

 

L'enfant que ses parents mettent au monde, ou accueillent dans leur monde (3) comme « leur » enfant, est tout de suite une personne, même avant sa naissance. C'est radicalement un autre être humain que ses parents, avec un potentiel - et des manques - originaux par rapport à tous les autres. Accueilli « pour lui », «  comme il est », il aura le champ libre pour élaborer l'essentiel de sa vie psychique et spirituelle, ainsi que les choix les plus profonds de son projet de vie. Il pourra aimer sa vie comme un livre dont il peut lui-même écrire les pages. Sa vie biologique vient des parents (4), mais sa vie spirituelle, c'est en un sens son trésor à lui (5) On ne devrait pas décider pour lui des missions clés de sa vie (« instrumentalisation »), comme Khalil Gibran l'a dit dans son poème :

« Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et filles de l'appel de la Vie à elle-même. Ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées, car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes, car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves » (6) 

Cette reconnaissance de la liberté d'être des enfants n'exclut ni l'éducation ni les désirs et attentes que les adultes ont sur lui.

L'éducation n'a pas pour but de s'opposer aux dimensions profondes du projet de vie. Elle socialise, elle fait apprendre à l'enfant des comportements qui l'inscrivent, aussi longtemps qu'il est sous l'autorité de ses éducateurs, dans leur groupe d'appartenance ou dans leur culture.

Quant aux désirs et aux attentes, bien sûr que les parents rêvent aussi d'une incarnation plus précise de leur désir dans leur enfant : fille plutôt que garçon, champion de trial plutôt qu'« intello », destiné ou non à la productivité économique de leur famille ou à devenir un jour leur bâton de vieillesse, etc.

Mais on est bien là dans le monde des désirs, en soi positifs, à condition de ne pas mélanger l'accomplissement de ces rêves avec l'accomplissement de l'enfant. C'est le cas lorsque le désir des parents se fait trop pressant, qu'il impose à l'enfant une mission impossible et ne respecte plus sa liberté de se déterminer lui-même.

Quand il ne s'agit « que » du poids excessif du désir de ses parents sur lui, l'enfant ou l'adolescent peut toujours s'en démarquer, non sans peine ni souffrance : tous les garçons ne mettent pas leurs pieds dans les souliers de leur père !

La différence avec le bébé dit « médicament », c'est qu'il ne s'agit plus simplement d'un désir projeté sur lui : ce bébé constitue l'instrument obligé d'une décision, qui touche à l'intégrité de son corps ; on a même modifié son organisme dès sa conception pour qu'il en soit ainsi !



Disposer du corps d'un enfant

 

J'en arrive ainsi à ma deuxième préoccupation : on décide à la place et à l'insu de l'enfant de disposer de son corps. Pour une bonne cause, certes ! Mais n'existe-t-il pas un principe universel garantissant l'intangibilité du corps ? Les exceptions prévues ne concernent-elles pas la nécessité de soigner ou/et de protéger ce corps d'un danger, alors que l'être humain concerné est dans l'incapacité de donner son consentement ?


Que penser, en revanche, de la pratique qui consiste à prélever un peu de moelle osseuse à des enfants très jeunes, à des âges où ils ne peuvent donner aucun consentement éclairé ? (7) 

Transgresser le principe d'intangibilité est très dangereux : comment justifier le fait de disposer du corps d'un autre, ici d'un infants (8), sans son consentement ? Une fois levée une barrière de principe, surgissent vite des applications de plus en plus folles et de plus en plus nombreuses, auxquelles il devient presque impossible de résister.

La porte s'ouvre doucement vers les enfants clones et, à plus courte échéance, vers les embryons modifiés génétiquement et clonés dont la science aurait le droit de disposer sans se poser de questions. Et si l'enfant cesse d'être absolument précieux, ne risque-t-on pas de glisser vers des pratiques de plus en plus douteuses, voire criminelles, où il sera vendu par sa famille ou enlevé pour qu'on prélève ses organes ?

Le corps de l'enfant n'appartient ni à sa famille ni à la science, fût-ce au nom des meilleures intentions du monde. Face à tous ces risques, ma position est un « non » de principe : sauf dans le but de le soigner ou de le protéger, nous n'avons pas le droit de disposer de son corps, même pas d'une parcelle de celui-ci, avant qu'il ne soit en âge de dire un « oui » clair et personnel à ce que les adultes sollicitent de lui.



Disposer des tout-petits 



La taille réduite d'un être humain risque de nous faire oublier sa qualité d'être humain. On dispose de sa vie comme s'il n'était qu'un organisme biologique : cela est patent pour toutes nos attitudes le concernant avant sa naissance, et surtout dans les tout premiers temps de la vie.

Même après la naissance, nous choyons nos tout-petits, nous nous efforçons de répondre à leurs besoins matériels et spirituels, nous les stimulons, toutes attitudes positives pour une construction saine de leur personnalité. Néanmoins, nous avons parfois du mal à reconnaître que leur altérité est déjà en place, avec des intérêts et des projets différents des nôtres. Nous sommes tentés de disposer d'eux comme si tel n'était pas le cas: nous lui imposons alors des standards et des obligations qui ne tiennent plus compte de ce qu'il est.

Que dire, a fortiori, du cas du « bébé-médicament » ou du très jeune enfant « donneur » d'une parcelle de son corps ? C'est bien parce qu'il est petit, que l'on se permet de disposer de lui sans tenir compte de lui.

On ne permet pas à un adolescent d'être un donneur d'organe, sauf éventuellement post mortem. On sondera la nature de ses motivations, pour être raisonnablement sûr qu'il ne sera pas psychologiquement abîmé après sa décision. En comparaison avec le petit enfant, il y a donc deux poids et deux mesures. Au nom de quoi cette différence de traitement ?

Il n'est pas inutile de rappeler que c'est tout récemment que l'on a mieux pris conscience du fait que des tout-petits pouvaient souffrir physiquement, sans être capables de l'exprimer clairement, et c'est depuis peu que l'on fait correctement face à la douleur des nouveau-nés hospitalisés.

Mais il y a plus grave, dès que l'on remonte dans la vie fœtale et embryonnaire. L'adulte qui doit prendre des décisions voit souvent comme se dissoudre en lui l'idée que l'être vivant sur lequel il se propose d'agir est peut- être déjà un humain à part entière : embryon, « surnuméraire » ou non, manipulé à l'envi, fœtus avorté, faut-il vraiment faire l'impasse sur l'idée de leur dignité humaine ? Oter la vie à un humain, si minuscule soit-il, constitue un geste grave. Y réfléchit-on assez dans les laboratoires ?



Où cela nous conduit-il de refuser à ce point le manque ? 



Cette nouvelle préoccupation étique est en superposition partielle avec la suivante, qui porte sur le refus des interdits.

Nos sociétés supportent de moins en moins le manque. Nous cherchons à combler tous nos besoins très vite par des objets immédiats que nous voyons comme les conditions de notre bonheur. S'il n'y a pas cette satisfaction ample et rapide, cela est souvent vécu comme une moindre qualité humaine : on est un looser ou un pauvre, à plaindre.

Cette surconsommation existe aussi dans le domaine de la santé et de la vie. Si un adolescent manque de concentration, si un adulte est trop speedé, il lui faut son méthylphénidate. Si un homme se sent profondément une nature féminine, il lui faut l'opération qui va lui donner l'apparence de femme.

Si une grossesse désirée risque de déboucher sur la mort du bébé, il faut faire l'impossible pour « sauver » celui-ci, même s'il s'agit d'un très grand prématuré. Par contre - et voici bien un incroyable paradoxe - si l'on découvre que le fœtus est handicapé, alors sa famille risque de se sentir entravée dans ses projets ; on pousse donc à l'avortement.

Et quand le manque qui s'annonce risque d'être la mort d'un être cher, notamment la mort d'un enfant, jusqu'où sommes-nous prêts à aller pour qu'elle ne frappe pas ?

Certains acharnements thérapeutiques sur des enfants très malades - infectés par exemple - qui les rendent à leurs parents avec une qualité de vie très diminuée, après des semaines ou des mois de grande souffrance à l'hôpital, posent une question grave. Et une instrumentalisation de l'enfant suivant, sans vrai désir de le voir vivre « pour lui », voilà aussi qui fait question.

Dans le cas de ces bébés, que se passe-t-il par exemple lorsque le projet échoue? Si le hasard de la biologie veut que la thérapie ne fonctionne pas, l'enfant pourra-t-il être aimé pour lui-même, alors qu'il n'a pas « su » remplir son office ? Et même dans l'affirmative, est-on pour autant maître des sentiments d'échec et de culpabilité qu'il va probablement générer tout seul et qui vont empoisonner son destin ?

Ne pouvons-nous donc pas rester confiants dans le sens de nos vies, dans notre valeur, et redevenir suffisamment heureux en assumant des manques importants ? La mort d'un être cher peut figurer dans la liste de ces manques humainement gérables, d'autant que sa mort n'entraîne pas ipso facto la fin de la relation avec lui.

A accepter de moins en moins les limites de notre condition humaine, les risques que nous encourons et dont nous commençons à voir les effets, c'est ne jamais être satisfait; en vouloir toujours plus et encore plus; accepter que ce soient les objets et les marchands qui dominent le monde, créer de moins en moins de pensée, d'imagination, d'idées pour dire ce qu'est la vie.



Où cela nous conduit-il de détester à ce point les interdits?

 

Nos sociétés ne remettent pas en question le bien-fondé des lois naturelles (tabou du meurtre et de l’inceste) lorsqu'on les prend dans une acceptation stricte : il est interdit de tuer ou de blesser sans légitime défense, de détruire les biens légitimes d'autrui, d'entretenir des relations sexuelles entre parents proches. Il n'en va pas de même dans un sens plus large ( les multinationales délocalisent et polluent en toute impunité ) Nous sommes d'accord aussi pour qu'existent des règles mineures qui protègent la viabilité physique du groupe ( s'arrêter à un feu rouge )

Mais au-delà, en moins d'un demi-siècle, nos sociétés industrialisées ont développé une aversion profonde pour tous les interdits qui maintenaient l'organisation des relations et des statuts sociaux, et qui permettaient le développement de la vie humaine dans son cadre traditionnel : pourvu qu'une chose soit désirée, tout devrait être rendu possible, c'est-à-dire atteignable et autorisé. On légifère éventuellement, non pour interdire, mais pour autoriser des pratiques en les maintenant dans un certain cadre, ce qui revient à les promouvoir : alors on dira « oui » aux mères porteuses et à celles qui donnent des ovocytes (9), « oui » à l'insémination des femmes lesbiennes, « oui » à l'adoption par les couples homosexuels, « oui » à ... presque tout.

Les tenants du maintien d'un ordre où existent des « non », ceux qui disent qu'on est en train de désorganiser les rapports humains en supprimant trop de repères, on les traite de « ringards » ou de « fondamentalistes »

Il ne fallait évidemment pas garder toutes les interdictions de l'hypocrite ère victorienne ; nombre d'entre elles étaient abusives. Mais l'on est passé à un excès inverse. En supprimant certaines interdictions, au nom de la satisfaction des désirs de certains, on compromet l'épanouissement des autres, qu'on entraîne malgré eux dans l'aventure : pensons par exemple aux enfants de mères célibataires inséminées.

On ne sait plus comment s'opposer aux effets de cascade : si A a droit à la santé, pourquoi pas B, puis C, puis D ; si les couples homosexuels peuvent adopter, pourquoi pas les célibataires âgés, capables d'aimer eux aussi, pourquoi pas les gens en train de se séparer ou ceux qui vivent à trois? Et pourquoi suspendrait-on l'autorité parentale du transsexuel appelé « papa » jusqu'à ce lundi et devenu « mademoiselle Anita » le lundi suivant ?

Et si on dit « oui » à « l'enfant-médicament », pourquoi pas à l'enfant-cloné ? On essaiera de l'aimer lui aussi, et l'on trouvera bien de bons psys pour l'accompagner ! On commence à mesurer les effets délétères de cette allergie aux interdits, à travers le phénomène des enfants et des adolescents rois qui se multiplient dans notre société. Ni eux, ni leurs parents n'ont plus de repères pour se socialiser.

Finalement, l'interdit, à condition d'être bien situé, n'est-il pas le meilleur garant de la liberté pour tous et de l'ordre social ?

 

Jean-Michel Longneaux : les ambiguïtés du désir d'enfant

 


L'une des questions soulevées par les « enfants-médicaments » porte sur leur instrumentalisation : ils ne seraient pas désirés pour eux-mêmes, mais conçus comme moyens permettant de sauver la vie d'un frère ou d'une sœur. Cette réduction à l'état de moyen semble éthiquement inacceptable. Pourtant, si nous prenons la peine de considérer les circonstances de la venue au monde d'un enfant, on peut sérieusement douter qu'il existe un seul enfant qui fût jamais désiré et conçu pour lui-même.



Tout enfant n'est-il pas « instrumentalisé »? 



Tels parents désirent un deuxième enfant pour que le premier ne soit pas seul ; ceux-là en désirent encore un parce qu'après quatre filles, ce serait bien d'avoir un garçon. Telle femme en veut un pour piéger son amant et le forcer à l'épouser ou parce qu'elle a 35 ans et qu'après, elle s'estimera trop vieille. Et telle autre encore, jalouse, veut faire comme sa sœur enceinte, laquelle attend un enfant pour remplacer celui qui est mort.

Et bien des couples attendent un enfant simplement parce qu'ils ont envie de fonder une famille. Finalement, tous ces enfants, pour telle ou telle raison, sont conçus pour le bonheur de leurs parents. Bref, ils ne sont certainement pas des enfants désirés uniquement pour eux-mêmes. Alors, faut-il condamner tous ces parents, au même titre que ceux-là qui ont mis au monde un enfant pour prélever un morceau de son cordon ombilical et donner ainsi une chance de guérison â leur fille ou leur fils, atteint d'une maladie incurable de la moelle osseuse ?

Soyons réalistes : un enfant est toujours « instrumentalisé » Autrefois, on avait des enfants pour assurer la survie du clan. Les bourgeois du XXe siècle avaient un aîné pour assurer la transmission du patrimoine et éduquaient leurs autres enfants par devoir, tandis que les paysans se procuraient ainsi une main-d’œuvre bon marché.

Aujourd'hui, les enfants sont désirés: expression banalisée qui signifie qu'ils sont « objets » du désir de leurs parents. Bref, ils ne sont pas considérés comme une fin en soi, ils sont toujours investis aussi comme moyen de réaliser un projet.

S'il en est ainsi, ce n'est pas que l'être humain soit égoïste, mais tout simplement parce qu'il lui est impossible de faire autrement. Considérons a contrario les enfants « qui tombent du ciel », ceux qui viennent à la vie en dehors de tout projet. Ils ne sont pas accueillis de façon désintéressée : à quelques exceptions près, ce sont bien souvent des enfants (momentanément ou définitivement) rejetés. Pour grandir, un enfant a besoin non seulement d'un ventre qui l'accueille, mais aussi d'un projet où prendre place. L'idée qui exige que l'enfant soit exclusivement considéré comme une fin en soi est un déni par rapport au dynamisme de la vie.



Toutes les « instrumentalisations » se valent-elles ? 



Une question demeure pourtant : toutes les « instrumentalisations » de l'enfant, qui viennent d'être évoquées, se valent-elles ? Faut-il accorder la même importance au désir - qui relèverait de l'imaginaire - de concevoir un enfant pour avoir le bonheur d'être parent, et à celui -  qui viserait un réel concret - de concevoir un enfant pour sauver un fils ou une fille ? On prétextera que la pression sur l'enfant est plus grande dans le second cas, ce qui promet une croissance plus difficile.

En vérité, la distinction « imaginaire/réel », associée à l'idée que dans le premier cas on s'en sort plus facilement que dans le second, ne tient pas au regard de l'expérience. Faut-il rappeler en effet que certains couples qui désirent devenir parents recourent à un avortement simplement parce que l'enfant attendu présente tel ou tel handicap pas forcément grave, mais qui suffit néanmoins à les empêcher d'être les parents qu'ils avaient rêvé d'être : les désirs des parents, leurs attentes, leurs espoirs ne relèvent certes « que » de l'imaginaire, et pourtant ils ont bien souvent un impact décisif et bien réel sur les enfants (10)Et si l'on envisage le cas de ces parents qui décident au contraire de garder l'enfant, la difficulté de faire le deuil de l'enfant imaginé et du parent qu'ils auraient tant aimé devenir - parent d'un enfant « normal » -, confirme autrement que l'imaginaire en question n'est pas que du « vent »

La question demeure donc de savoir au nom de quel(s) critère(s) pertinent(s) et objectif(s) juger les différentes raisons pour lesquelles les êtres humains peuvent désirer un enfant. Selon moi, la question ne porte pas d'abord sur le fait que les « enfants-médicaments » soient conçus pour des raisons qui leur échappent. Le vrai problème est de savoir si, comme à tous les enfants, on leur permettra de se libérer des circonstances, certes particulières, qui les ont vus naître. Car naître, ce n'est pas seulement sortir du ventre de sa mère, mais aussi sortir des projets de ses parents, pour devenir le sujet de sa propre vie. Réussir cette seconde naissance est une épreuve pour chaque enfant. On aurait tort d'en mesurer la difficulté à l'aune des circonstances spectaculaires ou non de la conception.

Donner aux enfants la possibilité de s'extraire des « bonnes » ou « mauvaises » raisons de leurs parents ou concepteurs, c'est ce que l'on ne fait pas avec les embryons supprimés parce que jugés indésirables. Et c'est le premier problème que pose le cas qui nous retient : non pas le fait que l'on ait produit des embryons techniquement, mais le fait que des « spécialistes » s'arrogent le droit de les réduire à leur utilité selon les critères de la médecine.

Quant aux « enfants-médicaments », leur médiatisation est regrettable. En rendant publiques leurs propres prouesses, les scientifiques en quête de notoriété enferment ces bébés dans un rôle dont ils n'ont que faire : ils ne sont plus que des « bébés thérapeutiques », un peu comme Louise Brown est moins Louise Brown que le premier bébé éprouvette.

Quant aux éthiciens qui restent circonspects, leurs doutes laissent entendre que peut-être cette prouesse n'aurait pas dû être permise, traduisez : ces enfants n'auraient pas dû voir le jour et à l'avenir, on espère ne plus en voir comme eux. Comment les enfants concernés peuvent-ils entendre de tels propos ?

Enfin, la curiosité ou l'indignation de l'homme de la rue n'enferment-elles pas un peu plus ces « enfants-médicaments » dans une identité artificielle, qui consiste à n'être finalement qu'une « prouesse médicale suspecte » ?



Conclusion

 

En résumé, nul fétichisme, mais nul relativisme non plus. Nul relativisme tout d'abord : un bébé est une personne à part entière. Pour moi, ce point ne se négocie pas, il ne relève d'aucun vote démocratique. Un bébé se comprend à partir de la vie en lui, qui le fait exister comme sujet en devenir. Nul fétichisme ensuite. Il n'y a pas lieu de figer dans des formes convenues, pour ensuite les « adorer », des circonstances légitimes pour la venue d'un enfant. Ce refus de ma part découle directement du premier principe. Un bébé est une personne à part entière, quelles que soient les circonstances et même les moyens de sa conception. Au regard du premier principe, les circonstances de la conception seront toujours relatives. Ce ne sont pas elles qui permettent de reconnaître l'enfant comme personne à part entière. Du coup, une éthique de l'action se dégage : œuvrer pour permettre à chaque enfant de naître à lui-même, c'est-à-dire de se libérer progressivement des circonstances de sa venue au monde (11) 

Quant aux développements techniques qui provoquent ces questions, ils peuvent évidemment déboucher sur des manipulations dangereuses pour l'homme. De même, au regard des urgences sanitaires dans les pays en voie de développement, leur coût peut paraître scandaleux. Mais il est également possible que ces pratiques, qui aujourd'hui nous déconcertent précisément parce qu'elles sont nouvelles, un jour sauvent l'humanité. Bref, il convient de rappeler tout d'abord que toutes les techniques, sans exception, sont par définition ambiguës.

Aussi, pour le dire en un mot, l'éthique exige qu'elles soient développées (12) et pratiquées par des personnes responsables, qui maîtrisent leur art pour le mettre exclusivement au service de la vie. Il convient aussi que leur développement soit pensé à l'intérieur d'une réflexion sur la juste répartition des ressources, laquelle ne se réduit pas au slogan : « Cessons de développer ces techniques coûteuses pour donner l'argent aux pays du tiers-monde. » La nécessité d'un encadrement législatif s'impose afin d'apporter ces garanties minimales. Sur le plan d'une action éthique, il en résulte qu'il faut lutter contre un usage des savoirs et des techniques qui détruirait la vie (13) 

Alors, chut! Plus de bruit ! Il serait dommage que tous ces bavardages nuisibles troublent plus longtemps le sommeil de ces bébés comme les autres

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Note de l'éditeur

 


Jean-Yves Hayez et Jean-Michel Longneaux ont accepté de rédiger ce chapitre à deux voix, fruit de dialogues antérieurs. Nous voudrions, dans cette note de synthèse (14), souligner quelques points et émettre l'une ou l'autre suggestion.

Relevons que les deux auteurs s'accordent pour considérer le petit enfant, même avant sa naissance, comme un être humain qui exige le respect de sa dignité et de sa liberté. On ne peut disposer de lui comme on le ferait d'une chose.

En revanche, leurs perspectives sont différentes quoique complémentaires. Hayez souligne les risques, notamment pour le développement psychique de l'enfant. de son « instrumentalisation » Longneaux fait valoir que le projet parental n'est jamais totalement désintéressé. Au nom du principe de précaution, le premier est réservé par rapport aux techniques de procréation. Au nom du même principe de précaution, le second estime que des expériences, même coûteuses et risquées, se justifient, à certaines conditions, en fonction des bienfaits qu'elles permettent d'espérer.

Ces nuances font saisir le problème dans sa complexité. Nous ne souhaitons pas les réduire. En revanche, nous proposons quatre brèves remarques susceptibles de prolonger la réflexion.

« Instrumentalisation » : un concept ambigu 

Hayez et Longneaux sont bien d'accord pour dire que des désirs (15) plus ou moins forts, émanent des parents et portent sur l'enfant. Ils projettent sur lui leurs attentes, dès avant sa conception; durant tout le temps du développement de l'enfant, ces projets peuvent subir des variations, quoique, souvent, il demeure un noyau très stable. L'effet d'une telle projection sur la structuration de la personnalité de l'enfant qui s'en imprègne, y obéit ou y résiste plus ou moins, s'avère soit plutôt positif, soit plutôt négatif. Sur ce point, il y a accord entre les deux auteurs.

Là où ils divergent, c'est dans leur acception du terme « instrumentalisation » Longneaux donne au terme une signification très large : il s'agit de l'impact du désir parental (et des comportements qui en résultent) sur la personnalité de l'enfant. Hayez emploie le terme « instrumentalisation » dans une acception plus stricte et plus négative. Quand les attentes parentales se traduisent par des ordres, des assignations qui contraignent (16) l'enfant à poser durablement des actes qu'il ne souhaite pas et qui concerne son projet de vie, il y a instrumentalisation. Il en va de même quand on travaille sur le corps de l'enfant, sans que cela s'avère indispensable pour sa santé et sa protection. Alors, bien sûr, ce moment d'instrumentalisation est toujours négatif. Sur ce point, les deux auteurs marquent une divergence.

Pour les deux auteurs en revanche, les parents ne sont pas destinés à s’enliser dans une telle instrumentalisation : ils sont toujours libres de se reprendre et rendre à l'enfant son statut de sujet.

Dans les deux cas, la dominante de l'analyse est essentiellement psychologique. De ce point de vue, l'éthicien peut demander à bon droit : étant admis par hypothèse que les parents sont animés par des motivations diverses quand ils veulent un enfant, y en a-t-il une qui a priorité sur les autres? Autrement dit, l'intention des parents vise-t-elle un but premier (l’accueil d'un enfant pour lui-même) et des buts seconds (ceux indiqués par Longneaux) ?

Cela pourrait faire toute la différence entre « instrumentalisation » légitime et instrumentalisation moralement indéfendable.

Ce qui peut et doit être dit à l'enfant 

Une autre étape est décisive, même si elle n'est pas du même ordre : comment inscrire dans l'ordre symbolique du langage, notamment par une parole adressée à l'enfant, ce qui a été pratiqué sur lui sans lui, pour un intérêt qui n'était pas le sien ?

Instrumentalisation : deux moments clés 

Dans la problématique des « bébés-médicaments », deux moments sont à considérer particulièrement pour savoir s'il s'agit d'instrumentalisation au sens strict, ou non.

1. Le moment d'une éventuelle intervention sur le corps de l'enfant, à n'importe quel stade de son développement, sans aucune participation possible de celui-ci à une décision qui, pourtant, l'implique au premier chef.

2. Le moment de la procréation : si la méthode implique la production d'embryons « surnuméraires », on peut sérieusement se poser la question du statut de ces derniers. Sont-ils considérés et respectés « aussi comme une fin » et non seulement comme un moyen ? Ce point pose une difficulté spécifique.

Instrumentalisation des autres embryons 

Le débat a essentiellement porté sur la question de l'instrumentalisation de l'enfant qui naît. Mais il se déroule sur fond d'une autre question, plus fondamentale, qui doit se poser en amont, puisque la technique présuppose la pratique du DPI, autorisée en Belgique, alors que, en Suisse, le Conseil national vient d'accepter en juin 2005 une motion visant la levée de l'interdiction du DPI ; le Conseil des États en a fait de même le 13 décembre 2005.

Pour obtenir un « bébé-médicament », il faut en effet produire plusieurs embryons, lesquels sont observés puis triés. On ne retient ensuite que celui qui sera jugé utile à la thérapie visée, et seul celui-là sera implanté. Les autres sont détruits. Par conséquent, tous les autres embryons deviennent « surnuméraires », et cela en fonction de critères exclusivement biologiques de compatibilité avec le traitement envisagé.

Quelle que soit l'intention subjective des protagonistes, parents et équipe médicale, la technique implique donc en soi et objectivement une instrumentalisation des embryons. Il s'agit là d'une forme d'eugénisme caractérisé.

Alors que cette objection de fond reste en filigrane, le présent débat a le mérite de mettre l'accent sur la dimension psychologique de cette nouvelle méthode, et de souligner de manière nuancée les risques qu'elle implique. Il faut savoir gré aux deux interlocuteurs d'avoir mis en lumière cet aspect.

 

NOTES



(1) Voici l'un ou l'autre critère qui me font penser qu'un feu vert prudent pourrait être donné : 
-- Le « programme enfants » n'était pas définitivement et irrévocablement clôturé dans l'esprit de chacun des deux parents. C'était plutôt « Non mais » ou « Pas tout de suite » 
-- Chaque parent a pu évaluer sereinement et en profondeur comment il réagirait si le projet échoue et comment il en parlerait avec l'enfant supposé sauveur. 
-- S'il y a un parent qui aura vraisemblablement plus que l'autre la charge du parentage au quotidien, celui-ci envisage cette perspective de façon plutôt positive.

(2) « Un bébé à tout prix », Télémoustique, 01.06.05, p. 9.

(3) Je pense ici aux enfant adoptés ou à ceux qui intègrent la famille avec un matériel génétique partiellement différent d'un des parents ( par exemple à la suite d'un don de sperme ou d'ovocyte ) 

(4) Du moins, souvent. S'il y a adoption, il y a déjà les parents biologiques et les adoptifs. Et dans les techniques médicalement assistées déjà bien opérationnelles, une partie au moins du matériel génétique vient d'un donneur. Mais peu importe pour cette partie-ci du raisonnement. 

(5) Je n'entends pas entrer ici dans la question métaphysique de l'unité de la personne humaine et du rôle des parents comme collaborateurs du don de la vie de toute la personne de l'enfant. 

(6) Khalil GIBRAN, Le prophète, traduit par Camille Aboussouan, Paris, Casterman, 1956, p. 19. 

(7) Donc, on ne devrait pas y procéder avant cinq-six ans, à des moments trop précoces de la vie, où ces mystérieuses opérations sur leur corps, même « expliquées » vaille que vaille, sont souvent des plus angoissantes. Des exceptions sont peut-être envisageables, mais il faut être conscient de la trace traumatique laissée dans le psychisme de l'enfant, même et surtout s'il n'en parle pas, et il faut la soigner. 

(8) Mot latin signifiant « incapable de parler » 

(9) Elles sont même fort bien rémunérées au pays de Georges W. Bush. 

(10) L'impact réel de l'imaginaire est donc ambivalent: il est positif et indispensable pour qu'un enfant puisse vivre, il se révèle destructeur lorsqu'en son nom, le bébé devient « indésirable » En vérité, c'est toujours l'imaginaire qui fait problème ... ou qui sauve. Pour le dire autrement, l'imaginaire fait partie du réel et même le façonne. 

(11) Se libérer des circonstances de sa naissance veut dire se les réapproprier pour les faire siennes, pour en faire son passé. 

(12) Au nom du principe de précaution compris ici positivement : le fait que l'avenir soit incertain d'une part et que nous soyons responsables des générations à venir fait que nous sommes contraints de développer des techniques qui, si elles nous apparaissent inutiles, voire luxueuses aujourd'hui, permettront peut-être aux générations futures de faire face aux défis qui seront les leurs - et que nous n'imaginons même pas. 

(13) En précisant que la vie a respecter en toute circonstance est la vie réelle, soit à chaque fois la vie d'un sujet fini, incapable de tout supporter dans l'existence. 

(14) Cette note est rédigée avec l'accord des deux auteurs de ce chapitre. 

(15) Dans cette contribution dont la longueur est limitée, les deux auteurs ont été contraints de simplifier leur propos : ils y emploient comme synonymes des termes comme « désir », « attente » ou « projet » 

(16) Par après, l'enfant peut bien sur se soumettre à cette contrainte.

 

 

 

 

  

Emmanuel de Becker, Jean-Yves Hayez (Carte blanche publiée dans le journal en ligne Le Soir, le 08/03/2018)

 

Ce texte ne prend pas parti sur l'ouverture aux mineurs de la possibilité de se déclarer transgenre et de poser des actes dans cette direction, mais bien sur la façon précipitée dont la législation belge a géré la question en janvier 2018.  

 

 ma vie en rose

Ma vie en rose, film d' Alain Berliner, 1997

 

Nous nous devons d’être confiants et de participer à la construction d’un monde toujours plus humain. Dans cette perspective, une vigilance active conserve néanmoins son importance : des menaces proviennent parfois de lieux surprenants, censés exister par essence pour assurer un cadre social garant du respect des individus et de la communauté. Pour preuve, une partie des articles d’une loi entrée en vigueur ce 1er janvier 2018 : elle concerne les règles relatives à la modification de l’enregistrement du sexe dans les actes de l’état civil. Elle permet d’adapter le prénom et le sexe juridique à l’identité de genre vécue intimement et ce, sans condition médicale associée. C’est à propos des mineurs que cette loi pourrait être problématique. Ainsi, à partir de l’âge de 12 ans, un ou une mineur(e) d’âge peut faire changer son prénom afin qu’il corresponde à son identité de genre vécu intimement. Et à partir de 16 ans, le ou la mineur(e) peut faire modifier l’enregistrement de son sexe sur son acte de naissance auprès de l’officier de l’état civil ; il doit alors fournir une déclaration établie par un pédopsychiatre, confirmant qu’il s’agit d’un choix fait librement et en toute conscience. Dans les deux cas, il faut la permission des parents ou de leur représentant légal…soi-disant, car s’ils s’y opposent un tuteur sera désigné ad hoc. Le pédopsychiatre pour les 16-18 ans ne doit statuer que sur la faculté de discernement du mineur, mais surtout ne pas se mêler des motivations de son choix, qui doit rester non-médicalisé : ainsi le veulent les associations de défense des transgenres, et ainsi la loi l’a-t-elle transcrit ! 

 

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Quelles questions cela nous pose-t-il ? 

D’abord n’allons-nous pas trop loin dans une frénésie de législation tous azimuts ? Et de surcroît, en ce qui concerne les mineurs d’âge, leurs droits et leurs devoirs figurant dans les textes de lois et de décrets sont marqués d’une grande incohérence.

 

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Chacun établit des âges différents pour en épingler l’un ou l’autre sans perspective réfléchie d’ensemble : ici, c’est à 12 ans qu’un préadolescent pourrait modifier son prénom ou devrait être entendu par le juge de la jeunesse au protectionnel ; mais il doit avoir 13 ans pour accéder à Facebook ; là, c’est à 14 ans qu’il est bon pour des amendes administratives ou que certains voudraient situer sa majorité sexuelle. Ailleurs, c’est à 16 ans qu’il est susceptible d’avoir des relations sexuelles consenties, de changer de sexe à l’état-civil, d’aller en prison à certaines conditions, mais pas de voter…Et l’obligation scolaire ainsi que l’achat d’alcools forts porte théoriquement jusque 18 ans, avec la majorité civile officielle…Un chat n’y retrouverait pas ses petits ! Au-delà de cette incohérence, la volonté des parlementaires de légiférer pour tout et n’importe quoi[1] et n’est-elle pas portée par l’angoisse de ne pas pouvoir tout maitriser ? Ou insufflée par un vent sécuritaire ? N’y a-t-il pas lieu pourtant de concevoir des zones d’incertitudes, de mises en tension, en question des opinions et des décisions, de façon conviviale, familiale, communautaire sans créer de contrainte légale ?

C’est vrai, certains enfants et adolescents s’interrogent sur leur identité générale et plus spécifiquement leur identité de genre : n’est-il pas légitime voire maturatif, souvent en début d’adolescence, d’oser se regarder, « s’introspecter » et s’interroger sur les multiples questions d’appartenance ?

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De loin en loin, même un enfant encore plus jeune connaît un mal-être authentique par rapport au genre qui lui est attribuée, en conformité avec son corps sexué. Rappelons-nous le film belge « Ma vie en rose » (Alain Berliner, 1977) qui évoque avec subtilité le thème de la différence et de l’identité de genre à travers l’histoire de Ludovic, un garçon de 7 ans convaincu d’être une fille…Ou le film « Tomboy » (Céline Sciamma, 2011) qui développe le parcours de Laure, 10 ans, qui devient Mickaël un garçon comme les autres dans la bande d’enfants du quartier. La préoccupation existe donc bel et bien, mais, dans notre longue carrière professionnelle et jusqu’à récemment, nous ne l’avons rencontré que très peu souvent avant la puberté : on estime à 0.5 le pourcentage d’humains souffrant de dysphorie du genre, terme médical désignant le fait de s’identifier à un genre différent du sexe biologique. Faut-il dès lors légiférer ou plutôt accompagner ? D’autant que les professionnels confrontés à la question chez les jeunes, au moins chez eux, parlent d’identité « fluide », notion traduisant le fait que l’individu n’est pas « fixé dans un sexe », mais qu’il se sent appartenir alternativement à l’un, à l’autre ou aux deux… Ainsi, les aspects d’identité à travers la sexualité et la sexuation animent fortement nos sociétés actuelles. L’identité de genre fait référence à ce que nous sommes en tant qu’homme ou en tant que femme, alors que l’orientation sexuelle fait référence au corps sexué et à l’être qui le porte et qui éveille nos désirs sexuels et sentimentaux. Un enfant dit « transgenre » ne repère donc pas ipso facto son orientation sexuelle mais est, momentanément ou pas convaincu, que son identité de genre ne correspond pas à celle déterminée par son sexe biologique. Les comportements que nous adoptons très tôt sont imprégnés par le choix du prénom, les attitudes parentales volontaires et inconscientes et l’ensemble des codes sociaux, ainsi que par la complexité de notre équipement biologique, au-delà de la seule sexuation du corps : il y a aussi « quelque chose » de génétique dans la part de masculin et de féminin que nous sentons en nous. Il ne faut en aucun cas se référer à un seul signe qui pourrait être trompeur, d’autant plus que rien n’est réellement fixé jusqu’à l’âge adulte.

 

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Tomboy, Sciamma, 2011

Une interrogation capitale découle de ces considérations : peut-on parler de « conviction durable », chez une bonne partie de ces tous jeunes qui se diraient concernés, certainement quand ils ont 12 ans et même à 16 ans ? Paul Osterrieth, à partir d’analyses des travaux de nombreux auteurs, a relevé l’existence de soixante et une périodes chronologiques de formation du psychisme entre 0 et 24 ans (soit une période nouvelle tous les quatre mois environ). C’est dire combien le développement du jeune sujet humain passe immanquablement par des questionnements, de l’ambivalence, des oscillations… L’aspect « durable » est d’une certaine manière antinomique au processus développemental de l’individu jusqu’à l’âge adulte. De plus la traversée de l’adolescence a tendance à prendre du temps…on parle de plus en plus de situer la fin de l’adolescence psychologique occidentale vers 20 ans… Par ailleurs, une dialectique continue entre fantasme et réalité marque par essence notre construction identitaire? Inscrire dans un texte officiel un composant personnel imaginé, rêvé, espéré voire redouté, ne risque-t-il pas d’enfermer le jeune individu, de l’emprisonner dans un carcan, amplificateur d’une angoisse déjà liée aux interrogations qu’il se pose à l’égard de son identité de genre ?

Une autre question émerge alors : en solidifiant d’un coup le brouillard de leurs fantasmes, ne créera-t-on pas souvent des problèmes familiaux et sociaux au moins aux plus jeunes de ces jeunes ? En famille d’abord, le fait qu’à 12 ans il (elle) puisse réaliser à ce point un souhait aussi symboliquement capital, ne conforte-t-il pas une représentation de l’enfant tout-puissant, membre de la génération « j’ai tous les droits» 

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Cela ne facilitera guère les dynamiques familiales lorsque tensions et désaccords complexifient les liens entre le préadolescent concerné et son entourage…A trop légiférer, on produit ce qu’on voulait éviter ; le danger de voir apparaitre des dérapages et de la maltraitance est bien présent ! Et revenons quelques instants encore à cette incohérence qui morcelle l’âge où l’on a des droits….Si, une fois toutes les lunes, un préadolescent, peut-être sous la suggestion de parents zélateurs, demande son changement de prénom…pourquoi ne pas reconnaître à lui et à tous ses pairs d’autres droits, dont la mise en œuvre serait plus commune ? Par exemple, pourquoi ne pas admettre qu’il ait le dernier mot pour décider de ses lieux de séjour lorsque ses parents se sont séparés ? Après tout, c’est quand-même lui la première victime de ces situations et on le met bien trop souvent à la sauce contemporaine de l’hébergement alterné égalitaire, davantage garant des droits et du confort de l’adulte que de son bien-être personnel…. Et, pour « faire dans la provocation », pourquoi ne pas lui reconnaître au même âge le droit de fumer, de boire de l’alcool, d’avoir des relations sexuelles consenties, de choisir d’aller ou non à l’école… ?

 

Et justement, que se passera-t-il à l’école ? Ethan, que l’on doit maintenant nécessairement appeler Lilou, ne souhaitera-t-il pas apparaître dans sa classe de 12-13 ans avec d’autres signes concrets de sa féminité revendiquée ? Faudra-t-il faire appel alors à un psychologue spécialement mandaté par le ministère de l’éducation communautaire pour mettre quelques rustines sur l’agressivité ou le mal-être de ses pairs ? Certaines associations militantes reviendront-elles du coup avec l’idée de créer des toilettes du troisième type pour le seul Ethan /Lilou ?

 

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En notre qualité de citoyens du monde et de contribuables, réaliser cette soi-disant égalité à un coût financier non négligeable nous choque : les priorités sont ailleurs : le monde a faim, les handicapés reçoivent trop peu de soutien matériel, l’écologie coûte des fortunes…..Alors, invitons Ethan à aller se soulager dans les toilettes des filles ou celles des garçons…et qu’il se débrouille avec ses pairs !

Sans être exhaustifs, soulevons une dernière question : pouvons-nous écarter l’hypothèse d’un effet de mode ? Serions-nous en présence d’une nouvelle manière « spectaculaire » d’exister, à l’époque de la toute-puissance de l’image ? Exister par la différence, offerte au regard des autres, d’une dimension bien délicate de l’être ? Par l’intimité ici « ex-timée » ? Peut-être en complément serait-ce là une façon pour certains jeunes, voire pour leurs parents, inspirés par la théorie du genre et le chant de ses militants, de faire un pied de nez au système, une sorte de « guerre contre l’establishment » ?...

 

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Et s’il en est ainsi pour certains, le législateur fait-il bien de suivre le mouvement dans l’objectif quelque peu illusoire de paraitre moderne à défaut d’être « contenant » ?... A réfléchir ainsi, c’est la fonction et le rôle de l’autorité sociale et de la Loi que nous questionnons. L’empressement à établir des règles, des protocoles, des lois traduit souvent une angoisse « mauvaise conseillère »… Prendre le temps d’une réflexion sur les plans clinique, éthique, juridique et ce de manière pluridisciplinaire pourrait certainement constituer un préalable solide propice à un positionnement ultérieur structurant et contenant. 

Entendons-nous. Notre propos ne vise en rien la situation de quelques enfants, adolescents et familles en réelle souffrance autour de l’identité de genre. De tous temps, quelques individus ont éprouvé un mal-être dans une désignation et une non-appropriation.

Nous les reconnaissons et les respectons, bien sûr...à titre d'exemple, voici une brève vignette clinique qui concerne Florian, que j'ai rencontré lors de ses 10 ans:

ILL. Depuis qu'il est tout petit, Florian ( dix ans ) proclame que « Jésus s'est trompé en me mettant en garçon, je suis une fille.

Et dès ses quatre, cinq ans, il exprime ce trouble profond de son identité sexuée - on peut parler ici de transsexualité - de toutes les manières qu'il peut. Se vêtir et se maquiller en fille, avec des robes de princesses, n'en est qu'un signe parmi d'autres. Vers ses sept ans, le couple parental se sépare avec violence ; Florian n'a plus de contact avec sa mère qui mène une vie très instable, et à peine plus avec son père. C'est sa grand-mère paternelle qui l'élève seule : elle l'aime à sa manière, mais elle est très sévère et elle ne veut pas entendre parler de « ses idées de PD ». Florian est bien malheureux, obtient à l'arraché d'aller visiter mensuellement les parents d'accueil qui jadis avaient accueilli sa mère et qui le connaissent et l'aiment bien lui aussi ; il y parle de suicide et demande à aller vivre en internat. En vain, les services sociaux qui supervisent son destin veulent qu'ils restent chez sa grand-mère. Il m'était venu une idée originale mais qui fut jetée sans autre forme de procès : permettre à Florian de vivre en accueil familial chez un couple homosexuel masculin ou féminin. Mon idée était qu'un tel couple connaît de l'intérieur les problèmes et souffrances liés à l'identité sexuée et à l'affirmation de la différence sexuée. Il aurait donc plus facilement été tolérant et respectueux. Mais bon, cette idée sulfureuse ne pouvait pas passer ... 

 

quoi qu'il en soit, nous souhaitons attirer l’attention sur les risques d’un cadre légal qui loin d’ouvrir et de privilégier l’élaboration peut précipiter le passage à l’acte peu propice à la réflexion approfondie nécessairement de mise dans les questions essentielles autour de l’identité. En effet, s’appuyant sur la loi, enfants, adolescents et parents iront acter les changements écartant la plus-value d’une réflexion personnelle approfondie, pesant vraiment le pour et le contre... In fine, respectons-nous vraiment l’enfant en lui attribuant des responsabilités qu’il n’a pas encore à assumer, comme si nous le considérions tel « un adulte en miniature » ?...

Dès lors nous prônons l’existence de lieux susceptibles d’accueillir et d’accompagner ces jeunes et leur famille, avec discrétion et bienveillance. Pour réfléchir avec le jeune et pour aider les parents à entendre les doutes ou les certitudes de leur enfant quant à son identité de genre, et par la suite son orientation sexuelle. Quoiqu’en pensent certaines associations, un accompagnement psychologique voire pédopsychiatrique est donc important, non pas pour changer l’enfant, mais pour l’aider à poursuivre un chemin spécifique et singulier. Soulignons enfin que nous regrettons la place dévolue au pédopsychiatre dans la loi actuelle, qui doit se limiter à attester que le jeune « dispose d’une faculté de discernement suffisant pour avoir la conviction durable que le sexe mentionné dans son acte de naissance ne correspond pas à son identité de genre vécue intimement »…et ne doit surtout pas aider à réfléchir sur le choix. En lien avec les considérations reprises plus haut, il ne lui sera guère aisé d’établir cette attestation… Il eût été probablement préférable de promouvoir simplement des consultations spécialisées pour soutenir l’élaboration individuelle et systémique dans la durée…

Nous regrettons également que le monde scientifique, du moins celui des professionnels neutres et ouverts à l’éthique, n’a guère été sollicité dans la préparation et la rédaction de cette loi… Ce n’est peut-être pas par hasard… 

DEBAT

Courriel de J-P Leclercq, psychologue 

 

Cher Jean-Yves, 

J'ai beaucoup apprécié la Carte Blanche que tu as co-écrite avec Emmanuel de Becker. A mes yeux, elle aborde l'importante question des influences croisées (positives ou négatives) et de l'étroite intrication du psychique individuel et du collectif sociétal auquel nous appartenons. Vous montrez bien comment ce collectif normalement organisé par le Politique est, dans ce cas, désorganisé par des législations inadéquates.

 

Au sujet de ces influences croisées, j'ai beaucoup apprécié la lecture d'un ouvrage paru en novembre 2017, chez Albin Michel sous le titre "Retour à Lemberg" écrit par Philippe Sands. L'auteur y mêle l'Histoire (du nazisme et de condamnés à Nuremberg) à des histoires individuelles sur plusieurs générations. Ses recherches "transgénérationnelles" ont porté tant sur son histoire que sur celles des avocats qui ont inventé les concepts juridiques de "Génocide" (groupe) et de "Crime contre l'humanité" (dont des individus sont victimes). L'auteur écrit notamment que ces concepts "se sont développés côte à côte, dans une dialectique qui lie l'individu et le groupe".

 

Pour en revenir à votre Carte blanche, vous me semblez bien montrer combien la perte des repères aboutit à fragiliser la construction identitaire des adolescents, en l'occurence, à cause de l'inflation et de l'incohérence de législations parfois contradictoires et, aussi, ignorantes des processus psychiques. 

Est-il dès lors anormal que, devenus adultes, ces adolescents se retranchent trop souvent dans une passivité, voire une attitude projective, que dénonce la Carte Blanche annexée, par réciprocité. 

Votre écrit m'a également fait penser au concept de disruption de plus en plus souvent convoqué depuis la parution en mai 2016 de l'ouvrage de Bernard Stiegler: "Dans la disruption, comment ne pas devenir fou?" (Les Liens qui Libèrent). Le Petit Larousse définit notamment ce concept comme un "claquage électrique, destruction du caractère isolant d'un milieu."

L'application récente de ce concept aux faits psychiques nous dit sans doute quelque chose de notre époque et du court-circuit de la pensée par les hyperstimulations de tous ordres, hyperstimulations qui débordent nos capacités de nous isoler et d'internaliser. Ne vivons-nous pas à une époque où les plus insécurisés sur le plan identitaire cherchent refuge soit dans le sécuritaire et la maîtrise technocratique soit dans le "spectaculaire" ( Du pain et des jeux) ou le projectif. 

Enfin, après avoir commenté votre écrit, je vous rejoins dans votre refus de voir les "Psys" instrumentalisés au profit d'une vision ignorante de la complexité du développement psychique. Il nous faut résister aux confusions dont Jean-Pierre Lebrun nous dit qu'elle entretient des liens avec le risque pervers. 

En toute amitié et merci encore pour ton engagement,

notes  

1.   Les mauvais esprits ajoutent qu’ils justifient de la sorte leur emploi, leur clientélisme et leur traitement. Pas mal de lois restent lettre morte parce qu’il est impossible de leur trouver des arrêtés d’application réalistes. Mais bon, laissons maugréer ces mal-pensants…

 


Petit interview sans prétention donné à la RTBF (Valéry Mahy-émission On n'est pas des pigeons) Publié le vendredi 16 décembre 2016  

Une publicité choquante pour certains nous a mis sur la piste de cette réflexion. Que faut-il préférer offrir à son enfant entre un smartphone et un pull en laine? C'est le spot publicitaire de Proximus qui oppose ces deux objets. On y entend un petit garçon rédiger sa lettre à Saint-Nicolas: "Cher Saint-Nicolas, si cette année, tu m'offres encore un pull en laine, je te promets que je mettrai un cactus dans la cheminée. Je veux un smartphone." La question est toujours d'actualité pour les fêtes de fin d'année qui approchent : entre un smartphone et un pull en laine, que faut-il privilégier? 

Au niveau du prix tout d'abord : le pull coûte environ dix fois moins qu'un smartphone et son abonnement. D'un point de vue énergétique, ensuite, l'un semble bien plus intéressant que l'autre. "Au niveau énergie, d'abord, celui-ci (NDLR : le pull) va protéger contre le froid, c'est le principe même du pull, ce qui va vous permettre de faire des économies d'énergie à la maison tandis que ceci va vous coûter une quantité impressionnante d'énergie. Il faut le charger. Il faut utiliser Internet et donc là aussi dépenser de l'énergie." nous explique Pasquale Nardone, professeur de physique à l'Université Libre de Bruxelles. Le smartphone est donc bien moins écologique que le pull. Cela s'explique aussi par les matériaux qui composent ces deux objets. 

Les risques

 

Venons-en aux dangers. Les risques sur le développement de l'enfant tout d'abord. Ils sont clairement bien plus important avec un smartphone. "L'enfant à qui les parents ont donné ce genre de cadeaux pour démissionner, pour être eux-mêmes bien peinards devant leur télévision et sans surveillance, sans accompagnement, sans cadrage, bien sûr qu'il est à risque de s'isoler et de s'amuser dans le monde des jeux jusqu'à s'intoxiquer. Moi, j'ai quand-même connu dans ma carrière professionnelle l'un ou l'autre enfant de moins de douze ans qui était déjà devenu dépendant des jeux" nous rapporte Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre.

Les risques peuvent être également d'ordre physique. "Le pull, il n'y a pas grand risque, évidemment. Tandis que ceci, il y a déjà les risques sur les batteries. La batterie peut s'enflammer, exploser. Il peut y avoir des dégâts et deuxièmement, il y a des ondes électromagnétiques émises ce qui fait que lorsque l'on approche de l'oreille, on va inonder notre cerveau de ces ondes électromagnétiques qui vont chauffer localement votre cerveau, ce qui n'est évidemment pour nous, adultes, pas trop dangereux. Tandis que avec un cerveau en construction, on a probablement des situations qui peuvent être problématiques" ajoute Pasquale Nardone. 

Cadeau-gadget versus cadeau-utile

 

Le pédopsychiatre Jean-Yves Hayez parle de cadeau-gadget pour le smartphone et de cadeau utile pour le pull. "Je ne crois pas qu'on peut se limiter à offrir à l'enfant des cadeaux seulement utiles. Jouer, s'amuser, ça fait partie aussi du développement, mais on ne peut pas dévaloriser les cadeaux utiles, ce qui était un peu le cas dans la publicité de Proximus." Il faut offrir du ludique aussi, donc. Le smartphone a au moins cet avantage, mais pour ce cadeau-gadget, il faudrait attendre que l'enfant atteigne un certain âge, pour Jean-Yves Hayez : "L'âge que je trouve le moins mal approprié, c'est la fin de la première secondaire. Si un jeune a montré qu'il gérait sa première secondaire de façon correcte et responsable, on peut lui donner comme cadeau, un smartphone." Pour nos experts, donc, entre le pull et le smartphone, le cadeau le plus approprié pour un enfant est, n'en déplaise à Proximus, le traditionnel pull en laine.