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Chapitre du livre  Guérir les souffrances familiales, (sous la direction de) Angel P. et Mazet P., PUF. (Pages 311 à 320)

Dans ce texte, « enfant », sans autres indications, est un terme générique équivalent à « mineur d'âge ». Lorsque ce sera nécessaire, nous donnerons des précisions relatives à son âge. Nous nous limiterons par ailleurs aux adoptions réalisées par des couples hétérosexuels, souvent mariés, ayant ou non une capacité procréative normale.

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Introduction 



Le terme « adoption » résume au plus simple une aventure humaine systémique; son début et sa fin se perdent dans la nébuleuse du temps généalogique de ses protagonistes; l'arrivée de l'enfant dans sa nouvelle famille, l'acte officiel qui consacre la démarche, et la vie quotidienne avec lui n'en sont que des étapes fortes.
Aventure à la croisée d'au moins trois systèmes humains : celui des parents naturels et du milieu originaire de l'enfant, souvent marqué par les privations matérielles et/ou la souffrance morale; celui des parents adoptifs et éventuellement de leurs autres enfants; celui de la famille élargie et de la +société, avec ses stimuli informels et ses messages intentionnels pour ou contre l'adoption. Le premier de ces systèmes disparaît le plus souvent matériellement avec le passage de l'enfant adopté vers sa nouvelle famille, mais qu'en est-il au niveau des interactions fantasmatiques? Quant au troisième, il constitue une référence permanente, concrète et/ou fantasmatique, vécue par la famille adoptive comme soutenante, indifférente ou hostile et ce avec un poids parfois écrasant !

Le sentiment et la réalité - d'échec ou de réussite de l'adoption se distribuent sur une courbe de Gauss plutôt aplatie; il n'est pas positionné au même endroit, ni à chaque étape du temps, ni pour chacun des protagonistes des témoins de l'aventure : à un extrême, il y a le sentiment d'une vie dynamisée positivement par l'adoption et très réussie; à l'autre, le constat d'un grand malheur : non-greffe ou rupture d'un lien précaire, troubles psychopathologiques graves individuels ou familiaux, et mis en relation avec l'adoption ... entre les deux, plus ou moins de conviction d'avoir réalisé un projet précieux, avec plus ou moins de grains de sable; c'est souvent mieux, en tout cas, que ce que prédit une pseudo-littérature scientifique dramatisante, peu bienveillante envers ces familles qui ont osé sortir du politically correct du groupe. Mais après tout, les résultats sont-ils si différents de ce qui se passe dans le contexte de la filiation naturelle? De surcroît, un certain nombre de difficultés que l'on remarque dans ces familles sont-elles ipso facto attribuables à cette dimension spécifique constituée par l'adoption?



Quelques facteurs spécifiques de risque. 



Nous ne sombrerons pas dans le travers inverse de l'angélisme. Il existe des sources de risque dans ces systèmes humains qui gravitent autour de l'adoption; certaines sont repérables précocement et même avant l'arrivée de l'enfant, sans que l'on fasse néanmoins tout ce qu'il faut pour y remédier! L'énumération qui suit n'a donc rien d'un académisme désincarné; elle devrait amener à prendre des dispositions propres à diminuer le mal-être des personnes concernées, voire parfois à convaincre des parents candidats de renoncer à leur projet.



« Motivations à l'adoption ».

 

Il est prévisible que certaines « motivations à l'adoption » des parents candidats vont compliquer voire interdire un investissement serein de l'enfant adopté. Pensons par exemple à ces motivations immatures, impulsives, où il ne s'agit que d'imiter un proche et d'être admiré, comme on perçoit qu'il l'est. Et à ces autres, rageuses, douloureuses, où la stérilité n'est pas du tout acceptée et où la solution rapide de l'adoption devrait venir colmater des sentiments de frustration et d'infériorité encore très vifs. Et il y a aussi ces cas, plus délicats, où la motivation d'un conjoint est de faire plaisir à l'autre, lui-même porteur d'un désir intense d'adopter qui fait sens dans l'histoire de sa vie : pas négatif en soi, ce désir de faire plaisir, mais ennuyeux quand même s'il émane du parent qui passera le plus de temps quotidien avec l'enfant ! C'est encore plus préoccupant lorsque c'est la peur de perdre le conjoint qui est à l'arrière-plan et l'envie de le ligoter à la maison via l'enfant à venir !


On sait aussi que certaines stérilités résultent d'une « interdiction interne de la vie sexuelle adulte et/ou à la parentalité » : position névrotique qui inhibe le corps et a souvent des corrélations avec les attitudes actuelles, toujours castratrices, de la génération des grands-parents; certains adultes, qui vivent une ambivalence intense entre les voix de cette interdiction et leur désir de se transmettre, contournent l'obstacle en posant leur candidature à l'adoption. Si elle est acceptée, ce qui s'en suit n'est pas nécessairement de l'ordre du désastre.

Nous déplorons simplement que l'on ne parle pas facilement de ces vécus problématiques et que l'on n'aide pas assez les candidats à l'adoption à prendre leurs décisions en en intégrant l'existence et en s'en représentant les conséquences qu'ils auront peut-être sur le futur.



Côté enfant. 



Côté enfant, on prend parfois également des risques inconsidérés à l'extraire de son milieu naturel, comme s'il allait être désirable, quelles que soient ses caractéristiques, ou comme s'il allait toujours désirer, lui, se greffer sur sa nouvelle famille, passé un petit prologue d'insécurité. On pourrait pourtant approfondir les examens préalables de son corps, de sa santé affective, de sa capacité à nouer des liens ... Plus il est âgé, plus on devrait chercher à comprendre ce qu'il désire de façon profonde et stable : plus d'un grand enfant n'a jamais pu se greffer sur son nouveau milieu parce qu'il n'a jamais pardonné qu'on l'ait arraché à sa communauté d'origine, et/ou qu'on le lui ait imposé sans ménagements !

L'existence de ces risques n'entraîne pas qu'il faille se montrer excessivement frileux, par exemple en obéissant sans plus aux impulsions de l'enfant juste avant son départ. Inversement, ils appellent vigilance et prudence ! Ainsi, au moins pour des enfants (grands) identifiés à risques, l'on pourrait commencer le séjour par une période d'accueil : tout en leur donnant beaucoup d'affection on éviterait le piège de se sentir tout de suite prisonniers les uns des autres! Dans le même ordre d'idées, lorsqu'un enfant est placé en famille d'accueil par une instance sociale, transformer ce placement en adoption ne devrait jamais avoir lieu qu'avec énormément de prudence, par exemple au début de la seconde adolescence ...

 

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On ne se soucie pas non plus toujours assez de l'intégrabilité de l'enfant par sa fratrie, si elle existe : certes, dans les bonnes familles, on a fait dire à l'avance aux frères et sœurs qu'ils étaient d'accord et enchantés, et l'on s'en targue! Mais ils ne savent pas vraiment à quoi ils s'engagent; et si d'aventure ressentent insécurité et agressivité, il leur faudrait un courage héroïque pour démarquer de l'attente des parents! Si la politique de l'autruche persiste, d'importants problèmes peuvent séparer l'enfant adopté de sa fratrie (c’est plus souvent le cas lorsque celle-ci provient de la filiation naturelle des parents adoptifs) Celle-ci peut se sentir radicalement menacée par ce nouveau choix des parents qui ne laisse rien au hasard de la procréation : « Est-ce donc que nous étions, nous, si insatisfaisants? » Elle peut aussi se sentir frustrée face à ce qu'elle ressent comme un excès d'admiration et de sollicitude pour ce nouveau petit hamster : « Et dire qu'à nous, on ne passe rien côté notes d'école!»
Idéalement, on devrait parler de ces vécus, écouter les enfants frustrés, leur offrir davantage d'attention et de compensations ... mais dans certaines familles, justement, il est tabou d'insinuer que l'adoption pourrait engendrer l'un ou l'autre problème ...

Certains parents adoptifs sont fondamentalement peu sûrs de leur valeur d'être aimable. Tant au titre d'un désir qu'à celui d'un mécanisme de défense-réparation, ils avaient intensément besoin d'adopter un enfant de rêve : dans leur vécu marqué par la carence d'investissement et/ou de reconnaissance d'eux-mêmes, une voix, souvent inconsciente, prédisait cet enfant comme celui qui allait réparer toutes leurs blessures! Par la suite, ils se sentiront des plus coupables face aux parents naturels : leur geste leur apparaîtra alors comme un vol cruel; ils ne sauront pas parler de l'adoption à leur enfant en termes simples et vrais, comme si leur désir d'être aimé par lui ne pouvait pas être reconnu comme tel! Dans leur peur que l'enfant ne s'attache pas à eux, ils ne s'affronteront guère à lui et mendieront même parfois pour que ne se réalise pas leur fantasme de la porte claquée : face à cela, l'enfant abuse de leur tolérance anxieuse ou les provoque, mais en vain, pour être remis dans l'ordre de la Loi. A l'extrême, certains de ces parents font même une « alliance perverse » où ils fusionnent envers et contre tout avec l'enfant adopté, au détriment de leur conjoint dont ils ne se sentaient déjà plus guère aimés, et/ou de la fratrie, toujours sacrifiée à la soi-disant fragilité de l'adopté.

Dans un état d'esprit proche, une petite minorité de parents adoptifs attend fondamentalement l'amour et la reconnaissance de la société - c'est-à-dire des images parentales qu'elle véhicule- en réponse au geste noble qu'elle pose. Toujours insatisfaite et habitée par une compulsion à la répétition, on verra alors cette catégorie de parents multiplier accueils et adoptions dans sa famille, en sacrifiant les besoins d'attention individuelle de son conjoint et chaque enfant, sans que personne n'ait le courage et/ou la subtilité de s'y opposer efficacement.

D'autres parents doutent plus de leurs compétences que de leur valeur d'être. Nous avons déjà fait allusion à ce doute, qui s'inscrit souvent dans une conflictualité névrotique et est tout aussi souvent entretenu par les attitudes dévalorisantes des grands-parents (dans ce contexte, il n'est pas rare que les grands-parents contestent la décision d'adopter et/ou que celle-ci soit prise dans une partie de bras de fer plus ou moins subtile entre eux et les parents. L'enfant adopté est surveillé de près, tout comme le système éducatif des parents, auxquels on prédit l'échec ...) et, parfois même, de toute la famille élargie. Bien que révoltés contre ces disqualifications, au moins dans leur vécu inconscient, les parents sont cependant « entamés » par elles : ils ne peuvent donc pas s'empêcher d'élaborer des idées négatives à l'impact dangereux ( par exemple ils redoutent quelque tare chez l'enfant ) Corollairement, ils ont du mal à accepter l'existence de quelques limites spécifiques, pourtant fréquentes ( quelques limites inhérentes à l'équipement ou aux imprégnations expérientielles précoces sont significativement présentes chez bien des enfants adoptés, surtout lorsque le contexte matériel et affectif de la grossesse ), tant ils ont besoin de montrer qu'ils sont capables de réussir : ils exigent donc des résultats excessifs, par exemple en matière scolaire. Il en résulte pour l'enfant dépression et/ou résistance plus ou moins passive : et les grands-parents pourront alors clamer qu'ils avaient raison ...

Terminons la liste de ces sources de risque générées par les parents par trois brèves évocations : des parents « simplement » rigides et autoritaires éprouvent eux aussi des difficultés à admettre les paramètres défavorables inhérents à la situation, et notamment les limites et remous comportementaux de l'enfant. Il en va de même pour les parents « simplement » narcissiques, désirant être mis en vedette via « leur » adopté qui démontre à l'envi leur originalité et leur générosité, mais qui est prié de n'être ni trop terne, ni trop encombrant. Autant encore pour ces parents qui ont voulu faire une bonne action, sincèrement peut-être, mais sans mesurer le prix à en payer dans la vie de tous les jours : eux aussi en veulent à l'enfant s'il traîne la patte ou dérange trop.

Décrivons maintenant les deux sources de risque principales issues de l'enfant; leur survenue fréquente est indépendante des attitudes parentales, mais par leur évolution : la quasi-totalité des enfants adoptés prennent progressivement conscience de leur statut et de leur histoire spécifiques; ils s'interrogent et laissent courir leur imagination à ce propos, différemment des explications souvent angéliques fournies par les parents. Chez beaucoup, c'est vers la fin de la première enfance ( cinq-six ans ) que se construit un premier ensemble de représentations mentales spécifiques ... puis à l'âge de l'école primaire, elles ont l'air de passer au second plan et de s'intégrer à un projet de vie plus vaste ... arrive ensuite l'adolescence, avec sa flambée d'introspection, de questions existentielles, de moments de doute narcissique et de prise de distance des parents : l'interrogation sur les tenants et les aboutissants de l'adoption s'y réactualise donc fréquemment
Le noyau central de ces représentations mentales infantiles déploie l'un ou l'autre thème bien noir, à tous les âges de la vie : « Mes parents ont été dégueu ... Je suis moi-même une merde dont on s'est débarrassé ... Mes parents adoptifs sont des voleurs ... Ce qui est arrivé une fois peut recommencer. » Partant de là l'enfant échafaude alors des « romans familiaux » plus ou moins torturés. Tout ce cheminement mental, mi- inconscient, mi- conscient, perturbe le comportement quotidien : les parents adoptifs - et plus souvent les mères - sont les réceptacles des masses d'agressivité et d'insécurité qu'il connote. Si eux-mêmes n'ont pas les nerfs solides, par exemple s'ils relèvent d'une des vignettes défavorables déjà évoquées, désespoir, agressivité et bras de fer mutuels peuvent s'exacerber et s'éterniser.

Chaque être humain se construit une identité personnelle en s'appuyant sur les données de son équipement, sur sa réflexion personnelle quant au sens de son existence et de celle du monde, et sur les identifications spontanées issues des relations positives de son quotidien. Il est rarissime que cette identité se construise sur commande, c'est-à-dire que l'être humain se laisse phagocyter par les désirs et rêves que l'on a pour lui.

Cela est valable pour tous les enfants. Si, de surcroît, ils sont adoptés, se référer à ce qu'ils imaginent ou connaissent de leur milieu d'origine et construire une partie de leur identité en en intégrant des éléments constitue une tentation commode et commune. Cette construction est parfois déclarée comme telle, mais plus souvent opérée secrètement, voire même inconsciemment. Tant mieux donc lorsque les parents peuvent faire l'hypothèse - au moins cela! - que telle manière de se démarquer de leurs attentes, même précieuses, pourrait signifier l'existence de cette « autre part de l'identité »! Tant mieux donc s'ils ne veulent pas la réduire tout de suite (sauf lorsqu'elle est dangereuse ...) et s'ils se posent la question du droit de l'enfant à être différent que ce que veulent leurs rêves!



Réussites humaines liées à l'adoption

 

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Pensons d'abord aux parents adoptifs qui étaient d'abord passés par l'épreuve de la stérilité (et pour un certain nombre par l'épreuve de l'échec des tentatives ultérieures de procréation assistée), puis l'avaient surmontée en gardant confiance dans leur valeur, y inclus dans leur sexualité. C'est notamment chez eux que la présence de l'enfant adopté est source d'une joie profonde, autour de cette relation nouvelle et de la possibilité de se transmettre qu'elle connote. Chez les autres parents aussi, ceux aptes à procréer, l'adoption de l'enfant comble un désir et confirme un sens de leur vie. Tous ces parents se sentent plus heureux, plus congruents à leur projet de vie, plus fidèles à leurs valeurs : faire part à tous ces enfants attendus de la joie qu'ils apportent, de la complétude que l'on trouve à vivre avec eux, fait fondre en eux le sentiment enrageant et culpabilisant d'une dette à payer, et leur donne comme un droit intérieur à prendre de la place.

Cette joie se complète d'un sentiment de réussite familiale lorsque les membres de la famille en arrivent à accepter ce que sont les uns et les autres : les parents encouragent les enfants à donner le meilleur d'eux-mêmes, en développant leurs projets les plus personnels et en intégrant aussi un certain nombre d'idées et de rêves chers à eux, les parents; réciproquement, les enfants « éduquent » aussi leurs parents et les amènent à changer ce qui est trop inadéquat; dans cette ambiance d'acceptation et d'encouragement à être soi-même, une majorité des conflits trouve sa solution ...
Et il y a la joie que le parent éprouve à avoir fait un geste généreux, même si c'est un grain de sable dans l'étendue de la misère du monde et même si ce geste ne se réduit jamais à cette signification altruiste. On pourrait dire encore que l'enfant adopté apporte la vie avec lui et retarde le vieillissement du couple parental, voire de toute la famille, mais cette constatation n'est plus guère spécifique. Prenons acte simplement que joie et sentiment de réussir existent, plus souvent que leur inverse, mais aussi qu'ils se méritent à travers la mise en place d'attitudes que nous allons décrire en détail.



Vivre au quotidien avec l'enfant adopté. 

 

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Voici une liste non exhaustive de paramètres éducatifs que nous considérons favorables à l'épanouissement de beaucoup d'enfants adoptés. Nous nous garderons de généraliser : l'originalité de certains enfants se trouve mieux avec d'autres approches! Nous ne la présentons pas non plus comme un livre de recettes : à chaque parent de réfléchir à son bien-fondé de principe et à sa compatibilité avec ce qu'il est aujourd'hui!

Accepter l'enfant tel qu'il est : - L'accepter avec son équipement, son monde intrapsychique, ses désirs et projets les plus stables, pour autant qu'ils ne soient pas destructeurs. Si cette démarche d'acceptation est de mise pour tous les enfants, certaines de ses applications sont spécifiques à l'enfant adopté et demandent, pour être menées à bien, beaucoup d'espérance intérieure, d'humilité et de solidarité conjugale. Ainsi, nous avons déjà évoqué l'existence fréquente de quelques limites liées aux premières conditions de vie de l'enfant : ne pas lui demander l'impossible, accepter une certaine passivité, fréquente chez ceux qui n'ont pas été stimulés pendant leurs premiers mois de vie ... entendre les revendications de la fratrie face à ce qu'elle ressent comme une indulgence injuste ... ( entendre, sans céder, si l'on considère que la différence de tolérance est justifiée, mais sans non plus en vouloir à la fratrie et en lui conservant sa part de sollicitude personnalisée! ), tout cela s'avère payant à la longue au prix, et d'un certain renoncement, et de la reconnaissance maintenue d'une égale qualité d'être chez tous.

Et l'on peut raisonner de même à propos des douleurs secrètes de l'enfant adopté lorsqu'il élabore son histoire, et de leurs manifestations comportementales parfois très dures : s'entendre dire « Tu n'es pas ma mère » alors qu'on l'investit au quotidien avec générosité, patienter dans son for intérieur et réagir adéquatement (adéquatement? L'adulte devrait pouvoir reconnaître que l'enfant a peut-être mal et est fâché que la mère qui l'a mis au monde ne soit pas à ses côtés au quotidien. Ce pourrait être l'occasion de lui demander pourquoi, lui, il pense qu'il a été adopté. Et de lui redire qu'il a le droit de ressentir ce qu'il ressent et que, comme parents adoptifs, l'on peut prendre une deuxième place dans sa vie, pour l'aimer et veiller sur lui ) demande, ici aussi, un bon capital de confiance en soi et d'amour conjugal, par lequel se relativise le poids de blessures infligées par l'enfant.


Aimer l'enfant adopté comme on aime tout enfant désiré. - Cette proposition a l'air d'une lapalissade ! Rappelons-nous néanmoins qu'une (petite) minorité de parents candidats savent d'intuition, avant l'arrivée de l'enfant et dans les quelques mois qui suivent celle-ci, qu'ils ne pourront jamais faire que semblant de l'aimer et qu'au fond, ils n'en voulaient pas : au nom du bonheur futur de tous, il nous semble essentiel de rappeler que ce genre de vécu reste dans l'ordre de l'humain, et non du monstrueux. Mais l'on peut en tirer des conséquences positives : quitte à supporter un peu de réprobation - d'ailleurs injustifiée - et de honte sociale, ces parents pourraient « arrêter les dégâts » avant les actes officiels irréversibles, et demander de déplacer l'enfant! Une décision analogue peut aussi se prendre par la suite, lorsqu'il est clair que la greffe affective n'a pas pu avoir lieu, ou que la vie quotidienne est faite d'incompréhensions et d'affrontements graves et permanents : alors, on peut se mettre à distance réciproque, enfant adopté - souvent adolescent - et parents. Ici aussi, on tarde parfois trop à procéder à cette séparation, qui n'est d'ailleurs pas spécifique à l'adoption. Récupérer sa liberté, de part et d'autre, permet parfois que s'apaisent les insécurités et les rancœurs les plus tenaces. A remarquer toutefois qu'à la différence des séparations dans les couples adultes, il ne s'agit pas de se renier, mais de prendre distance ...

Rêver d'un beau destin pour l'enfant. - Mettre de l'énergie à l'éduquer et à lui faire intégrer un projet de vie bien accepté de l'intérieur, où il donne le meilleur de lui-même sans nier ses limites. L'identité de ce projet est souvent complexe, fruit de « négociations spontanées et répétées » entre les désirs et valeurs des parents et ceux de l'enfant.

Parler l'adoption. - L'évoquer par petites touches, avec des amis, en sachant que l'enfant écoute peut-être; saisir au vol ce que celui-ci en dit, ou l'interroger délicatement dans ce domaine : l'encourager à déployer ce qu'il imagine, ce qu'il croit savoir et les questions qu'il se pose ; témoigner, parler de la façon dont soi, adulte, on a vécu et on vit toujours cette aventure : partager l'information que l'on a et avouer une part d'ignorance à l'occasion; partager ce qui est objectif, mais aussi les sentiments vécus, les désirs, les doutes ... Dialogues informels, répétés, souvent brefs, où les parents interagissent verbalement entre eux et avec l'enfant adopté, mais aussi avec la fratrie, les grands-parents, et bien d'autres encore ...

Peut-être l'enfant adopté finira-t-il par faire part un jour de ses théories, dont nous avons dit qu'elles étaient souvent douloureuses; peut-être fera-t-il allusion à son insécurité, à sa crainte d'être à nouveau abandonné, lui qui sait se montrer si méchant ... peut-être aussi plus tard, vers ses 20 ans, dira-t-il un jour un « Merci », d'homme libre, sans se sentir porteur d'une dette enrageante! Et les parents, eux, gagnent à parler des drames et des désirs les plus importants de leur vie : la stérilité, quand elle a existé, la manière dont elle les a affectés, et les voies par lesquelles ils ont retrouvé confiance en eux, y indus dans leur vie sexuelle ... le désir d'enfant, et même de tel enfant précis et la joie apportée par l'enfant nouvel arrivant dans ses bagages.

Quant aux étapes de l'adoption concrète, il faut pouvoir en parler aussi, sans proposer d'images d'Epinal. Et quand on ne sait pas, on doit le dire, puis construire avec l'enfant un scénario imaginaire hypothétique : l'enfant a bien plus souvent été « passé » dans le contexte d'un manque à être, que donné par amour généreux! D'ailleurs, comment peut-on croire vraiment qu'un enfant puisse être consolé à l'idée d'avoir été donné! « Si ma première mère m'aimait comme vous le dites, elle m'aurait gardé près d'elle, même pour crever de misère, même pour mourir ensemble! », nous dit Julien (dix-neuf ans), en présence de ses parents adoptifs. Puis il éclate en sanglots et avoue penser au suicide, tant il se sent mauvais : et de se reprocher face à nous des moments occasionnels de violence et de petite délinquance qui ont émaillé son adolescence : « C'est pour cela qu'elle s'est débarrassée de moi; elle avait prédit que je serais une crapule »

Ne pas faire de toute déviance l'indicateur d'une tare ou d'une psychopathologie. - Et inversement, ne pas nier non plus que de profondes souffrances puissent exister, chez l'enfant, les parents et/ou dans la fratrie, et s'autoriser à demander de l'aide spécialisée.



Vivre l'espérance et pratiquer la tolérance. 



Nous avons déjà fait référence à l'espérance, qui se vit de l'intérieur et qui se communique autour de soi comme l'annonce d'un avenir meilleur, où chacun se réalise davantage dans la paix. Il existe des aménagements qui rendent le quotidien plus viable; on trouve même parfois de vraies et profondes solutions à toutes les problématiques plus ou moins graves de l'adoption. La première et la plus banale est de laisser passer le temps, en acceptant que l'enfant chahute plus ou moins fort à l'intérieur comme à l'extérieur : si l'adulte continue à aimer ce qui est caché au plus profond de ses chahuts, s'il lui propose un échange de paroles vraies les quelques fois où l'enfant est disponible, et s'il impose fermement l'une ou l'autre limite garde-fou contre la destruction importante de soi et des autres ... les crises d'identité finissent par être dépassées, arrive alors au monde un être plus stable qui a choisi de redéfinir « son » lien avec ses parents : par sa crise, il a fait mourir ce qu'il ressentait comme la toute-puissance de ceux-ci, et il les a réadoptés à son tour et selon ses modalités à lui. Les rares fois où ce n'est pas possible, l'aide spécialisée et/ou des mises à distances réciproques, malgré le deuil qu'elles connotent, permettent à chacun de suivre un chemin de vie moins étouffant.