Une maman m’écrit

 

J’ai été passionnée par votre article qui m apporte au moins un petit halo de  lumière sur le chemin difficile que parcourt Lucas, mon fils de 14 ans.

Traverse-t-il une adolescence normale ? Je l ignore tant son enfance à été chahutée. Suivi en cmp depuis l age de deux ans (il se cognait la tête au sol), Lucas avait des troubles du  comportement à l école, puis au collège avec des périodes de grande tristesse. Nous avons l’année dernière mis fin au suivi cmp et avons fait effectuer différents bilans (Wise, bilan ergo, suivi psycho en libéral, bilan orthoptique et orthophonique). Résultat : une probable dyspraxie. Mon fils est fatigué, épuisé moralement dit il. Pourtant il continue le football, fait des projets de sortie avec les copains. A u collège c est la catastrophe, il est exclu de plus en plus de cours car il ne tient pas en place et répond de manière hautaine à certains professeurs lorsque il se sent injustement accusé. Il baisse les bras et dort en cours... Tout en conservant qqs bonnes notes de tps en tps.
Le reste du temps il semble heureux. chantonne, chahute avec ses copains. S amuse à me taquiner. Et puis soudain rien ne vas plus, il cherche le conflit. Régresse, ou essaie de prendre le pouvoir sur moi (je vis seule avec lui et sa soeur de 17 ans). 
Ses crises sont parfois violentes avec des menaces et récemment des coups plus des coups de tête  dans le mur. 
Je le sens en souffrance et essaie de trouver des aides auprès de spécialistes.
Depuis plusieurs mois, voie années, il a une peur terrible de la mort, du néant. Que deviens-je après ? À quoi je sers ? Tu te rends compte : je ne veux pas ne rien sentir pour toujours... .Ça me fait trop peur.

J essaie de trouver les mots pour lui expliquer qu on peut faire beaucoup de chose en une vie mais il me répond : mais même si c est 100 ans, ce n est rien au regard des milliards d années de la terre. En fait on ne sert à rien et on devient peut être rien après la mort. Ça le hante et lui procure de terribles angoisses.
À côté de ses questions existentielles, il cultive le culte du corps et regarde ses muscles tous les jours

Quelle histoire l adolescence mais quelle histoire difficile ! J’ai un peu plus compris grâce à vous certaines contradictions  et ambivalences. Je me sens plus sereine et peut être mieux à même de l’aider.

Merci

Je lui réponds 

Chère Madame, 

A vous relire, je pense en effet que vous avez un fils « hors du commun » L’accompagner avec respect, dans le dialogue, tout en étant ferme sur quelques règles essentielles (ne pas se détruire soi et ne pas détruire les autres) ne doit pas être facile tous les jours.

Il est certainement hypersensible, et demande à être beaucoup écouté (s’il veut bien parler) et très discrètement guidé … Son attitude envers l’école relève peut-être d’une intolérance face à la médiocrité …

Je continue à vous exprimer mon très grand scepticisme face aux diagnostics alternatifs à la mode comme celui de dyspraxie, qui n’apportent rien du tout, sinon une fausse impression de domination sur le mystère de la vie  et une déresponsabilisation de l’adolescent, devenu du coup un handicapé d’un nouveau genre, celui défini par les neuropsychologues ! 

Deux questions supplémentaires me viennent : 

- Il est élevé par deux femmes (peut-être brillantes et sensibles, comme semble en témoigner votre lettre) Pas toujours simple d’être un homme dans ces conditions. On voit assez souvent des jeunes garçons tenter de se faire remarquer de trente-six façons face à la « force tranquille » des femmes de la maison.

- Il est élevé par vous ? C’est très bien, mais que représente pour lui l’absence de père dans sa vie ? Ou, peut-être, s’il existe, d’éventuelles divergences éducatives avec vous ? Regardez-y deux fois avant de penser « Rien … il n’a pas (vraiment) de père » : Ca peut pas mal travailler le mental des ados, ce machin-là … Il pense beaucoup à la mort, me dites-vous : une hypothèse parmi d’autres : il ne sent pas opérer dans la maison une force paternelle qui protège … 

Voilà … Bonne chance de tout cœur avec votre artiste. 

P.S. La lecture de mon dernier livre « Psychothérapies d’enfants et d’adolescents » (PUF, 2014) pourrait vous apporter quelques idées.