§I. Leur raison d’être
Des conduites addictives [1] existent bel et bien chez les enfants et l’on n’y pense pas assez ! Pensez à un acte aussi simple que la succion du pouce qui serait très répétitive, résistante aux injonctions !
Le terme peut paraître fort mais voici ce dont il s'agit :
Chez nombre d'enfants, même très jeunes, il s'installe et se maintient l'une ou l'autre conduite précise, répétitive, tenacement fixée.
Elle commence pour des motifs variés et non-spécifiques : Hasard, ennui, irritation organique, angoisse ou tristesse, compensation ou conflit affectif, etc.
Elle s’avère centralement source d'un plaisir obtenu par hasard ou tout de suite recherché comme tel, qui plaît beaucoup à l’enfant ; celui-ci apprend donc tout seul à le retrouver via la même conduite et en devient progressivement esclave ou quasi : une contrainte intérieure plus ou moins forte le pousse à recommencer, voire à ajouter quelque piment à sa conduite en l’affinant.
Le plaisir vécu s’entend dans une acception large ; il peut être très diversifié, : plaisir corporel tel quel ou/et anesthésie d'un inconfort ( les succions du pouce au début, quand bébé se sent tout seul ) ; mais aussi plaisir d'un surcroît d'attention reçu jusqu'à être parfois le centre du monde ; plaisir de vivre une affirmation de soi inavouée et d'être plus fort que ses parents, ivresse de poser un acte audacieux, etc.
Au fur et à mesure que le temps passe, ce premier plaisir central se maintient ou s'étiole ou est remplacé par d'autres ... mais même s'il y a accoutumance, c'est à dire si le niveau de conduite déjà existant problématique ne génère plus autant de plaisir qu’avant, il est possible qu'elle se maintienne comme un automatisme tenace, l'équivalent comportemental d'un trait de caractère.
Une problématique affective est donc parfois à l’origine d’une recherche de plaisir, alors compensatoire. Au fil du temps elle peut elle-même disparaître ou se maintenir. Dans cette dernière éventualité, on peut se représenter la conduite fixée comme ayant et une dimension d'assuétude et une autre plus affective (par exemple, elle constitue aussi la compensation d'un vécu anxieux ou dépressif toujours présent... elle constitue aussi une manière de capter jalousement l’attention d’un parent, etc.)
Quelques exemples
Les conduites visées ici sont très variées- Ce peuvent être des gestes auto-érotiques simples (succion du pouce), mais aussi des conduites plus structurées ( p.ex., certaines encoprésies, ici volontaires ;gourmandise et obésité ; premières consommations d’alcool ou de tabac … )
Il arrive même qu’elles engagent centralement autrui dans un créneau relationnel très étroit et sans que la quête de plaisir soit avouée ni même parfois très consciente ( mutisme sélectif, rites de sommeil, certaines habitudes tyranniques autour des tâches scolaires ...)
J’en distingue quatre catégories principales, non-exclusives les unes des autres :
--- De simples gestes du corps :
Se sucer le pouce ou les doigts ; se ronger les ongles ; se tordre les cheveux (trichotillomanie) : se gratter ; se balancer ou cogner sa tête contre une paroi (Head banging) avant de s’endormir et d’autres « stereotypical movement disorders » non-spécifiques (p ; ex., se frotter les yeux sans raison … ), etc.
--- La réalisation au-delà du nécessaire de fonctions psychophysiologiques :
-Mérycisme des bébés
-Gourmandise et obésité ; (dans certains cas l’inverse : plaisir secret de l’anorexie, rare avant l’adolescence) ;
-(Dans certains cas) encoprésie ou énurésie diurne ;; pratiques sexuelles où la recherche du plaisir devient un esclavage : certaines masturbations (et, plus rare encore perversions sexuelles débutantes : premiers vrais abus sexuels)
-Je range ici, chez certains, le plaisir secret de décharges agressives répétées.
- Des comportements plus structurés et qui engagent autrui de façon claire ou détournée : Revenir dormir près d’un parent chaque soir ; capter et tyranniser un parent pour les devoirs ; tenir bon dans un mutisme sélectif, etc.
- Inclassables :
-Fréquent : consommation excessive des écrans surtout les interactifs des jeux vidéo, les portables dès 9,10 ans et d’interne
Ø Rare : conduites à risque ( p.ex. Traverser une rue à la dernière minute ; acrobaties en VTT, etc. )
--- Des comportements plus structurés et qui engagent autrui de façon claire ou détournée :
Revenir dormir près d’un parent chaque soir ; capter et tyranniser un parent pour les devoirs ; tenir bon dans un mutisme sélectif, etc.
--- Inclassables :
-Fréquent : consommation excessive des écrans surtout les interactifs des jeux vidéo, les portables dès 9,10 ans
-Rarement, chez des grands enfants : consommation d’alcool, voire de cannabis) ;
Ø Rare : conduites à risque ( p.ex. Traverser une rue à la dernière minute ; acrobaties en VTT, etc. )
- Assez rare et dangereux : jeu du foulard en solitaire
- Etc. la créativité humaine est inépuisable, en quête de plaisirs vécus subjectivement comme tels
- II . Comment y faire face ?
Je ne suis pas indifférent à l'idée qu'un enfant se débarrasse d’un symptôme gênant pour lui ou pour son entourage. Mais l'effort de réflexion et de comportement qui l'y amène suppose chez lui une motivation forte, autant que les encouragements de son milieu.
De façon générale, comment faire face à ces comportements où existe une dimension significative d’assuétude ?
Il arrive qu'on n'ait pas le choix et qu'il faille lutter énergiquement contre eux avec une certaine violence thérapeutique et éducative s’il le faut.
C’est quand ils sont dangereux, antisociaux ou/et dégradants : par exemple, consommation de produits illicites, perversions sexuelles en voie d'installation, prise de risques insensés dont le jeu du foulard, temps interminables passés [2] sur les écrans, etc.
Dans ces cas, explication claire de la raison d’être de l’interdiction ; cohérence et coopération des adultes ; force des sanctions négatives et positives ; soutien ; présence et vigilance : mise en place de plaisirs alternatifs et d’une meilleure attractivité du quotidien…devraient contribuer puissamment au changement.
Par ailleurs, même quand on est choqué, il faut TOUJOURS rechercher les racines affectives éventuelles du comportement interdit et y remédier. Je pense notamment à ce garçon de treize ans et demi, qui avait abusé de sa petite sœur de neuf ans, en goûtant les plaisirs du sexe et l’ivresse de la domination, mais chez qui on avait découvert une rage et une jalousie depuis toujours contre cette sœur, super protégée par la maman…
Mais bien plus souvent l'assuétude ne présente pas ces caractéristiques radicales d'inacceptabilité.
Alors, le degré de motivation de l'enfant pour dépasser son problème devient un élément-clé de l'organisation du programme thérapeutique et éducatif :
A. Dans une minorité de cas, l’enfant souffre beaucoup de son problème et veut s'en débarrasser sans ambivalence significative
( Par ex., certains cas de trichotillomanie ou de gestes répétés qui ridiculisent l’enfant ; certaines encoprésies, etc… )
L’on peut recourir alors à une thérapie d'introspection ( surtout s'il y a souffrance affective originaire conjointe ) en la couplant à une thérapie cognitivo---behavioriste centrée sur une meilleure gestion des comportements.
Il faut parfois des activités de soutien complémentaire, comme par ex. des rencontres avec un(e) diététicien(ne) pour l’enfant obèse … des ateliers d’esthétique ou de coiffure pour lui apprendre à réinvestir son corps ou ses cheveux … des ateliers créatifs ou du sport pour apprendre à réoccuper sont temps, etc. …
Si l’activité addictive était source d’un grand plaisir, cela vaut la peine de réfléchir avec l’enfant à la question : « Qu’est-ce qui pourrait te faire plaisir à la place ? » … parfois même, on doit commencer par mettre en place ce « plaisir alternatif », susceptible d’être acquis par de nouveaux comportements.
Complémentairement, s’il y a résultat, ce sera au terme de réels efforts consentis par l’enfant ( par ex., arriver à renoncer à manger trop, à se sucer le pouce, à rejoindre chaque soir les parents dans leur lit ) Les parents doivent en être conscients et promettre une fois, sans y revenir perpétuellement, une très belle récompense à l’enfant s’il mène l’aventure à terme et la lui donner effectivement si le résultat est acquis.
Il est donc très utile de mettre en place corollairement une guidance parentale. Cette dernière est destinée à réduire les sources de difficultés affectives qui alimentent le comportement, à soutenir les efforts de l'enfant, à lui éviter les bénéfices secondaires liés au comportement problématique et éventuellement à mettre en place d'autres sources de plaisir.
B. Mais dans une majorité de cas, l'enfant semble indifférent à son problème ou à tout le moins ambivalent.
Alors la prise en charge est beaucoup plus délicate :
---- S'il s'agit principalement d'une assuétude, sans implication affective significative, on peut certes faire l’hypothèse qu'une contrainte pédagogique appliquée très fermement et suffisamment longtemps par les parents, avec le soutien actif des thérapeutes, pourrait dissuader l'enfant de continuer son comportement et l'orienter vers d'autres plaisirs plus socialisés.
L'adhésion de l'enfant suivrait d'ailleurs d'autant plus probablement qu'on lui aurait expliqué les raisons positives de l'interdiction et qu'on récompenserait solidement les efforts qu'il ferait pour se conformer à ce que l'on attend de lui : certains programmes behavioristes, surtout nord-américains vont dans ce sens, et prétendent obtenir des résultats
Je ne choisis pas souvent cette voie mais je ne m’abriterai cependant pas derrière des affirmations soi-disant éthiques pour justifier mon abstention: je puis concevoir que certains comportements, comme le mutisme sélectif, soient extraordinairement coûteux en invalidation ou en énergie familiale et qu'on arrive à vouloir les éliminer via des positions très directives mais qui restent non sadiques.
---- Mais si l'on n'opte pas pour l'insistance ferme, comment faire face à ces enfants ambivalents et figés dans une assuétude qui indispose au moins leur entourage ? On peut :
- Leur proposer des rencontres de paroles qui soient une rencontre d'eux-mêmes dans leur projet de vie, comme on le fait dans toute psychothérapie d’introspection ; elles amènent parfois à ce que se mobilisent les autres racines plus affectives du comportement problématique.
- En profiter pour parler directement de celui-ci à l'occasion : faire le point à son propos ; réfléchir au pour et au contre qu'il y a à le maintenir ou à l'abandonner sans brusquer l'enfant, en lui rappelant que l'on ne peut pas contourner sa liberté ; s'il devient plus positivement motivé, procéder alors comme en A
- Travailler parallèlement avec les parents pour qu'ils retrouvent un optimum de sérénité dans leurs relations avec l'enfant ; les amener à faire le deuil du dépassement rapide de son comportement problématique par l'enfant lui-même, et en même temps les encourager à prendre des dispositions telles que ce comportement n'épuise pas trop leur énergie et ne crée pas trop d'inconfort.
Notes
[1] Dans ce texte, j’emploie comme synonymes les termes addiction, assuétude ou dépendance
[2] Il s’agit bien de temps objectivement interminables sur Internet ou face aux consoles de jeux : par ex., les devoirs sont bâclés et l’enfant veut y aller 3,4 heures en période scolaire…s’il y a congé, il cherche à y rester tout le temps !