Un adulte peut-il guérir d’un inceste demeuré secret?

 

        

Présentation du problème et du contexte

   

 Une dame de 40 ans m’ a brièvement raconté un douloureux passé d’inceste: elle était à l’école primaire, il y a eu pendant trois, quatre ans des viols répétés par plusieurs adultes, avec des formes parfois très vicieuses.

L’initiateur et principal responsable était un oncle , vécu par elle et réputé comme très puissant. Les faits se sont arrêtés autour des dix ans de la dame, entre autres parce qu’elle se montrait de plus en plus réticente. Elle s’est arrangée pour avoir le moins de contacts possibles avec l’oncle, en tout cas plus jamais seule, et elle n’a jamais parlé de rien à personne. Aujourd’hui, trente ans après, elle souffre toujours beaucoup de ce qui s’est passé. « Est-ce que j’en guérirai un jour » me demande-t-elle?       


Je lui réponds rapidement pour la remercier de la confiance qu’elle me fait, sans doute après avoir lu d’autres témoignages écrits sur le site. Ce pas franchi lui a vraisemblablement fait traverser un mur d’angoisse et de honte, et je commence par la féliciter pour le courage qu’elle a eu en prenant le risque de me parler.
Il s’ensuit un échange de trois courriels où je lui ai demandé des précisions sur les faits et sur son vécu, et où j’ai réagi en tant que psychothérapeute. Ce n’est néanmoins pas de cela que je veux parler, mais de considérations d’ensemble liés à un tel contexte de vie liées au point de départ ( inceste longtemps tenu secret).

Peut-on guérir de la souffrance engendrée par l’inceste?

Cela dépend de ce qu’on entend par le mot "guérir" !        

 Le plus important, à mon sens, c’est de ne pas rester seul à porter ce secret et cette souffrance persistante.  Il faut prendre le risque de s’en ouvrir à un (deux, trois...) autre (s) présents dans la vie de tous les jours. Autre à qui l’ex-victime fait      confiance : ami, partenaire amoureux, parent, frère, sœur,      membre de la famille, collègue, peu importe ! Autre qui soit capable d’écoute, d’empathie, d’estime explicitement manifestée à celui qui parle, de discrétion totale et de patience, sans activisme vengeur. Il existe sûrement quelque part, cet autre qui s’entendra annoncer  : « C’est important pour moi de partager quelque chose de très lourd avec toi ».

 

On gagne ensuite beaucoup à s’engager dans une psychothérapie individuelle. Même si le psychothérapeute est payé pour écouter, s’il est bien choisi, il est également authentique,  représentant et témoin de la communauté sociale pour exprimer lui aussi son empathie, sa colère face à ce qui s’est passé, et son respect.

 La psychothérapie constitue donc un chemin précieux pour retrouver confiance en soi et, de façon réaliste et prudente, confiance dans un premier cercle d’autres. Elle s’accompagne souvent d’une formation à la gestion mentale pour "remplacer dans sa tête» quand ils surgissent, idées noires et souvenirs "dégueu" ; les remplacer par des images positives…et il en existe de bien des variétés. In fine, la thérapie amène à penser : « On a volé des morceaux de mon corps quand j’étais faible et impuissant, mais on n’a pas volé mon âme ».

Même ainsi, on n’arrive pas chaque fois à effacer complètement les images et les pensées noires accumulées. Par le dialogue en thérapie et par la gestion mentale, on essaie au moins de "faire avec", de "vivre avec », d’avoir une relative maîtrise sur elles, pour qu’elles ne s’imposent pas trop souvent!

 

Pour que l’ ex-victime se sente mieux, est-il nécessaire que l’auteur reconnaisse les faits ? C’est préférable, bien sûr, surtout s’il le fait de façon suffisamment proche dans le temps, en regrettant et en demandant sincèrement pardon.

Ce n’est cependant pas indispensable. Une vraie reconnaissance par un petit groupe de proches, qui font confiance à la parole de l’ex- victime, c’est également bien réconfortant et l’on doit parfois s’en contenter

A mon sens, une ex-victime adulte, abusée pendant sa minorité, doit se montrer très prudente et bien réfléchir avant de déposer plainte auprès des autorités judiciaires. D’abord, il y a peut-être prescription (A vérifier selon les pays ). Et puis, prescription ou non,  s’il n’existe aucune preuve matérielle, il est peu probable que l’auteur reconnaisse tardivement les faits. Son obstination à nier, accompagnée d’une disqualification de l’ex-victime, peut encore intensifier le traumatisme. D’autant que les proches du supposé abuseur ont souvent tendance à faire bloc autour de lui, pour ne pas altérer l’image sociale de la famille et aussi, plus profondément, pour continuer à croire les uns dans les autres.

 On souligne alors parfois que le seul bénéfice de la plainte, c’est de vérifier les agirs plus récents et actuels du supposé auteur et de protéger d’autres victimes éventuelles…A voir, chacun appréciera en son âme et conscience…

Certaines ex-victimes se contentent donc d’une lettre dure, « salée », où elles disent ce qui s’est passé et ce qu’elles pensent, envoyée à l’auteur et même à quelques proches de celui-ci (mais attention alors à l’éventuelle riposte: plainte pour diffamation!!). Dans cet ordre d’idées, on peut visionner le superbe film Festen  (T. Vintenberg, 1998) : un adulte aîné des enfants d’une famille puissante procède en ce sens, en révélant des faits anciens lors d’une fête d’anniversaire ; il finit par arriver à ses fins, mais à quel prix !!!

 Assez souvent, des difficultés plus sérieuses continuent à peser sur la vie sexuelle partagée : angoisse, honte, dégoût, absence plus ou moins forte de plaisir peuvent rester au rendez-vous, au moment où il faudrait pouvoir « s’abandonner » dans un corps à corps avec le partenaire. Même si ce moment où l’on veut faire l’amour constitue la rencontre heureuse de deux personnes, de deux esprits, c’est aussi un corps à corps,  et lui, il peut demeurer plus ou moins grippé.

La seule démarche susceptible d’atténuer la difficulté et d’amener éventuellement du progrès sexuel, c’est d’en parler le plus sereinement et le plus complètement possible au partenaire, et de négocier avec lui d’éventuelles étapes, ou le droit au statu quo, au moins pour certaines dimensions des préliminaires ou de l’acte sexuel.

Quand le problème est mineur, de la patience et de la confiance réciproque peuvent déjà amener bien des joies dans une exploration progressive des gestes et des corps. L’aide d’un sexothérapeute peut s’avérer précieuse.

 Si le blocage est grave, il peut hélas largement persister. Il est inutile, au-delà d’un certain délai, de s’imposer de la violence, de se bercer d’illusions, mais aussi de se croire raté ou pathologique parce que la fermeture défensive de la sphère génitale est toujours là. On peut trouver et s’en tenir à des petits actes de sensualité bilatéralement appréciées. Et le partenaire un peu frustré peut pratiquer ouvertement la masturbation s’il en a besoin, sans se cacher, en commentant à sa partenaire blessée à vie combien il pense à elle dans ces moments - là.